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Article de revue

S’approprier Twitter en artiste : une pratique littéraire en question

Pages 135 à 149

Notes

  • [1]
    Après les réseaux sociaux est un programme de recherche et de création lancé en juin 2019 lors d’une journée d’étude, intitulée « Pratiques, esthétiques et éthique d’une écologie des contenus générés par les utilisateurs », à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Pour davantage d’informations, nous renvoyons au site internet : http://after-social-networks.com/fr/.
  • [2]
    Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.
  • [3]
    L’oligopole à franges de l’attention est un concept que nous proposons afin de caractériser la structuration de l’attention sur Internet. Une grande partie du capital attentionnel des utilisateurs et utilisatrices semble en effet captée par seulement quelques sites (Facebook, Google, Instagram, YouTube etc.). Cette structure se rejoue à l’échelle des plateformes où certains contenus et certains comptes accaparent une grande partie de l’attention des utilisateurs et utilisatrices.
  • [4]
    Nous suivons là l’analyse proposée par Marie-Anne Paveau dans son article « Technodiscursivité natives sur Twitter : une écologie du discours numérique » qui démontre que les discours Twitter ne peuvent pas être analysés hors de leur écosystème en ligne, car la technique n’est pas seulement un support mais bien un composant structurel des discours en ligne. Paveau Marie-Anne, « Technodiscursivités natives sur Twitter. Une écologie du discours numérique », Culture, identity and digital writing, Épistémè, no 9, 2013, p. 139-176.
  • [5]
    Latour Bruno, « Les médias sont-ils un mode d’existence ? », INA Global, no 2, 2014, p. 146-157.
  • [6]
    Sur nos différentes orthographes du mot media nous renvoyons à la distinction qu’Yves Citton propose à la suite de Thierry Bardini dans : Citton Yves, Médiarchie, Paris, Seuil, 2017, p. 31-32. « Un medium, des media (sans accent ni -s final) […] concerne tout ce qui sert à enregistrer, à transmettre et/ou à traiter de l’information, des discours, des images, des sons. […] un média, des médias (avec accent et -s final) […] concerne dès lors tout ce qui permet de diffuser de l’information, des discours, des images ou des sons à un public. »
  • [7]
    Van Djick José, The Culture of Connectivity, Oxford University Press, 2013.
  • [8]
    Homogénéisation qu’ont mise en exergue certains artistes par des démarches d’appropriation et de collecte. Nous pouvons penser par exemple aux installations photographiques de Penelope Umbrico.
  • [9]
    Cette anecdote est racontée dans le livre : Ihde Don, Bodies in Technology, University of Minnesota Press, 2001.
  • [10]
    Théval Gaëlle, Poésies ready-mades, xxe-xxie siècles, Paris, L’Harmattan, 2015. Tardy Nicolas, Ready-made textuel, Genève, Éditions de la HEAD, 2009.
  • [11]
    Nelson Goodman dans Langages de l’art établit une distinction entre les arts où la distinction entre original et copie est importante comme la peinture (autographe) et les arts où la distinction entre l’original et la copie n’est pas importante comme la littérature (allographe). Goodman Nelson, Languages of Art, Hackett Publishing, 1976.
  • [12]
    Souchier Emmanuël, « Formes et pouvoirs de l’énonciation éditoriale », Communication & langages, no 154, 2007, p. 23-38.
  • [13]
    Souchier Emmanuël, « L’image du texte pour une théorie de l’énonciation éditoriale », Les Cahiers de médiologie, no 6, 1998, p. 137-145.
  • [14]
    Doueihi Milad, La grande conversion numérique, Paris, Seuil, 2008.
  • [15]
    Bluminger Christa, Cinéma de seconde main : esthétique du remploi dans l’art du film et des nouveaux médias, Paris, Klincksieck, 2013.
  • [16]
    Doueihi Milad, op. cit., p. 307-308.
  • [17]
    Gunthert André, L’image partagée. La photographie numérique, Paris, Textuel, 2015.
  • [18]
    Certains parlent « d’extractivisme » pour qualifier la manière dont les plateformes, à l’aide d’algorithmes, créent de la richesse à partir des UGC. Mais nous sommes gênés par cette métaphore avec le minage terrestre qui sous-entendrait que la richesse est présente a priori alors qu’elle n’est que le fruit d’un travail en ligne opéré par les utilisateurs des plateformes, et qui peut être rassemblé sous l’appellation de Digital Labor. Comme le rappelle Bruno Latour, les données ne sont justement pas données mais obtenues ou produites.
  • [19]
    Ce qui d’ailleurs peut-être fait de manière très intéressante et plastique dans les œuvres de Piero Manzoni ou de Sue Webster et Tim Noble.
  • [20]
    Genette Gérard, Seuils, Paris, Seuil, 1987.
  • [21]
    Wittgenstein Ludwig, Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1996.
  • [22]
    Wittgenstein Ludwig, Les recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005.
  • [23]
    Ibid., p. 50.
  • [24]
    Saemmer Alexandra, « Bienvenue dans la Colonie » 24 mai 2018, Communication dans le cadre du colloque « Art, littérature et réseaux sociaux » à Cerisy-la-Salle. En ligne : https://art-et-reseaux.fr/bienvenue-dans-la-colonie-%e2%80%a8enjeux-de-limperialisme-algorithmique-et-tentatives-dinsurrection/ (consulté le 9 septembre 2019).
  • [25]
    Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 1993, p. 14.
  • [26]
    Dans ces dernières se trouvent le classement alphabétique de tous les mots contenus dans les tweets envoyés à Justin Bieber en une journée ou le classement alphabétique de tous les mots que l’artiste et sa compagne se sont échangés par mail pendant leur première année de relation. Nous retrouvons dans ces œuvres les problématiques de l’art conceptuel américain des années soixante sur le langage mais actualisé à l’ère post-internet et du big data dans laquelle nous évoluons actuellement.
  • [27]
    Aiden Erez et Michel Jean-Baptiste, Uncharted : Big Data as a Lens on Human culture, Riverhead Books, 2013.
  • [28]
    Ces chiffres sont issus de : Cardon Dominique, Culture Numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 148.
  • [29]
    Sur la constitution de l’attention comme capital, nous renvoyons aux deux ouvrages d’Yves Citton : L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014 ; Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
  • [30]
    C’est pour cette raison que la question de la neutralité du Web est essentielle. Pour laisser la possibilité de vivre hors de ces pôles d’attraction financiers et capitalistes. Bien sûr, il ne s’agit pas de rejeter les groupes de l’oligopole par désir de marginalité. Google ou Lagardère Publishing sont importants mais il faut préserver un choix le plus large possible d’accès à l’intégralité du web.
  • [31]
    Coeffe Thomas, « Chiffres Twitter – 2018 », Le Blog du modérateur, mai 2018 : https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-twitter/ (consulté le 15 novembre 2019).
  • [32]
    Franck Georg, « Économie de l’attention », L’Économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014, p. 56.
  • [33]
    Ibid., p. 57.
  • [34]
    Merton Robert K, « The Matthew Effect », Science, vol. 159, no 3810, 1968, p. 56-63.
  • [35]
    Bible de Jérusalem, Matthieu, 13-12.
  • [36]
    Foucher Lauren, « Quitter ou pas Twitter, le dilemme de l’utilisateur », Le Monde, 8 février 2019.
  • [37]
    Spivak Gayatri Chakravorty, Les subalternes peuvent-elles parler?, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.
  • [38]
    Benjamin Walter, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 2002.
  • [39]
    Franck Georg, op. cit., p. 55.

