Notes
-
[1]
Discours de clôture de la septième session du comité central du RCD (parti au pouvoir).
-
[2]
Résolution du Parlement européen sur le processus de Barcelone revisité (2005/2058 (INI) Jeudi 27 octobre 2005.
-
[3]
http://www.europarl.eu.int/news/expert/infopress_page/030-2940-332-11-48- 903-20051128IPR02939-28-11-2005-2005--false/default_fr.htm
-
[4]
Lors de sa visite officielle en Tunisie, le 1er avril 2003.
-
[5]
Ibid
-
[6]
Une interview de Manfredo Fanti, qui faisait fonction de Chef de Délégation de la Commission européenne à Tunis, parue dans « Synopsis Euromed » N° 31 du 16 juillet 2002, exprime la caution sans ambages de l’UE : « En ce qui concerne la réforme constitutionnelle approuvée par le référendum du 26 mai dernier, il faut éviter les procès d’intentions. Les nouvelles normes ne se limitent pas à permettre le renouvellement du mandat présidentiel : elles comportent aussi des aménagements juridiques positifs, tels que la soumission au contrôle judiciaire de la garde à vue et la protection des données personnelles. Un jugement sur l’impact de cette réforme constitutionnelle sera possible plus tard, sur la base de l’application qui sera faite des nouvelles normes par les autorités tunisiennes. » http://ec.europa.eu/comm/external_relations/euromed/publication/special_ feature31_fr.pdf
-
[7]
Organisée par le parti des socialistes européens (PSE) les 15 et 16 avril 2005, en commémoration du 10e anniversaire des accords de Barcelone.
-
[8]
Instituée le 3 décembre 2003 par décision de la Conférence ministérielle du partenariat euro-méditerranéen, réunie à Naples.
-
[9]
« Political priorities for the EP Presidency of the Euro-Mediterranean Parliamentary Assembly ».
-
[10]
Point 2 de l’article 3 du « règlement de l’Apem » adopté à la réunion d’Athènes du 22 mars 2004.
-
[11]
Résolution de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne sur l’avenir du Processus de Barcelone, adoptée le 21 novembre 2005, à Rabat (Maroc) – session extraordinaire.
-
[12]
Selon le communiqué de presse publié par la députée européenne Hélène Flautre, l’une des rares à avoir exprimé une protestation publique sur cet incident. Les délégués arabes, assez portés sur les dénonciations tonitruantes, brillèrent par une honteuse discrétion sur ce point.
-
[13]
http://www.itu.int/wsis/index-fr.html
-
[14]
La représentante de l’ONU pour les défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, le rapporteur sur la liberté d’expression, Ambeyi Ligabo, et le rapporteur sur l’indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy.
-
[15]
http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/0/ 2D5B6CADD6BCE572C12570BB0035035C?opendocument
-
[16]
Rappelé en signe de protestation, l’ambassadeur de Tunisie à Berne n’avait, au moment du bouclage de ce numéro, toujours pas regagné son poste depuis décembre 2005.
1 L’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM), réunie les 16 et 17 mars 2007 à Tunis, a achevé ses travaux par un appel à la tenue d’une conférence internationale pour élaborer « un code de conduite dans la lutte contre le terrorisme ». La déclaration finale de l’APEM « ... est venue confirmer la pertinence des initiatives du Président Zine El Abidine Ben Ali » lit-on dans la presse officielle tunisienne. Ben Ali a de quoi se féliciter, c’est son projet qu’on vient d’adopter. Placer le terrorisme au top de l’agenda de l’APEM est un vrai succès pour Ben Ali qui a réussi à détourner cette assemblée de son mandat initial.
2 Le volet politique du partenariat euro méditerranéen se résume aujourd’hui à la lutte contre le terrorisme. Encore une fois, la Tunisie se présente comme le champion de cette lutte et se targue d’avoir réussi à éradiquer ce fléau. Dès le 15 octobre 1992, Ben Ali affirmait que le pays avait « définitivement tourné la page du terrorisme [1] ».
