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Article de revue

L'incertitude dans la pensée chinoise

Pages 223 à 241

Notes

  • [1]
    En général, on considère que le courant principal est représenté par le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, d’autres écoles de pensée n’ayant pas eu autant d’influence historique – ainsi, l’école légiste. Pour les détails sur ces écoles, voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997. Si l’on se focalise sur les penseurs représentatifs, la plupart d’entre eux sont des lettrés confucéens, sans doute influencés par d’autres sources de pensée. Mais la continuité de la tradition confucéenne étant plus accessible, elle nous permet d’observer amplement les changements historiques et de tracer l’idée d’incertitude à l’intérieur d’une tradition. Donc, dans cet article, la plupart des documents que nous analyserons seront confucéens.
  • [2]
    Aristote, Éthique à Nicomaque, traduction de Richard Bodéüs, Paris, Garnier-Flammarion, 2004.
  • [3]
    Dans cet article, nous nous bornons à une vue philosophique pour pénétrer les notions fondamentales de la pensée chinoise en rapport avec la conception de l’incertitude. Ce qui donc nous intéresse, c’est la conception de l’incertitude placée au niveau des principes.
  • [4]
    Matteo Ricci, Histoire de l’expédition chrestienne au royaume de la Chine, rédigée par Nicolas Trigault à l’aide des papiers laissés par Matteo Ricci, en latin, traduction en français imprimée à Lyon en 1616 (Bibliothèque de Lausanne), rééditée dès 1617 (Université de Tours) ; édition moderne de Joseph Shih, Georges Bessière, Joseph Dehergne, Paris, Desclée de Brouwer, 1978.
  • [5]
    Pendant la dynastie Song du Nord, la plupart des livres canoniques ont été édités sous forme xylographique, celle-ci déterminant la version transmise jusqu’à aujourd’hui.
  • [6]
    Voir le cas d’Arcade Huang (???, 1679-1716), qui élabore avec Nicolas Fréret le premier lexique et la première grammaire du chinois ; voir aussi Mashi Wentong, écrit par Ma Jianzhong (???, 1845-1900) en se référant à la grammaire latine.
  • [7]
    On utilise ici le terme « science » (épistème) au sens strict et étymologique, qu’il concerne une recherche au-delà de l’expérience ou au-delà de la technique. Pour les observations de l’extérieur, à part celle de Matteo Ricci mentionnée plus haut, il y a aussi celle de Hegel dans Leçons sur l’histoire de la philosophie (Paris, Vrin, 2004, t. 1, p. 163-169) ; d’ailleurs, Joseph Needham, dans sa question célèbre, considère que les sciences chinoises restent au niveau empirique et technique (voir Science and Civilization in China. Preface, Cambridge, Cambridge University Press, 1954).
  • [8]
    Voir l’exemple de la plus fameuse controverse, historiquement nommée « Controverse entre science et métaphysique » (????, 1923-1924). La défense de la valeur de la culture chinoise se fonde dès lors sur la division en trois paires de conceptions empruntées : la valeur/le fait, l’esprit/la matière et la conception de vie/la science ; le contexte des études traditionnelles en est totalement changé.
  • [9]
    Par exemple, Liang Qichao (???, 1873-1929), dans ses leçons sur la philosophie confucéenne (publiées sous le titre Rujia zhexue [????], Shanghai, Shanghai Renmin Chubanshe, 2009), dit que la valeur de la philosophie confucéenne se manifeste par l’ampleur et la profondeur de sa pensée sur la vie humaine, de sorte que l’on peut négliger sa faiblesse dans la logique et son ambiguïté dans la métaphysique.
  • [10]
    Jean Rousseau, Denis Thouard, Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise. Un débat philosophico-grammatical entre Wilhelm von Humboldt et Jean-Pierre Abel-Rémusat (1821-1831) avec une correspondance inédite de Humboldt (1824-1831) présentée par Jean Rousseau, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 256-257. À vrai dire, Humboldt ne répond pas non plus aux trois questions qu’il pose lui-même.
  • [11]
    Quand il utilise des termes comme « monosyllabisme » ou « primitif », cela ne signifie pas qu’il pense que le chinois est une langue monosyllabique au strict sens linguistique, et qu’il la considère comme une langue primitive attendant une forme parfaite.
  • [12]
    Cf. François Jullien, Le Détour et l’Accès. Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Paris, Grasset, 1995.
  • [13]
    Une idée traditionnelle chinoise qui considère l’écriture comme un art nécessaire pour le cultivé (ou plutôt le ???, le « lettré-fonctionnaire »).
  • [14]
    L’art traditionnel chinois paraît aussi incompréhensible aux Occidentaux qu’aux Chinois moins cultivés et moins éduqués. Autrement dit, son opacité est la même pour tous ceux qui n’établissent pas la perception de l’intégralité par une construction progressive.
  • [15]
    Pour une explication plus détaillée, voir Jerry Norman, Chinese, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
  • [16]
    Ce qui était défini par la typographie de la dynastie Song : pour chaque caractère on fabriquait un cachet (un type) de format carré, ce qui avait l’avantage d’aider beaucoup l’apprentissage de l’écriture.
  • [17]
    Ces cinq positions se constituent en une série qui correspond à Wu Xing (??). Ce dernier représente un modèle fondamental de la pensée chinoise. Huang Yushun (???) développe ce modèle en le comparant aux catégories aristotéliciennes dans son article « ????????? – ?<??.??>?<???.???>??? » (« A Comparison of Thinking Methods between China and West. An Analysis to Hongfan in Shangshu and Categories in Organon »), Journal of Southwest China Normal University (édition des sciences humaines), 2003, vol. 29, no 5, p. 1-8.
  • [18]
    Cf. Jacques Gernet, Chine et Christianisme. Action et réaction, Paris, Gallimard, 1982. Humboldt et Rémusat expriment presque la même idée dans leur correspondance : « La grammaire du chinois n’utilise pas de catégories spécifiques pour indiquer la liaison des mots et fixe d’une autre manière les rapports des éléments du langage dans l’enchaînement de la pensée, comme si elle était pure syntaxe sans morphologie » (Jean Rousseau, Denis Thouard, Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise, op. cit.).
  • [19]
    La phonétique comme objet séparé d’étude devrait dater de la période des Trois Royaumes.
  • [20]
    Sur ce point, voir aussi l’exemple typique donné par Chao Yuen Ren : Shishi Shi shi shi, ? ????(Histoire de Monsieur Shi) ; il utilise une seule syllabe : shi, avec les quatre tons différents, pour écrire une petite histoire.
  • [21]
    Cf. Christian Helmut Wenzel, « Isolation and Involvement. Wilhelm von Humboldt, François Jullien, and More », Philosophy East & West, vol. 60, no 4, 2010, p. 458-475. Dans cet article, l’auteur montre bien que le verbe n’est pas décisif pour la langue chinoise – à vrai dire, la structure du sujet et du prédicat n’est pas non plus fondamentale pour cette langue. Voir aussi une explication socio-historique de la langue chinoise dans la thèse de Guillaume du Tournier, Zhu Xi et Lu Jiuyuan. Description d’une relation lettrée dans la Chine des Song (second xiie siècle) : un essai d’anthropologie pragmatique (non encore publiée).
  • [22]
    Cette idée vient de Chao Yuen Ren, A Grammar of Spoken Chinese, Berkeley, University of California Press, 1968, p. 67-104.
  • [23]
    Le chinois ne dépend pas plus de la circonstance réelle ou empirique que la langue flexionnelle, lorsqu’il y a l’organisation interne dans cette langue qui déborde du cadre grammatical. Sur ce point de vue, nous ne sommes pas d’accord avec Wenzel (« Isolation and Involvement », art. cité, p. 462).
  • [24]
    Aristote, Catégories, traduction et notes de M. Crubellier, P. Pellegrin et al., Paris, Flammarion, coll. « GF », 2007.
  • [25]
    Anne Cheng remarque seulement que le texte génère une manière de lire, mais elle n’explique pas davantage le sens de la répétition de la lecture : « […] ce langage, loin de donner, comme on l’a souvent dit, dans le vague, tend au contraire à une précision croissante de la formulation, le texte qu’il produit se présente rarement sous la forme d’un fil logique, linéaire et autosuffisant au sens où il fournirait lui-même les clés de sa compréhension. Le plus souvent, le texte constitue au sens propre un tissu qui suppose chez le lecteur une familiarité avec des motifs récurrents. Alors qu’il donne l’impression de ressasser des énoncés traditionnels, à la manière d’une navette qui passe et repasse inlassablement sur la même chaîne, c’est au motif qui se dessine peu à peu qu’il faut être attentif, car c’est lui qui est porteur de sens » (Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 33).
  • [26]
    Le domaine épistémologique est étroitement lié à celui de l’étude de la nature (ou du Tao) ; nous le reprenons ci-après.
  • [27]
    Liu Xie, Literary Mind and the Carving of Dragons (version anglaise), traduction et note de Vincent Yu-chung Shih (???), New York, New York Columbia University Press, 1959, chap. xxxvi, « Metaphor and Allegory », p. 195-198.
  • [28]
    La définition du « corrélat objectif » qui est donnée par la bibliothèque de l’Université de Lille III est : « [notion qui] renvoie à une création littéraire qui serait à même de trouver l’équilibre parfait entre forme et sens, et capable d’inspirer chez le lecteur une émotion identique ».
  • [29]
    Cf. Stephen Owen, Readings in Chinese Literary Thought, Cambridge, MA, Council on East Asian Studies, Harvard University, 1992. Voir le premier chapitre et l’index.
  • [30]
    Nous choisissons ces deux explications parce qu’elles représentent deux courants de l’interprétation du Xing dans la tradition chinoise.
  • [31]
    En général, nous traduisons qu lei (??) tout seul par « prendre l’analogue » ou « faire la métaphore ». Cependant, selon le contexte, lorsqu’il est opposé à cheng ming (??), nous trouvons une analyse des moments différents de l’établissement du Xing. Par conséquent, nous proposons une traduction paradigmatique : le manifestant/le manifesté. Voir le passage plus bas, quand Liu Xie explique « ???? » (« qu lei est fluide ») à la manière de Bi, il veut dire plutôt le manifesté de Bi, ou l’intention de Bi.
  • [32]
    Le premier poème du Canon des poèmes est traditionnellement interprété comme l’éloge de la vertu des époux, plus précisément, celui de l’épouse du fondateur de la dynastie Zhou. Liu Xie réfère ici au premier épisode : « À l’unisson crient les mouettes dans la rivière sur les rocs ! La fille pure fait retraite, compagne assortie du Seigneur ! »
  • [33]
    « C’est la pie qui a fait un nid ; ce sont ramiers qui logent là ! Cette fille qui se marie, avec cent chars accueillez-la ! C’est la pie qui a fait un nid : ce sont ramiers qui gîtent là ! Cette fille qui se marie, avec cent chars escortez-la ! C’est la pie qui a fait un nid : ce sont ramiers plein ce nid-là ! Cette fille qui se marie, de cent chars d’honneur comblez-la ! »
  • [34]
    Confucius, Lunyu zhengyi (????), commentaires et notes de Liu Baonan (???), Pékin, Zhonghua Shuju, 1990, p. 326. Le commentaire que nous prenons dans l’article vient de He Yan (??), qui est influencé par la pensée taoïste.
  • [35]
    Le débat n’a pas de fin quant à la nature de ce texte : certains considèrent qu’elle sert à l’explication ontologique, d’autres pensent qu’elle concerne seulement la méthodologie de l’exercice de l’esprit. Nous n’entrerons pas dans cette discussion, nous contentant d’indiquer une forme isomorphe entre deux niveaux, une même fondation valant également pour les deux : l’être humain et l’être en général.
  • [36]
    Cela explique partiellement pourquoi la tradition chinoise ne s’intéresse pas à la science qui se focalise sur les spécificités des êtres et cherche la détermination de l’être en tant qu’être.

