Notes
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[1]
Les appellations peuvent varier suivant les configurations géopolitiques : le putonghua, « langue commune », en Chine continentale, le guoyu, « langue nationale », à Taïwan, ou le huayu, « langue chinoise », dans la diaspora. Voir Chen Ping, « Modern Written Chinese in Development », Language in Society, no 22, 1993, p. 505-537. Voir aussi David C.S. Li, « Chinese as a Lingua Franca in Greater China », Annual Review of Applied Linguistics, no 26, janvier 2006, p. 149-176.
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[2]
Le putonghua, « c’est la langue commune à l’ethnie Han moderne ; elle est basée sur la prononciation de Pékin et sur les dialectes du Nord ; grammaticalement, elle prend pour modèle des ouvrages écrits en langue parlée moderne » (Cihai [Dictionnaire encyclopédique], 1980). Après les appellations successives de baihua et guoyu, putonghua s’est fixé en Chine continentale comme terme officiel en 1955. Mais sa fonction véhiculaire s’étend sur la Chine continentale multi-ethnique, Taïwan, Hong Kong, Macao, la diaspora chinoise, selon l’encyclopédie en ligne Baidu baike.
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[3]
Des chercheurs opposent donc la « communauté linguistique du putonghua » (putonghua yuyan gongtongti) à la « communauté linguistique du wenyanwen » (wenyanwen yuyan gongtongti). Voir Ge Hongbing, Song Guilin, « Xiaoshuo zuowei difangxing yuyan he zhishi de keneng. Xiandai hanyu xiaoshuo de yuyanxue wenti » (Les romans en tant que potentialités de langue et de savoir locaux. Problèmes linguistiques du roman chinois moderne), Zhongguo xiandai wenxue yanjiu congkan (Revue d’études de littérature chinoise moderne), no 10, 2011, p. 1.
-
[4]
Yuen Ren Chao, « Chinese Language and Dialects : Divergence and Unification », in Aspects of Chinese Sociolinguistics, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. 1-147 ; Daniel Kane, The Chinese Langage. Its History and Current Usage, Tokyo/Rutland (Vermont)/Singapore, Tuttle Publishing, 2006. Voir aussi Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji zhongguo yuyan nanbei butong lun : cong shanghai zuojia shuoqi » (Les dialectes, la langue commune et les différences entre les dialectes du Nord et du Sud : le cas des écrivains shanghaiens), Wenyi zhengming (Débats littéraires et artistiques), no 10, 2010, p. 49-50.
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[5]
Qian Xuantong, « Yanwen yizhi » (Unité de l’oral et de l’écrit), in Zhongguo xinwenxue daxi-jianshe lilun ji (Grande anthologie de la nouvelle littérature. Volume « Construction théorique »), Shanghai, Liangyou tushu gongsi, 1935, p. 105.
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[6]
Gang Zhou, Placing the Modern Chinese Vernacular in Transnational Literature, New York, Palgrave Macmillan, 2011.
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[7]
Zhitang Yang-Drocourt la compare en effet à la vulgari eloquentia, « langue vulgaire illustre », de Dante, digne de la « bonne société de l’époque » ; voir Parlons chinois, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 67.
-
[8]
Chen Zizhan, « Wenyan, baihua, dazhongyu » (Langue classique, langue parlée, langue de masse), Shenbao ziyoutan (Journal de Shanghai. Supplément « Propos libres »), 18 juin 1934.
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[9]
En ambitionnant de mener une nouvelle révolution littéraire qui consiste à rendre la langue accessible à la masse populaire, au niveau aussi bien de la compréhension que de l’expression, Qu Qiubai, inspiré par les mesures d’alphabétisation soviétique, en vient à proposer la latinisation du chinois, i.e. l’abandon des caractères chinois au profit de l’alphabet latin. À la différence de la romanisation basée sur le dialecte de Pékin avec les indications tonales (promue par Qian Xuantong et par la Commission de l’unification de la langue nationale), le chinois latinisé se veut transdialectal. Lu Xun adhère à ce projet de latinisation, qu’il souhaite toutefois progressif, en envisageant une application dialectale transitoire. Pour lui, la connaissance et la maîtrise des vingt-six lettres de l’alphabet, accessibles à tous, contrairement aux caractères chinois souvent imprononçables, n’autoriseraient aucune excuse, excepté chez « les paresseux et les attardés » ; voir « Men wai wen tan » (Propos d’un profane sur la langue), in Lu Xun quanji (Œuvres complètes de Lu Xun), vol. 6, Beijing, Remin wenxue chubanshe, 2005, p. 99.
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[10]
Zhou Yang, par exemple, exprime des réticences vis‑à-vis de Zhou Libo, dont le langage lui paraît entaché malgré tout d’une phraséologie résiduelle européanisée, citadine et intellectuelle ; voir « Makesi zhuyi yu wenyi » (Le marxisme et la littérature et les arts), Jiefang ribao (Quotidien Libération), 8 avril 1944.
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[11]
Pour la définition du « récit oralisé », voir Jérôme Meizoz, L’Âge du roman parlant (1919-1939). Écrivains, critiques, linguistes et pédagogues en débat, Genève, Droz, 2001, p. 35 : « Par récit oralisé, on désignera ici les romans qui donnent à entendre l’acte narratif comme une parole et non comme un écrit. »
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[12]
Liu Jincai, « Yuyan rentong de kunjing-Yan’an zuojia de yuyan guannian yu chuangzuo shijian » (Difficile identification linguistique : conception langagière et pratique créative chez les écrivains à Yan’an), Henan daxue xuebao (Journal of Henan University, Social Science), no 6, 2009, p. 6.
-
[13]
Dès la fondation de la République populaire de Chine, la diffusion d’une langue commune devient l’une des priorités les plus importantes pour les autorités centrales. Voir « Guowuyuan guanyu putonghua de zhishi » (Décret du Conseil des affaires d’État relatif à la diffusion de la langue commune, 6 février 1956) : http://www.gov.cn/test/2005-08/02/content_19132.htm. Parallèlement, en 1956, a été créée la Commission de réforme de l’écriture chinoise, chargée d’élaborer la mise en place de la langue commune avec le système de la transcription phonétique, dit pinyin, et la simplification des caractères. Voir Xia Yan, « Wenyi gongzuo he hanyu guifanhua » (Le travail des écrivains et des artistes et la normalisation de la langue chinoise), Renmin ribao (Quotidien du peuple), 14 décembre 1955.
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[14]
L’ouvrage de Staline, Le Marxisme et les Questions de linguistique, a été traduit en chinois dès 1952.
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[15]
Lao She, fervent partisan et praticien de dialectes et de patois dans les années 1930, a accepté de faire son autocritique en 1955 au sujet du Canal à barbe de dragon (1953), pièce de théâtre jugée trop marquée dialectalement, écrite pourtant à la gloire de l’édification socialiste. Les rééditions des œuvres d’avant 1949 imposent souvent un travail de remise en conformité aux normes, comme en témoigne le cas de Li Jieren, alors adjoint au maire de Chengdu, prié de récrire en 1954 La Houle (Dabo) et de modifier considérablement – un dixième du volume total – Les Rides sur les eaux dormantes (1936), afin de les expurger des expressions dialectales du Sichuan. Voir Li Jieren, Sishui weilan (Les rides sur les eaux dormantes), édition critique (huijiao ben), Sichuan wenyi chubanshe, 1987.
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[16]
La commission d’État chargée du travail de langue et d’écriture a été créée en décembre 1985, pour remplacer l’ancienne Commission des réformes de l’écriture ; la « Loi de la République populaire de Chine sur la langue et l’écriture communes » a été promulguée le 1er janvier 2001 ; Le Dictionnaire du chinois moderne, comme ouvrage de référence officielle, a été publié en 2005. Un test d’aptitude, « Test du niveau de compétence en langue commune », instauré le 5 décembre 1999, figure au programme des concours de recrutement des fonctionnaires.
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[17]
Voir son discours prononcé lors de l’attribution du prix littéraire Roman du jardin olympique à Hainan, le 26 mars 2012, en qualité de vice-président de l’Association chinoise des écrivains : http://www.visithainan.gov.cn/HAINANTRAVEL/lyzxb/201203/t20120326_30985.html.
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[18]
Zhang Weizhong, « Yuyan guifanhua dui dangdai wenxue yuyan de yingxiang » (De l’impact des normes linguistiques sur le langage de la littérature contemporaine), Beifang luncong (The Northern Forum), no 11, 2008, p. 54-57.
-
[19]
He Huifen, « Parents Angry at Removal of Lu Xun’s Works from China’s School Textbooks », SCMP, 8 décembre 2013 : http://www.scmp.com/news/china/article/1305905/parents-angry-removal-lu-xuns-works-chinas-school-textbooks.
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[20]
Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji zhongguo yuyan nanbeibu tong lun », art. cité, p. 50.
-
[21]
Mo Yan, « Postface » au Supplice du santal, traduit par Noël et Liliane Dutrait, Paris, Seuil, 2006, p. 549.
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[22]
Dans Le Supplice du santal, le protagoniste dirige une troupe de théâtre qui imite le miaulement dans le chant. L’opéra local référentiel de Gaomi, à voix stridente et déchirante, s’appelle Maoqiang (茂腔). Par analogie et par homophonie, Mo Yan réinvente le genre en le nommant Maoqiang (貓腔), « opéra à voix de chat ».
