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Article de revue

La deliquescence du droit du travail en Israël

Extraits du rapport de 2004

Pages 61 à 67

Notes

  • [1]
    Note de Jacques Bendelac à propos de l’EAB : Face à l’urgence de la situation provoquée par l’inflation galopante, le gouvernement israélien utilisa à partir de 1986 une nouvelle procédure législative curieusement qualifiée de « Loi d’arrangements » (Hok Ahesderim en hébreu). Cette législation dite « d’urgence » regroupait des amendements divers qui étaient soumis aux députés en procédure accélérée et votés en bloc sans débat parlementaire approfondi. Cette procédure estt reconduite d’année en année depuis plus de vingt ans. Elle permet au gouvernement de faire adopter par la Knesset sans débat préalable des lois très diverses censées compléter la loi de finances. Un arrêté de la Cour suprême a critiqué le caractère non démocratique de ces textes, mais le gouvernement n’en a pas tenu compte et a présenté une nouvelle « loi d’arrangements » pour 2005 qui contient pêle-mêle de multiples réformes, comme une restructuration du secteur de l’électricité, une réorganisation de la poste
L’association pour les droits civils en Israël est membre de la FIDH . Elle publie chaque année un rapport sur la situation des droits de l’Homme en Israël. Pour illustrer l’article de J. Bendelac sur l’ultra-libéralisme de l’économie israélienne, nous publions un extrait de ce rapport sur les violations du droit du travail .

1 Nous souhaitons attirer particulièrement l’attention sur l’accroissement constant des violations des droits des travailleurs et des demandeurs d’emploi en Israël. Depuis quelques années, les chômeurs qui revendiquent le « droit au travail » y sont présentés comme des paresseux parasites. Comme le montre cette étude, non seulement les emplois ont considérablement diminué, mais aussi les rapports de force sur le marché du travail bafouent les droits des salariés et des candidats au travail en les obligeant à accepter ces violations de peur de perdre leurs sources de revenus. Le gouvernement soutient les employeurs et laisse les travailleurs exposés à l’exploitation et à la discrimination.

The Economic arrangement bill (EAB) [1] : une violation des droits humains liée à un processus légis latif douteux

2 L’EAB a été adopté pour la première fois en 1985 comme mesure d’urgence, destinée à stabiliser l’économie, contre l’avis des ministres des Finances et de la Justice en exercice. L’EAB, depuis, est devenu un moyen permettant au gouvernement de faire passer des lois, dont beaucoup sont détournées de leur objectif budgétaire original, sans débat sérieux à la Knesset. D’année en année, l’EAB est devenu un « monstre législatif » passant, en vingt ans, de 15 pages et 103 articles à 82 pages et 1037 articles.

3 Les EAB sont devenus le principal mécanisme pour faire passer des changements économiques profonds qui aboutissent à des violations des droits de l’Homme en Israël. Ces changements sont adoptés sans aucun débat sérieux de la part des commissions d’experts de la Knesset. Dans certains cas, l’EAB a annulé ou modifié, d’un revers de la main, une loi initialement élaborée au cours d’un processus législatif long et laborieux et, plus d’une fois, les amendements ont dévié des objectifs budgétaires prévus pour l’année en cours et même pour les suivantes.

4 Ces derniers temps, la loi a gelé et annulé, entre autres, des aides au logement, des subsides aux enfants, des pensions aux conjoints, des allocations aux personnes âgées et des retraites ont été bloqués ou réduits ; l’intégration des travailleurs temporaires dans l’emploi comme salariés permanents a été rejetée ; les subventions gouvernementales pour l’accession à la propriété à Jérusalem ont été supprimées ; le plan « Wisconsin », qui génère des changements considérables dans le marché du travail et le réseau de protection sociale, a été enterré par la loi ; le service postal a été modifié de telle manière que cela mène à la privatisation du secteur ; un comité pour l’infrastructure nationale a été établi pour, en réalité, passer au-dessus des commissions de planification existantes créées par la loi : il permet l’adoption de projets nationaux d’infrastructure à travers un processus expéditif, sans un délai suffisant pour la préparation d’un rapport ou d’une expertise environnementale ou la soumission d’un appel ou d’un recours formel de la part du public. Le résultat du processus législatif de l’EAB est l’abandon par la Knesset de son pouvoir discrétionnaire qu’elle remet, en fait, entre les mains du pouvoir exécutif, c’est-à-dire du gouvernement qui a présenté le projet de loi et du ministre des Finances qui l’a élaboré. Ce faisant, la Knesset viole le principe de séparation des pouvoirs qui est au cœur d’un régime démocratique.