1L’appropriation et la copie sont des formes d’expression artistique et littéraire multiséculaires qui ont été reçues différemment selon les époques et les cultures. En concevant le projet de recherche et de création « Après les réseaux sociaux [1] », avec Chloé Galibert-Laîné et Gala Hernández-López, nous nous sommes focalisés sur un type nouveau d’appropriation artistique, celle des contenus générés par les utilisateurs (CGU) sur les réseaux sociaux. En effet, si l’appropriation a une histoire multiséculaire, cette dernière s’est souvent concentrée sur une appropriation de textes ou d’images provenant d’institutions à fort pouvoir symbolique : les tribunaux pour Charles Reznikoff, les comptes-rendus de guerre pour Alexander Kluge, la publicité ou le cinéma grand public pour les Situationnistes. Mais que se passe-t-il quand on décide de s’approprier des textes et des contenus produits par des inconnus sur les réseaux sociaux ? Les CGU mêlent à la fois une mise en scène de soi mais également une forme d’extimité qui interroge l’éthique d’une démarche appropriationiste. Les rapports de pouvoir sont souvent asymétriques dans une relation appropriationiste. L’artiste est dans une situation précaire lorsqu’il s’approprie des documents d’institutions à fort pouvoir symbolique. L’artiste-David se retrouve à combattre le Goliath de l’hégémonie culturelle. Cette relation s’inverse toutefois lorsqu’il s’approprie des contenus d’anonymes trouvés en ligne, car il est alors celui jouissant d’une position symboliquement valorisée dans la société. Nous nous concentrons pour cet article sur deux exemples d’appropriation de contenus issus de Twitter pour composer des œuvres littéraires. Le premier est un ensemble de pièces réalisées entre 2013 et 2014 par Jean-Baptiste Michel (figure 1), également connu pour être l’un des deux inventeurs de Google Books Ngram Viewer. Ces œuvres sont construites sur un même dispositif : dans une sculpture simple et épurée se trouve un petit écran LCD ou LED reproduisant des phrases issues de messages publiés en live sur Twitter commençant par certains mots comme « I wish », « I hate », « I need » ou « I want ». Un algorithme sélectionne ces tweets et les retransmet sur l’écran. Ces œuvres, si on exclut la panne technique, la fermeture de Twitter et l’hypothèse d’une disparition de la langue anglaise sur terre, sont potentiellement infinies. Le deuxième exemple est le livre Working on my novel[2] de l’artiste plasticien et auteur Cory Arcangel (figure 2). La publication du livre en 2014 fait suite à un compte Twitter, créé par l’artiste, repostant de 2011 à 2013 des messages contenant « Working on my novel » dans le corps de texte.

Figure 1. Michel Jean-Baptiste, I wish I could be exactly what you are looking for, 2013.
Figure 1. Michel Jean-Baptiste, I wish I could be exactly what you are looking for, 2013.
Figure 2. Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.
Figure 2. Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.

2Dans les deux cas, il s’agit de reproduire et de juxtaposer des messages publiés sur la plateforme Twitter contenant un même ensemble de mots. Mais si le projet initial semble similaire, les dispositifs artistiques diffèrent. On peut alors se demander comment caractériser une telle démarche. Que nous apprend-elle des réseaux sociaux et quelles sont les répercussions esthétiques et éthiques découlant des différences de traitement ? Pour apporter des pistes de réflexion à ces questions, nous étudierons dans un premier temps les effets de la décontextualisation des textes récoltés. Nous verrons ensuite ce que les œuvres peuvent nous apprendre des jeux de langage et d’éditorialisation présents sur les plateformes numériques. Enfin, nous nous demanderons comment elles peuvent participer à défaire ce que nous nommons l’« oligopole à franges de l’attention [3] » des plateformes.

Décontextualisation

3Les tweets sont des Contenus Générés par les Utilisateurs (CGU). Leur fond et leur forme sont liés à la plateforme sur laquelle ils s’expriment. Un tweet est un énoncé plurisémiotique technodiscursif [4]. Twitter, et les plateformes de réseaux sociaux en général, sont des moyens de médiation. Bruno Latour distingue dans les media ceux qui sont des « médiateurs » et ceux qui sont des « intermédiaires [5] ». Un intermédiaire transmet une information sans en altérer le fond ou la forme : un câble USB par exemple transmet un fichier sans le corrompre. Un médiateur a contrario ne peut transmettre l’information qu’en la transformant : Latour utilise l’image du diplomate qui ne se contente pas de transmettre les informations mais trouve des façons de les communiquer. Selon lui, les media [6] sont toujours entre la position de médiateurs et d’intermédiaire. On pourrait alors dire que les réseaux socio-numériques sont des médiateurs qui tentent de se faire passer pour de simples intermédiaires qui ne contraindraient pas l’expression de leurs utilisateurs et utilisatrices. Ils ne seraient que de simples supports neutres permettant le partage et l’échange entre les individus, participant ainsi à la culture de la connectivité du web social incarnée par des figures tel que Mark Zuckerberg et théorisée, entre autres, par José Van Djick [7]. Pourtant, les plateformes accomplissent un rôle d’éditeur. C’est sans doute plus évident à voir pour Twitter qui limite l’expression par un nombre de caractères (d’abord 140 puis 280 à partir de septembre 2017) et qui a mis en place une micro-syntaxe et un vocabulaire propre à sa plateforme comprenant des « @ », des « RT », ou des « # » qui ont pu, par la suite, dépasser le cadre de la plateforme et avoir un retentissement dans la société, comme l’a montré le phénomène « #metoo » qui a vu l’utilisation du symbole « hashtag » prononcé à l’oral et utilisé dans des contextes non appareillés par Twitter, ni même par le numérique. On peut également constater cela sur Facebook à travers son injonction à s’exprimer à la première personne ou sur Instagram avec l’utilisation de filtres et du format carré des images qui entraînent, qu’on le veuille ou non, une certaine homogénéisation des contenus produits [8]. Les tweets ont donc une forme s’expliquant par leur milieu d’origine, la plateforme Twitter. Comme Nietzsche prétendant que la Boule à écrire de Hansen l’avait amené à écrire des textes plus courts [9], la brièveté du tweet marque le lien essentiel entre le dispositif technique permettant l’écriture et le texte issu de ce dispositif. C’est pour cette raison que nous parlons, avec Marie-Anne Paveau, d’énoncés technodiscursifs.

