Notes
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[1]
Voir à ce sujet la déclaration du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) qui s’est félicité de la prudence du chef de l’État français. http://www.lecfcm.fr/?p=3176 Consulté le 3 mai 2013.
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[2]
Entretien de l’auteur avec l’historien Jean-Louis Triaud, correspondance électronique, 2 mai 2013.
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[3]
Op. cit.
-
[4]
Ibid.
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[5]
Ibid.
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[6]
Ibid.
-
[7]
Ibid.
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[8]
http://www.liberation.fr/monde/2013/04/23/mali-l-assemblee-autorise-la-prolongation-de-l-operation-militaire-francaise_898108 Consulté le 1er mai 2013
-
[9]
http://www.slateafrique.com/98239/mali-ansar-dine-renonce-lapplication-de-la-loi-islamique-dans-tout-le-pays Consulté le 10 mai 2013
-
[10]
http://www.mnlamov.net/projet-politique.html Consulté le 1er mai 2013
-
[11]
http://www.tunisie-berbere.com/declaration-fondatrice-mouvement-national-de-lazawad-300-11112010 Consulté le 1er mai 2013
-
[12]
Les programmes Pan Sahel Initiative puis l’Initiative transsaharienne de lutte contre le Terrorisme ont été mis en place par le Pentagone, respectivement en 2002 et 2004.
-
[13]
2012 Global Terrorism Index. Capturing the Impact of Terrorism for the Last Decade, Institute for Economics and Peace, p. 12. Accessible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.visionofhumanity.org/wp-content/ uploads/2012/12/2012-Global-Terrorism-Index-Report1.pdf Consulté le 28 mars 2013
Mali et « terrorisme » : des réminiscences françaises de « la doctrine Bush » ?
1 En janvier 2013, la France, sous la présidence de François Hollande, s’engageait militairement au Mali, au nom de « la guerre contre le terrorisme », selon les propres mots du chef de l’État. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a parlé de son côté d’activités « de(s) terroristes criminels ». Ces déclarations, aux accents belligènes, peuvent étonner à un double titre : d’une part, ce genre de phraséologie est traditionnellement le fait d’une certaine droite française qualifiée à tort ou à raison d’atlantiste, notamment depuis son soutien à la campagne militaire américaine en Irak en 2003, et, d’autre part, de manière plus spécifique, elle fut l’une des principales marques de fabrique de l’administration George W. Bush. En effet, entre 2001 et 2009, il a été l’initiateur de deux interventions armées : d’abord en Afghanistan, puis en Irak, considérés alors, dans le contexte de l’immédiat post 11 septembre 2001, comme deux pays de « l’axe du Mal », c’est-à-dire des territoires promouvant et exportant le « terrorisme » à l’échelle mondiale.
2 Ainsi, au moins au niveau de la grammaire mobilisée, la campagne française au Mali rappelle l’un des deux thèmes phares de la doctrine Bush, à savoir la « guerre préventive » (Preventive War), à côté de celui, plus explicite encore, de « guerre globale contre le terrorisme » (Global War on Terror). Pourtant, les deux expressions, que ce soit sur les théâtres afghan, irakien ou malien, ne caractérisent aucunement le profil exact des acteurs visés par de telles dénominations. Elles ne distinguent pas non plus les groupes, fusionnés sous le label homogénéisant de « terroristes ».
3 Si, semble-t-il, les officiels français évitent, depuis les débuts de la mission malienne, d’associer « islamisme » ou « islamistes » à « terrorisme » et « terroristes », sans doute pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec les musulmans de notre pays [1], en revanche, l’amalgame est souvent effectué dans nos médias et un certain nombre de politiques, de sorte qu’un raccourci, tantôt latent tantôt explicite, s’opère dans l’inconscient collectif entre spiritualité musulmane et excroissances politiques violentes accomplies au nom de l’islam.