Une récapitulation nécessaire du contraire de l’incertitude

1Dans l’histoire de la pensée chinoise, la notion d’incertitude n’est presque jamais thématisée. Cela ne doit guère nous étonner, en apparence du moins : la langue chinoise ne conceptualise et ne définit qu’à peine ce qui relève de la pratique spéculative et discursive. Ce qui nous frappe, c’est plutôt l’absence ou, tout du moins, la présence tardive du contraire de l’incertitude, à savoir la notion de certitude, dans le courant principal des penseurs chinois traditionnels [1]. Aussi devient-il nécessaire de repérer le sens de ce terme « certitude » en chinois en comparaison avec sa définition occidentale, notamment chez Aristote. Celui-ci en fournit un modèle avec sa coupure entre, d’une part, des sciences théoriques comme la physique, la mathématique, et, d’autre part, des sciences pratiques comme la politique et l’éthique. Selon lui, les premières peuvent atteindre une certitude plus grande que les secondes, du fait même que l’objet de leurs recherches a un caractère plus éternel ou plus nécessaire. En d’autres termes, la certitude dépend de la stabilité des objets eux-mêmes [2]. Ce qui exige, corrélativement, de la rigueur méthodologique, de la clarté dans les démonstrations, de l’exactitude dans les argumentations et de l’authenticité quant aux sources.

2Dans le cas chinois, on peut trouver une sorte d’équivalent : la certitude existerait dans des disciplines comme l’astronomie, la mathématique, la médecine, l’agronomie, la stratégie et la tactique, etc. Mais celles-ci, relevant en général de ce que le chinois appelle Shu (?) [3], sont considérées comme inférieures à l’étude du Tao (?). En conséquence, elles sont marginalisées aux yeux des penseurs chinois, qui privilégient l’étude du Tao.

3Cette attitude et ce cadre épistémologique sont demeurés identiques jusqu’à l’époque moderne, même après la rencontre avec les sciences occidentales apportées par les missionnaires. À l’époque, certains d’entre eux, comme Matteo Ricci, ont considéré qu’il n’y avait ni logique ni principes précis dans la pensée chinoise, elle-même étant incertaine. Selon eux, pour convaincre les intellectuels chinois, il aurait fallu les introduire à la logique, ce qui aurait permis de leur montrer la force de la science et la validité des argumentations – par exemple celles de la géométrie, dont chaque étape démonstrative est indéniable [4]. Or ces intellectuels entendaient conserver leur propre cadre épistémologique : l’ancienne hiérarchie des valeurs dominait encore leur curiosité.

4Cependant, l’exigence de certitude est apparue peu à peu, se manifestant d’abord dans l’étude de l’authenticité des textes canoniques. On peut la dater de la dynastie Tang. Ainsi, Jing Xue Jia (???), étudiant des canons confucéens, commence par commenter et par corriger des textes canoniques, en s’appuyant sur des documents historiques ou sur sa compréhension des doctrines confucéennes. Aux dynasties Ming, reprenant un débat ayant opposé des lettrés de la dynastie Song (du xe au xiiie siècle), on peut voir, par exemple, Wang Yangming (???, 1472-1529) critiquer la version de Da xue (??, Grande Étude) éditée par Zhu Xi. Jusqu’à la dynastie Qing, les intellectuels, surtout les membres de l’école Qianjia (????, aux environs de 1736-1820), tentent de réorienter les études confucéennes. Ils critiquent leurs prédécesseurs de Song-Ming [5], non seulement en raison de leurs manières arbitraires, mais aussi du fait que leur objet supérieur, à savoir le Tao, est considéré comme une chose incertaine et inaccessible par l’étude discursive.

