Notes
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[1]
P. Robert, & E.Souchier, 2008 , « La carte, un média entre sémiotique et politique », Communication & langages, 158, décembre.
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[2]
B.Peeters, & F.Schuiten, 2002 , La frontière invisible, tome 1, Casterman ;B.Peeters, & F.Schuiten, 2004 , La frontière invisible, tome 2, Casterman.
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[3]
Pensons à l’exemple contemporain de ces nouveaux murs que l’on dresse au Moyen-Orient ou entre les États-Unis et le Mexique.
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[4]
BrunoLatour, 1989 , La science en action, La découverte, ParisParis.
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[5]
J.L.Borges, 1983, Fictions, Gallimard, Paris.
1 Benoît Peeters et François Schuiten emportent leurs lecteurs depuis plus de vingt-cinq ans maintenant dans leur exploration des Cités obscures. Ce voyage s’effectue dans un monde parallèle au nôtre. Ce qui nous amène à penser qu’il ne s’agit véritablement ni de science-fiction ni de fantastique, pas plus que d’utopie (ni monde positif ni envers du nôtre), mais plutôt d’un lieu d’expérimentation d’autres logiques qui articulent les dimensions physiques et psychologiques, comportementales que nous avons appris à découpler. Comme s’il y avait là-bas — en ces Cités obscures — un lien, à la fois fortement suggéré et encore énigmatique car non expliqué, entre les deux ; lien que notre société s’emploie à repousser, voire à renier. D’où la capacité de ce monde à rendre visible des choses que l’on cache ou que l’on recouvre ici, alors même qu’elles n’en sont pas absentes, mais qu’elles sont par trop présentes pour pouvoir être aperçues. Autrement dit, ce monde parle bien évidemment aussi du nôtre. C’est à l’exploration de l’articulation entre les figures de la rationalité et celles du « rêve » (appelons ainsi ce qui échappe à nos explications rationnelles) que nous invitent les auteurs, déclinées autour de personnalités troublantes (telles que « l’enfant penchée ») et de hauts lieux, de lieux hautement symboliques, construits et héritiers d’une longue tradition (comme les Archives) ou qui s’imposent comme tels, à l’image de la gestation quasi organique de la structure de la Fièvre d’Urbicande. Hommes, « Objets » ou lieux de pouvoir ou qui interpellent toujours le pouvoir. Avec La Frontière invisible Schuiten et Peeters, toujours dans cette tension entre l’individu, les techniques (architecturales, logistiques ou de traitement de l’information) et le pouvoir en sont venus à s’interroger sur la notion de frontière et sur la cartographie, deux objets singulièrement riches [1].
2 Alors que les ouvrages, y compris scientifiques, sur cette notion de frontière restent rares, ils nous en proposent une typologie pratique qui ne semble pas seulement valable pour le monde des Cités obscures [2]. Ils n’oublient pas de se pencher également sur les outils de production de cette frontière et notamment le centre de cartographie, fabrique des cartes. Où donc il est question de frontières, de cartes et des signes qui les habitent et qu’elles échangent. Nous n’avons pas voulu un commentaire critique de ce livre, mais une lecture qui cherche moins à le décrypter qu’à le comprendre en quelque sorte, à travers les langages de la sémiotique percienne et de la sociologie des sciences de B. Latour.
3 Résumé de La frontière invisible de F. Schuiten et B. Peeters
4 (Source : www.urbicande.be)
5 Tome I : C’est avant même d’avoir terminé ses études que Roland, un brillant jeune homme, se voit attribuer un poste au Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie.
