Ils auraient préféré être des Romains, nos grands écrivains des Lumières : Montesquieu, Voltaire et Rousseau. En Allemagne, en Espagne et en Italie, on fut aussi longtemps fasciné par Rome. Seuls les Britanniques s’intéressaient plus au présent et à l’avenir qu’à l’Antiquité, même si Gibbon affirmait que la civilisation romaine avait atteint au second siècle un apogée qui avait rendu les hommes plus heureux que jamais. L’illusion était encore entretenue au siècle dernier par le Russe Rostovtzeff dans The Social and Economic History of the Roman Empire, puis par l’Anglais F. W. Walbank dans The Decline of the Roman Empire in the West
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Alors qu’au xviiie siècle l’Europe occidentale connaissait une expansion économique comme elle n’en avait encore jamais connu, Montesquieu et Voltaire pensaient que l’Europe moderne, et en particulier la France, s’appauvrissaient et se dépeuplaient, nonobstant les rapports en sens contraire des intendants de Louis XV qui sous-estimaient cependant les progrès en cours. Ce fut la grande illusion d’optique historique des protagonistes de la Révolution française. L’Occident chrétien était décadent. Il fallait s’inspirer des leçons de la Rome païenne et de son insurpassable grandeur.
On sait maintenant que le monde antique, s’il nous a laissé des monuments grandioses et d’admirables littératures, n’a pas connu de développement au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les Romains eux-mêmes étaient bien conscients de l’échec des Grecs. Tacite rapporte que l’empereur Claude attribuait cet échec au défaut d’intégration, de mondialisation dirions-nous aujourd’hui…