On entend couramment parler aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, du déclin de la morale, du déclin des valeurs, non seulement au Café du Commerce, mais dans la meilleure littérature sociologique. C’est un sujet sur lequel l’inquiétude, voire le pessimisme, sont sensibles, y compris dans certains textes de caractère scientifique.
Ainsi, dans un bel article, le sociologue anglais Bryan Wilson (1985) développe une théorie séduisante. Nous avons quitté, explique-t-il, un état des sociétés où le système d’éducation et la famille transmettaient à l’enfant puis à l’adolescent des valeurs qui faisaient plus ou moins l’objet d’un consensus. Ces valeurs étaient ensuite appliquées dans les différents contextes professionnels et, plus généralement, dans les divers contextes de vie que traversaient les individus. C’était l’époque où les enfants des rues se moquaient du compositeur Scriabine parce qu’il se promenait sans chapeau : ils avaient intériorisé l’idée d’un ordre social stratifié ; la mise vestimentaire de Scriabine ne correspondait pas à son statut ; se promener sans chapeau était réservé à ceux qui appartenaient au bas de l’échelle sociale ; les enfants le savaient, et, en se moquant de lui, témoignaient du fait qu’il ne respectait pas les contraintes de son rôle social. En passant de la société industrielle à la société postindustrielle, de la modernité à la postmodernité, nous avons abandonné un monde, nous dit B. Wilson, où, ces contraintes de rôles étant connues et acceptées, elles permettaient une adaptation facile de l’individu aux différents milieux dans lesquels il s’insérait…