Les maux d’un mot
4 Tandis que les termes « islamisme » ou « islamistes », qui n’offrent déjà en eux-mêmes aucune définition consensuelle au plan académique (Burgat, 2006:79-99), tendent quelquefois à être associés dans la presse française, et de plus en plus à l’aune du conflit armé au Mali, à « terrorisme » et « terroristes », rappelons brièvement qu’à lui seul le vocable terrorisme renfermerait « quelque 109 définitions en concurrence », et ce dès « les années 1980 » (Sommier, 2002/4, 525-533:526). Ceci appelle donc de notre part une très grande prudence quant à l’usage de ce terme. Sans se noyer dans les détails, disons pour commencer que l’islamisme est un mouvement social d’acteurs (islamistes) consistant à puiser dans les ressources symboliques (narratives, sémantiques et interprétatives) de l’islam, les moyens de construire un État et une société alternatifs au modèle occidental, en appliquant en public et en privé les dogmes religieux, à des degrés divers. Cela dit, sous des termes identiques, à savoir islamisme et islamistes, fréquemment galvaudés dans le langage ordinaire, on peut trouver aussi bien des partisans de la guerre ou du jihâd (Al-Qaïda, Aqmi, etc.) que des légitimistes (Parti de la Justice et du Développement marocain, AK parti en Turquie, etc.). favorables au pluralisme politique aux règles de l’État de droit.
5 Des mots, a fortiori chargés symboliquement tels que terrorisme, constituent des pièges. En effet, ils sont susceptibles d’affecter notre perception du monde et d’altérer à cette aune notre compréhension des événements, comme c’est le cas aujourd’hui au Mali. Ces mots sont en soi la proie d’une âpre compétition politique (Michaud, 1978), d’une lutte idéologique incessante entre différents agents sociaux pour en contrôler les usages, pour s’auto-qualifier et/ou disqualifier les adversaires. La taxinomie se trouve ainsi au cœur d’une « lutte de classements », au sens où l’entend Pierre Bourdieu ; en d’autres mots, « une lutte pour la représentation légitime du monde social » (Bourdieu, 1982:13-14). « Terrorisme » et « terroristes », des termes encore plus anxiogènes que islamisme et islamistes, méritent donc un traitement circonstancié et circonstanciel, dans la mesure où de manière moins bénigne, un opposant politique peut être ou devenir, selon les cas, un criminel de droit commun, un terroriste, un dissident, un contestataire ou un schizophrène ; ce n’est pas simplement une question de mots » (Michaud, Ibid : 92).
6 En effet, les vocables terroriste ou terrorisme, très souvent utilisés dans l’histoire de façon polémique, méritent à cet égard d’être rigoureusement interrogés, déconstruits et contextualisés, aux fins de mieux comprendre les crises et les conflits actuels qui déchirent le monde musulman. Isabelle Sommier relève que « la première définition (du terrorisme) de droit international (est) adoptée en 1937 par la Société Des Nations (SDN), pour laquelle il s’agit “de faits criminels dirigés contre un État et dont les fins ou la nature consistent à provoquer la terreur à l’encontre de personnes déterminées, de groupes de personnes ou du public” » (Sommier, Ibid : 525). Cela n’a pourtant en rien suffi à en délimiter définitivement les contours. Peut-être faudrait-il y renoncer définitivement ?
Terrorisme : une appellation d’origine non contrôlée ?
7 Il n’est donc pas inutile à ce stade de rappeler que les nazis et le régime de Vichy, au cours de la Seconde Guerre mondiale (1939- 1945), taxaient les résistants de « terroristes » ; l’État français de la Vème République, durant la guerre d’Algérie (1954-1962), en faisait de même vis-à-vis du FLN (Front de Libération Nationale) et ses fellaghas (indépendantistes algériens) ; de la même manière que l’État-FLN, pendant les années de répression des oppositions politiques, au début des années 1990, taxait à son tour les militants islamistes du FIS (Front Islamique du Salut), pourtant sortis victorieux des urnes, de « terroristes » (Hafez, 2004:37-60) ; sans compter l’État israélien qui, qualifiant le Hamas palestinien de mouvement terroriste, est à son tour taxé par ce parti et les militants pro-palestiniens du monde « d’État terroriste ». Le politiste David Cumin met clairement en évidence la lutte symbolique qui se joue derrière un tel mot (Cumin, 2011:63-101). En règle générale, même s’il peut y avoir des exceptions, c’est le lot des régimes autoritaires ou répressifs que de ne jamais parler de leur propre violence. En effet, ceux-ci préfèrent évoquer, en temps de répression et de fortes tensions avec l’opposition, le fait « qu’ils exécutent des « terroristes », déportent des « parasites sociaux », emprisonnent des « criminels de droit commun » (Michaud, Ibid : 89). C’est autrement moins coûteux au plan de la communication internationale.
