Notes
-
[1]
Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, éditions Complexe CNRS-IHTP, 2008.
-
[2]
Valérie Pouzol et Danielle Storper-Perez, « Les héroïnes sont-elles fatiguées ? », in Israël une Nation à la recherche d’elle-même, Confluences Méditerranée, 1998, pp.119 à127.
-
[3]
Il y a eu pendant la première Intifada une quinzaine de groupes de femmes contre l’occupation et la violence militaire.
-
[4]
Valérie Pouzol, « Genre et militantisme pour la paix en Israël », in Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Science-Po, 2009, p. 261 à 276.
-
[5]
-
[6]
Il est toujours actif aujourd’hui mais de manière confidentielle et essentiellement à Jérusalem. Il a des branches dans plusieurs pays (France, Etats-Unis).
-
[7]
Sarah Helman, Tamar Rapoport, « Women in black : Challenging Israel’s Gender and Socio-Political Order, in British Journal Of Sociology, n°48, 1997, pp. 681 à700.
-
[8]
Les WOFPP sont toujours en activité. http://www.wofpp.org/english/home.html, en ligne le 6 décembre 2017.
-
[9]
Ayala Emmet, Our Sister’s Promised Land, Women, Politics and Israeli-Palestinian Coexistence, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996.
-
[10]
C’est le Centre Communautaire Laïc Juif de Bruxelles qui avait eu cette initiative et en particulier David et Simone Susskind.
-
[11]
Des femmes politiques de premier plan y ont signé des Déclarations de principes en 1996 et en 1999, réclamant le droit à l’autodétermination des Palestiniens, la création de deux États, Jérusalem capitale pour les deux États, l’arrêt immédiat de la colonisation, une juste solution au problème des réfugiés, le respect des conventions internationales, la pleine intégration des femmes à de futures négociations de paix. Elles mentionnaient un retrait de tous les territoires occupés y compris sur le Liban et la Syrie.
-
[12]
On compte à cette époque trois groupes de mères israéliennes dont un groupe de mères religieuses orthodoxes.
-
[13]
Sur la difficulté de poursuivre des actions communes avec les Israéliennes, se reporter au récit de Sumaya Farhat-Nasser, Le Cri des oliviers. Une palestinienne pour la paix, Genève, Labor et fides, 2004.
-
[14]
Sur ce groupe voir Karine Lamarche, « Sous le regard des mères : la surveillance des check points par des militantes israéliennes, in Israël : l’enfermement », Paris, Confluences Méditerranée, 2005, p.171 à 179.
Voir par exemple une petite exposition virtuelle sur leur site « Making Militarism Visible », http://www.newprofile.org/english/Exhibition, en ligne le 6 décembre 2017. -
[15]
Plusieurs groupes de mères ont fait leur apparition, les Mères contre la guerre, La Cinquième Mère et un groupe de mères religieuses orthodoxes The Women For The Sanctity Of Life.
-
[16]
http://womenwagepeace.org.il/en/, en ligne le 5 décembre 2017.
-
[17]
Elles ont organisé deux évènements d’envergure ; la Marche de l’Espoir en 2016 et La Route de la Paix en 2017.
-
[18]
http://womenwagepeace.org.il/en/women-wage-peace-march-hope-rabbi-donna-kirshbaum-knows-magazine-awakening-women-2017/, en ligne le 5 décembre 2017. Extrait traduit par l’auteure.
-
[19]
Sur cette question et sur l’existence d’une commission internationale d’Israéliennes et de Palestiniennes pour une juste paix établie depuis 2005, voir Anat Saragusti, « Israel and the UNSCR 1325 » in Women and Power, Jérusalem, Palestine-Israel Journal, 2011, pp.55 à 58.
-
[20]
Manuel Castells, Communication et pouvoir, Paris, éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 2013.
-
[21]
Entretien avec Marie-Lyne Smadja, WWP, septembre 2017, Tel Aviv.
-
[22]
Dans les règles alimentaires de la kasherout juive, le parvé est un aliment « neutre » qui n’est ni lacté (halavi), ni carné (bassari).
-
[23]
WWP, Tel Aviv, septembre 2017.
-
[24]
Il s’agit d’Huda Abu Arqoub, membre des WWP, originaire d’un village près d’Hébron.
-
[25]
Orly Noy « How can women wage peace without talking about occupation ? 972 Magazine, 13 octobre 2017. https://972mag.com/how-can-women-wage-peace-without-talking-about-occupation/130186/, en ligne le 5 décembre 2017. Traduction de l’auteure.
-
[26]
Entretien radiophonique, sur Kol Israël de Marie-Lyne Smadja sur la création du « Lobby des femmes pour la paix et la sécurité, http://womenwagepeace.org.il/en/marie-lyne-smadja-kol-israel-en-francais-30-1-17/en ligne le 6 décembre 2017. En français.
-
[27]
Gideon Levy, « Israel’s Yitzhak Rabin Memorial 2017. War is over if you want it-Just don’t mention the Occupation », Haaretz, 5 novembre 2017, https://www.haaretz.com/israel-news/1.820988, en ligne le 6 décembre 2017.
1 Les femmes ont désormais une longue tradition d’activisme pour la paix dans l’histoire du conflit israélo-palestinien. Des deux côtés de la Ligne verte, certaines ont dénoncé la violence, l’occupation militaire des Territoires palestiniens et le choix des options militaires qui n’ont souvent entrainé dans leur sillage que destructions et impasses politiques. C’est le déclenchement de la première Intifada en 1987 avec son cortège de violences contre les populations civiles qui a poussé les femmes à occuper l’espace public de la protestation.