3 Pourtant, entre le 23 décembre 2006 et le 3 janvier 2007 la périphérie sud de Tunis était le théâtre d’affrontements armés entre les forces de l’ordre et un groupe salafiste. Les premiers du genre depuis l’accession au pouvoir de M. Ben Ali. Le triomphalisme officiel, clamant depuis des années l’éradication du terrorisme, se trouve ainsi brutalement désavoué. L’apparition de courants salafistes prônant l’usage de la violence et attirant des centaines de jeunes de tous les milieux, constitue le fait politique le plus marquant des deux dernières années en Tunisie.
4 Le phénomène, amplifié par le conflit irakien, est d’autant plus inquiétant qu’il signale une radicalisation incontestable de certaines franges de la jeunesse tunisienne. La politique du tout sécuritaire suivie depuis les années 90 par le régime de Ben Ali, était jusqu’ici focalisée sur la traque implacable contre les partisans du mouvement islamiste modéré Ennahdha qui a pourtant toujours proclamé son rejet de la violence et son attachement aux moyens politiques. Le radicalisme violent apparaît comme la seule alternative offerte aux jeunes générations qui ont vu avec quelle violence la contestation pacifique a été réprimée. Loin de renforcer les institutions ou de protéger les libertés, cette politique s’est accompagnée du bâillonnement des médias indépendants et de la confiscation des libertés fondamentales.
Barcelone, un processus détourné de ses objectifs premiers
5 La Tunisie a été le premier pays à signer en 1995 les accords d’association avec l’Union européenne, entrés en vigueur le 1er mars 1998. Ce rôle de précurseur lui a valu le statut de « modèle » brandi pour inciter d’autres partenaires méditerranéens à signer à leur tour ces accords. La Tunisie n’a jamais rechigné à approuver les réformes institutionnelles exigées par Bruxelles et s’est presque toujours acquittée de son rôle sur le plan formel. Seulement formel ; car dans la réalité, il en allait tout autrement. Le régime tunisien a compris qu’il ne coûtait presque rien de signer des « papiers » et d’adhérer à une rhétorique alignée sur les dogmes du libéralisme. Quitte à exercer dans la pratique un dirigisme économique camouflé derrière les abus dans les fonctions régaliennes de l’Etat ; et à masquer, sur le plan politique, une dictature soft derrière une façade institutionnelle démocratique.
6 La supercherie n’a jamais échappé aux responsables européens qui savaient, ailleurs, faire preuve d’une toute autre fermeté. Mais le jeu leur convenait pour des raisons géostratégiques et le partenaire tunisien a su tirer le meilleur profit de cette situation, en s’appliquant à demeurer « présentable » et sauver les apparences. Le processus de Barcelone, censé impulser une démocratisation, a été réduit à une plateforme d’appui aux régimes dictatoriaux
7 Lorsque la déclaration de Barcelone avait été adoptée en novembre 1995, elle avait soulevé bien des espoirs. Aujourd’hui encore, plus de dix ans après son entrée en vigueur, autant pour ses partisans que pour ses détracteurs, elle constitue le cadre de référence privilégié pour interroger, évaluer, projeter un avenir commun des pays Méditerranéens avec l’Europe.
8 Pour le Parlement européen, « ... le bilan du partenariat, dix ans après sa création, est mitigé, en ce sens que si de nombreux succès ont été obtenus, il reste encore beaucoup à faire pour exploiter toutes les potentialités offertes par la Déclaration de Barcelone [2] ».
9 En dépit de ses aléas et de ses revers, le processus de Barcelone demeure encore un cadre qui, dans ses objectifs et sa démarche politique, conserve toute sa validité. Grâce à lui de nombreux réseaux ont été créés dans divers domaines tissant un vaste maillage favorisant un échange culturel pertinent.
10 Tous les reproches que l’on adresse à ce partenariat se concentrent sur la mise en oeuvre et les pratiques politiques de l’Union qui ont abouti à une forme de détournement de ce processus de ses visées premières et à la mise en échec de ses objectifs. Les signaux envoyés par l’UE aux sociétés de la rive sud ont souvent été à contre sens des objectifs affichés du partenariat : politique parcimonieuse d’octroi de visas, politique d’immigration frileuse, racisme anti-musulman...
11 Ce partenariat repose sur trois volets : un volet politique et de sécurité, un volet économique et financier et un volet social et culturel. Inutile de préciser qu’aujourd’hui, rares sont ceux qui continuent de croire à la dynamique vertueuse d’une libéralisation économique qui déboucherait spontanément sur la démocratie.
