Notes
-
[1]
Activiste égyptien cité par Patrick Meier, « On synchrony, technology and revolutions : the political power of synchronied resistance », iRevolution, (14 août 2011). Disponible en ligne sur http://irevolution.net/2011/08/14/synchrony-activism/ (consulté le 19 août 2011).
-
[2]
Le principal critique du cyber utopisme est Evgeny Mozorov, auteur de The net desilusion : the dark side of internet freedom (2011).
-
[3]
Voir par exemple Chris C. Demchak, Peter Dombrowski, « Rise of a cybered westphalian age » in Strategis Studies Quarterly (printemps 2011).
-
[4]
« Tunisia’s bittercyberwar », AlJazeera English, (6janvier 2011), disponible enligne sur http://english.aljazeera.net/indepth/features/2011/01/20111614145839362.html, consulté le 18 janvier 2011.
-
[5]
“WikiLeaks : Tunisia knew its rulers were debauched. But leaks still had impact”, The Guardian, (2 février 2011). Disponible en ligne sur http://www.guardian.co.uk/media/2011/feb/02/wikileaks-exclusive-book-extract (consulté le 31 mars 2011).
-
[6]
“Egypt Cuts Off Most Internet and Cell Service”, New York Times, (28 janvier 2011). Disponible en ligne sur https://www.nytimes.com/2011/01/29/technology/internet/29cutoff.html (consulté le 31 mars 2011).
-
[7]
Navid Hassanpour, « Media Disruption Exacerbates Revolutionary Unrest : Evidence from Mubarak’s Natural Experiment », communication présentée lors de la Reunion Annuelle de l’APSA (2011). Disponible en ligne sur http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1903351&download=yes (consulté le 6 septembre 2011).
-
[8]
“BART mobile shutdown provokes Anonymous hackers”, BBC News, (15 August 2011). Disponible en ligne sur http://www.bbc.co.uk/news/technology-14527705 (consulté le 19 août 2011).
-
[9]
“Egypt Leaders Found ‘Off’ Switch for Internet”, New York Times, (15 février 2011). Disponible en ligne sur http://www.nytimes.com/2011/02/16/technology/16internet.html?_r=2&emc=eta1 (consulté le 16 février 2011).
-
[10]
Ndlt : Ce système permet de publier des tweets par le biais de message vocaux laissés sur un des numéros internationaux mis à disposition et donc sans accès direct à l’internet.
-
[11]
“Recap : Social Media and Egypt’s Revolution”, Cyborology, (16 février 2011). Disponible en ligne sur http://thesocietypages.org/cyborgology/2011/02/16/recap-social-media-and-egypt/ (consulté le 16 février 2011).
-
[12]
“Firms Aided Libyan Spies”, Wall Street Journal, (30 août 2011). Disponible en ligne sur http://online.wsj.com/article/SB10001424053111904199404576538721260166388.html?mod=WSJEurope_hpp_LEFTTopStories (consulté le 30 août 2011)
-
[13]
Peter Beaumont, “The truth about Twitter, Facebook and the uprisings in the Arab world”, The Guardian, (25 fevrier), diponible en ligne sur http://www.guardian.co.uk/world/2011/feb/25/twitter-facebook-uprisings-arab-libya?INTCMP=ILCNETTXT3487 (consulté le 29 mars 2011).
-
[14]
Lara Dotson-Renta “Hip Hop & Diaspora : Connecting the Arab Spring “, Arab Media & Society, Eté 2011. Disponible en ligne sur http://arabmediasociety.org/?article=777 (consulté le 15 juillet 2011).
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[15]
“Tahrir Square tweet by tweet”, The Guardian, (14 avril 2011). Disponible en ligne sur http://www.guardian.co.uk/world/2011/apr/14/tahrir-square-tweet-egyptian-uprising?INTCMP=ILCNETTXT3487 (consulté le 15 juillet 2011).