2 Israéliennes et Palestiniennes ont alors organisé des manifestations, des rencontres et participé à des groupes de dialogue en réfléchissant à ce que leurs propres luttes pourraient apporter à la construction de la paix [1]. Leurs réunions et leurs actions locales ont permis également que des rencontres internationales de femmes se tiennent dans les années 1990, jalons importants dans la construction du dialogue israélo-palestinien. Avec espoir puis parfois avec découragement, elles ont ensuite accompagné le lent déclin de ce qu’on appelait encore, au milieu des années 90 « le processus de paix ».
3 Le militantisme pour la paix/contre la guerre nécessite un investissement et une persévérance importants. Certaines ont baissé les bras, découragées, ou se sont investies dans d’autres théâtres de la vie [2]. Derrière les déceptions, les renoncements, il y a pourtant comme une obstination des femmes. Des groupes se sont reconstitués, manifestant leur désaccord face la non-application des Accords de Paix. Ce faisant, ils témoignent d’une grande défiance face à leurs autorités politiques respectives.
4 Dans une réflexion sur le lien entre genre et violence au Moyen-Orient, il semble important de faire un bilan de ces trente années de lutte, en particulier pour tenter d’apprécier leur apport dans la construction d’un dialogue israélo-palestinien. Si elles n’ont pas débouché sur l’instauration d’une paix entre les deux peuples, ces longues années de militantisme, n’en ont pas moins profité aux femmes. Ces dernières ont élaboré des techniques de résistances non-violentes. Elles ont également affiné des discours qui réfutent toute forme d’oppression et de domination (nationale, politique, sexuelle, ethnique) tout en refusant que la paix soit construite sans elles.
5 L’affirmation, depuis 2014, d’un nouveau mouvement de femmes pour la paix, les Women Wage Peace, semble s’inscrire a priori dans la continuité militante de ces luttes locales. Pour la première fois depuis des années des femmes arabes et juives ont repris des actions et des marches collectives demandant clairement la reprise des pourparlers de paix. Après une période d’activités communes avec les Israéliennes, jusqu’au milieu des années 90, les Palestiniennes ont interrompu progressivement leurs rencontres bilatérales car les accords de paix ne se concrétisaient pas sur le terrain et que la colonisation perdurait. Elles pouvaient en effet être accusées d’entretenir l’illusion d’une normalisation des relations avec les Israéliennes. À partir du milieu des années 1990, ce sont surtout les Israéliennes qui ont poursuivi, de leur côté, leurs actions contre l’occupation et contre la guerre. L’émergence et le succès des WWP sont donc à replacer dans cette histoire du délitement progressif des rencontres et actions communes entre Israéliennes et Palestiniennes. Comment expliquer le succès grandissant de ce mouvement qui est parvenu à rassembler, en octobre 2017, jusqu’à 30000 femmes dans une gigantesque Route de la paix ? Quelles sont les revendications de ce mouvement ? Quelles sont les raisons locales et internationales qui peuvent expliquer sa réussite ?
Les femmes construisent la paix : tentatives, succès, désillusions (1987-2000)
6 Israéliennes et Palestiniennes ont été particulièrement actives, dès le déclenchement de la première Intifada, en 1987, pour s’opposer à la violence de guerre et réfléchir ensemble à des actions de solidarité et de construction de la paix [3]. Elles ont agi grâce à une importante mobilisation locale dans des lieux particulièrement emblématiques du conflit. La ville de Jérusalem a ainsi été un théâtre très important de nombreuses actions collectives (manifestation, marches collectives, rencontres). Puis, fortes de cette expérience de terrain, elles se sont progressivement organisées à une échelle internationale en participant à des rencontres multilatérales pour construire par le « haut » un « Réseau de femmes israéliennes et palestiniennes pour la paix ».
7 Dans leur écrasante majorité, leur engagement a été non-mixte, c’est-à-dire construit sur le refus de militer aux côtés des hommes [4]. En 1987, beaucoup de Palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza étaient déjà des militantes, au travers des associations de femmes et des branches féminines de partis politiques. Pour les Israéliennes, seule une petite minorité avait déjà une expérience du militantisme « mixte » dans les groupes de gauche ou au sein du groupe La Paix Maintenant. Ces dernières évoquaient souvent leur mauvaise expérience avec des hommes qui n’hésitaient pas à capter le pouvoir et à y être autoritaires. Avec le déclenchement de la première Intifada en 1987, ces militantes et des femmes qui n’avaient aucune expérience militante se sont senties motivées pour agir entre elles. [5]
8 Palestiniennes et Israéliennes n’ont cependant pas rejoint ces groupes avec les mêmes objectifs. Dès le départ leurs luttes ont été asymétriques. Les Israéliennes ont milité en tant que citoyennes d’un État constitué alors que les Palestiniennes des Territoires étaient toujours sous occupation militaire. Pour les Israéliennes, les objectifs sont en fait multiples : ne pas rester sans agir, vouloir exprimer sa solidarité, redonner une éthique à la société israélienne et, plus pragmatiquement, refuser de cautionner une société qui réclame aux jeunes un service militaire de plusieurs années. Il y avait aussi clairement pour certaines d’entre elles un désir de connaître l’Autre. Pour beaucoup d’entre elles, ces rencontres avec les Palestiniennes ont été un véritable choc car elles ont découvert des militantes particulièrement aguerries à la défense de leurs propres droits et avec une conscience féministe. Pour les Palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza la volonté de travailler avec des Israéliennes a souvent été motivée par une raison pragmatique : faire connaître et dénoncer, par leur intermédiaire, la réalité de l’occupation.
