Notes
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[1]
Forum « Jusqu’où va la télé », 9 mars 2010. http://forums.france2.fr/france2/Jusqu-ou-va-la-tele/xtreme-zone-sujet_5_1.htm. Consulté le 6 mai 2010.
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[2]
Jürgen Habermas, 1987, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, [1981], vol. 1, p. 91.
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[3]
Documents liés à la programmation : dossier de presse illustré sur le double documentaire ; site « Jusqu’où va la télé ? » de France Télévisions. Corpus exhaustif des articles publiés par la presse télévisuelle et dans les suppléments télévision de la PQN avant la diffusion des documentaires (« prépapiers »). Corpus sélectif d’articles signés par des auteurs présentés par le titre comme détenteurs d’un savoir académique publiés entre le 25 février et le 29 mars dans la PQN, la presse magazine et la presse gratuite parisienne. Les entretiens filmés de membres du public analysés dans l’article de Camille Jutant et les interventions du forum ont servi à repérer les enjeux, sans faire l’objet d’une analyse systématique.
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[4]
Je ne souscris pas à l’extension du terme de « controverse », venu de la sociologie des sciences, aux situations médiatiques et politiques.
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[5]
Pour le détail de cette querelle, cf. Sokal, Alan et Bricmont, Jean, 1997, Impostures intellectuelles, Odile Jacob ; Jeanneret, Yves, 1998, L’affaire Sokal ou la querelle des impostures, PUF ; Jurdant, Baudouin (dir.), 1998, Impostures scientifiques : les malentendus de l’affaire Sokal, Alliage-La découverte.
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[6]
Sur cette querelle, cf. Yves Jeanneret et Valérie Patrin-Leclère, 2003, « Loft Story 1 ou la critique prise au piège de l’audience », Hermès, 37, pp. 143-154.
-
[7]
Forum de France Télévision.
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[8]
Pour un exposé plus complet de cette théorie, cf. Yves Jeanneret, 2008, « La cybernétique de l’imparfait, objets médiatisants et processus de communication », dans Penser la trivialité – 1 La vie triviale des êtres culturels, Hermès, pp. 135-179.
-
[9]
Yves Jeanneret, 1998, L’affaire Sokal ou la querelle des impostures, PUF, p. 11.
-
[10]
Le statut rhétorique de ces chiffres sera commenté ci-dessous. « Beauvois-Nick » désigne la double auctorialité revendiquée pour l’expérience.
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[11]
Le cas de Milgram est différent puisque lui, qui travaille après la Shoah, veut montrer que n’importe qui peut se soumettre à une autorité socialement instituée : l’autorité scientifique n’est pour lui qu’un exemple transposable.
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[12]
J’ai choisi de placer entre barres obliques le nom des auteurs lorsque leurs propos sont cités dans la presse, dans la mesure où ces propos ont pu être reformulés et s’éloigner de la pensée de l’auteur. Plusieurs auteurs qui interviennent dans la querelle disent, si l’on croit la presse, des énormités : Wolton paraît ne pas savoir que Milgram cherche à mettre hors jeu l’agressivité et le sadisme ; Jost paraît réduire la télévision au simple rôle de miroir du social ; Macé semble confondre fiction et feintise. Ce type de mésaventure m’est parfois arrivé. L’analyse des propos publiés des auteurs se rapporte donc à l’image représentée de leur compétence dans les médias ; elle ne concerne pas leur propre recherche.
-
[13]
Dominique Wolton, 2010, « L’homme est un loup pour l’homme ? On le savait déjà », Journal du dimanche, 14 mars, p. 2.
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[14]
Cf. sur ce point l’article de Camille Jutant dans ce dossier.
-
[15]
Christophe Nick avait notamment lu avant le tournage La soumission à l’autorité de Stanley Milgram, un article publié par Valérie Patrin-Leclère et moi paru dans Hermès, les essais de Bernard Stiegler sur l’hyperindustrialisation de la culture et Les illusions libérales de Jean-Léon Beauvois. Les conversations ont commencé par le commentaire de ces travaux. Un autre chercheur, qui devait intervenir sur les mêmes bases, s’est avéré indisponible in extremis parce qu’il a été mobilisé sur un autre terrain.
-
[16]
Les catégories ici utilisées proviennent de la théorie des genres littéraires réinterprétée par les études télévisuelles (Hamburger, Kate, 1986, La logique des genres littéraires, Seuil, [1977] ; François Jost, 1997, « La promesse des genres », Réseaux, 81, pp. 11-31).
-
[17]
On pense à l’analyse menée par Barthes de la « physionomie de l’abbé Pierre » (Barthes, Roland, 2002, Mythologies, in Œuvres complètes 1, Seuil [1957], pp. 711-713). Plus spécifiquement, le recours à une figure pour incarner une discipline associe au sein d’une scène médiatique un rapport de communication et une conception du savoir. La personnification de l’archéologie par Yves Coppens et l’ironie de Pierre-Gilles de Gennes n’engagent, ni la même relation avec le public, ni les mêmes valeurs (Anthippi Potolia, 2009, « Écran écrit, savoir : évolution des images discursives dans les cédéroms de vulgarisation scientifique », thèse de doctorat, sous la direction de Daniel Coste, Université Paris 3).
-
[18]
La presse générale et spécialisée vulgarise Milgram beaucoup plus aisément que les études télévisuelles.
-
[19]
Cf. sur ce point Jacqueline Chervin, 1997, « Est-ce que vous avez la bonne image sur votre écran ? », Hermès, 21, pp. 67-77.
-
[20]
Cf. sur ce point Olivier Aïm, 2004, « Une télévision sous surveillance : les enjeux du panoptisme dans les “dispositifs” de télé-réalité », Communication & langages, 141, pp. 49-59.
-
[21]
Igor Babou, 2004, Le cerveau vu par la télévision, PUF, pp. 159-164.
-
[22]
Éliseo Véron, 1983, « Il est là, je le vois, il me parle », Communications, 38, pp. 88-120.
-
[23]
Sur le site de France 2 et dans le dossier de presse, la liste des conseillers scientifiques de la première émission (à laquelle j’appartiens) est titrée « Psycho-sociologues ».
-
[24]
Selon Jean-Michel Berthelot, philosophe des sciences sociales, le modèle de la raison expérimentale domine les sciences anthroposociales, mais « seule la psychologie sociale, dans la droite ligne de la psychologie expérimentale dont elle procède, relève stricto sensu du modèle. En d’autres termes, si la constitution de leur dispositif de connaissance par les quatre disciplines se fait sous les auspices du seul modèle de scientificité légitime, celui des sciences de la nature, ce modèle peut être source de tensions, de résistances, voire de refus au nom de la spécificité du domaine étudié », (Berthelot, Jean-Michel, 2001, « Les sciences du social», dans Épistémologie des sciences sociales, PUF, p. 218. Les quatre disciplines types étudiées par Berthelot sont la démographie, l’ethnologie, la psychologie sociale et la sociologie.
-
[25]
Ces variantes et leurs justifications sont détaillées dans Christophe Nick et Michel Eltchaninoff, 2010, L’expérience extrême, Don Quichotte, Paris.
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[26]
Cet écart s’est manifesté dans les échanges que j’ai eus avec Christophe Nick, pendant le tournage puis pendant le montage (alors que j’étais interviewé pour le second film) sur la façon d’évaluer le rôle, essentiel ou marginal, joué par le public. En effet, le protocole mis en place avec les psychologues sociaux affectait l’une des injonctions, la cinquième, à un « appel au public ». Le faible poids de cette injonction sur les comportements suggérait d’exclure un rôle majeur du public ; en revanche, dans une perspective communicationnelle, il n’est pas nécessaire que le public soit explicitement mentionné pour qu’il soit déterminant.
-
[27]
Je souhaite ici me distancier des discours qui stigmatisent les activités de médiation et de médiatisation large des savoirs en supposant une scène où un discours pur de recherche pourrait être diffusé. Cette approche cynique, qui consiste à mesurer toujours la déception par rapport à un tel idéal, me semble improductive. Toute la difficulté de la communication médiatique consiste dans la nécessité de captation que lui impose son cadre même. C’est pourquoi je ne suppose nullement que les contradictions et difficultés décrites dans cet article auraient pu être évitées.
-
[28]
Pour les facteurs liés à la diffusion, à la programmation et aux politiques de la chaîne, non étudiées ici, cf. l’article de Valérie Patrin-Leclère dans le même dossier.
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[29]
Pour mesurer la force de cette réécriture, il n’est que de la comparer à ce qui figure dans le dossier de presse, distribué à tous les acteurs concernés (journalistes et intellectuels), sous la plume de Patricia Boutinard-Rouelle, directrice de l’unité de programme à France 2, écrit : « Ce documentaire a […] pour but de créer un véritable électrochoc (si je puis dire) et un vrai débat parmi ceux qui pensent et agissent sur la télévision. En mettant l’accent sur les dérives des chaînes commerciales (pour l’essentiel étrangères), cette soirée événementielle pose aussi la question de la place et de la responsabilité culturelle et sociale des chaînes de service public comme contrepouvoir face à la mercantilisation croissante de la télévision ». Ce discours n’est repris, ni par le présentateur de la soirée (Christophe Hondelatte), ni dans les dossiers de la presse, ni dans les propos des chercheurs invités à la présentation anticipée des documentaires.
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[30]
« Pousse au crime », Télé Z, 8 mars 2010.
-
[31]
Il existe en réalité de nombreuses autres différences, notamment liées à la façon de formuler les différentes « injonctions » faites aux candidats, par le scientifique dans l’expérience de Milgram et par l’animatrice dans Le Jeu de la mort. Elles sont commentées L’expérience extrême, op. cit.
-
[32]
Selon la formule qui définit selon Jakobson la fonction poétique, le documentaire projette l’axe paradigmatique (série des candidats) sur l’axe syntagmatique (déroulement du jeu). « La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison » (« Linguistique et poétique », dans : Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit, [1960], p. 220).
-
[33]
Christophe Nick a procédé à un montage de ces extraits qu’il avait l’intention d’inclure dans le documentaire Le Jeu de la mort ; mais il a renoncé à les intégrer au film parce que, selon lui, la tension dramatique à laquelle menait le discours des candidats excluait l’introduction d’un degré de complexité nouveau dans l’explication à la quatre-vingtième minute du film (entretien après la diffusion).
-
[34]
Cf. sur ce point Christian Metz, 1991, L’énonciation impersonnelle ou le site du film, Klincksieck.
-
[35]
On trouve les mêmes rappels dans les textes de chercheurs non publiés dans la presse mais collectés sur le site internet du laboratoire Communication et politique du CNRS (http://www.lcp.cnrs.fr/html/05-tribune.html).
-
[36]
« La télévision, une arme idéologique ? », table ronde entre Éric Macé et Christophe Nick, L’Humanité, 27 mars 2010.
-
[37]
« Jusqu’où peut aller la téléréalité ? », Le figaro, 15 mars 2010, p. 22.
-
[38]
Cf. sur ce point Le Marec, Joelle, 2002, « Ce que le “terrain” fait aux concepts : vers une théorie des composites », Mémoire pour l’Habilitation à diriger les recherches, Université de Paris 7.
-
[39]
Cf. sur ce point l’article de Camille Jutant dans ce dossier.
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[40]
D’après Christophe Nick, une grande partie des commentaires donnés par la voix over du Jeu de la mort proviennent d’échanges tenus au fil du tournage et du montage au sein de l’équipe de production (entretien postérieur à la diffusion).
-
[41]
Marinoni, Fabrice, 2010, « Le Jeu de la mort : les coulisses du programme de France 2 », Sonovition broadcast, 1er avril.
