Notes
-
[1]
Eliseo Véron, 1982, « Qui sait ? », Communications, 36, p. 55.
-
[2]
Chartier, Roger, 1996, « Le prince, la bibliothèque et la dédicace », Le pouvoir des bibliothèques, la mémoire des livres en Occident, Marc Baratin et Christian Jacob (dirs.), Albin Michel.
-
[3]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, Gallimard.
-
[4]
La théorie du don, contre-don de Marcel Mauss nourrira nos propos. Mauss, Marcel, 2007 [1925]. Essai sur le don, PUF, coll. « Quadrige ».
-
[5]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, La Découverte, coll. « L’Armillaire ».
-
[6]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », Sociologie de l’art, 6.
-
[7]
La place de la Carrière forme avec la place Stanislas un ensemble architectural et historique inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
-
[8]
Informations recueillies sur le site www.livresurlaplace.fr., consulté le 15 septembre 2009.
-
[9]
Créé en 1987, L’Été du Livre se déroule, au même titre que Le Livre sur la Place, sur la place centrale de la ville et sous un chapiteau.
-
[10]
Écrivain-en recherche d’emploi, 39 ans au moment de l’entretien, Montigny-lès-Metz. Livre présenté au Livre sur la Place : Patrick-Serge Boutsindi, 2009, L’homme qui a trahi Moungali, L’Harmattan, Paris. Entretien réalisé le 26 mai 2009. Patrick-Serge Boutsindi accorde une place très importante aux activités paralittéraires telles que les salons du livre et les rencontres en milieu scolaire.
-
[11]
Auteure jeunesse-professeur de français, 53 ans, Nancy : Muriel Carminati, 2009, L’Éléphant du Nil, Oskar Jeunesse, Paris.
-
[12]
Écrivain-collaboratrice pour un groupe politique, 22 ans, Metz : Lhote, Florence, 2009, Vierge à trente ans, Lucien Souny, Limoges. La particularité de cette auteure est d’avoir été interrogée avant qu’elle ne participe, pour la première fois, au Livre sur la Place. Elle est nouvellement entrante dans le champ littéraire.
-
[13]
Écrivain, 54 ans, Paris : Yasmina Khadra, 2008, Ce que le jour doit à la nuit, Robert Laffont.
-
[14]
Écrivain-professeur d’Anglais, 40 ans, Metz : Rosa, Steve, 2009, Meurtres par procuration, Serpenoise, Metz.
-
[15]
Écrivain-chanteur, 57 ans, Metz : Hanot, Pierre, 2009, Les Clous du fakir, Fayard. Pierre Hanot fait régulièrement des animations littéraires en milieu carcéral.
-
[16]
Écrivain-intermittente du spectacle, 36 ans, Nantes : Lethielleux, Maud, 2009, Dis oui, Ninon, Stock.
-
[17]
Auteur autoédité de poésie, retraité de l’Éducation Nationale, 64 ans, Dieulouard (54) : Appel, Bernard, 2008, Dedans le ventre doux d’un souvenir de femme, autoédition.
-
[18]
Illustrateur-artiste peintre, 52 ans, Siewiller (67) : Untereiner, Guy, Maubeuge, Michèle, 2008, Desserts et délices de Lorraine, Place Stanislas, Nancy.
-
[19]
Écrivain-enseignant chercheur, 48 ans, Villers-lès-Nancy : Vincent Boly, 2004, Ingénierie de l’innovation. Organisation et méthodologie des entreprises innovantes, Hermès, Paris.
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[20]
Écrivain, 75 ans, Poncarrès (77) : Maryvonne Miquel, 2006, Aliénor, la reine adultère, Ramsay, Paris.
-
[21]
Écrivain-retraitée de l’Éducation Nationale, 72 ans, Bantheville (55) : Henriette Bernier, 2009, Petite mère, Presses de la Cité, Paris.
-
[22]
Écrivain-réalisateur-Maître de conférences à l’IECA (Nancy), 48 ans, Dombasle-sur-Meurthe (54), a notamment écrit : Philippe Claudel, 2003, Les Âmes grises, Stock, Paris ; et Philippe Claudel, 2007, Le rapport de Brodeck, Stock, Paris.
-
[23]
Paradoxalement, ce ne sont pas les écrivains qui signent le plus qui voient en la dédicace un geste mécanique.
-
[24]
Gérard Genette, 2006, Bardadrac, Seuil, coll. « Fiction & Cie », p. 116.
-
[25]
En cela, nous mettons au jour la première tension qui se cristallise dans la pratique dédicataire.
-
[26]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 219.
-
[27]
Bernard Lahire, 2006, La condition littéraire, la double vie des écrivains, La Découverte, p. 331.
-
[28]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 170.
-
[29]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 8.
-
[30]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 170.
-
[31]
Michel Foucault a montré comment l’auteur est à envisager moins comme un être que comme une « fonction » – la « fonction-auteur » –, détachée de l’individu et de la matérialité de ses écrits. (Michel Foucault, 1994, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et écrits, I 1954-1988, Gallimard, p. 792).
-
[32]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 218.
-
[33]
Ils sont quatre écrivains à voir en la pratique de la dédicace une forme concrète de reconnaissance de leur statut.
-
[34]
Le sens premier du mot autographe apparaît comme suit : un texte écrit à la main. Mais c’est le second qui intéresse plus particulièrement notre propos : la signature d’un auteur.
-
[35]
Peirce, Charles S. 1978, Écrits sur le signe, rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle, Seuil.
-
[36]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 30.
-
[37]
Ibid., p. 10.
-
[38]
Nous entendons par « médiation » toute rencontre dite « contrôlée » (Jean Caune, 1999, Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, PUG, Grenoble, p. 27) entre l’écrivain et le lecteur par le biais d’un dispositif littéraire tel que le café littéraire, les lectures publiques en librairies ou encore les manifestations littéraires en général.
-
[39]
Roland Barthes, 1995 [1980], « La Chambre claire », Œuvres complètes, 3 : 1974/1980, Seuil, p. 793.
-
[40]
Ibid., p. 881-882.
-
[41]
46 % des lecteurs déclarent apprécier le caractère personnalisé de la dédicace, repoussant ainsi l’idée qu’elle puisse être « ordinaire ».
-
[42]
Yves Winkin, 2001 [1996], Anthropologie de la communication, Seuil, coll. « Essais », p. 214.
-
[43]
Dans cet échantillon, quatre écrivains n’hésitent pas à critiquer ouvertement leurs pairs qui ne font pas, quant à eux, l’effort de personnalisation.
-
[44]
Mauss, Marcel, 2007 [1925], Essai sur le don, op. cit.
-
[45]
Telle est la démarche suivie par Jean Davallon lorsqu’il a recours à la métaphore filée du don, contre-don pour qualifier les enjeux de la patrimonialisation (2000, L’exposition à l’œuvre, Stratégies de communication et médiation symbolique, L’Harmattan, coll. « Communication »).
-
[46]
Pierre Bourdieu, 1980, Le sens pratique, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », pp. 179-180.
-
[47]
Maurice Godelier, 1996, L’énigme du don, Flammarion, coll. « Champs essai », p. 291.
-
[48]
Ibid., pp. 291-292.
-
[49]
Eliseo Verón, 1982, « Qui sait ? », op. cit., p. 55.
-
[50]
Ibid., p. 55.
-
[51]
Pierre Bourdieu, 1980, Le sens pratique, op. cit., p. 191.
-
[52]
Nathalie Heinich, 1999, L’épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, p. 240.
-
[53]
Charte consultable en ligne sur : http://www.bdfil.ch/documents/charte_dedicaces.pdf (consulté le 25 janvier 2010).
-
[54]
Ibid.
-
[55]
Jean Davallon, 2000, L’exposition à l’œuvre, Stratégies de communication et médiation symbolique, op. cit., p. 168.
-
[56]
Yves Jeanneret, 2008, Penser la trivialité. La vie triviale des êtres culturels, vol. 1, Hermès Lavoisier, p. 83.
-
[57]
Walter Benjamin, 2000 [1939], L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, « Œuvres III », Gallimard.