5Nous avons là le premier effort explicite pour exclure l’incertitude dans la recherche cosmologique ou métaphysique. Si bien que le caractère du Tao et les notions corrélatives ont dû s’adapter à cet intérêt nouveau. Hors de l’école Qianjia, on a l’exemple typique de Dai Zhen (??, 1724-1777). Dans le Traité de la divinité, il reprend le même thème métaphysique, Jy, et admet le commentaire de Zhang Zai (??, 1020-1077) sur un texte fameux du Yi Jing (??) que l’on traduit littéralement : « Yin et Yang signifie le Tao […] l’incertitude de Yin-Yang (??) signifie la divinité. » Il écrit :

6

[Maître Zhang] dit « c’est le Tao du ciel qui provoque le changement ». Il dit aussi « le changement est un programme qui se déroule en ordre, or son ensemble semble incertain ». Ces paroles sont indiscutables, même si les saints ressuscités ne peuvent rien corriger. Maître Zhang saisit bien la nécessité du principe, donc il n’utilise pas le terme de « divinité » tout seul, mais il le complète en disant « la divinité avec la régularité ».

7Le caractère du Tao ou celui du Tao du ciel sont ainsi renouvelés et deviennent accessibles, si l’on suit le « principe nécessaire ». Selon cette interprétation, l’incertitude se manifeste surtout dans le changement, à condition de traiter le changement comme un tout. Sa position est donc affaiblie par rapport à celle du texte originel, où elle était liée aux autres notions plus fondamentales, à savoir le Yin et le Yang, qui englobent à la fois l’aspect immobile et celui mobile de l’être en tant qu’être.

8De plus, Dai Zhen considère que pour compléter la compréhension de l’incertitude, qui signifie la divinité, il faut la transformer en une certitude qui implique la régularité. C’est une certitude qui se manifeste dans le changement que l’on traite comme un programme et qu’on analyse en plusieurs phases ; confronté au texte référé de Zhang Zai, on voit bien un déplacement : « L’incertitude du ciel signifie la divinité, or la divinité avec la régularité signifie le ciel. »

9Il s’agit ici d’une stylistique spéciale qui sert à expliquer réciproquement et symétriquement deux termes, de sorte que l’on peut enrichir en même temps les interprétations de ces deux termes. Pour ainsi dire, le ciel et la divinité ont chacun un double aspect : incertitude et régularité.

10Un nouveau champ des études est ainsi circonscrit. On le trouvait déjà chez certains prédécesseurs de Dai Zhen, tels Gu Yanwu (???, 1613-1682) et Wang Fuzhi (???, 1619-1692), comme chez son contemporain, Zhang Xuecheng (???, 1738-1801). Ils entendent rendre les matières recherchées décidables, vérifiables et analysables dans presque tous les domaines des connaissances. Le Shu ne reste plus marginal. Tout en gardant sa position inférieure, il joue un rôle plus positif. De sorte que la position du Tao, dont le sens est transformé, peut être assurée et prouvée. Dans ce contexte, ce qui les intéresse dans les sciences importées de l’Occident, c’est seulement la certitude qu’elles contiennent, et la méthode qui la garantit. Comme le dit Wang Fuzhi : « En général, ce qui est appréciable dans l’Occident, c’est sa seule technique (Shu) pour mesurer des objets. » Cependant cela n’apporte pas de changement radical, malgré la complexité de l’histoire académique de cette période, où existe de façon permanente un anti-courant à cette nouvelle tendance.

11Le vrai ébranlement arrive bientôt, avec la dernière phase de la dynastie Qing. Fu Sinian (???, 1896-1950) fournit une observation intéressante. Il écrit :

12

Dans cette époque, la pensée du chinois ébranle la doctrine ancienne […], il n’y a plus lieu de développer des études canoniques figées en un système scolastique, alors que l’influence des sciences occidentales pénètre les esprits du chinois. C’est le moment favorable pour le développement des sciences. Donc, cette époque semble être le pivot de la culture chinoise moderne : avant, c’est l’époque de la renaissance des études chinoises, après, c’est celle de sa réforme.

13Cette fois, dans sa « réforme », la valeur de certitude est d’abord une force anti-traditionnelle recourant à l’esprit scientifique au sens occidental, qui, finalement, va dominer. Fu Sinian s’y engage. Connu comme un des dirigeants du Mouvement de la culture nouvelle, il révèle sa propre déclinaison des valeurs : la culture chinoise serait réformée par l’esprit scientifique. Cette réforme affecte si profondément le monde chinois qu’elle ne se limite pas à la seule élite intellectuelle. Elle atteint aussi l’idéologie sociale, la langue chinoise étant, elle aussi, réformée par ce mouvement.

14Cette réforme de la langue est d’abord celle de l’écriture, en vue d’écarter le chinois classique qui est le support des canons. Elle est renforcée ensuite par un courant nommé Mouvement de la langue populaire, et popularisée par le gouvernement. Nous n’examinerons pas ici cet événement, qui provoque encore des débats aujourd’hui, mais nous voulons toutefois noter que cette réforme vise essentiellement une plus grande certitude de l’expression et une langue plus logique. Fu Sinian, dans ses deux fameux articles, exprime la finalité de sa proposition réformatrice de la langue. Il dit :

15

[…] la raison pour laquelle nous abolissons la langue classique est qu’elle est obscure et qu’elle fait former aux peuples une manière vague de penser et étouffe leur expression et leur intelligence […] l’obscurité de la langue et l’absurdité de la pensée fusionnent, elles sont inséparables l’une de l’autre […]. [Par contre,] la vrai littérature en baihua consiste dans trois facteurs nécessaires : 1) le support est baihua ; 2) la technique subtile ; 3) l’idée juste.

16Or il y a deux sources pour cette réforme de la langue : 1) la langue parlée ; 2) le langage et la grammaire occidentaux.

17Certes, ce n’est pas le premier essai de grammaticalisation de la langue chinoise en référence au cadre occidental [6]. Mais c’est bien la première fois que se manifeste un tel désir de la changer, afin de donner de la certitude à l’expression. Ainsi est reconnu le manque de logique de la pensée chinoise traditionnelle ; la classe intellectuelle chinoise rejoint les observateurs extérieurs. Il ne saurait y avoir d’esprit scientifique dans les études traditionnelles [7]. Pourtant, pour les défendre, certains conservateurs insistent sur l’existence d’une autre logique inhérente à la pensée chinoise ; d’autres soulignent que les études anciennes relèvent de la philosophie de vie, qui est aussi importante que la science. Mais ils ne peuvent plus nier la valeur de la logique et reconnaissent que l’étude du Tao n’englobe plus comme avant toutes les études inférieures [8]. Même s’il subsiste des controverses entre les conservateurs et les radicaux, de fait, les premiers avouent tacitement que l’incertitude est tout à fait négative [9]. C’est pourquoi des membres des deux camps s’emploient à explorer la conception de la certitude, et à rechercher des documents historiques de l’école moïste pour une étude comparée.

18Ainsi, à l’intérieur de la tradition chinoise, le couple certitude/incertitude prend place dans l’esprit des intellectuels chinois. Mais l’incertitude comme caractère de la divinité ou du Tao a disparu ou a perdu de son importance. Dans ce sens, elle n’est pas le contraire de la certitude, puisque la globalité et la supériorité qu’elle implique ne permettent pas l’existence d’un opposé.