12 Ce n’est pas un hasard si le seul résultat du sommet de Barcelone – boudé par les pays arabes- commémorant le 10e anniversaire de ce processus les 27 et 28 novembre 2005, fut l’adoption à l’arraché d’un code de conduite en matière de lutte contre le terrorisme. L’UE a dû renoncer, en raison de divergences de vues sur le processus de paix au Proche-Orient, à une déclaration politique sur une « vision commune » du partenariat, qui aurait lié plus directement l’aide européenne au progrès des réformes démocratiques dans la région.
Un bilan peu reluisant
13 Le bilan économique du partenariat a été clairement résumé par Josep Borrell, alors président du Parlement européen dans son allocution d’ouverture du Sommet de Barcelone : « Au cours de la dernière décennie, le PNB par habitant de l’UE des Quinze est passé de 20000 à plus de 30000 dollars et celui des nouveaux États membres de 6000 à quelque 15 000 dollars. Dans le même temps, dans le sud de la Méditerranée, le revenu par habitant a stagné, passant d’un peu moins de 5000 dollars à un peu plus de 5000. L’évolution du commerce n’a guère été favorable aux pays du Sud puisque leur déficit commercial vis-à-vis de l’UE a doublé au cours des dix dernières années [3] » !
14 Quant au volet politique du partenariat, il a été vidé de sa substance pour se résumer à la question sécuritaire.
15 Dans les faits, c’est une autre politique qui s’est progressivement substituée à ce projet généreux, celle du rejet, des autoritarismes et des frustrations des populations du Sud.
16 Il faut rappeler que le Processus de Barcelone est un processus intergouvernemental. Et le refus des pays du Sud, à associer les diverses composantes de la société civile, a dès le départ hypothéqué ce partenariat. Par ailleurs, la hantise du développement de l’islamisme, fût-il modéré, reste l’un des fondamentaux de la politique européenne, même s’il en coûte l’appui à des régimes corrompus et autoritaires et le blocage des alternatives démocratiques.
Meda démocratie ou Meda dictature ?
17 Le principal instrument du partenariat pour la région méditerranéenne, c’est le programme Meda pour la démocratie. Selon le règlement Meda, le respect de l’État de droit et des droits de l’homme constitue un élément « essentiel » du partenariat dont la violation justifierait l’adoption de mesures appropriées. Ces mesures peuvent être adoptées par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. Force est de constater qu’il n’en fut rien et Meda a servi à renflouer les caisses des régimes autoritaires.
18 Eloquent, le cas de la Tunisie, qualifiée de « locomotive » et de « pays modèle dans la coopération euro-méditerranéenne » par Romano Prodi, l’ancien président de la Commission européenne [4]. Pourtant, tous les fonctionnaires de la Commission qui ont eu affaire aux officiels tunisiens déclarent en privé tout le mal qu’ils ont à mettre en pratique les accords, et toute l’inventivité des Tunisiens dans l’art de poser des obstacles et de contourner les engagements.
19 Mais les apparences ont toujours été sauves et jamais une mise en garde n’a émané des instances officielles lorsque des violations graves ont été constatées. Bien au contraire, les fonds Meda sont allés généreusement renforcer la dictature.
20 Pourtant la Tunisie fait figure d’enfant gâté du programme Meda : pour la période 1995-2004, elle a bénéficié de 14 % du budget global, alors même qu’elle ne représente que 4 % de la population des pays éligibles à ces fonds.
21 Le plan indicatif national 2005-2006 de l’UE pour la Tunisie note que : « La mise en oeuvre des projets dits de troisième génération (société civile, médias, justice) s’est avérée cependant difficile ». Conclusion, le programme « société civile » a été purement et simplement annulé du PIN 2005-2006 qui ne prévoit pas de nouveaux programmes en matière de droits de l’homme !