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[23]
Cao Naiqian, La nuit quand tu me manques, j’peux rien faire. Panorama du village des Wen, traduit par Françoise Bottéro et Fu Jie, Paris, Bleu de Chine, 2011.
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[24]
Lin Bai, Funü xianliao lu (Conversations oisives avec une femme), Beijing, Xinxing chubanshe, 2005.
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[25]
Jin Yucheng, Fanhua (Fleurs épanouies), Shanghai, Wenyi chubanshe, 2013. Publié d’abord en feuilleton dans son blog sur un site qui réunit des amoureux de Shanghai, « Forum des ruelles » (Longtangwang luntan) http://www.longdang.org/bbs/forum.php?gid=18 entre le 14 mai et le 31 octobre 2011, le roman s’est arrêté à mi-parcours, pour paraître ensuite dans sa version intégrale dans le supplément « Roman » de la revue Shouhuo (Harvest), à l’automne-hiver 2012. Le numéro épuisé, il a été publié en volume l’année suivante, avec un premier tirage de 50 000 exemplaires. Après un quinzième retirage en janvier 2015, il a atteint 241 530 exemplaires. Deux colloques lui ont été consacrés en 2013 tandis qu’il était au top du palmarès de la Société chinoise du roman en 2012. L’auteur était en 2015 l’un des cinq récipiendaires du prix quadriennal Mao Dun pour sa neuvième édition, à côté de Wang Meng, Ge Fei, Su Tong, Li Peifu. Au moment de l’attribution du prix, son roman a encore été vendu à plus de 300 000 exemplaires, devançant tous les autres lauréats. Wong Kar-wai vient d’en acheter les droits en vue d’une adaptation cinématographique : http://culture.people.com.cn/GB/22226/398173/.
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[26]
Han Shaogong, Maqiao cidian (Le dictionnaire de Maqiao), Beijing, Zuojia chubanshe, 1996.
-
[27]
Voir Yinde Zhang, « Han Shaogong : le roman lexicographique et l’hétérogène », in Le Monde romanesque chinois au xxe siècle. Modernités et identités, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 439-461.
-
[28]
Han Shaogong, « Tuhua » (Le patois), in Shanchuan rumeng (Monts et rivières en rêve), Beijing, Zhongguo qingnian chubanshe, 2009, p. 165-166.
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[29]
Shen Feilong, Shuyuan tang liunian ji (Six ans d’histoire de la maison Shuyuan), Shanghai, Shanghai wenyi chubanshe, 2009. Ce roman, qui raconte l’histoire d’une grande famille de l’île de Chongming, en face de Shanghai, pendant les six années précédant la Révolution culturelle, est proposé en deux éditions parallèles et séparées, l’une en mandarin, l’autre en dialecte de Chongming, comportant un glossaire et des parenthèses explicatives systématiques dans le corps du texte. Dans cette dernière édition, l’auteur note en exergue, p. 1 : « N’en faites pas de lecture silencieuse en mandarin s’il vous plaît. »
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[30]
Viviane Alleton, « Chine, les rapports ambigus de la langue et de l’État. Quelles évolutions ? », Hérodote, no 96, 2000, p. 100-114. L’oralité préconisée revêt une portée aussi sociale que géographique, même si en réalité la proximité avec les « masses » et avec la vox populi se révèle, dans la majorité des cas, plutôt comme un simulacre. Certes, des personnages d’origine rurale et modeste ne manquent pas dans les œuvres ; elles s’étendent toutefois sur des catégories sociales beaucoup plus variées, comme en témoignent les textes de Wang Shuo ou de Wang Anyi, peuplés de citadins de Beijing et de Shanghai, des jeunes délinquants aux intellectuels de haut vol en passant par des retraités de tout poil.
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[31]
Lin Bai, Funü xianliao lu (Conversations oisives avec une femme), op. cit. Originaire du Guangxi, elle adopte le dialecte du Hubei, qui marque le parler de son unique personnage.
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[32]
La géographie littéraire nationale se dessine dans ces conditions selon les répartitions en région. La grande division Nord/Sud prédomine, mais de multiples découpages s’opèrent, avec des subdivisions qui recoupent plus ou moins les grandes régions dialectales. On compte, au sud, parmi les écrivains shanghaiens, Wang Anyi, Sun Ganlu, Chen Cun, Jin Yucheng, et, dans la province du Zhejiang, Yu Hua ; au nord, Wang Meng, Wang Shuo, Liu Heng, de Pékin, Feng Jicai, de Tianjin, Zhang Wei et Mo Yan, du Shandong, Chen Zhongshi et Jia Pingwa, du Shaanxi, Yan Lianke, du Henan, Han Shaogong, du Hunan, Fang Fang, Chi Li, Liu Xinglong, du Hubei, enfin, Han Dong et le groupe d’écrivains de Nanjing, auquel sont affiliés Bi Feiyu et Su Tong. Ces noms irriguent le champ littéraire chinois d’aujourd’hui. Voir Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji Zhongguo yuyan nanbei butong lun », art. cité.
-
[33]
« Alors qu’aujourd’hui le roman, d’art populaire qu’il était à l’origine, est peu à peu devenu une écriture raffinée de cour, alors que les emprunts faits aux littératures occidentales l’emportent sur l’héritage de la littérature populaire, Le Supplice du santal ne va sans doute pas dans le sens de la mode. Ce roman représente un grand repli, fait de façon consciente, dans le processus de mon œuvre créatrice ; malheureusement il reste encore en deçà de mes espérances » (Mo Yan, Le Supplice du santal, op. cit., p. 549).
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[34]
Voir Yinde Zhang, Le Monde romanesque chinois au xxe siècle, op. cit., p. 78-79.
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[35]
Mo Yan, « Postface » au Supplice du santal, op. cit., p. 543-549.
-
[36]
Selon Lu Xun, si on appelle cette langue baihua, « parole limpide », c’est parce que les lettrés l’ont retravaillée en la rendant limpide. Voir « Men wai wen tan », art. cité, p. 93.
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[37]
Wang Ning, « Women weishenme yao xuexi wenyanwen – jicheng chuantong bushi fugu » (Pourquoi devons-nous apprendre le chinois classique – perpétuer la tradition ne signifie pas restaurer l’ancien), Renmin zhengxie bao (Journal de la Conférence consultative du peuple), 4 septembre 2001.
-
[38]
Le dialecte du Shaanxi utilisé par Jia Pingwa produit « des effets particulièrement élégants et délicats, même s’il n’est pas spécialement agréable à entendre » (He Yanhong, « Yuyan biange yu yuyan zhengzhi » [Les réformes et la politique linguistiques], in Fei wenxue de shiji [Un siècle a-littéraire], Nanjing, Nanjing shifan daxue chubanshe, 2004, p. 455).
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[39]
Ge Hongbing, Song Guilin, « Xiaoshuo zuowei difangxing yuyan he zhishi de keneng », art. cité, p. 1-14. Selon les auteurs, la communauté linguistique reposant sur la langue commune (putonghua) qu’est le chinois moderne ne diffère en rien de la communauté linguistique créée par le chinois classique (wenyan), dans la mesure où l’une et l’autre s’appuient sur le « graphicentrisme », contrairement à la linguistique saussurienne, fondée sur les langues phonétiques. En réalité, il existe dans tous les dialectes le phénomène dit « un mot deux prononciations ». L’une, appelée « prononciation rustique », est plus ancienne et appartient au substrat de la langue locale ; c’est la façon de prononcer un mot du registre familier, qui, en général, ne se réfère pas à l’écrit. L’autre est la « prononciation textuelle », introduite et formée plus tardivement, le plus souvent par la koinè littéraire des concours mandarinaux ; on l’applique, comme son nom l’indique, à la lecture d’un texte et au vocabulaire propre à la langue écrite. Voir Zhitang Yang-Drocourt, Parlons chinois, op. cit., p. 70. Ces spéculations contribuent au formidable mouvement de glorification portant sur le patrimoine culturel, rédigé essentiellement en chinois classique ; elles ne sont pas non plus sans relayer la grammatologie derridienne ni le fantasme occidental en matière d’une écriture à vocation universelle (Leibniz), débarrassée du poids des sons et accédant directement au sens.
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[40]
Léon Vandermeersch, « Écriture et langue graphique en Chine », Le Débat, no 62, 1990, p. 55-66.
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[41]
En élargissant l’observation au-delà du seul champ de la littérature dite sérieuse, on peut constater des phénomènes encore plus complexes et des perméabilités plus surprenantes entre langue classique et langue vernaculaire, entre langue littéraire et langue vulgaire, entre chinois standard et dialectes : des genres populaires, moins respectueux de la norme, sont paradoxalement plus soucieux de l’élégance classique, comme en témoignent ces tubes chantés en cantonais ou ces romans de cape et d’épée écrits dans une langue archaïsante. Sur l’interpénétration de baihua et de wenyan dans le contexte d’aujourd’hui, voir Chen Pingyuan, « Dangdai Zhongguo de wenyan yu baihua » (Langue classique et langue parlée dans la Chine actuelle), in Dangdai renwen guancha (Observations sur la culture en Chine aujourd’hui), Beijing, Renmin wenxue chubanshe, 2004, p. 121-146.
