Couverture de COMLA1_202

Article de revue

Les insertions territoriales dans les films. Statuts, modalités et monstration du territoire dans l’image cinématographique

Pages 25 à 38

Notes

  • [1]
     La dépublicitarisation désigne la propension des marques à ne plus recourir aux seules formes canoniques de la publicité. Les marques sont incluses dans les contenus culturels et médiatiques, au risque de ne pas être reconnues ou, au contraire, de donner à penser que tout devient publicitaire.
  • [2]
     Karine Berthelot-Guiet, Caroline Marti De Montety, Valérie Patrin-Leclère, La Fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Paris, Le Bord de l’eau, 2014.
  • [3]
     Stéphane Debenetti, Isabelle Fontaine, « Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques », Le Temps des médias, 2004, 2, p. 87-98.
  • [4]
    Delphine Le Nozach, Les Produits et les marques au cinéma, Paris, L’Harmattan, 2013.
  • [5]
    Corpus constitué dans le cadre du projet « Les Bobines de l’Est », CPER Ariane.
  • [6]
    Georges-Henry Laffont, Lionel Prigent, « Paris transformé en décor urbain », Téoros, 2011, 30/1, p. 108-118.
  • [7]
    Association sportive Nancy Lorraine, citée dans Il y a longtemps que je t’aime, Claudel, 2008.
  • [8]
    Filmé à plusieurs reprises dans Les Âmes grises, Angelo, 2005.
  • [9]
    Mises en avant dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jeunet, 2001.
  • [10]
    Roland Barthes, « L’Effet de réel », Communications, 1968, 11, p. 84-89.
  • [11]
    Entretiens réalisés entre septembre 2015 et janvier 2019.
  • [12]
    Jean-Marc Lehu, La Publicité est dans le film : placement de produits et stratégie de marque au cinéma, dans les chansons, dans les jeux vidéo…, Paris, Éditions d’Organisation, 2006.
  • [13]
    Delphine Le Nozach, Les Produits et les marques au cinéma, Paris, L’Harmattan, 2013.
  • [14]
    Delphine Le Nozach, « Les insertions de produits et de marques dans le film : un double dispositif de médiations », in Violaine Appel, Hélène Boulanger, Luc Masson (dir.), Les Dispositifs d’information et de communication, Paris, De Boeck, 2010, p. 201-212 sq.
  • [15]
    Pierre-Jean Benghozi, « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles », in Xavier Greffe (dir.), Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, Éditions du ministère de la Culture et de la Communication, 2006, p. 129 sp.
  • [16]
    Xavier Greffe, Arts et artistes au miroir de l’économie, Paris, Economica, 2005.
  • [17]
    Stéphane Debenetti, Isabelle Fontaine, « Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques », Le Temps des médias, 2004, 2, p. 87-98.
  • [18]
    http://www.ciclic.fr. Site consulté en septembre 2016.
  • [19]
    Plaquette diffusée en 2016.
  • [20]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [21]
    Philippe Claudel, bonus du DVD Avant l’hiver.
  • [22]
    Dany Boon, Bienvenue chez les Ch’tis, France, 2008.
  • [23]
    Sam Mendès, Spectre, États-Unis, 2015.
  • [24]
    Delphine Le Nozach, « Les insertions de produits et de marques dans le film : un double dispositif de médiations », in Violaine Appel, Hélène Boulanger, Luc Masson (dir.), Les Dispositifs d’information et de communication, Paris, De Boeck, 2010, p. 201-212 sq.
  • [25]
    Valérie Donzelli, Main dans la main, France, 2012.
  • [26]
    Francis Kuntz, Pascal Rémy, Henry, France, 2010.
  • [27]
    Entre autres, les places Dombasle et Stanislas, les rues Stanislas, Lyautey, Héré, le restaurant L’Arrosoir, etc.
  • [28]
  • [29]
    Jean-Marc Lehu, « Le placement de marques au cinéma : proposition de la localisation du placement à l’écran comme nouveau facteur d’efficacité potentiel », Décisions marketing, 2005, 37, p. 17-31.
  • [30]
    Isabelle Fontaine, « Le placement de marques dans les films : apports du cadre théorique de la mémoire implicite et proposition d’une méthodologie », Actes du 17e congrès de l’Association française du marketing, 2001.
  • [31]
    Artus De Penguern, La Clinique de l’amour, Belgique, Luxembourg, France, 2012.
  • [32]
    Roland Edzard, La Fin du silence, Autriche, France, 2011.
  • [33]
    Dossier de presse du film La fin du silence.
  • [34]
    Christophe Ali, Nicolas Boninauri La Volante, Belgique, Luxembourg, France, 2015.
  • [35]
    Le Républicain Lorrain. 26 août 2015.
  • [36]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [37]
    Christine Liefooghe, « Économie créative et développement des territoires : enjeux et perspectives de recherche », Innovations, 2010, 31.
  • [38]
    Georges-Henry Laffont, Lionel Prigent, « Paris transformé en décor urbain », Téoros, 2011, 30/1, p. 108-118.
  • [39]
    Costa-Gavras, Le Couperet, Belgique, Espagne, France, 2005.
  • [40]
    Rachid Bouchareb, Indigènes, Algérie, Belgique, Maroc, France, 2006.
  • [41]
    Dossier de presse du film Indigènes.
  • [42]
    Tony Bill, Flyboys, États-Unis, France, 2013.
  • [43]
    Antoinette Beumer, Rendez-vous, Pays-Bas, 2015.
  • [44]
    Saul Dibb, Suite française, Grande-Bretagne, France, Belgique, Canada, 2005.
  • [45]
    Saul Dibb, dossier de presse du film Suite française.
  • [46]
    Philippe Claudel, Il y a longtemps que je t’aime, France, 2008.
  • [47]
    Philippe Claudel, Tous les soleils, France, 2011.
  • [48]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [49]
    Philippe Claudel, Une Enfance, France, 2015.
  • [50]
    Entretien avec Philippe Claudel, 12 septembre 2018.
  • [51]
    Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis, Party Girl, France, 2014.
  • [52]
    André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Le Cerf, 1957.
  • [53]
    Dossier de presse du film Party Girl.
  • [54]
    Thomas Grand, Directeur d’Image’Est, entretien réalisé le 2 décembre 2015.