19Restent plusieurs points : 1) expliquer d’abord la condition de la langue qui sert à exprimer cette incertitude ; 2) montrer ensuite son opération comme celle d’une valeur dans la controverse à l’intérieur de l’école ; 3) révéler finalement son sens fondamental et structurel dans la théorie cosmologique et existentielle.

La condition de la langue pour exprimer la conception de l’incertitude

20Quand on examine la langue chinoise sous un angle linguistique en référence aux principes communs à toutes les langues, on fait souvent une confusion inconsciente entre la parole et l’écrit. Certes, la distinction entre la langue écrite et la langue parlée existe, mais cela ne change pas le fait que l’écrit a d’abord pour fonction de noter ce dont on parle. Il est donc secondaire. Parmi les dimensions grammaticales, il y a la sémantique, la lexicologie, la phonétique, etc., mais on ne trouve rien pour l’écriture.

21Cela n’a pas empêché les avancées de la recherche linguistique sur le chinois et le développement d’œuvres éminentes comme celles de M.A.K. Halliday et Bernhard Karlgren. Mais leurs travaux ne répondent pas complètement aux trois questions posées par Humboldt sur le caractère monosyllabique du chinois, sur son caractère primitif, et sur l’influence de l’écriture sur le langage [10].

22Aujourd’hui, ces trois questions sont sans doute caduques [11]. Par contre, elles révèlent une disposition linguistique permettant d’exprimer l’incertitude. Celle-ci trouverait donc son origine dans l’opacité même de la langue chinoise, qui ne s’éclaircirait que par une « construction progressive », une conception qui se distingue de celle de François Jullien, présupposant plutôt que la structure de la pensée chinoise porte a priori une altérité par rapport à l’Occident [12].

23Ce que nous appelons la « construction progressive » apparaît d’abord au niveau de l’écriture du caractère. Chaque caractère se compose de traits, l’apprentissage de l’écriture consistant justement à bien mémoriser tous les traits, et à maintenir l’équilibre entre eux. Il faut donc estimer la position de chaque trait écrit en pensant aux autres pour les constituer en un tout. En termes de Gestaltpsychologie : il y a une tendance vers une forme harmonieuse du caractère. Sauf que la perception de sa forme parfaite ne dépend pas du métasystème psychologique, mais plutôt de l’exercice répété d’écriture. Celui-ci est un engagement existentiel. D’une part, à l’issue de l’apprentissage, on s’installe mentalement et physiquement dans une tendance stable à bien intégrer l’ensemble de ces traits, une intégralité qui guide et renforce rétrospectivement l’écriture. D’autre part, pendant le processus de l’écriture, ce qui s’engage représente aussi la compréhension de la vie liée au Tao [13].

24La calligraphie et la peinture traditionnelle, surtout la calligraphie en style cursif (image 1) et la peinture des lettrés (image 2), sont des exemples achevés de cette intégralité. Dans l’image 1, elle ne se limite pas à la seule représentation du caractère. Elle entre dans tous les caractères exposés, et dans tous les éléments concernés, dont la valeur de l’encre, la force et la tendance du trait. Une harmonie esthétique est ainsi créée ; c’est elle qui, rétrospectivement, garantit la valeur des éléments intégrés. Dans le cas de l’image 2, c’est plus subtil, car le lettré chinois ne sépare jamais trois éléments : l’objet peint, l’empreinte du sceau et les phrases calligraphiées. Dans cette image, ces trois éléments fonctionnent ensemble, exprimant ainsi la lourdeur de la terre, de l’air et la hauteur du ciel. L’image 3 est un exemple large : le peintre rompt les lois de la perspective en juxtaposant ce qu’il veut représenter. Dans un contexte occidental, cela s’approcherait de la perspective cavalière, mais dans la peinture traditionnelle le multi-point de la perspective n’est ni déterminé ni déterminable : le nombre de points de perspective dépend du dessin du peintre, et son dessin dépend de sa compréhension du sujet, à savoir la nature. Il désigne quelles sont les dimensions révélées, et quelles sont celles cachées par des éléments comme la montagne, l’eau et les arbres. Tout cela révèle une grande incertitude [14].

Image 1
Image 1
Image 2
Image 2
Image 3
Image 3

25Nous pouvons examiner l’intégralité à un niveau plus général. Dans l’exemple suivant, nous reprenons la première et la deuxième question de Humboldt, à savoir le caractère monosyllabique du chinois et son caractère primitif. L’image 4 [15] est un tableau. De gauche à droite, il illustre le développement historique de huit caractères primitifs. Tout en gardant l’équilibre et l’harmonie du caractère à différents stades, on note une tendance à la régularisation : le caractère se fait plus carré, la position relative entre les traits est plus stable. En accumulant des expériences d’écriture, le chinois a proposé une manière de bien former ces caractères [16]. Cela correspond au principe universel de développement historique de l’écriture : la tendance à la simplification. La simplification a un double sens : une maîtrise plus facile de l’écriture du caractère, et une façon plus économique d’établir la perception de l’intégralité. De plus, le format carré permet d’estimer l’équilibre global, le caractère étant repéré par rapport aux quatre directions et à un point central [17].

Image 4
Image 4

26Quant au prétendu caractère monophonique du chinois, qui signifie que chaque caractère correspond à une seule syllabe associée à un ton précis, et qu’un seul caractère peut désigner un mot, il pose deux problèmes. D’une part, il est difficile de mémoriser plusieurs caractères correspondant à une même prononciation ; d’autre part, il est difficile de constituer un groupe sémantique par association de mots, chaque mot étant susceptible d’être une unité autonome et isolée des autres. Aussi, comparé à une langue flexionnelle, le chinois étant une « langue isolante », on attribue son manque de logique à l’absence de catégories et de fonctions des mots. C’est ce que suggère Jacques Gernet, qui pense que les catégories du nom, de l’adjectif, de l’adverbe, etc., n’existent que de façon indirecte et arbitraire, en référence aux langues les possédant, notamment celles issues de l’indo-européen. De même pour l’absence de relation grammaticale articulant nécessairement et de façon univoque le sujet, le verbe et le complément [18].

27Ces deux difficultés présupposent une scission entre la phonétique et l’écriture chinoises, bien que le caractère soit lui-même une note phonétique [19]. Le caractère, surtout dans le chinois classique, est une unité à la fois phonétique, sémantique et morphologique.

28Si l’on change l’angle de la recherche, ces deux difficultés disparaissent.

29La complexité apparente de l’écriture est suffisante pour garantir la distinction fonctionnelle des caractères les uns des autres. Il n’est donc pas nécessaire de faire correspondre le polysyllabe au caractère. De plus, les radicaux des caractères peuvent souvent indiquer les phonétiques. À cet égard, le chinois correspond au principe de simplification. C’est pourquoi Bernhard Karlgren considère que le chinois « simplifie le compliqué ». D’ailleurs, surtout dans le chinois classique, le fait que la phonétique soit plutôt une partie constitutive du caractère rend évidemment difficile la latinisation [20].

30Quant au problème de la contribution d’un groupe sémantique et de l’unité de sens, il est vrai qu’il n’y a pas de catégories grammaticales dans la tradition chinoise. En général, la catégorie de la substance (ousia) est supérieure aux autres, et la phrase la plus simple comprend un sujet (groupe nominal) suivi d’un prédicat (groupe verbal), alors que la phrase simple en chinois se compose plutôt d’un sujet thématique et d’une explication correspondante [21]. Ce que résume Chao Yuen Ren (1892-1982). Au lieu de développer en théorie la paire des opérateurs, il énumère des cas différents : un thème et un développement, une question et une réponse [22]. Comment saisir le sujet thématique d’une phrase [23] ? La lecture en chinois consiste à bien ponctuer les écrits lus, c’est-à-dire à séparer les unités de sens. Ce qui résulte d’un exercice répété. Là encore, nous rencontrons une construction progressive pour percevoir l’intégralité, cette fois au niveau de la lecture.