6 Il gravit très rapidement les échelons. Roland, qui comme ses confrères vit pratiquement reclus dans le Centre, fait la connaissance d’une mystérieuse jeune femme, dont le corps semble couvert de lignes étranges que notre héros apercevra à peine. Bientôt, le Centre reçoit la visite du Maréchal Radisic, le dirigeant suprême du pays, dont la politique expansionniste ne fait pas de doute : tous les moyens seront bons pour reconstituer la « grande Sodrovnie »…
7 Tome II : Roland est un jeune fonctionnaire du Centre de cartographie de Sodrovno-Voldachie, un lieu d’où on ne sort pas. Très vite, il comprend que cette administration sert les visées expansionnistes du pouvoir. Mais bientôt, la peur s’installe au Centre. Des bruits courent, on parle d’attentats, d’archives détruites, d’assassinats, de guerre, de rébellion matée dans le sang… Shkodra, la jeune femme dont Roland est tombé amoureux, semble par ailleurs intéresser au plus haut point les autorités, de plus en plus menaçantes. Tous deux prennent la fuite à travers déserts, montagnes et marais… Traqués, ils n’auront qu’une chance de s’en sortir : franchir la frontière.
Typologie des frontières
8 Cette typologie s’inscrit dans le temps, elle reflète trois manières différentes de marquer la frontière, de la rendre visible ou invisible, car c’est à ces signes que l’on pourra la reconnaître : la « frontière indicielle », la « frontière iconique », la « frontière symbolique ». F. Schuiten et B. Peeters s’engagent ainsi dans l’élaboration d’une véritable géosémiotique de la frontière.
planche n° 1, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 1, © Schuiten-Peeters/Casterman
La frontière stigmate
9 La frontière s’inscrit sur la peau, elle est tatouée, elle marque le corps (cf. planche n° 1). Le corps de cette fille authentique, à manifester par ces signes son appartenance à un territoire, à accueillir, semble-t-il (mais c’est peut-être le fantasme du cartographe), sur son corps le tracé de son pays – dont elle porte également le nom même. Il y aurait d’abord cette co-présence des hommes, des corps et des paysages : des cartes qui s’inscrivent sur les corps, des corps qui s’inscrivent sur et dans les paysages (cf. planche n° 2)… le passage est possible dans les deux sens. Autrement dit, le corps témoigne du paysage autant que le paysage témoigne du corps. Ils s’appartiennent l’un l’autre, ils sont la mémoire l’un de l’autre. Parce qu’elle porte cette empreinte de son pays à fleur de peau, elle en est la mémoire ; parce que les corps des hommes se dessinent dans le paysage il en est la mémoire, ces hommes ont été d’ici, ils sont d’ici.
10 Le rapport est indiciel, le corps est littéralement prélevé sur le paysage, le signe et le dit, puisqu’il est un corps-paysage ; le paysage est tout aussi bien prélevé sur le corps puisqu’il est paysage-corps. Au fond, ici, nul besoin de frontière, là où s’arrête cette fusion entre le corps et le paysage s’arrête le pays ; ou plutôt, la frontière est en quelque sorte distribuée, disséminée dans chaque corps. Et chaque corps, même lorsqu’il se déplace, s’exile, porte encore en lui-même sa frontière et son paysage.
11 Dès lors qu’elle est extraite de son contexte, cette carte directement tatouée sur le corps devient une véritable tâche, elle est cachée, honteuse. Qu’elle s’exhibe, elle n’exhibe que la honte. Carte de l’identité (qui mêle l’individuel et le collectif à ce stade subjectif-culturel de la carte stigmate), elle ne peut être reçue par celui qui en manque que comme déstabilisante (puisqu’elle résonne de toute cette authenticité qui le renvoie d’autant plus à l’artificiel de son projet) ou comme totalement insignifiante (car elle semble tellement dépassée qu’elle n’indique ni n’indexe même plus un écart).
planche n° 2, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 2, © Schuiten-Peeters/Casterman
La frontière entre mur et carte
12 La frontière oscille entre deux outils de son objectivation, le mur, c’est-à-dire la limite matérielle, et la carte, le dessin de son tracé. Ici, le rapport est iconique , parce que, dans l’œuvre de Schuiten et Peeters, le mur comme la carte restent extérieurs au paysage, au territoire.
