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Article de revue

Le livre ? Plus que jamais, le livre !

Pages 25 à 45

Notes

  • [1]
    Voir Roger Chartier, Le Livre en révolutions, Paris, Textuel, 1997 et son article « La mort du livre ? », Communication & langages, no 159, Paris, 2009.
  • [2]
    Comme encore dans le livre de Françoise Benhamou, Le Livre à l’heure numérique, Papier, écrans, vers un nouveau vagabondage, Paris, Seuil, 2014.
  • [3]
    Voir à ce sujet Julia Bonaccorsi, Fantasmagories de l’écran, Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020.
  • [4]
    Jacques Perriault, L’Accès au savoir en ligne, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002.
  • [5]
    Brigitte Juanals, « Le livre et le numérique : la tentation de la métaphore », Communication & langages, no 145, septembre 2005, p. 81-93.
  • [6]
    Julia Bonaccorsi, op. cit., p. 146.
  • [7]
    D. F. McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Cercle de la librairie, 1991, p. 27.
  • [8]
    Christian Vandendorpe, « Quelques questions clés que pose la lecture sur écran », in Claire Bélisle (dir.), Lire dans un monde numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011.
  • [9]
    Voir à ce sujet le texte d’Anne Coignard dans le volume collectif sous la direction d’Alain Milon et Marc Perelman, Le Livre au corps, Paris, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2013.
  • [10]
    Voir la thèse d’Elsa Tadier, « Les Corps du livre, du codex au numérique, Enjeux des corporéités d’une forme médiatique : vers une anthropologie communicationnelle du livre », Paris, université de Paris-Sorbonne, 2018.
  • [11]
    Sur ce point, voir les textes critiques du collectif de L’Échappée contre le numérique et notamment, sous la direction de Cédric Biagini, L’Assassinat des livres par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde, Paris, L’Échappée, 2015.
  • [12]
    Roger Chartier, Culture écrite et société, L’ordre des livres (xive-xviie siècle), Paris, Albin Michel, 1996, p. 14-15.
  • [13]
    Françoise Paquienséguy et Mathilde Miguet, Le Lectorat numérique aujourd’hui : pratiques et usages, Résultats d’enquête 2011-2013, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2015.
  • [14]
    Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 23.
  • [15]
    Emmanuël Souchier, « La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation. Pour une poétique de “l’infra-ordinaire” », Communication & langages, no 172, 2012, p. 3-19.
  • [16]
    Voir le document L’Édition en perspective, rapport d’activité du Syndicat national de l’édition 2019-2020, Paris, Syndicat national de l’édition, 2020. Ce document peut être téléchargé à partir du site web de l’institution, https://www.sne.fr/publications-du-sne/.
  • [17]
  • [18]
    Voir Octave Uzanne, Nos amis les livres, Paris, Maison Quantin, 1886.
  • [19]
    Voir le volume collectif sur Les Mutations de la lecture, Olivier Bessard-Banquy (dir.), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2012.
  • [20]
    Voir Bertrand Legendre, Ce que le numérique fait au livre, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2019.
  • [21]
    Bernard Grasset le premier a déclaré urbi et orbi faire retravailler les auteurs jusqu’à deux ou trois fois leurs textes pour arriver à des versions satisfaisantes (voir à ce sujet la biographie que Jean Bothorel lui a consacrée, Bernard Grasset, Vie et passions d’un éditeur, Paris, Grasset, 1989).
  • [22]
    Voir le volume de Kelvin Smith, L’Édition au xxie siècle, Entre livres papier et numérique, Paris, Pyramyd, 2013.
  • [23]
    Voir à ce sujet l’entretien du patron des Puf sur ses choix en faveur de l’Expresso Book Machine rue Monsieur-le-Prince dans le volume collectif Design et innovation dans la chaîne du livre, Écrire, éditer, lire à l’ère numérique, Stéphanie Vial et Marie-Julie Catoir-Brisson (dir.), Paris, Puf, 2017.
  • [24]
    Alain Giffard, « Critique de la lecture numérique : The Shallows de Nicholas Carr », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2011, no 5, p. 71-73. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0071-013 ISSN 1292-8399.
  • [25]
    Voir les études déjà classiques d’Yves Citton sur les questions d’attention, notamment Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
  • [26]
    Alessandro Ludovico, Post-Digital Print, la mutation de l’édition depuis 1894, Paris, B42, 2016, p. 82. Citation empruntée à Clay Shirky.
  • [27]
    Hubert Nyssen, Du texte au livre, les avatars du sens, Paris, Nathan, 1993.
  • [28]
  • [29]
    Voir l’étude de Philippe Lombardo et Loup Wolf, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture Études, no 2, Paris, 2020 : www.culture.gouv.fr/Études-et-statistiques et sur www.cairn.info.
  • [30]
    Voir les résultats de l’enquête dans Livres Hebdo du 16 mars 2015 (https://www.livreshebdo.fr/article/les-francais-lisent-de-moins-en-moins-surtout-les-jeunes).
  • [31]
    Voir Christian Baudelot, Marie Cartier, Christine Détrez, Et pourtant ils lisent…, Paris, Seuil, 1999.
  • [32]
  • [33]
    Voir Dominique Cardon, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 378-379.
  • [34]
    Selon les termes mêmes qui figurent sur le site web de la maison Harlequin présentant la série dite « Gentlemen » : « Originaires des quatre coins du monde, ils sont riches, puissants et charismatiques. Ils se battent pour leurs idéaux, sauvent des vies quotidiennement, et n’hésitent pas à se mettre en danger pour secourir celles qu’ils aiment… » (voir https://www.harlequin.fr/collections).
  • [35]
    Voir l’étude de Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, no 20, 2011, p. 317-336.
  • [36]
    Maison qui a fêté en fanfare son centenaire en 2011. Voir le livre sous la direction d’Alban Cerisier et Pascal Fouché, Gallimard 1911-2011, Un siècle d’édition, Paris, Gallimard-BNF, 2011.
  • [37]
    Voir l’étude déjà citée en date de 2019.
  • [38]
    Brigitte Ouvry-Vial, « L’acte éditorial : vers une théorie du geste », in Communication & langages, no 154, 2007, p. 67-82.
  • [39]
    Voir l’article de Livres Hebdo à ce sujet en date du 5 juillet 2019 (https://www.livreshebdo.fr/article/albin-michel-leader-du-rayon-roman?xtmc=albin+michel+leader+roman&xtcr=7).
  • [40]
  • [41]
    Claude Weil, « La littérature en danger de mort », Le Nouvel Observateur, no 1406, 17-23 octobre 1991, p. 18, cité par Pascal Durand, Médiamorphoses, Presse, littérature et médias, culture médiatique et communication, Liège, Presses universitaires de Liège, 2019, p. 201.
  • [42]
    Yves Jeanneret, Penser la trivialité, vol. 1, La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès-Lavoisier, 2008.
  • [43]
    Ibid., p. 87.
  • [44]
    Matthieu Letourneux, « Le best-seller entre standardisation et singularisation », Revue critique de fixxion française contemporaine, no 15, p. 6-17, sept. 2017.
  • [45]
    Ibid., p. 12.
  • [46]
    Brigitte Chapelain et Sylvie Ducas (dir.), Prescription culturelle : avatars et médiamorphoses, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2018.
  • [47]
    Astrid Pourbaix, Guergana Guintcheva, « Le rôle des blogs littéraires amateurs dans le processus de décision des jeunes adultes en France », Management & Avenir, 2019/8, no 114, p. 93-108.
  • [48]
    Voir Louis Wiart, La Prescription littéraire en réseaux : Enquête dans l’univers numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2017.
  • [49]
    Voir le volume sous la direction de Claire Bélisle, Lire dans un monde numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011.
  • [50]
    Il en vante encore les mérites en 2016 alors que Musso est déjà numéro un des ventes depuis des années. L’analyste se demandera bien ce que ce genre d’opération promotionnelle peut apporter à l’auteur qui est déjà multimillionnaire… (voir la vidéo YouTube https://www.youtube.com/watch?v=Bx1jypjVuWA).
  • [51]
    Voir à cet égard la thèse de doctorat de Lorraine Feugère, « “La littérature, c’est pas un truc hautain” : une étude de la mise en scène de la lecture sur les blogs littéraires et les chaînes BookTube », soutenue en novembre 2019 à l’université Paul Sabatier-Toulouse 3.
  • [52]
    Voir le volume collectif Best-sellers, l’industrie du succès, Olivier Bessard-Banquy, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen (dir.), Paris, Armand Colin, 2021.
  • [53]
    Voir par exemple le top cinq des influenceurs en littérature selon le site Kolsquare (https://www.kolsquare.com/fr/blog/comptes-instagram-litterature), page consultée le 19 avril 2020.
  • [54]
    Brigitte Chapelain et Sylvie Ducas (dir.), op. cit., p. 14.
  • [55]
    Voir sur ce point le volume de Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel, Le Livre-échange, Vies du livre et pratiques des lecteurs, Caen, C & F éditions, 2018.
  • [56]
    Voir l’étude déjà évoquée de l’institut Ipsos pour le CNL en 2019.
  • [57]
    Voir le volume collectif Internet et la sociabilité littéraire, Jean-Marc Leveratto et Mary Leontsini (dir.), Paris, Bibliothèque publique d’information, centre Pompidou, 2008.
  • [58]
    Emmanuël Souchier, Étienne Candel, Gustavo Gomez-Mejia, Le Numérique comme écriture, Théories et méthodes d’analyse, Paris, Armand Colin, coll. « Codex », 2019. Voir notamment le chapitre 4 « Le formatage, c’est du pouvoir », p. 159-191.
  • [59]
    Voir Patrice Flichy, Le Sacre de l’amateur, Paris, Seuil, 2010, p. 88.
  • [60]
    C’est le nom même d’un groupe sur Facebook.
  • [61]
    Voir Louis Wiart, op. cit. Plus de 80 % de ceux qui ont répondu au questionnaire de Louis Wiart sont des femmes.
  • [62]
    Lionel Ruffel, Brouhaha, Les mondes du contemporain, Lagrasse, Verdier, 2016, p. 106.
  • [63]
    Selon Tzvetan Todorov, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.
  • [64]
    Voir à ce sujet les pages d’Olivier Bétourné dans ses mémoires sur la production de la maison Albin Michel telle qu’il l’a perçue à son arrivée rue Huyghens et la description de ses efforts pour essayer d’inscrire davantage au catalogue de cette marque des œuvres durables ou substantielles (La Vie comme un livre, Mémoires d’un éditeur engagé, Paris, Philippe Rey, 2020).
  • [65]
    Voir sur ce point le post de Mathilde Serrell sur France Culture qui a fait grand débat le 22 janvier 2019 suite à la découverte des derniers chiffres concernant les meilleures ventes du livre en 2018 où la part des productions généralistes de qualité a sévèrement chuté (https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-culturel/le-billet-culturel-du-mardi-22-janvier-2019).
  • [66]
    Voir sur ce point le roman de Jean-Marie Laclavetine, Première ligne, Paris, Gallimard, 1999, qui met en scène un éditeur fatigué de recevoir de mauvais manuscrits qui décide de créer un club pour décourager les auteurs du dimanche de noircir des pages.
  • [67]
    Lionel Ruffel, op. cit., p. 107.
  • [68]
    Yves Citton, op. cit.
  • [69]
    Voir le volume collectif Tous artistes ! Les pratiques (re)créatives du web, Sophie Limare, Annick Girard et Anaïs Guilet, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2017.
  • [70]
    Bien que cet auteur ait sa page Wikipédia, personne ne connaît l’identité exacte de cette jeune femme. Il n’est pas impossible que cela cache une mystification comme Émile Ajar tant il est évident que cette personne possède des dons tout à fait hors norme.
  • [71]
    Marine Siguier, « Le #Bookporn sur Instagram : poétique d’une littérature ornementale », Communication & langages, no 203, mars 2020, p. 63-80.
  • [72]
    Yves Jeanneret, op. cit.
  • [73]
    Marti de Montety Caroline, « Les marques, embrayeurs culturels : quand les livres « brandés » font recette. Un exemple de culturalisation de la marchandise », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 15/2a, 2014, p. 57 à 68.
  • [74]
    Christèle Couleau et Oriane Deseilligny, « Prêt-à-porter, prêt-à-prescrire : quand Balzac Paris et Sézanne sont tentées par la prescription culturelle », dans La Prescription culturelle en question, François Ribac (dir.), Territoires contemporains – nouvelle série [en ligne], 15 juillet 2019, no 11, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
  • [75]
    Voir Dominique Cardon, op. cit., p. 189 et suivantes.
  • [76]
    À La Grande Librairie dans une émission du début de l’année 2017, voir la vidéo sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=Awgpo99Wb9o). On a quelque peine à imaginer un fan absolu venir présenter à la télévision les livres de Robert Laffont ou de la maison Plon.
  • [77]
    Voir Louis Wiart, op. cit., p. 40 et suivantes.
  • [78]
    Selon des sources américaines de 2003 citées par Louis Wiart, ibidem.
  • [79]
    On aura noté que très intelligemment ces personnes ont utilisé la littérature générale comme rampe de lancement pour atteindre leur véritable but, l’exposition médiatique qui est ensuite convertie en rente de situation, par un siège dans une grande émission de talk-show ou même à la table d’honneur d’une académie faiseuse de rois où les sollicitations très intéressantes sont nombreuses.
  • [80]
    Ibid.
  • [81]
    Blog pour beaucoup consacré aux auteurs d’hier injustement oubliés qui a débouché sur deux livres dont le désormais classique Une forêt cachée, 156 portraits d’écrivains oubliés d’Éric Dussert, Paris, La Table ronde, 2013.
  • [82]
    Voir Oriane Deseilligny, « Reformuler les processus éditoriaux, déplacer l’imaginaire du best-seller ? Formes, conditions et mythologies du succès en contexte numérique », Revue critique de fixxion française contemporaine, [S.l.], no 15, p. 118-129, août 2017. En ligne : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx15.10.
  • [83]
    Voir la thèse de Stéphanie Parmentier sur le passage du compte d’auteur à l’auto-édition, soutenue à Bordeaux, université de Bordeaux-Montaigne, septembre 2020.
  • [84]
    Voir Eugène Boutmy, Dictionnaire de la langue verte typographique, Paris, Isidore Liseux, 1878.
  • [85]
    Nicholas Carr, Internet rend-il bête ? Paris, Robert Laffont, 2011.
  • [86]
    Plus de 419 millions de volumes encore en 2018 selon le Syndicat de l’édition, voir les chiffres clés du Syndicat de l’édition publiés en 2019 pour l’année 2018 (https://www.sne.fr/economie/chiffres-cles/).
  • [87]
    Voir sur ce point le volume collectif sur La Typographie du livre français, Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier (dir.), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2008.
English version