22 Deux projets restés longtemps en instance (2002-2004) ont finalement été mis en ouvre en 2005. Un projet « Justice » et un projet « Média ». Après un an d’atermoiements, la Tunisie et l’UE ont signé un accord sur un programme de renforcement de l’institution judiciaire en décembre 2005, portant sur un montant de 22 millions d’euros. La convention de financement prévoit un certain nombre d’activités en faveur des associations professionnelles devant bénéficier de ce programme. Les deux corps concernés sont l’Association des magistrats tunisiens qui a subi en 2005 un coup de force, impulsé par le ministère de la Justice et dont le nouveau bureau imposé en décembre 2005 est entièrement dans le rang ; le second est le Conseil de l’ordre des avocats, qui reste un organisme indépendant du pouvoir. Ce dernier n’a pas été associé aux projets qui le concernent alors que la convention prévoit un volet formation des avocats par la création d’un institut.
23 Que dire des autres projets Meda censés soutenir la démocratisation ? Le cas le plus flagrant de détournement d’objectif est le sort réservé au projet « Média », qui est une sorte de prime à la censure généralisée en Tunisie. Alors que la liberté de la presse est quasi inexistante et au moment où des projets pour la défense de la liberté de la presse en Tunisie présentés par des ONG internationales étaient rejetés, l’UE décide de financer un projet d’appui aux médias d’un montant de 2,15 millions d’euros. Sa mise en oeuvre lancée en 2005, a été confiée au Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC), un organisme officiel qui s’est arrangé pour n’en faire bénéficier que les journalistes de la presse aux ordres.
24 Quant aux projets soutenus par l’unique ligne de financement qui ne requiert pas l’approbation préalable du gouvernement, celle de l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’homme, les autorités tunisiennes se sont arrangées pour les bloquer. Le cas devenu ubuesque, est celui de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Depuis le mois d’août 2003, le gouvernement tunisien bloque arbitrairement la deuxième tranche d’un fonds dont la Ligue devrait bénéficier, sous le prétexte fallacieux qu’elle n’avait pas produit l’autorisation requise !
Double standard pour l’application des normes
25 La sincérité des élections est l’un des critères essentiels d’un régime démocratique. Là encore, l’UE applique ce principe selon un double standard. Le 25 octobre 2004, l’Union européenne adressait ses félicitations à Ben Ali pour son nouveau mandat présidentiel à la tête de la république tunisienne. Ce scrutin n’avait visiblement pas bénéficié de l’un des effets heureux promis par l’accord d’association, entré en vigueur depuis plus de neuf ans.
26 La longue tradition des élections sans enjeux, en vigueur depuis l’indépendance et qui voient les candidats du parti au pouvoir reconduits grâce à des scores à la soviétique a été confirmée. Face à la colère d’une opposition dénonçant le recours à une fraude massive, l’UE – qui s’était bien gardée de mobiliser son potentiel d’observation électorale – se contente de souhaiter, bien timidement, une « liberté d’expression et d’association plus complète [5] ». Sous d’autres cieux, l’UE s’était pourtant montrée moins permissive sur les atteintes à la sincérité des élections.
27 L’UE a aussi prestement avalisé le coup de force constitutionnel qui permit à M. Ben Ali de briguer ce nouveau mandat, tout en lui conférant une impunité à vie [6].
Apem, un instrument de blanchiment des parlements mal élus
28 Comme on l’a vu, les mécanismes adéquats permettant de mettre en ouvre les résolutions contenues dans les accords, font cruellement défaut dans le Partenariat euromed. En ouverture de la conférence de Toulouse sur « les relations euro-méditerranéennes [7] », Josepp Borell, alors président du parlement européen, proclamait tout son enthousiasme à présider l’Apem la plus récente institution, du processus de Barcelone [8]. Quelques jours plus tard, il publiait un mémorandum [9] assignant des objectifs très ambitieux à ce tout nouveau mandat : développer le dialogue sur les droits de l’homme avec les parlements des pays partenaires et avec les représentants de la société civile.
29 Pourtant, le statut de l’Apem confine cet organisme dans un strict « rôle consultatif », condamné à émettre des résolutions et des recommandations « non contraignantes [10] ». Le bilan de l’Apem depuis sa création, reste assez maigre, loin des ambitions fixées par Josepp Borell. Tout au plus peut-on noter dans la résolution adoptée à Rabat [11] une timide « inquiétude » suite à l’adoption par certains Etats, au nom de la lutte contre le terrorisme, de « législations qui dérogent aux obligations internationales en matière de droits de l’homme ».
