Ils se connaissent, s’estiment, ne se voient guère, n’ont rien à se dire vraiment. Les deux principaux compositeurs français de l’après-guerre partagent cependant, en ce printemps 2005, le sort enviable de la reconnaissance internationale la plus large, et des honneurs attachés pour l’un (89 ans) au Grand Prix Siemens qui lui sera conféré à Munich le 3 juin, pour l’autre (80 ans) à une série de concerts prestigieux et distinctions diverses, obtenus notamment avec l’Orchestre symphonique de Chicago à Berlin, à Budapest, et aux États-Unis – le tout dans une relative indifférence officielle française, qui nous ramène aux glorieuses années 1960.
Cette forme de convergence de deux trajectoires si dissemblables pourrait remettre à l’honneur une métaphysique teilhardienne ! Les deux compositeurs sont français, mille fois français, mais pourtant viennent de mondes si différents… Henri Dutilleux, né en 1916 dans la douceur angevine, est un pur produit de l’enseignement académique, c’est-à-dire du Conservatoire de Paris. Ses maîtres immédiats s’appellent Maurice Emmanuel ou Henri Büsser, presque immédiats Fauré, Debussy, Ravel, Roussel, Dukas. Référence encore plus lointaine, mais vivace : Berlioz. Âge de formation : le Groupe Jeune France (Jolivet, Messiaen…) et son souci, contre la légèreté à la Cocteau du Groupe des Six et les menaces géométriques de l’École de Vienne, de retrouver l’élan d’une certaine « spiritualité » musicale. Dutilleux écoute, et passe. De même aura-t-il écouté et laissé passer les « avants-gardes », notamment sérielle, dont il n’ignore rien et ne dit guère de mal…