planche n° 3, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 3, © Schuiten-Peeters/Casterman
13 Certes, le mur participe du paysage, mais dans le sens où il le marque, le lacère, le scarifie, le griffe [3]. Il ne le respecte pas, il ne cherche pas à s’y insérer. Il possède son existence, sa logique propre, distincte de celle du paysage, qu’il le suive ou le viole importe peu. Le mur impose sa partition, inexorablement ; il tranche, comme inévitablement (cf. planche n° 3). Il n’est pourtant pas éternel, même s’il prétend exhiber les signes de l’éternité, dans sa grandeur et sa puissance même. Alors que l’on a oublié le temps de sa construction et qu’on le parcourt, il se révèle troué, effondré, éventré, et persiste en pointillé comme procession de ruines et de monuments. Il semble du reste que les cartes l’aient quelque peu oublié. Elles ont fait l’impasse sur le mur.
planche n° 4, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 4, © Schuiten-Peeters/Casterman
14 La carte est censée porter le mur, attester graphiquement de l’existence de la frontière. Or, la frontière se déplace par rapport au mur « réel ». Il n’est bientôt plus le signe de la frontière actuelle, mais seulement de son passé – à oublier ? Et la carte, à son tour, s’autonomise par rapport au mur. Double dérivé, double glissement. La carte-icône devient progressivement un monde en soi, que l’on ne rapporte plus seulement au monde extérieur au centre de cartographie, mais aux images anciennes que l’on en conserve d’une part et, de l’autre, à un monde nouveau que ce dernier enfante en son sein même : la maquette du territoire réel, qui constitue encore un territoire sur lequel on se déplace physiquement afin de le construire (cf. planche n° 4). C’est la carte qui atteste la vérité ou les égarements de la maquette-monde. Carte et maquette se replient l’une sur l’autre dans un tête-à-tête d’où bientôt le monde s’absente. Elles s’ajoutent au monde au point de s’y substituer.
15 Ici le paysage ne témoigne plus, le corps non plus. Les corps sont au service de l’élaboration des cartes et de la maquette-monde. Ils ne sont plus porteurs de l’indice même du territoire. Tout au plus un jeune cartographe un peu décalé croit-il reconnaître sur le corps de la jeune femme cette carte identitaire susceptible de la rendre dangereuse et donc de la mettre en danger d’élimination physique : car faire disparaître le témoin de l’identité n’est-ce pas aussi supprimer la possibilité même de poser la question identitaire ? Le jeune cartographe ne fait que suivre son intuition et les conseils de son maître : tout, sous le régime de l’icône, est dans l’interprétation des signes.
planche n° 5, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 5, © Schuiten-Peeters/Casterman
La frontière et la machine.
16 Les machines produisent de nouvelles cartes (cf. planche n° 5). Des cartes qui reposent plus sur l’accumulation de données que sur l’interprétation, afin, justement, d’en limiter les dérives. Avec les machines on perd la chaleur d’une carte qui vaut pour le monde, restituée par le discours lyrique de son interprète. On gagne une carte efficace, une carte au service du pouvoir politique. La carte ne joue plus seulement son propre jeu, mais, produit machinique, elle bénéficie d’abord au politique. Elle devient abstraite comme le projet politique lui-même : la frontière est ainsi toujours repoussée, mouvante, changeante. En définitive, seule la machine et ses données productrices de cartes automatiques et automatiquement substituables permettent, dans leur abstraction même, de coller à ce mouvement. Ces cartes ne sont-elles pas quasiment sans mémoire, puisque seule compte la dernière version actualisée ? Carte symbole qui se détache intégralement du « réel », qui échappe au corps, au territoire, au paysage, qui n’échange même pas sa position avec lui, ni ne le trahit. Elle lui devient ainsi étrangère, carte-symbole (et pourtant non symbolique) du mouvement politique d’extension, qui dit, qui exprime ce projet.
17 La frontière ne se dématérialise pas, elle devient invisible, car sa fonction est essentielle, mais son mode de production change. Seules ces machines en mouvement perpétuel (à leurs pannes près il est vrai), et qui recrutent les hommes à leur service, peuvent en suivre l’évolution et la donner à voir.