4À l’aune de l’histoire littéraire récente, on pourrait être tenté de rattacher les œuvres de Jean-Baptiste Michel et de Cory Arcangel à la notion de « ready-made textuel [10] » telle qu’elle a été admirablement définie par Gaëlle Théval. Cette analogie avec les arts visuels nous apparait cependant comme problématique à bien des égards. Tout d’abord, il semble y avoir dans cette assimilation, une mise sous silence de la notion de copie. Duchamp choisit un porte-bouteilles, certes reproductible, mais il n’en choisit qu’un au BHV. Et c’est cet objet précis qui deviendra le ready-made et non pas l’ensemble de la série industrielle. De plus, Duchamp n’est pas lui-même l’auteur de la reproduction, son geste consiste à choisir l’objet et à le déplacer. Un exemple permettant peut-être de comprendre cela se trouve dans le ready-made de Duchamp intitulé L.H.O.O.Q composé d’une carte postale représentant La Joconde de Léonard de Vinci affublée d’une moustache dessinée au crayon. Le ready-made de Duchamp n’est pas l’appropriation de l’œuvre de Vinci, mais l’appropriation d’une carte postale reproduisant cette œuvre. Il s’approprie le support et non pas la création virtuelle, l’agencement de couleur et de formes, qu’est La Joconde.

5Le texte, par sa nature allographique [11] – pour reprendre les termes de Nelson Goodman, ne permettrait pas la création de ready-made. Il échapperait toujours à l’appropriation totale, on ne pourrait s’approprier qu’un support sur lequel se trouve, de manière contingente, un texte. Déplacer le texte, c’est toujours créer une nouvelle copie. Et cette nouvelle copie implique un ensemble de changements qui ne sont pas seulement contingents. Considérer l’appropriation textuelle de contenus en ligne comme des ready-made revient à réaliser une étude logocentrée d’énoncés technodiscursifs pris dans un écosystème bien spécifique les constituant. Twitter n’est pas un simple support, il est constitutif du texte. Renoncer à cette approche uniquement logocentrée des CGU nous permet d’observer les médiations techniques présentes dans la constitution du texte et dans celle de sa copie. L’énonciation éditoriale [12] est constitutive du texte en ligne. En déplaçant le texte hors ligne, on crée un autre texte – peut-être pas d’un point de vue linguistique mais assurément d’un point de vue pragmatique et matériel. Copier-coller un texte, c’est lui faire perdre son format et son énonciation éditoriale pour le reformater et donc créer un autre objet texte, ou si l’on préfère une autre image du texte [13] pour reprendre, encore une fois, les analyses d’Emmanuël Souchier.

Figure 3. Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.
Figure 3. Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.

6D’ailleurs, nous pouvons nous demander si les artistes s’appropriant des textes en ligne ne nous invitent pas à faire davantage attention à la forme du texte, à son image, qu’au texte lui-même. Le décalage entre les contextes de réception des textes et le changement de l’énonciation éditoriale sont ce qui interpelle dans ces pratiques. Il est intéressant de constater que l’œuvre de Cory Arcangel connaît actuellement deux matérialisations impliquant des pratiques de lecture différentes. La première est la forme Twitter, constituée d’une timeline retweetant des messages contenant « I’m working on my novel ». On y trouve les messages, les commentaires, et l’on a alors la capacité d’aller voir les profils des autrices et auteurs des tweets. La deuxième forme est celle d’un livre actualisant et éditorialisant autrement l’œuvre. Les pièces de Michel et d’Arcangel procèdent justement différemment sur ce qu’elles décident de conserver de l’énonciation éditoriale première des tweets. Arcangel change de police de caractères mais garde les indications temporelles et auctoriales du texte (figure 3). Au contraire, Jean-Baptiste Michel supprime toute référence à Twitter. L’auteur, la date, la mise en page, tout disparaît ; seule est conservée une écriture considérée comme « standard » sur un écran LCD ou LED (figure 4). Nous sommes informés qu’il s’agit de tweets uniquement grâce à la présence d’un cartel. Ces deux œuvres sont des compilations de tweets, elles renverraient donc davantage à la notion d’assemblage ou d’anthologie, telle qu’elle est théorisée par Milad Doueihi dans La grande conversion numérique[14], qu’à celle de ready-made. Il est d’ailleurs étonnant de comparer le succès de la notion de ready-made chez les poètes et chez les cinéastes et vidéastes. En effet, dans l’art vidéo et le cinéma, de nature allographique également, l’appropriation de films déjà existant, le travail de found-footage ou le cinéma de seconde main [15] n’ont presque jamais été associés à la notion de ready-made. La notion d’anthologie de Milad Doueihi nous permet, elle, d’ancrer la pratique de nos deux artistes dans une continuité historique et littéraire, tout en les insérant dans les spécificités des pratiques numériques, en voyant dans ces œuvres : « un écho fidèle des anthologies populaires de la Renaissance et des livres de « lieux communs » qui circulaient librement avant le siècle des Lumières. […] les utilisateurs d’aujourd’hui forment des sélections de textes, d’images ou de n’importe quel matériel disponible sur la toile, et partagent leur choix tout en l’insérant dans des contextes divers et souvent indépendant de leurs origines. Le lecteur devient auteur non pas en éliminant la trace du créateur original, mais plutôt en déplaçant le morceau choisi, en lui trouvant un contexte inédit [16] ». Mais si le livre de Arcangel peut être vu comme une actualisation des livres de « lieux communs », l’œuvre de Michel nous interroge davantage. Il s’agirait d’une anthologie sans archive ni enregistrement, n’existant que virtuellement et présentement, chaque tweet apparaissant étant relié à un ensemble d’autres tweets dans la tête du lecteur ou de la lectrice.