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[16]
« The Death Of Oula Jablawi And The Democratization Of Bearing Witness”, Tangled Web – Free Radio Europe, (17 août 2011). Disponible en ligne sur http://www.rferl.org/content/the_death_of_oula_jablawi_democratization_of_bearing_witness/24299775.html (consulté le 19 août 2011)
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[17]
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-
[18]
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[19]
Malcom Gladwell, “Small Change”, The New Yorker, (4 octobre 2010). Disponible en ligne sur http://www.newyorker.com/reporting/2010/10/04/101004fa_fact_gladwell (consulté le 8 octobre 2011).
-
[20]
Ndlt : Dans Twitter, le « hashTags » est un moyen de regrouper les tweets qui parlent d’un même sujet donné. Il permet donc de classer certaines informations pour les retrouver et les suivre plus facilement.
-
[21]
“London Riots : BlackBerry Messenger Used More than Facebook or Twitter”, Mashable, (9 aout 2011). Disponible en ligne sur http://mashable.com/2011/08/08/london-riots-blackberry-messenger/ (consulté le 19 aout 2011).
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[22]
Neal Ungerleider, “How Egyptian Protestors Use BlackBerrys in a Tech Blackout”, Fast Company, (2 février 2011). Disponible en ligne sur http://www.fastcompany.com/1722524/egyptian-protesters-secret-weapon-blackberry-handsets (consulté le 19 aout 2011).
-
[23]
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-
[24]
Patrick Meier, “On Synchrony, Technology and Revolutions : The Political Power of Synchronized Resistance”, iRevolution, (14 aout 2011). Disponible en ligne sur : http://irevolution.net/2011/08/14/synchrony-activism/ (consulté le 19 aout 2011).
-
[25]
You Tube, (11 February 2011). Disponible en ligne sur : http://www.youtube.com/watch?v=ZZ8ErTD1QuQ (accessed 11 February 2011).
-
[26]
Zeynep Tufekci, “Can “Leaderless Revolutions” Stay Leaderless : Preferential Attachment, Iron Laws and Networks”, Technosociology, (14 février 2011). Disponible en ligne sur : http://technosociology.org/?p=366 (consulté le 16 aout 2011)
-
[27]
“Tunisian dissident blogger quits ministerial post”, The Guardian, (25 mai 2011). Disponiible en ligne sur : http://www.guardian.co.uk/world/2011/may/25/tunisian-dissident-blogger-minister-quits (consulté le 25 mai 2011).
-
[28]
Zabatak - http://www.zabatak.com
-
[29]
“Amnesty calls on Egypt to drop charges against activist for Twitter comments”, The Guardian, (16 août 2011). Disponible en ligne sur : http://www.guardian.co.uk/world/2011/aug/16/egypt-charges-activist-twitter-comments (consulté le 19 aout 2011).
-
[30]
Owen Barder, “Government kill switch for social media ?”, Owen Abroad, (11 aout 2011). Disponible en ligne sur http://www.owen.org/blog/4896 (consulté le 19 aout 2011) ; “Police accessed BlackBerry messages to thwart planned riots” The Guardian, (16 aout 2011). Disponible en ligne sur : http://www.guardian.co.uk/uk/2011/aug/16/police-accessed-blackberry-messages-thwart-riots?INTCMP=SRCH (consulté le 19 August 2011). Julian Baggini “England riots : are harsh sentences for offenders justified ?”, The Guardian, (17 aout 2011). Disponible en ligne sur : http://www.guardian.co.uk/uk/2011/aug/17/england-riots-harsh-sentences-justified (consulté le 19 aout 2011).
« On utilise Facebook pour planifier nos manifestations, Twitter pour coordonner et You Tube pour raconter au monde. » - un activiste égyptien [1] .