-
[42]
Rainier Lanselle, Le Sujet derrière la muraille. À propos de la question des deux langages dans la tradition chinoise, Toulouse, Ères, 2004. Le développement suivant est largement inspiré par cet essai lumineux.
-
[43]
J’emprunte l’expression à Jacques Rancière, « Le partage du sensible : Interview » : http://www.multitudes.net/le-partage-du-sensible.
-
[44]
« Dans l’histoire que raconte Luo Xiaotong, au début il y a encore une part de vérité, mais plus on avance, plus elle se transforme en une sorte de création au gré des circonstances, à la fois réelle et illusoire. Une fois la narration entamée, se crée une sorte d’élan, et elle progresse en se poussant elle-même. Lors de ce processus, le narrateur se transforme peu à peu en instrument de la narration. Plutôt que de dire que c’est lui qui raconte l’histoire, mieux vaut dire que c’est l’histoire qui le raconte » (Mo Yan, « Postface. Raconter c’est tout », in Quarante et un coups de canon, traduit par Noël et Liliane Dutrait, Paris, Seuil, 2008, p. 501). Le mot chinois guanxing, traduit ici par « élan », signifie littéralement « inertie », qui désigne, selon le Robert, cette double « propriété qu’ont les corps de ne pouvoir par eux-mêmes changer l’état de repos ou de mouvement dans lequel ils se trouvent ». Voir Mo Yan, Sishiyi pao (Quarante et un coups de canon), Shenyang, Chunfeng wenyi chubanshe, 2003, p. 445.
-
[45]
Rainier Lanselle, Le Sujet derrière la muraille, op. cit., p. 23-24.
-
[46]
Régine Robin, « La brume-langue », Le Gré des langues, no 4, 1992, p. 132 : « Le travail d’écriture consiste toujours à transformer sa langue en langue étrangère, à convoquer une autre langue dans la langue, langue autre, langue de l’autre, autre langue. On joue toujours de l’écart, de la non-coïncidence, du clivage. »
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[47]
Wang Hui, Xiandai zhongguo sixiang de xingqi (La genèse de la pensée chinoise moderne), vol. 4, Beijing, Sanlian shudian, 2004, p. 1511.
-
[48]
Sebastian Veg, « Quelle science pour quelle démocratie ? Lu Xun et la littérature de fiction dans le mouvement du 4 Mai », Annales. Histoires, sciences sociales, no 2, 2010, p. 345-374.
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[49]
Dominique Maingueneau, « Paratopie », in Le Discours littéraire, Paris, Armand Colin, 2004, p. 70-116.
1L’oralité investit le roman chinois d’une manière intensifiée depuis la fin des années 1980. Sous une forme protestataire et revendicative, le discours populaire du minjian, l’« espace du peuple », s’est remobilisé, se revendiquant de spécificités plus géographiques que sociales, exprimant le vœu d’une inscription claire des dialectes dans la littérature narrative écrite, au défi des normes linguistiques rigides. Ce qui est mis en cause, c’est la superposition contraignante entre création littéraire et langue nationale, dont il convient d’emblée de rappeler les termes. La langue chinoise moderne, pratiquée en Chine continentale et, de façon extensible et variable, dans le monde chinois, se nomme le putonghua 普通話, « langue commune », plus connue sous le nom de « mandarin » en Occident [1] – l’adjectif « commun » renvoie à la standardisation phonétique et à l’indifférenciation supposée entre l’oral et l’écrit [2]. Ce système linguistique instauré à l’aube du xxe siècle découle de la volonté des intellectuels progressistes de rompre avec un état diglossique millénaire. Deux langues coexistent en effet dans l’histoire de la Chine. L’une, appelée « langue classique », est de nature foncièrement écrite et inaudible pour les non-initiés ; dans cette langue des lettrés sont rédigés les classiques confucéens, la poésie, ainsi que les essais historiographiques et littéraires. L’autre, langue vernaculaire ou parlée, bien qu’aussi écrite, est confinée à des genres tardifs considérés comme mineurs, tels que le théâtre et le roman, privés de la reconnaissance de l’orthodoxie confucéenne et destinés plutôt aux illettrés ou aux semi-lettrés. Sous l’impulsion d’une révolution littéraire déclenchée en 1917 et amplifiée par le mouvement de contestation intellectuelle du 4 mai 1919, la naissance d’une langue nouvelle a été décrétée, mettant fin à cette dualité hiérarchisée : on relègue dorénavant la langue classique au statut de « langue morte », en érigeant la langue vernaculaire en langue unique, ou commune, censée remplir l’hiatus entre l’écrit et le parlé. Une communauté linguistique inédite, à vocation nationale, semble émerger pour se substituer à l’ancienne, accessible aux seules élites lettrées [3]. L’uniformisation issue de cette rupture reste néanmoins un souhait plus qu’une réalité : l’homogénéité du putonghua, langue commune, est une forme de koinè normée, en décalage, voire en conflit, avec la pratique du chinois moderne (xiandai hanyu, 現代漢語) [4], qui maintient en réalité des liens inextricables avec l’héritage classique et les variantes dialectales.
2La littérature a joué un rôle ambigu dans ce bouleversement linguistique. Tout en étant l’instigatrice de la réforme, elle prend conscience sans tarder des risques de la servitude : en répondant aux impératifs d’un État-nation en formation, les hommes de lettres se trouvent aux prises avec la volonté étatique qui leur impose une exemplarité grammaticale souvent peu compatible avec leur aspiration à l’autonomie et à la pluralité. La résistance s’organise périodiquement, comme en témoignent les revendications récentes, qui prennent une forme plus radicale, mais non dénuée de stratégie, en écho sans doute avec l’évolution du statut de la littérature, qui s’accélère dans le contexte des mutations socio-économiques et de la mondialisation. Un retour historique sur ces rapports conflictuels, fluctuant au gré des périodes saillantes, semble utile pour éclairer l’enjeu sous-jacent des débats actuels. On sera ensuite en mesure de montrer la posture équivoque des écrivains, oscillant par rapport aux normes entre une attitude de connivence et une attitude de distanciation, cette dernière prenant souvent la forme d’une position culturaliste pour le moins ambiguë. Dès lors transparaît une stratégie, privilégiant l’oralité dialectale, qu’on cherchera à élucider pour comprendre si elle ne vise pas en réalité à ouvrir un espace de liberté favorable aux subjectivités créatives contre le spectre de l’instrumentalisation et de l’uniformisation.
Littérature et communauté linguistique.
3L’histoire du roman chinois au xxe siècle est jalonnée de discussions et de polémiques, qui insistent toujours sur la nécessité d’ajuster son rôle social face aux contraintes politiques en matière linguistique.
4Les controverses prennent leur origine dans les bouleversements intellectuels et culturels intervenus au début du xxe siècle, où la littérature a apporté une contribution décisive à la mise en œuvre de la nouvelle langue commune, résumée dans un slogan en chiasme : « la langue nationale illustrée par la littérature » (wenxue de guoyu, 文學的國語), « une littérature en langue nationale » (guoyu de wenxue, 國語的文學). La promotion mutuelle de la langue et de la littérature, cependant, n’a pas manqué de susciter un certain scepticisme. Certes, la révolution littéraire a bien tenu sa promesse sociale en matérialisant l’abandon de la langue classique écrite (wenyan, 文言), jugée amphigourique et obsolète, au profit de la langue parlée (baihua, 白話), ou langue « vernaculaire », supposée plus adaptée à la vie moderne et accessible à un plus grand nombre grâce à l’unification entre la « parole et l’écriture » [5]. Toutefois, la langue parlée, désormais socle de la langue nationale rêvée par les adeptes du progrès et de la démocratie qu’étaient Hu Shi (胡適, 1891-1962), Chen Duxiu (陳獨秀, 1879-1942) et Qian Xuantong (錢玄同, 1887-1939), n’est vernaculaire que de nom. Fondée en théorie sur la littérature narrative des Ming et des Qing écrite en langue vernaculaire, entendons en langue parlée traditionnelle (jiu baihua, 舊白話), la nouvelle langue parlée (xin baihua, 新白話) s’en éloigne par les influences étrangères sur les plans lexical et syntaxique. Cette langue européanisée, entrée en usage dans la nouvelle littérature, a été perçue par les esprits les plus conservateurs comme aussi inaccessible que la langue classique, dont elle ne serait qu’un avatar [6].
5L’incrédulité porte essentiellement sur la prétendue fonctionnalité de cette langue « vernaculaire », comparable dans une large mesure à la vulgari eloquentia de Dante [7] en raison de son caractère élaboré et soutenu. Ses critiques revendiquent l’authenticité sociale de l’oralité, à l’encontre de cette langue intellectuelle forgée au goût de la bourgeoisie. On estime qu’une « démocratisation de la littérature » (wenyi dazhonghua, 文藝大眾化) digne de ce nom doit être menée de front avec la création d’une « langue propre à la masse populaire » (dazhong yu, 大眾語) [8], définie d’ailleurs dans un sens marxien de classe par les écrivains et intellectuels les plus engagés, comme Qu Qiubai (瞿秋白, 1899-1935). Au nom du progrès, on s’est même lancé dans des projets de latinisation. Nombreux sont ceux, y compris Lu Xun (魯迅, 1881-1936), qui ressentent de l’enthousiasme pour celle-ci, qu’ils perçoivent comme l’une des voies possibles pour abolir la barrière dialectale intrinsèque à l’oralité [9].