Le centre d’accumulation
planche n° 6, © Schuiten-Peeters/Casterman
planche n° 6, © Schuiten-Peeters/Casterman
19 Les cartes, la maquette, les machines, les cartographes, tous prennent place dans ce vaste vaisseau que constitue le centre de cartographie : immense sphère qui symbolise le monde autant qu’elle le rassemble dans son travail de re-présentation (cf. planche n° 6). Ce centre est en quelque sorte au milieu de nulle part, et comme les liaisons routières semblent négligées depuis longtemps, il reste difficilement accessible. À son entour le plus proche, les déchets de ce qui semble être les rejets de sa propre pollution : des tonnes et des tonnes de livres et de cartes, manipulées par grues géantes entières. Le lieu qui vaut pour le monde est d’une certaine manière hors du monde. D’où sa propension peut-être à se construire comme un monde en soi. Mais il n’en est pas pour autant utopique, car il est bien réel, il n’est pas l’effet d’une fiction. Il est simplement, comme par définition, situé à la limite. Et s’il construit une fiction, ce qui dans un sens constitue son travail, elle ne sort pas de ses murs. Sauf, nous le verrons, par intervention du pouvoir politique qui, dès lors, transforme à la fois le statut de la connaissance et la position relative du centre par rapport au reste de la société. Nous apprendrons que sous le centre, comme à son fondement, se trouve un muséum d’histoire naturelle, un projet taxinomique généralisé dont on peut penser que le centre lui-même n’est qu’une efflorescence, la superficielle partie émergée de l’iceberg.
20 Le centre de cartographie est un centre de calcul et d’accumulation au sens où l’entend B. Latour [4]. À ceci près qu’il tend à s’autonomiser et à se couper du réel – à moins que ce ne soit l’inverse et qu’un certain réel politique l’abandonne lorsqu’il ne voit plus d’intérêt à son travail. Mais n’est-ce pas la tentation de tout accumulateur que de succomber à ce fantasme de scission ? Borges ne l’a-t-il pas magistralement montré avec cette bibliothèque singulière que certains appellent « univers » [5] ? Quoi qu’il en soit, dès lors qu’il devient à lui-même son propre monde, il s’ouvre à la possibilité de la dérive de l’interprétation de la carte iconique. Car l’interprétation ne se réfère plus à l’extérieur, mais à des images de l’extérieur. Le travail scientifique se replie sur lui-même au point d’ailleurs de devenir faux, puisque le héros, sortant du centre, apprend par l’expérience du voyage que les cartes l’ont trompé et que le mur existait déjà, c’est-à-dire avant même qu’il ne devienne un supposé projet, pourtant lui-même déjà dépassé aux yeux des politiques, inscrits dans une dynamique de perpétuels changements d’échelle (c’est-à-dire d’extension géopolitique). Le centre-mémoire oublie qu’il doit être mémoire de quelque chose d’autre que de lui-même. Il devient sa propre fin, rabattue sur ses propres travaux, sa propre logistique (ces vélos suspendus et autres wagonnets qui permettent de faire circuler les cartes, les images et les livres – cf. planche 4), et son propre lieu de détente, un club où l’on peut rencontrer la chaleur de corps féminins contre rémunération – la science ne souffre pas l’amour, tout au plus accepte-t-elle ce défoulement du corps réduit à sa seule sexualité. Cette connaissance qui s’involue en elle-même, cet outil de connaissance qui se replie sur lui-même semble manifestement quasiment oublié des autorités politiques et voué au seul dépérissement.
21 À un ébranlement près, cependant, qui en annonce d’autres. Car s’insinue bientôt un germe de changement, le déploiement de plus en plus intense et envahissant des machines. Le centre devient dès lors le siège de l’inépuisable lutte des anciens et des modernes. Les anciens qui se complaisent dans l’interprétation. Les modernes qui se complaisent dans les données produites par les machines. F. Schuiten et B. Peeters ne donnent pas forcément tord aux secondes. Certes, il y a leur impérialisme intellectuel et physique (ainsi envahissent-elles jusqu’au bureau du directeur), leur prétention, malgré les pannes, à l’infaillibilité, il y a leur froideur, leur focalisation sur les seules données… Mais leur représentation du mur n’était, semble-t-il, pas fausse. À ceci près qu’elles semblent confondre le futur potentiel et le passé, ou plutôt qu’elles rattrapent le passé – et restituent le mur sur les cartes – afin de mieux construire l’avenir, c’est du moins ce que supposent leurs promoteurs, alors même que cet avenir ne s’arrête déjà plus aux seuls signes physiques de la frontière, puisque celle-ci est saisie dans un mouvement de continuelle relativisation par le changement d’échelle qui la repousse toujours un peu plus loin.
