Accéder aux fonctions de ministre de l’Éducation nationale, c’est s’inscrire dans la longue tradition de tous ceux qui, depuis Condorcet, s’efforcent de faire coïncider le progrès social avec les progrès de l’esprit humain. Je n’occupais pas encore cette fonction à l’époque où j’ai rédigé le texte qui suit, mais je partageais déjà la conviction profonde de celui qui s’apprêtait à devenir président de la République : il n’est pas de grand projet politique qui ne repose sur un véritable dessein scolaire et éducatif.L’école d’aujourd’hui, a priori, n’a pas grand-chose à voir avec celle du temps de Victor Hugo, écartelée entre le lycée napoléonien et l’école primaire de Guizot. L’école de l’élite et celle du peuple se sont lentement rapprochées pour épouser l’idéal républicain de la promotion individuelle par le travail et le mérite, dans l’espoir de construire un système scolaire qui permette aux individus de s’affranchir de leur condition sociale. Mais, à bien des égards, l’école que nous connaissons reste aussi l’héritière de ce siècle qui a préféré renoncer à la poursuite du bonheur intime pour magnifier l’aspiration au progrès collectif. Le romantisme hugolien est tout entier dans cette tension, entre la sensibilité et la raison, entre l’idéalisme et le positivisme, tout comme nos pédagogues continuent de se diviser entre partisans de la spontanéité de l’enfant et zélateurs de la transmission verticale des savoirs.Dans cette rue de Grenelle où je suis si souvent passé au cours de ma carrière, je retrouve avec bonheur la foi dans la perfectibilité de l’individu, intuition rousseauiste que partage l’ensemble du monde éducatif et qui fait la grandeur de sa tâche…