Figure 4. Michel Jean-Baptiste,  I wish I could be exactly what you are looking for, 2013.
Figure 4. Michel Jean-Baptiste, I wish I could be exactly what you are looking for, 2013.

7La reproductibilité du texte est renforcée, en ligne, car l’appropriabilité et le partage en deviennent des caractéristiques constitutives. Comme le rappelle André Gunthert dans L’image partagée : « L’écologie numérique ne fait pas qu’encourager la production de remix ou de rediffusion, elle établit l’appropriabilité comme un caractère des biens culturels, qui ne sont dignes d’attention que s’ils sont partageables [17]. » Avant même ce qu’il peut contenir, un CGU n’existe et n’a de valeur que s’il est partagé, que cela soit par les « retweets », les commentaires, les diverses options de partage sur les plateformes socio-numériques, ou les copiés-collés. C’est pour cela que dans le cadre de notre projet de recherche et de création « Après les réseaux sociaux » nous avons décidé d’utiliser la notion d’écologie des CGU pour parler des pratiques d’appropriation. Celle-ci ne doit pas être entendue au sens de recyclage de déchets que l’artiste, par un pouvoir magique quelconque, viendrait sublimer. Recopier ces textes, c’est suivre leur nature même et s’inscrire dans les jeux d’éditorialisation qui en découlent. S’il y a une écologie des CGU, ce n’est qu’au sens d’environnement et de milieu.

8Le déplacement d’un environnement à un autre, opéré sur les CGU dans nos deux exemples, n’est pas anodin. Il ne s’agit pas d’un simple copié-collé en ligne ou sur un ordinateur. L’un et l’autre déplacent des tweets dans des lieux à fort capital symbolique : les plus grands musées d’art contemporain pour Michel (I wish I could be exactly what you are looking for a été acquis par le Whitney Museum) et une des plus grandes maisons d’édition anglophone, Penguin Press, pour Cory Arcangel. Ces tweets, qui sont déjà analysés par les algorithmes de Twitter pour en tirer profit [18] et créer de la richesse, sont alors utilisés par les artistes également pour créer de la richesse symbolique et financière. Écrire cela, ce n’est pas jouer le jeu d’une critique facile de l’art contemporain, souvent accusé de transformer les déchets et divers excréments en or [19], mais c’est comprendre que dans ce type d’œuvre, en suivant ce que Genette écrit dans Seuils[20] : « Le contexte est paratexte. » Il nous faut alors nous demander ce que permet aux lecteurs la décontextualisation de ces tweets. La lecture des mêmes textes sur la timeline d’un smartphone, dans un livre des éditions Penguin ou encore dans un musée, ne nous procure pas la même expérience. Les œuvres des artistes de la Picture Generation, utilisant des images issues de la publicité pour des œuvres exposées, nous ont bien montré que la décontextualisation d’un contenu permettait d’avoir un regard critique sur ce dernier et d’en reconsidérer alors le sens premier. Le contenu déplacé exemplifie les propriétés rhétoriques et langagières de son milieu initial. Cette décontextualisation artistique se situe dans la lignée d’un art de l’ordinaire tentant de nous faire porter attention sur ce qui nous semble le plus quotidien mais recélant une richesse que l’on n’arrive plus à voir. Typiquement, et nous prenons notre cas personnel, si nous avions vu ces tweets sur Twitter, nous n’y aurions pas prêté plus d’attention que cela. Ils auraient été noyés dans le flux des autres tweets qui nous appellent à scroller l’écran de bas en haut sans s’arrêter. Le livre ou le musée, nous disposent plutôt à entrer dans un régime attentionnel soutenu, de l’ordre de la contemplation ou de la lecture profonde. Nous sommes donc conviés, par les artistes et l’institution, à chercher derrière le texte et son dispositif de lecture. Entrer dans un livre comme entrer dans un musée, c’est décider de faire attention à ce qu’on va y trouver, se donner le temps de réfléchir et accepter un mode de lecture moins utilitaire. Mettre des tweets dans ces contextes, c’est nous inviter à un mode de lecture différent de celui favorisé sur les réseaux sociaux, marqué par une attention flottante et multitâche, qui a ses propres avantages.

Jeux de langage et formes de vie

9Le « Jeu de langage » est un concept hérité de Ludwig Wittgenstein. Comme il est courant chez le penseur viennois, le concept n’est pas défini précisément. Après une première occurrence dans le Cahier Bleu[21], il se trouve développé au sein des Recherches Philosophiques[22]. Pour Wittgenstein, nous ne pouvons pas définir un mot sans tomber dans une régressivité infinie, car pour définir un mot nous utilisons d’autres mots qui eux-mêmes devraient être définis. Un mot, une expression, s’expliquent alors à travers un ensemble de cas concrets vécus et mémorisés inconsciemment. Ces usages forment nos règles de compréhension et d’échanges.

10« La signification d’un mot, c’est son usage dans le langage [23]. »

11Dès la naissance, nous sommes tous déjà pris dans les jeux de langage d’une communauté linguistique nous précédant. Le langage ne s’invente pas à chaque naissance, mais chaque individu l’acquiert. On pourrait parler d’une inertie linguistique dans laquelle nous sommes jetés à la naissance et qui nous emporte. L’œuvre I want to be your idea of perfect de Jean Baptiste Michel, par la diffusion en direct de tweet commençant par « I want », nous donne à voir, non pas des règles, mais des exemples concrets mettant en exergue des jeux de langage. Il en est de même pour Cory Arcangel et le syntagme « Working on my novel ». Ces œuvres nous présentent une profusion de phrases utilisant les mêmes mots dans des usages tellement différents et variés qu’il serait impossible d’en fournir une règle. Il nous faut alors être attentifs aux usages présents, possibles et futurs des mots. Les œuvres de Michel et d’Arcangel nous permettent d’effectuer des comparaisons entre différents usages afin de tenter de circonscrire, du moins temporairement et de manière subjective, la signification d’un syntagme. L’œuvre de Michel ayant l’avantage, sur celle d’Arcangel, de pouvoir puiser dans un flux continu de tweets et nous montrer l’évolution, ne serait-ce que virtuellement, de l’usage de « I want » dans le temps.

