Le Rapport annuel d'Amnesty International détaille la situation des droits humains dans 155 pays et territoires pour l'année 2003. Il donne une vue d'ensemble de l'évolution de cette situation par région et présente les thèmes prioritaires de l'action d'Amnesty International (violence contre les femmes, droits sociaux, économiques et culturels, justice, protection des réfugiés et des migrants). Nous publions ici des extraits de ce rapport concernant les trois pays du Maghreb.
Loi relative à la sécurité
1 À la suite des attentats du 16 mai, le Parlement a adopté une nouvelle loi « antiterroriste », qui est entrée en vigueur le 28 mai. Ce texte, qui donnait une définition large et imprécise du « terrorisme », allongeait la durée légale de la garde à vue – la période durant laquelle un suspect est détenu par les forces de sécurité sans inculpation et sans contrôle judiciaire – à un maximum de douze jours dans les affaires de « terrorisme », soit quatre jours de plus que la durée maximale antérieure. La nouvelle loi restreignait également le droit des suspects de consulter un avocat pendant la garde à vue, pendant laquelle les risques de torture ou de mauvais traitements sont les plus grands. Enfin, la loi « antiterroriste » a élargi le champ d'application de la peine de mort.
Répression contre les militants islamistes
2 Selon les autorités, plus de 1500 personnes soupçonnées d'être impliquées dans les attentats du 16 mai ou d'avoir organisé ou préconisé d'autres actes de violence imputés à des islamistes ont fait l'objet de poursuites. Plusieurs centaines d'entre elles se sont vu infliger des peines allant de quelques mois à trente ans d'emprisonnement. Cinquante au moins ont été condamnées à la réclusion à perpétuité. Seize personnes, peut-être plus, ont été condamnées à mort ; elles étaient toujours détenues à la fin de l'année. Aucune exécution n'a eu lieu au Maroc ni au Sahara occidental depuis l'année 1993.
3 Des dizaines de condamnés auraient été contraints sous la torture de faire des « aveux » ou d'apposer leur signature ou l'empreinte de leur pouce sur des déclarations qu'ils récusaient. Dans bien des cas, les suspects auraient été torturés durant leur détention secrète et non reconnue dans les locaux de la Direction de la surveillance du territoire, un service de renseignements intérieur qui n'est pas habilité à mener des enquêtes criminelles. Les sévices infligés aux prisonniers pouvaient prendre différentes formes : coups, introduction forcée d'objets dans l'anus, suspension dans des positions douloureuses, menace de viol ou d'autres violences sexuelles sur le détenu ou sur ses proches (des femmes généralement). Alors qu'elles avaient fortement diminué pendant une période, les allégations de torture et de mauvais traitements ont connu une augmentation alarmante depuis 2002.
4 Abdelhak Bentassir, arrêté en mai, a été accusé d'avoir coordonné les attentats de Casablanca. Les autorités ont déclaré que cet homme avait été interpellé le 26 mai et qu'il était mort le 28 mai après son transfert à l'hôpital, intervenu alors que son interrogatoire n'était pas terminé. Elles ont ajouté qu'il souffrait de troubles cardiaques et hépatiques antérieurs à son arrestation et que l'autopsie avait conclu à une mort naturelle. La famille d'Abdelhak Bentassir a déclaré qu'il était en bonne santé au moment de son arrestation et qu'il avait en réalité été appréhendé le 21 mai, soit cinq jours avant la date donnée par les autorités. Les proches de cet homme, qui n'avaient apparemment pas été informés qu'une autopsie allait être pratiquée, n'ont pas eu la possibilité de désigner un médecin indépendant pour y assister.
Harcèlement de défenseurs des droits humains et de membres de la société civile
5 Des dizaines de Sahraouis membres de la société civile et défenseurs des droits humains, surtout ceux qui étaient perçus comme des partisans de l'indépendance du Sahara occidental, ont été soumis à des manœuvres de harcèlement et d'intimidation. Certains ont été arrêtés, placés en détention et jugés pour des infractions qui avaient visiblement un caractère politique. D'autres ont été empêchés de se rendre à l'étranger pour évoquer des sujets de préoccupation dans le domaine des droits humains, et leurs passeports ont été confisqués. Nombre d'entre eux faisaient partie de la section sahraouie du Forum pour la vérité et la justice, une organisation de défense des droits humains. Les autorités ont dissous cette section au mois de juin, arguant qu'elle s'était livrée à des activités illégales susceptibles de troubler l'ordre public et de porter atteinte à l'intégrité territoriale du Maroc. On reprochait apparemment aux membres de cette organisation d'avoir simplement exercé leur droit d'exprimer pacifiquement leur opinion quant à l'autodétermination du Sahara occidental et d'avoir diffusé des informations à propos de la situation des droits humains.
6 Salek Bazid, membre de la section sahraouie du Forum pour la vérité et la justice, a été condamné en mars à dix ans d'emprisonnement. Cette condamnation reposait apparemment sur une déclaration que cet homme aurait été contraint de signer après avoir été torturé durant sa garde à vue, en septembre 2002, et sur laquelle il était revenu au cours de son procès. Il aurait « avoué » avoir été l'instigateur d'une série d'actes de violence perpétrés entre 2000 et 2002 au Sahara occidental. Salek Bazid a affirmé que les policiers l'avaient battu après lui avoir attaché les mains et les pieds.