-
[58]
Nathalie Heinich observe que les techniques de reproduction des œuvres « sont la condition même d’existence de cette aura : c’est parce que (et non bien que) la photographie multiplie les images que les originaux gagnent un statut privilégié » (Heinich, Nathalie, 2001, La sociologie de l’art, La Découverte, coll. « Repères »). C’est bien parce que les livres sont reproductibles que tous signes distinctifs – la dédicace en premier lieu – font d’eux des originaux qui les différencient de la masse.
-
[59]
À nouveau, on observera la tension existant entre l’unicité de l’œuvre (l’aura) et la banalisation du geste dédicataire.
-
[60]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 173.
-
[61]
Déçue de sa rencontre avec Marc Lévy, une lectrice déclare ne « plus lire ses livres comme avant » (entretien, 26 mai 2009). Un travail sur la réception des œuvres dédicacées reste à faire.
-
[62]
Sur la question des objets sacrés, voir Godelier, Maurice, 1996, L’énigme du don, op. cit.
-
[63]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », op. cit., p. 25.
-
[64]
Cette définition s’écarte de celle donnée par Jean-Pierre Babelon et André Chastel pour qui la relique est un objet ayant appartenu à quelqu’un en particulier, mais appartenant dorénavant à la communauté (1994, La notion de patrimoine, Liana Levi).
-
[65]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 276.
-
[66]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », op. cit., p. 28.
-
[67]
Ibid., p. 26.
-
[68]
Bourdieu, Pierre, 1992, pp. 246-247.
-
[69]
L’analyse des entretiens montrera que près de 80 % des répondants idéalisent d’une façon ou d’une autre la figure de l’écrivain.
-
[70]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 244.
-
[71]
Ces logiques sont importées d’autres industries culturelles telles que le cinéma et la musique.
1La dédicace d’un livre est un « genre assez curieux » [1] que nous proposons d’examiner en tant que geste scriptural hautement symbolique. Pratique de plus en plus fréquente, héritière des « dédicaces au Prince » [2] très courantes au xviie siècle, la dédicace – telle qu’elle se déroule aujourd’hui au cours de rencontres littéraires publiques – est encore un acte graphique très peu analysé par le corps universitaire. L’ouvrage de Béatrice Fraenkel [3] dédié à la signature donne une base solide à partir de laquelle l’examen du geste dédicataire peut être entrepris. Bien plus que l’artifice d’une rencontre entre un écrivain et un lecteur, nous entendons montrer combien ce geste peut être au cœur de représentations sociales riches et complexes. Il convient de préciser que l’acte dédicataire qui nous intéresse est celui qui se réalise en public, c’est-à-dire, en la présence physique du destinataire (un lecteur lambda et inconnu de l’auteur). Sont par conséquent exclues de notre étude toutes les dédicaces qui sont adressées, en amont, par l’auteur à des personnes plus ou moins (re)connues. Ceci posé, nous tenterons de répondre à la question suivante : qu’en est-il des propriétés et représentations que revêt un tel geste périgraphique et surtout identitaire, relatif à l’identité de l’auteur et à celle du destinataire ?
2Pour répondre à cette question, nous avons choisi d’étudier la pratique de la dédicace dans un contexte d’étude propice à son analyse : le salon du livre de Nancy. Une série d’entretiens conduits auprès de lecteurs et d’écrivains a permis de mettre au jour la richesse que revêt cette pratique mais aussi et surtout les tensions qu’elle implique (geste banal versus acte sacré, pratique reproductible versus unicité, don versus dû). En effet, selon le regard qui lui est porté, elle peut être considérée comme un artifice ou comme un objet sacré, voire fétiche. De même, elle peut être perçue en tant que don [4] ou dû. Malgré tout, qu’elle soit jugée banale ou perçue comme une marque de reconnaissance (Nathalie Heinich [5]), qu’elle soit envisagée comme un bien ou comme une prestation, la dédicace d’un livre est toujours considérée comme étant la trace d’une rencontre qui se réalise à partir d’un seul et même objet de médiation : le livre. Ainsi exprime-t-elle, à travers ces tensions, deux de ses propriétés majeures, à savoir l’inscription comme trace et comme situation de communication entre le lecteur et l’auteur. Une méthodologie appropriée (voir infra) permet également de comprendre comment est perçu le geste dédicataire et en quoi les quelques mots manuscrits d’un auteur modifient le regard porté sur le livre dédicacé. En effet, il nous a semblé intéressant de dépasser la stricte analyse de la dédicace pour examiner les appropriations et les usages particuliers dont le livre, une fois dédicacé, fait l’objet. En cela, l’article de Nathalie Heinich [6] sur les « objets-reliques » et les « objets-fétiches » sera mobilisé.
Objet d’étude et méthodologie
3Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale consacrée aux salons du livre entendus comme lieux où se joue un nouveau rapport au monde du livre. Plus précisément, c’est l’étude du Livre sur la Place qui intéresse notre propos. Il s’agit d’une manifestation littéraire organisée au cœur de Nancy au mois de septembre sur une période allant de trois à quatre jours. Plus de 450 auteurs sont réunis sous un chapiteau situé depuis 2004 sur la place de la Carrière [7]. Le salon accueille près de 130 000 visiteurs par an [8]. Trois critères peuvent justifier le choix de ce terrain. Premièrement, Le Livre sur la Place, dont la première édition remonte à 1979, est l’une des premières manifestations littéraires créées en France. Seul le Festival de la bande dessinée à Angoulême (1974) le précède. On notera tout de même que la première édition de la Foire du livre de Brive a eu lieu en 1978 mais que celle-ci n’est devenue un événement annuel qu’à partir de 1981. À l’étranger, nous soulignons également la création des « foires » du livre telles que la célèbre Foire du livre de Francfort créée en 1949 et celles de Londres et de Bruxelles créées en 1971. Ces « foires » du livre s’éloignent de notre objet d’étude au sens où elles sont essentiellement destinées aux professionnels du livre (éditeurs et attachés de presse y sont très largement représentés), alors que Le Livre sur la Place est l’un des premiers événements littéraires destinés, en priorité, aux publics et aux auteurs locaux. Deuxièmement, contrairement au festival d’Angoulême, spécialisé dans la bande dessinée, Le Livre sur la Place a été choisi pour son caractère éclectique. Le genre littéraire n’étant pas un critère de sélection, la multiplicité des écrivains, des écrits et des publics est favorisée, ce qui apporte à notre recherche un regard plus panoramique. Troisièmement, nous considérons que Le Livre sur la Place est emblématique, de par son histoire et sa longévité, d’un grand nombre d’événements d’envergure similaire. La croissance du salon – en nombre d’auteurs et de visiteurs –, sans oublier le rôle particulier joué par la ville dans l’organisation et la programmation sont autant de marqueurs communs à un grand nombre de manifestations littéraires.
4Pour comprendre ce qu’implique la réalisation d’une dédicace sur la première page d’un livre, nous avons réalisé une série d’entretiens auprès de treize écrivains. Nous avons jugé opportun de profiter de L’Été du Livre (le salon du livre de Metz [9]) qui s’est déroulé les 5 et 6 juin 2009 pour prendre les premiers contacts. Ainsi avons-nous pu programmer, de juin à juillet 2009, sept entretiens semi-directifs avec des auteurs participant à la fois aux salons de Metz et de Nancy. Il s’agit de Patrick-Serge Boutsindi [10], Muriel Carminati [11], Florence Lhote [12], Yasmina Khadra [13] – lequel est sans doute l’écrivain le plus populaire des sept –, Steve Rosa [14], Pierre Hanot [15] et Maud Lethielleux [16]. Six autres écrivains ont également été interrogés de mai 2009 à juin 2010 et ont été contactés pour des raisons plus spécifiques. Bernard Appel [17] a été sollicité parce qu’il est un poète autoédité – particularité qui mène à s’interroger sur la place qu’occupe l’autoédition sur le salon –, Guy Untereiner [18] parce qu’il est illustrateur, Vincent Boly [19] parce qu’il rencontre des difficultés à obtenir une place au salon de Nancy, Maryvonne Miquel [20] – épouse de l’écrivain-historien Pierre Miquel et elle-même auteure – parce qu’elle fréquente depuis ses origines le Livre sur la Place, Henriette Bernier [21] parce qu’elle jouit d’une importante renommée dans la région et enfin Philippe Claudel [22] parce qu’il ne fréquente aucun autre salon que celui de Nancy. Ce sont donc treize écrivains au total qui ont été amenés à répondre à une quinzaine de questions portant sur la façon dont ils vivent la rencontre avec les lecteurs et sur la pratique de la dédicace.
