Jusqu’à la paix d’Amiens au moins, le modèle d’équilibre européen proposé par Talleyrand est en marche. Sur ce plan, le jeu qu’il a joué au cours des trois premières années du Consulat a été décisif. C’est à cette époque qu’il « crée » littéralement le « rôle » de ministre des Relations extérieures, comme Fouché celui de la Police. « M. de Talleyrand est le bras droit de Bonaparte [en] politique, et son bras gauche pour la guerre est le bon et respectable général Berthier », note Mme Divoff en 1802, alors qu’elle vient à peine de s’installer à Paris et cherche à se renseigner sur les uns et les autres. Bourrienne, qui à l’époque est encore le secrétaire de Bonaparte, confirme et parle de Talleyrand comme du « second personnage du gouvernement consulaire ». Il est l’homme du moment. On ne parle que de lui. On lui dédie des vers et on le compare au Grand Condé. Ses fêtes sont célèbres. Même sa chienne Jonquille est la coqueluche du jour ! Sa naissance, ses relations européennes, ses idées et son désir de paix le rendent indispensable. À aucun autre moment de sa vie, sinon à Paris puis à Vienne en 1814 et à Londres dans les années 1830, il ne retrouvera cette occasion d’exercer et de mettre à profit les qualités de son esprit, son savoir-vivre et son savoir-faire.
Benjamin Constant, qui pourtant a de quoi lui en vouloir, parle de sa « connaissance profonde des hommes », du « coup d’œil avec lequel il démêle leur genre d’aptitude à lui être utile » et de « son ascendant sur ceux mêmes qui croient n’être dominés en rien par son influence », et lord Alvanlay de sa « grande finesse de tact qui lui permet de percevoir rapidement les événements et d’en suivre les méandre…