Écran Retina ou vélin pur chiffon ?

1Le livre est « en révolutions », comme l’a écrit Roger Chartier [1], et sans doute l’est-il depuis toujours, puisque sans cesse renouvelé, réinventé, mais plus que jamais ces dernières années dès lors que de nouveaux supports lui ont permis d’arriver, mediamorphosé, sous d’autres yeux. De fait, à chaque fois que la question de l’avenir du livre est évoquée [2], c’est au livre dit électronique que les professionnels comme les experts, de même que les lecteurs, pensent tout naturellement pour se demander si l’ebook peut à terme remplacer le livre comme le train a signé l’arrêt de mort de la diligence. Grande question ancienne donc, concernant l’avenir du livre, mais très présente depuis le début des années 2000, qui avait vu le « village ebook » trôner au cœur du Salon du livre à Paris et susciter de vifs émois et discours d’escorte – au demeurant encore vivaces. En effet, les dix premières années du nouveau millénaire ont été particulièrement marquées par les discours des fabricants d’ordinateurs, de tablettes, de liseuses visant à construire la valeur sociale et symbolique de l’écran au regard de notre culture du texte et de l’imprimé, participant ainsi de l’élaboration de ses « fantasmagories » et de l’édification de nouvelles scènes et représentations du livre et de la lecture en contexte numérique [3].

2Étrange question tant à l’époque ce fameux ebook visait, maladroitement, lourdement, à imiter la page du livre, en vertu de ce fameux « effet diligence [4] » théorisé par Jacques Perriault et propre à tout processus d’innovation technique, rabattant l’expérience de lecture sur l’expérience utilisateur, et cherchant à opérer une fusion non maîtrisée entre culture informatique et culture du livre par le biais d’un processus de métaphorisation [5].

3Les discours médiatiques, publicitaires, techniques et industriels contribuaient à « culturaliser l’écran [6] » d’une part et d’autre part à donner de l’épaisseur symbolique au texte d’écran alors même que les fantasmes d’immatérialité s’entrechoquaient avec divers glissements métaphoriques pointés par Julia Bonaccorsi à l’endroit de la page du livre et de son volume, tendant à construire en sous-main des représentations de la matière du texte numérique.

4Pourtant, pour nombre de passionnés qui pensent le livre comme objet matériel et symbolique, l’ebook, le fichier ePub, le PDF récupéré par Gallica apparaissent comme des dispositifs techniques dont la part manquante est la plus essentielle car « dès l’instant où il nous faut expliquer les signes qui constituent un livre, et non plus seulement les décrire ou les copier, ils acquièrent un statut symbolique [7] ». Fichiers numériques certes utiles, voire précieux pour la recherche lettrée, la lecture ergative [8], mais livres non, jamais, dans cette approche sacrée du livre pensé comme un « un objet investi d’esprit », selon la célèbre formule de Husserl [9], autrement dit un bien matérialisé [10] dont la forme même détermine la lecture du texte qui pourra en être faite [11].

5On sait que « la compréhension d’un texte, quel qu’il soit, dépend des formes qui ont été et sont les siennes », et plus encore, que « les livres, dans leur matérialité même, commandent la possible appropriation des discours [12] ». Si les études sur les usages des liseuses montrent que leurs adeptes sont la plupart du temps des grands lecteurs [13] appréciant avant tout le côté pratique d’un objet qui permet d’avoir toute une véritable bibliothèque entre les mains, lire Proust en « Pléiade » ou sur iPad ne relève pas de la même expérience sensorielle, intellectuelle, et ne produit pas les mêmes effets. Voir le texte dans un Garamond bien dessiné sur vergé tend presque à reproduire matériellement le charme des conversations de salon chez les Guermantes alors que le même texte en Arial simple sur liseuse peut sembler au contraire aplatir le texte, le banaliser. Inversement la même phrase proustienne apparaîtra peut-être bien terne ou pauvre dans un livre de poche sur un papier journal qui tombe en poussière, alors que dans une belle mise en page sur iPad elle pourra tout d’un coup prendre un aspect minéral, sculpté, qui peut confiner au sublime.