9 Les Femmes en noir (Nashim Be shahor) est le groupe de protestation le plus connu et le plus actif [6]. Fondé en janvier 1988, il a réuni des femmes israéliennes mais également des Palestiniennes d’Israël qui souhaitaient condamner l’occupation. Groupe de protestation hebdomadaire, il a rassemblé des femmes vêtues de noir, en signe de deuil, principalement à Jérusalem puis dans d’autres villes comme Tel Aviv ou Saint-Jean d’Acre. Les femmes y restaient silencieuses et défilaient sur de petites places avec des pancartes réclamant ouvertement la fin de l’occupation (Daï le kibboush). C’est un groupe particulièrement inclusif qui a pu réunir des femmes juives, arabes, des laïques, des religieuses, des LGBTQ et ponctuellement des manifestants internationaux. Il n’a jamais changé son slogan, ce qui lui a permis d’éviter des dissensions internes, ni de trop s’avancer sur un programme politique. Il n’a jamais ouvertement affiché d’étiquette féministe même si les femmes qui ont rejoint les manifestations et subi les injures sexistes des contre-manifestants déclarent l’être devenues [7]. Les Femmes en noir ont profondément perturbé le discours nationaliste israélien : elles n’ont jamais mis en avant leur identité de mères ni affiché le spectacle d’un deuil national. Elles ont clairement dénoncé l’occupation israélienne et dans leur manifestation hebdomadaire, elles portent le deuil des deux nations et refusent les morts des deux communautés.
10 Dans le registre de la solidarité concrète, le groupe des Women ‘s Organization For Political Prisoners (WOFPP) a également été créé en 1988 [8]. Initié par des Israéliennes, il est venu en aide aux nombreuses femmes palestiniennes qui ont été arrêtées puis emprisonnées dès la première Intifada. Là encore, l’idée était de sensibiliser l’opinion israélienne aux conditions de détention des femmes prisonnières (par des lettres d’information) mais surtout de leur permettre de voir leurs familles et leurs avocats. Ces groupes fonctionnaient sur la base du volontariat, sans moyens financiers, et n’avaient dans leur grande majorité aucune organisation hiérarchisée ni porte-paroles, ni permanences. Par ailleurs des groupes de dialogues ont été créés où les Israéliennes et les Palestiniennes ont été amenées à se rencontrer et à échanger [9].
11 En plus de ces actions régulières, les femmes ont organisé des évènements hautement symboliques dans un contexte de répression armée. Deux grandes marches de femmes pour la paix ont été organisées à Jérusalem en 1988 et en 1989. Dès 1988, un groupe réunissant des Israéliennes et des Palestiniennes des Territoires occupés palestiniens s’était lancé dans la confection d’une gigantesque Nappe pour la paix (Mapat ha shalom) rassemblant des petits patchs brodés, porteurs de messages de paix. Le 6 juin 1988, elles ont marché ensemble, traversé la ville de Jérusalem et ont déplié cet ouvrage devant la Knesset pour protester collectivement contre l’occupation, défendre la réconciliation entre les deux peuples et montrer leur désir d’être intégrées au processus de paix, la nappe étant censée recouvrir la table des négociations.
12 En décembre 1989, une autre grande marche réunissant des Israéliennes et Palestiniennes a été organisée à Jérusalem sous le nom de « Time for Peace ». À l’origine, cette manifestation impulsée par des militantes italiennes pour la paix, devait réunir des ONG palestiniennes et israéliennes et par conséquent être mixte. Pourtant ce sont essentiellement des femmes qui y ont participé. Elles ont formé une grande chaine autour de Jérusalem et ont traversé la ville d’ouest en est, effaçant ainsi symboliquement les frontières entre la partie juive et la partie arabe. Cette manifestation non-violente a été réprimée par l’armée israélienne.
13 Ces démonstrations collectives encouragées et facilitées par des militantes européennes ont préparé d’importantes rencontres internationales de femmes qui, à l’époque, allaient faire figure d’évènements pionniers dans la construction du dialogue israélo-palestinien. Certaines femmes, dont certaines assumaient déjà des responsabilités politiques, ont été invitées à Bruxelles sur l’initiative du CCLJ [10], pour essayer de s’entendre sur des résolutions communes mais également sur l’expérimentation d’un « Réseau de femmes israéliennes et palestiniennes pour la paix ». Ces deux rencontres de Bruxelles ont quelque peu disparu de la mémoire collective, et pourtant les femmes s’y étaient entendues sur des sujets importants et ceci avant la signature des Accords d’Oslo [11]. Grâce à ces rencontres, le Jerusalem Link (réseau bicéphale d’Israéliennes et de Palestiniennes pour la paix) a pu voir le jour notamment grâce à l’octroi de crédits européens. Il a tenté de mettre en place des actions collectives et d’organiser un travail bilatéral. Le Réseau n’a pas résisté aux pressions politiques réciproques du terrain et à la reprise des affrontements générés par la reprise de la colonisation au milieu des années 1990. Cette expérience a été particulièrement dure pour les femmes palestiniennes qui étaient alors accusées de « normaliser » les relations avec les Israéliennes alors que l’occupation et la colonisation perduraient. Les deux antennes du Réseau ont eu alors tendance à fonctionner chacune dans leurs sociétés respectives, travaillant notamment à la défense du droit des femmes.