8 L’une des premières thématisations du terme « terrorisme », qui date du XVIIIe siècle, nous vient de l’époque de la Terreur. Il signifie alors, grosso modo, le recours à la violence pour arriver aux fins ultimes de la Révolution de 1789 (Daguzan, 2006). Nous allons voir, de nouveau avec la sociologue Isabelle Sommier, qu’il est préférable de substituer à terrorisme, « violence totale », montrant par là même que celle-là (la violence totale), quand elle est embrayée, consiste en une « indiscrimination des victimes » ; en d’autres termes, cette violence ne distingue plus entre les symboles du pouvoir combattu (États ou acteurs étatiques), et les victimes collatérales sommées de choisir un camp. À cette aune, on pourrait ainsi en conclure que d’autres types de violence, prenant cette fois-ci pour cibles des catégories de population précises, par exemple des représentants de l’État, relèveraient davantage de « l’assassinat politique » que du terrorisme proprement dit.
9 Malgré les effets désastreux pour l’image et la situation des musulmans du monde consécutive aux attentats de New York du 11 septembre 2001, il convient de rappeler, même si cela semble relever de la banalité, d’une part, que le terrorisme et la violence totale ne sont pas nés avec l’islam ou l’islamisme, et, d’autre part, qu’il est pratiqué encore aujourd’hui dans le monde par des groupes hétéroclites qui n’ont rien à voir avec l’islam. Jean-François Daguzan, ainsi que d’autres politologues à l’instar d’Olivier Roy (Roy, 1992, 2004), en donne des exemples tangibles. Il cite de nombreux groupes ou organisations terroristes qui ont sévi en Europe ou en Occident dans les années 1970-1980, en Asie, en Corse, etc., (Daguzan, Ibid : 70-108), lesquels n’étaient effectivement pas forcément de nature religieuse, mais plutôt profane ou séculière. Par conséquent, il n’y a pas de lien établi ou privilégié entre, d’un côté, terrorisme ou violence totale et de l’autre, religion (islam inclus) pas plus qu’il n’y a d’identité substantielle ou essentielle du terrorisme ou du terroriste. Il ne s’agit pas d’isolats sociaux qu’on pourrait traiter indépendamment du contexte sociopolitique où il prend racine et peut se développer.
Démêler l’écheveau groupusculaire malien
10 Depuis au moins une dizaine d’années, soit bien avant la séquence récente de janvier 2013, le Sahara occupe le devant de la scène politique internationale. Cela est en partie lié à la richesse du sous-sol, à la présence de groupes radicaux aux revendications multiples (création d’un État islamique, application de la sharî‘a, etc.), à quoi s’ajoute le développement de trafics en tout genre (cigarettes, drogues, armes, etc.), avec des problématiques connexes telles que l’immigration clandestine des Subsahariens et l’insécurité attenante pour les États limitrophes et les civils (Hérodote, n° 142, 2011).