1 Sans l’ombre d’un doute, le caractère inattendu de ces évènements et la rapidité avec laquelle ils se sont déroulés constituent les caractéristiques les plus significatives de ce qui a été baptisé depuis le « printemps arabe ». Le 17 décembre, le vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi s’immola par le feu. Un mois plus tard, le dictateur tunisien Zine El Abdine Ben Ali était parti. Encore un mois de plus, et il en était de même avec le Président égyptien Hosni Mubarak. A la mi-mars, les Nations Unies autorisaient une opération militaire pour protéger les rebelles libyens en lutte contre le Colonel Khadafi. Cela marqua un tournant, la guerre civile libyenne montrant les limites de la « vague de démocratie » qui était apparue jusqu’alors irrésistible et incontestable. Les cas du Yémen et de la Syrie ont pour leur part montré que même la volonté populaire la plus déterminée est bien souvent insuffisante pour déloger des chefs d’Etat autoritaires. Néanmoins, à présent perçu dans toute sa complexité, le « printemps arabe » continue et il est probable que l’on assiste dans les prochains mois à de nouveaux changements nationaux et régionaux.
2 L’explosion de mécontentement populaire qui a poussé Ben Ali et Moubarak au départ était si puissante que les commentateurs se pressent encore pour trouver des explications. A côté des justifications classiques fondées sur les conditions économiques des populations, la répression et la corruption politique, un autre facteur a été identifié comme ayant joué un rôle important dans la façon dont les révolutions se sont déroulées dans la région : les Technologies d’Information et de Communication (TIC). Les TICs ont été louées par le passé comme une « technologie révolutionnaire » (notamment lors de la « révolution Twitter » manquée de 2009 en Iran), analyse qui apparait aujourd’hui comme excessivement simpliste. En réalité, étant donné que la diffusion des téléphones portables, des connexions internet et des smartphones n’est encore qu’un phénomène récent, il est clair que l’impact des TICs sur les processus politiques est encore mal compris. Apporter une perspective afférente au printemps arabe par le biais du rôle joué par les TICs peut nous aider à mieux comprendre ces révolutions. Réciproquement, une étude sérieuse et détaillée de la complexité de ces révolutions et des défis qui sont encore à venir, aidera à clarifier le potentiel et les limites du rôle de ces technologies dans les processus politiques.
Les Technologies d’Information
3 L’étude du rôle des TICs dans les bouleversements politiques induits par le printemps arabe révèle différents éléments intéressants. Tout en évitant l’excessive analyse « cyber-utopique » [2], il est nécessaire de reconnaitre néanmoins certains de leurs effets importants. Dans tout système autoritaire, comme la Tunisie ou l’Egypte, le contrôle de l’information constitue l’un des principaux instruments de maintien au pouvoir pour les dictateurs. Alors que les gouvernements ont une longue expérience dans la gestion et le contrôle des médias « traditionnels » (presse écrite, radio, télévision), l’émergence d’une nouvelle sphère de communication – le cyberespace – a pratiquement privé l’Etat de cet avantage stratégique. Le cyberespace est devenu un champ de bataille sur lequel les Etats et les citoyens se battent pour déterminer les règles qui le régissent [3]. En Afrique du nord, la lutte pour l’internet a débuté bien avant les bouleversements de 2011 [4], en parallèle de l’augmentation des taux de pénétration de la Toile qui atteignent aujourd’hui respectivement 33.9 % et 24.5 % de la population en Tunisie et en Egypte, taux parmi les plus forts en Afrique. Dans ce combat, les utilisateurs expérimentés de l’internet ont été capables de contourner les contrôles gouvernementaux, d’accéder à des informations difficilement accessibles et de les diffuser largement parmi le reste de la population. Bien que surveillés de près, les blogs et les réseaux sociaux ont permis la diffusion et l’amplification de rumeurs, de nouvelles et d’informations et ont ainsi contribué à affaiblir le contrôle du régime sur l’information, convertissant certains de ces « citoyens connectés » en véritables leaders politiques. Les victoires de ces activistes au niveau national ont aussi été favorisées par l’environnement global : une autre clé caractéristique des TICs est en effet leur capacité à transcender les frontières nationales. Ainsi, les révélations de Wikileaks sur l’étendue du pillage organisé par Ben Ali et Moubarak ont été considérées par certains comme l’un des facteurs déclencheurs des révolutions [5].