5Afin de saisir ce que représente matériellement, symboliquement et socialement la griffe d’un écrivain, nous avons interrogé de manière aléatoire, à la sortie du salon, trente-neuf visiteurs-lecteurs. Ces derniers ont été invités à répondre à une vingtaine de questions portant essentiellement sur la situation communicationnelle particulière qui les place face à un auteur. Cet échantillon comprend 23 femmes et 16 hommes. Les répondants sont âgés de 16 à 73 ans, 61,5 % d’entre eux habitent dans le Grand Nancy (dont 75 % à Nancy même), 7 résident à Metz et une femme vient de Perth (Australie). 51 % d’entre eux occupent un statut professionnel élevé (10 cadres et 10 professions intermédiaires) et 17,9 % sont employés. On notera également le nombre conséquent de retraités (8 au total, dont 3 de l’Éducation nationale).
D’un acte jugé ordinaire…
6Dans le but d’analyser une pratique aussi riche et complexe en termes de représentations, de significations et de tensions, nous avons séparé – dans la mesure du possible – les témoignages d’auteurs de ceux des lecteurs en veillant toutefois à les croiser pour mettre au jour certains points saillants. Tout d’abord, pour cinq écrivains interrogés, l’acte dédicataire se veut l’aboutissement d’une rencontre avec le lecteur, voire son « prétexte » (entretien, Maud Lethielleux, 18 juillet 2009). Qualifié de « naturel », de « traditionnel » (entretien, Bernard Appel, 29 mai 2009) ou même de simple « artifice » (entretien, Florence Lhote, 19 juin 2009), il s’incorpore dans le temps de la rencontre et en marque le point final. Jugée sans grande importance [23], la dédicace, dans ce cas, ne saurait supplanter l’intérêt de la conversation qui la précède comme en témoignent les propos de Bernard Appel : « Le plus important, ce n’est pas la dédicace, mais la conversation qui la précède. Tout a déjà été dit dans la conversation. Ce que j’aurais envie d’écrire là, ce sont souvent des choses qui ont déjà été dites dans le cours de la conversation. » Par excès d’habitude, le geste dédicataire semble être devenu un automatisme auquel s’adonnent certains auteurs sans y réfléchir et sans sentiment. Pour s’en convaincre, prenons l’exemple de l’écrivain Steve Rosa : « Je ne sais pas si je ressens quelque chose en particulier parce que c’est vrai qu’au bout d’un moment, la dédicace devient quelque chose d’un peu banal » (entretien, 10 juillet 2009). Le caractère habituel de cet acte dédicataire est tel que Gérard Genette accorde au terme « dédicace » une définition très particulière dans son abécédaire. Elle commence ainsi : « Un jour, disait amèrement William Golding, quelqu’un découvrira un exemplaire d’un de mes romans non dédicacé, et il vaudra une fortune » [24]. Cette définition montre combien cette pratique est devenue monnaie courante, au point que la rareté d’un livre ne demeure plus en la signature de l’auteur mais en son absence.
7S’il y a effectivement banalisation de l’acte dédicataire, cela présuppose que ce geste est pris dans un processus bien rôdé qui se répète en boucle. En effet, tout porte à croire que la rencontre avec l’écrivain fonctionne comme un jeu social ou un « pacte » (entretien, Philippe Claudel, 13 mars 2010) passé entre le lecteur et l’auteur et se décomposant en trois temps successifs : la discussion avec le maître d’œuvre, la dédicace du livre et enfin son achat. Mais que se passe-t-il lorsque le lecteur choisit d’outrepasser l’une de ces trois étapes et notamment celle de la dédicace, laquelle est quasiment instituée en tant que passage obligé, voire en tant que rituel ? Généralement, l’effet produit chez l’auteur est celui de la surprise : preuve que la dédicace fait tacitement partie de la rencontre et que son absence est remarquée. Il est vrai que rares sont les lecteurs qui se rendent à des manifestations littéraires sans avoir recours à cette pratique. Seule une lectrice parmi notre échantillon affirme refuser ce qui, à ses yeux, s’apparente à un vulgaire « gribouillis » (entretien, 48 ans, 18 septembre 2009). De même, seuls huit lecteurs interrogés estiment que la dédicace n’est autre qu’une forme de politesse obligée ou encore l’expression d’un sentiment purement factice. Un certain nombre de termes et d’expressions rendent plus ou moins compte de la frivolité et de l’illégitimité de cette pratique : « futile » (femme, 47 ans, 18 septembre 2009), « pas grand-chose » (femme, 57 ans, 19 septembre 2009), « pas trop d’intérêt » (homme, 43 ans, 19 septembre 2009), « aucune importance » (femme, 58 ans, 19 septembre 2009). Pour ces rares personnes, accorder autant d’importance, autant de valeur à un geste qui sonne faux relève de l’absurde, comme en témoigne cette lectrice : « On me dit “amitiés à Dominique”, mais je n’ai pas besoin des amitiés de quelqu’un que je ne connais pas » (entretien, 19 septembre 2009). Les propos de Philippe Claudel abondent également en ce sens : « Je ne mets jamais “amicalement”. Moi je ne suis pas dans le mensonge. C’est ridicule quand on ne connaît pas la personne » (entretien, 13 mars 2010). Même si le cas est rare, il est intéressant d’analyser ce refus de la dédicace, non comme une forme de déconsidération voire de mépris envers l’écrivain, mais plutôt comme la rupture d’un contrat tacite qui gouverne la rencontre (échange, dédicace, achat du livre). En choisissant de déroger aux règles (nomos) qui régissent le jeu de la rencontre (en particulier de la dédicace), le lecteur se place en tant que joueur qui, soit ne connaît pas les règles, soit les bafoue – raison pour laquelle Pierre Hanot parlera de véritable « acte militant » (entretien, 10 juillet 2009) ou, pourrait-on dire, de « braconnage » au sens de Michel de Certeau. Le lecteur qui – en refusant la marque de l’auteur – sort des sentiers battus, revendique sa différence et son insoumission au rituel de la rencontre. Toujours est-il que la banalisation du geste dédicataire et son inscription dans une forme de ritualisation supposent qu’au départ, il n’en était pas ainsi. Steve Rosa – ce même écrivain qui associait la dédicace à un geste banal – finira par avouer, au cours de l’entretien, se souvenir parfaitement de sa première dédicace et de la personne à qui elle était adressée. Par conséquent, l’apparent caractère ordinaire de ce geste ne doit en rien justifier le fait qu’il faille s’en désintéresser. En effet, malgré la répétition, celui-ci ne peut se réduire à un simple mécanisme. Il revêt d’autres significations tel le sentiment de reconnaissance qu’il semble octroyer à certains auteurs.
… À un geste de reconnaissance
8Alors que la banalité du geste dédicataire vient d’être mise au jour, force est de constater que pour certains – écrivains comme lecteurs – il peut être une marque de reconnaissance [25]. D’une part, il peut être perçu par l’auteur comme un indice de son statut d’écrivain et d’autre part, il peut être perçu par le lecteur comme étant la preuve qu’il a bien vu et rencontré tel ou tel auteur. Traitons, en priorité, le premier cas de figure et réservons le second à l’analyse de la dédicace comme trace.
9Nathalie Heinich a démontré, dans son ouvrage consacré à l’identité de l’écrivain, que « l’extrême personnalisation du lien unissant l’écrivain à ce qu’il écrit bascule dans la dépersonnalisation d’un objet [le livre publié] appelé à circuler dans le monde, hors de l’attente de son auteur » [26]. En ce sens, tout comme la participation à un salon du livre ou à toute autre « activité paralittéraire » [27], la publication d’un livre et l’inscription du nom de l’auteur sur la première de couverture peuvent être considérées comme une forme de « dépersonnalisation » [28] aux yeux de l’écrivain. En somme, une fois publiée et mise en circulation, l’œuvre n’appartiendrait plus à son auteur mais à la sphère publique. Or, en y apposant ses propres mots manuscrits et sa signature, le livre redevient en quelque sorte la propriété de l’auteur. Nous pensons donc que la dédicace comporte cette caractéristique de repersonnalisation de l’œuvre. En tant que « signe de l’identité » [29], elle est le lieu d’une double personnalisation : celle du destinataire à qui les mots sont intimement adressés et celle de l’auteur par qui l’empreinte certifie une nouvelle fois que l’œuvre est bien de lui.
