L’aubaine. Une habile campagne de promotion et voilà une initiative anecdotique qui permet d’agiter les questions qu’on se pose d’ordinaire en fin de banquet, à l’heure de l’armagnac et des cigares : le Bien suppose-t-il qu’on utilise des procédés répréhensibles ? Le chauvinisme culinaire serait-il une des manifestations de l’impérialisme ? Tout cela pour quelques bouteilles de vin français retirées des étalages (mais non vidées dans les caniveaux comme en 1966, après la sortie partielle de l’OTAN, ou en 1972, après le passage du président Pompidou) et pour des french fries débaptisées au nom de la « liberté ». De beaux esprits ont même cru distinguer au fond des casseroles américaines le ragoût nauséabond d’idées qu’on croyait depuis longtemps envoyées aux égouts.
Tétanisés par la hantise de voir se briser le pot au lait d’un marché présenté à tort comme une terre de cocagne pour les produits hexagonaux puisque ceux-ci n’y vendent même pas la moitié de leurs cousins italiens, les Français ont déploré les restaurants new-yorkais français sans clients, le retour annoncé d’une marée viticole bordelaise. Ils disposaient pourtant d’une superbe occasion pour démontrer, sans inutile chauvinisme, l’arriération et l’inculture de leurs critiques américains. Arriération quand la prétendue suprématie tricolore renvoie aux stéréotypes des xviiie et xixe siècles où le monde associait « élégance des repas, invention culinaire et esprit français », alors qu’aujourd’hui la table nationale pèse d’un maigre 15 % dans la balance de la restauration mondiale…