30 Cette réunion demeurera, surtout, marquée par un fâcheux précédent : l’interdiction faite aux membres palestiniens, nouvellement élus, d’y assister, à la suite du refus de la Belgique de leur délivrer des visas, en « accord avec le Conseil [12] » de l’UE. On ne trouve nulle mention d’une dénonciation officielle d’une atteinte flagrante à la souveraineté de cette institution, vouée, selon les voeux de Josepp Borell, à exercer le rôle d’un pouvoir parlementaire au sein du processus de Barcelone.
31 A la décharge de certains députés, on notera que lors des préparatifs de la 3e session réunie à Tunis (16-17 mars 2007), Luisa Morgantini avait insisté pour que les députés palestiniens présents soient « ceux choisis par leur peuple », alors que la commissaire aux Affaires étrangères Benita Ferrero-Waldner posait comme préalable « l’arrêt de la violence » par le Hamas.
32 Si les activités de l’Apem sont très loin de justifier les promesses avancées par ses promoteurs de donner une impulsion salutaire au processus de Barcelone, on peut en revanche relever tout le bénéfice cosmétique qu’en tirent les régimes despotiques partenaires du sud de la Méditerranée.
33 Du 1er avril 2006 au 18 mars 2007, la présidence de l’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne était assurée par Fouad Mebazaa – président de la chambre des députés de Tunisie. C’est tout un symbole que de voir l’archétype du gestionnaire d’un parlement mal élu, appelé couramment « chambre d’enregistrement », caractéristique des systèmes totalitaires, succéder au représentant des traditions parlementaires les plus éprouvées au monde.
34 Oubliées, les réserves des parlementaires européens sur les « élections » tunisiennes ! Intégrés dans la même institution que des parlementaires élus démocratiquement, les champions de la fraude électorale sont blanchis et désormais élevés au statut de « collègues », de vrais députés.
Le partenariat à l’épreuve du sommet mondial : l’amnésie après la colère
35 La deuxième phase du SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information [13]) tenu à Tunis le 16 novembre 2005 a été l’écueil qui a heurté de plein fouet le partenariat, et constitué un moment de vérité pour les relations UE-Tunisie. Le maquillage démocratique du régime tunisien a fondu comme neige au soleil et révélé le vrai visage d’une dictature pour qui la politique se résume à la sécurité, comprise comme l’obsession de tout contrôler sur son territoire jusqu’au vol des mouches. Les partenaires européens n’ont pas pu comprendre que cette gestion totalitaire, réservée d’habitude aux autochtones, s’étende à eux.
36 Le cadre international et extraterritorial du Sommet tenu sous l’égide de l’ONU n’a pas été respecté. La censure a été largement pratiquée dans l’enceinte du site. Un rapport d’Amnesty International a été censuré et interdit de distribution. Des sites Internet à contenu critique continuaient à être bloqués. Les participants n’ont pas bénéficié de l’immunité que leur confère ce cadre, et l’incident le plus marquant a été le refus illégal des autorités tunisiennes d’autoriser Robert Ménard, SG de RSF, à participer au SMSI en tant que participant accrédité, tout cela évidemment avec la complicité du secrétaire exécutif du SMSI.
37 Mais l’épisode le plus grave qui a marqué ce sommet a été l’agression à l’arme blanche dont avait été victime à cinq jours de l’ouverture du sommet le journaliste de Libération, Christophe Boltanski, qui dénonce « le sentiment d’impunité » des autorités tunisiennes. Moins gravement attaqués, ses collègues de la RTBF ont eux aussi eu leur part de violences et leur cassette fut confisquée. Ils auront, seuls, droit à des excuses officielles. Tandis que l’équipe de TV5 décidait de plier bagage avant l’ouverture du sommet en réaction à une surveillance policière trop collante.