6Et pourtant, d’un point de vue phénoménologique, les mêmes adeptes des liseuses peuvent être conduits à constater qu’ils oublient qu’ils tiennent en main une liseuse comme ils oublient le livre de poche, en vertu de ce qu’accomplit le langage [14]. Évoquant son activité de lecture, Merleau-Ponty écrivait : « Je suis des yeux les lignes sur le papier, à partir du moment où je suis pris par ce qu’elles signifient, je ne les vois plus, le papier, les lettres sur le papier, mes yeux et mon corps ne sont là que comme le minimum de mise en scène nécessaire à quelque opération visible. » Travaillée par « la mémoire de l’oubli », la matérialité parfois encombrante, lumineuse, du livre électronique disparaît de la même manière derrière le pouvoir du texte [15].

7Les chiffres cependant sont têtus qui font état d’une solide résistance du corps social à la pénétration du livre numérique dont la vente n’a produit un chiffre d’affaires que de 232,3 millions d’euros en 2019, soit 8,72 % seulement du montant global du chiffre d’affaires de la vente de livres en France, selon le Syndicat national de l’édition [16]. Seuls 22 % des Français interrogés par le ministère de la Culture ont déclaré, lors d’une enquête des années 2017-2018, avoir lu un livre numérique [17]. Chacun peut tout à loisir analyser ces données, soit pour en tirer la conclusion que le livre électronique ne peut s’imposer durablement en France, au sein d’une nation littéraire qui a poussé loin l’art du livre dont Octave Uzanne a parlé avec verve [18], soit pour laisser entendre au contraire que la progression est continue, quoique lente, et qu’à terme l’antique in-octavo ne peut être que supplanté par l’ePub. Il est vain de vouloir trancher ce débat qui par définition bute sur une inconnue de taille car personne ne sait ce que seront les pratiques culturelles des personnes qui ne sont pas même nées. Les chiffres n’indiquent pas une adhésion de masse aux outils numériques, preuve à tout le moins qu’il ne peut pas y avoir de substitution de l’un par l’autre. Que l’on soit séduit par les écrans, convaincu des bienfaits informationnels du web, ou fidèle à la civilisation du papier, une chose est sûre, l’ebook n’annule pas le livre, les usages coexistent pour l’heure dans des modalités et des situations de lecture différenciées. Mais ses commodités, son charme, ne peuvent-ils pas à terme « vamper » les nouvelles générations ? Les produits dérivés de l’iPad n’offriront-ils pas demain aux usagers tous les plaisirs de l’interactivité cybernétique ? Comment savoir si des outils plus séduisants encore que nos tablettes ne peuvent pas à terme faire disparaître, aux yeux des jeunes générations, tous les objets du vieux monde comme le livre [19] ?

8Après avoir posé en vis-à-vis le support imprimé et ses avatars électroniques, nous allons interroger entre ces pages plusieurs des métamorphoses qui nous semblent les plus remarquables dans le monde du livre, de ses circulations en ligne, des discours sociaux, critiques, qui le construisent plus que jamais comme objet-carrefour. Les articles de ce dossier en présentent chacun des facettes complémentaires. Nous évoquerons ainsi certains effets du numérique sur l’évolution des pratiques de lecture qui voient notamment les générations s’opposer. Puis nous annoncerons quelques glissements qui apparaissent dans l’offre de littérature au sein des catalogues des maisons d’édition qui constituent le point de départ de l’analyse d’Oriane Deseilligny. Si la publication en ligne comme geste de diffusion vient rivaliser avec l’offre éditoriale classique notamment via les pratiques d’auto-édition présentées par Stéphanie Parmentier, elle peut aussi en constituer un des leviers, cependant que de nouvelles formes de prescription apparaissent et conduisent les éditeurs à s’appuyer sur des médiateurs émergents, à l’instar des bookstagrameurs qu’analyse Christelle Rogues. Le livre enfin, dans ce panorama qu’un seul dossier ne suffira évidemment pas à penser, n’est pas imperméable aux enjeux contemporains d’une société de consommation qui recycle le papier pour l’intégrer à ses préoccupations écologiques, comme le montre Olivier Bessard-Banquy ; ce nouveau monde sait aussi, à l’opposé, donner un statut de fétiche au bon vieux codex revisité par les normes esthétiques et discours positifs d’Instagram. En creux de ces tensions, de ces évolutions, les vies du livre en régime numérique donnent à voir en même temps le prolongement de pratiques professionnelles ancestrales et l’invention de formes nouvelles de circulation et d’attribution de la valeur symbolique.

Désintermédiation ?

9Avant les usages du grand public, les pratiques professionnelles se sont modifiées depuis les années de bascule de la photocomposition à la publication assistée par ordinateur (PAO) ; le travail éditorial dans les maisons de Saint-Germain-des-Prés et d’ailleurs n’est plus le même [20]. Les mémoires d’éditeurs racontent souvent des séances de travail à l’ancienne [21] ; encore dans le roman Pervers de Jean-Luc Barré est campé un éditeur qui ressemble fort à Claude Durand travaillant les textes stylo rouge en main. Cette description est d’autant plus touchante que cette manière de faire est pour ainsi dire dépassée. Si des pratiques scripturaires demeurent, sans nul doute, il reste que la chaîne informatique du livre est la même du tapuscrit originel au PDF envoyé à l’imprimeur et que, de plus en plus, le travail se fait d’abord sous Word, à l’aide de l’outil Révision, pour le préparateur de copie, avant d’arriver entre les mains du metteur en pages qui peut travailler les mêmes éléments informatiques sous un logiciel ou sous un autre, InDesign en général, ou QuarkXPress encore parfois, sinon TeX [22]. In fine le fichier peut donner un livre ou un ePub, un site web dédié ou un volume roulé en offset, sinon selon les canons de l’impression à la demande [23], si commande il y a. Le livre est entré dans sa phase virtuelle, en attente d’être lu, sous une forme ou sous une autre, perdu dans le grand tout de la masse des titres disponibles. Et surtout les textes, les livres, désormais, ont pénétré un nouvel univers qui est celui de la vie connectée et des « lectures industrielles [24] » décrites par Alain Giffard : que le livre soit lu sur papier ou sur écran il est désormais un aliment comme un autre pour le cerveau qui vit en régime d’hypersollicitation, soumis sur le web aux stimuli des annonceurs, du marketing et de tous les acteurs de l’économie de l’attention [25].

10Ce sont donc nos modes de lecture qui sont en train de changer, nos manières de considérer le livre, jadis roi dans l’univers du papier, aujourd’hui simple medium parmi une foule de media, noyé dans un ensemble qui va du tweet au mail, du post de blog au texto, toujours légitime, certes, du fait de son éditorialisation, mais non supérieur ou plus important.

11La facilité avec laquelle les jeunes générations ont migré sur Wattpad pour écrire et lire des romances, du young adult ou des fan fictions, ou encore ont fait la fête aux produits de l’auto-édition sérielle sur liseuse semble prouver que la quête de certification et le souci d’avoir un texte customisé, relu, corrigé, validé, ne vaut plus que dans les cas nécessaires d’une information vérifiée et de la recherche d’un processus de légitimation, voire de consécration classique – comme pour les autrices Wattpad éditées par Albin Michel par exemple. Et ce processus-là existe bel et bien pour tous les auteurs tentés par l’auto-édition sur des plateformes telles que Librinova ou Kindle Direct Publishing (KDP). Car lorsque le succès pointe et qu’un éditeur s’intéresse à eux, le texte est repris, retravaillé, éditorialisé en somme. « La révolution initiée par Gutenberg est terminée. […] Nous sommes en train de passer d’un monde où on filtrait avant de publier à un monde où on publie avant de filtrer », lit-on dans Post-Digital Print, la mutation de l’édition depuis 1894, d’Alessandro Ludovico [26].

12Les révolutions contemporaines du livre sont ainsi avant tout des évolutions d’un rapport aux textes dans un environnement numérique marqué par un imaginaire de la culture participative, de la gratuité, du partage, par le mythe de l’interactivité et par les rhétoriques trompeuses enfin de la dématérialisation – et son corollaire, le fantasme de la désintermédiation. Tous ces imaginaires et discours circulants contribuent bien sûr à dénier la concrétude des médiations, à modifier aussi le regard sur le legs des anciens, la compréhension de la réalité des médiations passées et à produire des croyances tenaces. Dans le monde des nouveaux liens peer to peer, le filtre de l’éditeur, la réalité du travail qui permet de passer du manuscrit au texte édité, « accastillé » pour le dire avec la métaphore d’Hubert Nyssen [27], est aux prises avec les imaginaires et idéologies du web solidement ancrées.