4 Si l’émergence du cyber espace a effectivement rendu plus difficile pour les Etats de contrôler les informations potentiellement déstabilisantes, il faut reconnaître que, ces derniers temps, ceux-ci ont aussi de leur côté amélioré leur maitrise des TICs. En plus de la surveillance des communications, le gouvernement peut aussi activer en dernier recours des « kill switches » (coupures totales), bloquant ainsi l’internet et les communications sur une partie ou l’ensemble du territoire national. C’est ce que Moubarak a fait à minuit le 28 janvier [6], coupant ainsi l’internet pendant cinq jours. Cette coupure n’empêcha cependant pas que la révolution suive son cours et certains ont même soutenu qu’elle accéléra au contraire son aboutissement [7]. Ceci suggère que l’internet n’était pas un élément central du processus révolutionnaire. Néanmoins, le fait que l’Etat égyptien ait pris une décision si radicale, aux lourdes conséquences économiques pour le pays, montre que le régime le considérait comme suffisamment important. Bien entendu, ces mécanismes existent dans tous les Etats, l’important étant leur utilisation politique qui, encore une fois, ne se limite pas aux régimes non démocratiques, même si y elle est plus courante. Ainsi, par exemple, c’est par un blocage des communications par téléphone portable que les autorités répondirent aux récentes manifestations relatives au système de transport à San Francisco [8]. Les limites de la rhétorique « internet vs. Tyran » apparaissent clairement lorsque l’on considère que, dans la plupart des cas, les Tyrans possèdent matériellement l’internet (ou au moins les câbles [9]). Cela soulève de même la question des relations qu’entretiennent le gouvernement et les entreprises privées (le plus souvent originaires des pays occidentaux) qui fournissent ces services. Ce débat, qui s’est particulièrement développé lors des conflits opposant Google au régime chinois, est aussi apparu lors du printemps arabe. Alors que Google et Twitter ont autorisé le voice-tweetting [10] pendant la coupure d’internet en Egypte, Facebook est resté remarquablement silencieux et neutre, malgré le rôle fondamental qu’a joué ce réseau social dans la mobilisation de la population [11]. Des révélations récentes montrent que la surveillance de l’internet par le régime de Khadafi a été mise en place grâce à des technologies étrangères [12].
5 Dans les médias, les commentateurs qui ont remarqué l’importance des réseaux sociaux en Tunisie et en Egypte ont rapidement qualifié ces mouvements de « twitter révolutions ». En fait, il s’agit d’une formule accrocheuse mais fausse car, même au sein de ces « social networks revolutions » (expression aussi simpliste), il faut distinguer les différents réseaux et leurs rôles respectifs. En Tunisie, seul un groupe limité d’utilisateurs d’internet, à peine 200 abonnés actifs, ont utilisé Twitter. D’un autre côté, on estime le nombre d’utilisateurs de Facebook à deux millions [13]. Donc, si l’on admet que Twitter, Facebook et d’autres tribunes d’internet (notamment le partage de vidéos sur You Tube) ont eu une place importante, chacun d’entre eux à joué un rôle clairement différent, comme l’illustre la citation qui ouvre cet article. Leur seule caractéristique commune est peut-être que chacun a été d’une importance capitale pour la diffusion des informations, permettant aux observateurs internationaux comme à l’ensemble des populations nationales de suivre en temps réel ce qui était en train de se passer sur le terrain.