10Tout comme la publication et la médiatisation, le geste dédicataire est perçu comme un acte de repersonnalisation mais surtout de reconnaissance qui permet à l’écrivain de se sentir « être écrivain » [30]. Rencontrer son lectorat, dédicacer un exemplaire de son livre, sont autant d’actions qui participent à la construction de la « fonction-auteur » [31] et prouvent à l’écrivain qu’il est lu : « Là vous vous dites : “ah ben oui, je suis lu. Il y a donc des gens qui me lisent” » (entretien, Philippe Claudel, 13 mars 2010). Certes, « l’œuvre est physiquement détachée de la personne [mais] en même temps, explique Nathalie Heinich, elle lui est symboliquement rattachée par la signature » [32]. Cet ajout textuel apposé sur le livre relève d’une forme de reconnaissance des médiateurs [33] – ici du grand public – qui, en accordant à l’écrivain le droit d’y laisser son empreinte et en y reconnaissant l’autorité de son nom, concourent à sa légitimité, à sa personnalisation et à son unicité. C’est à ces conditions que le livre dédicacé peut être considéré comme un objet marqueur d’identité : celle de l’écrivain.
La dédicace comme trace
11Quand, pour certains, la dédicace ne représente qu’un « petit plus » sans véritable intérêt (8 lecteurs sur 39), pour d’autres, elle en constitue la condition sine qua non : « Si j’achète un livre ici [Le Livre sur la Place], c’est pour qu’il soit dédicacé » (entretien, femme, 18 septembre 2009). Pour quelles raisons cette adresse personnelle est-elle si importante aux yeux des lecteurs ? La réponse est sans doute à chercher dans le caractère exclusif sur lequel repose ce geste. Pour en comprendre la raison, les éléments textuels qui composent la dédicace peuvent être une piste de réflexion. Celle-ci est constituée de quatre signes majeurs dotés d’un haut degré de signification : une adresse personnelle qui commence généralement par « à » ou « pour » suivi du prénom du dédicataire, un message plus ou moins personnel, c’est-à-dire plus ou moins différent selon les individus, la date de la rencontre et enfin une signature, appelée aussi « autographe » [34]. Cette dernière est soit composée du nom et/ou du prénom de l’auteur, soit d’un pseudonyme. Dans tous les cas, la dédicace est un signe fort de l’identité de l’écrivain et du destinataire. Au regard de la théorie sémiotique de C. S. Peirce [35], celle-ci peut s’entendre comme un indice, au sens où elle est un signe lié à l’existence réelle de l’objet. Elle est l’indice d’une présence humaine, en l’occurrence celle de l’auteur. Partant de là, le livre dédicacé est considéré comme le « réceptacle d’un objet désormais vivant » [36] et cet objet vivant n’est autre que le souvenir d’une rencontre passée dont la dédicace, par son pouvoir d’attestation, en témoigne l’authenticité. Il est donc très fréquent que le livre soit considéré par les lecteurs (46 %) comme étant, avant tout, le témoin de cette rencontre fugitive. « C’est comme si c’était un certificat de rencontre avec l’auteur, une preuve, un souvenir, une émotion forte » (entretien, femme, 26 mai 2009). La dédicace est par conséquent un signe fondé sur la « permanence de soi » [37] permettant de sceller des « images, des moments physiques, vrais » (entretien, Yasmina Khadra, 22 juin 2009). Au même titre que la signature d’un papier officiel, elle est dotée d’une force probante. Certes, elle ne constitue pas un témoignage au sens strict du terme, mais est investie par une valeur testimoniale dans la mesure où elle témoigne d’une rencontre.
12De ce fait, le pouvoir d’attestation de la dédicace fait du livre non seulement l’objet et le prolongement de la médiation [38], mais il en constitue aussi la preuve matérielle. Dès lors il devient la possession exclusive du lecteur, et l’écrivain – par l’autorité de son nom et par le pouvoir d’inscription qui en dépend – reconnaît qu’il lui appartient personnellement. Par analogie, le livre dédicacé est alors considéré comme une photographie telle que Roland Barthes l’a définie : « On dirait que la photographie emporte toujours son référent avec elle […]. Le référent adhère. » [39] Le référent, en l’occurrence la figure de l’écrivain, adhère à la page du livre ; quant à son image et plus largement son souvenir, ils se manifestent à travers l’inscription manuscrite. Le livre – témoin d’un échange exclusif – dit d’une certaine manière que « ça a été » [40], que ça a eu lieu. Il est en ce sens associé à une dimension documentaire. C’est pour cette raison que la dédicace, entendue comme trace, est nécessairement en lien avec la mémoire individuelle. Par exemple, quand une personne relit ultérieurement le petit mot laissé par l’auteur, c’est l’effet « madeleine de Proust » qui agit : « Quand on reprend un livre eh bien ça fait plaisir de retrouver une note de l’auteur. On repense au moment où on l’a rencontré. Moi ça me fait plaisir » (entretien, femme, 19 septembre 2009). La dédicace possède donc cette capacité démiurgique permettant au livre de créer le souvenir d’une rencontre et ainsi de prolonger la médiation.
13Au-delà d’une simple trace, la dédicace et, par analogie, le livre dédicacé, font véritablement l’objet d’une possession devenant objet de patrimoine personnel (la propriété du destinataire), comme le souligne l’emploi répété du pronom personnel « notre » dans les propos de cette lectrice : « D’une certaine façon l’auteur reconnaît que c’est notre livre. Il écrit notre prénom » (entretien, 19 septembre 2009). L’adresse étant personnalisée et le livre appartenant à une personne précise [41], il apparaît alors justifié que le possesseur en question puisse exiger, ou tout au moins espérer, que le petit texte soit original. Or, faire preuve d’originalité quand on signe plusieurs dizaines de livres par salon ne semble pas si simple. Face à cette raison plus que justifiée et compréhensible, nombre de lecteurs interrogés adoptent une attitude particulière : celle du déni. La plupart des individus ont conscience que d’autres auront également le privilège de la dédicace et se doutent que le texte inscrit sur leur livre n’est pas unique. Pourtant, ils sont 41 % à croire ou à espérer que la petite phrase qui accompagne leur lecture soit exclusive. Ce procédé, dit d’« enchantement » [42] – par lequel une personne nie une partie de la réalité pour la rendre plus merveilleuse –, a pour but d’éviter que la « magie » de la rencontre (entretien, femme, 18 septembre 2009) ne se brise. Les propos d’une femme interrogée à ce sujet éclairent ce principe de dénégation : « Non ils n’écrivent pas la même chose. J’ai deux livres dans mon sac sur la cuisine lorraine et il n’a pas écrit la même chose pour ma fille et pour moi » (entretien, 18 septembre 2009). En niant une partie de la réalité (que l’écrivain puisse écrire le même texte à des personnes autres que sa fille), l’interrogée est séduite par une vision idéaliste du geste graphique en question. Mais, trois autres répondants n’ont pas réagi de la sorte et ont pris notre question concernant la reproductibilité des dédicaces comme une offense. En effet, à mettre l’accent sur une réalité qu’ils espèrent différente, notre question a déclenché certaines déceptions, tel est le cas par exemple de cette jeune femme : « Il y a des auteurs qui écrivent la même chose et ça m’ennuie parce que ça devient standard et ce n’est pas personnalisé ! » (entretien, 26 mai 2009). Dans cette optique, la standardisation d’un geste qui se veut par nature personnalisé sonne comme une contradiction. D’autres se résignent et se rendent à l’évidence : « J’aimerais bien me dire… mon ego aimerait bien me dire qu’il invente une phrase spécialement pour moi. Mais ce sont des écrivains et ils ont beau être très créatifs et très inspirés, ils ne vont pas s’amuser à inventer dix mille phrases pour faire des dédicaces personnalisées à chaque fois. C’est pour ça que je ne leur en veux pas » (entretien, 19 septembre 2009). Car il est vrai que la dédicace, pour peu que l’écrivain s’emploie à être original, est un véritable exercice de style et de création. L’épreuve de l’originalité est parfois tellement difficile que dix écrivains sur treize le revendiquent avec fierté, à l’instar de Philippe Claudel : « J’essaie toujours de changer » et de Steve Rosa : « Le lecteur qui vient et qui fait l’effort de vous prendre un bouquin mérite quelque chose qui se situe au-delà d’un simple “Bonne lecture”. J’essaie toujours d’écrire quelques mots qui me paraissent être inspirés de la personne qui est devant moi » (entretien, 10 juillet 2009) [43].