Et pourtant ils lisent…

13Révolutions du livre, oui sans doute, mais plus encore tensions entre imaginaires, pratiques, générations : tandis que les jeunes générations sont attirées par les réseaux sociaux et des plateformes comme Wattpad, les professionnels affrontent le vieillissement inéluctable de la dernière des générations à avoir eu la lecture et singulièrement la lecture des produits courants de l’édition française pour activité culturelle première ou principale, la fameuse génération du baby-boom. Les études sur les pratiques de lecture masquent souvent la réalité sociologique de ces différentes activités : les publics sont appelés gros lecteurs – 20 livres ou plus par an –, lecteurs moyens ou faibles lecteurs, sans oublier les non-lecteurs, mais ces appellations ne disent pas grand-chose des pratiques dans le détail. D’après une enquête d’Ipsos, datant de 2019 pour le compte du Centre national du livre (CNL), 92 % des Français interrogés ont lu un livre dans l’année et un Français sur quatre appartient encore à la catégorie dite des gros lecteurs évoquée plus haut. Selon ces mêmes statistiques, les romans viennent en tête des lectures, à 74 %, devant les livres pratiques, 56 %, et les BD-mangas-comics, 51 % [28]. Cependant que, selon le ministère de la Culture, les lecteurs ayant lu plus de 20 livres dans l’année ne sont plus que 15 % en 2018 ; ils étaient 28 % en 1973 [29]. La situation est d’autant plus confuse qu’en 2015 les données d’une même enquête Ipsos pour le CNL se montraient plus pessimistes, révélant que 12 % seulement des 15-24 ans disent lire beaucoup (contre 30 % chez les 65 ans et plus) [30]. Dans les faits, on l’aura compris, ces chiffres ne disent rien des différences dans les lectures. François Gèze est l’un des premiers à s’en être préoccupé, en tant qu’éditeur de La Découverte : la catégorie dite des gros lecteurs s’effrite ou s’affaiblit en même temps que s’efface insensiblement la génération des baby-boomers. Or ce qui les caractérise, ce n’est pas tant qu’ils lisent beaucoup, c’est surtout que ce sont des consommateurs de productions généralistes, romans, essais, documents, autant de productions qui ont fait la richesse de Gallimard, du Seuil et de tant d’autres, des maisons qui ont du souci à se faire au regard des dernières études publiées concernant la lecture des jeunes – « et pourtant ils lisent… », peut-on dire en parodiant un titre du Seuil [31] –, des lectures qui sont pour l’essentiel ou bien des lectures de travail, imposées, ou bien des lectures de divertissement, sériel, dans les genres qui sont les plus plébiscités : selon la dernière étude d’Ipsos, les jeunes de 15-24 ans lisent en priorité à 57 % des livres de fantastique et de SF et à 53 % de la BD. D’un point de vue général, toutes catégories de lecteurs confondus, les trois productions qui ont le plus augmenté entre 2017 et 2019 sont celles du développement personnel, de la SF et fantasy et celle des mangas [32].

14Ce n’est donc pas à un strict tassement des lectures que nous assistons mais plutôt à une lente évolution des lectures vers de nouvelles lectures de fans, pris dans des goûts sériels, répétitifs, qui rappellent un peu les filter bubble ou chambres d’échos dans lesquelles nous enferment les réseaux sociaux [33], des mouvements claniques, passionnels, qui font les succès des productions spécialisées, dystopies, romances et autres – à l’intérieur de quoi se créent comme par scissiparité une myriade de sous-catégories tant le propre de ces littératures de genre est de s’autosegmenter sans fin comme le lecteur l’a vu avec le roman Harlequin, généraliste en ses débuts, décliné désormais à l’infini avec version « fleur bleue » ou au contraire plus corsée mettant en scène des hommes « riches, puissants et charismatiques [34] » ou encore dans une version plutôt « 1001 nuits », série intitulée « Ispahan » [35]. Il n’y a donc pas remplacement des anciens lecteurs par de nouveaux lecteurs, ou transmission des habitudes par les canaux classiques de la famille ou de l’école, mais bien mutation d’un modèle ancien où la production généraliste trône au centre – comme le rappelle le simple fait que la maison Gallimard ait été la première maison indépendante de France, position conquise depuis longtemps [36] – vers un nouveau monde des lectures explosées où chacun ne lit plus que ce que ses centres d’intérêt le conduisent à vouloir explorer, à 64 % pour le plaisir, à 52 % pour apprendre et découvrir de nouveaux horizons – à l’aide des ouvrages de développement personnel sous toutes ses formes au premier chef, assure encore la dernière enquête Ipsos [37].

« On nous paul-loup-sulitzère… » : perte de valeur de la littérature ?

15Il n’est pas certain qu’il soit aisé de penser d’un coup tout ce que cela bouleverse dans le monde du livre. Nous en voyons néanmoins les effets dans les équilibres nouveaux établis au sein des catalogues des éditeurs, entre littérature générale, littératures de genre et productions tournées vers le très grand public. Oriane Deseilligny interroge justement dans son article le brouillage des frontières de certains segments éditoriaux résultant de mercatos assumés d’éditeurs qui, lorsqu’ils arrivent dans des maisons estampillées littéraires, viennent donner une inflexion qui peut sembler plus grand public. Les perceptions sociales du fait littéraire résultent de la construction de figures d’auteurs, d’une intentionnalité éditoriale, d’un geste éditorial[38], des modalités énonciatives de la réception critique et médiatique, plus largement de toutes les médiations techniques, sociales et symboliques qui participent à la fabrication du livre.

16De fait, les maisons généralistes sont condamnées à évoluer pour avoir à côté de leur production fondatrice d’autres séries, d’autres collections davantage tournées vers un public en quête de lectures spécialisées. Beaucoup le font déjà depuis des années. Hugo et Cie est sans doute la maison la plus avancée dans ce domaine parce qu’elle a su fédérer notamment de fervents lecteurs de romances qui ont trouvé dans son catalogue toutes sortes de productions young adult bien identifiées. Plus globalement c’est toute la production généraliste qui est elle-même invitée à se démocratiser, à devenir plus ouverte, comme le fait Albin Michel, leader dans le domaine du roman depuis peu [39]. Ainsi sont apparus des auteurs comme Bernard Werber ou Virginie Despentes qui correspondent à des logiques marketing aisément repérables, du roman de science-fiction-biologie-polar à destination de lecteurs scientifiques (dans le premier cas) ou bien de romans rock and roll conçus pour des lecteurs urbains fans de culture pop ou grunge (dans le second).

17Depuis la publication de l’article – historique – de Livres Hebdo sur la sortie du purgatoire pour la littérature grand public [40], toute la mutation souterraine du livre est devenue publique, au sens propre du terme, cette sorte de « jean-claude-lattesisation » de l’édition généraliste ou de « michel-lafonisation » du livre comme jadis un certain Souchon se plaignait déjà, dans une chanson célèbre, qu’on nous « paul-loup-sulitzère ».

18Pourtant, souvenons-nous des discours critiques d’un Sainte-Beuve sur « la littérature industrielle », sur ces Dumas et autres plumes mercenaires devenus incontournables sinon classiques, accusés de « tirer à la ligne » par les contempteurs du roman-feuilleton placé au rez-de-chaussée des journaux. Souvenons-nous d’un Claude Weil écrivant, dans Le Nouvel observateur en 1981, comme le rappelle Pascal Durand : « Si la littérature doit mourir, ce sont les livres qui l’auront tuée, les mauvais livres, plus sûrement que la télévision ou le magnétoscope. Elle ne périra pas d’inanition […] mais dévorée par ses métastases, étouffée sous la prolifération anarchique de la sous-littérature [41]. » Ces dénonciations d’une perte de valeur de la littérature ne sont pas nouvelles, tant s’en faut. Oriane Deseilligny s’interroge ainsi dans son article sur les processus qui font travailler en sous-main notre rapport à la littérature, processus dans lesquels les discours nostalgiques s’en tiennent à la déploration d’une perte tandis que la coresponsable de ce dossier préfère adopter une approche plus communicationnelle et anthropologique en soulignant, avec Yves Jeanneret, l’idée d’une altération intrinsèque des êtres culturels caractéristique des économies contemporaines de la trivialité [42]. Dans l’approche de Jeanneret, l’altération est envisagée dans un sens positif et désigne « le processus qui veut qu’en se déplaçant dans la société, les idées et les textes ne cessent de se transformer [43] ». Dès lors, la culture n’existe qu’altérée et ce qui apparaît à certains comme une démocratisation de la littérature constitue d’un autre point de vue l’expression d’une époque, qui s’incarne notamment dans la prédilection pour une littérature sérielle, pour une littérature thérapeutique ou pour des best-sellers qui se distinguent du reste de la production tout en obéissant à des principes standardisés caractéristiques, selon Matthieu Letourneux [44], de notre société de consommation. Et il faut ajouter avec ce dernier encore que les médiations techniques et symboliques que constituent les médias, mais également le rôle désormais joué par des blogueurs, youtubeurs, instagrameurs du livre contribuent à renforcer cet attrait pour une littérature plus ouverte, dès lors qu’ils « définissent dans l’espace public une façon d’évaluer les textes, en mettant l’accent sur l’émotion et l’immersion » et imposent « une lecture référentielle des textes, mettant l’accent sur les usages thérapeutiques des livres ou sur les sujets sociétaux qui y étaient abordés [45] ».

De la prescription en régime numérique : portrait de l’internaute en lettré branché

19Pour le dire autrement, les livres n’arrivent plus par les mêmes canaux sous les yeux des lecteurs, qui ont eux-mêmes changé. Car, on le sait aussi depuis quelques années, la prescription à l’ancienne a vu de sérieux rivaux émerger avec la montée de l’expertise profane via les réseaux sociaux, ou les plateformes tel Babelio et leurs commentaires de lecteurs [46]. Les jeunes adultes sont ainsi particulièrement sensibles à la critique littéraire issue des blogs amateurs et ce d’autant plus que la lecture de ces blogs réduit à leurs yeux la prise de risque qu’est l’achat [47]. Les likes et les commentaires constituent désormais les outils soutenant une décision de lecture ou d’achat – avis que l’internaute dit suivre à 47 % selon l’enquête de Louis Wiart, loin devant ce que peuvent être les autres formes de recommandation classique [48]. Le pair est ainsi devenu le prescripteur numéro un [49].