22 Les machines permettent de produire des cartes plus « vraies » en termes de données, mais radicalement « fausses » en termes d’interprétation, parce qu’elles ne s’y prêtent pas, alors que les cartes iconiques sont si « vraies » en termes d’interprétation et si souvent « fausses », parce que décalées, en termes de données. Peut-on trouver le juste milieu, ou bien la cartographie est-elle condamnée à errer, à osciller entre ces deux pôles ?
23 La carte-données, machinique, n’est possible que soutenue par le gouvernement, le pouvoir politique qui lui accorde les moyens financiers, logistiques et humains nécessaires à son développement. Elle est ainsi directement liée au politique et à son projet. Dès lors qu’elle en a les moyens, la science perd son âme, vendue à quelque diable politique ou commercial. Dès lors qu’elle ne vise plus que la seule connaissance, ne tend-elle pas cependant à se replier sur elle-même, à s’oublier en tant que connaissance pour verser dans quelque effet bureaucratique, ou même à se trahir dans son abandon du réel ? Quoi qu’il en soit, ici, le politique a décidé que le centre de cartographie devait s’aligner sur son projet d’extension territoriale continue. Un projet qui exige moins l’élaboration d’une mémoire, le déploiement d’un geste d’interprétation, ou un exercice d’exactitude qu’un spectacle cartographique, offert par cette maquette, dont l’échelle doit se réduire au fur et à mesure que s’étend le pays, toujours en chantier donc. Seul lieu où pourra moins se saisir que se mettre en scène la cohérence paysagère et politique, lieu où peut s’exhiber et se construire une identité (nationale ?) en perpétuelle transformation, ô combien incertaine, voire improbable. Le centre de cartographie redevient stratégique, il est irrigué par de nouvelles routes, doté de nouveaux moyens humains et matériels, mais à condition de s’ouvrir aux citoyens comme arène du spectacle politique d’unification territoriale – qui n’aura peut-être jamais lieu ailleurs.
24 Reste, au final de cette opération, le recrutement des anciens et des modernes au service du nouveau projet, le nouvel exil au sein même du centre de cartographie de la jeune femme-carte, comme une origine estompée et bientôt évanouie. Et le « héros », qui doit tout réapprendre, à commencer par lire ce paysage où se découpe la figure essentielle de la femme-paysage.
25 Le livre de F. Schuiten et B. Peeters est lui-même muni d’une carte. Car à la tenir entre les mains ne proclame-t-elle pas l’existence de ce territoire qu’elle est censée re-présenter ? Or, cette carte est griffée IGN : ne possède-t-elle pas ainsi l’indubitable signe de véracité et de crédibilité de notre centre d’accumulation géographique national ? C’est donc bien une vraie carte d’un vrai territoire, les signes l’attestent ! Or, l’auteur de ces lignes a perdu cette carte pendant quelques années au sein même de sa bibliothèque, preuve s’il en était besoin de sa réalité (car perd-on une pure fiction ?), mais manière, tout autant, de la renvoyer à la fiction (car je ne pouvais la racheter seule). Retour à la frontière, mais cette fois comme mode d’existence de la carte elle-même, comme perpétuelle oscillation entre réel et fiction.
Notes
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[1]
P. Robert, & E.Souchier, 2008 , « La carte, un média entre sémiotique et politique », Communication & langages, 158, décembre.
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[2]
B.Peeters, & F.Schuiten, 2002 , La frontière invisible, tome 1, Casterman ;B.Peeters, & F.Schuiten, 2004 , La frontière invisible, tome 2, Casterman.
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[3]
Pensons à l’exemple contemporain de ces nouveaux murs que l’on dresse au Moyen-Orient ou entre les États-Unis et le Mexique.
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[4]
BrunoLatour, 1989 , La science en action, La découverte, ParisParis.
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[5]
J.L.Borges, 1983, Fictions, Gallimard, Paris.