1L’accueil est la fonction première des Maisons des adolescents (mda) ; une « hospitalité » qui a déserté l’hôpital hypertechnique depuis la naissance de la médecine moderne. En effet, l’hôpital fut le lieu qui accueillait tout d’abord l’indigent, le fou et le malade, ces trois états étant souvent confondus. Historiquement les premiers hôpitaux, souvent appelés Hôtel-Dieu, tenus par des ordres religieux, offraient un soin unique, l’accueil de la souffrance humaine. La prière, la compensation, le temps nécessaire au rétablissement (ou à la mort) étaient les seules armes de ces ordres hospitaliers où malades, fous, pauvres s’entassaient dans des salles construites autour de la chapelle, ombilic du soin. Seule la miséricorde pouvait venir en aide. L’adolescent est un peu de ces trois états confondus : malade d’un corps en pleine mutation voire métamorphose, fou autant de son désêtre que de la pulsion qui l’agite au-delà de la pensée, pauvre de son état social d’enfant, dépendant, irresponsable légal... Et bien souvent, c’est le temps et la « miséricorde » des adultes qui vont lui permettre de passer ce moment tumultueux. Mais quand l’adolescence ne passe pas ?
2La mda occupe une place singulière dans le dispositif de soin en tant que lieu multidisciplinaire de réponse immédiate à toute souffrance adolescente, que celle-ci concerne l’adolescent, ses parents ou les professionnels qui le côtoient. Cependant, les mda ne s’inscrivent ni dans le soin psychiatrique pur, ni dans la prise en charge socio-éducative, tels qu’on les connaît classiquement. De fait, les mda n’ont pas vocation à assurer des suivis, et à se substituer aux différents partenaires et réseaux existants. Leur création s’étale sur une dizaine d’années, et le gouvernement a souhaité l’ouverture d’une mda par département. La moitié en est dotée aujourd’hui. De statut varié, associatif ou hospitalier, elles sont mises en œuvre par des acteurs aussi divers que les conseils généraux, les services de psychiatrie infantile, les associations de parents d’enfants handicapés… Les mda ont toutes pour vocation l’accueil du mal-être adolescent, qu’il soit psychologique, somatique, social, familial, scolaire. Une équipe diversifiée [1], allant du juriste au médecin endocrinologue en passant par des éducateurs, assistants sociaux, psychologues, sages-femmes, omnipraticien, assure cette fonction première.
3Il s’agit dans notre esprit, puisque sa création et sa conception furent portées par le Service psychothérapique pour enfants et adolescents et son chef de service, le professeur Bursztejn, d’aller au-devant des 20 % d’adolescents qui sont dans cette zone de « mal-être », potentiellement susceptibles, au pire, de basculer dans la pathologie, au mieux, de grever leur avenir adulte d’échec, de rancune, avec rigidification de la personnalité. Il s’agit aussi de rencontrer ces adolescents qui nous évitent, nous les psys, du fait de leur exclusion : mineurs délinquants, dans la rue, étrangers, mais aussi handicapés, porteurs de maladie chronique, qui, paradoxalement, nous consultent peu. Enfin, nous cherchons à éviter deux écueils : d’une part, reproduire un dispositif bien connu et maîtrisé, celui du cmpp et du cmp où le psychothérapeute est le premier et, souvent, le seul interlocuteur. Ici, l’adolescent sera accueilli par des professionnels issus du champ social, médical et éducatif, et parfois psychologique ; d’autre part, proposer un lieu « d’accueil » où les activités ne seraient qu’occupationnelles, servant de cache-misère à une mixité de professions qui se côtoient sans se reconnaître, où l’adolescent ne rencontre rien d’autre que ce qui fait justement échec : une absence de réflexion sur son discours, une agitation répondant à ses passages à l’acte.
4La mission des mda est bien de prendre en charge la souffrance adolescente, le mal-être, d’être en possibilité de reconnaître une pathologie psychologique sous-jacente, d’optimiser les prises en charge par une orientation rapide et efficace, de proposer des réponses multiples dans les champs social, éducatif, scolaire, et ce dans un lieu unique.
5Nous avons considéré le concept unifiant « d’accueil » comme central dans notre démarche :
- l’accueil comme temps unique de prise en charge, quelles que soient la personne et surtout la fonction de ceux qui assurent ce temps ;
- l’accueil comme acte thérapeutique singulier, au sens de la consultation thérapeutique théorisée par Winnicott ;
- l’accueil comme objet de la demande de l’adolescent qui franchit les portes de notre mda, quelle qu’en soit la raison ou la cause ;
- l’accueil comme temps de rencontre qui se répétera jusqu’à ce que l’objet du mal-être puisse être formulé par celui qui souffre en une parole entendable par celui ou ceux à qui elle s’adresse. Dans un exemple simple et banal, entendre pour un adolescent que son échec scolaire n’est pas dû à sa « bêtise » mais à une souffrance psychologique, réactionnelle ou s’inscrivant dans son histoire. S’entendre alors demander une aide, face à cette souffrance enfin nommée comme telle, est le premier temps thérapeutique et néanmoins préalable à un suivi pour l’adolescent.
6Déployons d’abord les diverses dimensions de cet accueil :
- Une écoute active des interactions entre l’adolescent et son environnement, telles qu’elles se présentent au fil des consultations, au sens de l’écoute active d’Esther Bick : une écoute référencée à une théorie freudienne du sujet, à la dimension de l’inconscient dans les fantasmes projetés et vécus, des complexes névrotiques qui structurent la famille. Une écoute qui ne peut exister que d’une reprise, par un analyste, des éléments rassemblés lors de l’entretien. Certes, les écoutants ne sont pas analystes, mais ils ont tous cette pratique de l’adolescence qui leur permet de pas être aspirés par le drame fréquent, le passage à l’acte angoissant de la demande, et surtout la capacité de témoigner ensuite du temps d’accueil.