1En janvier 2016, les régions françaises fusionnaient afin de construire une nouvelle configuration de douze régions. Depuis, à l’instar des stratégies de marque des grandes villes, les régions cherchent à se distinguer de leurs voisines. Chacune est amenée à s’interroger sur la nécessité de construire une image harmonieuse et de fonder une identité territoriale singulière et cohérente. Par ailleurs, la tendance croissante de la dépublicitarisation [1] brouille les frontières entre contenus culturels et contenus publicitaires ; les marques s’écartent des « seules formes canoniques de la publicité » et s’inspirent « de formes plus valorisées socialement : médiatiques (magazine, livre, série TV ou web, jeu vidéo…), culturelles (film, musée, exposition…) ou encore numériques (réseaux sociaux, blogs…) » [2]. Dans ce contexte, la technique du placement de produit au cinéma est « sans doute perçue comme la plus emblématique de l’intrusion grandissante des logiques commerciales dans le processus de fabrication et de commercialisation du “produit-film” [3] » malgré son rôle effectif dans la création cinématographique [4]. Cet article interroge la nature des liens qui unissent le territoire et la création cinématographique dans une perspective sémantique et communicationnelle. Pour cela, nous nous appuyons sur les films tournés en Lorraine entre 2005 et 2015, c’est-à-dire de la création du fonds de soutien du conseil régional de Lorraine jusqu’à la veille de l’édification de la région Grand Est [5].

2Le territoire filmique est analysé quelle que soit sa forme à l’image. La plus répandue est l’exposition filmique du territoire lui-même et de son patrimoine. De façon non exhaustive, villes et villages, rues, places, monuments, bâtiments, établissements, lieudits intègrent la diégèse filmique. Le territoire prend la forme d’un décor qui occupe toute l’image, le temps d’une scène ou sur l’intégralité d’un film. Au-delà des lieux, nous remarquons que des références, des objets ou des produits insérés dans l’image représentent également le territoire régional. « L’image cinématographique inspire une idée (de ville ou de campagne) en accumulant quelques signaux susceptibles de mobiliser un imaginaire. Les exemples relatifs à Paris le montrent particulièrement : ce n’est pas un “vrai” Paris qui est pensé, mais une représentation qui doit solliciter très vite l’imaginaire du spectateur [6]. » Ainsi, trouvons-nous dans notre corpus de films des personnages régionaux célèbres, des repères culturels ou encore des produits régionaux. Citons à titre d’exemple le club de football de Nancy, l’ASNL [7], le tableau « Vision d’automne » du peintre Victor Prouvé [8], les bergamotes Lefèvre Georges [9] ou les différentes versions cinématographiques de Jeanne d’Arc. Enfin, autre écho au territoire : les plaques d’immatriculation et les transports publics. Ils donnent un indice sur le contexte spatial ou l’appartenance départementale des personnages, et contribuent à l’effet de réel [10] du film. Cette présence filmique éclatée et variée est au cœur de nos réflexions. Parallèlement, nous investissons les dossiers de presse des films en question et nous nous emparons des déclarations médiatiques des réalisateurs à la sortie de leurs longs-métrages. Notre méthodologie intègre des entretiens semi-directifs avec des réalisateurs et des responsables de tournages en région [11]. Ces échanges nourrissent notre propos et apportent un éclairage aux analyses de contenu.

3Dans cette étude, nous nous intéressons à la présence filmique des régions en tant qu’insertions publicitaires et posons la question de leurs spécificités diégétiques. Dans quelle mesure les insertions territoriales filmiques constituent-elles, ou au contraire, se distinguent-elles des placements de marques ? Quelle(s) place(s) les réalisateurs accordent-ils au territoire dans la réalisation de leurs films ? Afin de répondre à ces questions, nous ambitionnons de définir les insertions territoriales filmiques avant de proposer une typologie inédite des degrés de monstration du territoire dans les fictions cinématographiques. Il s’agit de nous focaliser sur le dispositif sémantique du territoire filmique et d’en extraire sa contribution à la création diégétique.

Le territoire filmique relève-t-il d’un placement de produit ?

Placements, inclusions et insertions de produits

4Le principe du placement de produit est de placer un produit ou une marque dans une ou plusieurs scènes d’un film contre une forme de rémunération [12]. Cette dernière peut être une somme versée à la production du film mais également une mise à disposition du produit, un échange, un prêt ou des opérations de communication à la sortie du film. Cette pratique résulte d’un accord passé entre les annonceurs et la production du film, généralement par l’intermédiaire d’une agence de publicité spécialisée. Sous contrat, ils établissent la nature du placement et ses modalités d’apparition à l’image. Ce contrat lie les deux parties dans une relation mercantile. Dans de précédentes recherches [13], nous avons démontré que tous les produits visibles dans les films ne résultent pas nécessairement de placements de produits. En effet, nombre de produits ou de marques sont intégrés aux diégèses par hasard voire par mégarde lors du tournage mais également pour répondre à l’envie ou au besoin du réalisateur qui, pour diverses raisons, n’établit pas d’accord avec l’annonceur. Cette pratique, dénommée « inclusion de produits », recouvre les produits et les marques filmiques ne relevant pas d’un placement de produit, dont l’existence dans le film n’est pas soumise à un accord contractuel. Le cas des inclusions de produits évacue la relation marchande qui peut unir un film à une marque. Néanmoins, cela n’exclut pas que la conséquence de la figuration de la marque dans le film représente une sorte de promotion de celle-ci, une promotion non provoquée par le réalisateur et non contrôlée par l’annonceur. Rappelons encore que les « insertions de produits » englobent les placements et les inclusions de produits, les produits placés dans le film sous contrat et ceux qui sont intégrés hors contrat.