-
[42]
Cf. sur ce point Berthelot, Jean-Michel (dir.), 2003, Figures du texte scientifique, PUF et Jeanneret, Yves (dir.), 2010, Édition et publication scientifiques en sciences humaines et sociales : formes et enjeux, actes du colloque international (17 au 19 mars), Université d’Avignon et des pays de Vaucluse.
-
[43]
Régis Debray, 1979, Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay.
-
[44]
Jean-Léon Beauvois, 1994, Traité de la servitude libérale : analyse de la soumission, Dunod.
-
[45]
Bernard Stiegler, 1994, La technique et le temps – vol. 1 La faute d’Épiméthée, Galilée.
-
[46]
Alice Krieg-Planque, 2009, La notion de « formule » en analyse du discours, Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon.
-
[47]
Marc Lits, 2008, Du récit au récit médiatique, Bruxelles, De Boeck.
-
[48]
Le texte provient probablement de la chaîne.
-
[49]
Nathalie Jacquet, 2010, « Un pavé dans le petit écran », Télé TNT, 8 mars, p. 41.
-
[50]
Le Havre libre, 17 mars 2010.
-
[51]
L’Est-Éclair, 17 mars 2010.
-
[52]
« Pousse au crime ? », Télé Z, 8 mars 2010, p. 124.
-
[53]
Baudouin Jurdant, 2009, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, Archives contemporaines, Paris, [1973], pp. 68-78.
-
[54]
Il s’agit d’un processus que j’ai analysé avec Emmanuël Souchier à propos de la temporalité et des ressources médiatiques d’une élection présidentielle (Yves Jeanneret, Emmanuël Souchier, 1997, « Légitimité, liberté, providence : la reconnaissance du politique dans les médias », Recherches en communication, 6, pp. 145 à 166).
-
[55]
Télé-Obs, 11 mars 2010, p. 42.
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[56]
10 mars 2010. Titre de couverture.
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[57]
Bernard Delforce et Jacques Noyer, (dir.), 1999, « La médiatisation des problèmes publics », Études de communication, 22.
-
[58]
France-Soir, 17 mars 2010.
-
[59]
Télérama, 10 mars 2010.
-
[60]
Journal du dimanche, 14 mars.
-
[61]
France-Soir, 18 mars 2010. On notera que l’abréviation « télé », déjà présente dans le titre du programme, est un signe de généralisation et d’essentialisation du média, par rapport au terme « télévision ».
-
[62]
Jacquet, Nathalie 2010, « Un pavé dans le petit écran ! », Télé TNT, 8 mars et Télé Cable satellite, 8 mars.
-
[63]
Ici encore, rien ne prouve que les chercheurs et les experts convoqués aient souhaité mettre l’accent sur cette formule, ni d’ailleurs qu’ils l’aient explicitement prononcée. Il s’agit bien de leur parole représentée et alléguée dans les médias.
-
[64]
Emmanuël Souchier, 1998, « L’image du texte : pour une théorie de l’énonciation éditoriale », Cahiers de médiologie, 6, pp. 137-145.
-
[65]
Loïc Torino-Gilles, 2010, « Faut-il avoir peur du Jeu de la mort ? », France-soir, 17 mars, pp. 31-32.
-
[66]
Aurélie Tavernier, 2004, « Mais d’où qu’ils parlent ? : l’enjeu du titre à parler dans la presse comme lien entre le social et le discursif », Études de communication, 27, pp. 159-176.
-
[67]
Annette Béguin-Verbrugge, 2006, Images en texte, images du texte : dispositifs graphiques et communication écrite, Presses du Septentrion.
-
[68]
Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, 1983, La Folle du logis : la télévision dans les sociétés démocratiques, Gallimard.
-
[69]
Dominique Wolton, 1990, Éloge du grand public : une théorie critique de la télévision, Flammarion.
-
[70]
Dominique Wolton, 2010, « L’homme est un loup pour l’homme ? On le savait déjà », Le journal du dimanche, 14 mars, p. 2.
-
[71]
Céline Ségur, 2009, Les recherches sur les téléspectateurs : trajectoires académiques, Hermès.
1Sur le forum de France Télévisions « Jusqu’où va la télé ? », l’auteur des documentaires, Christophe Nick – qui ne ménage pas sa peine pour dialoguer – interpelle l’un des contributeurs : « Vous dites qu’il est démontré depuis longtemps “que les hommes peuvent obéir et tuer”. Vous et moi étant des hommes, je suppose donc que vous estimez “démontré” que vous et moi pouvons tuer… Si vous “savez” que vous pouvez tuer, dites-moi dans quelles conditions, pourquoi et comment ? » [1] Il convoque son interlocuteur à la double place de sujet personnellement concerné et d’arbitre d’une « prétention à la validité » [2]. Cette interpellation, qui relie l’expérientiel à l’expérimental, annonce, aux prémices d’une querelle, l’un de ses enjeux majeurs : la place qui sera faite au savoir, celui des savants comme celui des sujets ordinaires de la communication.
2Avant, pendant et après la diffusion des documentaires, le travail intermédiatique, polymorphe et complexe, a requis, formulé et mobilisé des conceptions du savoir. On en donnera ici un aperçu en mettant à profit quatre ressources : l’observation participante de l’auteur, présent à certaines étapes de cette élaboration ; l’analyse du dispositif énonciatif déployé dans les documentaires eux-mêmes et dans leur accompagnement en programmation ; l’étude thématique et discursive d’un corpus d’articles de presse ; la reconnaissance de certains arguments échangés sur le forum de France Télévisions [3].
Une querelle n’est pas une controverse
3Avant d’entrer dans le détail de ce processus, je souhaite rappeler deux positions théoriques qui guident l’analyse.
4D’abord, j’envisage ces échanges médiatiques comme une querelle [4], analogue à « l’affaire Sokal », attaque d’un physicien au milieu des années quatre-vingt-dix contre certains courants des sciences humaines [5], ou à l’empoignade occasionnée par Loft Story [6]. Il existe des différences dans la façon dont le débat s’est, ou ne s’est pas, engagé. Cette fois-ci la plupart des intellectuels sont intervenus pour arrêter le débat alors qu’ils s’y étaient investis précédemment. C’est pourquoi, si Le Nouvel Observateur avait titré « Les intellectuels français sont-ils des imposteurs ? » en 1997, il n’a pas demandé en mars 2010 : « les promoteurs de la téléréalité sont-ils des apprentis sorciers » ? Pourtant, d’une situation à l’autre, on reconnaît ce qui distingue une querelle d’une controverse : non un cadre de discussion défini, mais la superposition de plusieurs espaces ; non un problème disciplinaire, mais un objet fuyant ; non une écriture normée, mais des rhétoriques hétérogènes.
5Dans une querelle, l’imprécision quant aux savoirs concernés est structurelle. Le problème est redéfini en permanence, mobilisé par les acteurs et façonné par les médias. En l’occurrence, on incrimine l’image cathodique, l’attitude spectatorielle, les politiques de programmation, la perversité du désir. On vise l’auteur, le candidat, le public. Les autorités intellectuelles défilent : Jean-Léon Beauvois le psychologue social, qui domine le premier documentaire, laisse place aux spécialistes coutumiers des médias, Dominique Wolton, François Jost, Jean-Louis Missika, eux-mêmes météoriques dans leur passage, tandis que le philosophe omniprésent dans le second documentaire et dans les programmes de la presse TV, Bernard Stiegler, tombe dans un trou noir. Quant aux chercheurs qui ont effectué le travail de terrain, nul ne sollicite leur analyse, ni journalistes ni universitaires, alors qu’il est sans cesse question de ce qu’ont fait et pensé candidats et public. Autant de glissements qui n’échappent pas aux internautes [7] : « l’expérience ne dit absolument rien de l’impact de la télévision sur les téléspectateurs » (alcibiade 21, 17 mars) ; « où sont les psychosociologues ? » (lageaude, 19 mars) ; « personne ne parle du public » (calamitydemars, 18 mars).
6Le second parti pris théorique concerne l’approche des interactions médiatisées. Je n’opposerai pas « production » et « réception » – antithèse classique qui, on le verra, sort renforcée de la querelle. Je souhaite mettre en relation les différents espaces médiatiques, la pluralité des sources et acteurs de la communication pour décrire un processus de circulation et de réécriture des savoirs [8]. Les émissions seront donc ici abordées comme une réécriture de savoirs et de figures du savoir et les articles de presse interviendront en dialogue avec les figures exhibées par les documentaires.
Le triomphe structurel de la question mal posée
7Rêver d’une forme pure de « controverse » ne mène pas loin. Ce sont les lignes de fuite du débat qui font l’intérêt des querelles, en tant que témoignages sur une économie médiatique des savoirs. Je puis reprendre ce que j’écrivais à propos de l’affaire Sokal : « Il y aurait quelque naïveté à attendre de cette querelle quelque leçon que ce soit en philosophie, en sociologie ou a fortiori en matière de police des savoirs et des discours. Son intérêt est bien plutôt qu’elle offre au regard une configuration de textes et de positions d’une exceptionnelle richesse en ce qui concerne les idéologies de la science, les rapports entre science, autorité et savoir, la réinscription des catégories scientifiques dans la société » [9]. Naguère il fallait choisir entre dire les lois de la physique aussi réelles que les rochers ou faire de la science un récit parmi d’autres, ici il faudrait trancher entre le totalitarisme médiatique et la défense de la télévision. Sans engager une discussion épistémologique complète, je me bornerai à deux exemples : la représentativité des chiffres et la crédulité des candidats.
8Beaucoup de réfutations visent la comparaison des chiffres : 62 % de soumis chez Milgram et 81 % chez Beauvois-Nick [10] : la sélection de sujets appartenant à une population prête à participer à un jeu constituerait un « biais ». Or toute activité sélectionne ceux qui acceptent de s’y livrer : si l’on compare les institutions scientifique et médiatique, il faut réaliser l’expérience avec des sujets attachés respectivement à ces deux institutions [11]. Mais cette erreur n’est pas sans rapport avec l’insistance du documentaire sur le strict parallélisme des échantillons : ce qui, on le verra, ne provient pas de l’épistémologie, mais du projet médiatique. Une objection méthodologique plus sérieuse tient à l’intervalle historique entre les expériences : à un demi-siècle de distance, enregistre-t-on l’évolution des pratiques, des interprétations, des dispositifs ? L’argument est pourtant presque totalement absent : ceux qui stigmatisent l’expérience le font au nom des vérités éternelles. Seul /Wolton/ [12] rappelle que « le contexte historique est radicalement différent » ; mais c’est sous un titre qui renvoie l’actualité au déjà connu : « L’homme est un loup pour l’homme, on le savait déjà » [13] : une logique de renvoi au passé qui sera décisive dans la querelle.
9Autre exemple : les candidats croyaient ou ne croyaient-ils pas à la gravité du jeu ? La voix over du documentaire présente les déclarations d’incrédulité comme des dénis. D’autres racontent que tout le monde savait que tout était truqué. Or, toute question posée aux observateurs aurait montré le rôle central de l’incertitude sur la situation [14]. Constat qui ne ressortait pas seulement des carnets d’observation, mais était exposé dans mon interview dans Télérama, dans les propos de candidats publiés, dans le témoignage de membres du public sur internet. Mais il fallait que les candidats croient ou sachent.
10Ces rapides examens méthodologiques ne visent pas à ironiser ; ils montrent que les débats se réfèrent à une figure de la scientificité à la fois idéale et caricaturale, dans laquelle les « biais » seraient totalement exclus et la réalité des comportements deviendrait transparente. Le plus intéressant est d’analyser ce que ces échanges disent du statut qu’occupent les savoirs, du traitement qu’ils connaissent dans les médias et du type de compétence qu’on sollicite et reconnaît quand il s’agit de comprendre les phénomènes médiatiques.