La dédicace : don ou dû ?
14Quand elle n’est pas jugée ordinaire et mécanique, la dédicace est significative d’un acte de générosité envers le lecteur. Au-delà d’un objet marchand, le livre dédicacé est considéré par six écrivains comme étant un cadeau qu’ils font à leur lecteur, lequel a pris la peine de se déplacer et « a fait l’effort de l’acheter » (Steve Rosa, 10 juillet 2009). Parfois, la situation est très claire : la dédicace est « un acte d’amitié, […] un acte affectueux pour la personne. C’est un remerciement » (entretien, Bernard Appel, 29 mai 2009), « une offrande que l’on fait à ses semblables » (entretien, Maryvonne Miquel, 9 juillet 2009) ou encore « la transcription la plus élégante de dire merci » (entretien, Yasmina Khadra, 22 juin 2009). Quant aux lecteurs, la plupart d’entre eux la reçoivent comme s’il s’agissait d’un cadeau, voire d’un « petit salut amical » (entretien, femme, 18 septembre 2009).
15Dans cette optique, le geste dédicataire et le statut de présent qu’il accorde au livre s’apparentent au schéma du don, contre-don développé par Marcel Mauss [44] (1925). Celui-ci montre que l’acte de donner implique l’enchaînement de trois obligations que nous illustrons par notre terrain d’étude : celle de donner (la dédicace), celle de recevoir (le livre dédicacé) et celle de rendre (cette troisième obligation peut se traduire par plusieurs actions telles que la fidélité accordée à l’écrivain par exemple). Néanmoins, pour recourir pleinement à la métaphore du don, contre-don, encore faut-il parler non de « public », mais de « lecteurs ». La séparation entre le public et le lecteur – ou le futur lecteur – garantit que l’économie de don ne soit pas réduite à une économie de l’échange [45]: perception de la réalité qui nous semble trop restreinte. En effet, quand l’écrivain donne de son temps immédiat (le temps de la dédicace), de sa créativité (le contenu de la dédicace) et transmet un objet qui gagnera en valeur symbolique, le lecteur donne une somme d’argent, mais aussi et surtout un temps de lecture ultérieure et accorde de l’intérêt à l’auteur. Observons également que les dons peuvent s’enchaîner. En effet, il n’est pas rare que le livre dédicacé fasse l’objet d’un cadeau pour un proche de l’acheteur (c’est le cas pour 33 % de notre échantillon de lecteurs) ou soit légué « aux enfants et petits-enfants » (entretien, homme, 18 septembre 2009) qui le recevront en héritage.
16Le livre dédicacé est donc au fondement d’une chaîne de rapports sociaux établis entre un donateur et un donataire. Cette logique de la dédicace entendue comme don a pour avantage de considérer cet échange autrement que sous un angle purement économique, si bien qu’elle s’inscrit dans l’idéalisation d’un don « sans calcul », entendu comme un acte de générosité, une offrande désintéressée. La dédicace élève la nature de la rencontre au-delà d’une relation purement marchande et contribue de ce fait à renforcer l’idéal type de l’écrivain (un être hors du commun qui ne se laisserait pas subvertir ni pervertir par l’argent). De même, le temps que prend la réalisation de la dédicace, et plus particulièrement celle d’un auteur de bandes dessinées (l’inscription est généralement précédée d’un dessin), permet de sortir d’une relation obligée et intéressée comme le souligne Pierre Bourdieu : « L’intervalle de temps qui sépare le don du contre don permet d’éviter de considérer cette relation de manière obligée et intéressée » [46]. Maurice Godelier explique clairement la nature de ce don qui repose sur l’apparente « absence de calcul » [47]. « En France, dit-il, le don témoigne de cette proximité par l’absence de calcul, ce refus de traiter ses proches comme des moyens au service de ses propres fins. Ainsi dans notre culture le don continue à relever d’une éthique et d’une logique qui ne sont pas celles du marché et du profit, et qui même s’y opposent, leur résistent. […] Tout se passe comme si l’argent était meurtrier pour les sentiments, tuait l’affection. En fait, l’argent n’est pas coupable, il n’est que l’aveu, le cheval de Troie d’intérêts particuliers, divergents, sinon opposés, qui en général sont refoulés, contenus pour maintenir la façade ou la réalité d’une communauté solidaire. Le don subjectif s’oppose, certes, aux rapports marchands, mais il en porte toujours les stigmates » [48]. Ces stigmates se laissent saisir à partir du moment où la dédicace impose un contre-don intéressé.
17Pour illustrer notre propos, citons Eliseo Verón : « La dédicace d’un livre publié est un genre assez curieux, car il comporte deux parties (la dédicace elle-même et l’œuvre) entre lesquelles s’installe un mouvement d’oscillation » [49]. Cette oscillation se traduit par la dédicace considérée comme un « rajout », « un petit bout » qui voudrait « absorber l’anonymat de l’œuvre en orientant cette dernière, en la canalisant en quelque sorte vers une personne concrète, individuelle ». Le deuxième temps de l’oscillation est, toujours selon Eliseo Verón, celui qui consiste à dire que la dédicace est un « rituel social » [50], « corrompu du dedans, si l’on peut dire ». En clair, le geste de la dédicace impose par lui-même un retour, un contre-don relevant d’un « coup stratégique ». Dans notre cas, nous pourrions avancer que ce « coup » pourrait être d’ordre commercial. En effet, force est de constater que la présence de l’auteur et le temps qu’il accorde aux lecteurs (qui sont autant d’acheteurs) – traduit par le temps de la dédicace – constituent une sorte de plus-value pour le livre, lequel se vend sans doute plus facilement et plus rapidement.
18Dans cette même optique, que se produit-il lorsque le « coup stratégique » n’est pas porté par l’écrivain, et plus largement par l’éditeur ou le libraire, mais par l’acheteur ? « Le calcul inavoué du donateur [l’achat de son livre], écrit Pierre Bourdieu, doit compter avec le calcul inavoué du donataire [une trace écrite, la certitude de faire plaisir à quelqu’un ou l’assurance que le livre dédicacé pourra être revendu à un bon prix], donc satisfaire à ses exigences en ayant l’air de les ignorer » [51]. En effet, la rencontre avec l’auteur et la dédicace d’un livre sont devenues des pratiques tellement courantes que « ce qui aurait jadis été reçu avec gratitude comme un don est maintenant exigé comme un dû » [52], ouvrant ainsi la porte à toutes les dérives possibles. Celles-ci sont notamment dénoncées par l’Association des Auteurs de Bandes Dessinées (ADABD) qui, à travers la « charte des dédicaces », entend dénoncer le caractère obligatoire que ce don peut recouvrir à partir du moment où il est considéré comme un dû. La charte commence par une citation de l’auteur de bandes dessinées Maëster : « La dédicace est un don et pas un dû. Soyons dignes d’un don et pas dingue d’un dû » [53]. Son contenu insiste ensuite sur le fait que les « auteurs sont là à titre gracieux, bénévolement », que la dédicace est un « exercice supplémentaire qui ne fait pas partie de leur travail et n’est pas rémunéré ». Elle « n’est pas une obligation ni l’unique finalité de la rencontre » [54]. Ce texte, qui s’apparente à un règlement en huit points, entend mettre en garde les auteurs contre un certain type de public : les chasseurs de dédicaces dont les auteurs-illustrateurs sont la cible principale. S’apparentant parfois à de véritables fresques, leurs dédicaces peuvent en effet être au cœur de tractations financières. À travers une planche humoristique, intitulée « Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des mal polis », qu’il a réalisée en 2007 pour la charte des dédicaces, l’auteur Obion entend dénoncer la dédicace comme objet d’un marché lucratif. Différentes situations désobligeantes et trop fréquentes y sont sévèrement pointées du doigt (voir figure 1).