20D’autres pratiques de prescriptions se sont largement développées, qui mettent en scène la passion du livre – qui tend vers le fétichisme parfois, nous y reviendrons, sur YouTube ou sur Instagram. Si les éditeurs n’ont pas cessé d’envoyer leurs exemplaires en service de presse aux journalistes qui restent en poste dans les grands media d’influence – du Monde à France Inter sans oublier France Télévisions ou L’Obs –, ils ont surtout appris à jouer des media ciblés qui leur semblent bien plus efficaces pour vendre et miser sur les prescripteurs directs ou indirects, les libraires spécialisés (dans le domaine du voyage par exemple pour lancer un inédit de Nicolas Bouvier), les influenceurs liés aux domaines qui sont les leurs (ainsi du libraire Gérard Collard, célèbre patron de La Griffe noire, habitué des plateaux de télévision avec sa houppette à la Tintin, éternel défenseur des littératures très grand public, prompt à vanter les mérites des best-sellers comme Guillaume Musso [50]). Si, comme le montre Christelle Rogues dans son article, les éditeurs ont adopté de véritables réflexes promotionnels en travaillant désormais avec les bookstagrameurs en vue, mais aussi avec les booktubeurs [51], ils savent aussi, dans des formes plus masquées, solliciter des influenceurs plus généralistes – « lifestyle », dit-on. On peut faire l’hypothèse, dans ce dernier cas, que le livre apparaît sur ces comptes comme étant plus facilement associé au monde de la consommation durable et aux valeurs euphoriques qui font le succès des influenceurs qui les animent. Voire, pourquoi pas, qu’il y est comme naturalisé, à orner une table basse, une étagère, à donner l’occasion d’une pose – sinon d’une posture.

21Les formes classiques de médiation du livre pourtant ne s’opposent pas à l’univers numérique ; un bel article dans Le Monde vaut désormais plus par son partage sur Facebook que pour son impression sur papier de moins en moins parcourue au moment de sa sortie. Du point de vue du marketing éditorial, tout est bon qui peut faire parler du livre et nourrir un buzz, si possible. Mais désormais l’écho dans la grande presse ne semble plus être que le bruit de surplomb, l’écho général ou global dont les effets sont bien moins perceptibles que le coup de cœur d’un libraire qui peut vendre 500 exemplaires d’un livre dans sa boutique – comme Marie-Rose Guarnieri dit avoir par exemple écoulé le livre de Philippe Lançon, Le Lambeau, dans sa petite boutique des Abbesses [52] – ou un influenceur qui, tout d’un coup, attire l’attention de milliers de clients directs sur un livre qui peut leur plaire [53].

22Dans le domaine des lettres tout particulièrement, par-delà le phénomène des influenceurs, existe toute une nébuleuse de blogueurs, lecteurs, suiveurs, qui sont abonnés au fil d’information Instagram des maisons et même collection par collection, selon leurs goûts ; et tous les livres qui attirent l’attention sont invariablement lus, débattus, désossés, disséqués, pour être encensés ou sévèrement critiqués. Ainsi se met en place, sur le web, un processus de médiation horizontal qui vise à s’affranchir du système traditionnel de validation, qu’il soit le fait de professionnels du livre, comme certains libraires qui « cherchent à échapper à toute forme d’allégeance à l’égard des autorités critiques lettrées [54] » ou qu’il soit le fait d’amateurs, permettant à n’importe quel titre de toucher plus directement son public cible que jadis, ce que Dominique Boullier et ses amis appellent « une conversation-livre [55] ». Le professionnel de l’imprimé peut ainsi s’abonner sur Facebook à nombre de comptes comme Livres Hebdo et tant d’autres où seront chroniquées, présentées, toutes les nouveautés qui peuvent être intéressantes, demeurant disponibles sur le web quand jadis la recension de telle étude de Jean-Yves Mollier par exemple ne faisait que passer dans le journal Le Monde, et tant pis pour ceux qui l’avaient manquée.

23Tout cela permet à chaque livre de toucher mieux son public. Plus de livres mieux portés, mieux ciblés, moins de place pour le hasard : les pratiques de recommandation sur le web, le fonctionnement des algorithmes, le contexte général de l’économie de l’attention tendent, on le sait, à nous proposer ce que nous aimons et ce sur quoi nous avons cliqué, au risque de générer un certain enfermement technique et symbolique. Et à cet égard le rôle prescripteur des bibliothécaires et des libraires peut encore représenter un contrepoids aux recommandations algorithmiques : la fréquentation des librairies permet de bénéficier des conseils du libraire et de se laisser tenter par des achats imprévus. D’après les dernières études d’Ipsos, si à 82 % les acheteurs de livres se sont rendus sur le lieu de vente avec une idée précise de livre à acheter, ils sont aussi 79 % à s’être déterminés sur place à se laisser séduire par un achat inattendu, en fonction du sujet du livre ou de ce qu’en dit la quatrième de couverture [56].

24Cette nouvelle vie du livre en régime numérique intègre de nouveaux usages ou révèle des pratiques qui apparaissent comme des métamorphoses d’anciennes manières de faire. Quand jadis l’actualité littéraire pouvait se faire dans les salons puis les cénacles, la sociabilité littéraire [57] du web est médiée par des plateformes qui, ne l’oublions pas, formatent les échanges et affirment leur pouvoir instituant par le biais de leur énonciation éditoriale architextuelle [58]. En creux des communautés de lecteurs qu’elles codifient et organisent s’affirme un moi lettré, se construit une identité virtuelle par les livres, en réseau [59], alimenté par le flux des remarques de ceux qui sont des lecteurs en miroir, via les abonnements à des chaînes YouTube ou à des comptes Instagram. Ces échanges appareillés par les médiations techniques ne gomment pas les différences de goût ; sur toutes ces pages s’expriment des avis personnels ou subjectifs, s’y affirment des coups de cœur ou des coups de griffe – l’une des plus célèbres librairies de France ne s’appelle-t‑elle pas La Griffe noire ? –, mais aussi la construction d’un moi qui s’affiche en « obsédé textuel [60] ». Portrait du blogueur en lecteur passionné, moderne, ouvert, dans la quête du plaisir, inséparable de ses livres comme sur les shelfies devenus très mode, aimant à mettre en scène ses lectures selon les codes et les canons esthétiques qui se déploient sur Instagram ou sur BookTube. Lectrice, jeune, boulimique de livres, selon Louis Wiart, tel est le portrait de l’internaute hyperactif très présent sur les sites de prescription comme Babelio [61].

Auteur, lecteur, blogueur : la littérature comme « communication sociale »

25Dans toutes ces médiamorphoses la vraie nouveauté est qu’il n’est plus très aisé de distinguer l’auteur du lecteur, l’amateur du professionnel. Les mêmes bien souvent aujourd’hui sont d’abord des lecteurs devenus fans ou blogueurs sinon influenceurs, présents lors d’événements, en lien avec leurs auteurs fétiches – Amélie Nothomb les connaît tous un par un et il est sans doute loisible de considérer que sa popularité tient pour beaucoup à ce lien qu’elle nourrit, qu’elle entretient, en auteur corpus Christi, offerte à ses fans en somme –, qui intègrent à l’occasion les filières des métiers du livre, instagrameurs désormais gâtés de services de presse, chouchoutés par les éditeurs, organisateurs d’événements comme le Grand Prix des blogueurs, lanceurs de projets Ulule ou KissKissBankBank, et in fine professionnels, soit dans le monde de l’édition, soit en freelance. Les mêmes sont aussi influenceurs puis parfois auteurs, à l’instar de ces blogueurs désormais édités par des maisons d’édition comme l’explique Christelle Rogues dans son article.

26Cette pénétration du monde du livre par les amateurs ou les fans est en quelque sorte l’ultime phase de la démocratisation de « la galaxie Gutenberg » que l’on pourrait rapprocher des analyses de Lionel Ruffel sur le sacre contemporain que représente non plus forcément le fait d’être édité, mais surtout celui de publier. Pour Ruffel, le contemporain est marqué par « la fin de la représentation unique de la littérature dans sa relation à la chose imprimée et à une sphère publique idéalisée […]. La Littérature n’est plus alors qu’une des actualisations possibles du littéraire et de la publication [62]. » Les pratiques littéraires multiples qui se sont développées (littérature performée, in situ, exposée, multi-supports…) transforment selon lui la présence sociale des auteurs, les circuits et processus du fait littéraire et, in fine, notre rapport à l’objet-livre. À l’imaginaire de la rareté associé au livre et à sa sacralisation se substituent d’autres représentations dont le point commun est selon lui « que l’on passe d’une représentation et donc d’un imaginaire du littéraire centré sur un objet-support : le livre, à un imaginaire du littéraire centré sur une action et une pratique : la publication ».

27Cette démocratisation de la sphère du livre accompagne la glissade de la production vers quelque chose qui relève toujours plus, en apparence, du texte courant, tout étant susceptible d’être lu, quelle que soit sa qualité, comme en classe de français tout texte peut servir un cours sur la métaphore ou la métonymie, dans un refus de toute considération hiérarchisante visant à distinguer le chef-d’œuvre du petit livre de circonstance, le grand écrivain du petit auteur de peu d’envergure [63]. Production où la littérature courante de facto (celle des maisons parisiennes en haut de la pyramide du livre où les objectifs commerciaux priment le souci du rayonnement culturel [64]) ressemble de plus en plus à des blogs à peine augmentés sinon des écritures ordinaires – littératures qui valent bien souvent par ce qu’elles disent soit de la maladie, soit des peines de cœur, de la vieillesse ou du deuil, littératures-débats de société comme le sont les livres de Houellebecq si ardemment discutés à chaque fois. Bien sûr, demeure plus que jamais vivace une autre littérature, parfois dite « complexe » par opposition aux best-sellers formatés [65], toujours publiée chez Gallimard ou dans d’autres labels de prestige, une littérature qui visiblement peine de plus en plus à se vendre, d’après les statistiques de GFK, pour les raisons déjà évoquées, selon l’évolution des pratiques analysées par le ministère de la Culture, et parce que les media de masse s’en détournent de plus en plus, abandonnant leur promotion à des media plus élitistes.