Les droits des travailleurs

5 La conséquence du déséquilibre des pouvoirs dans le domaine de l’emploi favorise clairement les employeurs. Les travailleurs n’osent pas s’élever contre les violations de leurs droits et porter plainte contre leurs employeurs. Le gouvernement présente les sans-emploi comme des parasites. Il existe bien sûr en Israël, comme partout ailleurs, des gens qui profitent des deniers publics mais, dans un contexte de quasi-inexistence d’offres d’emploi, le fait de présenter les gens comme chômeurs par choix est une véritable provocation contre une communauté tout entière. De plus le déséquilibre des pouvoirs dans le domaine de l’emploi entraîne le non-respect des droits des travailleurs.

6 L’ACRI reçoit chaque jour des plaintes de travailleurs relatant des violations de leurs droits. En voici quelques exemples qui illustrent les situations que nous venons de décrire : un demandeur d’emploi à qui l’on demande (en violation de la loi) de rendre publique sa situation militaire, une personne qui a travaillé trois ans dans la même place et qui n’a pas droit aux avantages sociaux, tels que vacances ou prime, et dont les heures supplémentaires ne sont pas comptées, une femme dans l’industrie des services dont les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, des employeurs qui interdisent de parler la langue arabe sur le lieu de travail, de nouveaux immigrés qui travaillent pour un employeur et n’ont pas reçu de feuille de salaire, l’employeur qui a licencié ses employés arabes, simplement parce qu’ils étaient arabes, des femmes licenciées parce qu’elles étaient enceintes, un employé qualifié qui se plaint d’irrégularités financières et qui est renvoyé pour des raisons de compressions de personnel : il s’aperçoit par la suite qu’on a recruté quelqu’un de moins qualifié pour le remplacer, un professionnel, licencié après plusieurs années dans la même place, sur des allégations selon lesquelles son travail n’est pas satisfaisant, et cela peu de temps après qu’il a annoncé son intention d’adopter un enfant….

Bureaux de placement

7 Selon des estimations officielles, 5,2% des travailleurs en Israël, environ 100000 personnes dont 65000 femmes, sont recrutés par des bureaux de placement. Selon des sources non officielles, le nombre de ces travailleurs est le double. De plus, une étude de l’Israel Women’s Network, publiée en février 2004, révèle que le salaire des travailleurs temporaires représente 60% de celui de leurs collègues qui ont des contrats à durée indéterminée. L’étude montre aussi qu’environ 50% de ces travailleurs gagnent seulement le salaire minimum.

8 Les bureaux de placement proposent aux employeurs des travailleurs qualifiés et non qualifiés. Les agences d’intérim offrent leurs services dans différents domaines. Dans les deux cas, le résultat est qu’il y a un intermédiaire entre l’entreprise qui embauche et le travailleur. Cela a commencé dans les années 1980 : il s’agissait alors de fournir à des employeurs des équipes temporaires pour des projets spécifiques, des travaux saisonniers, etc. Cette pratique d’emploi des salariés par l’intermédiaire de bureaux de placement ou d’agence de travail temporaire a finalement abouti, sur une très grande échelle, à des réductions de salaires et à une dévalorisation du prix des travailleurs sur le marché du travail.

9 L’un des plus gros employeurs de travail à bon marché alimenté par ces bureaux de placement est l’Etat. Selon l’étude évoquée plus haut, 35000 travailleurs issus de ces agences sont employés dans le secteur public et « bénéficient » de conditions de travail et de salaires inférieurs à leurs collègues salariés dans les mêmes postes. Quand on parle de « productivité accrue » dans le secteur public, cela signifie souvent la privatisation du travail, auparavant effectué par des employés réguliers d’un service gouvernemental ou territorial, et son transfert à une compagnie privée employant du personnel qui n’est pas organisé, perçoit de bas salaires et bénéficie de peu d’avantages sociaux.

10 Une rémunération inférieure à celle de ses collègues pendant plusieurs années détruit peu à peu la dignité d’une personne en tant qu’homme et en tant que travailleur. Dans plusieurs postes et même dans le service public, on constate des situations où salariés permanents et « temporaires » se côtoient, les premiers jouissant de la sécurité de l’emploi et de conditions de travail supérieures aux seconds qui n’ont pas de droits et dont l’emploi reste « temporaire », même s’il dure parfois depuis des années.