7 Dans l'ensemble, les militants marocains d'organisations de défense des droits humains et de la société civile pouvaient exercer leurs activités sans être victimes de harcèlement ; toutefois, deux membres au moins de l'Association marocaine des droits de l'Homme placés en garde à vue auraient été torturés pendant leur interrogatoire.
Restrictions à la liberté d'expression
8 Il était toujours interdit de débattre de la monarchie et du statut du Sahara occidental, notamment dans la presse. Plusieurs personnes, dont des journalistes et des militants politiques, ont été incarcérées après avoir exprimé pacifiquement leur opinion sur ces sujets.
9 En juin, Ali Lmrabet, directeur de la publication de deux journaux indépendants, Demain Magazine et Doumane, a été condamné à trois ans d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de 20000 dirhams (environ 1800 euros) et à l'interdiction de parution de ses journaux. Il a été reconnu coupable d'« outrage à la personne du roi », d'« atteinte au régime monarchique » et d'« outrage à l'intégrité territoriale » du Maroc. Les charges retenues contre lui reposaient sur une série d'articles, de dessins satiriques et un photo-montage parus dans ses journaux.
10 À la suite des attentats du mois de mai à Casablanca, plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement, notamment pour diffusion de fausses nouvelles et incitation à la violence, car ils avaient publié les déclarations de militants islamistes présumés.
Réparation pour les crimes commis au cours des décennies passées
11 En novembre, le roi Mohammed VI a approuvé une recommandation de l'organe officiel de défense des droits humains qui préconisait la création d'une instance équité et réconciliation chargée d'examiner les cas de « disparition » et de détention arbitraire signalés au cours des décennies passées. Cette instance devait en outre poursuivre l'action menée par l'Instance d'arbitrage pour l'indemnisation. Depuis son instauration en 1999, cette dernière, selon un communiqué officiel publié en novembre, avait fait droit à quelque 4500 demandes d'indemnisation émanant de victimes ou de leurs proches. L'instance équité et réconciliation devait élargir la portée des indemnisations, tenter de localiser les restes des personnes mortes en détention et publier un rapport résumant les conclusions d'environ une année de recherche sur les « disparitions » et les détentions arbitraires. Toutefois, la recommandation indiquait qu'aucune enquête approfondie n'était envisagée, excluait catégoriquement toute identification des responsables et rejetait toute poursuite pénale.
12 Bien que les autorités se soient montrées de plus en plus disposées à aborder la question des « disparitions », on restait sans nouvelles de plusieurs centaines de personnes « disparues » à la suite d'arrestations entre les années 60 et le début des années 90. Il s'agissait, pour la plupart, de Sahraouis arrêtés dans la période de troubles qui a suivi l'annexion par le Maroc du Sahara occidental en 1975. Les proches des « disparus » n'ont reçu aucune information de la part des autorités, qui n'ont pas reconnu leur responsabilité dans ces affaires. Aucun responsable présumé de « disparition », instigateur ou exécutant, n'a fait l'objet de poursuites. Certains se seraient livrés à de tels agissements pendant de longues périodes et plusieurs appartiendraient encore aux forces de sécurité, y compris au plus haut niveau.
Mécanismes des Nations Unies dans le domaine des droits humains
13 En novembre, le Comité contre la torture a exprimé sa préoccupation à propos de l'augmentation des cas de torture signalés et de l'« extension considérable du délai de garde à vue, période pendant laquelle le risque de torture est le plus grand ». Le Comité a réclamé l'ouverture sans délai d'enquêtes impartiales sur toutes les allégations de torture et la fin de l'impunité pour les auteurs de tels agissements.
14 En juillet, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a demandé au Maroc de s'attaquer au problème de la violence contre les femmes, y compris domestique, et d'adopter une législation spécifique dans ce domaine. Il a recommandé que les responsables fassent l'objet de poursuites et de sanctions adéquates et que les victimes puissent bénéficier d'une protection et des moyens d'obtenir rapidement réparation.
15 En juin, le Comité des droits de l'enfant s'est déclaré préoccupé que « l'exploitation économique des enfants demeure très courante » et que les domestiques, essentiellement des jeunes filles, « qui travaillent dans des conditions très difficiles [soient] victimes de sévices ».
Camps du Front Polisario
16 Le Front Polisario a libéré près de 550 prisonniers de guerre marocains détenus dans ses camps, parfois depuis plus de vingt ans. Toutefois, plus de 600 autres personnes étaient maintenues en détention bien que les hostilités opposant le Front Polisario aux autorités marocaines aient pris fin en 1991, à la suite d'un cessez-le-feu conclu sous l'égide des Nations Unies.
17 Les auteurs d'atteintes aux droits humains commises dans le passé dans ces camps continuaient de jouir de l'impunité. Les responsables présumés qui s'y trouvaient n'avaient toujours pas été remis par le Polisario aux autorités algériennes pour être déférés à la justice. Quant aux autorités marocaines, elles n'avaient pas traduit en justice les personnes présentes sur leur territoire et soupçonnées d'atteintes aux droits humains dans les camps du Polisario.