En avril-mai 1974, Roland Barthes a effectué un voyage en Chine avec un petit groupe de ses amis de Tel Quel
. Cette visite avait coïncidé avec une purge colossale et sanglante, déclenchée à l’échelle du pays entier par le régime maoïste – la sinistrement fameuse « campagne de dénonciation de Lin Biao et Confucius » (pi Lin pi Kong). À son retour, Barthes publia dans Le Monde un article qui donnait une vision curieusement joviale de cette violence totalitaire : « Son nom même, en chinois Pilin-Pikong, tinte comme un grelot joyeux, et la campagne se divise en jeux inventés : une caricature, un poème, un sketch d’enfants au cours duquel, tout à coup, une petite fille fardée pourfend entre deux ballets le fantôme de Lin Biao : le Texte politique (mais lui seul) engendre ces menus happenings. »
À l’époque cette lecture me remit aussitôt en mémoire un passage de Lu Xun – le plus génial pamphlétaire chinois du xx
e siècle : « Notre civilisation chinoise tant vantée n’est qu’un festin de chair humaine apprêté pour les riches et les puissants, et ce qu’on appelle la Chine n’est que la cuisine où se concocte ce ragoût. Ceux qui nous louent ne sont excusables que dans la mesure où ils ne savent pas de quoi ils parlent, ainsi ces étrangers que leur haute position et leur existence douillette ont rendus complètement aveugle et obtus. »
Deux ans plus tard, l’article de Barthes fut réédité en plaquette de luxe à l’usage des bibliophiles – augmenté d’une postface, qui m’inspira la note suivante : « [……