31Le plus haut degré de la lecture est nommé huiwen (??). En français, il n’y a pas d’équivalent. On pourrait vaguement comparer cela au palindrome, mais ce dernier ne comprend que deux sens pour une même phrase, par exemple, « à l’étape » et « épate-la ». En chinois, c’est beaucoup plus complexe. Ainsi, cet exemple composé par cinq caractères : ?/?/?/?/?, souvent écrits, sous forme de cycle, sur le couvercle des théières. Nous avons donc : a)1?2?3?4?5?(le cœur peut être calmé) ; b)5?1?2?3 ?4?(calmer le cœur est aussi possible) ; c)4?5?1?2?3?(pour calmer le cœur, c’est aussi bien) ; d)3?4?5?1?2?([cela] peut servir à calmer le cœur) ; e)2?3?4?5?1? ([cela] peut aussi servir à calmer le cœur). « Grammaticalement », les cinq phrases sont toutes possibles et ont toutes le même sens.

32Nous voyons qu’il y a des catégories grammaticales ou lexicales dans la langue chinoise comme dans les langues indo-européennes. La tournure, l’ordre des mots ne changent pas le sens de la phrase. Le sujet thématique, le « cœur calmé », et l’explication correspondante, dans l’exemple précédent, sont relativement fixés. Dans ce sens, le linguiste a raison de postuler l’universalité des principes linguistiques. C’est pourquoi la réforme moderne de cette langue et de sa grammaire, reconstruites en référence à la langue flexionnelle, est possible.

33Par contre, il n’y a pas de hiérarchie stable dans les catégories logiques. Le chinois n’établit ni la relation à l’unité (comme pros hen chez Aristote, une relation entre des catégories dont les autres dépendent de celle de l’ousia) ni la relation de l’unité (comme l’ephexes chez Aristote, une relation interne à une catégorie) [24]. Autrement dit, les positions des catégories logiques sont égales. Comme l’observe Jean Gernet à propos de la fameuse proposition du sophiste chinois Gongsun Long (???, 325-250 av. J.-C.), « Le cheval blanc n’est pas le cheval », entre « le cheval » et « le blanc », il n’y a pas de relation de dépendance. Selon Gongsun Long, cette égalité des catégories logiques se manifeste dans l’argument suivant : « avant la combinaison avec le blanc, le cheval est déjà le cheval au sens complet (comme le signifiant d’un animal). Et, avant la combinaison avec le cheval, le blanc est déjà le blanc au sens complet (comme le signifiant d’une couleur) ». Les deux sens sont toujours possibles, et la logique ne se développe pas de façon linéaire – jusqu’au moment où le lecteur sélectionne l’un des sens ou garde leur multiplicité [25]. En effet, si une phrase peut exprimer en même temps deux sens contradictoires, pour le chinois, on n’est pas obligé d’exclure l’un des deux. Et cela ne se retrouve pas seulement dans le domaine de la rhétorique, comme dans le cas de l’oxymore, mais aussi dans le domaine épistémologique [26]. Car une intégralité ou une globalité d’un ensemble supérieur devrait même comprendre des sens contradictoires. Aucun élément ne se heurte à l’intérieur de l’ensemble auquel il appartient. C’est là que s’enracine l’incertitude interne de la langue chinoise.

Le sens positif de la conception de l’incertitude dans la tradition de l’exégèse chinoise

34Si le modèle de l’écriture se trouve dans la calligraphie, ceux de la lecture, de l’écrit et de l’expression se trouvent dans le plus ancien recueil connu de poèmes chinois, Le Canon des poèmes (Shi Jing, ??). Cette anthologie, qui rassemble des textes du xie au ve siècle avant J.-C., est une référence obligée aux classiques dans les discussions de lettrés. Comme le dit Confucius instruisant son fils : « Si tu n’étudies pas Le Canon des poèmes, tu n’auras pas de manière de t’exprimer proprement » (Lunyu 16.3). Dans la société chinoise, cette étude joue le même rôle que celle de la rhétorique dans la société grecque ancienne. Mais, aux yeux de la plupart des sinologues, son style le plus subtil, Xing (?), est considéré comme un label de l’incertitude de la pensée chinoise.

35La figure rhétorique du Xing (en français, l’« allégorie », l’« incitation », la « métaphore », etc.) n’a pas d’équivalent exact dans la tradition occidentale. Il n’y a même pas accord au sein de la tradition chinoise elle-même. Les sinologues anglo-saxons proposent plusieurs traductions de ce terme : stir ou affective image (Stephen Owen), uplifting (P.A. Boodberg). On la confond probablement avec la métaphore dans le contexte moderne, alors que Liu Xie (??, 465-521) distinguait clairement l’un de l’autre dans son Wen xin diao long[27], et considérait que le style du Xing est plus élevé et plus important. Cette idée domine la tradition de l’exégèse du Canon des poèmes.

36Stephen Owen propose aussi le terme approximatif de « corrélat objectif » – objective correlative, selon la terminologie de T.S. Eliot [28] – afin de décrire le rapport indirect et voilé entre cette figure rhétorique et l’affection qu’elle évoque, et de le distinguer de celui, plus direct et plus clair, à l’œuvre dans la métaphore [29]. Mais il l’interprète au niveau rhétorique, et se focalise seulement sur l’effet de passion (pathos). Ce qui importe chez lui, c’est que la spécificité de la rhétorique chinoise représentée par Xing est considérée comme la saisie de la totalité de l’état psychologique. Il n’est pas le seul à penser ainsi. François Jullien, en se référant à l’interprétation de Zhong Rong (??, 468-518), qui introduisait l’idée de l’obscurité (?) dans cette figure rhétorique, admet que « Xing, c’est la manière par laquelle le mot laisse s’étendre l’intention ». Il considère donc qu’elle dépasse sa fonction d’introduction au sujet thématique, ce qui signifie qu’elle dépasse la limite des mots, et qu’une disposition subjective détermine la manière d’accéder à la totalité en tant que vérité du sens. Selon Jullien, s’il y a une possibilité d’accéder au champ de la vérité, c’est bien par le détour du Xing.

37Nous sommes partiellement d’accord avec ces deux chercheurs qui soulignent la fonction indicielle du Xing liée au statut spécial de la totalité. Mais, d’une part, la perception de cette totalité ne se limite pas au niveau de la sensibilité ou à l’état psychologique : en effet, elle implique un domaine supérieur ; d’autre part, s’il est vrai que c’est ce prétendu détour qui se manifeste dans une obscurité et que l’intention étendue dépasse la limite des mots définis, la cause ou l’origine de cette obscurité doit être attribuée à l’incertitude de la totalité elle-même. La subjectivité ou le rôle du lecteur individuel ne sont donc pas aussi importants.

38Prenons les deux explications du Xing de Liu Xie et de Zhong Rong [30] :

39

Examinons l’allégorie que Xing porte, elle paraît à la fois subtile et explicite. Le manifestant est sans doute non significatif, or le manifesté est profond [31]. Par exemple, dans le poème « Guanju [32] », la figure des balbuzards pêcheurs manifeste la distinction morale entre les deux sexes, un biais pour parler de la vertu de la reine. Dans le poème « Quechao [33] », la figure du ramier manifeste l’alliance fidèle, un biais faisant référence à l’image des époux royaux. Ne rejetez pas la figure de cet oiseau, puisque ce qui est manifesté est la fidélité chez l’être humain. Ne rejetez pas l’image qu’il soulève, puisque ce qui importe est la vertu de la distinction morale. Cela semble le rayon lumineux de l’aurore qui n’est pas complètement brillant. Il y a donc une ambiguïté qui attendra les commentaires pour la clarifier.
(Liu Xie.)