38 Une réunion du comité de coordination d’un contre sommet – finalement interdit, une première dans l’histoire des sommets onusiens – tourne au drame le 14 novembre. La police politique a usé de violence contre des défenseurs de droits humains tunisiens et étrangers. L’émissaire de l’UE appelé à l’occasion, l’ambassadeur allemand à l’ONU, est empêché de discuter avec la société civile à l’Institut Goethe où devait se tenir une réunion préparatoire, et poursuivi jusque dans un café de la place. Ces incidents qui paraissaient intolérables dans un sommet qui devait débattre de liberté de communication pour tous, ont poussé trois experts [14] de l’ONU, fait rare, à exprimer dans un communiqué commun le jour de l’ouverture du sommet « leur plus profonde inquiétude à l’égard d’informations concernant les violences physiques perpétrées par les forces de l’ordre contre certains défenseurs des droits de l’homme, avocats et journalistes [15] ».
39 Un atelier organisé par le Parlement européen et la Commission est saboté et les représentants officiels européens subissent à leur tour les méthodes musclées de la police de Ben Ali. Convoquée par la présidence britannique, une réunion d’urgence avec les représentants de la société civile est tenue le 15 novembre au siège la Délégation européenne à Tunis où les ambassadeurs de pays de l’UE ainsi que ceux de la Suisse, du Canada et des USA se concertent sur la conduite à tenir face à cette escalade qui surprend tout le monde. La diplomatie n’a aucun effet sur l’intransigeance et l’arrogance tunisienne. Le soir du 15, une interpellation du ministre des Affaires étrangères suisse, dont le pays est coorganisateur du Sommet, avec son homologue tunisien, Abdelwahab Abdallah, tourne à l’incident diplomatique et provoque une réaction assez dure de la délégation suisse qui transparaît dans le discours inaugural du président de la Confédération, Samuel Schmid, le 16 novembre : « Parmi les individus encore interdits d’accès aux moyens d’information, nombreux le sont pour des raisons politiques. Il n’est pas acceptable – et je le dis sans détours – que l’ONU compte encore, parmi ses membres, des Etats qui emprisonnent des citoyens au seul motif qu’ils ont critiqué leurs autorités sur Internet ou dans la presse... J’attends donc que la liberté d’expression et la liberté de l’information constituent des thèmes centraux au cours de ce sommet ». Seule la TV suisse a pu rapporter cette partie du discours, la transmission directe a été interrompue sur la chaîne nationale tunisienne. Depuis, un froid glacial caractérise les relations entre Tunis et Berne [16].
40 Dans une interview à la chaîne européenne Euronews, diffusée le 19 novembre, le chef de la délégation de l’UE à Tunis, Marc Pierini, sort de sa réserve en fustigeant « des méthodes habituellement utilisées en Tunisie, mais qui frappaient pour la première fois des étrangers ». Il y dresse aussi le bilan d’une gouvernance zéro : « Nous avons échoué à mettre en oeuvre un programme en faveur de la société civile, qui était pourtant inscrit d’un commun accord dans notre programmation. Nous avons mis en oeuvre avec beaucoup de difficultés un programme de formation des journalistes. Et nous travaillons depuis 4 ans à mettre en place un très grand programme de modernisation de la justice, jusqu’à ce jour sans succès. Par ailleurs, les financements accordés aux associations de défense des droits de l’homme ou aux ONG de santé ou autres, sont très fréquemment bloqués. »
41 Comble de l’arrogance, le ministre des Affaires étrangères tunisien, qui s’exprimait dans la même émission trouve que « les critiques adressées au régime comme étant répressif et liberticide, sont plus qu’excessives… aujourd’hui la Tunisie est dans une situation enviable par rapport à beaucoup d’autres. »
42 Le 1er décembre, une réunion sur la Tunisie entre les trois institutions de l’UE (Conseil, Commission et Parlement) se tient pour la première fois à huis clos à Bruxelles, afin d’éviter d’avoir à débattre devant les Tunisiens des mesures à prendre face à ces violations délibérées des libertés fondamentales lors du sommet. Le représentant de la France s’oppose fermement à des sanctions.
43 Le 13 décembre 2005, le Parlement européen consacre une séance à l’évaluation du SMSI, où le Conseil et la Commission s’expriment publiquement sur les droits de l’homme et la liberté de la presse en Tunisie. La colère des partenaires européens éclate publiquement.