5Au-delà du statut juridique endossé par le produit dans le film et donc de la facette technique de ce dispositif, s’intéresser aux insertions de produits, c’est penser la facette symbolique de la présence des produits dans les films. Ce dispositif sémantique repose sur la concordance de plusieurs représentations de la marque : celles de l’annonceur mais aussi celles du réalisateur et du spectateur. Il se fonde sur une pratique cinématographique dont l’objectif est de transmettre des significations choisies par le réalisateur. Ce dernier utilise les valeurs identitaires du produit et/ou de la marque, se les approprie et présume de leur intelligibilité par les spectateurs. Il est entendu que les significations données à la marque peuvent être en totale adéquation avec les volontés communicationnelles de l’annonceur mais elles peuvent également être en décalage, voire en opposition avec celles-ci. Dans ce dispositif signifiant implicite, le réalisateur utilise les produits et marques à des fins diégétiques. Ceux-ci deviennent un des matériaux de la construction de son film.

6Les insertions publicitaires filmiques répondent donc à un double dispositif – technique et symbolique – qui inscrit des médiations différentes [14]. Ce dispositif complexe d’insertions de produits et de marques filmiques relève à la fois de la créativité économique et de la créativité artistique [15] puisque, dans un cas, le dispositif de médiation se concrétise en rapport à un marché existant ou potentiel alors que dans l’autre, il renvoie aux démarches mêmes du réalisateur. Néanmoins, pour le créateur placé au cœur de ce double dispositif, l’utilisation réussie de produits et de marques dans son film dépend du succès d’une médiation singulière ainsi que de la pertinence de son insertion dans la diégèse. La médiation essentielle au dispositif d’insertions publicitaires filmiques est fondamentalement celle qui met en scène le réalisateur, la représentation publique du produit et/ou de la marque qu’il crée dans son film et la réception supposée de celle-ci par les spectateurs. Il est alors nécessaire que le produit ou la marque connaisse une bonne intégration diégétique afin que sa présence signifiante constitue pour le réalisateur un outil sémiologique et/ou narratif. Quel que soit le statut d’apparition des produits et des marques à l’écran (placement ou inclusion), le dispositif symbolique est incontestable alors que le dispositif technique n’est pas automatique (placement). Cette caractéristique originale durera tant que les insertions de produits et de marques dans les films français relèveront plus de la créativité artistique que de la créativité économique [16].

Les insertions territoriales filmiques

7Partons du postulat que la région constitue la marque ou le produit inséré dans le film. Le territoire régional est-il placé dans le film comme un produit ou une marque peut l’être ? Comme des produits filmiques, le territoire présent dans les fictions dépend-il d’un partenariat de placement ou peut-il être une inclusion territoriale ? En d’autres termes, le territoire filmique fait-il l’objet d’un contrat, d’un accord avec contrepartie ?

8Oui, l’inscription d’un territoire dans un film cinématographique est la résultante d’un partenariat notifié qui réunit la région et la production du film. Obligatoire pour le tournage du film, cette alliance représente des engagements variables. Au minimum, la production doit obtenir l’autorisation avant de commencer les prises de vue. La région doit autoriser le tournage sur ses terres et ce simple accord concorde avec la définition d’un placement de produit. La région met à disposition son territoire pour les besoins du film. En échange, elle apparaît dans la diégèse. Ce partenariat minimal écarte les possibilités d’existence des inclusions territoriales dans les fictions cinématographiques. Les insertions territoriales filmiques répondent systématiquement d’un dispositif technique.

9Les régions voient dans le partenariat de placement de territoire une occasion de développer une stratégie communicationnelle et commerciale. Elles « cherchent à attirer les tournages de films afin de promouvoir leur image, en France et parfois à l’étranger, et de bénéficier des emplois associés à la production du film (figurants, hôtellerie et restauration…) [17] ». Le placement territorial est envisagé sous l’angle du marketing territorial. Attirer des tournages, c’est potentiellement favoriser le développement économique et l’attractivité territoriale de la région. Il y a dans cette pratique un intérêt respectif entre la production du film et la promotion de la région. Cette dernière y voit un moyen de gagner en visibilité et en notoriété, mais aussi l’opportunité d’améliorer son image et de développer son attractivité. Au sein des placements territoriaux, deux cas sont néanmoins à distinguer : d’un côté les fonds d’aides venant des collectivités locales et de l’autre l’apport financier d’investissement.

Le fonds d’aide des collectivités à la création cinématographique

10Les aides des collectivités, en faveur de la création cinématographique et audiovisuelle, conventionnées par le Centre National de la Cinématographie, ont été initiées en 1989. Aujourd’hui, trente-trois collectivités (régions, départements, métropoles, villes) accueillent des tournages et leur apportent une contribution financière [18]. Les aides couvrent l’écriture, le développement, la production et la post-production.

11Dans cette démarche, la région Lorraine crée, dès 2004, un fonds de soutien en faveur du cinéma et de l’audiovisuel. Cette politique se poursuit trois ans plus tard par l’établissement d’un bureau d’accueil des tournages. En découlent une professionnalisation du secteur et le développement de l’industrie cinématographique : l’accueil de tournages est bénéfique pour la création d’emplois (techniciens ou figurants), mais aussi pour les commerces et industries locales telles que la restauration ou l’hôtellerie. Les retombées économiques sont donc diverses mais, au-delà de ces aspects socio-économiques, c’est bien la valorisation symbolique de la région qui est recherchée. En effet, sur sa plaquette « Grand angle pour la Lorraine » [19], la région promeut son territoire et son patrimoine aux multiples visages : « palette colorée de paysages ruraux et naturels, entre plaines et montagnes, rivières et canaux », « éventail contrasté de styles architecturaux de l’époque gallo-romaine, médiévale, en passant par la Renaissance, l’art gothique, l’Art Nouveau ou plus contemporain », « richesse esthétique avec les traditions populaires, les vieux métiers et les métiers d’art », « empreinte profonde laissée par les événements historiques ». S’inscrivant dans une logique à la fois culturelle et économique, l’objectif premier des placements territoriaux filmiques pour la région est, par conséquent, sa mise en lumière. À l’instar d’une marque, la région s’associe au 7e Art pour bénéficier de son capital culturel et de son aura populaire.