28Dans son article sur l’auto-édition, Stéphanie Parmentier montre justement que la tentation de faire livre n’anime pas forcément ceux que l’on aurait appelés jadis des « intoxiqués du Waterman [66] » qui fréquentent maintenant Wattpad et d’autres sites semblables pour y lire et y publier leurs textes en ligne. Dès lors, les formes multiples de publication définissent des publics variés du fait littéraire en ses métamorphoses contemporaines et numériques. Ce rapport nouveau à la publication plutôt qu’à la littérature, cette multiplication des genres, des publics afférents et des auteurs, mais aussi bien sûr la difficulté à être édité sont peut-être des raisons qui expliquent la montée en puissance des plateformes d’auto-édition. Si donner à lire son texte en ligne s’y accomplit en quelques clics et si certains auteurs auto-édités ont pénétré l’édition traditionnelle jusqu’à devenir des auteurs de best-sellers, on voit bien que s’y rejoue, à l’origine, cette question première et si contemporaine de la publication, comme acte de naissance autorisant ensuite des réussites, ou des échecs se traduisant par l’invisibilité. S’y joue aussi plus largement l’idée d’un fait littéraire « de moins en moins conçu comme une exceptionnalité aux côtés d’autres exceptionnalités, artistique ou religieuse pour apparaître comme un objet de communication sociale pris dans un ensemble de communications sociales [67] ».

29Enserré dans un grand tout qui est celui de la communication moderne, le livre n’est plus qu’un support parmi d’autres ; il a toujours son aura mythique en raison de son importance historique, sacrée, culturelle, il a surtout le mérite encore d’être le passeport, la voie d’accès aux media traditionnels, il permet donc toujours de gagner en légitimité et en visibilité. N’est-il plus qu’un élément du « régime permanent d’alerte [68] » qui régit l’économie du web ? N’y a-t‑il pas d’autres moyens d’exister à l’époque du « tous artistes [69] » ? De même que jadis un certain Voiture n’a pas cru bon de rassembler ses œuvres et les faire publier, il est aujourd’hui des créateurs qui ne songent plus à faire livre à l’ancienne. Anne Archet, par exemple, dans le domaine du « livre coquin », exceptionnelle blogueuse québécoise, très bonne connaisseuse de la littérature érotique, dotée d’une plume remarquable, auteur insaisissable que la maison La Musardine a vainement cherché à faire paraître en France [70]. Un article dans Mediapart, un post, un tweet permettent bien souvent d’avoir plus d’écho qu’un livre, et de faire événement dans l’espace médiatique. Il est de fait aujourd’hui possible d’exister par l’écrit en France sans passer par les bureaux de l’édition parisienne. Le livre a toujours son rôle, son importance – il n’est plus incontournable.

Entre fétichisation et recyclage, le livre en tension

30Peut-être est-ce la raison pour laquelle il se voit enserré dans des logiques en tension qui se dégagent de deux autres articles de ce dossier : d’un côté fétichisé dans les scénographies visuelles qui alimentent les posts des bookstagrameurs qu’évoque Christelle Rogues dans sa plongée dans l’univers d’Instagram, il est de l’autre soumis aux enjeux contemporains d’une société de consommation en quête de pratiques plus économiques, plus écologiques aussi – ou les deux à la fois, à travers les plateformes et sites qui le recyclent, l’échangent, lui offrent les vies multiples qu’analyse Olivier Bessard-Banquy. Entre sacralisation et recyclage, le livre circule sur le web et entre les mains des lecteurs, dans tous ses états. Fétiche au centre des images formatées d’Instagram pour promouvoir une sortie, accompagner une critique, il accapare l’objectif dans des mises en scène recherchées, en harmonie avec l’identité que construit patiemment le bookstagrameur, comme le montre Christelle Rogues. Le #bookporn, comme le #foodporn, n’est ainsi qu’un des avatars des formes médiatiques et d’un plus vaste mouvement de poétisation ou d’esthétisation du capitalisme médiatique [71]. Il joue aussi un rôle pivot comme symbole, comme « être culturel [72] », dans le processus général de culturalisation de la marchandise [73], permettant à certaines marques de prêt-à-porter de se doter d’un ethos culturel, voire de se faire à l’occasion prescriptrices littéraires [74]. Et ce regard nouveau porté sur sa matérialité mise à l’honneur dans un shooting photo, comme naturalisée, conduit les professionnels, ainsi que le souligne Christelle Rogues, à réinterroger leurs pratiques ancestrales au prisme des formes et normes esthétiques émergentes sur les réseaux sociaux notamment. S’agit-il de revoir le geste graphique, l’énonciation éditoriale dans ses dimensions visuelles, ou simplement de revenir au geste premier, élémentaire, qui consiste à penser la matière, la couleur, travailler une maquette – toutes choses et processus au fondement des gestes des praticiens du livre. Le geste ancestral se voit ainsi reconduit et renouvelé par les multiples formes et états du livre en contexte numérique.

31Au pôle opposé, sur d’autres plateformes, Olivier Bessard-Banquy analyse la tension entre les lettrés-chineurs du web à la recherche d’une édition rare et ceux qui recyclent leurs livres pour faire de la place, gagner quelques euros ou échanger des livres. En résulte un marché parallèle, en ligne, du livre d’occasion, dont les points de repère tarifaires se déplacent tant les livres et leurs éditions sont brassés : du tirage de tête au livre de poche éculé, des services de presse aux éditions hors commerce, Olivier Bessard-Banquy montre bien les circulations multiples de tous ces ouvrages dont la cote monte ou descend au gré des achats, trocs et échanges en ligne. Si nombre de lecteurs cherchent avant tout le prix le plus bas, des pépites circulent, elles aussi concernées par ce grand brassage. Les boîtes à livres dans l’espace public et les sites de recyclage constituent d’autres pôles qui font vivre une seconde vie au livre, en inscrivant son parcours au cœur même du business plan de jeunes starts-up qui font appel à la générosité des donateurs de livres qui, non contents de faire de la place dans une maison à vider, considèrent leur geste sous l’angle écologique et culturel.

32De ces circulations du livre en vignette sur des photos qui le célèbrent sur Instagram, le vendent ou l’échangent ailleurs tout en en aplatissant la matérialité ou en réduisant l’ouvrage à une première de couverture, il reste que le livre constitue cet objet-carrefour de processus symboliques et culturels majeurs qui disent tout autant les métamorphoses sociétales dans lesquelles il prend place que ses multiples états et formes matérielles et qui le situent enfin au cœur des échanges sociaux et des modalités de communication numérique.

Longue traîne et best-sellers

33Ces évolutions ne sont ni positives ni négatives en soi. Si l’on adopte le point de vue souriant de Dominique Cardon, force est de constater que la culture participative du web et les pratiques créatives du fan évoquées plus haut font vivre le monde du livre et le réinventent de l’intérieur [75]. Pour faire du livre un objet plus « branché » que jamais, hyperdémocratique, permettant de créer du lien, de se trouver en sympathie ou en harmonie avec d’autres lecteurs aux mêmes goûts, tout aussi avides de partager leurs coups de cœur. C’est grâce à des maisons comme Monsieur Toussaint Louverture, très douée sur les réseaux, suivie par de vrais fans comme l’actrice Fanny Ardant venue parler de ses livres à la télévision [76], que la littérature peut toucher des générations essentiellement stimulées par des opérations de teasing sur le web – sans que le procédé marketing soit très nouveau au demeurant. Et dans toutes ces écritures et ces littératures sans nul doute y a-t‑il du talent sinon du génie. De sorte que le web, immanquablement, sert la cause de nombreux livres de qualité qui, grâce aux échos en cascade sur les réseaux, ont pu gagner des lecteurs. Moins quand même que le néophyte peut l’imaginer en voyant les scores de vente d’auteurs qui sont eux-mêmes de grandes figures du web des lettres comme un François Bon ou un Thierry Crouzet. Mais Louis Wiart l’a très bien montré, il n’est plus question de savoir si « la longue traîne » dans le monde du livre est une théorie valable ou non ; dans les faits, il est bien des livres inconnus dont les titres sont arrivés sous les yeux des internautes, par la grâce des algorithmes, ou par le truchement d’un amateur qui en a parlé, donnant à cette œuvre la visibilité qui lui eût fait défaut en librairie et dans un système où les rotations permanentes condamnent des livres parfois très rapidement. Partout, tout le temps, des livres sont commandés qui ont été identifiés grâce au web [77]. Ne dit-on pas que 40 % du chiffre d’affaires par les livres de la marque au sourire est réalisé avec la vente d’ouvrages qui ne sont pas disponibles physiquement dans les points de vente à l’ancienne [78] ?

34Négativement, force est d’admettre que cette gigantesque caisse de résonance bénéficie aux productions de masse des majors parisiennes et amplifie par définition les buzz des livres conçus pour faire parler d’eux comme le dernier Yann Moix, volume pensé pour faire événement, comme tous ses équivalents, en usant de thématiques superlatives, comme celles volontairement choisies par Virginie Despentes ou Christine Angot [79] auparavant – inceste, viols, maltraitances, drogues dures, hypersexe, etc. Si bien sûr partout d’autres livres sont lus, les réseaux ne font quand même que donner plus d’écho à ce dont tout le monde parle et en l’occurrence aux blockbusters, Louis Wiart le rappelle [80] ; il est indéniable que la visibilité potentielle permanente de tout sert la cause de petits livres jadis oubliés qui peuvent désormais réapparaître sur des pages personnelles et donner envie à quelques-uns d’aller redécouvrir leurs livres, l’audience relative d’un Éric Dussert en est la preuve avec son blog L’Alamblog[81]. Le web ne vient pas briser l’hyperpuissance des media de masse, il en prolonge au contraire le règne, la logique, la loi ; si de petits auteurs d’intérêt bénéficient parfois d’un post de blog flatteur, ce sont bien Marc Levy et Guillaume Musso dont les louanges sont le plus souvent chantées sur les pages des fans de lecture sur Facebook. À telle enseigne que l’amateur de littérature se demande parfois s’il ne s’est pas égaré sur le web en adhérant de manière insouciante à des groupes Facebook de passionnés de livres qui sont en fait des fan clubs de Paolo Coelho et autres producteurs de « feel-good books » ou toute autre mode traversant rituellement le monde de l’édition depuis le xixe siècle.