6Dans les années 1930-1940, notamment à la suite de l’éclatement de la guerre sino-japonaise (1937-1945), un tel dispositif social et trans-dialectal cède la place à des considérations politiques radicales. La Ligue des écrivains de gauche prend position en faveur de la « popularisation » des arts et des lettres, inspirant à Mao Zedong (毛澤東, 1893-1976) l’idée d’une forme nationale (minzu xingshi, 民族形式) de la littérature. Le discours qu’il prononce en 1942 à la Conférence sur l’art et la littérature à Yan’an, bastion révolutionnaire, fera de la langue du peuple la pierre de touche d’une littérature désormais conçue pour le peuple. Les écrivains sont ainsi invités à se mettre à l’école des ouvriers, paysans et soldats (xiang gongnongbing xuexi, 向工農兵學習) en allant s’installer dans les villages (xiaxiang yundong, 下鄉運動). La Tempête (Baofeng zhouyu, 暴風驟雨, 1948) de Zhou Libo (周立波, 1908-1979) et Le soleil brille sur la rivière Sanggan (Taiyang zhao zai Sangganhe shang, 太陽照在桑幹河上, 1948) de Ding Ling (丁玲, 1904-1986), Le Mariage de Xiao’erhei (Xiao erhei jiehun, 小二黑結婚, 1943) et La Ballade de Li Youcai (Li Youcai banhua, 李有才板話, 1943) de Zhao Shuli (趙樹理, 1906-1970), répondent à la volonté du Parti en faisant l’éloge des réformes agraires menées dans les régions libérées par l’Armée rouge. Zhou Libo, originaire du Hunan, dans le Centre-Sud, s’est employé à mimer le parler des paysans de la région du Nord, qu’il a tenté d’apprivoiser au terme d’un séjour de dix-huit mois. C’est cependant Zhao Shuli qui sera couronné de lauriers, les législateurs du Parti trouvant des qualités supérieures chez cet écrivain issu d’un milieu rural [10] dont les « récits oralisés » authentiques [11] se détachent par l’adéquation entre les dialogues et le discours narratif. Le triomphe de l’oralité dialectale à Yan’an, dictée conjointement par la nécessité de mobilisation en temps de guerre et par un Parti soucieux du contrôle des intellectuels, obéit à un modèle anti-élitiste qui est à l’origine de nombre de paradoxes et de tensions prolongés sous le régime communiste.
7La politique linguistique de la République populaire de Chine proclamée en octobre 1949 est fondée sur des choix pragmatiques. Répondant aux impératifs socio-économiques, l’État socialiste en construction s’éloigne des postulats de Yan’an [12] pour renouer avec l’héritage du 4 mai 1919, remettant en valeur la langue commune, à l’encontre de toute velléité dialectale [13]. La théorie linguistique de Staline est convoquée pour étayer les hypothèses de Nicolas Marr sur une langue nationale supra-dialectale (même si Staline les récuse en public) [14]. Les écrivains, aux côtés de linguistes tels que Wang Li (王力, 1890-1986), Luo Changpei (羅常培, 1899-1958), Lü Shuxiang (呂叔湘, 1904-1998), se sont assigné une nouvelle « mission politique », en donnant l’exemple de la mise en application des normes linguistiques. Ainsi les parangons de l’oralité dialectale d’hier ont-ils été sommés d’endosser un rôle inverse : Zhou Libo, coqueluche de Yan’an, est l’objet de critiques répétées, tandis que Lao She (老舍, 1900-1966), jadis porté aux nues pour la saveur du parler des Pékinois qu’il a su si bien restituer, fait acte de contrition publique. Quant à Li Jieren (李劼人, 1891-1962), il est contraint d’expurger ses romans publiés avant 1949 de scories idiomatiques du Sichuan [15].
8Aujourd’hui, le contrôle linguistique semble découler davantage des appréhensions des autorités centrales face à la résurgence des régionalismes. Les écrivains sont de nouveau mis à contribution, au même titre que les universitaires et les spécialistes de l’éducation, pour soutenir les mesures juridiques et institutionnelles [16] : ainsi Mo Yan (莫言, né Guan Moye en 1955), élu en 2011 vice-président de l’Association des écrivains chinoise, plaide-t‑il en faveur d’un usage modéré des dialectes, dont l’abus compromettrait, selon lui, la possibilité d’atteindre une audience nationale [17]. Dans un consensus qui déteint sur le discours académique, on redit l’importance d’un équilibre salutaire entre le style personnel et le respect des normes dans la création littéraire, tandis que les éloges ne tarissent pas à propos des vertus de la langue commune, apte à aplanir les obstacles que représentent les termes étrangers, dialectaux et classiques [18].
9Au milieu de ce nouveau concert apologétique, certaines voix discordantes se sont néanmoins élevées. Des protestations, inspirées entre autres par la critique postcoloniale, s’érigent contre le primat de la communauté linguistique dans la pratique littéraire, dénonçant l’utopie progressiste et les excès de la modernité, auxquels l’oralité apporterait un correctif opportun en opposant le savoir local à l’uniformisation mondiale et nationale. Ce discours contestataire n’est pas sans équivoque en termes de questionnement de la politique linguistique, comme en témoignent les polémiques autour du retrait progressif de Lu Xun des manuels scolaires : beaucoup s’émeuvent de la place amoindrie des textes du maître dans les programmes de l’enseignement secondaire et des reproches d’irrégularités grammaticales qui lui sont faits [19]. Pour autant, personne ne se résout à désolidariser la fonction de l’écrivain de son rôle d’étalon dans la vulgarisation de la langue commune [20].
Le local et le culturel.
10Les mouvements de revendication de l’oralité dialectale poussent au compromis vis‑à-vis de l’idéologie et des institutions. La défense des cultures locales oscille ainsi entre des velléités transgressives et le ralliement à l’identité nationale.
11Les préoccupations culturelles expliquent le jaillissement de l’oralité dialectale dans la production romanesque récente et dans le métadiscours. En 2001, Mo Yan publie un roman qu’il destine à une « lecture-écoute », littéralement à une « lecture qui sollicite les oreilles » [21] ; l’auteur y introduit l’opéra local à voix de chat, restitué à travers la voix du protagoniste-acteur et une prose rythmée, voire partiellement rimée [22]. Cet exercice de style trouve un écho chez Jia Pingwa (賈平凹, né en 1952), qui en vient à nommer son roman La Mélodie Qin (Qinqiang, 秦腔, 2005), celle de l’opéra du Shaanxi, en cherchant à ressusciter les villages en ruine par ces airs pathétiques. Cao Naiqian (曹乃謙, né en 1949) fait du parler haché et pointillé de la région frontalière du Shanxi et de la Mongolie la marque de ses récits, qu’il dédie à ces petites gens en extrême dénuement matériel et sexuel [23]. Lin Bai (林白, née en 1958) transcrit le récit oral d’une femme de ménage d’origine rurale dans Conversations oisives avec une femme [24]. Ce roman, tissé d’histoires décousues submergées par la logorrhée de la narratrice, a d’ailleurs valu à son auteur le Grand Prix de la littérature et des médias de langue chinoise en 2005. L’un des derniers exemples les plus éclatants provient d’un roman composé en shanghaien, Fleurs épanouies (Fanhua, 繁花, 2013), de Jin Yucheng (金宇澄, né en 1952), récompensé par le prestigieux et officiel prix Mao Dun [25]. À la différence de Fleurs de Shanghai (Haishanghua liezhuan, 海上花列傳, 1894) de Han Bangqing (韓邦慶, 1856-1894), réadapté en mandarin par Eileen Chang (Zhang Ailing, 張愛玲, 1920-1995) en 1981 pour la partie dialoguée rédigée en dialecte wu (notamment le parler de Suzhou et de Shanghai), le roman de Jin offre un récit entièrement oralisé, qui relate la métamorphose de la ville depuis soixante ans à travers un flux ininterrompu de conversations. Mais, rédacteur de la revue Shanghai Literature, il opte pour une démarche qui, au lieu de confiner la vernacularité shanghaienne à un protectionnisme régional, l’adapte aux compétences linguistiques d’une audience nationale au moyen d’une série de réaménagements techniques.
12Ces publications se lisent plus ou moins comme une mise en cause de la centralité de la culture et de la langue dominantes, sans qu’aucune, néanmoins, n’égale la fougue militante de Han Shaogong (韓少功, né en 1953). Son roman lexicographique, Le Dictionnaire de Maqiao [26], constitué d’un ensemble de récits ethnographiques et ethnolinguistiques [27], fait du parler d’un village du Hunan le paradigme des dialectes menacés de disparition sous l’effet de la standardisation. L’auteur revivifie, par diverses entrées, un vocabulaire chargé d’histoires locales, occulté par le règne du « grand dictionnaire » normatif et uniformisant [28]. De telles diatribes sont peu fréquentes dans la critique de la culture majoritaire de l’État. Certes, Mo Yan cherche à faire entendre les accents du parler de Gaomi, son pays natal, en mettant ses écrits à l’épreuve de la lecture à haute voix, à l’instar du « gueuloir » de Flaubert ou de Bo Juyi (白居易, 772-846), poète chinois des Tang qui n’aurait juré que par l’oreille d’une vieille dame illettrée, et Shen Feilong (沈飛龍, né en 1952), de son côté, déconseille aux lecteurs de « lire en mandarin » son roman dialectal [29]. Mais force est de constater l’absence de rébellion contre la politique linguistique de mainmise sur la littérature.