Les investissements dans la production du film

12Autre initiative régionale, l’investissement dans la production d’un film en vue d’augmenter l’attractivité touristique de la région, de bénéficier d’une notoriété améliorée et d’une valorisation culturelle. Les sommes engagées sont alors beaucoup plus importantes ; il s’agit pour la région d’une opération communicationnelle d’envergure pour une visibilité internationale. Nous parlons ici de marketing territorial ou encore de city branding. En investissant de manière non négligeable dans la production cinématographique, les régions peuvent peser économiquement au point d’attirer des tournages voire de modifier la conception du film.

13Pour son troisième long-métrage, Philippe Claudel désirait filmer Avant l’Hiver[20] à Metz : « Idéalement je voulais le tourner à Metz, pour filmer la ville de Metz, pour boucler une sorte de trilogie de l’Est. Nancy premier film, Strasbourg deuxième film, j’aurais bien vu Metz dans le troisième film. Et en plus cette ville n’a jamais été prise pour objet principal d’un long-métrage en France, donc c’est dommage alors qu’elle a beaucoup de qualité et de charme. Et j’avais déjà fait des repérages, la salle de spectacle, c’était la magnifique salle de concert de l’Arsenal, les scènes au musée allaient être au Centre Pompidou Metz [21]. » Il avait besoin d’une maison à l’architecture spécifique qu’il ne trouvait pas dans la région de Metz. Dans le même temps, le réalisateur explique que la production n’avait pas encore réuni la somme nécessaire à la réalisation du film : « La région Lorraine proposait certes une somme importante, 120 000 euros, mais en gros il manquait deux millions. » Le Luxembourg s’est montré plus généreux que la région Lorraine et le décor principal était sur place. Finalement, le tournage aura lieu au Luxembourg et les sommes apportées par la Commission du film ont été déterminantes.

14En dehors de notre corpus, nous devons signaler le film Bienvenue chez les Ch’tis[22] tourné à Bergues dans le Nord-Pas-de-Calais et financé à plus de 8 % par la région. Succès médiatique et public, les répercussions sont multiples notamment l’augmentation de l’activité touristique et du chiffre d’affaires des commerces locaux. Outre-Atlantique, le gouvernement mexicain s’est également engagé financièrement dans le tournage de Spectre[23] en monnayant des modifications notables du scénario. Afin d’adoucir l’image du pays et augmenter son attractivité territoriale, les autorités mexicaines ont obtenu que la séquence d’ouverture à Mexico mette en scène la fête des Morts, qu’une célèbre actrice mexicaine, Stephanie Sigman, intègre le casting ou encore qu’un « méchant » du film ne soit pas de nationalité mexicaine. En bref, 14 millions de dollars pour exposer la ville de Mexico et modifier la réputation de violence du pays.

Proposition typologique de la mise en scène du territoire filmique

15Nous voyons que le placement territorial entretient des liens ambigus avec la création cinématographique. D’un côté, les réalisateurs recherchent des décors et les producteurs des subventions pour donner vie au film. De l’autre, les régions s’associent au cinéma pour obtenir des bénéfices économiques, communicationnels et/ou symboliques. Comme une marque, le territoire inséré peut faire l’objet d’une simple figuration ou au contraire constituer une forme plus évoluée de placement par son intégration narrative. Mais cette place diégétique est-elle dépendante de la nature du contrat qui associe la région au film ? Nous pouvons supposer que plus la région investit des sommes importantes, plus elle est présente à l’image, et plus celle-ci est valorisée. Pour vérifier cette hypothèse, nous étudions les films selon le degré de monstration et d’explicitation du territoire dans le film. Nous fondons une typologie de la mise en scène du territoire filmique : le territoire est formulé, retenu, masqué ou travesti.

Le placement territorial filmique formulé

16Le territoire est dit formulé lorsque la mise en scène cinématographique appuie sur la monstration du territoire, explicite clairement la localisation diégétique tant par l’image que par la bande-son. Que ce soit une volonté créatrice du réalisateur ou pour répondre aux exigences des régions, ce placement territorial impose des contraintes au niveau de la réalisation du film. En effet, quand le réalisateur choisit de situer son histoire dans une ville spécifique, il doit s’assurer que le spectateur identifie le territoire et lui assigne les mêmes significations que lui. Le réalisateur, guidé par la création de son film, « met en scène les produits et les marques en fonction de ses propres représentations et conjointement avec celles prêtées au spectateur. Placé au cœur de ce dispositif de médiation, il assure la mise en relation des produits et marques filmiques, du spectateur et d’un monde de références [24] ». Afin que les placements territoriaux fonctionnent dans leur rôle de localisateur, le réalisateur doit trouver des astuces pour faire comprendre au spectateur le lieu de l’action.