40

Xing, c’est la manière par laquelle le mot laisse s’étendre l’intention.
(Zhong Rong.)

41Dans la première explication, si on se focalise sur le rapport entre le manifestant et le manifesté, et si, comme le fait François Jullien, on y voit une métaphore au sens occidental, ce rapport pourrait être considéré comme une disposition rhétorique. Il n’y aurait pas d’articulations nécessaires entre le manifestant, où se trouve l’image opératoire, et le manifesté, où se trouve l’intention contextuelle. Ainsi risquerait-on de conclure que ce rapport est arbitraire, et qu’il entraîne l’incertitude de la pensée chinoise.

42Reprenons donc l’analyse : le manifestant semble non significatif et le manifesté est profond. Apparemment, ils sont donc opposés. Pour les articuler, il faut un terme moyen commun aux deux. C’est l’intention contextuelle qui consiste à indiquer la vertu : « Ne rejetez pas la figure de cet oiseau, puisque ce qui est manifesté est la fidélité chez l’être humain. Ne rejetez pas l’image qu’il soulève, puisque ce qui importe est la vertu de la distinction morale. » Ce passage montre bien que la vertu indiquée est cardinale et qu’elle s’étend au-delà de l’être humain. C’est ce principe qui fonde l’articulation entre les deux facteurs du Xing. On anticipe donc une valeur intrinsèque.

43Renforçant ce point de vue, Liu Xie explicite que « le manifesté est fluide ». Par contre, le manifesté du Xing est non seulement profond, mais aussi précisément orienté. Il n’est rien d’autre que la valeur de vertu partagée par les oiseaux, êtres inférieurs, et l’homme, être supérieur. Autrement dit, tant que l’on trouve la présence de la vertu, on peut établir l’association. C’est pourquoi Liu Xie insiste sur l’importance du commentaire, qui permet de comprendre correctement la profondeur et l’ampleur du manifesté, à savoir celles de la valeur de vertu.

44De plus, cette vertu ne se limite pas au sens moral, et la participation à cette vertu est susceptible de s’étendre à tous les êtres naturels – par exemple, la fleur de pêcher dans « Taoyao » (??) – et sur une action – par exemple, la cueillette dans « Guanju » (??). Ce que Xing évoque dans la conscience du lecteur, c’est plutôt la représentation associée à cette valeur. Une totalité des éléments associés est donc dynamiquement établie ; d’une part, par l’entrelacement de l’intention contextuelle, d’autre part, par l’écho du lecteur. Certes, cette totalité est au-delà de l’ensemble des images données par les mots poétiques.

45Ainsi, nous pouvons comprendre pourquoi et comment la limite du mot n’empêche pas l’extension de l’intention par la figure du Xing, ce qu’explicite Zhong Rong lorsqu’il dit : « Xing, c’est la manière par laquelle le mot laisse s’étendre l’intention. » Puisque la totalité est dynamiquement formée autour de la représentation de la vertu, elle contient une incertitude qui garantit une double extension. Subjectivement, l’émotion du lecteur est mobilisée par l’image concrète et dirigée par l’appréhension de la vertu (avec l’aide du commentaire). L’intention contextuelle d’un canon confucéen indique sans cesse la vertu.

46Cela ne concerne pas l’idéologie traditionnelle, mais plutôt une modalité de la saisie du monde. Car, au sens non moral, la vertu, en tant que fondement de l’association des images, prend sa racine dans l’origine cosmologique. À l’intérieur de l’école confucéenne, beaucoup d’occurrences expliquent ce point de vue. Un exemple fameux est celui donné par Zhang Zai :

47

Qian [l’hexagramme du ciel] est nommé le père. Or Kun [l’hexagramme de la terre] est nommé la mère […]. Ce qui remplit entre le ciel et la terre, c’est mon corps. Ce qui dirige le ciel et la terre, c’est ma nature. Les peuples, ce sont mes germains. Les choses naturelles, ce sont mes compagnons [ou nous sommes le même genre d’êtres]. […] Ce qui unifie les vertus est saint. Ce qui représente l’excellence est sage.

48Un tel commentaire illustre parfaitement qu’il y a une structure coexistentielle entre tous les êtres, et que les vertus s’y déploient.

49La différence entre le domaine de l’être humain et celui des autres êtres réside dans le fait que le premier est un champ relativement central et stable permettant de suivre et de développer le Tao. Si le Tao change sans cesse, pour le suivre l’être humain ne doit pas empêcher ce changement. S’il y a une incertitude dans les deux principes fondamentaux (Yin-Yang) du Tao, pour le développer l’être humain doit disposer d’une propriété correspondante. En ce sens, l’incertitude devient positive pour l’être humain.

50Pour suivre et développer le Tao, Confucius lui-même précise quatre points : « Le Maître désapprouvait quatre choses : l’opinion personnelle, l’affirmation catégorique, l’opiniâtreté et l’égoïsme » (Lunyu 9.4).

51Selon le commentaire traditionnel, en effet :

  • Au sens propre, le Tao est la mesure juste selon laquelle le comportement et la pensée ne sont pas arbitraires. Si l’on suit le Tao, on s’éloigne de l’opinion personnelle.
  • Le Tao comprend des sens contraires. Si l’on met l’un en fonction, on met l’autre en réserve. Les deux ne sont jamais complètement séparés. Donc il n’y a pas nécessité de considérer l’un ou l’autre seul, et il faut éviter toute affirmation catégorique.
  • Quant au comportement, il n’y a pas non plus d’action nécessaire. Le Tao englobe tous les mouvements et toutes les actions possibles. En le suivant, le Maître ne refuse, a priori, aucune action possible.
  • En suivant le Tao, le Maître raconte l’héritage de l’Antiquité, au lieu d’inventer par lui-même, et s’identifie avec les excellents, au lieu de faire ressortir sa personnalité. Ainsi évite-t-il l’égocentrisme (épistémologiquement ou métaphysiquement, on évite le solipsisme) [34].

52Ces quatre aspects manifestent le sens positif de l’incertitude chez l’être humain qui suit et développe le Tao. L’idée principale consiste justement à dépasser les deux sens contraires, à la façon dont le Tao comprend Yin-Yang. Les structures dichotomiques (le sujet/l’objet, l’intrinsèque/l’extrinsèque, la transcendance/l’immanence, etc.) sont donc considérées comme secondaires. Ce qui vaut pour les fondements de la nature de l’être humain vaut également pour l’être en général. Ce qu’exprime explicitement Cheng Hao (??, 1032-1085) [35].

53Cet auteur donne d’abord une conception fondamentale du Ding (?), c’est-à-dire de l’état achevé de l’être humain :

54

Ce qui est Ding, c’est ce qui vaut également pour le mobile et pour l’immobile ; sans aller/retour, sans intérieur/extérieur […]. Si l’on admet qu’il y a une dyade fondamentale comme intérieur/extérieur, il n’y a pas lieu de mettre en place le Ding.