Du web au livre et inversement

35Inversement, on le sait, les maisons elles-mêmes courent après les plus connus du cybermonde, comme pour boucler la boucle, d’Aurélie Valognes à Agnès Martin-Lugand, stars du web devenues auteures à succès ; de sorte que la popularité, la notoriété, désormais, peuvent se construire de zéro, mais si l’on a les compétences techniques et la débrouillardise communicationnelle [82], comme le rappelle Stéphanie Parmentier dans son article [83]. Faire ses preuves sur le web en remportant des concours, entrer en édition après avoir connu le succès auprès des lecteurs des plateformes numériques, construire une auctorialité qui s’appuie sur une prétention communicationnelle sont autant de formes contemporaines numériques de l’auteur qui s’appuient sur des métriques de popularité. Quand jadis l’auteur pouvait s’imposer par son talent, aujourd’hui c’est par sa notoriété, le nombre de ses abonnés, qu’il peut espérer réussir, selon deux logiques opposées mais qui se sont fondues, l’édition dans sa mue « démocratique » recherchant toujours plus depuis le xixe siècle à proposer ce qui peut plaire et être couronné de succès commercial. Il n’y a donc pas rupture entre la logique du livre et la logique du web mais fusion, comme l’ont montré les Fifty Shades ; n’importe qui peut rédiger une fan fiction susceptible de devenir numéro un des ventes mondialement. Mais pour cela il aura fallu que le geste éditorial transforme le texte en livre, texte revu, corrigé, bonifié, afin de séduire le public le plus large et résister si possible à l’usure du temps.

Immersion

36Objet du temps long de la lecture, de l’immersion, le livre demeure le refuge de celui qui veut s’abstraire, qui veut être dans un autre lien avec l’auteur, direct, hors des espaces de l’hyperstimulation. Hélas pourtant la logique du web, la culture des écrans connectés nous a quelque peu transformés en « singes », ces typographes de l’ancien temps puisant sans fin les lettres dans les casses en une sorte de chorégraphie grotesque et brisée [84], compromettant, comme s’en lamentait Nicholas Carr [85] dans un article célèbre et ô combien débattu, notre capacité de concentration. De sorte que si nous ne cherchons guère à traverser la toile comme un livre, nous lisons de plus en plus les livres comme des pages web.

37Le monde du livre lui-même, désormais, avec ses 100 000 titres annuels, ressemble de plus en plus au grand bazar du net où tout se côtoie, dans une profusion qui nous dépasse, et où il nous faut, de fait, toujours plus difficilement réussir à nous repérer, isoler ces livres qui nous parlent, aidés en cela par « la force des liens faibles » au sein de nos réseaux, et qui, bon an mal an, continuent de faire vendre en France des millions d’exemplaires qui garnissent nos rayonnages et stimulent nos intellects [86].

38Mutation, renouveau, changement, pour aller vers un monde où plus que jamais le livre doit donner envie, aguicher, séduire, aller chercher ses lecteurs et ne plus compter sur de grands lecteurs fidèles ou captifs – par son impact en tant qu’objet façonné, les plus inventifs des jeunes éditeurs comme Allia, Tristram ou Cent pages l’ont bien compris [87] –, s’imposer par sa force, sa richesse, son intensité, au-delà du web, plus abouti, plus fin, irréprochable si possible, parce que éditorialisé selon ces gestes ancestraux qui construisent l’objet matériel, qui travaillent le texte tout en construisant le sens. Et en même temps vivre en nous, nous donner à penser, nous stimuler, nous conduire à en parler, à table ou sur les réseaux, nous encourager à en prolonger la lecture par des échanges et ainsi porter le livre plus loin. Toujours plus loin. Non plus tout à fait le même. Non pas tout à fait un autre. Mais plus que jamais livre.

Bibliographie

  • Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : recyclage, lecteurs, livre, prescription, communication sociale, littérature, ebook, fétichisation, mutations

Date de mise en ligne : 10/05/2021.