13Les conflits sont amortis d’une certaine manière par un double facteur institutionnel et idéologique : le choix de l’appartenance régionale peut se justifier si l’on prend en considération les ramifications provinciales de l’Association des écrivains. De même, l’apologie du local se formule dans une connivence plus ou moins délibérée avec le discours officiel en matière de lutte contre l’hégémonie occidentale.
14La représentation tempérée de l’oralité dialectale participe d’un régionalisme reconnu et banalisé, ancré dans une réalité linguistique et une structure institutionnelle particulières. La facture dialectale de l’oralité reste d’abord indéracinable dans le contexte chinois [30]. Elle permet aux écrivains de faire valoir la naturalité de leur démarche, assimilant l’accent dialectal à leur pays d’origine [31] et, partant, à leur « langue maternelle » : Mo Yan pour le parler du Shandong, Jia Pingwa pour celui du Shaanxi, Li Rui (李銳, né en 1950) pour celui du Shanxi, Yan Lianke (閻連科, né en 1958) pour celui du Henan… Ce sentiment de naturalité coïncide par ailleurs avec le statut institutionnel des auteurs, membres pour la majorité d’entre eux des associations provinciales des écrivains, succursales de l’instance centrale. Nombreux sont ceux qui se targuent ainsi d’avoir une double appartenance, faisant même de leur enracinement régional le préalable à leur identification nationale. Le régionalisme littéraire est le signe d’une diversité convergente, qui n’engendre aucun complexe à la Giono, ni ne comporte aucune connotation périphérique ; c’est au contraire une source de dignité constitutive de la raison d’être d’un écrivain chinois [32].
15Ce soubassement référentiel et institutionnel rapproche le régional et le national, favorisant une convergence plus ou moins intentionnelle avec l’idéologie officielle. Les partisans de l’oralité dialectale évoquent l’esprit de Yan’an pour convaincre sans difficulté les autorités, qui préconisent sans relâche la proximité avec le peuple en amalgamant le régional et le populaire. Une telle concomitance expose les écrivains à la tentation culturaliste, propice à l’alliance entre la littérature et l’État quand il s’agit de faire face à la mondialisation en marche : le régional devient le synonyme du local, que l’on s’apprête à intégrer à la cause nationale dans la lutte contre l’hégémonie occidentale. Ainsi, dans un amalgame du populaire, du rural et du régional autorisé par la polysémie du mot minjian, « espace du peuple », Mo Yan transforme-t‑il le dialecte en un outil apte à « préserver le plus possible le souffle du peuple » (minjian qixi, 民間氣息) et, partant, le pur « style chinois » (zhongguo fengge, 中國風格). L’approche culturaliste, adossée à la dichotomie stéréotypique Chine/Occident, n’évite pas de teindre le terroir aux couleurs nationalistes. La rébellion paysanne mise en scène dans Le Supplice du santal tourne ainsi au pathos à la faveur d’une antinomie acoustique : d’un côté, les trains construits par les envahisseurs allemands et brisant le dragon-souffle du lieu, de l’autre, la voix déchirante des chanteurs à voix de chat, réprimés, suppliciés et massacrés. Le rugissement métallique de l’engin, produit d’une modernité intruse et meurtrière, n’aura jamais raison du cri du peuple, irrépressible et toujours renaissant. L’inscription du dialecte, renforcé par la mélodie de l’opéra local, est pour Mo Yan l’expression d’un « grand repli » par rapport au modèle des « littératures occidentales », qui inclut jusqu’à la production latino-américaine, et le signe du triomphe de la « littérature populaire » (minjian wenxue, 民間文學), représentative, selon ses propres termes, de la « quintessence de la littérature nationale » [33]. Ces commentaires ne sont pas sans entrer en écho avec la vulgate académique qui, depuis le début des années 1990, remet en question l’héritage des Lumières et l’origine occidentale du projet de modernisation de l’État-nation : il serait temps, selon certains chercheurs, de substituer le « post-vernaculaire » ou la « post-langue parlée » (hou baihua, 後白話) à la « langue parlée » (baihua, 白話), définitivement entachée d’une grammaire européanisée et d’une modernité importée ; l’oralité dialectale serait une rédemption, susceptible de ressusciter les réalités tangibles de l’avant-Lumières (qian qimeng, 前启蒙) [34].
Oralité dialectale ou paratopie.
16La convergence avec la position officielle camoufle en réalité une stratégie de négociation, plutôt qu’une collaboration délibérée. Dans un régime autoritaire, un conformisme minimal est de règle sans qu’il fasse pour autant disparaître la quête de l’autonomie, qui se poursuit par concession, feintise, déplacement et contournement des contraintes politiques. On écarte la radicalité provocatrice d’un Hou Hsiao-hsien (侯孝賢, né Hou Xiaoxian en 1947) qui restitue dans son film Les Fleurs de Shanghai les dialogues en dialecte wu, en hommage à la version originale du roman, au mépris de la réécriture en mandarin d’Eileen Chang. Le questionnement se réoriente aussi, non plus vers l’antagonisme postcolonial figé opposant soumission et refus, ou centre et périphérie, mais vers des rapports complexes entre le commun et la distinction, assimilant la dichotomie de l’oral et de l’écrit à celle de l’élégant et du vulgaire. Les réflexions sont ainsi recentrées sur les questions stylistiques, l’utilisation à bon escient de tournures locales permettant de tenir à distance la communauté linguistique nationale par un biais précisément plus littéraire que polémique. La réactualisation d’une diglossie millénaire, qu’un siècle de modernisation du chinois n’a pas réussi à déraciner, offre à cet égard des ressources de défamiliarisation mesurée, sans la transgression des limites du système ni le risque de déperdition du sujet.
17L’oralité dialectale, qui met désormais l’accent sur les écarts stylistiques, repose d’abord sur la réinterprétation de l’héritage du vernaculaire. La littérature narrative traditionnelle écrite en langue vernaculaire est soumise à un processus de décontextualisation, de redéfinition et de réappropriation. Certes, on considère la littérature vernaculaire (tongsu wenxue, 通俗文學) de nos jours comme victime d’une modernité qui privilégie la « littérature de cour » (miaotang yayan, 廟堂雅言) inféodée au modèle étranger, comme elle l’était par le passé à l’orthodoxie confucéenne [35]. Mais cette rhétorique dénonciatrice sert moins à étayer le discours nationaliste qu’à revaloriser un registre d’antan par un glissement sémantique subreptice. Le même terme de « langue vernaculaire » est utilisé non plus pour honorer celle qui a fondé la langue commune, mais pour relustrer celle d’autrefois, identifiable de plus en plus comme un marqueur de style. Des doutes sont reformulés sur le statut « vulgaire » de la littérature traditionnelle écrite en langue vernaculaire dans la mesure où, du point de vue historique, les lettrés ont laissé leur empreinte sur elle en la remaniant fortement lors de sa mise en forme narrative, à en juger par les œuvres qui nous sont parvenues [36]. De surcroît, le temps agit sur le changement de registres sous l’effet d’une réception étalée, qui transforme le vulgaire en élégant. En 2001, le premier lauréat du concours d’entrée à l’université, dans la province du Jiangsu, s’est vu attribuer la note suprême de 20 sur 20 pour l’excellence de sa composition. La virtuosité imitative dont il a fait preuve en reproduisant le style des Trois Royaumes a séduit, au-delà du jury, le cercle universitaire, pour qui ce roman du xive siècle est écrit non plus en langue vernaculaire mais « classique » (wenyan) [37]. Cette étrangeté familière se révèle d’une grande fécondité. Mo Yan se délecte ainsi de registres hybrides dans Le Supplice du santal, truffé d’allusions aux contes et romans traditionnels : multiplication de tournures et d’expressions archaïsantes, alternance de prose et de passages versifiés, sans compter les nombreux pastiches des romans de cape et d’épée.
18Le vernaculaire ainsi réinterprété et réapproprié relie d’ores et déjà l’oralité dialectale à la problématique de l’élégance littéraire (ya, 雅) et de l’excellence scripturaire, dotées d’un pouvoir potentiel pour exorciser le code « commun » intrinsèque à la langue véhiculaire. On épilogue ainsi sur l’apparentement des dialectes vivants au chinois classique, voire archaïque, dont la valeur en lecture silencieuse semble désamorcer le doute à l’égard de leur intelligibilité. La beauté que dégagent les expressions dialectales dans les romans de Jia Pingwa est attribuée dès lors moins à leur euphonie qu’à leur teneur sémantique [38], le déchiffrage des termes dialectaux procurant un plaisir qui ignore les obstacles phonétiques [39]. La théorie du « graphicentrisme » (zi benwei, 字本位) sous-tend l’imagination d’un type de « roman dialectal » (fangyin xiaoshuo, 方音小說) authentique. Fort de « résonances dialectales » plutôt que de paroles dialectales (fangyan, 方言) proprement dites, il serait destiné à une audience supra-régionale grâce à la force fédératrice et unificatrice consubstantielle à l’écriture chinoise.