17Dans Main dans la main[25], Valérie Donzelli filme le territoire rural meusien et place la ville de Commercy dans l’image et les dialogues de son film. Elle présente Commercy comme « la ville des Madeleines ». D’ailleurs, dès leur arrivée dans la ville, les Parisiennes du film se rendent au magasin « À la cloche lorraine », ancienne adresse de production du célèbre gâteau. La madeleine symbolise le territoire commercien et matérialise les racines familiales du personnage principal, Joachim. La réalisatrice utilise un produit régional qui renvoie inévitablement à son lieu de fabrication et, par conséquent, à son appartenance territoriale. Dans la séquence finale, Joachim a déménagé pour New York ; il est donc loin de chez lui. Pour annoncer la naissance de son fils, sa sœur (Valérie Donzelli) lui adresse un petit colis : une madeleine « Royale » emballée individuellement et présentée dans sa boîte en bois au décor traditionnel. La réalisatrice met en scène ce produit pour créer une allégorie de l’identité territoriale de son personnage. La ville de Commercy – son territoire, son patrimoine et son produit phare, la madeleine – est exposée dans l’image filmique dans de nombreuses scènes, précisée dans les dialogues et les mentions écrites. Autre illustration avec le film Henry[26]. Les réalisateurs insistent sur la localisation de la diégèse tant dans la bande-son qu’à l’image : dialogues, panneaux directionnels, plaques d’immatriculation 54, différents villages et villes lorraines. Leur personnage principal, Henry Colo, surnommé « l’alcoolo de Nancy », boit de l’alcool de mirabelle, joue de la musique à la fête de la mirabelle, se rend à Metz, parle de Pont-à-Mousson. Plus encore, la ville de Nancy est omniprésente [27] – rues du centre-ville, restaurants, cafés, monuments, places, etc. Une scène clé du film se déroule sur la Place Stanislas de Nancy, place emblématique de la ville. Henry cherche à revendre une guitare de grande valeur qu’il a subtilisée à la mère d’un de ses amis défunt. Un client potentiel réside au Grand Hôtel de la Reine en bordure de la place. Des plans larges exposent les bâtiments, la célèbre statue de Stanislas Leszczynski puis la façade de l’établissement hôtelier. La scène se poursuit dans les pièces intérieures de l’hôtel, un décor conforme à la réalité. Manifestement, la localisation géographique de l’histoire a été pensée dès son écriture si bien que « les vagabondages dans Nancy sonnent à chaque pas comme un hommage à la ville [28] ».

18Pour un placement territorial formulé, le réalisateur insiste sur les références au territoire et adapte ses choix de mise en scène. Les placements visuels sont soutenus par des mentions écrites (panneaux, signalisations, enseignes, etc.) et par des interventions sonores (dans les dialogues ou dans la voix off). Ce type de placement territorial réunit les caractéristiques du placement classique – « pour lequel le produit est parfaitement et aisément identifiable » – et du placement institutionnel – « qui privilégie la marque au produit » [29]. Finalement, le placement territorial formulé prend la forme d’une insertion globale qui réunit l’ensemble des critères d’établissement nécessaires à une bonne visibilité et une bonne mémorisation du spectateur. Il peut être visuel et/ou sonore, sa durée d’exposition se compte en secondes voire en minutes, son nombre d’occurrences est élevé, sa localisation à l’image est centrale [30].

Le placement territorial filmique retenu

19Le placement territorial filmique retenu est la conséquence d’une mise en scène discrète. Le réalisateur fait le choix de ne pas appuyer sur la localisation géographique des lieux filmés ce qui rend difficile leur identification.

20Dans La clinique de l’amour[31], Arthur De Penguern et Gabor Rassov ont tourné une scène de tension au zoo d’Amnéville. Ce décor est immédiatement lisible comme étant un zoo sans que la distinction de celui-ci ne soit facilitée. La fin du silence[32] concentre son action dans « une maison isolée dans les Vosges » et dans la forêt environnante. Nous apprenons dans le dossier de presse du film que les repéreurs ont eu quelques difficultés à trouver le décor principal du film : « C’est après plusieurs semaines de recherche que le lieu idéal a enfin été trouvé dans les Vosges. Un lieu qui a entièrement satisfait le réalisateur. Un lieu isolé qui a abrité l’équipe durant la quasi-totalité du tournage [33]. » La forêt des Vosges est omniprésente dans La fin du silence et pourtant, il est compliqué d’associer ce paysage naturel à sa région malgré ses spécificités paysagères. Nous voyons que même si le temps de présence du territoire dans le film est important et qu’il est, a fortiori, largement exposé, il reste parfois méconnaissable. Il n’y a pas de lien systématique entre le temps d’exposition et la perception identifiée du territoire filmique.

21Pour certaines fictions cinématographiques, nous attendons une monstration du territoire, car il est formulé en toutes lettres dans les documents de communication du film : synopsis, dossier et articles de presse. Le synopsis du film La volante[34] précise : « L’histoire débute à Metz, au carrefour situé près de l’église Sainte-Thérèse. Thomas (Malik Zidi), 27 ans, conduit de nuit en urgence sa femme à la maternité. Sur le trajet, il percute un jeune homme et le blesse mortellement. » Le tournage du film s’installe, en partie, dans la ville mosellane. Pourtant, à l’image, ce placement territorial est discret : ni mention explicite, ni dialogue ne viennent énoncer la localisation diégétique. Bien que plusieurs scènes clés du film se déroulent dans des lieux importants de la ville comme l’hôtel de ville ou l’hôpital Sainte-Blandine, « Le décor joue plus un rôle anecdotique. Ce n’est pas un film où la région est actrice [35]. » Les réalisateurs expliquent qu’ils désiraient tourner en province pour favoriser l’identification des spectateurs. Leur choix s’est porté sur la ville de Metz par les hasards des financements régionaux. Enfin, nous avons évoqué l’investissement conséquent du Luxembourg dans la production du film Avant l’hiver[36]. Néanmoins, rien dans le film n’indique que le tournage s’est déroulé sur place. En y prêtant attention, nous décelons quelques plaques d’immatriculation (françaises et luxembourgeoises) qui peuvent orienter l’identification. Bien que des scènes se déroulent dans des brasseries, parcs ou musées, ces décors sont tellement placés en arrière-plan du film que le spectateur n’y prête pas attention.