44 Le Conseil, par la voix de son président Geoff Hoon déclare : « Le Conseil partage les inquiétudes des députés de cette Assemblée concernant la situation des droits de l’homme en Tunisie et il a pleinement conscience des lacunes qui existent dans ce pays, en particulier en ce qui concerne les actes d’intimidation et de harcèlement commis par les autorités à l’encontre de la société civile [...] Il est à présent temps que nous insistions sur la mise en oeuvre par les autorités tunisiennes des engagements pris par le président Ben Ali en matière de démocratie, de bonne gouvernance et de droits de l’homme, fixés dans le plan d’action de la politique européenne de voisinage. »
45 Sur le même ton, Viviane Reding, Commissaire européenne chargée de la société de l’information, renchérit : « Ce sommet a malheureusement été assombri par des événements qui ont poussé la Commission à marquer son ferme désaccord quant à la manière dont les autorités tunisiennes interfèrent dans les activités de la société civile, créant même des difficultés lors de l’atelier commun du Parlement européen et de la Commission sur les droits de l’homme [...] Nous avons souligné qu’il nous était difficile de croire que les incidents étaient simplement le résultat de « regrettables » malentendus. [...] Nous avons demandé des gestes clairs de la part des autorités tunisiennes. Au début de l’année, nous réévaluerons la situation avec les États membres et nous déciderons, en l’absence de progrès, si des mesures supplémentaires doivent être prises. »
46 Catherine Trautmann, députée européenne qui conduisait la délégation du Parlement européen au sommet s’indigne : « Je déclare inacceptables les incidents graves qui ont entouré le sommet et porté atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d’expression et de réunion, mais aussi aux personnes, ainsi que les événements qui ont visé notre délégation, en particulier le sabotage de l’atelier sur les droits de l’homme. Ils sont contraires aux engagements souscrits par la Tunisie dans les conclusions du sommet, de même que dans l’accord d’association, dont ils rompent ainsi la réciprocité. »
47 Quant à Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des Droits de l’homme, elle constate que « ce qui s’est passé met au défi la politique de l’UE en matière de démocratie et de droits de l’homme dans ce pays... c’est ce défi qu’il nous faut relever. ».
48 Luisa Morgantini, parle de « symptômes d’un État quasi-policier dans lequel les droits et les principes démocratiques sont niés. »
49 Condamnation verbale ouverte mais pas d’actes
50 Quel message a voulu lancer Ben Ali à ses partenaires européens à ce Sommet ? Il semblerait qu’il ait voulu ainsi les obliger à assumer la réalité autoritaire de son régime, comme découlant des exigences de la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine et lever « l’hypocrisie » qui consiste à lui demander d’être « démocratiquement correct » et le harceler sur le dossier droits de l’homme.
51 Peu, parmi les députés européens, s’y sont trompés. Alain Hutchinson, vice président du PE (PSE) déclare dans cette historique séance du 13 décembre : « S’il y a une chose dont il faut se réjouir au lendemain du sommet, c’est qu’il a eu pour effet positif de montrer à la face du monde ce que trop de gens ne voulaient pas voir [...] à savoir que la démocratie est bafouée chaque jour en Tunisie [...] j’ai effectivement été étonné, après avoir interrogé la Commission et le Conseil au retour d’une mission là-bas, de la timidité de leurs réactions face à ce que l’on peut qualifier de véritable violation de l’accord de partenariat entre l’UE et la Tunisie. J’ose croire que cette timidité n’est pas directement liée à d’autres perspectives, notamment l’organisation par les pays du Maghreb, comme certains le souhaitent, d’une sorte de police de nos frontières, afin de limiter l’immigration clandestine. »
52 Le Conseil d’association qui devait se réunir en janvier 2006 pour mettre les points sur les « i » ne s’est pas réuni. Pourtant Viviane Reding annonçait dans cette même séance : « Le comité d’association se réunira au début de l’année prochaine. Il sera suivi par le tenue d’un conseil d’association et nous avons la ferme intention d’inscrire à l’ordre du jour les problèmes des droits de l’homme ».
