On ne manque pas de raisons de mettre au rancart le vieil alambic galant : il est tarabiscoté, fragile, hors d’usage. C’est assez pour qu’on le remise aux greniers de l’histoire littéraire. Une fois qu’on l’y a oublié, on retrouve intact le problème qu’il résolvait. Dans l’idéal aristocratique, l’intensité du désir masculin ne se mesurait pas à la violence, elle s’attestait par la douceur. C’est ainsi que la galanterie permettait d’accorder le désir masculin au désir féminin, en métamorphosant la puissance en délicatesse. Telle est la distillation qu’opérait le vieil alambic, et dont nous avons gardé le besoin en oubliant le savoir-faire. Plus le désir était fort, plus sa manifestation se faisait légère et suave. Désormais la douceur et la sensibilité d’un homme forment un indice d’indifférence, voire une présomption d’homosexualité, tandis que la violence et la brutalité attestent la force de son désir. Ces vues sommaires suffisent aux scénaristes et aux publicitaires. Dans le domaine des passions, l’élémentaire nous rassure et la subtilité nous inquiète : l’inquiétude, le trouble et la timidité trouvaient jadis à s’investir dans les rituels de la soumission virile. Ils n’ont plus d’autres débouchés que la honte et la rage. Et le désir vexe l’homme qui en est le siège, avant de meurtrir la femme qui en est l’objet.
Les gestes traditionnels de la galanterie qui avaient subsisté par-delà la chute de l’Ancien Régime, dans les milieux aristocratiques et bourgeois, commencèrent à être mal reçus, puis disparurent à la fin du siècle dernier…