22Les insertions publicitaires filmiques dépendent des connaissances préalables du spectateur et ce constat est encore plus pertinent dans le cas du placement territorial. Si le spectateur ne connaît pas la région ou la ville montrée dans la diégèse, les lieux sont indécelables. Il est entendu que les régions partenaires du film sont notifiées, parfois dès les premières images et ordinairement dans le générique de fin. Néanmoins, nous objectons que tous les spectateurs ne lisent pas ces inscriptions et, de surcroît, n’ont pas conscience de leurs conséquences diégétiques. En revanche, le spectateur reconnaîtra sans difficulté les lieux si ceux-ci lui sont familiers. Le placement territorial retenu correspond donc soit à un placement évocateur, soit à un placement furtif donc indécelable. L’identification du territoire filmique est donc aléatoire. Contrairement au placement territorial formulé, ce n’est plus la mise en scène du réalisateur qui permet l’intelligibilité du territoire mais les connaissances des spectateurs concernant l’objet filmé. À cela s’ajoutent les inégalités de notoriété entre les territoires, tant au niveau de leur capital lié à l’économie créative [37] que de l’impact de leur attractivité touristique. « Ce sont souvent les mêmes territoires qui cumulent les meilleurs atouts. Dans un univers saturé de messages et d’images, il est toujours plus facile d’identifier les patrimoines connus et de les mettre en valeur : la tour Eiffel, par son unicité, pourra rester un symbole de Paris [38]. »

Le placement territorial dissimulé

23À l’instar d’un produit dont on masque l’étiquette, le territoire, ses aspérités et spécificités peuvent être gommés lors du tournage. La volonté peut être d’aseptiser les lieux pour les rendre neutres. Cette distanciation du réel renforce paradoxalement la construction fictionnelle de la diégèse.

24Reprenons l’exemple du film La volante dans lequel une scène se passe au bar-café « La Cigale ». Impossible d’identifier l’établissement, car il a été rebaptisé le « Sans souci » pour le tournage. Le film de Costa Gavras, Le couperet[39], joue aussi sur les apparences. L’histoire se focalise sur la recherche d’emploi de Bruno Davert (José Garcia), prêt à tout pour retrouver du travail en tant que cadre supérieur dans la papeterie. Rapidement dans le film, nous comprenons que Bruno rêve d’intégrer l’usine de papier « Arcadia ». Présentée à de multiples reprises dans le film, l’usine est narrativement essentielle à la diégèse. Au fur et à mesure, nous découvrons l’intérieur des locaux puis l’extérieur de cette imposante bâtisse. L’entreprise « Arcadia » est en fait la papeterie Norske Skog située à Golbey (Vosges). Le véritable nom de l’usine a été remplacé par son appellation diégétique. Aucun indice ne permet donc de rapprocher le lieu de sa situation géographique. Au contraire, déguiser la réalité distancie le film du réel en construisant une diégèse fictive, voire allégorique.

25Pour les catégories placement territorial retenu et dissimulé, il est difficile pour les régions partenaires de bénéficier de l’aura de l’image cinématographique. Si les génériques de fin informent les spectateurs sur les lieux de tournage et les organismes associés à la production des films, la région ne peut pas compter sur la monstration explicite de son territoire pour sa valorisation.

Le placement territorial travesti

26Autre particularité du territoire dans la fiction cinématographique : le film peut travestir la réalité, il fait croire que la diégèse a lieu sur un certain territoire alors que les scènes se sont en réalité tournées ailleurs. Le territoire formulé dans le film n’est pas le territoire partenaire du film. La valorisation territoriale existe alors pour le territoire mentionné dans le film mais pas pour celui qui accueille physiquement l’action.

27Ainsi plusieurs longs-métrages de notre corpus créent ces simulacres. Rachid Bouchareb détaille les lieux de tournage d’Indigènes[40] et révèle un placement territorial travesti : le tournage « s’est déroulé à Ouarzazate, Agadir pour les scènes de bateau, dans le sud de la France – à Beaucaire et Tarascon – pour les scènes de la Libération, puis dans les Vosges et à la frontière Alsace-Lorraine. Les scènes de montagnes enneigées censées se dérouler dans les Vosges ont été tournées au Maroc [41] ! » Le film Flyboys[42] se déguise également : les scènes en Lorraine sont tournées au Royaume-Uni. Ce déplacement spatial provoque parfois des images saugrenues. La diégèse du film Rendez-vous[43] se passe en Dordogne mais c’est le village de Marville (Meuse) qui accueille le tournage. La scène de marché plonge les personnages dans l’ambiance du sud sauf qu’un stand propose à la vente des produits lorrains. Pour son film Suite française (2015) [44], Saul Dibb cherchait un décor naturel, un lieu qui symboliserait un village français occupé pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la diégèse, l’histoire se déroule à Bussy (Seine-et-Marne) mais les lieux dans leur état actuel ne permettaient pas de créer l’illusion désirée. Finalement, le réalisateur arrête son choix sur la commune de Marville pour son architecture et ses façades. « Il était fondamental pour l’équipe de tourner les extérieurs de Bussy sur une vraie place de village avec une mairie. En trouver une qui ne soit pas trop modernisée et qui puisse être fermée à la circulation pendant le tournage a été compliqué. C’est la ville de Marville qui a convaincu tout le monde lors des premiers repérages. Marville est restée depuis des années relativement à l’écart du modernisme. On n’y trouve ni magasins à la mode, ni panneaux publicitaires, ni panneaux de signalisation routière, ni antennes sur le toit des maisons [45]. » Le village a accueilli les scènes de l’invasion des troupes allemandes en 1940. Ici, le territoire placé dans le film fonctionne comme un marqueur spatio-temporel.