14 Les femmes ont surtout pu constater que, bien qu’elles aient été à l’avant-garde des actions pour la paix sur le terrain, elles ont été ensuite évincées du processus de négociation politique et diplomatique, comme ce fut le cas en Irlande et à Chypre.
15 À la fin des années 1990, avec la dégradation de la situation, de nouveaux groupes de femmes israéliennes se sont constitués à un moment où il devenait très difficile de poursuivre des actions communes avec les Palestiniennes. Ce sont essentiellement des groupes de mères de soldats [12] qui ont dénoncé la poursuite des opérations militaires notamment dans le Sud du Liban. À cette époque, un groupe a particulièrement fait parler de lui : celui des Quatre Mères (Arba Imaot) qui, à partir de 1998, a entrepris de manifester dans tout le pays afin de dénoncer le recours à des guerres inutiles. Ce groupe de mères israéliennes, défilant en tenues blanches dans tout le pays a été très populaire dans la société israélienne au point qu’il a sans doute contribué à la décision officielle du retrait du Sud-Liban en 2000.
Un repli des luttes communes (2000 à 2014)
16 C’est la reprise des violences de la Seconde Intifada en 2000 qui a conduit certaines Israéliennes à s’engager ou à poursuivre leurs actions plus anciennes. Il est alors devenu difficile, voire impossible, pour les Palestiniennes [13] des Territoires de pouvoir mener des actions communes avec les Israéliennes. À cette époque le camp de la paix israélien a volé en éclats et des militants ont défendu le principe de la séparation (Hafrada) des deux communautés et soutenu l’idée de la construction du mur.
Une radicalisation des luttes de femmes
17 C’est en novembre 2000, contre ce positionnement sécuritaire qu’une Coalition des femmes pour une paix juste a rassemblé différentes organisations féminines pour la paix. Cette coalition a réclamé la cessation immédiate de l’occupation, une pleine implication des femmes dans les pourparlers de paix, une réduction de la militarisation de la société israélienne, une justice sociale et politique pour les Palestiniens d’Israël. La plupart des militantes sont alors proches de la gauche radicale et expriment régulièrement leur opposition aux affrontements militaires. Dans un esprit différent et afin de dénoncer les maltraitances commises envers les Palestiniens des Territoires, lors de leurs déplacements, un groupe de femmes israéliennes (les Machsom Watch) est créé en janvier 2001. Il s’agit d’un groupe de surveillance voué à documenter les exactions et maltraitances commises aux check-points [14].
18 Lors de la reprise de la guerre entre Israël et le Liban en 2006, la Coalition a lancé une vaste opération de pétitions et de manifestations nommée « Femmes contre la guerre ». En novembre 2008, elle a demandé au gouvernement la cessation immédiate du siège contre la bande de Gaza. En janvier 2009, elle s’est opposée à l’intervention militaire. En novembre 2009, la Coalition a décidé de soutenir l’appel palestinien à une résistance non-violente par l’action du mouvement BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions), rejoignant par là même un mouvement international de résistance chargé d’exercer une pression internationale sur Israël. À partir de cette date, ce mouvement a soutenu un projet d’enquête intitulé « À qui profite l’occupation ? », chargé de réfléchir à l’aspect économique de l’occupation israélienne et de mettre en évidence, pour les dénoncer, les profits réalisés par les entreprises israéliennes.
19 La Coalition des femmes pour une paix juste a ainsi non seulement rassemblé l’héritage militant de la période précédente mais radicalisé les discours et les actions. Elle a donné de l’oppression une définition globale : nationale (celle des Palestiniens), ethnique (des Ashkénazes sur les Juifs orientaux), sexuelle (des hommes sur les femmes) ou hétéro-sexiste (hétérosexuels sur les LGBT). Ses militantes se sont également mises à réfléchir sur les conséquences que pouvait avoir dans leur propre société, la projection quotidienne de violences contre les populations civiles palestiniennes. Que voulait dire pour des femmes de vivre dans un pays où la violence militaire était la seule option ? Le pas a été franchi et des femmes ont commencé à soulever la question du lien entre violence militaire et violence contre les femmes dans le pays. C’est d’ailleurs en réponse à ces interrogations que le groupe féministe New profile (Profile Hadash), créé dès 1998, a poursuivi son action de protestation et d’information auprès de la société israélienne. Il a clairement remis en question la militarisation de la société israélienne en soutenant les jeunes qui choisissaient de ne pas faire l’armée en organisant des conférences d’information sur les conséquences sociales et morales de l’hyper-militarisation. Dans ce groupe les voix de femmes ont joué un rôle essentiel [15]. Les femmes ont effet singulièrement contribué à produire une analyse genrée du conflit.
Une analyse « revisitée » du conflit israélo-palestinien
20 Si les femmes ont occupé de manière constante la scène de la contestation, elles ont saisi l’opportunité de ces luttes pour formuler des discours souvent très critiques à l’égard des options politiques et des discours nationalistes. Elles ont patiemment travaillé à leur propre définition de ce que voulait dire « vivre en paix » avec leurs voisins mais également dans leurs sociétés respectives
21 Les Palestiniennes ont saisi l’occasion de ce travail commun pour faire connaître à des Israéliennes la réalité de leur lutte contre l’occupation israélienne et exposer la manière dont elles devaient lutter en tant que femmes pour négocier leur futur statut de citoyenne. Ces luttes pour la paix ont surtout permis aux femmes des différentes sociétés palestiniennes de se confronter à leur propre diversité. Les Palestiniennes ne forment pas un ensemble monolithique, et des différences importantes existent entre les Palestiniennes d’Israël, les Palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza et celles de la diaspora. Pour les Israéliennes, ces « rencontres pour la paix » leur ont permis d’examiner leurs propres oppositions entre Ashkénazes et Juives orientales, hétérosexuelles et LGBT, religieuses et laïques. Ces rencontres ont permis de montrer que l’unité entre les femmes était toute relative et qu’il leur fallait avoir le courage d’examiner leurs propres divisions et les rapports de domination internes.