53 Entre temps, la Présidence finlandaise s’émeuvra de l’annulation d’une conférence qui devait avoir lieu les 8 et 9 septembre 2006, en vue d’évaluer « l’impact du partenariat euro-méditerranéen sur le droit du travail et l’emploi ». Les organisateurs (la fondation Friedrich Ebert, la Délégation de l’UE, la Coopération espagnole, le Forum syndical euromed…) ont eu la surprise de voir annuler purement et simplement cette rencontre de façon détournée par les autorités : il n’y avait aucune salle disponible dans toute la capitale pour accueillir cette réunion qui devait être l’étape finale d’un processus de préparation de la conférence intergouvernementale prévue à Berlin début 2007. La vraie raison était que parmi les organisateurs se trouvait le président du REMDH, le tunisien Kamel Jendoubi, vivant en exil et auquel les autorités refusent toujours de délivrer un passeport !
54 Alors même que les espoirs soulevés par un avenir commun avec l’Europe ont été déçus, on constate que ce processus a surtout servi à conforter une dictature soft, économiquement prédatrice, qui ne parvient même pas à rassurer les investisseurs privés du fait d’un contexte institutionnel peu transparent (insécurité des transactions économiques, justice asservie, instabilité des règles du jeu...).
55 Le soutien apporté par les pays occidentaux à des dictatures comme celle du Président Ben Ali, discrédite le modèle démocratique, crée un sentiment de frustration et représente une menace pour l’avenir du partenariat euro-méditerranéen. ?
Notes
-
[1]
Discours de clôture de la septième session du comité central du RCD (parti au pouvoir).
-
[2]
Résolution du Parlement européen sur le processus de Barcelone revisité (2005/2058 (INI) Jeudi 27 octobre 2005.
-
[3]
http://www.europarl.eu.int/news/expert/infopress_page/030-2940-332-11-48- 903-20051128IPR02939-28-11-2005-2005--false/default_fr.htm
-
[4]
Lors de sa visite officielle en Tunisie, le 1er avril 2003.
-
[5]
Ibid
-
[6]
Une interview de Manfredo Fanti, qui faisait fonction de Chef de Délégation de la Commission européenne à Tunis, parue dans « Synopsis Euromed » N° 31 du 16 juillet 2002, exprime la caution sans ambages de l’UE : « En ce qui concerne la réforme constitutionnelle approuvée par le référendum du 26 mai dernier, il faut éviter les procès d’intentions. Les nouvelles normes ne se limitent pas à permettre le renouvellement du mandat présidentiel : elles comportent aussi des aménagements juridiques positifs, tels que la soumission au contrôle judiciaire de la garde à vue et la protection des données personnelles. Un jugement sur l’impact de cette réforme constitutionnelle sera possible plus tard, sur la base de l’application qui sera faite des nouvelles normes par les autorités tunisiennes. » http://ec.europa.eu/comm/external_relations/euromed/publication/special_ feature31_fr.pdf
-
[7]
Organisée par le parti des socialistes européens (PSE) les 15 et 16 avril 2005, en commémoration du 10e anniversaire des accords de Barcelone.
-
[8]
Instituée le 3 décembre 2003 par décision de la Conférence ministérielle du partenariat euro-méditerranéen, réunie à Naples.
-
[9]
« Political priorities for the EP Presidency of the Euro-Mediterranean Parliamentary Assembly ».
-
[10]
Point 2 de l’article 3 du « règlement de l’Apem » adopté à la réunion d’Athènes du 22 mars 2004.
-
[11]
Résolution de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne sur l’avenir du Processus de Barcelone, adoptée le 21 novembre 2005, à Rabat (Maroc) – session extraordinaire.
-
[12]
Selon le communiqué de presse publié par la députée européenne Hélène Flautre, l’une des rares à avoir exprimé une protestation publique sur cet incident. Les délégués arabes, assez portés sur les dénonciations tonitruantes, brillèrent par une honteuse discrétion sur ce point.
-
[13]
http://www.itu.int/wsis/index-fr.html
-
[14]
La représentante de l’ONU pour les défenseurs des droits de l’homme, Hina Jilani, le rapporteur sur la liberté d’expression, Ambeyi Ligabo, et le rapporteur sur l’indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy.
-
[15]
http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/0/ 2D5B6CADD6BCE572C12570BB0035035C?opendocument
-
[16]
Rappelé en signe de protestation, l’ambassadeur de Tunisie à Berne n’avait, au moment du bouclage de ce numéro, toujours pas regagné son poste depuis décembre 2005.