12Même si on peut imaginer une inventivité à l’intérieur des jeux de langage – ce que font les poètes qui les poussent jusqu’à leurs limites, dans l’usage courant de la langue, l’expression est socialement normée et répétitive. Les œuvres, par leur utilisation de la plateforme Twitter, nous permettent d’apercevoir une sorte d’encéphalogramme des désirs, et la manière dont ils sont exprimés, à une échelle certes transcontinentale mais ne concernant qu’une population ayant accès à Twitter et s’exprimant en langue anglaise. On peut alors y déceler certaines constantes dans l’utilisation des syntagmes mis en avant par les œuvres de Michel et d’Arcangel. La manière dont le langage est utilisé sur ces plateformes a des contraintes propres différentes de celles de l’expression et de la communication verbale quotidienne. Les plateformes accomplissent un rôle d’éditeurs, comme nous l’avons rappelé précédemment, il s’agit de médiateurs. Dans une communication effectuée en 2018 lors du colloque « Art, littérature et réseaux sociaux [24] » à Cerisy-la-Salle, Alexandra Saemmer rappelle que derrière les logiques de cadrages des discours se trouve un ensemble de logiques économiques. L’expression de l’internaute doit s’exprimer d’une manière bien particulière pour pouvoir être calculée par des algorithmes et donc permettre une création de valeur. On pourrait dire que la parole d’un poète contemporain contorsionnant le langage, par des crypto-langages poétiques, sur Twitter ne vaut rien, du moins pour la plateforme, car son tweet est incalculable. Mais déjouer un algorithme par le langage est peut-être déjà un acte poétique de résistance de grande valeur. L’originalité des œuvres de Jean-Baptiste Michel et de Cory Arcangel est de nous faire ressentir les jeux du langage ordinaires mais aussi les jeux de langage dépendant du cadrage de l’expression sur la plateforme Twitter. En cela, il nous semble alors opportun de parler, en rappelant le thème de la journée d’étude dont cet article est issu, d’une « poétique des réseaux sociaux ». Et si, comme le dit Wittgenstein, les jeux de langage sont inséparables des formes de vie dans lesquels ils s’expriment, on peut dire que Michel et Arcangel nous proposent avec leurs œuvres une certaine représentation de la forme de vie Twitter. Nous pourrions peut-être même aller plus loin en formulant l’hypothèse que par l’utilisation d’un syntagme précis, ils nous permettent de voir, ce que Durkheim appelle un « fait social », c’est-à-dire une « manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; et, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel » [25]. L’expression des désirs et des actions que nous donnent à voir les œuvres comporte un certain nombre de traits communs qui ne sont formellement inscrits nulle part. La formulation des phrases est en partie déterminée par la plateforme. Mais l’acte d’écrire de telles expressions est influencé par des éléments de la société dans lesquelles les individus vivent. En ce sens, le travail de Michel et Arcangel rassemble une partie des traces laissées par des contraintes extérieures à l’individu et s’exprimant dans ses manières de faire. Les artistes, par la constitution de leur anthologie, permettent de faire émerger à notre regard ce fait social dont les occurrences et manifestations étaient alors trop dispersées pour qu’on puisse s’en rendre compte.

13Si les deux artistes ont recours à la constitution d’une anthologie, une différence de taille apparaît cependant dans l’étude possible des jeux de langage entre les deux œuvres présentées. Les pièces de Jean-Baptiste Michel se trouvent dans des musées et laissent très peu de temps pour étudier la différence entre les syntagmes sélectionnés – les phrases ne restant affichées que quelques secondes. L’important pour Michel semble de mettre en avant la masse quantitative du flux, on peut d’ailleurs retrouver cela dans ses autres œuvres [26], son essai [27] et dans la création de Google Books Ngram Viewer. La masse de tweets que l’œuvre mobilise et le peu de temps d’apparition des textes nous poussent à les traiter comme le ferait un algorithme. Le simple spectateur-lecteur doit ajuster son mode de lecture habituelle. Il ne peut ni revenir en arrière comme dans un livre ni s’attarder sur le texte lui-même. Il est obligé de porter un regard méta-réflexif sur une œuvre qui le dépasse temporellement. Cela nous oblige, en tant que théoriciens et théoriciennes de la littérature, à ajuster nos outils d’analyses du texte. Nous ne pouvons pas faire du cas par cas, nous arrêter sur les figures de style, sur le récit, il nous faut constater la submersion du flux et porter une pensée générale sur le dispositif de l’œuvre. Nous ne pouvons pas nous arrêter sur des singularités, non plus que les algorithmes de calcul du Big Data qui doivent tirer des constantes statistiques. En se servant des algorithmes pour faire apparaître des tweets particuliers, on peut dire que Michel fait jouer la technique contre elle-même en lui imposant de porter attention à des singularités et à les diffuser une par une – ce que Cory Arcangel met également en place en utilisant les outils de recherche de Twitter pour créer son anthologie. En publiant un livre relativement court, il nous laisse d’ailleurs le temps de travailler sur sa collection, nous permettant de comparer ou de revenir sur certains tweets. On peut alors faire une analyse des différences entre les tweets. On peut étudier la manière dont l’écriture d’un roman est mise en scène sur Twitter. L’analogie avec la performance sportive se trouve, par exemple, très présente pour qualifier l’écriture romanesque. On peut également circonscrire certains imaginaires auxquels renvoie la pratique de l’écriture : celle de l’écrivain buvant de l’alcool, celle du millénial écrivant dans une grande chaîne de café à emporter, etc. Ces tweets sont très visuels car ils mobilisent des représentations stéréotypées de l’écriture en Occident. Si la forme livre permet une lecture plus approfondie et comparatiste des tweets, l’œuvre de Michel leur donne aussi une certaine valeur. Sa sculpture, unique et donc visible en un seul endroit, donne au tweet qui apparait un certain poids. Chaque apparition devient un micro-évènement qui ne se reproduira pas dans le temps – comme l’œuvre Lampada Anale d’Alighiero Boetti constituée d’une lampe ne s’allumant qu’aléatoirement onze secondes dans l’année. À partir de leurs œuvres, on pourrait également faire une analyse de la manière dont s’expriment les affects sur la plateforme Twitter. Dans les deux cas, peut-être plus pour Michel que pour Arcangel, on retrouve l’idée d’une esthétique de l’épuisement à la Perec semblable à un ensemble d’œuvres mises en avant et commentées par une équipe de chercheurs du NT2 et du laboratoire Figura ainsi que par Alexandra Saemmer dans le projet Archiver le présent.