Scénographie des paroles scientifiques
11L’une des propriétés du programme conçu par Christophe Nick est la place faite à la parole de chercheurs sur la base, non de leur notoriété médiatique, mais d’une lecture de leurs textes : trait exceptionnel pour des soirées sur une grande chaîne. L’auteur a sollicité plusieurs chercheurs peu présents d’ordinaire à la télévision pour des raisons précises qu’il leur a exposées [15]. Le tournage rompt avec l’usage de recourir aux mêmes autorités scientifiques sur n’importe quel sujet concernant la communication – autorités usuelles que la presse, délaissant les chercheurs présents dans les documentaires, replacera sur le devant de la scène.
12La construction des documentaires repose sur la création de dispositifs polyphoniques complexes. Dans Le Jeu de la mort, la parole des chercheurs est scénarisée, dans le cadre de la reconstitution d’une situation de recherche. Les éléments pragmatiques qui caractérisent une étude scientifique collective sont exhibés : observation en situation, ajustements méthodologiques, visionnage d’enregistrements, consultation de données, discussion d’hypothèses, exposé de résultats, etc. Le tout est accompagné d’un matériel sémiotique porteur de valeur symbolique : documents dactylographiés, tableau de papier, projections graphiques, listings. Cette mise en intrigue du travail de recherche associe documentaire et scénarisation. L’observation effective d’échanges entre chercheurs dans le studio et la captation des images d’observateurs sur le plateau relèvent du reportage ; la reconstitution de réunions de travail dans la villa de Le Corbusier s’apparente à une réalité feinte, puisque les chercheurs s’y représentent eux-mêmes ; enfin, la fiction habite le dialogue entre scientifique et animatrice qui a lieu pour les besoins d’un genre, la vulgarisation [16]. Dans ce dernier cas, l’esthétisation des scènes et la formalisation du rôle (savant/novice, sage/séductrice) fait appel à une attente narrative identifiée, le professeur jouant vis-à-vis de l’animatrice un rôle proche de celui de Fontenelle face à la marquise des Entretiens sur la pluralité des mondes – avec son partage des rôles masculin et féminin et sa tonalité de fête nocturne de la beauté et du savoir. La réunion de ces scènes place en continuité le rapport technique, le dialogue philosophique et la médiation vulgarisatrice : ce que confirme le physique socratique de Beauvois [17]. Ce premier programme est donc une sorte de « docufiction » sur le travail savant.
13Cette science montrée est traversée, en filigrane, par une autre figure, celle de Stanley Milgram se livrant à l’expérience canonique, qui est alléguée, citée et mobilisée. Alléguée, parce que le documentaire présente cette expérience comme la matrice du film ; citée, parce que les images d’archives ponctuent le déroulement du jeu ; mobilisée, parce que la voix over et les chercheurs reprennent les thèses de Milgram. D’où une intertextualité particulière : Milgram effectue des gestes et il est « parlé » par ceux qui, s’autorisant de lui, diffusent un savoir acquis. Position à la fois centrale et effacée qui engage un processus de reformulation en chaîne et impose durablement la prééminence de la question de l’autorité sur celle de la médiatisation [18]. Pour tester l’autorité 1. de la télévision, on convoque l’autorité 2. de scientifiques contemporains et surtout celle de leur méthode expérimentale 3. ces chercheurs d’aujourd’hui se placent sous l’autorité d’un scientifique d’hier 4. qui se trouve avoir lui-même pris l’autorité de la science 5. pour objet. Ce procédé renoue implicitement avec l’histoire de la télévision, qui a largement fondé sa propre autorité sur sa capacité à montrer l’avancée de la science [19]. Cette mise en parallèle, à un demi-siècle d’écart, de deux scénographies de la scientificité produit un effet paradoxal. D’un côté, elle renforce l’assimilation du scientifique à l’expérimental, dans la continuité d’une l’histoire des innovations télévisuelles prétendant à la révélation de l’humain [20]. Le geste d’expérimenter, réitéré dans son éternelle vérité, renforce une conception des sciences humaines dont les méthodes s’apparentent au laboratoire du naturaliste : ce que la presse confirme en parlant de « cobayes ». Mais la texture d’images si différemment filmées signale subrepticement, dans le remake, la distance qui sépare deux cultures du savoir.
14Dans Le Temps de cerveau disponible, la scénographie des paroles scientifiques est différente. Les chercheurs interviennent en situation d’interview, un mode de communication propre à l’émission scientifique. L’interviewer est hors cadre, sa parole est coupée, seule la réponse du spécialiste passe à l’écran. C’est une scène énonciative familière qui légitime le scientifique comme expert. Mais le chercheur est interviewé en studio et non dans son lieu de travail : on est dans un genre mixte entre la vulgarisation respectueuse d’une science sacralisée (triomphante à l’époque de Milgram) et l’information scientifique intégrée à l’institution télévisuelle en tant que lieu focal. Le scientifique est au centre, mais, loin de recevoir la visite du journaliste, il se déplace là où se dit l’information [21]. On peut dire des chercheurs interviewés, en parodiant Éliseo Véron [22], « il (elle) est là, je le (la) vois, il (elle) me parle ».
15Ici encore, la vulgarisation intervient de façon complexe : si les auteurs exposent un résumé simplifié de leurs propres travaux, le principal intervenant, le philosophe Stiegler, consacre le plus clair de son temps à expliquer des notions d’anthropologie, de psychanalyse et de mythologie : formules qui, on va le voir, auront plus d’écho que ses propres positions. La voix over assure la continuité du propos, reliant des analyses renvoyant aux problématiques propres à chacun. Ce complexe jeu de voix soutient une autre sorte de « dialogue » qui, lui, relève de l’écriture audiovisuelle, entre discours savant et image d’archives, préparant et illustrant les propos des universitaires. L’art de la création audiovisuelle (écriture, réalisation, montage) se noue ici au travail des techniciens des archives audiovisuelles.
16Dans la complexe polyphonie du double documentaire, le dernier mot est laissé, non à la voix over, mais au scientifique le plus représenté : dans le premier cas le psychologue, dans le second le philosophe. Prééminence que notent les internautes : « On aurait presque cru assister à une conférence de Bernard Stiegler » (nutellraf, 19 mars). Dans les figures de la science dominent, d’un côté (Le Jeu de la mort) le psychologue expérimentaliste qui interprète des résultats ayant valeur de preuve, de l’autre (Le Temps de cerveau disponible) le philosophe critique qui donne du sens à l’actuel en regard d’une théorie anthropologique. On verra là des figures du savoir ancrées dans des éthè scientifiques personnels et disciplinaires : le psychologue méthodique et le philosophe visionnaire. Une scénographie liée au double usage, probatoire et interprétatif, que le documentaire fait des savoirs, lorsqu’il reproduit une expérience canonique et tient un discours engagé. La première figure, expérimentaliste, qui assoit la prétention de vérification, exige d’occuper tout l’espace épistémique pour se déployer [23], tandis que la seconde, spéculative, s’accommode d’un dialogue avec d’autres disciplines, capables d’élucider des stratégies médiatiques.
Conceptions de la scientificité et définition des situations
17Ces coopérations se nouent au fil d’une production dont la nature et le résultat se décident au fil du temps, car la production télévisuelle repose sur un temps déployé entre scénario, tournage, montage, programmation, promotion. Il est d’emblée clair pour l’équipe de réalisation comme pour les universitaires que ce documentaire aura une structure en abyme, le discours audiovisuel faisant appel à la parole scientifique, elle-même construite en référence aux séquences filmées du faux jeu. Il existe une interdépendance entre hommes de télévision et hommes de science. Le documentariste attend des résultats expérimentaux qu’ils soutiennent son discours et les psychologues disposent d’un matériel d’analyse d’une ampleur considérable : création d’un espace, mobilisation d’une équipe, collecte de données. L’enchaînement de dispositifs est révélateur des moyens respectifs dont disposent les productions médiatique et scientifique. Ce sont d’ailleurs les occasions d’observation qu’offre ce dispositif qui intéressent l’équipe de SIC, rattachée dans un second temps à ce projet.
18Toutefois, il va s’avérer que l’hypothèse d’une complémentarité des savoirs – analyse de la soumission à l’autorité, étude du public – rend mal compte de ce qui est en jeu. Dans le cadre de recherches académiques, les démarches divergent : d’ordinaire, les psychologues sociaux se centrent sur les attitudes des sujets et les chercheurs en communication sur les cadres de la communication, les premiers contrôlant des variables et les seconds examinant la singularité des langages et des interactions. De telles différences sont fortes au sein des sciences anthroposociales, qui ne revendiquent pas les mêmes schèmes d’intelligibilité [24] ; en conditions médiatiques, elles s’accentuent, car il ne s’agit pas seulement de produire un savoir mais de le rendre visible : on ne représente pas seulement la science mais la scientificité.
19Pour les psychologues, il s’agit de contrôler le protocole en s’assurant qu’il est identique à celui de Milgram, chaque variante étant introduite sous la forme minimale lorsque c’est inévitable [25]. Les sujets observés en 1963 reçoivent le statut de population témoin pour mesurer les pouvoirs respectifs de la science et de la télévision. Pour les sciences de la communication, c’est la différence entre les situations qui fait sens, dans la mesure où elle révèle la spécificité des processus de médiatisation : énonciation, représentation, interaction. Cet écart détermine ce à quoi chaque discipline s’intéresse et, symétriquement, ce qu’elle passe sous silence.
20La psychologie expérimentale contrôle le processus de communication à partir de paramètres dont la reproduction doit être systématisée. On le voit dans l’écart entre le savoir-faire des animateurs et son simulacre. Un bon animateur surprend son public par un art de la variation et de la saillie ; or, ici, la parole est automatisée, conduisant la présentatrice à réaliser une performance qui n’a rien à voir avec son métier. En effet, les actes de langage doivent coder des actes tout court. Les « paroles gelées » supportent une série d’objectivations. Le chercheur en communication s’intéresse à ce que le psychologue neutralise, conditions de parole, rôle des publics, matérialité du dispositif. Cette attention à la dynamique des situations suppose des méthodes interprétatives dont l’analyse sémiotique et l’observation sont la forme indépassable. L’analyse repose sur des hypothèses relatives à la façon dont les sujets vivent les scènes et sur les moyens interprétatifs dont ils disposent. Il est impossible de caractériser une situation comme médiatique sans être attentif à la réflexivité des sujets sociaux, observable aussi bien dans le public que chez les candidats ou d’ailleurs l’équipe de tournage, telle que Camille Jutant l’analyse dans ce dossier avec le concept d’ajustement.
21Or, dans la perspective de créer un événement médiatique, indispensable au lancement du débat, ces perspectives sont difficilement compatibles. L’observation des chercheurs en communication menace le potentiel dramatique de l’expérimentation : si l’on met en avant la complexité des rôles, la présence du public et l’anticipation d’un public futur [26], il n’est plus possible de considérer la situation télévisuelle comme la duplication de l’expérience de Milgram.
22Toutefois, un événement médiatique n’est pas un rapport de recherche. Il fallait sans doute choisir entre l’analyse de la médiatisation et le rapprochement des chiffres. Dans une perspective de médiatisation large, et surtout de promotion intermédiatique de l’événement télévisuel, le second choix a prévalu [27]. Les savoirs qui interdisaient une comparaison quantitative des effets devenaient dès lors, au mieux, secondaires, au pis, parasitaires. On peut penser que, sans cette rhétorique, l’événement télévisuel n’aurait pu être créé. Mais ce choix débouchait sur une difficulté : la comparaison décrite par la presse comme « glaçante » exigeait l’effacement de ce qui fait un média par rapport à un laboratoire. Ce “trou noir” épistémique devait être comblé : il paraît l’être par un discours superlatif, la proclamation par Beauvois du caractère totalitaire de l’emprise télévisuelle. De la même façon que le candidat du Jeu de la mort est plus soumis que le cobaye de l’expérience scientifique, la télévision sera une institution plus forte que la science, une institution totalitaire.