11 Il ne s’agira pas d’entrer trop en détail dans la particularité de chacun des groupes ou organisations impliqués dans des combats armés au nord Mali. Ils sont grosso modo au nombre de quatre, avec des interrelations qui rendent de fait les catégorisations complexes et les frontières idéologiques éminemment étanches : AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest), Ansar Eddine et le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad). « Les gens d’Ansar Eddine et ceux du MNLA sont des frères ennemis issus de la même matrice du mouvement touareg que constitue l’Adrar des Ifoghas, un bastion montagneux [2] » :
12 « Ansar al-Din (ou Ansar Eddine) est une scission du mouvement indépendantiste touareg qui a déjà un demi-siècle d’existence, et dont Iyad ag Ghali, le chef d’Ansar Eddine, fut un des dirigeants historiques. Sous Amadou Toumani Touré (2002-2012), Iyad ag-Ghali avait été un interlocuteur privilégié de l’Etat malien qui l’envoya comme agent consulaire en Arabie saoudite, où il fraya avec les courants radicaux et fut, pour cette raison, expulsé d’Arabie saoudite (là est sans doute l’origine de son basculement vers les thèses radicales). Iyad ag Ghali servit aussi à plusieurs reprises d’intermédiaire avec l’Etat malien et, par lui, avec d’autres pays européens dans les négociations au sujet de certains otages. Lorsqu’Iyad ag Ghali, rentré au pays, voulut reprendre la direction du mouvement touareg, il fut rejeté par ses anciens amis qui avaient constitué le MNLA sans lui, et sur des bases, non pas religieuses, mais purement nationalitaires et séparatistes [3] ».
13 Ansar Eddine, dont le leader est aux origines un proche de ceux qui constitueront l’ossature du MNLA, a les mêmes velléités autonomistes ou indépendantistes que ce dernier mouvement. Mais, à sa grande différence, il opte ouvertement pour « un programme islamiste » ; partant, il milite activement pour la prise en compte de la dimension normative de la religion dans les espaces privé et public. Pour autant, il est sans doute inadéquat de le qualifier de « terroriste », même si son recours à la violence physique est attesté, selon l’acception retenue supra « violence totale ». Toujours est-il que le département d’État américain, lui, l’a inscrit depuis mars 2013 au nombre des « organisations terroristes étrangères », car, avec AQMI, il a occupé durant dix mois le nord Mali avec une application de peines et de châtiments corporels au nom d’une lecture rigoriste, littéraliste de l’islam. « C’est un mouvement purement touareg (et principalement Ifoghas) », qui, bien qu’entretenant « une coopération avec AQMI dans des proportions difficiles à évaluer, a un agenda « touareg malien », à la différence d’AQMI [4] », plus internationaliste. Par ailleurs, Ansar Eddine et le MLNA sont en conflit pour contrôler une partie du territoire malien, le premier s’imposant au détriment du second, à Tombouctou en particulier, mais les relations entre les deux organisations sont rythmées par des alliances et contre-alliances fluctuantes selon l’évolution des rapports de force du moment :
14 « Parallèlement, le MNLA, après ses défaites, essaie de jouer la carte française pour se rétablir sur la scène (notamment à Kidal, le chef lieu de la région où se trouve l’Adrar des Ifoghas). Depuis longtemps, sous Sarkozy comme sous Hollande, les experts militaires français ont soutenu le MNLA, dans lequel ils voyaient une force « laïque » capable de s’opposer aux jihadistes. La suite a montré que ce calcul était d’autant moins pertinent que, outre la faiblesse militaire et politique du MNLA (qui est loin de représenter tous les Touaregs), il y a une certaine porosité entre Ansar al-Din et le MNLA à la base, parce que les deux mouvements sont principalement issus du même groupement Ifoghas et que leurs membres sont souvent parents. Comme cela est fréquent dans les guerres du désert, tout changement dans les rapports de forces entraîne des « migrations » vers le vainqueur du moment, et donc du MNLA vers Ansar Eddine lorsque le premier est en difficulté [5] ».
15 « Le MUJAO, lui, est une scission organisationnelle d’AQMI fondée par un Mauritanien, mais qui recrute principalement, maintenant, des Africains subsahariens et des « migrants » des autres groupes. Il dispose de moyens financiers importants (nés des trafics de la drogue, des armes etc.) dans la région, qui lui permettent de s’armer et de recruter des jeunes attirés par la solde qui leur est versée [6] ». Pour l’historien Jean-Louis Triaud, ce groupe « est une sorte de rébellion islamiste et jihadiste autonome plutôt basée dans le Sud du Nord ».
16 Enfin, AQMI est « un mouvement jihadiste algérien », constitué à partir de l’ancien Groupe pour la Prédication et le Combat (GSPC) rebaptisé AQMI après les attentats du 11 septembre 2001. AQMI serait beaucoup moins arc-bouté que le MUJAO et Ansar Eddine, sur un territoire en particulier.