Figure 1 : Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des mal polis, Obion
Figure 1 : Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des mal polis, Obion
20En comparant l’auteur à un prestataire de service, Obion met en lumière une série de situations ordinaires qui sclérosent de plus en plus les manifestations littéraires. L’auteur y est représenté comme un fournisseur dont le lecteur attend qu’il satisfasse un certain nombre de désirs : tout d’abord qu’il dédicace, quels que soient les supports et leur quantité (certains viennent munis de feuilles volantes et agissent à l’instar de fans d’autres industries culturelles – vignette n° 5 – d’autres viennent avec la bibliographie entière de l’auteur – vignette n° 1), qu’il réalise une dédicace originale, de préférence ayant une valeur non négligeable sur le marché (les dessins sont particulièrement recherchés), qu’il assure un service rapide (les files d’attente sont proportionnelles à la notoriété de l’auteur et au temps imparti à la réalisation des dessins, certains étant réalisés à la peinture – vignette n° 4) et enfin qu’il soit disponible à toute heure (des plages horaires sont définies pour les séances de dédicaces – dernière vignette). Mais c’est sans doute dans la dernière vignette, lorsqu’il est comparé à un boucher, que le statut d’écrivain en contexte de salons du livre est le plus avilissant. Alors que l’achat d’une pièce de viande ne crée aucune obligation au-delà de celle fixée par le contrat qui sous-tend cet échange (un produit contre une somme d’argent), l’achat d’un livre – dans un contexte de salon – ne suffit pas toujours à éponger la dette qu’entretient l’auteur à l’égard de l’acheteur. La planche d’Obion illustre donc l’attitude de certains acheteurs qui considèrent qu’il est du devoir des auteurs de « donner » une dédicace comme on préparerait une pièce de viande à un client. Quand elle n’est pas perçue comme la marque d’une situation communicationnelle, quand elle n’est pas reçue à titre de présent, la dédicace perd de sa valeur sociale et symbolique et gagne en valeur économique.
Le caractère sacré du livre dédicacé
21Dans les deux cas – qu’elle soit entendue comme un don ou comme un dû – la dédicace « ne viendra jamais effacer le fait que [le lecteur] bénéficie à son tour d’un don : celui des effets produits par les pouvoirs de l’objet » [55]. Car au-delà de l’aspect commercial qui le sous-tend, il est intéressant d’examiner la valeur symbolique que ce geste octroie au livre et le processus identitaire qui le fait passer d’un statut d’objet ordinaire à celui d’objet « polychrésique » [56] – c’est-à-dire soumis à de multiples appropriations et considérations. Une fois dédicacé, le livre ne saurait se réduire à un simple objet potentiellement reproductible à l’infini. Le statut qui lui est alors accordé peut être entendu selon la théorie de Walter Benjamin [57] que l’on résumera comme suit : la reproductibilité industrielle des livres, et des œuvres en général, entraîne la perte de leur « aura », c’est-à-dire la fascination particulière ressentie pour une œuvre, due à son unicité [58]. Or, nous avons vu que la dédicace – envisagée comme trace individuelle – tend à personnaliser le livre et à transformer son caractère reproductible en caractère unique [59]. Comme le précise Béatrice Fraenkel, « l’objet en devenant objet marqué, acquiert une valeur d’objet unique, il prend “corps” » [60]. Cela étant, une question mérite d’être posée : est-ce l’aura de l’œuvre qui est réinvestie ou bien celle du livre ? Il est vrai que la reproductibilité – entendue comme reproduction à l’identique d’un document prototype – se trouve, par le biais de la dédicace, ébranlée, chaque dédicace étant nécessairement unique puisqu’adressée nommément. Certes, l’objet livre est différent mais son contenu (l’histoire écrite) reste identique. Quoi qu’il en soit, la dédicace et la rencontre avec l’auteur peuvent modifier la façon de lire et de percevoir l’œuvre. En clair, elles jouent sur la réception de l’œuvre, mais n’en modifient pas le contenu [61]. Dans ce cas, la dédicace contribue à l’aura non pas de l’œuvre en tant que telle, mais tout au plus à celle du livre. Ainsi, malgré sa reproductibilité et sa mise en scène en tant qu’objet trivial, le livre est investi d’un pouvoir de personnalisation qui le rend par conséquent unique.
22À ce titre, il faut observer que la frontière est ténue entre l’unicité du livre et sa sacralisation. En effet, certains termes employés par les lecteurs et quelques-unes de leurs pratiques invitent à examiner le livre dédicacé comme un objet sacré. Ainsi en est-il de cette jeune femme qui confie avoir acheté deux fois le même livre, un pour la lecture du texte et l’autre pour recevoir la dédicace de l’auteur : « Je n’ouvre le livre dédicacé que pour relire le mot laissé par l’auteur. J’aurais trop peur de l’abîmer en le lisant complètement » (entretien, 5 février 2009). C’est parce qu’elle y voit un objet précieux, sacré, qu’elle ne se risque pas à le dégrader ne serait-ce qu’en l’ouvrant. Par conséquent, l’ouvrage dédicacé devient inemployable dans les activités quotidiennes de lecture. Or, un des critères de la sacralité d’un objet consiste justement à considérer l’objet en question comme inutilisable en l’état [62].
La polychrésie du livre dédicacé
23Entré dans le domaine de l’unicité, voire de la sacralité, le livre dédicacé fait l’objet d’une attention particulière et d’usages propres : la conservation et l’exposition. Neuf lecteurs expliquent qu’« il occupe une place particulière, c’est-à-dire qu’il n’est pas mélangé avec ceux qui ne le sont pas. Il est dans une armoire particulière, de surcroît vitrée, qui permet de voir l’ouvrage de tous » (entretien, homme, 19 septembre 2009). Les « livres sont situés dans la pièce principale [de l’appartement]. Tout le monde peut les voir. C’est ma fierté », (entretien, femme, 5 mai 2009). Conservé puis exposé avec fierté, le livre dédicacé – recélant l’empreinte d’un auteur apprécié, voire admiré – devient alors un « objet-relique », selon la terminologie de Nathalie Heinich [63], à savoir un objet ayant appartenu à quelqu’un en particulier et qui en porte la trace [64]. Par analogie, le livre dédicacé porte lui aussi la trace de l’auteur (principe de repersonnalisation). Dans cette optique, Béatrice Fraenkel considère aussi l’autographe comme une relique écrite : « L’écrit est un objet. Il prend place dans la catégorie des vestiges, des reliques attachées à l’intimité d’un proche : vêtements, armes, livres, portraits » [65]. Précisons toutefois qu’il ne peut y avoir de relique sans un rapport au passé. C’est parce que l’objet témoigne d’une situation passée ou d’un sujet décédé qu’il peut être considéré comme tel. À nouveau, les questions de mémoire et surtout de remémoration sont centrales. Sept lecteurs évoquent spontanément ces moments particuliers qui consistent à relire, quelque temps après la rencontre, la dédicace d’un auteur : « Ça peut m’arriver de relire la dédicace, notamment quand l’auteur est décédé. C’est vrai. J’ai son livre et je vais regarder ce qu’il m’a écrit et là, c’est de nouveau un souvenir qui revient. J’essaie de resituer dans l’espace si c’était une dédicace à la Fnac ou dans un salon du livre, quel était le contact et le contexte. Je relis aussi la dédicace quand on est amené à parler d’un auteur. Dans ce cas, je ressors le livre et je regarde ce qu’il m’a écrit, ce qu’il m’a dédicacé à l’époque. Voilà ce genre d’interpellations qui vont me faire pencher à nouveau sur la dédicace » (entretien, homme, 19 septembre 2009). On note, à travers ce témoignage, que le livre dédicacé est conservé au titre de preuve et de souvenir. C’est en cela que l’objet-relique – ayant appartenu à quelqu’un de cher – peut être fétichisé. Le passage de la relique au fétiche se réalise à partir du moment où le détenteur attribue un quelconque pouvoir à l’objet en question. Dans notre cas, c’est un pouvoir d’attestation et de remémoration que le lecteur accorde