55Le Ding, qui signifie « fixité », « détermination », implique une conception de la certitude. Mais son déploiement accepte la compatibilité des contraires, ce qui entraîne une grande incertitude. Évidemment, la poursuite de la globalité est privilégiée par rapport au respect du principe de non-contradiction. L’auteur est conscient que, au sens supérieur, le contraire fondamental de la certitude absolue, ou l’immobilité absolue (Ding), est une limite. Il convient dès lors de lever cette difficulté. Cheng Hao propose une méthode, qu’il n’a pas inventée puisqu’elle a sans doute été formée par absorption de la dialectique bouddhique (ou taoïste), historiquement nommée Shuang qian shuang fei ????. Le sens basique de ce terme est de nier en même temps les deux contraires et cette méthode renforce donc le dépassement du principe de non-contradiction. Dans ce contexte, Cheng Hao juxtapose les explications de la régularité du domaine cosmologique et de celui des choses humaines dans une même formule :

56

La régularité du ciel et de la terre, qui est sans-cœur, consiste à être présente dans tous les êtres par le cœur. La régularité du saint, qui est sans-affection, consiste à s’harmoniser avec tous les êtres par l’affection.

57La régularité se trouve donc toujours dans l’incertitude, ici entre le-sans-cœur et l’avoir-cœur, entre le sans-affection et l’avoir-affection. En outre, la globalité des êtres ne se forme pas strictement selon un premier principe certain, elle se fonde plutôt sur l’existence et la fonction des êtres supérieurs. Pour l’être en général, l’être supérieur est le ciel-et-la-terre en tant que le-sans-cœur, et sa fonction consiste à rendre réguliers les êtres en changement. Pour l’être humain, l’être supérieur est l’homme vertueux en tant que sans-affection, et sa fonction consiste à harmoniser la coexistence des êtres. Deux cycles dynamiques sont ainsi fondés sans cesse : le cycle avec les pôles du ciel et de la terre et le cycle autour de l’être humain. Dans les deux cas, la fluidité réelle en cycle est mise en position autant privilégiée que la globalité de tous les êtres. Par conséquent, pour maintenir la fluidité de la circulation dont le sens n’est pas linéaire, il faut garder la dimension d’incertitude du déploiement du Ding [36]. Cela correspond à ce que nous mentionnons au début de notre article : au sens fondamental, le Tao (ou le Tao du ciel, qui se pose au même niveau que le Ding) a un aspect incertain. Cet aspect est ainsi caractérisé comme « divin ».

Conclusion

58Ainsi, évitant de tomber d’emblée dans les concepts contraires certitude et incertitude établis par le paradigme moderne, nous avons vu que, au moins au niveau de la langue, de l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, la construction de la perception de l’intégralité nous dirige vers un tout indéterminable. Et que, en outre, cette construction étant à la fois existentielle et structurelle, se manifeste, là, de l’incertitude. Nous avons aussi noté que ce ne sont pas les catégories grammaticales qui causent l’obscurité de l’expression chinoise ; ce sont plutôt des catégories logiques qui se distinguent de celles de la tradition occidentale, inaugurée par Aristote.

59Passant de l’analyse de la langue à celle de l’exégèse traditionnelle, nous avons vu que l’incertitude, jouant un rôle positif qui conditionne la fonction indicielle de l’expression visant la vertu, n’est plus un obstacle à la connaissance.

60Mais là n’est pas le sens fondamental de la conception de l’incertitude. En effet, loin d’être une idéologie, elle concerne davantage une modalité de la saisie du monde selon une forme isomorphe entre le domaine cosmologique et celui des choses humaines. Deux dimensions y sont privilégiées : la globalité qui comprend même les sens contraires du déploiement du Tao, et la fluidité réelle de la circulation des êtres en changement. La conception de l’incertitude sert à dépasser le principe de non-contradiction, et, ainsi, à garantir la position supérieure du Tao.