23Mais le raccourci produit par cette conclusion met hors jeu la complexité des analyses proposées par le second documentaire et la critique du programme par les spécialistes de la télévision et par les défenseurs de la téléréalité s’engouffre dans cet impensé du médiatique.
Une dés-énonciation médiatique
24Ces contradictions se déploient d’autant plus fortement dans la querelle que le processus n’y est pas linéaire. La chaîne ne programme aucun discours expliquant le lien entre le risque possible de voir apparaître un programme extrême (Le Jeu de la mort) et l’étude d’une dérive réelle des émissions commerciales (Le Temps de cerveau disponible). Les journalistes et les personnalités ont vu ce dernier de façon anticipée et ils ont choisi de faire comme si le premier documentaire était seul. C’est ainsi que la polémique produit ses effets autour de ce seul programme avant les deux soirées. Le corpus de la presse TV antérieur à la diffusion contient en réduction à peu près tout le spectre argumentaire que la presse généraliste déploiera ensuite : un espace de discussion qui présuppose massivement que l’auteur et la chaîne ont voulu accabler la télévision dans sa globalité.
25Il s’agit d’une réécriture massive de l’enjeu du débat, car, bien entendu, l’objectif du documentariste, lui-même producteur et auteur, n’était nullement d’attaquer globalement la télévision, son propre métier. Pourtant, malgré ses protestations réitérées sur ce plan, il ne pourra convaincre, car il ne porte qu’un discours personnel au sein d’une circulation médiatique des idées qui s’en détache inexorablement. L’absence de relais dans la presse quant au projet global du double documentaire renforce cette méconnaissance et, plus encore, la fixation de tous les commentaires préalables sur le seul Jeu de la mort au détriment du Temps de cerveau disponible. Or la structure du documentaire Le Jeu de la mort, dès lors qu’on accepte de le couper du Temps de cerveau disponible n’est pas sans autoriser une telle réécriture ou, plus exactement, ne pas l’interdire [28].
26Ce sont là les effets pervers du choix courageux d’une extrême polyphonie décrit plus haut. L’équipe de réalisation a donné la parole dans chaque programme à des chercheurs différents en fonction de leur connaissance spécifique des différentes composantes du sujet, plutôt que d’inviter les mêmes figures médiatiques familières tout au long du programme. Cette multiplication des auteurs, intellectuellement riche, a pour conséquence une disparité de style et d’argumentation qui rend difficiles l’identification et l’articulation entre deux questions distinctes, celle du pouvoir du dispositif télévisuel et celle de l’évolution des programmes : d’un côté la nature des ressorts engagés par la médiatisation comme processus et de l’autre la genèse d’une dérive historique réelle. Pour comprendre le projet global des documentaires, il faut associer la démonstration par les psychologues sociaux d’une possible soumission au dispositif télévisuel avec l’analyse par les spécialistes des médias des effets réels de la recherche d’audience sur certains programmes. Or, l’articulation des deux questions est à peu près impossible pour le public qui ne peut lire que des articles consacrés au Jeu de la mort et ne reçoit aucune information sur la continuité du projet : reste l’ensemble des paroles disséminées des différents chercheurs. Il faudrait comprendre que le premier documentaire porte sur ce qui pourrait arriver et le second sur ce qui arrive historiquement – distinction qui relève de la dimension la plus subtile du sens, la valeur modale (être/devoir-être/pouvoir-être) pour ne pas attribuer aux auteurs un discours sur ce qu’est réellement toute la télévision – interprétation tragiquement renforcée par certaines formules de Beauvois sur l’« être télévisuel », et non son pouvoir-être…
27C’est dans ce cadre que le geste de dés-énonciation réalisé par la presse et les scientifiques qu’elle invite, la suppression imaginaire du second documentaire, prend tout son sens. En omettant Le Temps de cerveau disponible, la presse télévisuelle découpe un programme qui, étant limité au Jeu de la mort, ne contient aucune analyse des différences entre les productions télévisuelles. Tout se passe à partir de là comme si jamais les documentaires n’avaient comporté l’intervention des chercheurs en communication, ni pris en compte l’économie et l’histoire des programmes – acquis scientifiques centraux dans Le Temps de cerveau disponible. La réécriture des programmes dans la presse invente un nouveau texte, réduit à l’accablement de la télévision [29]. Or, la dissociation des deux publics (cf. article de Valérie-Patrin dans ce dossier) acte ce travail d’extraction.
28Mais une telle réécriture n’aurait pu exister si elle n’avait pu s’appuyer sur des éléments du Jeu de la mort, désormais, pour la querelle, seule émission existante. La superposition de trois situations, un jeu télévisé, une expérience scientifique et une émission engagée, a de complexes conséquences. La mise en exergue des gestes expérimentaux et des données quantitatives constitue le noyau de la démonstration, sans en être la finalité. En effet, le potentiel spectaculaire de l’expérience elle-même fournit à l’émission sa charge dramatique. Ainsi triomphent, face à face, « des chiffres et des cris », selon l’intertitre d’un article de la presse télévisuelle [30]. Le scénario narratif de la recherche est mis en place d’emblée, mais son potentiel pathétique est immédiat : il s’agit de savoir si la télévision peut pousser à tuer. Le montage superpose la mise en place de l’expérience et l’attente d’un spectacle. Les scènes qui montrent les scientifiques au travail se situent à la croisée des deux dynamiques, démontrer le sérieux scientifique et annoncer l’enjeu vital d’un jeu dont le spectateur ne connaît encore ni les règles, ni le caractère feint. Dès le début du film, dans un dialogue de pure connotation, (on ne sait pas de quoi ils parlent) les chercheurs suggèrent une situation dramatique : « il peut mourir ».
29C’est dans cette tension dramatique qu’intervient la vulgarisation de l’expérience de Milgram, doublée de son équivalent contemporain : montage visuel qui atteste la duplication. Le public n’intervient que comme une contrainte à prendre en compte : « Pour que l’expérience soit crédible, explique la voix over, il faut qu’elle se déroule en public. C’est la seule différence avec l’expérience de Milgram qui se déroulait dans l’isolement d’un laboratoire de recherche » [31]. Cette mise en parallèle discursive et visuelle commande toute la démonstration : reproduction des phases du jeu-expérience et comparaison des résultats quantitatifs des deux expériences.
30Le montage du documentaire, dans une forme en spirale, est subtil : la répétition des scènes du jeu met en parallèle l’expérience ancienne et la nouvelle, les différents candidats, le jeu télévisuel et l’expérience. Or, tout en suivant la chronologie des questions successives, qui dramatise la tension de l’enjeu spectatoriel, le retour des confrontations entre candidat(e) et animatrice introduit un récit qui repose sur deux ressorts essentiels : la distribution des conduites selon les chiffres (numéro des questions, force des intensités électriques, proportion des populations) et la montée des situations de confrontation interpersonnelle. Le cadrage, effaçant le dispositif, isole la scène mettant aux prises les deux personnes. Le récit se focalise sur une empoignade qui renvoie l’enjeu aux attitudes personnelles ; la mise en série des candidats [32] engage l’idée d’une interchangeabilité des personnes que confirme le commentaire par « populations » ; la fusion progressive de trois regards, équipe de réalisation, scientifiques et public, présente le savoir comme une réalité visible. Principe clairement affirmé par la phrase introductive de la voix over : « pendant dix jours nous avons vu ça ».
Des savoirs absents
31Il n’est pas possible d’étudier ici en détail la façon dont les acteurs impliqués dans la querelle s’emparent des savoirs présentés et publicisés. Je me bornerai à trois approches de ces développements : les prises que cette construction offre à la querelle, la transformation du cadre des échanges par la rhétorique intermédiatique et la situation faite aux savoirs sur la communication.
32Certaines notions décisives apparaissent très peu dans le documentaire : les savoirs détenus par les professionnels sur les formes télévisuelles, ceux des sciences de la communication sur la télévision et ses publics, ceux que produisent les personnes ordinaires sur leur propre l’expérience médiatique. Il s’agit de trois questions cruciales : en quoi consiste le geste de produire un documentaire associant des hommes de télévision et des chercheurs ? quelle est la particularité du pouvoir qu’exerce un média ? quel statut donner dans l’expérimentation à l’expérience des personnes ?
33Dans Le Jeu de la mort ces savoirs ne participent pas au ressort narratif. Il s’agit d’abord des analyses qualitatives des chercheurs en communication présents dans le studio de tournage et plus largement des acquis des sciences de l’information et de la communication et de la sociologie des médias : dispositifs médiatiques, formes télévisuelles, relation avec les publics. Une partie de ces analyses a été enregistrée, mais non intégrée au documentaire lors de la phase de montage. Il ne s’agit pas de juger ici ces choix, qui relèvent de la responsabilité auctoriale et de la hiérarchie des priorités dans un documentaire conçu dans le but de susciter un débat [33]. Mais plusieurs des partis pris narratifs du programme évacuent les questions liées à la spécificité de la communication médiatique : l’identification du jeu à l’expérience de Milgram empêche la prise en considération de la nature particulière du dispositif et des effets de la présence (physique et virtuelle) d’un public ; la personnification de l’autorité, incarnée par l’animatrice, détourne de prendre en considération tout ce qui tient à la dimension impersonnelle du cadre d’interaction [34] ; l’évocation d’un « être télévisuel » rend caduc l’examen précis d’un programme, d’un dispositif ou d’un mode de promotion des émissions.
34Ce premier « trou noir » produit immédiatement ses effets dans les dossiers réalisés par la presse télévisuelle qui propose des articles véhéments, mais centrés sur les questions de l’influence personnelle, et qui propose parallèlement des interviews de chercheurs pointant ces manques, discréditant la prétention de scientificité du documentaire. Des chercheurs dont les horizons théoriques sont très différents, un sémiologue intéressé par la créativité des formes télévisuelles comme Jost, un politiste qui relie télévision et démocratie comme Wolton ou un sociologue qui scrute les cultures médiatiques comme Macé – des auteurs dont les options scientifiques sont très divergentes – se rencontrent sur le rappel des quelques bases de la discipline : la force des dispositifs, la diversité des programmes, l’historicité des formes, l’insuffisance des théories de l’influence directe, les différences à établir entre un programme, ses producteurs, ses participants et son public, etc. [35]
35Cela entraîne, paradoxalement, une logique de manuélisation de la querelle. Ces auteurs ne participent pas au débat sollicité par le producteur des documentaires, ni ne proposent une analyse des émissions. À la manière d’un cours de licence, ils corrigent les conceptions de la communication médiatique qui prévalent dans les programmes et surtout dans les textes d’annonce et les articles de presse, qui amplifient l’effacement de la spécificité des formes médiatiques. Ils sont conduits à marteler l’idée que ces questions ont un passé, qu’elles ont déjà été étudiées. Ainsi leur mobilisation (très temporaire) dans la querelle se traduira-t-elle, non par une prise de position dans le débat sur l’avenir des programmes, mais par le retour de quelques références qui font partie des « classiques ». Ce phénomène est particulièrement sensible dans l’interview croisée que propose L’Humanité du documentariste et d’un sociologue des médias, Éric Macé [36] : ce dernier consacre l’essentiel de ses interventions, non à discuter des enjeux actuels, mais à exposer les acquis d’une recherche qui, pour l’essentiel, remonte à la sociologie des médias de l’avant-guerre et de l’immédiat après-guerre. À l’absence des savoirs sur la communication et les médias dans Le Jeu de la mort (privé par la dés-énonciation de son complément Le Temps de cerveau disponible) répond le déferlement d’un discours sur le déjà connu. On le voit lorsque certains auteurs inconnus dans le milieu de la recherche, mais présentés comme spécialistes des médias, donnent – ce qui est rarissime dans la presse de grand public – des références bibliographiques de cursus d’infocom.