- Un accueil qui se donne le temps de différer la réponse. En effet, l’urgence indéniable de la demande dans la psychopathologie adolescente, qu’elle soit du fait de l’adolescent, de son entourage, et plus souvent encore de l’impossibilité de l’un à supporter le symptôme de l’autre, cette urgence se doit d’être prise en compte, prise en otage pourrions-nous dire, entendue donc et posée là, sans oubli, pour permettre le déploiement d’une parole. Afin que la demande ne reste pas lettre morte, pour que la souffrance ne soit pas simplement accueillie sans autre soin, sans autre mot, il faut lui permettre de se déployer, d’aller au-delà de l’immédiat. Il faut donc un dispositif intellectuel et institutionnel qui donne à penser cette urgence. Suite à nos rencontres avec différentes mda [2], il nous est apparu qu’un accueil en binôme était une configuration novatrice et efficiente. Le binôme d’accueillants est constitué par deux personnes de la mda. Tous occupent cette fonction, quelle que soit leur place plus « spécialisée » qui peut intervenir secondairement après ce temps d’accueil. Médecin, juriste, travailleur social, psychologue…, sont systématiquement associés, l’un venant du champ du sujet, l’autre du social. Cette configuration permet de sortir du colloque singulier de l’entretien psychothérapique, modèle issu du médical et repris par Freud, médecin avant tout, dans le cadre analytique. Paradoxalement, l’adolescent se sent moins sommé de s’expliquer face à deux adultes. Transférentiellement, il peut chercher une aide dans celui qui est muet, s’identifiant à son silence dans sa difficulté constante d’élaborer sa souffrance. L’adolescent qui nous consulte a antérieurement été invité à « dire ce qui ne va pas », demande à laquelle, bien entendu, il ne peut répondre, et qui ne fait qu’augmenter son désarroi et son angoisse. Être face à deux, c’est aussi permettre de se taire comme l’un d’entre eux, quand on ne sait pas dire car on est pris dans le pulsionnel, l’angoisse labile, par la perte des repères identificatoires de l’enfance.
- Très souvent, ce n’est pas une personne que nous rencontrons mais plusieurs, parents en couple, ado en bande. Le binôme permet de respecter la présentation initiale, le temps d’identifier celui qui souffre, celui qui demande, celui qui se plaint… Et d’entendre, très pratiquement, un peu chacun dans ce concert à plusieurs voix. Le binôme, enfin, associe deux professionnels, l’un du champ social, l’autre du champ médico-psychologique. La confrontation de deux écoutes sous-tendues par des théories différentes de deux pratiques du soin, permet la prise en compte du sujet et de l’individu, tempère le désir soignant de « réponse » dans l’immédiateté de chacun dans son champ. Dans le temps de la consultation, l’écoute de chacun se référence à celle de l’autre, effet de tiercéité qui empêche de répondre trop vite et donc permet de différer. Les accueillants ne vont pas faire, mais dire, ce à quoi nous pousse l’adolescent par ses symptômes urgents, bruyants. Le temps d’élaboration nécessaire à une écoute à deux, de notes, de discussion, évite une réponse « émotionnelle » de l’accueillant, l’oblige à mettre en mots des éléments souvent de l’ordre du ressenti plus que du discours. Le travail de reprise qui suit l’entretien entre les deux accueillants permet aussi d’entendre pour chacun des éléments que son écoute aurait négligés.
7Ces « accueils thérapeutiques » multiples constituent donc un temps de soin à part entière : même si lors de ceux-ci « l’interprétation de l’inconscient n’est pas essentielle à notre démarche » (pour paraphraser Winnicott), la prise en compte de celui-ci n’est jamais absente. En effet, un dispositif de reprise journalière permet au binôme d’aller au-delà de l’écoute pour entendre cette dimension inconsciente de l’urgence, l’angoisse, l’échec. Pour l’adolescent, ou sa famille, l’ouverture qu’offre cet « accueil thérapeutique » souple, répété s’il le faut, permet de différer l’urgence, de laisser le faire de la réponse affolée pour l’émergence d’un dire, d’une parole singulière. Parole qui ne manque jamais, et souvent, dès le premier entretien, elle vient à nous.
8Au-delà du passage à l’acte, de l’agir adolescent, qui est le plus souvent un agir réactif d’un entourage angoissé et impuissant, ce temps d’accueil est essentiel. Il peut être le préalable à une psychothérapie, à une prise en charge sociale, médicale… Mais le plus souvent il se suffit à lui-même, permettant à une parole de trouver enfin une place et un temps pour se déployer dans les chaos et les blancs de l’adolescence. Ce temps d’accueil permet au sujet, comme dans « l’hospital Maison-Dieu », de reprendre sa route, qu’elle soit errante, folle ou simplement banale. La suite n’appartient pas à la mda. Une fois ce temps déployé, cette parole advenue, cette demande posée, telle une lettre en souffrance qui enfin trouve son adresse, à nous de poster l’adolescent vers le « bon » destinataire. Ils sont nombreux, compétents, variés dans le champ de l’adolescence : cmp, psychothérapeutes, organismes de soutien de suivi aux divers aléas de ce temps (drogue, violence, échec).
Mots-clés éditeurs : adolescence, accueil, espace transitionnel, psychanalyse, maison des adolescents, urgence
Mise en ligne 28/06/2012
https://doi.org/10.3917/cohe.209.0082