6 Le partage de cette information, incluant des photos et des vidéos diffusées sur le web, peut être vu comme servant un double but. Les images montrant les manifestations de l’opposition et la réponse policière ont révélé la brutalité du régime et ont pu aider à mobiliser la population. Les éléments partagés sur les réseaux sociaux, notamment les chansons politiques et des clips-vidéo engagés (de hip hop entre autres), ont favorisé la création d’un sentiment de communauté à travers différents pays arabes mais aussi avec la diaspora installée dans les pays occidentaux [14]. Plus directement, ils ont aussi servi à informer et ont parfois constitué les seules sources disponibles, obligeant les principaux médias à en être dépendants. Les Tweets de la place Tahrir constituèrent une sorte de rapport minute par minute de ce qui se passait sur le terrain, diffusant en direct l’information vers le reste du monde [15]. Malgré le blocage des médias en Syrie, des vidéos et des photos de la répression orchestrée par Bachad El Assad continuent à filtrer hors du pays, faisant leur chemin jusqu’aux médias internationaux. Ces informations, comme celle du jeune Oula Jablawi, âgé d’à peine deux ans et tué à Lattaquié, sont assez puissantes pour faire pencher l’opinion nationale et internationale contre le régime brutal [16].
7 La diffusion rapide des troubles intervenus en Tunisie et en Egypte puis dans le reste des pays arabes force à reconnaître l’effet de contagion généré par le caractère global des TICs. Cependant, cela ne signifie pas que les TICs constituent des « technologies de libération » et leurs limites doivent aussi être soulignées. D’abord, lorsque l’on utilise un nouveau medium comme source d’information, il faut garder à l’esprit que, contrairement à la plupart des médias traditionnels, cette information n’a pas été vérifiée. S’appuyer aveuglement sur de telles sources peut devenir problématique. Des voix se sont soulevées en protestation lorsque la nouvelle s’est diffusée de l’arrestation d’une bloggeuse de Damas, jusqu’à ce que l’on découvre que cette femme n’avait jamais existé et qu’elle était issue de l’imagination d’une romancière étasunienne [17]. Cet incident a par la suite servi le régime syrien pour discréditer les critiques émanant des pays occidentaux. Néanmoins, ce qui amène le plus à réfléchir sur le potentiel révolutionnaire des réseaux sociaux était que, au plus fort des bouleversements en Egypte (les semaines entre la manifestation du Caire du 25 janvier et le départ de Moubarak à la mi-février) le canal d’information qui atteignait alors le plus grand nombre dans le pays et au-delà n’était pas internet mais la bien plus commune télévision. La couverture médiatique de la révolution égyptienne assurée par Al Jazeera, les images de la place Tahrir attaquée et des manifestations successives qui s’y déroulèrent, ont collé la population mondiale aux écrans de télévision.
Technologies de Communication (et de Mobilisation)
8 Jusque-là, les exemples que nous avons exposés, ont éclairé l’aspect informatif des TICs et comment ces derniers ont parfois pu briser le contrôle autoritaire du discours politique et ainsi donner aux populations encore plus de raisons pour descendre dans la rue et faire pencher l’opinion internationale de leur côté. Certains cependant ont mis en doute ce potentiel de mobilisation, soutenant que la décision de sortir manifester était principalement déterminée par la situation économique désastreuse et par les frustrations résultant de systèmes politiques corrompus. Certains commentateurs ont même suggéré que les TICs n’avaient joué aucun rôle lors du soulèvement égyptien [18]. Pourtant, il semble clair qu’ils ont joué un rôle important, même si les spécificités de ce rôle restent encore à analyser. Il est difficile par exemple d’évaluer dans quelle mesure lire et voir comment les Tunisiens ont mis dehors Ben Ali a contribué à la révolution égyptienne, ou encore si et comment ces exemples ont contribué à alimenter la colère populaire en Lybie et en Syrie. Il est possible que les réseaux sociaux, tout particulièrement les plus populaires comme Facebook, aient pu jouer un rôle dans la mobilisation de certains segments de la population (les urbains, la classe moyenne, les jeunes) jusque-là faiblement politisés qui vinrent par la suite grossir les rangs des manifestants. Certains théoriciens soutiennent qu’une décision aussi risquée que celle de descendre dans la rue, est moins déterminée par ces « faibles » connexions établies par les réseaux sociaux que par les « forts » liens sociaux qui unissent les individus à leurs amis et à leurs parents, ou ceux créés dans le cadre d’associations formelles telles que les églises, les syndicats et les autres organisations de la société civile [19]. Tout comme les partis politiques, ces organisations ont joué un rôle à Tahrir, même si elles ont pris une réelle importance seulement vers la fin. Un travail est encore nécessaire pour appréhender comment tous ces facteurs ont interagi. Quelle importance les liens « faibles » ont-ils eu dans la décision de descendre dans la rue ? Les réseaux sociaux ont-ils été capables de faciliter la création de liens « forts » ? Quoi qu’il en soit, ces dynamiques ne sont pas exclusives l’une de l’autre : les TICs tout comme les groupements de la société civile ont interagi de nombreuses manières pendant le printemps arabe, la plupart d’entre elles restant à étudier.