Défaire l’oligopole à franges attentionnel

14On pourrait dire que les deux artistes suivent le programme de Paul Klee qui disait que l’art rend visible l’invisible. Ils le font peut-être de manière moins métaphysique et existentielle mais plus pragmatique. Internet est en effet un immense cimetière de contenus : 1 % des contenus attirent 90 % de l’attention, 30 % des contenus sont vus occasionnellement, presque personne ne voit le reste [28]. Les œuvres des deux artistes, par la mise en avant de tweets sélectionnés par la présence ou non d’un certain syntagme, et par la suppression du contexte initial, permettent de déjouer ce que nous appelons « l’oligopole à franges de l’attention ». Si Twitter, à ses débuts, avait pour but de donner la parole à tous et toutes sans distinction, force est de constater que tout le monde n’est pas entendu de la même manière et qu’il existe, sur la plateforme, des centres de polarisation attentionnelle. Ces derniers sont principalement dus à l’utilisation d’algorithmes de popularité et de suggestion. Cela n’est évidemment pas spécifique à Twitter mais se retrouve sur la majorité des réseaux sociaux et sur Internet lui-même.

15L’oligopole à franges est une structure économique typique des industries culturelles, où un nombre restreint d’acteurs se répartit une vaste part de marché alors que le reste des acteurs se partage les miettes laissées par le premier groupe et se retrouve alors dans une concurrence dite « pure et parfaite ». Par exemple, le marché de l’édition en France est accaparé par quelques grandes maisons comme Gallimard, Lagardère Publishing ou le groupe la Martinière, tandis qu’une multitude de petites maisons d’édition se partage le reste du marché, souvent en se spécialisant dans certaines niches. Les franges ne sont en effet pas en concurrence avec le centre mais elles peuvent se retrouver à le nourrir. Cette structure est bien sûr schématique et n’est pas aussi rigide dans la réalité. Au sein même des franges peuvent se trouver d’autres polarisations financières ou attentionnelles. Les franges peuvent d’ailleurs être des essais, financés par l’oligopole, qui présentent l’avantage de pouvoir être coupés s’ils ne sont pas assez rentables. Nous pouvons dire, schématiquement et quantitativement, que les grands groupes d’édition accaparent la plus grande partie des revenus financiers ainsi que ceux du capital attentionnel des consommateurs [29]. Cette structure en oligopole à franges se retrouve également à l’échelle microéconomique de chaque maison d’édition où les best-sellers constituent la plus grande part économique et attentionnelle, alors que les auteurs plus modestes se partagent ce qu’il reste de capacité de captation.

16Une structure du même ordre existe sur Internet avec quelques grands groupes comme Google, Facebook, Twitter ou Instagram qui captent la majorité des ressources attentionnelles des internautes. Il reste cependant toujours la possibilité d’aller voir ailleurs, dans les franges de l’oligopole, comme il nous reste toujours la possibilité d’acheter un livre des Éditions Amsterdam ou de La Fabrique plutôt que de l’acheter à une maison d’édition du groupe Lagardère Publishing [30]. La structure de l’oligopole à franges se retrouve alors au sein même des utilisateurs et utilisatrices de Twitter où certains comptes attirent davantage l’attention sur eux. En mai 2018, par exemple, la chanteuse Katy Perry possédait le compte le plus suivi de Twitter avec 110 millions de followers, elle était suivie de Justin Bieber (106,5 millions) et de Barack Obama (102,6 millions). Le nombre d’utilisateurs de Twitter étant estimé à 335 millions [31], au moins une personne sur trois est inscrite à l’un de ces trois comptes. Katy Perry, Justin Bieber et Barack Obama font partie des quelques milliers de comptes, à travers le monde, qui se partagent la plus grande partie de l’attention sur la plateforme. Cependant, il faut nuancer notre propos, comme les études sur les contre-cultures nous l’ont montré, une polarisation attentionnelle à l’échelle macroscopique n’implique pas nécessairement une polarisation similaire à l’échelle individuelle de l’utilisateur. En d’autres termes, je peux très bien vivre uniquement dans les franges de l’oligopole. Ce qui est encore plus vrai sur les réseaux socio-numériques où chacun se retrouve dans sa propre bulle de filtres qui peut n’être constituée que de comptes et d’informations provenant des marges.

17Les œuvres de Jean-Baptiste Michel et de Cory Arcangel permettent, d’une certaine façon, de renverser la logique de l’oligopole à franges de l’attention. Prenant comme principe de sélection l’utilisation de syntagmes, qui n’ont rien à voir avec le nombre de followers qu’un compte possède, nantis et pauvres de l’attention peuvent être présents dans l’œuvre Le dispositif est comme une balle tirée traversant la structure de l’oligopole, capturant des tweets soit dans les pôles attentionnels reconnus, soit dans les rebords les plus obscurs des franges. Leurs œuvres nous donnent donc à voir des singularités, des phrases, des mots que nous n’avons pas forcément l’habitude de lire. Ceci est renforcé par une retranscription anonyme des tweets dans les pièces de Jean-Baptiste Michel. En voyant une phrase apparaître sur l’écran, nous ne savons pas si elle a été écrite par Kim Kardashian ou par une inconnue mère de famille de Baltimore. Cela pourrait contribuer à penser une possible démocratie de l’attention. Le philosophe allemand Georg Franck analyse les médias (Télévision, radio, journaux) en termes de prééminence. « Cette prééminence n’est rien d’autre que le statut de ceux qui sont nantis de revenus d’attention élevés [32] », à savoir les stars et les personnalités politiques à l’époque de l’écriture de son article. Nous pourrions, de nos jours, ajouter à ces deux catégories les influenceurs et les influenceuses. Et comme l’explique Georg Franck, l’attention crée des pôles de polarisation car « rien ne semble plus attirer l’attention que l’accumulation des revenus de l’attention [33] ». Cela peut être lié à ce que Robert K Merton théorisa sous le nom de l’effet Mathieu, en 1968 dans un article sur la recherche universitaire [34], en référence à un passage du Nouveau Testament : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a [35]. » Il y a donc la constitution d’une aristocratie attentionnelle et d’un prolétariat attentionnel. La journaliste du Monde Pascale Robert-Diard décrit Twitter ainsi :

18

Il y a les aristocrates, ceux qui ont des gros comptes et qui sont connus, les bourgeois, gros comptes pas connus, le petit peuple qu’on ne considère pas parce que pas assez de followers. Twitter ressemble à cette scène dans Belle du seigneur, d’Albert Cohen, à la Société des nations, où chacun cherche à s’approcher de son supérieur, à être vu avec quelqu’un en vue. Twitter et les retweets me faisaient le même effet de cour, et de perte de temps [36].