36Il ne faut malgré tout pas s’arrêter à ce face-à-face entre un documentaire qui ignorerait les médias et une communauté académique qui en rappellerait la nécessité. En effet, rien n’empêchait de prendre part malgré tout au débat proposé ou d’analyser comme une œuvre cette forme innovante associant expérience, fiction, feintise, discours scientifique, comme ces auteurs l’ont fait pour nombre d’autres émissions. Corriger des erreurs est une chose, décréter que le programme n’a pas d’intérêt en est une autre, effacer la présence des analyses scientifiques du second documentaire en est une troisième. La première posture relève du rôle classique de médiateur des chercheurs dans les médias (car il n’arrive pas qu’une situation de communication large ne nécessite des corrections de la part de spécialistes) ; les autres signifient un choix de responsabilité publique en faveur d’une réhabilitation d’une télévision supposément attaquée et d’une mise en valeur du déjà connu, plutôt qu’en destination du développement d’un débat public ou d’un travail de médiation. Ce parti pris des chercheurs est sensible, si on le compare avec celui de Laurent Bilh, enseignant du secondaire, qui écrit : « Ne présumons pas du programme, que ce soit en bien ou en mal, avant de l’avoir vu. Saluons toutefois le retour d’une certaine conception de ce que peut être la télévision, celle qu’ont initiée Marcel Bluwal et Stellio Lorenzi ». [37] Il est possible que le déni des recherches existantes ait pris le pas sur toute autre considération aux yeux des chercheurs qui pouvaient voir dans ce programme une négation de leurs travaux et de leur discipline. Quoi qu’il en soit, et sans que ces auteurs l’aient probablement voulu, l’effet de ces choix a été l’apparition d’une chaîne de discours reliant leurs propos, non avec ceux des chercheurs qui s’étaient exprimés dans les documentaires, mais avec ceux des acteurs de l’industrie télévisuelle qui souhaitaient réhabiliter leur travail ou éviter le débat. Ceux-ci se sont empressés de reprendre les faiblesses des théories présentées, dans le souci d’éviter un examen précis de leur propre responsabilité : renforcement paradoxal, car, si certains des chercheurs voient dans toute critique d’un programme de téléréalité un pur signe d’élitisme déplacé, d’autres avertissent eux-mêmes sur les risques soulignés par Le Jeu de la mort.
37Un autre élément a sans doute joué un rôle important, l’absence des savoirs des non scientifiques impliqués dans l’expérience médiatique, candidats et membres du public présents dans le studio de tournage, équipe de tournage elle-même. En effet, l’interprétation et le jugement des sujets de la communication ne sont pas l’appendice ou la retombée de la pratique médiatique, mais sa condition [38]. Les personnes impliquées, à titre de joueur, de membre du public ou de participant au tournage ont développé une pensée complexe, subtile et impliquante sur ce qu’est l’expérience médiatique [39]. De ce point de vue, les différents acteurs n’occupent pas la même position : les échanges qui ont eu lieu au sein des équipes (tournage, expérimentation, observation) ont laissé une trace implicite mais forte dans le discours de la voix over [40] ; les interviews et observations des publics ont totalement disparu ; les propos des candidats, enregistrés au cours des séquences de debriefing, sont présents dans le documentaire, mais le parti pris d’organiser la démonstration autour d’une expérience quantifiée donne à ces propos le statut d’illustration de lois. Le discours des candidats est doublé d’un commentaire de la voix over et des chercheurs qui en donne le sens, le rattachant au modèle théorique (autorité, soumission, déni, état agentique, etc.) ; mais aucun intervenant ne reprend ces propos pour y trouver un savoir qu’il n’aurait pas lui-même déjà formulé. Les sujets de la communication sont donc convoqués pour confirmer du connu, non pour produire du nouveau. Pourtant, plusieurs des candidats présents à l’écran développent des analyses du dispositif, du rôle du public, des conséquences du fait d’être partie prenante d’une production communicationnelle qui pouvaient alimenter la question du pouvoir des dispositifs médiatiques. Ces propos, tenus notamment par des sujets qui sont allés au bout de l’expérience du jeu et sont donc présentés comme soumis, sont parfois très proches des notes inscrites sur les cahiers d’observation.
38En ce qui concerne le public, les choses sont plus étranges. Presque tous les auteurs qui s’expriment dans la presse font référence à cette présence du public comme à un élément qui distingue radicalement l’expérience du Jeu de la mort de celle de Milgram. Mais ce public reste mythique : on lui attribue des attitudes, des convictions, des préjugés, surtout une liberté, mais aucune démarche n’est faite, ni pour exploiter les interviews qu’il a données, ni pour recueillir auprès des chercheurs qui l’ont étudié (pourtant mentionnés dans nombre de dossiers) une compréhension du rôle qu’il a joué. Tout se passe comme si le public ne pouvait être qu’une personne virtuelle et patrimoniale, susceptible de disqualifier la démonstration du documentaire, mais incapable de donner matière à une étude scientifique nouvelle. En fait, l’ambiguïté initiale présente dans le documentaire semble avoir pris au piège les chercheurs qui écrivent dans la presse : après avoir souligné l’écart entre l’expérience de Milgram et l’entreprise médiatique du Jeu de la mort, ceux-ci semblent convaincus que le seul sujet scientifique était celui du psychologue social : ils en reviennent, sur le mode du déjà connu, à l’autorité, aux pulsions, au voyeurisme. En somme, le Jeu de la mort ne pouvait être que de la psychologie expérimentale et comme il n’en est pas vraiment, il n’est susceptible de délivrer aucun savoir réel. Résultat paradoxal s’il en est : il n’y aurait donc rien à penser dans une expérience médiatique. Restent en piste les sociologues de la réception de la recherche administrative américaine, la figure du public libre et souverain, la protestation vertueuse des promoteurs de la téléréalité et le constat désabusé des perversions vieilles comme le monde.
39Enfin, l’absence de référence explicite aux savoirs de la production télévisuelle (dont les actes et le contexte sont pourtant montrés) produit ses effets dans la querelle elle-même. Les dossiers de presse ne décrivent pas une création médiatique (créer un documentaire, une fiction, un débat) mais une entreprise scientifique. Faisant insensiblement glisser les rôles, ils instituent l’auteur du texte télévisuel en auteur d’une expérience. Christophe Nick a fait une expérience, les téléspectateurs vont y assister. Cet effacement est insensible, car l’un des caractères de la presse télévisuelle est de montrer très peu les savoirs des hommes de télévision (réalisateurs, techniciens, consultants, etc.) à l’exception des présentateurs, d’ailleurs largement sollicités. Mais on le mesure par exemple lorsque l’on compare ces dossiers à ceux que propose la presse professionnelle. Par exemple, Sonovision Broadcast décrit le tournage, ses ressources techniques, les modes de fictionnalisation nécessaires, les consignes adressées aux différents acteurs et donne la parole à Thomas Bornot, réalisateur des séquences tournées à la villa, qui explicite la nécessité de vulgariser et précise les conditions dans lesquelles les chercheurs ont été invités à jouer leur propre rôle [41].
Nouvelles scénographies
40On aurait pourtant tort de penser que la querelle, parce qu’elle a effacé une bonne part de la production audiovisuelle, ne produit rien. Elle sélectionne les discours, recadre la question, figure le savoir. Je me bornerai à mentionner ici trois opérations parmi d’autres, la décontextualisation des propos, la reproblématisation des enjeux et la mise en place d’une nouvelle polyphonie.
41Pour comprendre ces phénomènes, il est nécessaire de revenir sur l’intervention des chercheurs. Dans le « tissage » qu’il a réalisé entre des travaux différents, le documentariste a réuni des chercheurs qui, partageant une même inquiétude sur la dérive des programmes et le risque de voir certaines atrocités apparaître dans les médias, ont une approche différente de l’objet même sur lequel porte l’analyse. On peut représenter cette diversité selon deux axes de différenciation. D’une part, certains chercheurs envisagent la télévision comme un tout, mettant l’accent sur les propriétés de ce média et lui attribuant, en lui-même, certains effets sociaux ; d’autres insistent au contraire sur la spécificité des programmes et leur lien avec des conditions historiques, économiques, esthétiques différentes. D’autre part, certains des auteurs cherchent avant tout à élucider des attitudes humaines (psychologiques et anthropologiques), en les reconnaissant à l’occasion dans les médias, alors que d’autres prennent pour objet, spécifiquement, la communication médiatisée et particulièrement la télévision, ou encore la circulation des formes médiatiques. Ces postures sont toutes compatibles avec un engagement en tant qu’intellectuels dans une situation qui leur semble politiquement, culturellement et socialement inquiétante. Mais du point de vue scientifique ces approches n’ont pas les mêmes conséquences en ce qui concerne la nature du débat public espéré. On peut représenter ces postures de façon très schématique par une matrice de positions (il s’agit uniquement des chercheurs présents sans les documentaires diffusés sur France 2, cf. Figure 1).
Figure 1 : Postures des scientifiques présents dans les deux documentaires
Figure 1 : Postures des scientifiques présents dans les deux documentaires
43D’autre part, le discours de ces auteurs n’est pas entièrement régi par le rôle qui leur a été imparti. C’est comme « scientifiques » que ces personnes sont convoquées et qualifiées ; toutefois, ce rôle est impuissant à définir leur qualité d’auteur, dans le champ des sciences humaines où livres et revues relèvent de l’intervention intellectuelle et politique [42]. Si la référence à la science expérimentale est déterminante dans l’annonce du programme, c’est en tant qu’intellectuels engagés que Beauvois et Stiegler concluent. Leur discours se caractérise par la véhémence et la référence humaniste. Tours rhétoriques qui inscrivent ces figures télévisuelles dans la continuité de Jean-Paul Sartre plutôt que de Claude Bernard.
44Ce tour académique et médiatique nous entraîne vers un passé de l’institution universitaire : l’université a été longtemps une tribune d’auteurs-citoyens avant de s’orienter très fortement vers la recherche collective et technique et « l’intellectuel » est un lettré qui pense sa propre médiatisation [43]. Son art culmine dans la sentence pamphlétaire. Deux d’entre elles ont un succès dans cette querelle. L’une relève de l’hyperbole, lorsque Beauvois parle de « totalitarisme » à propos de la télévision, l’image de l’inconnu arrêtant les chars sur la place Tien An Men apportant un soutien à l’assimilation. La seconde relève de la citation humaniste, lorsque Stiegler fait référence au mythe de Pandore pour marquer la place des pulsions.