22 Israéliennes et Palestiniennes ont été amenées à examiner bon nombre d’assignations nationalistes qui leur avaient été imposées par l’état de guerre. Pour les Israéliennes, les luttes pour la paix ont été l’occasion de se positionner sur la notion de maternité considérée comme une contribution indispensable des femmes à la survie et la pérennité de l’État. Dans un pays où le péril démographique arabe a été évoqué depuis la création de l’État, la famille a toujours été présentée comme un pilier de la sécurité et de la stabilité nationales. Dans ce cadre, la contribution des femmes israéliennes à la sécurité est perçue non pas à travers leur service militaire, mais en tant que mères d’enfants qui seront des soldats capables de défendre l’État. Une fois mariées et enceintes, les femmes n’ont plus d’obligation militaire. Quand elles ont créé ces groupes de femmes pour la paix, les militantes ont donc été amenées à réfléchir à ces assignations. Certains groupes ont choisi d’endosser cette identité nationale hautement légitime de mère de soldats (Les Quatre Mères/Arba Imaot en 1998) [16] alors que d’autres groupes ont au contraire essayé de s’en éloigner pour présenter des images de femmes nettement moins rassurantes : les Femmes en noir n’endossaient pas le rôle de mères mais plutôt celui de femmes endeuillées inquiétantes. Par-delà ces divergences, les groupes ont surtout servi d’incubateurs à la naissance de consciences féministes puisque beaucoup de femmes ont senti qu’elles prenaient du pouvoir en manifestant et en ne cautionnant plus la violence.
23 Pour les Palestiniennes ces luttes pour la paix leur ont offert un moment de réflexion sur leur oppression en tant que femmes dans une société conservatrice sous occupation militaire. Le thème de la « double oppression » a été largement évoqué et dénoncé par elles. Largement mobilisées dans les différents comités de femmes représentant les factions politiques palestiniennes, elles ont été particulièrement vigilantes pour éviter d’être, à l’instar des Algériennes, renvoyées à la maison, une fois la lutte nationale terminée. Pour les Palestiniennes d’Israël, ces luttes leur ont permis aussi de mettre en cause les limites de leur militantisme avec des femmes juives voulant éviter tout rapport de domination, tels qu’ils peuvent émerger dans les groupes de femmes pour la paix et dans les groupes féministes. Particulièrement vigilantes sur ces éventuels rapports de domination, les Palestiniennes des Territoires ont par exemple refusé très vite de participer à des actions communes à des périodes où le processus de paix s’effondrait. Pour les Palestiniennes d’Israël, cette route commune avec les Israéliennes les a ainsi souvent conduites à plus d’autonomie, à vouloir faire entendre leurs propres voix et à fonder leurs propres organisations.
24 Le bilan de trente années de luttes des femmes peut donc paraître incertain d’autant plus que l’occupation perdure et que la situation politique reste bloquée. Pire : certains de ces groupes, parmi les plus radicaux, ont fait l’objet d’une répression brutale dans le pays et de campagnes virulentes dans les médias. C’est ainsi qu’en avril 2009, les bureaux du groupe féministe New Profile (Profile Hadash) ont été mis-à-sac, les ordinateurs confisqués et des militantes arrêtées… Des femmes leaders ont pourtant essayé de ne pas relâcher la lutte et de rejoindre des réseaux internationaux soutenant les initiatives de femmes dans la résolution du conflit. À un niveau local, ces quelques groupes de femmes israéliennes ont poursuivi leurs actions ponctuelles de protestation, leur patient travail de collecte d’informations sur les exactions pour intenter des actions judiciaires auprès de la Cour Suprême israélienne (les Machsom Watch). Plus globalement ces groupes ont travaillé en profondeur pour faire connaître aux Israéliens et au monde, les enjeux économiques de l’occupation (New Profile, La Coalition). Mais d’actions communes avec les Palestiniennes, il n’en était plus beaucoup question. C’est dans un contexte de tension extrême, lors de la reprise de la guerre avec Gaza en 2014, qu’un nouveau mouvement de femmes s’est alors constitué, réunissant à nouveau collectivement Israéliennes et Palestiniennes des Territoires.
Le Mouvement « Women Wage Peace » (2014- 2017) : faire la paix à tout prix ?
25 C’est en réaction à la reprise de la guerre contre Gaza, en 2014, que le groupe de femmes pour la paix Women Wage Peace (WWP) [16] a vu le jour. Les circonstances favorables à la fondation d’un nouveau groupe étaient toutes réunies : affrontements militaires, désarroi des populations, impasse politique, présence de nouvelles personnalités prêtes à reprendre le flambeau. La particularité de ce nouveau groupe est d’avoir réussi, en quelques mois, à réunir des effectifs que plus aucun groupe pour la paix n’arrivait à rassembler. Elles sont surtout parvenues, à nouveau, à mobiliser des femmes israéliennes et des femmes palestiniennes. Cela fait maintenant trois années qu’elles organisent régulièrement de grands évènements comme des marches pour la paix et des manifestations avec un mot d’ordre minimaliste « Les femmes sont capables de faire la paix » [17].