19La lecture « muette » qui incombe à l’oralité dialectale laisse percevoir des paradoxes enracinés dans une dualité sous-jacente à la pratique langagière des romanciers. L’aspiration à l’oralité chez les romanciers n’autorise aucun doute, tant ils s’évertuent à libérer une parole individuelle refoulée pour retrouver une parole immédiate. Celle-ci engage ainsi le corps et la voix, à l’aide d’une expression souvent théâtralisée. L’inscription explicite d’opéras locaux, comme le qinqiang chez Jia Pingwa, le maoqiang chez Mo Yan ou le yueju chez Yu Hua (余華, né en 1960), s’assortit de scènes où les personnages accèdent à la prise de parole en se mettant en exergue, à travers, comme dans Le Supplice du santal, les tirades et les répliques d’autoprésentation caractéristiques du théâtre traditionnel. Mais la propension à une littérature « muette », liée à la langue classique qualifiée d’« écriture graphique [40] », a rarement fléchi chez les écrivains contemporains, malgré l’opprobre jeté sur cette langue par la révolution littéraire. Liu Zhenyun (劉震雲, né en 1958) étudie avec ardeur le chinois classique. Jia Pingwa excelle dans les proses littéraires fort proches du style qu’affectionnaient les lettrés d’antan. Wang Meng (王蒙, né en 1934) compose ses poèmes selon la prosodie classique, tandis que Gu Cheng (顧城, 1956-1993), figure emblématique de la « poésie obscure », excellait dans les deux genres poétiques, vers-libriste et régulier. Par ailleurs, cette pratique scripturaire duale ne fait que prolonger une tradition moderne inaugurée par bon nombre d’écrivains issus du mouvement du 4 mai 1919, tels Lu Xun, Yu Dafu (郁達夫, 1896-1945), ou Lao She, accoutumés à une écriture parallèle et distincte : les récits en chinois moderne et la poésie en chinois classique.
20Cette bivalence scripturaire est la manifestation la plus tangible de brouillages autrement complexes, par lesquels tant d’œuvres sont marquées aux niveaux générique, textuel et stylistique [41] : un dualisme plus secret s’y love en effet en raison du clivage millénaire des deux langues, parlée et écrite, ou vernaculaire et classique. Elle formalise la subjectivité hantée de l’écrivain en quête d’un espace inviolable, susceptible de protéger une parole trop exposée dans son expression de la vérité nue [42]. Il est vrai que l’oralité dialectale incarne une force originaire chez certains romanciers comme Mo Yan. La langue du pays épouse chez lui le rythme de la terre, offrant ainsi un territoire où le sujet se donne la liberté de parole comme si la voix, porteuse de sa langue naturelle, lui permettait de se dire par le moins médiat des véhicules d’expression. Mais le pays natal, générateur de cette oralité, se révèle comme un lieu littéraire, où la parole immédiate incarnée par l’oralité est rarement coupée d’une langue graphique qui ne se parle pas. Éminemment citationnelle, cette parole muette médiatise et tamise la prise de parole en lui superposant une parole d’autorité. Le « bilinguisme » opère ainsi pour donner la parole aux personnages tout en leur permettant d’être muets et d’être « parlés » par les autres. Le geste créateur de Mo Yan est acquis à cette ambivalence, où alternent voix et silence. Partant, son nom de plume, « Ne parle pas », suggère moins une tactique déceptive – une langue déliée et transgressive vient le démentir – qu’un « mutisme bavard de l’écriture [43] ». Ainsi, dans Quarante et un coups de canon, le narrateur, un gamin-canon, autrement dit un enfant volubile, déploie son récit logorrhéique devant son alter ego, un moine muré dans le silence. Le roman utilise même une double typographie pour faire progresser la narration parallèle, laissant le narrateur parler et être parlé. Si bien que, selon l’aveu même de l’auteur, « plutôt que de dire que c’est lui qui raconte l’histoire, mieux vaut dire que c’est l’histoire qui le raconte [44] ». On assiste alors à une « inertie » narrative signifiante, due au parallélisme équivoque faisant fusionner un mouvement automatique et spontané (la parole de l’enfant) et une résistance à l’impulsion (le moine). Dans un autre ordre, l’utilisation alternée, dans Le Supplice du santal, de la première et de la troisième personne montre la complémentarité de deux modes opératoires : la parole immédiate accorde à l’écrivain la possibilité d’esquiver toute appropriation et toute dépersonnalisation, pour maintenir son quant‑à-soi ; mais le laisser-dire crée les conditions d’un récit masqué, d’une biographie restituée, en conformité avec la langue stéréotypique [45], ou langue-corpus, inscrite dans le système. Il s’agit pour Mo Yan non de renoncer au désir de s’exprimer, mais de le faire sous la protection d’une interlangue, en l’occurrence le vernaculaire, qui dissimule in fine un code langagier, à la fois accessible à la parole nue de l’écrivain et poreux au corpus et à la langue commune. C’est une langue autre, la langue de l’autre [46], qui autorise le sujet à se dire sans s’exposer à la perte.
21La nouvelle alliance entre l’oral et l’écrit, telle qu’elle se traduit dans les pratiques romanesques d’aujourd’hui, révèle au fond certaines idées sous-jacentes au mouvement du 4 Mai, ignorées ou minimisées par des lectures parfois schématiques. L’opposition établie entre les langues parlée et écrite se révèle dès l’origine biaisée, contredite par une campagne œcuménique qui met en évidence leurs liens organiques, « campagne en faveur de la langue écrite en langue parlée » (baihuawen yundong, 白話文運動). La dichotomie tue se trouvait plutôt entre l’élégant et le vulgaire (ya su, 雅俗) [47], dans la mesure où la langue commune procède d’un renversement de hiérarchie, cherchant à ennoblir l’ancienne langue vernaculaire ou vulgaire. On est en droit de se demander si la « démocratie » et la « science » préconisées par les protagonistes de la révolution littéraire de 1917 [48] se sont jamais départies d’une vision élitiste, qui se réincarne dans l’apologie actuelle du vernaculaire et du populaire. On peut se demander aussi si l’oralité tournée en signe de distinction ne renouvelle pas l’ethos romantique dans la préservation de l’autonomie de la littérature et de la subjectivité créative. Il reste à savoir si, dans le contexte actuel, une telle posture permet aux écrivains chinois de transformer le localisme en « paratopie [49] », un non-lieu littéraire digne de ce nom, capable de résister à l’harmonie institutionnelle sans céder aux sirènes culturalistes.
Notes
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[1]
Les appellations peuvent varier suivant les configurations géopolitiques : le putonghua, « langue commune », en Chine continentale, le guoyu, « langue nationale », à Taïwan, ou le huayu, « langue chinoise », dans la diaspora. Voir Chen Ping, « Modern Written Chinese in Development », Language in Society, no 22, 1993, p. 505-537. Voir aussi David C.S. Li, « Chinese as a Lingua Franca in Greater China », Annual Review of Applied Linguistics, no 26, janvier 2006, p. 149-176.
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[2]
Le putonghua, « c’est la langue commune à l’ethnie Han moderne ; elle est basée sur la prononciation de Pékin et sur les dialectes du Nord ; grammaticalement, elle prend pour modèle des ouvrages écrits en langue parlée moderne » (Cihai [Dictionnaire encyclopédique], 1980). Après les appellations successives de baihua et guoyu, putonghua s’est fixé en Chine continentale comme terme officiel en 1955. Mais sa fonction véhiculaire s’étend sur la Chine continentale multi-ethnique, Taïwan, Hong Kong, Macao, la diaspora chinoise, selon l’encyclopédie en ligne Baidu baike.
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[3]
Des chercheurs opposent donc la « communauté linguistique du putonghua » (putonghua yuyan gongtongti) à la « communauté linguistique du wenyanwen » (wenyanwen yuyan gongtongti). Voir Ge Hongbing, Song Guilin, « Xiaoshuo zuowei difangxing yuyan he zhishi de keneng. Xiandai hanyu xiaoshuo de yuyanxue wenti » (Les romans en tant que potentialités de langue et de savoir locaux. Problèmes linguistiques du roman chinois moderne), Zhongguo xiandai wenxue yanjiu congkan (Revue d’études de littérature chinoise moderne), no 10, 2011, p. 1.
-
[4]
Yuen Ren Chao, « Chinese Language and Dialects : Divergence and Unification », in Aspects of Chinese Sociolinguistics, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. 1-147 ; Daniel Kane, The Chinese Langage. Its History and Current Usage, Tokyo/Rutland (Vermont)/Singapore, Tuttle Publishing, 2006. Voir aussi Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji zhongguo yuyan nanbei butong lun : cong shanghai zuojia shuoqi » (Les dialectes, la langue commune et les différences entre les dialectes du Nord et du Sud : le cas des écrivains shanghaiens), Wenyi zhengming (Débats littéraires et artistiques), no 10, 2010, p. 49-50.
-
[5]
Qian Xuantong, « Yanwen yizhi » (Unité de l’oral et de l’écrit), in Zhongguo xinwenxue daxi-jianshe lilun ji (Grande anthologie de la nouvelle littérature. Volume « Construction théorique »), Shanghai, Liangyou tushu gongsi, 1935, p. 105.