https://doi.org/10.3917/comla1.207.0025

Notes

  • [1]
    Voir Roger Chartier, Le Livre en révolutions, Paris, Textuel, 1997 et son article « La mort du livre ? », Communication & langages, no 159, Paris, 2009.
  • [2]
    Comme encore dans le livre de Françoise Benhamou, Le Livre à l’heure numérique, Papier, écrans, vers un nouveau vagabondage, Paris, Seuil, 2014.
  • [3]
    Voir à ce sujet Julia Bonaccorsi, Fantasmagories de l’écran, Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020.
  • [4]
    Jacques Perriault, L’Accès au savoir en ligne, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002.
  • [5]
    Brigitte Juanals, « Le livre et le numérique : la tentation de la métaphore », Communication & langages, no 145, septembre 2005, p. 81-93.
  • [6]
    Julia Bonaccorsi, op. cit., p. 146.
  • [7]
    D. F. McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Cercle de la librairie, 1991, p. 27.
  • [8]
    Christian Vandendorpe, « Quelques questions clés que pose la lecture sur écran », in Claire Bélisle (dir.), Lire dans un monde numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011.
  • [9]
    Voir à ce sujet le texte d’Anne Coignard dans le volume collectif sous la direction d’Alain Milon et Marc Perelman, Le Livre au corps, Paris, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2013.
  • [10]
    Voir la thèse d’Elsa Tadier, « Les Corps du livre, du codex au numérique, Enjeux des corporéités d’une forme médiatique : vers une anthropologie communicationnelle du livre », Paris, université de Paris-Sorbonne, 2018.
  • [11]
    Sur ce point, voir les textes critiques du collectif de L’Échappée contre le numérique et notamment, sous la direction de Cédric Biagini, L’Assassinat des livres par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde, Paris, L’Échappée, 2015.
  • [12]
    Roger Chartier, Culture écrite et société, L’ordre des livres (xive-xviie siècle), Paris, Albin Michel, 1996, p. 14-15.
  • [13]
    Françoise Paquienséguy et Mathilde Miguet, Le Lectorat numérique aujourd’hui : pratiques et usages, Résultats d’enquête 2011-2013, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2015.
  • [14]
    Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 23.
  • [15]
    Emmanuël Souchier, « La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation. Pour une poétique de “l’infra-ordinaire” », Communication & langages, no 172, 2012, p. 3-19.
  • [16]
    Voir le document L’Édition en perspective, rapport d’activité du Syndicat national de l’édition 2019-2020, Paris, Syndicat national de l’édition, 2020. Ce document peut être téléchargé à partir du site web de l’institution, https://www.sne.fr/publications-du-sne/.
  • [17]
  • [18]
    Voir Octave Uzanne, Nos amis les livres, Paris, Maison Quantin, 1886.
  • [19]
    Voir le volume collectif sur Les Mutations de la lecture, Olivier Bessard-Banquy (dir.), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2012.
  • [20]
    Voir Bertrand Legendre, Ce que le numérique fait au livre, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2019.
  • [21]
    Bernard Grasset le premier a déclaré urbi et orbi faire retravailler les auteurs jusqu’à deux ou trois fois leurs textes pour arriver à des versions satisfaisantes (voir à ce sujet la biographie que Jean Bothorel lui a consacrée, Bernard Grasset, Vie et passions d’un éditeur, Paris, Grasset, 1989).
  • [22]
    Voir le volume de Kelvin Smith, L’Édition au xxie siècle, Entre livres papier et numérique, Paris, Pyramyd, 2013.
  • [23]
    Voir à ce sujet l’entretien du patron des Puf sur ses choix en faveur de l’Expresso Book Machine rue Monsieur-le-Prince dans le volume collectif Design et innovation dans la chaîne du livre, Écrire, éditer, lire à l’ère numérique, Stéphanie Vial et Marie-Julie Catoir-Brisson (dir.), Paris, Puf, 2017.
  • [24]
    Alain Giffard, « Critique de la lecture numérique : The Shallows de Nicholas Carr », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2011, no 5, p. 71-73. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0071-013 ISSN 1292-8399.
  • [25]
    Voir les études déjà classiques d’Yves Citton sur les questions d’attention, notamment Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
  • [26]
    Alessandro Ludovico, Post-Digital Print, la mutation de l’édition depuis 1894, Paris, B42, 2016, p. 82. Citation empruntée à Clay Shirky.
  • [27]
    Hubert Nyssen, Du texte au livre, les avatars du sens, Paris, Nathan, 1993.
  • [28]
  • [29]
    Voir l’étude de Philippe Lombardo et Loup Wolf, « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Culture Études, no 2, Paris, 2020 : www.culture.gouv.fr/Études-et-statistiques et sur www.cairn.info.
  • [30]
    Voir les résultats de l’enquête dans Livres Hebdo du 16 mars 2015 (https://www.livreshebdo.fr/article/les-francais-lisent-de-moins-en-moins-surtout-les-jeunes).
  • [31]
    Voir Christian Baudelot, Marie Cartier, Christine Détrez, Et pourtant ils lisent…, Paris, Seuil, 1999.
  • [32]
  • [33]
    Voir Dominique Cardon, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 378-379.
  • [34]
    Selon les termes mêmes qui figurent sur le site web de la maison Harlequin présentant la série dite « Gentlemen » : « Originaires des quatre coins du monde, ils sont riches, puissants et charismatiques. Ils se battent pour leurs idéaux, sauvent des vies quotidiennement, et n’hésitent pas à se mettre en danger pour secourir celles qu’ils aiment… » (voir https://www.harlequin.fr/collections).
  • [35]
    Voir l’étude de Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, no 20, 2011, p. 317-336.
  • [36]
    Maison qui a fêté en fanfare son centenaire en 2011. Voir le livre sous la direction d’Alban Cerisier et Pascal Fouché, Gallimard 1911-2011, Un siècle d’édition, Paris, Gallimard-BNF, 2011.
  • [37]
    Voir l’étude déjà citée en date de 2019.
  • [38]
    Brigitte Ouvry-Vial, « L’acte éditorial : vers une théorie du geste », in Communication & langages, no 154, 2007, p. 67-82.
  • [39]
    Voir l’article de Livres Hebdo à ce sujet en date du 5 juillet 2019 (https://www.livreshebdo.fr/article/albin-michel-leader-du-rayon-roman?xtmc=albin+michel+leader+roman&xtcr=7).
  • [40]
  • [41]
    Claude Weil, « La littérature en danger de mort », Le Nouvel Observateur, no 1406, 17-23 octobre 1991, p. 18, cité par Pascal Durand, Médiamorphoses, Presse, littérature et médias, culture médiatique et communication, Liège, Presses universitaires de Liège, 2019, p. 201.
  • [42]
    Yves Jeanneret, Penser la trivialité, vol. 1, La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès-Lavoisier, 2008.
  • [43]
    Ibid., p. 87.
  • [44]
    Matthieu Letourneux, « Le best-seller entre standardisation et singularisation », Revue critique de fixxion française contemporaine, no 15, p. 6-17, sept. 2017.
  • [45]
    Ibid., p. 12.
  • [46]
    Brigitte Chapelain et Sylvie Ducas (dir.), Prescription culturelle : avatars et médiamorphoses, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2018.
  • [47]
    Astrid Pourbaix, Guergana Guintcheva, « Le rôle des blogs littéraires amateurs dans le processus de décision des jeunes adultes en France », Management & Avenir, 2019/8, no 114, p. 93-108.
  • [48]
    Voir Louis Wiart, La Prescription littéraire en réseaux : Enquête dans l’univers numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2017.
  • [49]
    Voir le volume sous la direction de Claire Bélisle, Lire dans un monde numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011.
  • [50]
    Il en vante encore les mérites en 2016 alors que Musso est déjà numéro un des ventes depuis des années. L’analyste se demandera bien ce que ce genre d’opération promotionnelle peut apporter à l’auteur qui est déjà multimillionnaire… (voir la vidéo YouTube https://www.youtube.com/watch?v=Bx1jypjVuWA).
  • [51]
    Voir à cet égard la thèse de doctorat de Lorraine Feugère, « “La littérature, c’est pas un truc hautain” : une étude de la mise en scène de la lecture sur les blogs littéraires et les chaînes BookTube », soutenue en novembre 2019 à l’université Paul Sabatier-Toulouse 3.
  • [52]
    Voir le volume collectif Best-sellers, l’industrie du succès, Olivier Bessard-Banquy, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen (dir.), Paris, Armand Colin, 2021.
  • [53]
    Voir par exemple le top cinq des influenceurs en littérature selon le site Kolsquare (https://www.kolsquare.com/fr/blog/comptes-instagram-litterature), page consultée le 19 avril 2020.
  • [54]
    Brigitte Chapelain et Sylvie Ducas (dir.), op. cit., p. 14.
  • [55]
    Voir sur ce point le volume de Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel, Le Livre-échange, Vies du livre et pratiques des lecteurs, Caen, C & F éditions, 2018.
  • [56]
    Voir l’étude déjà évoquée de l’institut Ipsos pour le CNL en 2019.
  • [57]
    Voir le volume collectif Internet et la sociabilité littéraire, Jean-Marc Leveratto et Mary Leontsini (dir.), Paris, Bibliothèque publique d’information, centre Pompidou, 2008.
  • [58]
    Emmanuël Souchier, Étienne Candel, Gustavo Gomez-Mejia, Le Numérique comme écriture, Théories et méthodes d’analyse, Paris, Armand Colin, coll. « Codex », 2019. Voir notamment le chapitre 4 « Le formatage, c’est du pouvoir », p. 159-191.
  • [59]
    Voir Patrice Flichy, Le Sacre de l’amateur, Paris, Seuil, 2010, p. 88.
  • [60]
    C’est le nom même d’un groupe sur Facebook.
  • [61]
    Voir Louis Wiart, op. cit. Plus de 80 % de ceux qui ont répondu au questionnaire de Louis Wiart sont des femmes.
  • [62]
    Lionel Ruffel, Brouhaha, Les mondes du contemporain, Lagrasse, Verdier, 2016, p. 106.
  • [63]
    Selon Tzvetan Todorov, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.
  • [64]
    Voir à ce sujet les pages d’Olivier Bétourné dans ses mémoires sur la production de la maison Albin Michel telle qu’il l’a perçue à son arrivée rue Huyghens et la description de ses efforts pour essayer d’inscrire davantage au catalogue de cette marque des œuvres durables ou substantielles (La Vie comme un livre, Mémoires d’un éditeur engagé, Paris, Philippe Rey, 2020).
  • [65]
    Voir sur ce point le post de Mathilde Serrell sur France Culture qui a fait grand débat le 22 janvier 2019 suite à la découverte des derniers chiffres concernant les meilleures ventes du livre en 2018 où la part des productions généralistes de qualité a sévèrement chuté (https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-culturel/le-billet-culturel-du-mardi-22-janvier-2019).
  • [66]
    Voir sur ce point le roman de Jean-Marie Laclavetine, Première ligne, Paris, Gallimard, 1999, qui met en scène un éditeur fatigué de recevoir de mauvais manuscrits qui décide de créer un club pour décourager les auteurs du dimanche de noircir des pages.
  • [67]
    Lionel Ruffel, op. cit., p. 107.
  • [68]
    Yves Citton, op. cit.
  • [69]
    Voir le volume collectif Tous artistes ! Les pratiques (re)créatives du web, Sophie Limare, Annick Girard et Anaïs Guilet, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 2017.
  • [70]
    Bien que cet auteur ait sa page Wikipédia, personne ne connaît l’identité exacte de cette jeune femme. Il n’est pas impossible que cela cache une mystification comme Émile Ajar tant il est évident que cette personne possède des dons tout à fait hors norme.
  • [71]
    Marine Siguier, « Le #Bookporn sur Instagram : poétique d’une littérature ornementale », Communication & langages, no 203, mars 2020, p. 63-80.
  • [72]
    Yves Jeanneret, op. cit.
  • [73]
    Marti de Montety Caroline, « Les marques, embrayeurs culturels : quand les livres « brandés » font recette. Un exemple de culturalisation de la marchandise », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 15/2a, 2014, p. 57 à 68.
  • [74]
    Christèle Couleau et Oriane Deseilligny, « Prêt-à-porter, prêt-à-prescrire : quand Balzac Paris et Sézanne sont tentées par la prescription culturelle », dans La Prescription culturelle en question, François Ribac (dir.), Territoires contemporains – nouvelle série [en ligne], 15 juillet 2019, no 11, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
  • [75]
    Voir Dominique Cardon, op. cit., p. 189 et suivantes.
  • [76]
    À La Grande Librairie dans une émission du début de l’année 2017, voir la vidéo sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=Awgpo99Wb9o). On a quelque peine à imaginer un fan absolu venir présenter à la télévision les livres de Robert Laffont ou de la maison Plon.
  • [77]
    Voir Louis Wiart, op. cit., p. 40 et suivantes.
  • [78]
    Selon des sources américaines de 2003 citées par Louis Wiart, ibidem.
  • [79]
    On aura noté que très intelligemment ces personnes ont utilisé la littérature générale comme rampe de lancement pour atteindre leur véritable but, l’exposition médiatique qui est ensuite convertie en rente de situation, par un siège dans une grande émission de talk-show ou même à la table d’honneur d’une académie faiseuse de rois où les sollicitations très intéressantes sont nombreuses.
  • [80]
    Ibid.
  • [81]
    Blog pour beaucoup consacré aux auteurs d’hier injustement oubliés qui a débouché sur deux livres dont le désormais classique Une forêt cachée, 156 portraits d’écrivains oubliés d’Éric Dussert, Paris, La Table ronde, 2013.
  • [82]
    Voir Oriane Deseilligny, « Reformuler les processus éditoriaux, déplacer l’imaginaire du best-seller ? Formes, conditions et mythologies du succès en contexte numérique », Revue critique de fixxion française contemporaine, [S.l.], no 15, p. 118-129, août 2017. En ligne : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx15.10.
  • [83]
    Voir la thèse de Stéphanie Parmentier sur le passage du compte d’auteur à l’auto-édition, soutenue à Bordeaux, université de Bordeaux-Montaigne, septembre 2020.
  • [84]
    Voir Eugène Boutmy, Dictionnaire de la langue verte typographique, Paris, Isidore Liseux, 1878.
  • [85]
    Nicholas Carr, Internet rend-il bête ? Paris, Robert Laffont, 2011.
  • [86]
    Plus de 419 millions de volumes encore en 2018 selon le Syndicat de l’édition, voir les chiffres clés du Syndicat de l’édition publiés en 2019 pour l’année 2018 (https://www.sne.fr/economie/chiffres-cles/).
  • [87]
    Voir sur ce point le volume collectif sur La Typographie du livre français, Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier (dir.), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2008.
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