28Si le territoire situe l’action diégétique, cette disposition pour les faux-semblants fait du placement territorial filmique un placement de produit qui se distingue des autres. Un territoire cité dans le film peut être valorisé par la monstration d’un tiers territoire. Le réalisateur peut transmettre des significations propres à un territoire par la mise en scène d’un autre territoire. Il est inconcevable qu’un film fasse la promotion d’une marque via l’un de ses concurrents placés ; impensable qu’une marque transmette ses valeurs au travers de l’image d’une autre marque ; invraisemblable qu’un réalisateur utilise un produit marketé pour le déguiser en un autre. Avec le placement territorial filmique, ces artifices sont légion.

Conclusion

29Le placement de produit consiste à insérer – certains diraient à cacher – des éléments marketés dans un contenu culturel et artistique. Complètement intégrés dans le film lorsqu’ils endossent une ou plusieurs fonctions diégétiques, les produits et les marques se transforment en traits cinématographiques. Dans le cinéma français, les cinéastes emploient fréquemment le placement de produit à des fins créatives. Le territoire filmique dépend d’un engagement plus ou moins important de la région dans la production du film et apparaît selon des degrés de monstration variable à l’image. Le statut de l’aide régionale ou le montant de participation de la région dans la production du film n’implique pas une explicitation du territoire dans le film. Selon les choix artistiques du réalisateur, il juge utile de situer les décors ou, au contraire, préfère masquer ces éléments de géolocalisation.

30Plus encore, l’aide régionale accordée à la réalisation du film n’oblige pas à une monstration positive du territoire. Comme le précise Johann Gretke, responsable du bureau d’accueil des tournages en Grand Est, le fonds de soutien n’est pas accordé aux films qui valorisent le territoire régional dans leur scénario. Ce qui est observé est la qualité artistique du projet et non pas l’inscription du territoire régional dans le film. En revanche, un critère déterminant est le nombre de jours de tournage sur place, l’employabilité des techniciens locaux et autres retombées économiques pour la région. Philippe Claudel confirme ces éléments : « Pour chacun de mes films, que ce soit donc Il y a longtemps[46] – la Lorraine, Tous les soleils[47] l’Alsace et la Lorraine, Avant l’hiver[48] le Luxembourg et Une enfance[49] – la Lorraine et particulièrement Dombasle, chaque fois nous avons bénéficié de subventions ou d’aides de ces régions mais, vous le savez sans doute, il n’y a pas de cahier des charges qui prévoit que le film s’oriente vers une sorte de mise en valeur de la région. C’est assujetti plutôt à un nombre de jours de tournage sur place [50]. » Ainsi certains films ayant obtenu une aide de la région Lorraine et tournés sur place, ne construisent-ils pas une image spécialement positive de la région. La Lorraine cinématographique apparaît souvent triste et rude. Prenons l’exemple de Party Girl[51] soutenu par la Communauté Urbaine de Strasbourg, le CNC et la région Lorraine. L’essentiel du tournage s’est déroulé dans un cabaret près de Forbach, dans le bassin à la fois houiller et minier. Les réalisateurs du film sont dans une démarche proche du mouvement du cinéma-vérité ou du néo-réalisme [52] : ils utilisent le réel, font tourner des acteurs non professionnels, filment des décors existants. Pour preuve, ils engagent la mère de Samuel Theis, Angélique Litzenburger pour jouer son propre rôle. L’ancrage lorrain de la diégèse est partie prenante de la narration filmique : « En faisant le portrait d’Angélique, à travers son histoire intime, c’est aussi toute une région et une classe sociale qui se racontent. En partant d’elle, on pouvait rendre compte de ce qu’est la vie d’une entraîneuse, ce qu’elle induit pour une vie de famille. Mais aussi parler de ces hommes de la région, anciennement mineurs. Que font ces gens, qui sont-ils, qu’ont-ils à dire ? Il s’agissait pour nous d’amener le cinéma en Lorraine, auprès de cette famille, de ces entraîneuses, dans des endroits où il n’a pas l’habitude d’aller [53]. » La population et le territoire lorrain constituent le cœur du film. Le film a été salué au Festival de Cannes 2014 en remportant deux prix : la Caméra d’or et le Prix d’ensemble. Si Party Girl connaît un grand succès critique et que « la Lorraine est associée à cette réussite [54] », la monstration régionale filmique, bien qu’omniprésente, ne représente pas un atout en termes d’attractivité et ne permet pas d’envisager un développement touristique local.

31Par conséquent, le placement territorial filmique associe une région à une production cinématographique mais les représentations véhiculées reposent sur les thématiques développées dans le film, la volonté artistique du réalisateur et ses choix de mise en scène. Comme pour les insertions publicitaires filmiques, en France, aujourd’hui, le réalisateur conserve le final cut et décide de la place qu’il réserve au territoire dans sa création indépendamment de l’investissement symbolique et/ou financier de la région dans la production de son film. Nous pouvons nous demander si cette singularité perdurera avec l’intensification du marketing territorial et le développement des marques-ville et marques-région.

Bibliographie

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    • Claudel Philippe, Tous les soleils, France, 2011.
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    • Claudel Philippe, Une Enfance, France, 2015.
    • Costa-Gavras, Le Couperet, Belgique, Espagne, France, 2005.
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    • Edzard Roland, La Fin du silence, Autriche, France, 2011.
    • Kuntz Francis, Rémy Pascal, Henry, France, 2010.
    • Mendès Sam, Spectre, États-Unis, 2015.

