Constatant les inerties tragiques et les virages improbables en Méditerranée et au Moyen-Orient, notre comité de rédaction avait envisagé, il y a quelques mois, de consacrer ce numéro aux tourments et tournants de cette région jadis qualifiée d’arc de crise par certains stratèges américains. Des tourments, il n’en manquait pas. On ne comptait pas les victimes directes ou indirectes des contre-révolutions et des reprises en main autoritaires qui avaient transformé en déréliction les espérances politiques du début de la décennie 2010, dans le monde arabe. L’aspiration à la dignité, maître-mot des manifestations, n’avait pas réussi à briser la chape du « malheur arabe » dont feu Samir Kassir avait si bien nommé les attributs et les mécanismes. Quant aux peuples qui étaient restés à l’écart de la première vague contestataire, un même lot de frustrations mais aussi de souffrances venait d’être imposé à leur soulèvement récent par des pouvoirs accrochés à leurs prébendes. Du Liban au Soudan, de l’Irak à l’Algérie, l’année 2019 paraissait déjà loin, très loin, quatre ans après que la réplique du printemps de 2011 les avait frappés. L’Iran, lui-même, démontrait une fois de plus la férocité de son régime, engagé dans un combat existentiel dès lors qu’une fenêtre révolutionnaire s’ouvre. L’appareil sécuritaire iranien déployait alors toute sa brutalité contre un soulèvement qu’avait déclenché la mort de Mahsa Amini, le 13 septembre 2022, dans un commissariat de police, au motif qu’elle portait mal son voile…