17 Loin d’être animés d’une intention unifiée avec des modes d’action tout à fait identiques, tous ces mouvements sont à la fois en compétition les uns avec les autres, parfois violemment ; a priori ils ne sont donc pas nécessairement animés d’une soif de meurtres ou d’assassinats « aveugles » de civils. Solidaires pour promouvoir un islam combattant et pour faire face à leurs adversaires, les trois organisations islamistes (AQMI, Ansar Eddineet MUJAO) ont aussi certaines divergences en matière de doctrine et de stratégie qui ne sont pas faciles à analyser à distance. Cela n’exclut pas des transferts et des connivences entre les uns et les autres selon les moments [7] ». Cette complexité empirique ou factuelle accroît le caractère hasardeux de l’emploi indiscriminé du vocable « terroriste(s) » qui obscurcit l’analyse beaucoup plus qu’il ne l’éclaire d’un jour nouveau.
18 Or, dans la presse française, et les exemples en l’espèce sont légion, tous ces groupes ne sont pas toujours clairement identifiés, en particulier AQMI, Ansar Eddine et le MUJAO, fréquemment désignés par la terminologie essentialiste « islamistes » (Le Figaro, Berthemet, 2012), parfois « jihadistes », voire « groupes terroristes » (AFP [8], 23 avril 2013). À ce sujet, la presse ne fait quelquefois que reprendre les déclarations officielles de représentants de l’État français. Prenons ici deux exemples significatifs qu’on aurait peut-être tendance à amalgamer un peu vite, en raison de leur présence dans la région malienne, de l’emploi d’armes et de l’application avérée de points de la sharî‘a à des populations désarmées : Ansar Eddine et le MNLA. Tous deux se défendent évidemment d’être des terroristes et se prévalent au contraire d’être acteurs de la « guerre sainte » (Ansar Eddine) ou d’« un mouvement national » (MNLA). Si le premier use effectivement très largement d’un vocabulaire islamique messianique, en invoquant le nécessaire retour à la religion par l’application de la « sharî‘a islamique » sur tout le Mali, avant de ramener cette exigence, sous la pression militaire africaine et tactiquement, au fief de Kidal (Slate Afrique, 14 novembre 2012) [9], le second, en revanche, même s’il emprunte faiblement le langage de l’islam (« un appel solennel à tous les musulmans de l’Azawad à maintenir leur pratique d’islam conformément à la sunna du prophète Mohamed [10] »), revendique clairement une autonomie ou une indépendance des régions de Tombouctou, Kidal et Gao. Selon la charte fondatrice du MNLA, ce dernier se déclare ouvertement pacifiste, invitant « l’État du Mali à la reconnaissance totale des droits historiques du peuple de l’Azawad et la réponse adéquate à résoudre le problème de l’Azawad de façon pacifique et définitive [11] » (1er novembre 2010). L’anthropologue Gilles Holder est on ne peut plus explicite à ce propos : « Sur le plan politique, il y a un amalgame problématique à propos des forces rebelles du Nord. Même s’il y a des recoupements et des collusions avec le MNLA, le mouvement Ansar Eddine n’est pas de même nature que le djihadistes d’Aqmi ou Mujao. Si Aqmi est présent depuis 2003, le conflit actuel est d’abord une rébellion emmenée par une organisation touarègue, le MNLA, qui se constitue fin 2011 sur un paradoxe : parti d’un regroupement politique, identitaire, régionaliste et laïque, le MNLA se renforce et se militarise avec l’arrivée de combattants touaregs qui servaient Khadafi et luttaient notamment contre les salafistes radicaux ». (Holder, Mediapart.fr, 2013)
19 En outre, les tensions actuelles au nord Mali sont fondamentalement liées à l’instabilité politique du pays en partie inhérente aux conséquences d’un coup d’État fomenté par un groupe de soldats mutins le 22 mars 2012 contre le régime du président Amadou Toumani Touré. Ce dernier fut renversé à cette occasion, alors qu’un lent processus démocratique s’était mis en place depuis au moins deux décennies. C’est de cette période que commence précisément à poindre une forte déstabilisation du Nord par « une rébellion armée » laquelle s’inscrit dans le prolongement de soulèvements récurrents (1983-1991, 1994-1996). Cette déstabilisation s’est ensuite accentuée et accélérée après la chute de Mouammar Khadafi, via le chaos politique crée, le déplacement de populations, activistes armés au premier chef.