45Ces deux formules ont un site théorique : pour Beauvois, est « totalitaire » un pouvoir libéral doux mais impossible à récuser [44] ; pour Stiegler, la « faute d’Épiméthée » autorise une philosophie de la technique ancrée dans des enjeux anthropologiques et politiques [45]. Mais ces formules ont la propriété de circuler et de ne cesser de se redéfinir. Dénoncer un totalitarisme télévisuel, dans la lignée des pamphlets politiques et déplorer qu’on ait « ouvert la boîte de Pandore », dans la tradition des belles-lettres, va entraîner la querelle vers de tout autres horizons que ceux de l’analyse des programmes télévisuels. La circulation des formules dans des cadres médiatiques différents joue sur la stabilité de la forme et la redéfinition constante du sens [46]. Le déplacement des référentiels du récit est typique du travail médiatique [47]. On passe de l’idée, exprimée dans Le Temps de cerveau disponible, que le marketing a ouvert la boîte de Pandore des pulsions, à une généralisation reprise dans les grilles de programme de la presse télévisuelle [48] : « Profitant de la dérégulation du marché de l’audiovisuel, la télévision a transgressé les derniers interdits. Jouant avec l’impudeur et l’exhibitionnisme, auquel répond le voyeurisme, elle a ouvert la boîte de Pandore ». Mais les réécritures vont décaler le propos (« ”La télévision a ouvert la boîte de Pandore”, dit le philosophe Bernard Stiegler, qui prédit la destruction de notre civilisation par les apprentis sorciers du marketing » [49]) puis opérer une traduction. C’est d’abord la montée en titre : « La téléréalité a ouvert la boîte de Pandore » [50], « Télé-réalité : la boîte de Pandore » [51], puis la conclusion plus radicale : « Une expérience inédite, sous forme de documentaire, montre à quel point nous pouvons être soumis à l’autorité. Une boîte de Pandore terrifiante, ouverte par Christophe Nick » [52]. Or, dans ces derniers cas, il ne s’agit plus du Temps de cerveau disponible mais du Jeu de la mort ; d’ailleurs les photographies du plateau ont remplacé le portrait du philosophe. La plasticité de la formule joue tout son rôle dans un glissement du débat : d’une mise en cause du rôle du marketing de l’audience, on est passé à une mise en avant du sadisme ordinaire et, dans le même temps, le sujet et l’objet du récit se sont métamorphosés, ainsi que leur valeur modale. D’un marketing qui pouvait ouvrir la boîte de Pandore des pulsions, on est passé à une télévision qui était censée ouvrir la boîte de Pandore du sadisme, puis à un auteur de films qui avait réellement ouvert la boîte de Pandore du morbide.
Le travail intermédiatique
46Telle est l’hétérogénéité des convocations du savoir dans le dispositif expérimental, l’écriture documentaire, la scénographie des discours : parcours qui offre au travail intermédiatique un matériau susceptible d’être déconstruit et reconstruit, décontextualité et recontextualisé, démobilisé et remobilisé. Je m’en tiendrai ici à quelques aperçus démontrant l’importance de ce travail de mise en querelle et le rôle qu’y joue la multiplicité des supports et des sources.
47La querelle du Jeu de la mort démontre l’importance de l’ingénierie des temps et lieux médiatiques : en effet, l’événement concerné n’est nullement un simple événement télévisuel, mais une chaîne d’événements qui se déploie entre la télévision, la presse écrite et le réseau internet. Ce n’est pas un phénomène radicalement nouveau, car la production de la valeur des objets culturels est de longue date intermédiatique, comme l’atteste le rôle joué à l’époque classique par la critique littéraire de l’art. Malgré tout, la temporalité médiatique introduit ici un décalage essentiel dans l’analyse du rôle joué par les querelles dans l’espace public. Le discours de commentaire sur les émissions (qui n’est pas seulement évaluatif, mais comporte le résumé, la vulgarisation, la polémique, etc.) et la propagation d’extraits et d’images du programme précèdent la diffusion des programmes sur un spectre de supports médiatiques très étendu. Il est d’usage que les critiques voient certains spectacles juste avant les premières représentations, mais il n’est pas habituel que cela constitue la matière d’une querelle entièrement développée préalablement à toute confrontation du public à l’œuvre. Cette anticipation-interpénétration du commentaire et du programme, imputable à la chaîne comme à la presse et aux intellectuels informés, comporte trois effets : elle détruit l’individualité de l’œuvre produite par l’auteur du documentaire au bénéfice d’une discussion publique dont elle ne devient que le prétexte ; elle déconstruit la temporalité télévisuelle, qui veut qu’on considère un programme puis sa « réception » ; mais surtout elle repose sur l’écart de savoir qui sépare les initiés qui ont déjà vu les films et le public ordinaire des téléspectateurs. Ce dernier est exposé à l’interprétation du sens d’un document dont il ignore encore la nature. Sans qu’aucun acteur ne l’ait probablement souhaité, le processus intermédiatique produit donc une accentuation de l’écart de savoir (Knowledge gap), typique de la vulgarisation [53], puisqu’à l’absence du discours du public ordinaire dans les documentaires eux-mêmes il ajoute l’interposition d’un discours autorisé entre les téléspectateurs et le programme qui leur est proposé. C’est cet écart de connaissance qui donne une très grande importance aux articles de presse antérieurs à la diffusion, ici étudiés, comme à un ensemble beaucoup plus vaste de discours présents sur l’internet ou échangés par communication mobile, qui ne sont pas ici pris en compte, mais dont traite l’article de Valérie Jeanne-Perrier.
48Ce contexte autorise une reconstruction, et du dispositif de mise en publicité des discours et, parallèlement, des enjeux de l’échange public. On voit ici à l’œuvre une interrhétorique [54] qui tient, non à une forme médiatique unique, mais à l’interférence entre formes et espaces.
49Le plus évident concerne le sort attribué aux différents savoirs. Le forum internet de France 2 brasse les concepts présentés dans les deux documentaires : le va-et-vient s’y opère entre les questions de l’autorité personnelle et collective, de la responsabilité du mal, de la scientificité de l’expérience, des pouvoirs de la télévision en général, de l’évolution des programmes, des liens entre le marché et culture. Certaines questions y sont réintroduites : écriture audiovisuelle, place occupée des publics réel et virtuel, responsabilité des scientifiques dans les débats publics – toutes questions remuées par le public présent sur le plateau de tournage du jeu. La presse sélectionne dans cet ensemble ce qui va, ou non, faire l’objet, d’une part d’information et de vulgarisation, d’autre part de débat. L'exposé de l’expérience de Milgram est omniprésent, dominant les contenus informationnels des dossiers et deux débats tiennent le devant de la scène, portant sur les attitudes personnelles de soumission à l’autorité et surtout sur le pouvoir et la nuisance de la télévision. Ce qu’on peut illustrer par deux titres : « À qui, à quoi obéit-on ? » (Le Nouvel Observateur) [55], « La télé donne le droit de tuer ? » (Télérama) [56]. Les autres enjeux, rôle du marketing dans l’évolution des programmes, forme et mode de production des documentaires, nature des genres télévisuels, itinéraire d’auteur de Christophe Nick, pour s’en tenir à quelques exemples, ne font l’objet, ni de dossiers informatifs, ni de discussion.
50La presse télévisuelle joue ainsi un rôle d’agenda setting très classique, qui consiste à désigner, moins ce qui doit être pensé que ce qui mérite l’attention. Ce processus s’exprime dans les interventions de rhétorique éditoriale : titre, illustration, citation. On voit apparaître un cycle de trois motifs : titres en forme de question d’opinion, galerie de portraits d’experts arbitres, extraits citationnels qui ont statut de réponses. Les titres médiatisent des « problèmes publics », non au sens épistémologique en recherche, mais au sens sociologique [57]. « La télé est-elle nocive ? » [58] ; « La télé donne-t-elle le droit de tuer ? » [59] ; « D’où sort ce pouvoir du petit écran ? » [60] ; « Faut-il éteindre la télé ? » [61]. Cette titraille sélectionne les objets possibles, selon une logique globalement cohérente d’un titre de presse à l’autre.
51Le silence sur le second documentaire évacue la question de la diversité historique des programmes et des relations entre la recherche d’audience et les programmes faisant appel à la violence. Elle entraîne avec elle dans le néant médiatique les problématiques des chercheurs en communication et aussi – ce qui est plus étonnant, vu la place qu’il occupait dans le second documentaire et dans l’annonce des programmes – celles de Stiegler. En revanche, la thèse de Beauvois sur l’être télévisuel et le totalitarisme de la télévision présente deux avantages pour la rhétorique éditoriale de la presse télévisuelle : elle permet de thématiser l’objet même de cette presse, le « petit écran » [62] et ouvre une ligne argumentative extrême capable de stimuler des réponses véhémentes. On a donc affaire à une série de glissements-sélections (chaque glissement s’accompagnant de la disparition d’une question). On passe de la question « où va la télévision ? », qui présuppose une évolution et un choix dans les programmes, à « que peut la télévision ? », qui globalise les effets du média en général puis, sur la base de ce premier glissement, à une troisième question, « faut-il attaquer ou défendre la télévision ? » qui, elle, impose aux auteurs invités de prendre parti entre critique et défense.
52Cela définit la façon dont la figure et la parole des chercheurs sont publicisées. La titraille met souvent en évidence une citation d’un expert dont la photographie figure en tête de page. Or ces citations ont deux propriétés : elles prennent position en termes d’opinion sur le questionnement final (faut-il, ou non, attaquer la télévision ?) et introduisent, par le présupposé, une définition du débat et une réécriture des documentaires. Par exemple, lorsque Métro titre le 17 mars avec une citation attribuée à François Jost [63] : « Il faut arrêter de toujours diaboliser la télévision », cette déclaration tranche par la présupposition sur la nature des enjeux et sur la nature du programme – que, rappelons-le, les téléspectateurs n’ont pas vu. La formule présuppose, sur le plan problématique, que l’enjeu concerne la défense ou l’attaque de la télévision en général ; sur le plan argumentatif, que la stigmatisation de la télévision est générale ; sur le plan critique, que les documentaires sont une attaque de la télévision ; sur le plan politique, qu’il faut prendre position pour ou contre la télévision. Sur le plan thématique, une telle citation va pouvoir être alignée avec des discours professionnels, comme celui de /Pascale Beugnot/ qui apparaît aussi en titre, dans le Journal du dimanche du 14 mars, avec la citation alléguée suivante : « On se trompe en accusant la télévision », formule qui, quelques jours plus tôt, avait proposé exactement la même gamme de présupposés.
53Les chercheurs qui ont travaillé sur le terrain ou participé aux documentaires ont laissé place aux spécialistes de la télévision appelés en position d’arbitre sur la prétention émise par le documentaire et les discours qui l’ont accompagné. Ces derniers sont sollicités, non pas pour présenter leurs propres recherches ou pour proposer un commentaire du texte télévisuel, mais pour réagir sur une question préalablement traduite en un problème public sur lequel leur opinion est sollicitée. Faut-il attaquer ou défendre la télévision ? leur demande-t-on, la question qu’on pose parallèlement dans les mêmes termes à des animateurs ou à des promoteurs des programmes. Qualifiés par ce titre à parler général, ils sont contraints d’entrer dans une logique binaire : attaquer ou défendre la télévision, affirmer le pouvoir des programmes ou la liberté des publics. Ils ne peuvent que protester de leur propre attachement à la défense de la télévision, ou du moins est-ce là ce qu’on publicise de leurs propos.
54Ce sont des chercheurs authentiques qui interviennent le plus souvent, mais leur discours ne décrit, dans ces conditions, ni les situations, ni les enjeux, ni les propriétés rhétoriques et télévisuelles du programme. L’énonciation éditoriale [64] dans laquelle ils sont pris suggère, par-dessus leur propre discours, que ni le programme ni l’entreprise médiatique portés par Nick n’existent vraiment en tant qu’objets dignes d’intérêt. Ils sont publiés dans une auctorialité qui n’est pas celle du chercheur : ils n’auront l’occasion d’exposer ni leur analyse de ce programme, ni leurs propres concepts de recherche. Ils sont invités à parler à côté des documentaires des questions que ceux-ci sont censés avoir manquées. Le double documentaire (dont la seconde partie est absente) ne fait pas l’objet d’un discours critique qui en décrirait la forme, la nature et les enjeux, mais d’un discours anticritique, qui en suggère l’inexistence en tant qu’œuvre.