Mots-clés éditeurs : cinéma, placement de produit, territoire, film, insertions publicitaires

Mise en ligne 03/02/2020

https://doi.org/10.3917/comla1.202.0025

Notes

  • [1]
     La dépublicitarisation désigne la propension des marques à ne plus recourir aux seules formes canoniques de la publicité. Les marques sont incluses dans les contenus culturels et médiatiques, au risque de ne pas être reconnues ou, au contraire, de donner à penser que tout devient publicitaire.
  • [2]
     Karine Berthelot-Guiet, Caroline Marti De Montety, Valérie Patrin-Leclère, La Fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Paris, Le Bord de l’eau, 2014.
  • [3]
     Stéphane Debenetti, Isabelle Fontaine, « Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques », Le Temps des médias, 2004, 2, p. 87-98.
  • [4]
    Delphine Le Nozach, Les Produits et les marques au cinéma, Paris, L’Harmattan, 2013.
  • [5]
    Corpus constitué dans le cadre du projet « Les Bobines de l’Est », CPER Ariane.
  • [6]
    Georges-Henry Laffont, Lionel Prigent, « Paris transformé en décor urbain », Téoros, 2011, 30/1, p. 108-118.
  • [7]
    Association sportive Nancy Lorraine, citée dans Il y a longtemps que je t’aime, Claudel, 2008.
  • [8]
    Filmé à plusieurs reprises dans Les Âmes grises, Angelo, 2005.
  • [9]
    Mises en avant dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jeunet, 2001.
  • [10]
    Roland Barthes, « L’Effet de réel », Communications, 1968, 11, p. 84-89.
  • [11]
    Entretiens réalisés entre septembre 2015 et janvier 2019.
  • [12]
    Jean-Marc Lehu, La Publicité est dans le film : placement de produits et stratégie de marque au cinéma, dans les chansons, dans les jeux vidéo…, Paris, Éditions d’Organisation, 2006.
  • [13]
    Delphine Le Nozach, Les Produits et les marques au cinéma, Paris, L’Harmattan, 2013.
  • [14]
    Delphine Le Nozach, « Les insertions de produits et de marques dans le film : un double dispositif de médiations », in Violaine Appel, Hélène Boulanger, Luc Masson (dir.), Les Dispositifs d’information et de communication, Paris, De Boeck, 2010, p. 201-212 sq.
  • [15]
    Pierre-Jean Benghozi, « Mutations et articulations contemporaines des industries culturelles », in Xavier Greffe (dir.), Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, Éditions du ministère de la Culture et de la Communication, 2006, p. 129 sp.
  • [16]
    Xavier Greffe, Arts et artistes au miroir de l’économie, Paris, Economica, 2005.
  • [17]
    Stéphane Debenetti, Isabelle Fontaine, « Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques », Le Temps des médias, 2004, 2, p. 87-98.
  • [18]
    http://www.ciclic.fr. Site consulté en septembre 2016.
  • [19]
    Plaquette diffusée en 2016.
  • [20]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [21]
    Philippe Claudel, bonus du DVD Avant l’hiver.
  • [22]
    Dany Boon, Bienvenue chez les Ch’tis, France, 2008.
  • [23]
    Sam Mendès, Spectre, États-Unis, 2015.
  • [24]
    Delphine Le Nozach, « Les insertions de produits et de marques dans le film : un double dispositif de médiations », in Violaine Appel, Hélène Boulanger, Luc Masson (dir.), Les Dispositifs d’information et de communication, Paris, De Boeck, 2010, p. 201-212 sq.
  • [25]
    Valérie Donzelli, Main dans la main, France, 2012.
  • [26]
    Francis Kuntz, Pascal Rémy, Henry, France, 2010.
  • [27]
    Entre autres, les places Dombasle et Stanislas, les rues Stanislas, Lyautey, Héré, le restaurant L’Arrosoir, etc.
  • [28]
  • [29]
    Jean-Marc Lehu, « Le placement de marques au cinéma : proposition de la localisation du placement à l’écran comme nouveau facteur d’efficacité potentiel », Décisions marketing, 2005, 37, p. 17-31.
  • [30]
    Isabelle Fontaine, « Le placement de marques dans les films : apports du cadre théorique de la mémoire implicite et proposition d’une méthodologie », Actes du 17e congrès de l’Association française du marketing, 2001.
  • [31]
    Artus De Penguern, La Clinique de l’amour, Belgique, Luxembourg, France, 2012.
  • [32]
    Roland Edzard, La Fin du silence, Autriche, France, 2011.
  • [33]
    Dossier de presse du film La fin du silence.
  • [34]
    Christophe Ali, Nicolas Boninauri La Volante, Belgique, Luxembourg, France, 2015.
  • [35]
    Le Républicain Lorrain. 26 août 2015.
  • [36]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [37]
    Christine Liefooghe, « Économie créative et développement des territoires : enjeux et perspectives de recherche », Innovations, 2010, 31.
  • [38]
    Georges-Henry Laffont, Lionel Prigent, « Paris transformé en décor urbain », Téoros, 2011, 30/1, p. 108-118.
  • [39]
    Costa-Gavras, Le Couperet, Belgique, Espagne, France, 2005.
  • [40]
    Rachid Bouchareb, Indigènes, Algérie, Belgique, Maroc, France, 2006.
  • [41]
    Dossier de presse du film Indigènes.
  • [42]
    Tony Bill, Flyboys, États-Unis, France, 2013.
  • [43]
    Antoinette Beumer, Rendez-vous, Pays-Bas, 2015.
  • [44]
    Saul Dibb, Suite française, Grande-Bretagne, France, Belgique, Canada, 2005.
  • [45]
    Saul Dibb, dossier de presse du film Suite française.
  • [46]
    Philippe Claudel, Il y a longtemps que je t’aime, France, 2008.
  • [47]
    Philippe Claudel, Tous les soleils, France, 2011.
  • [48]
    Philippe Claudel, Avant l’hiver, France, 2013.
  • [49]
    Philippe Claudel, Une Enfance, France, 2015.
  • [50]
    Entretien avec Philippe Claudel, 12 septembre 2018.
  • [51]
    Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis, Party Girl, France, 2014.
  • [52]
    André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Le Cerf, 1957.
  • [53]
    Dossier de presse du film Party Girl.
  • [54]
    Thomas Grand, Directeur d’Image’Est, entretien réalisé le 2 décembre 2015.
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