26 Elles puisent volontiers leur argumentaire, non pas tant dans l’héritage autochtone des luttes de femmes pour la paix, même si elles reconnaissent certaines filiations avec le groupe des Quatre mères, que dans la convocation d’exemples internationaux où des femmes sont parvenues à faire la paix. Les femmes du Libéria, en particulier l’exemple de la militante pacifiste Leymah Gbowee prix Nobel de la Paix depuis 2011, revient sans cesse dans leurs différents argumentaires. Sur le site des WWP, Donna Kirshbaum femme rabbin, membre des WWP s’exprime ainsi : « Si cela a pu arriver « là-bas », c’est que cela peut arriver chez nous également. Nous étions alors une vingtaine de femmes israéliennes des WWP bientôt rejointes par des Palestiniennes à nous encourager il y a deux ans pendant la période de l’hiver alors que nous commencions à imaginer notre Marche de l’Espoir. « Là-bas », pour nous, c’était le Libéria où des chrétiennes et des femmes musulmanes se sont unies pour se débarrasser d’un dictateur brutal et sont parvenues ainsi à mettre fin à une interminable guerre civile [18]. »
27 Le nouveau contexte international, en particulier la prise en compte dans la résolution 1325 de l’ONU de la nécessité de faire participer les femmes au processus de paix, est désormais favorable aux militantes. [19] Ce sont deux avocates dont l’une ayant des responsabilités dans une organisation internationale, qui sont à l’origine de la création des WWP avec l’idée que les femmes devaient s’emparer des recommandations de la résolution onusienne : Irit Tamir et Michal Barak. Des femmes qui n’avaient jamais été impliquées dans les luttes pour la paix ont également participé à sa fondation. C’est le cas de Marie-Lyne Smadja, qui est désormais à la tête du mouvement et qui, en 2014, est une nouvelle venue dans l’action collective. Ce groupe a pris rapidement de l’ampleur : les WWP bénéficient d’un nouvel environnement numérique qui porte leur contestation. Elles utilisent vite et bien les réseaux sociaux qui accompagnent désormais les mouvements sociaux et qui contestent dans de nombreux pays, le discours des élites politiques [20].
Un narratif militant inclusif
28 Le succès des WWP, en termes de rassemblements tient sans aucun doute à une multiplicité de facteurs. Le plus important est incontestablement leur capacité à produire un narratif militant inclusif en réclamant un retour en négociations de paix tout en prenant soin de ne pas nommer (l’occupation, la colonisation), ni des solutions politiques concrètes. Le narratif des WWP tranche ainsi singulièrement avec les groupes pionniers de la première Intifada où l’occupation israélienne était non seulement nommée mais désignée comme responsable du conflit entre les deux peuples. Les WWP ne veulent laisser aucune femme de côté et s’adressent par conséquent également à celles des villes de développement d’Israël ainsi qu’aux femmes qui vivent dans les colonies juives en Cisjordanie. Pour les cadres du mouvement, il faut redémarrer sur de nouvelles bases car la gestion politique du conflit a échoué :
29 « C’est un mouvement qui dit « je suis pour » et qui ne dit pas « je suis contre ». Il faut un changement de concepts. C’est un mouvement exponentiel. Nous étions seulement 5000 au début puis en l’espace de trois mois nous avons reçu 40 000 soutiens. Il y a à peu près 15 % d’hommes qui sont dans notre mouvement mais ils ne sont pas « au front ». Ce sont les femmes qui sont au front. Ils n’ont pas de poste à responsabilité. Nous avons une vraie visibilité sur le terrain. La paix n’appartient pas à la gauche et la sécurité n’appartient pas à la droite [21]. »
30 Si elles se présentent comme un groupe inclusif accueillant des femmes arabes, juives, religieuses et laïques, les WWP ont néanmoins dans leurs pratiques de mobilisation un rapport au religieux qui n’était pas mis en avant dans la plupart des groupes de femmes pour la paix de l’époque précédente. Il arrivait que certaines militantes israéliennes et palestiniennes évoquent individuellement leur foi comme un élément ayant contribué à leur engagement pour la paix. Mais un seul groupe de mères religieuses orthodoxes (The Women for the Sanctity of life) s’était clairement distingué en 1999 en Israël. Pour l’essentiel, les groupes de militantes ne faisaient aucune mention religieuse. En mobilisant l’exemple des Femmes du Libéria, pour les fondatrices du mouvement il s’agit de montrer que les femmes de toutes les confessions sont parvenues dans ce pays à ramener les hommes à la négociation de paix. Plus que cela, leurs pratiques militantes sont elles mêmes marquées par un esprit de rassemblement religieux. C’est en organisant une grande prière des femmes qu’elles se sont opposées et ont condamné les tensions autour de la question de l’installation des portiques de sécurité sur l’esplanade des Mosquées pendant l’été 2017 : « Cet été avec les évènements des portiques à Jérusalem, nous étions très proches d’une nouvelle guerre religieuse (sic) […] Cela basculait ».