20 Le Sahara, dont fait partie intégrante le territoire malien, est un espace très convoité par une multitude d’acteurs étatiques ou non, et met clairement en concurrence et en compétition économique les pays du Nord et les pays émergents. Ceux-là cherchent à contrôler ou à s’approprier une grande partie du marché des richesses pétrolières et minières telles que l’uranium, le fer, le charbon, le manganèse, etc. Les rébellions touarègues dans les années 1990 et 2000 ont affecté partiellement les circulations, qu’elles soient marchandes ou humaines (Scheele, 2009), en dépit du climat d’insécurité dans un espace marqué par la présence de différents types de groupes armés, et l’essor du transit de stupéfiants (pas moins de 15 % de la production mondiale de cocaïne transiterait par l’Afrique de l’Ouest). Le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), avatar des Groupes Islamiques Armés (GIA) issu de l’arrêt brutal du processus électoral algérien en 1991, est devenu depuis à peine quelques années AQMI. Là aussi, ce sont des échecs et la répression politique en Algérie qui ont concouru à l’émergence de ce genre d’organisations par ailleurs infiltrées quelquefois par les services algériens. Son effectif avoisinerait entre 300 à 500 personnes. Il aurait déployé ses activités dans l’espace sahélo-occidental (Mauritanie, Mali et Niger) où son organisation se livre, entre autres, à la prise d’otages ; celle-ci opérerait essentiellement à la frontière nigéro-malienne.
Les véritables ressorts de la violence politique au Mali et dans le monde musulman
21 La présence française au Mali, à côté de celle des Etats-Unis [12] (moins médiatisée) s’effectue dans une région marquée par de forts enjeux économiques et sécuritaires étroitement imbriqués, entre donc pleinement dans le cadre plus vaste d’une compétition économique mondiale. Il faut savoir que la pénétration américaine au Sahara ira croissant au début des années 2000. À partir de mars 2004, des soldats US, des forces spéciales s’établissent à Bamako, Gao et Tombouctou. À ce propos, le Mali aurait reçu des États-Unis une enveloppe de 475 000 dollars afin de permettre aux autorités locales d’installer une rampe aérienne sur la base de Sénou à Bamako, certes pour garantir à la fois leur sécurité et celle des pays de l’espace saharo-sahélien, mais également pour se positionner face aux visées expansionnistes de la Chine, notamment sur les industries extractives (Hérodote, n° 142 , 2011). Il n’est par conséquent pas exclu que la France poursuive elle-aussi, dans le cadre d’une compétition économique mondialisée, des buts à la fois sécuritaires et économiques, aux fins de conserver une influence dans la région. Toutes ces activités et manœuvres n’étant pas forcément bien vues par les populations locales, tant s’en faut.
22 La question qu’il importe ainsi de poser est la suivante : cette présence étrangère, qui peut être perçue à tort ou à raison par les autochtones comme une violence symbolique de type néocolonial, n’a-t-elle pas eu comme effet pervers potentiel de radicaliser davantage les groupes autochtones en présence, déjà en froid avec les autorités locales ?
23 En réalité, sur le théâtre malien, il serait imprudent, d’une part, de lier islam, islamisme et terrorisme, dans une espèce de continuum, et, d’autre part, de manière contrefactuelle, d’homogénéiser à outrance les groupes contre lesquels l’armée française se bat, car ceux-là, on l’a vu, sont hétéroclites, mus par différents objectifs, qui n’ont pas forcément à voir avec un projet islamo-islamiste. Faut-il ne percevoir, dans le conflit malien, que la trace indubitable du « terrorisme » au sens de « violence totale, laquelle serait exercée par toutes les parties en conflit ? Non, car de facto certains de ces activistes armés n’usent pas d’une violence aveugle et systématique, en ne faisant nullement la différence entre civils, militaires (locaux ou étrangers) et symboles étatiques.