9 Les TICs sont également extrêmement utiles pour mobiliser et organiser des mouvements de contestation. Elles facilitent la large diffusion de l’information à propos d’une manifestation particulière (jour et lieu) parmi les utilisateurs des réseaux qui les transmettent à leur tour bien au-delà. Les pages Facebook et le hashtag [20] twitter « #jan25 » sont devenus en Egypte des centres d’échange au sein desquels les utilisateurs partageaient des informations à propos des manifestations lors de la phase préalable d’organisation. Ils sont restés des outils fondamentaux pour suivre les évènements (un processus similaire a eu lieu en Espagne lors de l’organisation des manifestations du #15M). Encore plus intéressant, le caractère immédiat de ces technologies permet une organisation bien plus efficace des participants pendant la manifestation. La multiplication des smartphones a permis aux manifestants de rester en permanence connectés à internet ainsi qu’aux autres manifestants présents sur place. Au moment d’explorer cet impact plus direct, il faut étendre l’analyse à d’autres TICs : les SMS et les systèmes de chat tels que Blackberry Messenger (BBM) qui a gagné en notoriété pour son rôle lors des émeutes britanniques [21] mais a aussi été utilisé lors d’autres manifestations, dont celles du monde arabe [22]. Le lourd cryptage du système de communications Blackberry a engendré des conflits entre l’entreprise RIM qui l’a créé et plusieurs Etats autour de la question de l’accès aux données échangées par les utilisateurs [23]. Que ce soit par SMS, BBM, Twitter ou Facebook, il est clair que l’ubiquité des téléphones portables permet aux manifestants d’avoir une image globale de la situation : où sont les tensions ? Quelle est la réaction des autorités ? etc. Cela a été d’une importance cruciale lorsque la place Tahrir a été attaquée par les groupes pro-Moubarak car les manifestants qui défendaient leurs positions ont pu appeler leurs compagnons afin de les diriger vers les lieux stratégiques où leur présence était nécessaire. Ces connexions ont permis aux manifestants d’organiser leurs actions d’une manière synchrone, ce qui contribua à leur succès en rendant plus difficile pour l’Etat l’organisation d’une riposte efficace [24]. Ce synchronisme (et cette détermination) des manifestants et des activistes à travers le monde arabe, l’existence de l’information permettant la construction d’un récit puissant, complet et en temps réel des modalités du combat contre l’autoritarisme, la capacité de partager cela avec le reste du monde ont été essentiels dans la chute des dictatures tunisienne et égyptienne et ont servi d’exemple pour le monde entier. Ce qui peut-être résume le mieux l’exaltant potentiel des TICs pour faire tomber des régimes autoritaires est la vidéo de Wael Ghoneim diffusée quelques minutes après la démission de Moubarak, sur laquelle on voit l’homme célébrer la victoire avec sa famille. Le caractère immédiat (et fondamentalement intime) de cette vidéo a permis à chacun de la regarder comme si c’était aussi là sa propre victoire [25].