31 Dans un entretien avec Marie-Lyne Smadja, celle-ci a pu confier : « Nous envoyons un message « parvé [22] » qui n’est dans le judaïsme ni basari, ni halavi. Pour faire avancer les choses, il faut faire un contrat, mais nous ne sommes pas systématiquement « contre ». Je me suis dit face aux évènements de l’été : « les gens vont s’entretuer pour une prière et nous on va s’entraider autour d’une prière ». On va s’entraider entre chrétiennes, musulmanes, juives. On s’est mises d’accord sur le sujet. On a créé un petit comité ad hoc. Cela a éclaté dans le mouvement. Il y a des femmes qui n’étaient pas du tout d’accord […] « jamais une prière faite en mon nom » […] Cela ne va pas devenir un mouvement religieux, mais dans certaines situations, il y a des messages qui unissent. Tout est symbolique. Le plus gros conflit est un problème de confiance […] Il y a des femmes de Jérusalem-Est qui sont venues. Nous avions déjà fait en octobre 2014 une « Prière des Mères », et cet été nous avons souhaité faire une « Prière des femmes ». Nous souhaitons en effet faire venir dans le mouvement des jeunes qui sont souvent les plus extrémistes […] Autant la prière des Mères avait été facilement acceptée, autant celle des femmes a été plus difficile à faire accepter […] » [23]
Un mouvement qui ne fait pas l’unanimité
32 Certaines militantes de gauche sont très réservées sur ce mouvement qui ne parle pas des sujets qui fâchent. Ainsi d’anciennes militantes des Femmes en Noir ou de la Coalition sont souvent très dures avec ce mouvement qui fait reculer, selon elles, les luttes de femmes dans leur potentiel émancipateur et révolutionnaire. Orly Noy, activiste politique contre l’occupation, ancien membre de la Coalition des Femmes et blogueuse, a rédigé en octobre un article extrêmement dur contre l’action des WWP. Pour elle, ce mouvement mobilise trop la maternité dans son argumentaire pour défendre la paix. Elle se pose aussi la question d’un mouvement qui accepte en son sein des femmes des implantations sans se poser la question du rôle de la colonisation dans la poursuite de la guerre. Pour elle, il y clairement une guerre autour des mots qui sont employés :
33 « Que demanderont ces femmes quand elles seront assises à la table des négociations ? Quelles sont leurs demandes ? Leurs lignes rouges ? Même la femme palestinienne [24], la seule qui vienne de Cisjordanie, d’Hébron une ville qui vit sous apartheid, n’a pas mentionné une seule fois le mot occupation… (…) Pas un mot sur les check-points, ni sur les difficultés qu’elle a dû rencontrer pour obtenir un permis de la part de l’armée pour se rendre en Israël. Occupation ? Oubliez. On parle du conflit, un mot plus agréable, plus symétrique que le mot occupation [25]. »
34 Malgré ces critiques, les WWP sont ambitieuses. Leur grand chantier est de parvenir à organiser un Lobby de femmes pour la paix et la sécurité à la Knesset réunissant à la fois des Israéliennes et des Palestiniennes. Elles se sont lancées, depuis octobre 2017, dans une opération de lobbying auprès des députés de la Knesset pour les convaincre de reprendre impérativement le chemin des négociations. Depuis, chaque semaine elles rencontrent ainsi des députés des différents partis de la Knesset et réclament de mettre en application la Résolution 1325 sur les questions politiques et la gestion du conflit. Elles souhaitent que toutes les semaines, les députés israéliens rendent des comptes sur l’état d’avancement de leurs efforts pour parvenir à une résolution du conflit [26].
35 Cette idée n’est pas neuve : en 1977 Marcia Freedmann, leader historique du mouvement féministe israélien avait déjà, à l’occasion des élections législatives, essayé de fonder un Parti de femmes associant des Israéliennes juives et arabes. Si elle n’est pas parvenue à présenter à l’époque une liste commune aux élections, elle avait néanmoins fondé ce parti qui avait défendu ouvertement le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à la justice. Ce parti avait également dénoncé la politique militariste d’Israël et ses conséquences budgétaires en particulier, en dénonçant les faibles sommes consacrées aux dépenses sociales. À la différence de ce parti disparu aujourd’hui, les WWP sont davantage centrées sur les questions de la sécurité de l’État d’Israël et ne se présentent à aucun moment comme antimilitaristes. Elles demandent à ce que le Cabinet de sécurité (qui décide des options militaires), soit davantage contrôlé afin d’éviter le déclenchement arbitraire de futures guerres et d’opérations militaires inutiles. En ce sens, les WWP sont donc loin de certains discours féministes qui prônaient la démilitarisation de la société israélienne. On le voit les luttes se poursuivent mais les idées se reconfigurent…
Conclusion
36 Israéliennes et Palestiniennes sont donc, depuis trente ans maintenant, à l’avant-garde des luttes pour la paix. Certaines militantes israéliennes ont clairement radicalisé leurs positions et réalisé que les luttes de femmes avaient un potentiel révolutionnaire, permettant de dénoncer l’oppression au sens large (politique, nationale, sociale, sexuelle) et d’établir un lien entre les formes de violences (violence militaire et violence domestique). Elles se sont investies dans des luttes non-violentes qui ont eu le mérite de maintenir le lien avec l’Autre, d’exprimer leur solidarité et de limiter les atteintes aux droits des personnes. L’investissement des femmes palestiniennes sur la longue durée a été rendu plus difficile par l’asymétrie des luttes et par la non-application des Accords de paix. Des femmes leaders se sont en revanche investies dans la construction de réseaux internationaux de femmes pour la paix.
37 Du côté israélien, ces groupes de femmes se sont renouvelés et ont souvent utilisé la posture de mères de soldats pour asseoir la légitimité de leurs luttes. Le succès des WWP sur le terrain en termes de puissance de mobilisation interroge notamment des organisations pour la paix comme La Paix Maintenant (Shalom Ahshav) qui peinent aujourd’hui à mobiliser. La récente commémoration de l’assassinat d’Itzhak Rabin à Tel Aviv en novembre 2017, où dans les discours des organisateurs, il n’a plus été question d’occupation israélienne, mais surtout d’impératif sécuritaire, semble aller dans le même sens d’une forme de « dépolitisation » du militantisme [27]. Reste que dans cette période de blocage total, de crise de défiance envers les politiques du côté israélien comme du côté palestinien, des femmes arrivent à se retrouver et à marcher ensemble. Nul ne peut leur dénier ce tour de force.