Date de mise en ligne : 21/11/2014

https://doi.org/10.3917/commu.095.0223

Notes

  • [1]
    En général, on considère que le courant principal est représenté par le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, d’autres écoles de pensée n’ayant pas eu autant d’influence historique – ainsi, l’école légiste. Pour les détails sur ces écoles, voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997. Si l’on se focalise sur les penseurs représentatifs, la plupart d’entre eux sont des lettrés confucéens, sans doute influencés par d’autres sources de pensée. Mais la continuité de la tradition confucéenne étant plus accessible, elle nous permet d’observer amplement les changements historiques et de tracer l’idée d’incertitude à l’intérieur d’une tradition. Donc, dans cet article, la plupart des documents que nous analyserons seront confucéens.
  • [2]
    Aristote, Éthique à Nicomaque, traduction de Richard Bodéüs, Paris, Garnier-Flammarion, 2004.
  • [3]
    Dans cet article, nous nous bornons à une vue philosophique pour pénétrer les notions fondamentales de la pensée chinoise en rapport avec la conception de l’incertitude. Ce qui donc nous intéresse, c’est la conception de l’incertitude placée au niveau des principes.
  • [4]
    Matteo Ricci, Histoire de l’expédition chrestienne au royaume de la Chine, rédigée par Nicolas Trigault à l’aide des papiers laissés par Matteo Ricci, en latin, traduction en français imprimée à Lyon en 1616 (Bibliothèque de Lausanne), rééditée dès 1617 (Université de Tours) ; édition moderne de Joseph Shih, Georges Bessière, Joseph Dehergne, Paris, Desclée de Brouwer, 1978.
  • [5]
    Pendant la dynastie Song du Nord, la plupart des livres canoniques ont été édités sous forme xylographique, celle-ci déterminant la version transmise jusqu’à aujourd’hui.
  • [6]
    Voir le cas d’Arcade Huang (???, 1679-1716), qui élabore avec Nicolas Fréret le premier lexique et la première grammaire du chinois ; voir aussi Mashi Wentong, écrit par Ma Jianzhong (???, 1845-1900) en se référant à la grammaire latine.
  • [7]
    On utilise ici le terme « science » (épistème) au sens strict et étymologique, qu’il concerne une recherche au-delà de l’expérience ou au-delà de la technique. Pour les observations de l’extérieur, à part celle de Matteo Ricci mentionnée plus haut, il y a aussi celle de Hegel dans Leçons sur l’histoire de la philosophie (Paris, Vrin, 2004, t. 1, p. 163-169) ; d’ailleurs, Joseph Needham, dans sa question célèbre, considère que les sciences chinoises restent au niveau empirique et technique (voir Science and Civilization in China. Preface, Cambridge, Cambridge University Press, 1954).
  • [8]
    Voir l’exemple de la plus fameuse controverse, historiquement nommée « Controverse entre science et métaphysique » (????, 1923-1924). La défense de la valeur de la culture chinoise se fonde dès lors sur la division en trois paires de conceptions empruntées : la valeur/le fait, l’esprit/la matière et la conception de vie/la science ; le contexte des études traditionnelles en est totalement changé.
  • [9]
    Par exemple, Liang Qichao (???, 1873-1929), dans ses leçons sur la philosophie confucéenne (publiées sous le titre Rujia zhexue [????], Shanghai, Shanghai Renmin Chubanshe, 2009), dit que la valeur de la philosophie confucéenne se manifeste par l’ampleur et la profondeur de sa pensée sur la vie humaine, de sorte que l’on peut négliger sa faiblesse dans la logique et son ambiguïté dans la métaphysique.
  • [10]
    Jean Rousseau, Denis Thouard, Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise. Un débat philosophico-grammatical entre Wilhelm von Humboldt et Jean-Pierre Abel-Rémusat (1821-1831) avec une correspondance inédite de Humboldt (1824-1831) présentée par Jean Rousseau, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 1999, p. 256-257. À vrai dire, Humboldt ne répond pas non plus aux trois questions qu’il pose lui-même.
  • [11]
    Quand il utilise des termes comme « monosyllabisme » ou « primitif », cela ne signifie pas qu’il pense que le chinois est une langue monosyllabique au strict sens linguistique, et qu’il la considère comme une langue primitive attendant une forme parfaite.
  • [12]
    Cf. François Jullien, Le Détour et l’Accès. Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Paris, Grasset, 1995.
  • [13]
    Une idée traditionnelle chinoise qui considère l’écriture comme un art nécessaire pour le cultivé (ou plutôt le ???, le « lettré-fonctionnaire »).
  • [14]
    L’art traditionnel chinois paraît aussi incompréhensible aux Occidentaux qu’aux Chinois moins cultivés et moins éduqués. Autrement dit, son opacité est la même pour tous ceux qui n’établissent pas la perception de l’intégralité par une construction progressive.
  • [15]
    Pour une explication plus détaillée, voir Jerry Norman, Chinese, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
  • [16]
    Ce qui était défini par la typographie de la dynastie Song : pour chaque caractère on fabriquait un cachet (un type) de format carré, ce qui avait l’avantage d’aider beaucoup l’apprentissage de l’écriture.
  • [17]
    Ces cinq positions se constituent en une série qui correspond à Wu Xing (??). Ce dernier représente un modèle fondamental de la pensée chinoise. Huang Yushun (???) développe ce modèle en le comparant aux catégories aristotéliciennes dans son article « ????????? – ?<??.??>?<???.???>??? » (« A Comparison of Thinking Methods between China and West. An Analysis to Hongfan in Shangshu and Categories in Organon »), Journal of Southwest China Normal University (édition des sciences humaines), 2003, vol. 29, no 5, p. 1-8.
  • [18]
    Cf. Jacques Gernet, Chine et Christianisme. Action et réaction, Paris, Gallimard, 1982. Humboldt et Rémusat expriment presque la même idée dans leur correspondance : « La grammaire du chinois n’utilise pas de catégories spécifiques pour indiquer la liaison des mots et fixe d’une autre manière les rapports des éléments du langage dans l’enchaînement de la pensée, comme si elle était pure syntaxe sans morphologie » (Jean Rousseau, Denis Thouard, Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise, op. cit.).
  • [19]
    La phonétique comme objet séparé d’étude devrait dater de la période des Trois Royaumes.
  • [20]
    Sur ce point, voir aussi l’exemple typique donné par Chao Yuen Ren : Shishi Shi shi shi, ? ????(Histoire de Monsieur Shi) ; il utilise une seule syllabe : shi, avec les quatre tons différents, pour écrire une petite histoire.
  • [21]
    Cf. Christian Helmut Wenzel, « Isolation and Involvement. Wilhelm von Humboldt, François Jullien, and More », Philosophy East & West, vol. 60, no 4, 2010, p. 458-475. Dans cet article, l’auteur montre bien que le verbe n’est pas décisif pour la langue chinoise – à vrai dire, la structure du sujet et du prédicat n’est pas non plus fondamentale pour cette langue. Voir aussi une explication socio-historique de la langue chinoise dans la thèse de Guillaume du Tournier, Zhu Xi et Lu Jiuyuan. Description d’une relation lettrée dans la Chine des Song (second xiie siècle) : un essai d’anthropologie pragmatique (non encore publiée).
  • [22]
    Cette idée vient de Chao Yuen Ren, A Grammar of Spoken Chinese, Berkeley, University of California Press, 1968, p. 67-104.
  • [23]
    Le chinois ne dépend pas plus de la circonstance réelle ou empirique que la langue flexionnelle, lorsqu’il y a l’organisation interne dans cette langue qui déborde du cadre grammatical. Sur ce point de vue, nous ne sommes pas d’accord avec Wenzel (« Isolation and Involvement », art. cité, p. 462).
  • [24]
    Aristote, Catégories, traduction et notes de M. Crubellier, P. Pellegrin et al., Paris, Flammarion, coll. « GF », 2007.
  • [25]
    Anne Cheng remarque seulement que le texte génère une manière de lire, mais elle n’explique pas davantage le sens de la répétition de la lecture : « […] ce langage, loin de donner, comme on l’a souvent dit, dans le vague, tend au contraire à une précision croissante de la formulation, le texte qu’il produit se présente rarement sous la forme d’un fil logique, linéaire et autosuffisant au sens où il fournirait lui-même les clés de sa compréhension. Le plus souvent, le texte constitue au sens propre un tissu qui suppose chez le lecteur une familiarité avec des motifs récurrents. Alors qu’il donne l’impression de ressasser des énoncés traditionnels, à la manière d’une navette qui passe et repasse inlassablement sur la même chaîne, c’est au motif qui se dessine peu à peu qu’il faut être attentif, car c’est lui qui est porteur de sens » (Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 33).
  • [26]
    Le domaine épistémologique est étroitement lié à celui de l’étude de la nature (ou du Tao) ; nous le reprenons ci-après.
  • [27]
    Liu Xie, Literary Mind and the Carving of Dragons (version anglaise), traduction et note de Vincent Yu-chung Shih (???), New York, New York Columbia University Press, 1959, chap. xxxvi, « Metaphor and Allegory », p. 195-198.
  • [28]
    La définition du « corrélat objectif » qui est donnée par la bibliothèque de l’Université de Lille III est : « [notion qui] renvoie à une création littéraire qui serait à même de trouver l’équilibre parfait entre forme et sens, et capable d’inspirer chez le lecteur une émotion identique ».
  • [29]
    Cf. Stephen Owen, Readings in Chinese Literary Thought, Cambridge, MA, Council on East Asian Studies, Harvard University, 1992. Voir le premier chapitre et l’index.
  • [30]
    Nous choisissons ces deux explications parce qu’elles représentent deux courants de l’interprétation du Xing dans la tradition chinoise.
  • [31]
    En général, nous traduisons qu lei (??) tout seul par « prendre l’analogue » ou « faire la métaphore ». Cependant, selon le contexte, lorsqu’il est opposé à cheng ming (??), nous trouvons une analyse des moments différents de l’établissement du Xing. Par conséquent, nous proposons une traduction paradigmatique : le manifestant/le manifesté. Voir le passage plus bas, quand Liu Xie explique « ???? » (« qu lei est fluide ») à la manière de Bi, il veut dire plutôt le manifesté de Bi, ou l’intention de Bi.
  • [32]
    Le premier poème du Canon des poèmes est traditionnellement interprété comme l’éloge de la vertu des époux, plus précisément, celui de l’épouse du fondateur de la dynastie Zhou. Liu Xie réfère ici au premier épisode : « À l’unisson crient les mouettes dans la rivière sur les rocs ! La fille pure fait retraite, compagne assortie du Seigneur ! »
  • [33]
    « C’est la pie qui a fait un nid ; ce sont ramiers qui logent là ! Cette fille qui se marie, avec cent chars accueillez-la ! C’est la pie qui a fait un nid : ce sont ramiers qui gîtent là ! Cette fille qui se marie, avec cent chars escortez-la ! C’est la pie qui a fait un nid : ce sont ramiers plein ce nid-là ! Cette fille qui se marie, de cent chars d’honneur comblez-la ! »
  • [34]
    Confucius, Lunyu zhengyi (????), commentaires et notes de Liu Baonan (???), Pékin, Zhonghua Shuju, 1990, p. 326. Le commentaire que nous prenons dans l’article vient de He Yan (??), qui est influencé par la pensée taoïste.
  • [35]
    Le débat n’a pas de fin quant à la nature de ce texte : certains considèrent qu’elle sert à l’explication ontologique, d’autres pensent qu’elle concerne seulement la méthodologie de l’exercice de l’esprit. Nous n’entrerons pas dans cette discussion, nous contentant d’indiquer une forme isomorphe entre deux niveaux, une même fondation valant également pour les deux : l’être humain et l’être en général.
  • [36]
    Cela explique partiellement pourquoi la tradition chinoise ne s’intéresse pas à la science qui se focalise sur les spécificités des êtres et cherche la détermination de l’être en tant qu’être.

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