55L’un des dossiers donne une image particulièrement parlante de l’ensemble du processus ici décrit : il résume le travail intermédiatique décrit jusqu’ici. France-Soir publie le 17 mars dans la rubrique « Télévision » (p. 31-32) un dossier qui couvre les deux-tiers d’une double page sous le titre « Faut-il avoir peur du Jeu de la mort ? ». Ce dossier comporte une annonce factuelle : « Jusqu’où va la télé ?, ce soir à 20 h 35 sur France 2 » (qui acte l’effacement implicite du second documentaire), un lead, un article de deux colonnes sur fond blanc qui, après avoir vulgarisé l’expérience de Milgram, résume les déplacements étudiés jusqu’ici [65]. Mais la construction éditoriale la plus importante consiste en un encadré à fond coloré situé à cheval sur la double page. Sous le titre « La télé est-elle nocive ? », on y voit, face-à-face, deux ensembles visuels parallèles comportant une structure symétrique : une photographie de deux auteurs, Jost et Nick, surchargés d’une réponse à cette question (« non »/ « oui »), une citation et une présentation du « titre à parler » [66] et une brève interview. L’écart entre la nature des propos tenus par les deux auteurs et le titrage du face-à-face souligne la force de l’image du texte. L’une des réponses de /Jost/ récuse de fait le cadre du questionnement imposé : « La télé est une notion trop vague pour que le propos soit pertinent » ; l’une des réponses de /Nick/ indique clairement qu’il ne vise pas à juger la télévision mais à susciter une réflexion : « J’espère que les téléspectateurs qui le verront ne regarderont plus jamais la télévision de la même façon » ; les paragraphes de présentation des deux auteurs exposent leur position de façon nuancée : « François Jost […] relativise les résultats du documentaire » ; « Christophe Nick […] exprime ses craintes sur les dérives de la télévision ». Mais le jeu du titrage et le choix imposé du « oui » et du « non » assignent les auteurs à un tout autre discours.
Figure 2 : la double page de France-Soir, 17 mars 2010 (extrait)
Figure 2 : la double page de France-Soir, 17 mars 2010 (extrait)
57Cette discipline du lisible [67] marque un aboutissement possible des métamorphoses que la querelle a imposées aux discours. La question est formulée en termes essentialistes (« la télé ») et normatifs (« nocive ») ; elle est statique (« la télé est-elle »), là où le programme posait une question historique (« où va la télé ») ; les auteurs sont convoqués dans le rôle du pourvoyeur d’opinions tranchées (« oui »/« non ») et du fournisseur de prédictions (« Voir un tel jeu à la télé, est-ce imaginable ? ») ; ils sont donc arrachés à leur identité auctoriale, comme chercheur pour l’un, comme créateur pour l’autre, pour être affectés à l’incarnation de l’opinion symétrique.
58La redistribution des postures d’énonciation est donc complète à l’issue de ces réécritures intermédiatiques. D’un documentaire où une équipe de production distribuait et scénarisait la parole de chercheurs, on est passé à un débat d’opinions où un créateur télévisuel extrêmement talentueux et un chercheur de stature internationale sont placés face à face, en négatif, comme les représentants de la scénographie sociale d’une société du pour ou contre, dans l’obligation de se déclarer partisan ou ennemi d’un objet auquel ils ont choisi, chacun à sa façon, de consacrer leur vie.
Savoirs embarqués, savoirs critiques
59L’analyse ici présentée est simplificatrice par rapport à la complexité des relations intermédiatiques, de la circulation des savoirs et des figures de l’autorité mobilisées au fil de la querelle. Toutefois, telle quelle, avec ses limites, cette analyse débouche sur une réflexion qui concerne le statut actuel des savoirs relatifs à la communication médiatique.
60L’omission des savoirs liés à l’analyse des médias dans l’entreprise médiatique a joué un rôle paradoxal. Pour avoir sous-estimé, ou minimisé pour des raisons d’impact spectatoriel, l’analyse des dispositifs et des processus de médiatisation, le documentaire le plus commenté, Le Jeu de la mort, a suscité un retour violent de ces processus communicationnels au fil de la querelle : particularité des situations, pouvoir de la médiatisation, rôle des publics. Toutefois, cela n’a pas débouché sur une analyse du programme, des formes télévisuelles, des enjeux de sens et de pouvoir développés par cette expérience créative, mais sur un rappel de savoirs supposés acquis et impossibles à discuter, qui sont venus reproduire, comme en miroir, les manques de l’analyse médiatique. À un discours sur le totalitarisme télévisuel répondent l’éloge de la liberté du public et l’appel vibrant à la défense de la télévision. Comme l’affaire Sokal, née d’une polémique contre les humanités, consacrait le triomphe de la physique, la querelle du Jeu de la mort, partie d’une sous-estimation des situations et des langages, se clôt sur une ultime indifférence à ceux-ci et au travail de recherche qui peut les comprendre – ceci, contre la volonté de la plupart des acteurs qui malgré eux ont contribué à ce résultat.
61C’est le lien, peu visible mais fort, avec une histoire longue de la construction du champ des études médiatiques. En effet, celle-ci est marquée par des ambiguïtés qui donnent un éclairage intéressant sur ce qui vient d’être décrit. L’histoire de la discipline, telle qu’elle est présentée dans beaucoup de manuels, réactive sans cesse une alternative indépassable entre, d’un côté, la critique des médias et de leurs programmes et, de l’autre, la mise en évidence de la liberté des publics. La critique des « effets directs » des médias trouve son contrepoint dans une mise en exergue du rôle des récepteurs qui rend très difficile l’approche critique des productions médiatiques. Cette approche par la liberté des publics n’est pas sans fonction sociale. Elle scelle une coopération entre les institutions médiatiques et les chercheurs, régulièrement invités à protester de leur capacité à ne pas diaboliser les « cultures médiatiques » et s’incarne dans une justification classique de la production télévisuelle par un idéal démocratique moderne. Cet arrière-plan est lisible dans les débats ici évoqués pour qui connaît l’histoire des recherches, de leur critique et de leur valorisation. Le diagnostic porté dans la presse par /Wolton/ s’inscrit implicitement dans cette histoire, dans laquelle ce chercheur a joué un rôle déterminant. Le Jeu de la mort est pour lui l’occasion de reprendre la protestation qu’il avait fait entendre à l’époque de la publication de La Folle du logis [68] puis d’Éloge du grand public [69] et sans cesse réitérée depuis contre une recherche à ses yeux enfermée dans une critique élitiste des médias de masse : « Le film, écrit-il, s’inscrit dans le courant dominant de la théorie de la communication selon laquelle les médias nous asservissent » [70]. Un diagnostic qui était peut-être justifié dans les années quatre-vingt, mais dont on peut douter aujourd’hui, quand on voit combien la critique des influences médiatiques est omniprésente dans les manuels et hégémonique dans la recherche [71].
62Peut-être l’enjeu de toute cette querelle est-il finalement la possibilité d’offrir une représentation de la recherche qui échappe à l’alternative entre la stigmatisation d’un média dont on a inventé la toute-puissance et la douce allégeance au monde médiatique comme il va. Ou, en d’autres termes, d’imaginer une pensée critique sur les échanges médiatiques qui ne nie pas la complexité et l’inventivité des savoirs spectatoriels. Cela suppose sans doute d’associer la recherche de terrain sur les pratiques médiatiques avec l’analyse de la circulation des textes et des savoirs dans les programmes, la presse, le réseau et, à coup sûr, de regarder les expériences d’innovation médiatique comme dignes d’être analysées dans leur singularité, sans s’interdire de les juger. Posture particulièrement difficile, sans doute, à défendre dans le cadre de productions de grand public, qu’elles soient écrites, radiophoniques ou télévisuelles.
63Quoi qu’il en soit, prendre en compte l’inventivité et la richesse de la réflexion suscitée dans le public présent au tournage du Jeu de la mort est sans doute l’une des issues possibles pour sortir de ce qui pourrait cantonner dans le stéréotype la figure publique des sciences de la communication manuélisées et vulgarisées.
Mots-clés éditeurs : communication scientifique, savoir, polyphonie, interrhétorique, expertise, querelle
Mise en ligne 01/11/2017
https://doi.org/10.4074/S0336150010014055Notes
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[1]
Forum « Jusqu’où va la télé », 9 mars 2010. http://forums.france2.fr/france2/Jusqu-ou-va-la-tele/xtreme-zone-sujet_5_1.htm. Consulté le 6 mai 2010.
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[2]
Jürgen Habermas, 1987, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, [1981], vol. 1, p. 91.
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[3]
Documents liés à la programmation : dossier de presse illustré sur le double documentaire ; site « Jusqu’où va la télé ? » de France Télévisions. Corpus exhaustif des articles publiés par la presse télévisuelle et dans les suppléments télévision de la PQN avant la diffusion des documentaires (« prépapiers »). Corpus sélectif d’articles signés par des auteurs présentés par le titre comme détenteurs d’un savoir académique publiés entre le 25 février et le 29 mars dans la PQN, la presse magazine et la presse gratuite parisienne. Les entretiens filmés de membres du public analysés dans l’article de Camille Jutant et les interventions du forum ont servi à repérer les enjeux, sans faire l’objet d’une analyse systématique.
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[4]
Je ne souscris pas à l’extension du terme de « controverse », venu de la sociologie des sciences, aux situations médiatiques et politiques.
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[5]
Pour le détail de cette querelle, cf. Sokal, Alan et Bricmont, Jean, 1997, Impostures intellectuelles, Odile Jacob ; Jeanneret, Yves, 1998, L’affaire Sokal ou la querelle des impostures, PUF ; Jurdant, Baudouin (dir.), 1998, Impostures scientifiques : les malentendus de l’affaire Sokal, Alliage-La découverte.
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[6]
Sur cette querelle, cf. Yves Jeanneret et Valérie Patrin-Leclère, 2003, « Loft Story 1 ou la critique prise au piège de l’audience », Hermès, 37, pp. 143-154.
-
[7]
Forum de France Télévision.
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[8]
Pour un exposé plus complet de cette théorie, cf. Yves Jeanneret, 2008, « La cybernétique de l’imparfait, objets médiatisants et processus de communication », dans Penser la trivialité – 1 La vie triviale des êtres culturels, Hermès, pp. 135-179.
-
[9]
Yves Jeanneret, 1998, L’affaire Sokal ou la querelle des impostures, PUF, p. 11.
-
[10]
Le statut rhétorique de ces chiffres sera commenté ci-dessous. « Beauvois-Nick » désigne la double auctorialité revendiquée pour l’expérience.
-
[11]
Le cas de Milgram est différent puisque lui, qui travaille après la Shoah, veut montrer que n’importe qui peut se soumettre à une autorité socialement instituée : l’autorité scientifique n’est pour lui qu’un exemple transposable.
-
[12]
J’ai choisi de placer entre barres obliques le nom des auteurs lorsque leurs propos sont cités dans la presse, dans la mesure où ces propos ont pu être reformulés et s’éloigner de la pensée de l’auteur. Plusieurs auteurs qui interviennent dans la querelle disent, si l’on croit la presse, des énormités : Wolton paraît ne pas savoir que Milgram cherche à mettre hors jeu l’agressivité et le sadisme ; Jost paraît réduire la télévision au simple rôle de miroir du social ; Macé semble confondre fiction et feintise. Ce type de mésaventure m’est parfois arrivé. L’analyse des propos publiés des auteurs se rapporte donc à l’image représentée de leur compétence dans les médias ; elle ne concerne pas leur propre recherche.
-
[13]
Dominique Wolton, 2010, « L’homme est un loup pour l’homme ? On le savait déjà », Journal du dimanche, 14 mars, p. 2.
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[14]
Cf. sur ce point l’article de Camille Jutant dans ce dossier.