11 Pour dénoncer cette discrimination, la Knesset a amendé la Loi sur l’emploi des travailleurs par des agences d’intérim, en 2000, et établi que les travailleurs issus des bureaux de placement devraient être formellement engagés dans un délai de neuf mois. De plus, ils devraient, dès le premier jour, jouir des mêmes droits que les travailleurs « réguliers ». L’exécution de cette obligation a été différée encore et encore par l’EAB et n’est, à ce jour, toujours pas acquise. Récemment, un nouvel accord collectif a été signé dans le secteur des bureaux de placement qui remplace complètement la section relative à l’égalité des conditions de travail et établit un cadre pour l’emploi des travailleurs de ce secteur. L’accord améliore la situation jusqu’à un certain point en reconnaissant les droits des travailleurs ; toutefois il maintient le statut différent et « spécial » du personnel intérimaire.

Discrimination salariale

12 Selon des statistiques publiées par le Bureau central israélien des statistiques, le salaire horaire d’une femme, en 2002, est de 36,7 nouveaux shekels (NIS), celui d’un homme en moyenne de 23% de plus : 45,3 NIS. Cette donnée montre que le fossé entre les deux diminue lentement : en 1985 en effet, le salaire d’un homme était-de 36 % supérieur à celui d’une femme. Les femmes représentent 48% de la force de travail. Selon l’échelle des salaires horaires, elles constituent 56% des 10% des salaires les plus bas, et seulement 34% des 10% des salaires les plus hauts.

L’application approximative des lois protégeant les travailleurs

13 Même au cœur de la crise économique, rien ne peut justifier de fermer les yeux sur les violations des lois du travail par les employeurs. Et, bien que cette pratique soit largement connue et répandue, l’Etat engage rarement des poursuites légales à leur encontre. A l’initiative du ministère des Finances, une disposition de l’EAB de 2004 a été modifiée. Cette disposition interdisait au gouvernement de conclure, pendant un an après la condamnation, un marché avec une société qui avait enfreint la loi sur le salaire minimum. En levant cette interdiction, l’Etat ouvre la voie à la non-application d’un salaire minimum pour tous les travailleurs..

Les travailleurs immigrés

14 L’Etat s’investit beaucoup pour expulser les travailleurs immigrés mais, dans le même temps, il ne fait rien pour garantir leurs droits fondamentaux.. Le rapport de la Cour des comptes, publié en mai 2004, établit que la durée moyenne du délai de répression envers un employeur utilisant des travailleurs immigrés qui a violé la loi – de la visite de l’inspecteur jusqu’à la sanction – est de 533 jours (près d’un an et demi). On cite d’autres cas dans lesquels plus de trois ans se sont écoulés entre la visite de l’inspecteur et la sanction. L’expérience des organisations de défense des droits de l’Homme a montré que les plaintes déposées n’entraînaient aucune action contre les sociétés qui violent quotidiennement les droits des travailleurs immigrés dans leur emploi. Ces sociétés n’étaient pas obligées de payer les amendes et continuaient à recevoir les autorisations nécessaires à l’emploi des travailleurs immigrés.

Le droit de grève

15 Cette année encore, le droit de grève a été remis en cause aussi bien par la loi que de la part de personnes influentes sur le marché du travail. La commission ministérielle a récemment approuvé un projet de loi pour le limiter sévèrement. Selon ce projet, les organisations de travailleurs ne seront plus autorisées à décider la grève si elles n’ont pas le soutien individuel de la majorité des travailleurs. Cela signifie que les conditions requises pour décider une grève se sont beaucoup durcies. Au fur et à mesure que le chômage se développe et que les emplois diminuent, la dépendance des travailleurs à l’égard de leurs employeurs s’accroît et la difficulté à protéger leurs droits augmente.


Date de mise en ligne : 01/01/2011

https://doi.org/10.3917/come.054.0061

Notes

  • [1]
    Note de Jacques Bendelac à propos de l’EAB : Face à l’urgence de la situation provoquée par l’inflation galopante, le gouvernement israélien utilisa à partir de 1986 une nouvelle procédure législative curieusement qualifiée de « Loi d’arrangements » (Hok Ahesderim en hébreu). Cette législation dite « d’urgence » regroupait des amendements divers qui étaient soumis aux députés en procédure accélérée et votés en bloc sans débat parlementaire approfondi. Cette procédure estt reconduite d’année en année depuis plus de vingt ans. Elle permet au gouvernement de faire adopter par la Knesset sans débat préalable des lois très diverses censées compléter la loi de finances. Un arrêté de la Cour suprême a critiqué le caractère non démocratique de ces textes, mais le gouvernement n’en a pas tenu compte et a présenté une nouvelle « loi d’arrangements » pour 2005 qui contient pêle-mêle de multiples réformes, comme une restructuration du secteur de l’électricité, une réorganisation de la poste

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