au livre dédicacé. En clair, l’« objet-fétiche » [66] – une fois défait de son caractère commun et sorti de sa trivialité – agit comme une personne et possède cette « capacité à faire advenir » [67] des images, des souvenirs. La dédicace, entendue comme opératrice d’objet-fétiche, atteint sans doute son paroxysme dans la pratique d’un lecteur assidu interrogé le 19 septembre 2009. Depuis une quinzaine d’années, ce dernier se refuse à lire des livres qui ne seraient pas dédicacés : « Je ne lis quasi exclusivement que des livres dédicacés […]. Le nombre de livres achetés hors salon et hors dédicace est extrêmement restreint. » Toutefois, malgré l’intérêt accru dont fait montre ce lecteur pour la dédicace et la pratique fétichiste qui semble en résulter, il ne la considère pas – au même titre que les quelques trente-neuf personnes interrogées – comme étant plus importante que le livre et l’écrivain. Elle demeure « un petit bonus » (entretien, femme, 19 septembre 2009), un « plus » (entretien, femme, 18 septembre 2009) ou une « valeur ajoutée » (entretien, femme, 18 septembre 2009). Néanmoins, chacun s’accorde à dire que le livre dédicacé a plus de valeur affective et sentimentale qu’un livre qui ne le serait pas. C’est bien pour cette raison et parce qu’il est devenu une possession, un objet sacré, relique, fétiche et source de souvenirs, ayant une action et un pouvoir réels, que le livre dédicacé n’est prêté qu’à certaines conditions : « Je ne le prêterais pas à n’importe qui. Je le prêterais effectivement à des personnes qui me le rendront en bon état. J’apprécierais moyennement retrouver la dédicace mouillée par l’eau de mer » (entretien, homme, 19 septembre 2009). Pour d’autres, il est même hors de question qu’il soit enlevé à son possesseur, à l’instar de ces deux lectrices : « Il est dans ma petite armoire-bibliothèque. Je le conserve et je ne le prête pas. Il est à moi et je ne veux pas qu’on me le déchire ou qu’on me le salisse » (entretien, 72 ans, 19 septembre 2009) ; « J’en ai pas mal de livres dédicacés. Ce sont les seuls livres que je garde dans la bibliothèque quand il s’agit de romans. Parmi tous les romans, je ne garde que les romans dédicacés, les autres je les donne » (femme, 70 ans, 19 septembre 2009). Précieusement conservé, rarement donné – ou faisant l’objet d’un cadeau ou d’un legs –, le livre dédicacé possède bien les mêmes propriétés que le sacré.
Conclusion
24In fine, l’analyse de la dédicace (comme situation de communication et comme trace) s’avère un angle d’étude pertinent pour comprendre la nature des rapports qu’entretiennent, entre eux, les lecteurs, les écrivains et les livres. Parce qu’elle est un geste symbolique, personnel et personnalisé, la dédicace est le lieu de convergence d’un certain nombre de tensions, voire de paradoxes, qui font d’elle un objet polymorphe, impossible à traiter au prisme d’un seul et même regard.
25En filigrane de la démonstration, figure une caractéristique importante : l’autorité de l’auteur et surtout celle de son nom. La dédicace est l’indice d’une personne physique, mais elle est aussi un symbole de pouvoir : celui du nom de l’auteur comme instance légitime et de consécration. En effet, si l’inscription graphique est considérée comme une trace qu’il faut veiller à conserver, si elle a pour objectif de consigner, d’authentifier une rencontre et d’en remémorer l’instant, c’est parce que le destinataire reconnaît au nom de l’auteur une certaine autorité. Aborder la question de l’autorité du nom, c’est interroger la légitimité de celui qui écrit mais aussi les mécanismes qui permettent d’authentifier, de revendiquer et d’entériner un texte par une signature. Partant de là, nous pouvons citer Pierre Bourdieu qui explique que « la seule accumulation légitime, pour l’auteur comme pour le critique, pour le marchand de tableaux comme pour l’éditeur ou le directeur de théâtre, consiste à se faire un nom, un nom connu et reconnu, capital de la consécration impliquant un pouvoir de consacrer les objets (c’est l’effet de griffe ou de signature) ou des personnes (par la publication, l’exposition, etc.), donc de donner valeur et de tirer profits de cette opération. [68] » Seule la (re)connaissance de son nom permet à l’écrivain de « consacrer » des objets (les livres dédicacés en l’occurrence) et ainsi de faire d’eux l’empreinte d’un souvenir précis. Par conséquent, l’auteur est investi d’une forme de pouvoir auctorial et scriptural faisant de lui un individu doté d’une autorité qui le différencie du commun des mortels. En effet, si la dédicace a autant d’importance aux yeux du destinataire, c’est parce que son auteur est en quelque sorte considéré comme un être différent [69]. Mais tous les noms ne se valent pas. Interrogés sur la valeur qu’ils attribuent au livre dédicacé, cinq lecteurs expliquent qu’elle dépend de l’écrivain. Plus le nom de l’auteur est connu et reconnu, plus sa dédicace est sollicitée et précieuse : « S’il [l’auteur] est très connu, je pense qu’il [le livre dédicacé] a plus de valeur » (entretien, femme, 18 septembre 2009). Obtenir la trace écrite d’un auteur réputé est corrélatif à ce que Nathalie Heinich nomme « le goût des autographes » [70]. En cela, ce n’est pas tant la personnalisation du livre qui est recherchée que le capital symbolique et distinctif que le livre dédicacé octroie. En effet, il n’est pas rare que le livre dédicacé par un auteur (re)connu constitue une marque de distinction pour l’heureux possesseur, comme en témoigne cette lectrice : « J’ai un petit sursaut d’orgueil en me disant Untel m’a dédicacé un livre » (entretien, 19 septembre 2009). « C’est un peu flatteur parce que j’aime bien montrer à mes amis les dédicaces » explique cet autre lecteur (entretien, 18 septembre 2009). Force est de constater que cette appétence pour la dédicace est étroitement liée aux logiques de peopolisation et de monstration des écrivains [71] dont la croissance formidable des manifestations littéraires en est un témoin exemplaire.
Mots-clés éditeurs : don, représentations, lecteurs, identité, trace, dédicace, reconnaissance, écrivains
Mise en ligne 01/11/2017
https://doi.org/10.4074/S033615001001402XNotes
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[1]
Eliseo Véron, 1982, « Qui sait ? », Communications, 36, p. 55.
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[2]
Chartier, Roger, 1996, « Le prince, la bibliothèque et la dédicace », Le pouvoir des bibliothèques, la mémoire des livres en Occident, Marc Baratin et Christian Jacob (dirs.), Albin Michel.
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[3]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, Gallimard.
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[4]
La théorie du don, contre-don de Marcel Mauss nourrira nos propos. Mauss, Marcel, 2007 [1925]. Essai sur le don, PUF, coll. « Quadrige ».
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[5]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, La Découverte, coll. « L’Armillaire ».
-
[6]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », Sociologie de l’art, 6.
-
[7]
La place de la Carrière forme avec la place Stanislas un ensemble architectural et historique inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
-
[8]
Informations recueillies sur le site www.livresurlaplace.fr., consulté le 15 septembre 2009.
-
[9]
Créé en 1987, L’Été du Livre se déroule, au même titre que Le Livre sur la Place, sur la place centrale de la ville et sous un chapiteau.
-
[10]
Écrivain-en recherche d’emploi, 39 ans au moment de l’entretien, Montigny-lès-Metz. Livre présenté au Livre sur la Place : Patrick-Serge Boutsindi, 2009, L’homme qui a trahi Moungali, L’Harmattan, Paris. Entretien réalisé le 26 mai 2009. Patrick-Serge Boutsindi accorde une place très importante aux activités paralittéraires telles que les salons du livre et les rencontres en milieu scolaire.
-
[11]
Auteure jeunesse-professeur de français, 53 ans, Nancy : Muriel Carminati, 2009, L’Éléphant du Nil, Oskar Jeunesse, Paris.