19Cette structuration de l’attention n’est pas un fait du hasard, elle est favorisée par les dispositifs médiatiques des plateformes. On pourrait alors, en détournant Gayatri Chakravorty Spivak [37] qui se demandait en 1988 si les subalternes pouvaient parler, s’interroger : « les subalternes de l’attention peuvent-ils être entendus ? » Avec des dispositifs médiatiques aussi forts guidant notre attention, quelles sont les tactiques que nous pouvons mettre en place afin de laisser se faire entendre des singularités pour mettre en place une possible démocratie de l’attention ? Nous pouvons peut-être nous dire que Cory Arcangel et Jean-Baptiste Michel le font à leur manière. Même si nous avons rejeté l’idée que les CGU étaient des déchets, nous pouvons établir un parallèle entre le travail de Cory Arcangel, de Jean-Baptiste Michel et la célèbre figure du chiffonnier de Charles Baudelaire dans Les paradis artificiels, reprise par Walter Benjamin :

20

Voici un homme chargé de ramasser les débris d’une journée de la capitale. Tout ce que la grande cité a rejeté, tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle a dédaigné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un tirage, un choix intelligent ; il ramasse, comme un avare un trésor, les ordures qui, remâchées par la divinité de l’Industrie, deviendront des objets d’utilité ou de jouissance. Cette description n’est qu’une longue métaphore du comportement du poète selon le cœur de Baudelaire. Chiffonnier ou poète – le rebut leur importe à tous deux [38].

21En endossant cette figure, Michel et Arcangel font entendre la parole de prolétaires de l’attention. À travers leurs collections de tweets, ils déjouent ou du moins tentent de reconfigurer les polarisations attentionnelles de Twitter. Mais ils le font de manières différentes. La machine de Michel agit seule, à une vitesse et dans une quantité qui ne lui permet pas de demander l’autorisation à chaque auteur des tweets sélectionnés. A contrario, Cory Arcangel, et nous pouvons le voir sur le compte Twitter à l’origine de son livre, a pris soin de retweeter les messages contenant le syntagme « Working on my novel ». Les utilisateurs savent donc qu’ils ont été retweetés. Il a également commenté chacun des tweets, de manière personnalisée, et a demandé l’autorisation de reproduire ces textes dans son ouvrage, faisant signer une décharge aux auteurs initiaux. Il a ensuite cité les sources à l’intérieur de son livre et a envoyé un exemplaire à chaque participant. Cependant le principe de sélection des tweets dans l’œuvre de Michel est à interroger. Il ne nous est pas accessible mais est directement relié aux implications politiques et attentionnelles soulevées précédemment. En effet, pour savoir ce qui est mis en avant, il nous faut savoir quel corpus de tweets est traité par l’œuvre. Elle ne peut vraisemblablement pas traiter les cinq cents millions de tweets publiés chaque jour. Il faudrait pour cela une puissance de calcul impressionnante et démesurée pour la réalisation d’une simple œuvre d’art. Des coupes sont donc réalisées dans l’ensemble de tweets. Mais selon quel principe ? L’œuvre prend-elle en compte les tweets les plus mis en avant par la plateforme ? Si tel est le cas, elle poursuivrait alors la logique de Twitter et, au lieu de dépolariser l’oligopole à franges attentionnel, la renforcerait. Prend-elle en compte les tweets seulement d’un pays en particulier, par exemple les USA ? Elle se conforterait alors dans une représentation très privilégiée d’expression des besoins et des désirs, se défaisant alors de la possibilité d’un encéphalogramme des désirs à échelle-monde. L’œuvre prend-elle en compte toutes les tailles de tweet ou y a-t-il une taille maximale, qui ne serait pas celle de Twitter mais de la capacité d’affichage de l’écran ? Ou inversement, y a-t-il une taille minimale du tweet ? Toutes ces questions ne trouveront de réponses que par une entrée approfondie et surtout accompagnée dans le code.

22Ce qui peut être vu comme une dépossession dans le cas de Jean-Baptiste Michel, s’appropriant des tweets sans autorisation, nous permet de nous interroger sur le droit d’auteurs relatif à nos productions en ligne. Ce qui semble chez lui rejouer tous les débats qui ont jalonné l’histoire des pratiques appropriationistes, se manifeste comme une collaboration dans le livre de Cory Arcangel. Et comme le dit Georg Franck : « Qu’y-a-t-il de plus plaisant que de voir d’autres personnes tourner vers nous un esprit bienveillant [39] ? »

Bibliographie

  • Bibliographie

    • Aiden Erez et Michel Jean-Baptiste, Uncharted : Big Data as a Lens on Human culture, Riverhead Books, 2013.
    • Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.
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    • Cardon Dominique, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
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    • Citton Yves, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
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    • Théval Gaëlle, Poésies ready-mades, xxe-xxie siècles, Paris, L’Harmattan, 2015.
    • Van Djick José, The Culture of Connectivity, Oxford University Press, 2013.
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    • Wittgenstein Ludwig, Les recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005.

Mots-clés éditeurs : attention, jeux de langage, oligopole à franges, anthologie, littérature, appropriation, Twitter