-
[6]
Gang Zhou, Placing the Modern Chinese Vernacular in Transnational Literature, New York, Palgrave Macmillan, 2011.
-
[7]
Zhitang Yang-Drocourt la compare en effet à la vulgari eloquentia, « langue vulgaire illustre », de Dante, digne de la « bonne société de l’époque » ; voir Parlons chinois, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 67.
-
[8]
Chen Zizhan, « Wenyan, baihua, dazhongyu » (Langue classique, langue parlée, langue de masse), Shenbao ziyoutan (Journal de Shanghai. Supplément « Propos libres »), 18 juin 1934.
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[9]
En ambitionnant de mener une nouvelle révolution littéraire qui consiste à rendre la langue accessible à la masse populaire, au niveau aussi bien de la compréhension que de l’expression, Qu Qiubai, inspiré par les mesures d’alphabétisation soviétique, en vient à proposer la latinisation du chinois, i.e. l’abandon des caractères chinois au profit de l’alphabet latin. À la différence de la romanisation basée sur le dialecte de Pékin avec les indications tonales (promue par Qian Xuantong et par la Commission de l’unification de la langue nationale), le chinois latinisé se veut transdialectal. Lu Xun adhère à ce projet de latinisation, qu’il souhaite toutefois progressif, en envisageant une application dialectale transitoire. Pour lui, la connaissance et la maîtrise des vingt-six lettres de l’alphabet, accessibles à tous, contrairement aux caractères chinois souvent imprononçables, n’autoriseraient aucune excuse, excepté chez « les paresseux et les attardés » ; voir « Men wai wen tan » (Propos d’un profane sur la langue), in Lu Xun quanji (Œuvres complètes de Lu Xun), vol. 6, Beijing, Remin wenxue chubanshe, 2005, p. 99.
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[10]
Zhou Yang, par exemple, exprime des réticences vis‑à-vis de Zhou Libo, dont le langage lui paraît entaché malgré tout d’une phraséologie résiduelle européanisée, citadine et intellectuelle ; voir « Makesi zhuyi yu wenyi » (Le marxisme et la littérature et les arts), Jiefang ribao (Quotidien Libération), 8 avril 1944.
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[11]
Pour la définition du « récit oralisé », voir Jérôme Meizoz, L’Âge du roman parlant (1919-1939). Écrivains, critiques, linguistes et pédagogues en débat, Genève, Droz, 2001, p. 35 : « Par récit oralisé, on désignera ici les romans qui donnent à entendre l’acte narratif comme une parole et non comme un écrit. »
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[12]
Liu Jincai, « Yuyan rentong de kunjing-Yan’an zuojia de yuyan guannian yu chuangzuo shijian » (Difficile identification linguistique : conception langagière et pratique créative chez les écrivains à Yan’an), Henan daxue xuebao (Journal of Henan University, Social Science), no 6, 2009, p. 6.
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[13]
Dès la fondation de la République populaire de Chine, la diffusion d’une langue commune devient l’une des priorités les plus importantes pour les autorités centrales. Voir « Guowuyuan guanyu putonghua de zhishi » (Décret du Conseil des affaires d’État relatif à la diffusion de la langue commune, 6 février 1956) : http://www.gov.cn/test/2005-08/02/content_19132.htm. Parallèlement, en 1956, a été créée la Commission de réforme de l’écriture chinoise, chargée d’élaborer la mise en place de la langue commune avec le système de la transcription phonétique, dit pinyin, et la simplification des caractères. Voir Xia Yan, « Wenyi gongzuo he hanyu guifanhua » (Le travail des écrivains et des artistes et la normalisation de la langue chinoise), Renmin ribao (Quotidien du peuple), 14 décembre 1955.
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[14]
L’ouvrage de Staline, Le Marxisme et les Questions de linguistique, a été traduit en chinois dès 1952.
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[15]
Lao She, fervent partisan et praticien de dialectes et de patois dans les années 1930, a accepté de faire son autocritique en 1955 au sujet du Canal à barbe de dragon (1953), pièce de théâtre jugée trop marquée dialectalement, écrite pourtant à la gloire de l’édification socialiste. Les rééditions des œuvres d’avant 1949 imposent souvent un travail de remise en conformité aux normes, comme en témoigne le cas de Li Jieren, alors adjoint au maire de Chengdu, prié de récrire en 1954 La Houle (Dabo) et de modifier considérablement – un dixième du volume total – Les Rides sur les eaux dormantes (1936), afin de les expurger des expressions dialectales du Sichuan. Voir Li Jieren, Sishui weilan (Les rides sur les eaux dormantes), édition critique (huijiao ben), Sichuan wenyi chubanshe, 1987.
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[16]
La commission d’État chargée du travail de langue et d’écriture a été créée en décembre 1985, pour remplacer l’ancienne Commission des réformes de l’écriture ; la « Loi de la République populaire de Chine sur la langue et l’écriture communes » a été promulguée le 1er janvier 2001 ; Le Dictionnaire du chinois moderne, comme ouvrage de référence officielle, a été publié en 2005. Un test d’aptitude, « Test du niveau de compétence en langue commune », instauré le 5 décembre 1999, figure au programme des concours de recrutement des fonctionnaires.
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[17]
Voir son discours prononcé lors de l’attribution du prix littéraire Roman du jardin olympique à Hainan, le 26 mars 2012, en qualité de vice-président de l’Association chinoise des écrivains : http://www.visithainan.gov.cn/HAINANTRAVEL/lyzxb/201203/t20120326_30985.html.
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[18]
Zhang Weizhong, « Yuyan guifanhua dui dangdai wenxue yuyan de yingxiang » (De l’impact des normes linguistiques sur le langage de la littérature contemporaine), Beifang luncong (The Northern Forum), no 11, 2008, p. 54-57.
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[19]
He Huifen, « Parents Angry at Removal of Lu Xun’s Works from China’s School Textbooks », SCMP, 8 décembre 2013 : http://www.scmp.com/news/china/article/1305905/parents-angry-removal-lu-xuns-works-chinas-school-textbooks.
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[20]
Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji zhongguo yuyan nanbeibu tong lun », art. cité, p. 50.
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[21]
Mo Yan, « Postface » au Supplice du santal, traduit par Noël et Liliane Dutrait, Paris, Seuil, 2006, p. 549.
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[22]
Dans Le Supplice du santal, le protagoniste dirige une troupe de théâtre qui imite le miaulement dans le chant. L’opéra local référentiel de Gaomi, à voix stridente et déchirante, s’appelle Maoqiang (茂腔). Par analogie et par homophonie, Mo Yan réinvente le genre en le nommant Maoqiang (貓腔), « opéra à voix de chat ».
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[23]
Cao Naiqian, La nuit quand tu me manques, j’peux rien faire. Panorama du village des Wen, traduit par Françoise Bottéro et Fu Jie, Paris, Bleu de Chine, 2011.
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[24]
Lin Bai, Funü xianliao lu (Conversations oisives avec une femme), Beijing, Xinxing chubanshe, 2005.
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[25]
Jin Yucheng, Fanhua (Fleurs épanouies), Shanghai, Wenyi chubanshe, 2013. Publié d’abord en feuilleton dans son blog sur un site qui réunit des amoureux de Shanghai, « Forum des ruelles » (Longtangwang luntan) http://www.longdang.org/bbs/forum.php?gid=18 entre le 14 mai et le 31 octobre 2011, le roman s’est arrêté à mi-parcours, pour paraître ensuite dans sa version intégrale dans le supplément « Roman » de la revue Shouhuo (Harvest), à l’automne-hiver 2012. Le numéro épuisé, il a été publié en volume l’année suivante, avec un premier tirage de 50 000 exemplaires. Après un quinzième retirage en janvier 2015, il a atteint 241 530 exemplaires. Deux colloques lui ont été consacrés en 2013 tandis qu’il était au top du palmarès de la Société chinoise du roman en 2012. L’auteur était en 2015 l’un des cinq récipiendaires du prix quadriennal Mao Dun pour sa neuvième édition, à côté de Wang Meng, Ge Fei, Su Tong, Li Peifu. Au moment de l’attribution du prix, son roman a encore été vendu à plus de 300 000 exemplaires, devançant tous les autres lauréats. Wong Kar-wai vient d’en acheter les droits en vue d’une adaptation cinématographique : http://culture.people.com.cn/GB/22226/398173/.
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[26]
Han Shaogong, Maqiao cidian (Le dictionnaire de Maqiao), Beijing, Zuojia chubanshe, 1996.
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[27]
Voir Yinde Zhang, « Han Shaogong : le roman lexicographique et l’hétérogène », in Le Monde romanesque chinois au xxe siècle. Modernités et identités, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 439-461.
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[28]
Han Shaogong, « Tuhua » (Le patois), in Shanchuan rumeng (Monts et rivières en rêve), Beijing, Zhongguo qingnian chubanshe, 2009, p. 165-166.