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[12]
Écrivain-collaboratrice pour un groupe politique, 22 ans, Metz : Lhote, Florence, 2009, Vierge à trente ans, Lucien Souny, Limoges. La particularité de cette auteure est d’avoir été interrogée avant qu’elle ne participe, pour la première fois, au Livre sur la Place. Elle est nouvellement entrante dans le champ littéraire.
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[13]
Écrivain, 54 ans, Paris : Yasmina Khadra, 2008, Ce que le jour doit à la nuit, Robert Laffont.
-
[14]
Écrivain-professeur d’Anglais, 40 ans, Metz : Rosa, Steve, 2009, Meurtres par procuration, Serpenoise, Metz.
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[15]
Écrivain-chanteur, 57 ans, Metz : Hanot, Pierre, 2009, Les Clous du fakir, Fayard. Pierre Hanot fait régulièrement des animations littéraires en milieu carcéral.
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[16]
Écrivain-intermittente du spectacle, 36 ans, Nantes : Lethielleux, Maud, 2009, Dis oui, Ninon, Stock.
-
[17]
Auteur autoédité de poésie, retraité de l’Éducation Nationale, 64 ans, Dieulouard (54) : Appel, Bernard, 2008, Dedans le ventre doux d’un souvenir de femme, autoédition.
-
[18]
Illustrateur-artiste peintre, 52 ans, Siewiller (67) : Untereiner, Guy, Maubeuge, Michèle, 2008, Desserts et délices de Lorraine, Place Stanislas, Nancy.
-
[19]
Écrivain-enseignant chercheur, 48 ans, Villers-lès-Nancy : Vincent Boly, 2004, Ingénierie de l’innovation. Organisation et méthodologie des entreprises innovantes, Hermès, Paris.
-
[20]
Écrivain, 75 ans, Poncarrès (77) : Maryvonne Miquel, 2006, Aliénor, la reine adultère, Ramsay, Paris.
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[21]
Écrivain-retraitée de l’Éducation Nationale, 72 ans, Bantheville (55) : Henriette Bernier, 2009, Petite mère, Presses de la Cité, Paris.
-
[22]
Écrivain-réalisateur-Maître de conférences à l’IECA (Nancy), 48 ans, Dombasle-sur-Meurthe (54), a notamment écrit : Philippe Claudel, 2003, Les Âmes grises, Stock, Paris ; et Philippe Claudel, 2007, Le rapport de Brodeck, Stock, Paris.
-
[23]
Paradoxalement, ce ne sont pas les écrivains qui signent le plus qui voient en la dédicace un geste mécanique.
-
[24]
Gérard Genette, 2006, Bardadrac, Seuil, coll. « Fiction & Cie », p. 116.
-
[25]
En cela, nous mettons au jour la première tension qui se cristallise dans la pratique dédicataire.
-
[26]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 219.
-
[27]
Bernard Lahire, 2006, La condition littéraire, la double vie des écrivains, La Découverte, p. 331.
-
[28]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 170.
-
[29]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 8.
-
[30]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 170.
-
[31]
Michel Foucault a montré comment l’auteur est à envisager moins comme un être que comme une « fonction » – la « fonction-auteur » –, détachée de l’individu et de la matérialité de ses écrits. (Michel Foucault, 1994, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et écrits, I 1954-1988, Gallimard, p. 792).
-
[32]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 218.
-
[33]
Ils sont quatre écrivains à voir en la pratique de la dédicace une forme concrète de reconnaissance de leur statut.
-
[34]
Le sens premier du mot autographe apparaît comme suit : un texte écrit à la main. Mais c’est le second qui intéresse plus particulièrement notre propos : la signature d’un auteur.
-
[35]
Peirce, Charles S. 1978, Écrits sur le signe, rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle, Seuil.
-
[36]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 30.
-
[37]
Ibid., p. 10.
-
[38]
Nous entendons par « médiation » toute rencontre dite « contrôlée » (Jean Caune, 1999, Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, PUG, Grenoble, p. 27) entre l’écrivain et le lecteur par le biais d’un dispositif littéraire tel que le café littéraire, les lectures publiques en librairies ou encore les manifestations littéraires en général.
-
[39]
Roland Barthes, 1995 [1980], « La Chambre claire », Œuvres complètes, 3 : 1974/1980, Seuil, p. 793.
-
[40]
Ibid., p. 881-882.
-
[41]
46 % des lecteurs déclarent apprécier le caractère personnalisé de la dédicace, repoussant ainsi l’idée qu’elle puisse être « ordinaire ».
-
[42]
Yves Winkin, 2001 [1996], Anthropologie de la communication, Seuil, coll. « Essais », p. 214.
-
[43]
Dans cet échantillon, quatre écrivains n’hésitent pas à critiquer ouvertement leurs pairs qui ne font pas, quant à eux, l’effort de personnalisation.
-
[44]
Mauss, Marcel, 2007 [1925], Essai sur le don, op. cit.
-
[45]
Telle est la démarche suivie par Jean Davallon lorsqu’il a recours à la métaphore filée du don, contre-don pour qualifier les enjeux de la patrimonialisation (2000, L’exposition à l’œuvre, Stratégies de communication et médiation symbolique, L’Harmattan, coll. « Communication »).
-
[46]
Pierre Bourdieu, 1980, Le sens pratique, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », pp. 179-180.
-
[47]
Maurice Godelier, 1996, L’énigme du don, Flammarion, coll. « Champs essai », p. 291.
-
[48]
Ibid., pp. 291-292.
-
[49]
Eliseo Verón, 1982, « Qui sait ? », op. cit., p. 55.
-
[50]
Ibid., p. 55.
-
[51]
Pierre Bourdieu, 1980, Le sens pratique, op. cit., p. 191.
-
[52]
Nathalie Heinich, 1999, L’épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, p. 240.
-
[53]
Charte consultable en ligne sur : http://www.bdfil.ch/documents/charte_dedicaces.pdf (consulté le 25 janvier 2010).
-
[54]
Ibid.
-
[55]
Jean Davallon, 2000, L’exposition à l’œuvre, Stratégies de communication et médiation symbolique, op. cit., p. 168.
-
[56]
Yves Jeanneret, 2008, Penser la trivialité. La vie triviale des êtres culturels, vol. 1, Hermès Lavoisier, p. 83.
-
[57]
Walter Benjamin, 2000 [1939], L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, « Œuvres III », Gallimard.
-
[58]
Nathalie Heinich observe que les techniques de reproduction des œuvres « sont la condition même d’existence de cette aura : c’est parce que (et non bien que) la photographie multiplie les images que les originaux gagnent un statut privilégié » (Heinich, Nathalie, 2001, La sociologie de l’art, La Découverte, coll. « Repères »). C’est bien parce que les livres sont reproductibles que tous signes distinctifs – la dédicace en premier lieu – font d’eux des originaux qui les différencient de la masse.
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[59]
À nouveau, on observera la tension existant entre l’unicité de l’œuvre (l’aura) et la banalisation du geste dédicataire.
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[60]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 173.
-
[61]
Déçue de sa rencontre avec Marc Lévy, une lectrice déclare ne « plus lire ses livres comme avant » (entretien, 26 mai 2009). Un travail sur la réception des œuvres dédicacées reste à faire.
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[62]
Sur la question des objets sacrés, voir Godelier, Maurice, 1996, L’énigme du don, op. cit.
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[63]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », op. cit., p. 25.
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[64]
Cette définition s’écarte de celle donnée par Jean-Pierre Babelon et André Chastel pour qui la relique est un objet ayant appartenu à quelqu’un en particulier, mais appartenant dorénavant à la communauté (1994, La notion de patrimoine, Liana Levi).
-
[65]
Béatrice Fraenkel, 1992, La signature, genèse d’un signe, op. cit., p. 276.
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[66]
Nathalie Heinich, 1993, « Les objets-personnes : Fétiches, reliques et œuvres d’art », op. cit., p. 28.
-
[67]
Ibid., p. 26.
-
[68]
Bourdieu, Pierre, 1992, pp. 246-247.
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[69]
L’analyse des entretiens montrera que près de 80 % des répondants idéalisent d’une façon ou d’une autre la figure de l’écrivain.
-
[70]
Nathalie Heinich, 2000, Être écrivain. Création et identité, op. cit., p. 244.
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[71]
Ces logiques sont importées d’autres industries culturelles telles que le cinéma et la musique.