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[15]
Christophe Nick avait notamment lu avant le tournage La soumission à l’autorité de Stanley Milgram, un article publié par Valérie Patrin-Leclère et moi paru dans Hermès, les essais de Bernard Stiegler sur l’hyperindustrialisation de la culture et Les illusions libérales de Jean-Léon Beauvois. Les conversations ont commencé par le commentaire de ces travaux. Un autre chercheur, qui devait intervenir sur les mêmes bases, s’est avéré indisponible in extremis parce qu’il a été mobilisé sur un autre terrain.
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[16]
Les catégories ici utilisées proviennent de la théorie des genres littéraires réinterprétée par les études télévisuelles (Hamburger, Kate, 1986, La logique des genres littéraires, Seuil, [1977] ; François Jost, 1997, « La promesse des genres », Réseaux, 81, pp. 11-31).
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[17]
On pense à l’analyse menée par Barthes de la « physionomie de l’abbé Pierre » (Barthes, Roland, 2002, Mythologies, in Œuvres complètes 1, Seuil [1957], pp. 711-713). Plus spécifiquement, le recours à une figure pour incarner une discipline associe au sein d’une scène médiatique un rapport de communication et une conception du savoir. La personnification de l’archéologie par Yves Coppens et l’ironie de Pierre-Gilles de Gennes n’engagent, ni la même relation avec le public, ni les mêmes valeurs (Anthippi Potolia, 2009, « Écran écrit, savoir : évolution des images discursives dans les cédéroms de vulgarisation scientifique », thèse de doctorat, sous la direction de Daniel Coste, Université Paris 3).
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[18]
La presse générale et spécialisée vulgarise Milgram beaucoup plus aisément que les études télévisuelles.
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[19]
Cf. sur ce point Jacqueline Chervin, 1997, « Est-ce que vous avez la bonne image sur votre écran ? », Hermès, 21, pp. 67-77.
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[20]
Cf. sur ce point Olivier Aïm, 2004, « Une télévision sous surveillance : les enjeux du panoptisme dans les “dispositifs” de télé-réalité », Communication & langages, 141, pp. 49-59.
-
[21]
Igor Babou, 2004, Le cerveau vu par la télévision, PUF, pp. 159-164.
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[22]
Éliseo Véron, 1983, « Il est là, je le vois, il me parle », Communications, 38, pp. 88-120.
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[23]
Sur le site de France 2 et dans le dossier de presse, la liste des conseillers scientifiques de la première émission (à laquelle j’appartiens) est titrée « Psycho-sociologues ».
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[24]
Selon Jean-Michel Berthelot, philosophe des sciences sociales, le modèle de la raison expérimentale domine les sciences anthroposociales, mais « seule la psychologie sociale, dans la droite ligne de la psychologie expérimentale dont elle procède, relève stricto sensu du modèle. En d’autres termes, si la constitution de leur dispositif de connaissance par les quatre disciplines se fait sous les auspices du seul modèle de scientificité légitime, celui des sciences de la nature, ce modèle peut être source de tensions, de résistances, voire de refus au nom de la spécificité du domaine étudié », (Berthelot, Jean-Michel, 2001, « Les sciences du social», dans Épistémologie des sciences sociales, PUF, p. 218. Les quatre disciplines types étudiées par Berthelot sont la démographie, l’ethnologie, la psychologie sociale et la sociologie.
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[25]
Ces variantes et leurs justifications sont détaillées dans Christophe Nick et Michel Eltchaninoff, 2010, L’expérience extrême, Don Quichotte, Paris.
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[26]
Cet écart s’est manifesté dans les échanges que j’ai eus avec Christophe Nick, pendant le tournage puis pendant le montage (alors que j’étais interviewé pour le second film) sur la façon d’évaluer le rôle, essentiel ou marginal, joué par le public. En effet, le protocole mis en place avec les psychologues sociaux affectait l’une des injonctions, la cinquième, à un « appel au public ». Le faible poids de cette injonction sur les comportements suggérait d’exclure un rôle majeur du public ; en revanche, dans une perspective communicationnelle, il n’est pas nécessaire que le public soit explicitement mentionné pour qu’il soit déterminant.
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[27]
Je souhaite ici me distancier des discours qui stigmatisent les activités de médiation et de médiatisation large des savoirs en supposant une scène où un discours pur de recherche pourrait être diffusé. Cette approche cynique, qui consiste à mesurer toujours la déception par rapport à un tel idéal, me semble improductive. Toute la difficulté de la communication médiatique consiste dans la nécessité de captation que lui impose son cadre même. C’est pourquoi je ne suppose nullement que les contradictions et difficultés décrites dans cet article auraient pu être évitées.
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[28]
Pour les facteurs liés à la diffusion, à la programmation et aux politiques de la chaîne, non étudiées ici, cf. l’article de Valérie Patrin-Leclère dans le même dossier.
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[29]
Pour mesurer la force de cette réécriture, il n’est que de la comparer à ce qui figure dans le dossier de presse, distribué à tous les acteurs concernés (journalistes et intellectuels), sous la plume de Patricia Boutinard-Rouelle, directrice de l’unité de programme à France 2, écrit : « Ce documentaire a […] pour but de créer un véritable électrochoc (si je puis dire) et un vrai débat parmi ceux qui pensent et agissent sur la télévision. En mettant l’accent sur les dérives des chaînes commerciales (pour l’essentiel étrangères), cette soirée événementielle pose aussi la question de la place et de la responsabilité culturelle et sociale des chaînes de service public comme contrepouvoir face à la mercantilisation croissante de la télévision ». Ce discours n’est repris, ni par le présentateur de la soirée (Christophe Hondelatte), ni dans les dossiers de la presse, ni dans les propos des chercheurs invités à la présentation anticipée des documentaires.
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[30]
« Pousse au crime », Télé Z, 8 mars 2010.
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[31]
Il existe en réalité de nombreuses autres différences, notamment liées à la façon de formuler les différentes « injonctions » faites aux candidats, par le scientifique dans l’expérience de Milgram et par l’animatrice dans Le Jeu de la mort. Elles sont commentées L’expérience extrême, op. cit.
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[32]
Selon la formule qui définit selon Jakobson la fonction poétique, le documentaire projette l’axe paradigmatique (série des candidats) sur l’axe syntagmatique (déroulement du jeu). « La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison » (« Linguistique et poétique », dans : Jakobson, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Minuit, [1960], p. 220).
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[33]
Christophe Nick a procédé à un montage de ces extraits qu’il avait l’intention d’inclure dans le documentaire Le Jeu de la mort ; mais il a renoncé à les intégrer au film parce que, selon lui, la tension dramatique à laquelle menait le discours des candidats excluait l’introduction d’un degré de complexité nouveau dans l’explication à la quatre-vingtième minute du film (entretien après la diffusion).
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[34]
Cf. sur ce point Christian Metz, 1991, L’énonciation impersonnelle ou le site du film, Klincksieck.
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[35]
On trouve les mêmes rappels dans les textes de chercheurs non publiés dans la presse mais collectés sur le site internet du laboratoire Communication et politique du CNRS (http://www.lcp.cnrs.fr/html/05-tribune.html).
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[36]
« La télévision, une arme idéologique ? », table ronde entre Éric Macé et Christophe Nick, L’Humanité, 27 mars 2010.
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[37]
« Jusqu’où peut aller la téléréalité ? », Le figaro, 15 mars 2010, p. 22.
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[38]
Cf. sur ce point Le Marec, Joelle, 2002, « Ce que le “terrain” fait aux concepts : vers une théorie des composites », Mémoire pour l’Habilitation à diriger les recherches, Université de Paris 7.
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[39]
Cf. sur ce point l’article de Camille Jutant dans ce dossier.
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[40]
D’après Christophe Nick, une grande partie des commentaires donnés par la voix over du Jeu de la mort proviennent d’échanges tenus au fil du tournage et du montage au sein de l’équipe de production (entretien postérieur à la diffusion).
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[41]
Marinoni, Fabrice, 2010, « Le Jeu de la mort : les coulisses du programme de France 2 », Sonovition broadcast, 1er avril.
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[42]
Cf. sur ce point Berthelot, Jean-Michel (dir.), 2003, Figures du texte scientifique, PUF et Jeanneret, Yves (dir.), 2010, Édition et publication scientifiques en sciences humaines et sociales : formes et enjeux, actes du colloque international (17 au 19 mars), Université d’Avignon et des pays de Vaucluse.
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[43]
Régis Debray, 1979, Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay.
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[44]
Jean-Léon Beauvois, 1994, Traité de la servitude libérale : analyse de la soumission, Dunod.
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[45]
Bernard Stiegler, 1994, La technique et le temps – vol. 1 La faute d’Épiméthée, Galilée.
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[46]
Alice Krieg-Planque, 2009, La notion de « formule » en analyse du discours, Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon.
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[47]
Marc Lits, 2008, Du récit au récit médiatique, Bruxelles, De Boeck.
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[48]
Le texte provient probablement de la chaîne.
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[49]
Nathalie Jacquet, 2010, « Un pavé dans le petit écran », Télé TNT, 8 mars, p. 41.
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[50]
Le Havre libre, 17 mars 2010.
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[51]
L’Est-Éclair, 17 mars 2010.
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[52]
« Pousse au crime ? », Télé Z, 8 mars 2010, p. 124.
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[53]
Baudouin Jurdant, 2009, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, Archives contemporaines, Paris, [1973], pp. 68-78.
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[54]
Il s’agit d’un processus que j’ai analysé avec Emmanuël Souchier à propos de la temporalité et des ressources médiatiques d’une élection présidentielle (Yves Jeanneret, Emmanuël Souchier, 1997, « Légitimité, liberté, providence : la reconnaissance du politique dans les médias », Recherches en communication, 6, pp. 145 à 166).
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[55]
Télé-Obs, 11 mars 2010, p. 42.
-
[56]
10 mars 2010. Titre de couverture.
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[57]
Bernard Delforce et Jacques Noyer, (dir.), 1999, « La médiatisation des problèmes publics », Études de communication, 22.
-
[58]
France-Soir, 17 mars 2010.
-
[59]
Télérama, 10 mars 2010.
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[60]
Journal du dimanche, 14 mars.
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[61]
France-Soir, 18 mars 2010. On notera que l’abréviation « télé », déjà présente dans le titre du programme, est un signe de généralisation et d’essentialisation du média, par rapport au terme « télévision ».
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[62]
Jacquet, Nathalie 2010, « Un pavé dans le petit écran ! », Télé TNT, 8 mars et Télé Cable satellite, 8 mars.
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[63]
Ici encore, rien ne prouve que les chercheurs et les experts convoqués aient souhaité mettre l’accent sur cette formule, ni d’ailleurs qu’ils l’aient explicitement prononcée. Il s’agit bien de leur parole représentée et alléguée dans les médias.
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[64]
Emmanuël Souchier, 1998, « L’image du texte : pour une théorie de l’énonciation éditoriale », Cahiers de médiologie, 6, pp. 137-145.
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[65]
Loïc Torino-Gilles, 2010, « Faut-il avoir peur du Jeu de la mort ? », France-soir, 17 mars, pp. 31-32.
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[66]
Aurélie Tavernier, 2004, « Mais d’où qu’ils parlent ? : l’enjeu du titre à parler dans la presse comme lien entre le social et le discursif », Études de communication, 27, pp. 159-176.
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[67]
Annette Béguin-Verbrugge, 2006, Images en texte, images du texte : dispositifs graphiques et communication écrite, Presses du Septentrion.
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[68]
Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, 1983, La Folle du logis : la télévision dans les sociétés démocratiques, Gallimard.
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[69]
Dominique Wolton, 1990, Éloge du grand public : une théorie critique de la télévision, Flammarion.
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[70]
Dominique Wolton, 2010, « L’homme est un loup pour l’homme ? On le savait déjà », Le journal du dimanche, 14 mars, p. 2.
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[71]
Céline Ségur, 2009, Les recherches sur les téléspectateurs : trajectoires académiques, Hermès.