Mise en ligne 16/04/2020

https://doi.org/10.3917/comla1.203.0135

Notes

  • [1]
    Après les réseaux sociaux est un programme de recherche et de création lancé en juin 2019 lors d’une journée d’étude, intitulée « Pratiques, esthétiques et éthique d’une écologie des contenus générés par les utilisateurs », à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Pour davantage d’informations, nous renvoyons au site internet : http://after-social-networks.com/fr/.
  • [2]
    Arcangel Cory, Working on my novel, Penguin Books, 2014.
  • [3]
    L’oligopole à franges de l’attention est un concept que nous proposons afin de caractériser la structuration de l’attention sur Internet. Une grande partie du capital attentionnel des utilisateurs et utilisatrices semble en effet captée par seulement quelques sites (Facebook, Google, Instagram, YouTube etc.). Cette structure se rejoue à l’échelle des plateformes où certains contenus et certains comptes accaparent une grande partie de l’attention des utilisateurs et utilisatrices.
  • [4]
    Nous suivons là l’analyse proposée par Marie-Anne Paveau dans son article « Technodiscursivité natives sur Twitter : une écologie du discours numérique » qui démontre que les discours Twitter ne peuvent pas être analysés hors de leur écosystème en ligne, car la technique n’est pas seulement un support mais bien un composant structurel des discours en ligne. Paveau Marie-Anne, « Technodiscursivités natives sur Twitter. Une écologie du discours numérique », Culture, identity and digital writing, Épistémè, no 9, 2013, p. 139-176.
  • [5]
    Latour Bruno, « Les médias sont-ils un mode d’existence ? », INA Global, no 2, 2014, p. 146-157.
  • [6]
    Sur nos différentes orthographes du mot media nous renvoyons à la distinction qu’Yves Citton propose à la suite de Thierry Bardini dans : Citton Yves, Médiarchie, Paris, Seuil, 2017, p. 31-32. « Un medium, des media (sans accent ni -s final) […] concerne tout ce qui sert à enregistrer, à transmettre et/ou à traiter de l’information, des discours, des images, des sons. […] un média, des médias (avec accent et -s final) […] concerne dès lors tout ce qui permet de diffuser de l’information, des discours, des images ou des sons à un public. »
  • [7]
    Van Djick José, The Culture of Connectivity, Oxford University Press, 2013.
  • [8]
    Homogénéisation qu’ont mise en exergue certains artistes par des démarches d’appropriation et de collecte. Nous pouvons penser par exemple aux installations photographiques de Penelope Umbrico.
  • [9]
    Cette anecdote est racontée dans le livre : Ihde Don, Bodies in Technology, University of Minnesota Press, 2001.
  • [10]
    Théval Gaëlle, Poésies ready-mades, xxe-xxie siècles, Paris, L’Harmattan, 2015. Tardy Nicolas, Ready-made textuel, Genève, Éditions de la HEAD, 2009.
  • [11]
    Nelson Goodman dans Langages de l’art établit une distinction entre les arts où la distinction entre original et copie est importante comme la peinture (autographe) et les arts où la distinction entre l’original et la copie n’est pas importante comme la littérature (allographe). Goodman Nelson, Languages of Art, Hackett Publishing, 1976.
  • [12]
    Souchier Emmanuël, « Formes et pouvoirs de l’énonciation éditoriale », Communication & langages, no 154, 2007, p. 23-38.
  • [13]
    Souchier Emmanuël, « L’image du texte pour une théorie de l’énonciation éditoriale », Les Cahiers de médiologie, no 6, 1998, p. 137-145.
  • [14]
    Doueihi Milad, La grande conversion numérique, Paris, Seuil, 2008.
  • [15]
    Bluminger Christa, Cinéma de seconde main : esthétique du remploi dans l’art du film et des nouveaux médias, Paris, Klincksieck, 2013.
  • [16]
    Doueihi Milad, op. cit., p. 307-308.
  • [17]
    Gunthert André, L’image partagée. La photographie numérique, Paris, Textuel, 2015.
  • [18]
    Certains parlent « d’extractivisme » pour qualifier la manière dont les plateformes, à l’aide d’algorithmes, créent de la richesse à partir des UGC. Mais nous sommes gênés par cette métaphore avec le minage terrestre qui sous-entendrait que la richesse est présente a priori alors qu’elle n’est que le fruit d’un travail en ligne opéré par les utilisateurs des plateformes, et qui peut être rassemblé sous l’appellation de Digital Labor. Comme le rappelle Bruno Latour, les données ne sont justement pas données mais obtenues ou produites.
  • [19]
    Ce qui d’ailleurs peut-être fait de manière très intéressante et plastique dans les œuvres de Piero Manzoni ou de Sue Webster et Tim Noble.
  • [20]
    Genette Gérard, Seuils, Paris, Seuil, 1987.
  • [21]
    Wittgenstein Ludwig, Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1996.
  • [22]
    Wittgenstein Ludwig, Les recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005.
  • [23]
    Ibid., p. 50.
  • [24]
    Saemmer Alexandra, « Bienvenue dans la Colonie » 24 mai 2018, Communication dans le cadre du colloque « Art, littérature et réseaux sociaux » à Cerisy-la-Salle. En ligne : https://art-et-reseaux.fr/bienvenue-dans-la-colonie-%e2%80%a8enjeux-de-limperialisme-algorithmique-et-tentatives-dinsurrection/ (consulté le 9 septembre 2019).
  • [25]
    Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 1993, p. 14.
  • [26]
    Dans ces dernières se trouvent le classement alphabétique de tous les mots contenus dans les tweets envoyés à Justin Bieber en une journée ou le classement alphabétique de tous les mots que l’artiste et sa compagne se sont échangés par mail pendant leur première année de relation. Nous retrouvons dans ces œuvres les problématiques de l’art conceptuel américain des années soixante sur le langage mais actualisé à l’ère post-internet et du big data dans laquelle nous évoluons actuellement.
  • [27]
    Aiden Erez et Michel Jean-Baptiste, Uncharted : Big Data as a Lens on Human culture, Riverhead Books, 2013.
  • [28]
    Ces chiffres sont issus de : Cardon Dominique, Culture Numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 148.
  • [29]
    Sur la constitution de l’attention comme capital, nous renvoyons aux deux ouvrages d’Yves Citton : L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014 ; Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
  • [30]
    C’est pour cette raison que la question de la neutralité du Web est essentielle. Pour laisser la possibilité de vivre hors de ces pôles d’attraction financiers et capitalistes. Bien sûr, il ne s’agit pas de rejeter les groupes de l’oligopole par désir de marginalité. Google ou Lagardère Publishing sont importants mais il faut préserver un choix le plus large possible d’accès à l’intégralité du web.
  • [31]
    Coeffe Thomas, « Chiffres Twitter – 2018 », Le Blog du modérateur, mai 2018 : https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-twitter/ (consulté le 15 novembre 2019).
  • [32]
    Franck Georg, « Économie de l’attention », L’Économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014, p. 56.
  • [33]
    Ibid., p. 57.
  • [34]
    Merton Robert K, « The Matthew Effect », Science, vol. 159, no 3810, 1968, p. 56-63.
  • [35]
    Bible de Jérusalem, Matthieu, 13-12.
  • [36]
    Foucher Lauren, « Quitter ou pas Twitter, le dilemme de l’utilisateur », Le Monde, 8 février 2019.
  • [37]
    Spivak Gayatri Chakravorty, Les subalternes peuvent-elles parler?, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.
  • [38]
    Benjamin Walter, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 2002.
  • [39]
    Franck Georg, op. cit., p. 55.
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