Notes
-
[1]
Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, éditions Complexe CNRS-IHTP, 2008.
-
[2]
Valérie Pouzol et Danielle Storper-Perez, « Les héroïnes sont-elles fatiguées ? », in Israël une Nation à la recherche d’elle-même, Confluences Méditerranée, 1998, pp.119 à127.
-
[3]
Il y a eu pendant la première Intifada une quinzaine de groupes de femmes contre l’occupation et la violence militaire.
-
[4]
Valérie Pouzol, « Genre et militantisme pour la paix en Israël », in Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Science-Po, 2009, p. 261 à 276.
-
[5]
-
[6]
Il est toujours actif aujourd’hui mais de manière confidentielle et essentiellement à Jérusalem. Il a des branches dans plusieurs pays (France, Etats-Unis).
-
[7]
Sarah Helman, Tamar Rapoport, « Women in black : Challenging Israel’s Gender and Socio-Political Order, in British Journal Of Sociology, n°48, 1997, pp. 681 à700.
-
[8]
Les WOFPP sont toujours en activité. http://www.wofpp.org/english/home.html, en ligne le 6 décembre 2017.
-
[9]
Ayala Emmet, Our Sister’s Promised Land, Women, Politics and Israeli-Palestinian Coexistence, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996.
-
[10]
C’est le Centre Communautaire Laïc Juif de Bruxelles qui avait eu cette initiative et en particulier David et Simone Susskind.
-
[11]
Des femmes politiques de premier plan y ont signé des Déclarations de principes en 1996 et en 1999, réclamant le droit à l’autodétermination des Palestiniens, la création de deux États, Jérusalem capitale pour les deux États, l’arrêt immédiat de la colonisation, une juste solution au problème des réfugiés, le respect des conventions internationales, la pleine intégration des femmes à de futures négociations de paix. Elles mentionnaient un retrait de tous les territoires occupés y compris sur le Liban et la Syrie.
-
[12]
On compte à cette époque trois groupes de mères israéliennes dont un groupe de mères religieuses orthodoxes.
-
[13]
Sur la difficulté de poursuivre des actions communes avec les Israéliennes, se reporter au récit de Sumaya Farhat-Nasser, Le Cri des oliviers. Une palestinienne pour la paix, Genève, Labor et fides, 2004.
-
[14]
Sur ce groupe voir Karine Lamarche, « Sous le regard des mères : la surveillance des check points par des militantes israéliennes, in Israël : l’enfermement », Paris, Confluences Méditerranée, 2005, p.171 à 179.
Voir par exemple une petite exposition virtuelle sur leur site « Making Militarism Visible », http://www.newprofile.org/english/Exhibition, en ligne le 6 décembre 2017. -
[15]
Plusieurs groupes de mères ont fait leur apparition, les Mères contre la guerre, La Cinquième Mère et un groupe de mères religieuses orthodoxes The Women For The Sanctity Of Life.
-
[16]
http://womenwagepeace.org.il/en/, en ligne le 5 décembre 2017.
-
[17]
Elles ont organisé deux évènements d’envergure ; la Marche de l’Espoir en 2016 et La Route de la Paix en 2017.
-
[18]
http://womenwagepeace.org.il/en/women-wage-peace-march-hope-rabbi-donna-kirshbaum-knows-magazine-awakening-women-2017/, en ligne le 5 décembre 2017. Extrait traduit par l’auteure.
-
[19]
Sur cette question et sur l’existence d’une commission internationale d’Israéliennes et de Palestiniennes pour une juste paix établie depuis 2005, voir Anat Saragusti, « Israel and the UNSCR 1325 » in Women and Power, Jérusalem, Palestine-Israel Journal, 2011, pp.55 à 58.
-
[20]
Manuel Castells, Communication et pouvoir, Paris, éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 2013.
-
[21]
Entretien avec Marie-Lyne Smadja, WWP, septembre 2017, Tel Aviv.
-
[22]
Dans les règles alimentaires de la kasherout juive, le parvé est un aliment « neutre » qui n’est ni lacté (halavi), ni carné (bassari).
-
[23]
WWP, Tel Aviv, septembre 2017.
-
[24]
Il s’agit d’Huda Abu Arqoub, membre des WWP, originaire d’un village près d’Hébron.
-
[25]
Orly Noy « How can women wage peace without talking about occupation ? 972 Magazine, 13 octobre 2017. https://972mag.com/how-can-women-wage-peace-without-talking-about-occupation/130186/, en ligne le 5 décembre 2017. Traduction de l’auteure.
-
[26]
Entretien radiophonique, sur Kol Israël de Marie-Lyne Smadja sur la création du « Lobby des femmes pour la paix et la sécurité, http://womenwagepeace.org.il/en/marie-lyne-smadja-kol-israel-en-francais-30-1-17/en ligne le 6 décembre 2017. En français.
-
[27]
Gideon Levy, « Israel’s Yitzhak Rabin Memorial 2017. War is over if you want it-Just don’t mention the Occupation », Haaretz, 5 novembre 2017, https://www.haaretz.com/israel-news/1.820988, en ligne le 6 décembre 2017.