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[29]
Shen Feilong, Shuyuan tang liunian ji (Six ans d’histoire de la maison Shuyuan), Shanghai, Shanghai wenyi chubanshe, 2009. Ce roman, qui raconte l’histoire d’une grande famille de l’île de Chongming, en face de Shanghai, pendant les six années précédant la Révolution culturelle, est proposé en deux éditions parallèles et séparées, l’une en mandarin, l’autre en dialecte de Chongming, comportant un glossaire et des parenthèses explicatives systématiques dans le corps du texte. Dans cette dernière édition, l’auteur note en exergue, p. 1 : « N’en faites pas de lecture silencieuse en mandarin s’il vous plaît. »
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[30]
Viviane Alleton, « Chine, les rapports ambigus de la langue et de l’État. Quelles évolutions ? », Hérodote, no 96, 2000, p. 100-114. L’oralité préconisée revêt une portée aussi sociale que géographique, même si en réalité la proximité avec les « masses » et avec la vox populi se révèle, dans la majorité des cas, plutôt comme un simulacre. Certes, des personnages d’origine rurale et modeste ne manquent pas dans les œuvres ; elles s’étendent toutefois sur des catégories sociales beaucoup plus variées, comme en témoignent les textes de Wang Shuo ou de Wang Anyi, peuplés de citadins de Beijing et de Shanghai, des jeunes délinquants aux intellectuels de haut vol en passant par des retraités de tout poil.
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[31]
Lin Bai, Funü xianliao lu (Conversations oisives avec une femme), op. cit. Originaire du Guangxi, elle adopte le dialecte du Hubei, qui marque le parler de son unique personnage.
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[32]
La géographie littéraire nationale se dessine dans ces conditions selon les répartitions en région. La grande division Nord/Sud prédomine, mais de multiples découpages s’opèrent, avec des subdivisions qui recoupent plus ou moins les grandes régions dialectales. On compte, au sud, parmi les écrivains shanghaiens, Wang Anyi, Sun Ganlu, Chen Cun, Jin Yucheng, et, dans la province du Zhejiang, Yu Hua ; au nord, Wang Meng, Wang Shuo, Liu Heng, de Pékin, Feng Jicai, de Tianjin, Zhang Wei et Mo Yan, du Shandong, Chen Zhongshi et Jia Pingwa, du Shaanxi, Yan Lianke, du Henan, Han Shaogong, du Hunan, Fang Fang, Chi Li, Liu Xinglong, du Hubei, enfin, Han Dong et le groupe d’écrivains de Nanjing, auquel sont affiliés Bi Feiyu et Su Tong. Ces noms irriguent le champ littéraire chinois d’aujourd’hui. Voir Gao Yuanbao, « Fangyan, putonghua ji Zhongguo yuyan nanbei butong lun », art. cité.
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[33]
« Alors qu’aujourd’hui le roman, d’art populaire qu’il était à l’origine, est peu à peu devenu une écriture raffinée de cour, alors que les emprunts faits aux littératures occidentales l’emportent sur l’héritage de la littérature populaire, Le Supplice du santal ne va sans doute pas dans le sens de la mode. Ce roman représente un grand repli, fait de façon consciente, dans le processus de mon œuvre créatrice ; malheureusement il reste encore en deçà de mes espérances » (Mo Yan, Le Supplice du santal, op. cit., p. 549).
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[34]
Voir Yinde Zhang, Le Monde romanesque chinois au xxe siècle, op. cit., p. 78-79.
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[35]
Mo Yan, « Postface » au Supplice du santal, op. cit., p. 543-549.
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[36]
Selon Lu Xun, si on appelle cette langue baihua, « parole limpide », c’est parce que les lettrés l’ont retravaillée en la rendant limpide. Voir « Men wai wen tan », art. cité, p. 93.
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[37]
Wang Ning, « Women weishenme yao xuexi wenyanwen – jicheng chuantong bushi fugu » (Pourquoi devons-nous apprendre le chinois classique – perpétuer la tradition ne signifie pas restaurer l’ancien), Renmin zhengxie bao (Journal de la Conférence consultative du peuple), 4 septembre 2001.
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[38]
Le dialecte du Shaanxi utilisé par Jia Pingwa produit « des effets particulièrement élégants et délicats, même s’il n’est pas spécialement agréable à entendre » (He Yanhong, « Yuyan biange yu yuyan zhengzhi » [Les réformes et la politique linguistiques], in Fei wenxue de shiji [Un siècle a-littéraire], Nanjing, Nanjing shifan daxue chubanshe, 2004, p. 455).
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[39]
Ge Hongbing, Song Guilin, « Xiaoshuo zuowei difangxing yuyan he zhishi de keneng », art. cité, p. 1-14. Selon les auteurs, la communauté linguistique reposant sur la langue commune (putonghua) qu’est le chinois moderne ne diffère en rien de la communauté linguistique créée par le chinois classique (wenyan), dans la mesure où l’une et l’autre s’appuient sur le « graphicentrisme », contrairement à la linguistique saussurienne, fondée sur les langues phonétiques. En réalité, il existe dans tous les dialectes le phénomène dit « un mot deux prononciations ». L’une, appelée « prononciation rustique », est plus ancienne et appartient au substrat de la langue locale ; c’est la façon de prononcer un mot du registre familier, qui, en général, ne se réfère pas à l’écrit. L’autre est la « prononciation textuelle », introduite et formée plus tardivement, le plus souvent par la koinè littéraire des concours mandarinaux ; on l’applique, comme son nom l’indique, à la lecture d’un texte et au vocabulaire propre à la langue écrite. Voir Zhitang Yang-Drocourt, Parlons chinois, op. cit., p. 70. Ces spéculations contribuent au formidable mouvement de glorification portant sur le patrimoine culturel, rédigé essentiellement en chinois classique ; elles ne sont pas non plus sans relayer la grammatologie derridienne ni le fantasme occidental en matière d’une écriture à vocation universelle (Leibniz), débarrassée du poids des sons et accédant directement au sens.
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[40]
Léon Vandermeersch, « Écriture et langue graphique en Chine », Le Débat, no 62, 1990, p. 55-66.
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[41]
En élargissant l’observation au-delà du seul champ de la littérature dite sérieuse, on peut constater des phénomènes encore plus complexes et des perméabilités plus surprenantes entre langue classique et langue vernaculaire, entre langue littéraire et langue vulgaire, entre chinois standard et dialectes : des genres populaires, moins respectueux de la norme, sont paradoxalement plus soucieux de l’élégance classique, comme en témoignent ces tubes chantés en cantonais ou ces romans de cape et d’épée écrits dans une langue archaïsante. Sur l’interpénétration de baihua et de wenyan dans le contexte d’aujourd’hui, voir Chen Pingyuan, « Dangdai Zhongguo de wenyan yu baihua » (Langue classique et langue parlée dans la Chine actuelle), in Dangdai renwen guancha (Observations sur la culture en Chine aujourd’hui), Beijing, Renmin wenxue chubanshe, 2004, p. 121-146.
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[42]
Rainier Lanselle, Le Sujet derrière la muraille. À propos de la question des deux langages dans la tradition chinoise, Toulouse, Ères, 2004. Le développement suivant est largement inspiré par cet essai lumineux.
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[43]
J’emprunte l’expression à Jacques Rancière, « Le partage du sensible : Interview » : http://www.multitudes.net/le-partage-du-sensible.
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[44]
« Dans l’histoire que raconte Luo Xiaotong, au début il y a encore une part de vérité, mais plus on avance, plus elle se transforme en une sorte de création au gré des circonstances, à la fois réelle et illusoire. Une fois la narration entamée, se crée une sorte d’élan, et elle progresse en se poussant elle-même. Lors de ce processus, le narrateur se transforme peu à peu en instrument de la narration. Plutôt que de dire que c’est lui qui raconte l’histoire, mieux vaut dire que c’est l’histoire qui le raconte » (Mo Yan, « Postface. Raconter c’est tout », in Quarante et un coups de canon, traduit par Noël et Liliane Dutrait, Paris, Seuil, 2008, p. 501). Le mot chinois guanxing, traduit ici par « élan », signifie littéralement « inertie », qui désigne, selon le Robert, cette double « propriété qu’ont les corps de ne pouvoir par eux-mêmes changer l’état de repos ou de mouvement dans lequel ils se trouvent ». Voir Mo Yan, Sishiyi pao (Quarante et un coups de canon), Shenyang, Chunfeng wenyi chubanshe, 2003, p. 445.
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[45]
Rainier Lanselle, Le Sujet derrière la muraille, op. cit., p. 23-24.
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[46]
Régine Robin, « La brume-langue », Le Gré des langues, no 4, 1992, p. 132 : « Le travail d’écriture consiste toujours à transformer sa langue en langue étrangère, à convoquer une autre langue dans la langue, langue autre, langue de l’autre, autre langue. On joue toujours de l’écart, de la non-coïncidence, du clivage. »
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[47]
Wang Hui, Xiandai zhongguo sixiang de xingqi (La genèse de la pensée chinoise moderne), vol. 4, Beijing, Sanlian shudian, 2004, p. 1511.
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[48]
Sebastian Veg, « Quelle science pour quelle démocratie ? Lu Xun et la littérature de fiction dans le mouvement du 4 Mai », Annales. Histoires, sciences sociales, no 2, 2010, p. 345-374.
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[49]
Dominique Maingueneau, « Paratopie », in Le Discours littéraire, Paris, Armand Colin, 2004, p. 70-116.