24 Par ailleurs, derrière le vernis « terroriste », « islamiste » ou le langage islamique des acteurs, se profilent très souvent des mobiles tout à fait profanes, parmi lesquels : la répression des opposants islamistes, comme en Algérie dans les années 1990, et ses effets à long terme avec la constitution des GIA et d’AQMI ; la captation des ressources issues d’un trafic mondialisé dans lesquels les groupes locaux mettent à profit des savoir-circuler ; « la persistance du chômage et des injustices (…), l’absence de progrès économiques et sociaux qui jouent en faveur des groupes armés islamistes dans (la) région » (Masson, 2011:165) ; une marginalisation politique au sein des instances de représentation étatiques ; « le processus de libéralisation des économies ouest-africaines lancé dans les années 1980, les plans d’ajustements structurels imposés alors par la Banque mondiale ont largement fragilisé les sociétés, en tout cas les ont « insécurisées » (Holder, Ibid).
Eléments de conclusion provisoire
25 Au-delà du Mali, les plus récentes statistiques concernant le « terrorisme » montrent que les actes qui entrent dans cette catégorie ont principalement lieu dans des zones de forte instabilité politique intérieure. Depuis 2002, l’Irak et l’Afghanistan totalisent à eux seuls 35% des actes dits « terroristes » sur la planète. Et la religion n’est pas forcément le déterminant significatif, causal quant au passage à l’acte des groupes ou individus se réclamant effectivement d’une idéologie politico-religieuse [13]. Il ne faudrait pas pour autant tout sacrifier à l’idéologique, au religieux, comme s’il pouvait tout expliquer à lui seul.
26 Quand des groupes islamistes sont effectivement impliqués dans des attentas comme au Pakistan, en Afghanistan, en Inde, au Yémen, en Somalie, en Russie, aux Philippines, etc., toutes ces dernières années, ceux-là agissent, pour l’essentiel, au sein de régimes autoritaires, où règnent des formes variées de néo-patrimonialisme, de corruption, de népotisme, des clivages confessionnels alimentés par le pouvoir central, et, dans certains cas, la présence de forces militaires étrangères (en Afghanistan par exemple) considérées par des segments entiers de la population autochtone comme occupantes. Sous le vêtement ou l’alibi religieux ou islamique se cachent in fine bien souvent des revendications trivialement politiques et socioéconomiques, qui trouvent ainsi des ressorts de légitimation par l’invocation du sacré, afin de s’attacher le maximum de soutiens. ?
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Voir à ce sujet la déclaration du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) qui s’est félicité de la prudence du chef de l’État français. http://www.lecfcm.fr/?p=3176 Consulté le 3 mai 2013.
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[2]
Entretien de l’auteur avec l’historien Jean-Louis Triaud, correspondance électronique, 2 mai 2013.
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[3]
Op. cit.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid.
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[7]
Ibid.
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[8]
http://www.liberation.fr/monde/2013/04/23/mali-l-assemblee-autorise-la-prolongation-de-l-operation-militaire-francaise_898108 Consulté le 1er mai 2013
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[9]
http://www.slateafrique.com/98239/mali-ansar-dine-renonce-lapplication-de-la-loi-islamique-dans-tout-le-pays Consulté le 10 mai 2013
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[10]
http://www.mnlamov.net/projet-politique.html Consulté le 1er mai 2013
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[11]
http://www.tunisie-berbere.com/declaration-fondatrice-mouvement-national-de-lazawad-300-11112010 Consulté le 1er mai 2013
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[12]
Les programmes Pan Sahel Initiative puis l’Initiative transsaharienne de lutte contre le Terrorisme ont été mis en place par le Pentagone, respectivement en 2002 et 2004.
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[13]
2012 Global Terrorism Index. Capturing the Impact of Terrorism for the Last Decade, Institute for Economics and Peace, p. 12. Accessible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.visionofhumanity.org/wp-content/ uploads/2012/12/2012-Global-Terrorism-Index-Report1.pdf Consulté le 28 mars 2013