Les TICs et le printemps arabe post-autoritaire
10 Nous avons vu comment les TICs permettaient un meilleur accès à l’information ainsi que son partage parmi les citoyens. Elles facilitent l’organisation et la coordination des actions de contestation, jouant donc ainsi un rôle important dans les renversements de Moubarak et de Ben Ali, tout cela avec comme toile de fond d’importants changements sociaux dans le monde arabe et au-delà, changements dans lesquels les TICs jouent de même un rôle de plus en plus important. L’étude des interconnexions entre les TICs et le processus politique demande cependant que soient posées, sinon résolues, des questions plus larges et fondamentales. Certaines ont été soulevées dans le cadre des contestations dans le monde arabe mais leur pertinence s’étend bien au-delà. Une première question est de comprendre la nature d’un mouvement politique qui semble largement organisé par le biais des TICs et qui promeut l’horizontalité et l’absence de hiérarchies. Il s’agit-là d’un extraordinaire avantage au moment de mobiliser la population (car cela permet une plus grande participation) mais qui peut devenir problématique à l’heure d’entrer dans un dialogue politique plus traditionnel. Néanmoins, le fait que ces mouvements soient organisés sous la forme de réseaux grâce aux TICs n’implique pas forcément qu’ils seront hostiles à toute hiérarchie. Comme certains sociologues le soulignent, cela signifie simplement que ces hiérarchies seront créées de différentes manières [26].
11 En Egypte comme en Tunisie, certains bloggeurs ou utilisateurs de réseaux sociaux qui ont été particulièrement actifs pendant les évènements ont acquis une grande notoriété populaire et ont maintenu leur présence dans la sphère publique dans la vie politique post-autoritaire. Wael Ghoneim a tweeté sa première rencontre avec les dirigeants militaires et le bloggeur tunisien Slim Amamou a été nommé ministre. Amamou a rapidement démissionné [27] et Ghoneim n’est pas resté un acteur politique important. Qu’est-ce que cela nous dit sur les relations entre ces mouvements sociaux et le processus politique ? Amamou et Ghoneim auraient-ils pu devenir d’importants leaders politiques et jouer un rôle décisif dans la période post-autoritaire si leurs ambitions ou leur caractère avaient été différents ? Ou est-ce que les mouvements sociaux peuvent faire surgir des leaders dans un mouvement anti-autoritaire mais sont incapables de maintenir cet élan pour durer sur le long terme dans la période de transition ? Les défis qui apparaissent ici mettent en lumière la nécessité d’étudier le potentiel des TICs dans la période de transition, période pendant laquelle les militaires (contrôlant de facto la transition) ainsi que d’autres acteurs et organisations plus habituées au jeu politique jouent un rôle important dans la construction du futur. Le haut degré de mobilisation obtenue par les activistes avant la chute de Moubarak bénéficiera-t-il aux partis politiques existants ? Ou ces activistes formeront-ils leurs propres partis (ou organisations) ? Afin de comprendre cela, il faudra être attentif à la manière par laquelle les partis politiques utilisent et s’appuient sur l’activisme en ligne pendant les élections.
