Observant qu’en France, « à l’inverse de la plupart des démocraties, le combat politique est de nature guerrière », qu’on y est « l’ennemi de [son] compétiteur, et non son rival ou son adversaire », Raymond Barre attribue cela à la pesanteur de la tradition idéologique « de la lutte des classes ». Mais sans doute faut-il remonter bien plus haut, jusqu’à la « guerre sociale » lancée en 1789 par Sieyès contre l’aristocratie, et qui atteindra son paroxysme avec les échafauds de la Terreur. Retournant habilement l’affirmation alors assez largement répandue selon laquelle les nobles français du xviiie siècle seraient les descendants des Francs conquérants de la Gaule romaine, Sieyès proclame la noblesse étrangère à la nation et l’invite ironiquement à rejoindre ces forêts de Germanie où certains de ses membres croient pouvoir placer l’antique berceau de leur race.
Avant cela, la référence à la conquête franque a occupé une place centrale dans l’idéologie contestatrice de la monarchie absolue. Depuis Hotman, le thème de la liberté franque a fondé l’argumentation de la plupart des auteurs de l’Ancien Régime ayant combattu la souveraineté royale. Il constitue le fil conducteur du livre savant, puissant et profond que Jacques de Saint-Victor, historien du droit et des idées politiques, consacre au vaste et complexe courant de pensée qui, tout au long du xviiie siècle, s’est réclamé de l’histoire pour justifier sa contestation du pouvoir du roi de France, et pour étayer sa revendication des droits de la nation (mais en fait surtout de la noblesse) à l’exercice du pouvoir politique…