12 Alors que le printemps arabe entre dans une nouvelle phase, une autre série de questions importantes touche à la compréhension de la cyber-sphère émergente et de ses relations avec le processus politique. La colonne vertébrale des discours tenus par un grand nombre d’activistes des TICs repose globalement sur deux axes principaux : la nécessité pour le système politique de défendre un internet libre et le rôle crucial de la technologie dans la promotion d’une société et d’un système politique libres et responsables. Ce processus de soutien mutuel peut prendre différentes formes et s’inscrit dans les débats politiques actuels, notamment autour des thèmes de la vie privée, de la liberté d’information et de la transparence. Ces discours guident les pratiques locales des activistes ainsi que les efforts de la société civile pour surveiller le crime et les cas de corruption (par exemple, la page égyptienne Zabatak [28]). Dans la sphère nationale, le régime égyptien naissant avance aussi à tâtons pour déterminer les limites des nouvelles libertés, notamment la liberté de parole, tout à fait inexistante sous Moubarak, et qui est a présent revigorée bien que de nombreux obstacles restent à franchir. Récemment, Amnesty International a condamné l’affaire de diffamation portée devant un tribunal militaire contre Asmaa Mahfouz pour avoir publié sur Twitter des critiques portant sur l’inefficacité de l’armée [29]. Ce sont des débats qui, bien qu’ils soient particulièrement d’actualité dans des pays comme la Tunisie ou l’Egypte, en plein processus de transition, touchent en fait la plupart des pays du monde et prendront avec le temps de plus en plus d’importance. Dans les pays occidentaux comme le Royaume-Uni, après les récentes émeutes, on a vanté l’idée d’un « kill switch » pour l’internet, la police est soupçonnée d’avoir violé des conversations privées, et des sanctions bien plus graves que celles rendues en Egypte ont été prononcées (dont quatre ans de prison ferme pour deux hommes accusés d’incitation à des révoltes qui n’eurent jamais lieu) [30].
13 Comme ceci le montre, il existe des implications extrêmement importantes au développement des TICs et de leur rôle dans la société et les processus politiques. Cependant, il reste beaucoup de travail pour analyser comment fonctionnent ces interactions dans des contextes particuliers afin de les comprendre dans leur globalité. Le rôle important que les TICs ont joué et jouent encore dans le « Printemps arabe » constitue une grande opportunité non seulement pour les chercheurs pour creuser ces dynamiques mais aussi pour ces sociétés et ces gouvernements pour épouser l’impact positif que ces technologies peuvent avoir sur la création d’un système politique ouvert et faire ainsi du « Printemps arabe » une référence pour d’autres régions.
Notes
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[1]
Activiste égyptien cité par Patrick Meier, « On synchrony, technology and revolutions : the political power of synchronied resistance », iRevolution, (14 août 2011). Disponible en ligne sur http://irevolution.net/2011/08/14/synchrony-activism/ (consulté le 19 août 2011).
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[2]
Le principal critique du cyber utopisme est Evgeny Mozorov, auteur de The net desilusion : the dark side of internet freedom (2011).
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[3]
Voir par exemple Chris C. Demchak, Peter Dombrowski, « Rise of a cybered westphalian age » in Strategis Studies Quarterly (printemps 2011).
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[4]
« Tunisia’s bittercyberwar », AlJazeera English, (6janvier 2011), disponible enligne sur http://english.aljazeera.net/indepth/features/2011/01/20111614145839362.html, consulté le 18 janvier 2011.
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[5]
“WikiLeaks : Tunisia knew its rulers were debauched. But leaks still had impact”, The Guardian, (2 février 2011). Disponible en ligne sur http://www.guardian.co.uk/media/2011/feb/02/wikileaks-exclusive-book-extract (consulté le 31 mars 2011).
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[6]
“Egypt Cuts Off Most Internet and Cell Service”, New York Times, (28 janvier 2011). Disponible en ligne sur https://www.nytimes.com/2011/01/29/technology/internet/29cutoff.html (consulté le 31 mars 2011).
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[7]
Navid Hassanpour, « Media Disruption Exacerbates Revolutionary Unrest : Evidence from Mubarak’s Natural Experiment », communication présentée lors de la Reunion Annuelle de l’APSA (2011). Disponible en ligne sur http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1903351&download=yes (consulté le 6 septembre 2011).
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Ndlt : Ce système permet de publier des tweets par le biais de message vocaux laissés sur un des numéros internationaux mis à disposition et donc sans accès direct à l’internet.
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Ndlt : Dans Twitter, le « hashTags » est un moyen de regrouper les tweets qui parlent d’un même sujet donné. Il permet donc de classer certaines informations pour les retrouver et les suivre plus facilement.
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