Couverture de COHE_207

Article de revue

La consultation psychosomatique avec Pierre Marty, rue Falguière

Pages 147 à 149

Notes

  • [1]
    Le Coq-Héron, Psychanalyse, politique et société I, dossier « Les dispensaries psychanalytiques », n° 201, juin 2010.
  • [2]
    Paris, puf, 1963.
  • [3]
    P. Wiener, Structure et processus dans la psychose, Paris, puf, 1983.
  • [4]
    Paris, Payot, 1976.
  • [5]
    Paris, Payot & Rivages, 1980.

1La revue Le Coq-Héron a consacré récemment un numéro spécial aux dispensaires psychanalytiques? [1]. Le texte présenté ci-dessous est proposé en complément de l’article de Diran Donabedian «?La consultation psychosomatique depuis l’investigation?» paru dans ce numéro, dans le but d’apporter quelques informations supplémentaires. Ces lignes n’ont donc pas pour but d’exposer la théorie et la pratique de la psychosomatique psychanalytique, mais simplement d’évoquer une époque et un des lieux de l’activité de Pierre Marty et de ses élèves.

2Pierre Marty a été une des figures majeures de la psychanalyse en France, un des fondateurs de l’École psychosomatique de Paris. De nombreux jeunes analystes et psychiatres intéressés par la psychosomatique se sont inspirés de sa pensée au cours des années 1960 et 1970. Les premiers jeunes élèves de Pierre Marty, trois ou quatre, recrutés pour la plupart dans ses groupes de supervision psychanalytique, ont commencé à suivre ses consultations à l’hôpital de la Pitié vers 1965. Pierre Marty avait alors 47?ans. Il avait déjà réuni un ensemble important d’observations cliniques entrant dans le champ de la psychosomatique et portant sur les vomissements, les rachialgies, l’hypertension artérielle (avec Michel Fain), et surtout formulé sa conception de la relation allergique et de la pensée opératoire. Il venait de publier avec Michel de M’Uzan et Christian David, sept observations cliniques sous le titre L’investigation psychosomatique? [2]. Dans ce livre, texte fondateur, est exposée la démarche psychosomatique, dont les méthodes inspirées par la psychanalyse cherchent essentiellement à saisir les particularités du fonctionnement mental du malade. Peu après, Pierre Marty publiera son article fondamental sur la dépression essentielle. Son travail sur «?La fatigue?» a été reconstitué ultérieurement à partir de ses notes par ses élèves de la rue Falguière.

3À cette époque, Pierre Marty ne recevait plus ses malades dans le légendaire «?placard à balais?», qu’il évoquait plus tard parfois avec nostalgie comme le lieu de ses premières consultations psychosomatiques. Cependant, il ne se contentait pas de la salle d’examen tout à fait décente de l’hôpital. Il rêvait d’un lieu consacré entièrement à la psychosomatique et il a pu réaliser ses projets une douzaine d’années plus tard en ouvrant son hôpital de jour à la Poterne des Peupliers. Le centre de la rue Falguière fut l’étape intermédiaire. Il a fonctionné pendant une dizaine d’années à partir de 1967.

4L’immeuble de la rue Falguière abritait un ancien dispensaire de soins des maladies vénériennes. En ce temps d’avant l’apparition du sida, seuls quelques rares patients se présentaient encore au premier étage en vénérologie. Dans les pièces du second affectées à la psychosomatique, la présence des carrelages rappelait les exigences de l’hygiène antivénérienne. Le fonctionnement fut souvent entravé par les interventions capricieuses de la méfiante directrice. Madame Barnier, la fidèle secrétaire de Pierre Marty, a eu beaucoup de mal à amortir les effets de ses ingérences. C’était une des raisons pour lesquelles Pierre Marty souhaitait s’installer ailleurs. À cette époque, Marty ne passait plus au lit des malades comme, semble-t-il, il le faisait antérieurement. Les patients du centre Falguière, pour la plupart, n’ont pas été hospitalisés avant la consultation mais adressés simplement en ambulatoire par des correspondants, psychanalystes, médecins spécialistes ou généralistes. Christian David et Michel de M’Uzan ne recevaient pas rue Falguière, Michel Fain, Denise Braunschweig et Catherine Parat y ont eu une activité d’enseignement. Le travail s’organisait autour des deux consultations hebdomadaires de Pierre Marty. Il recevait ses malades en présence de ses élèves. Le circuit de télévision n’a été monté qu’ultérieurement à la Poterne des Peupliers. À cette époque, rue Falguière, Marty attribuait à l’assistance une importante fonction d’écran de projection. Il était à l’affût de tout regard, expression ou remarque du malade qui pouvait révéler une émergence fantasmatique, une activité projective dont l’auditoire pouvait être la cible.

5À la fin de la consultation Marty incluait ses élèves dans la relation, entre autres en demandant leur avis. Toujours à cette époque, il insistait sur la bonne organisation matérielle de la salle de consultation. Il tenait à ce que le siège du malade soit aussi confortable que le sien, qu’aucun bureau ou table ne forme barrière entre eux afin d’éviter un recours défensif transférentiel ou contre-transférentiel. L’examinateur ne devait pas se placer entre la porte de sortie et le malade, afin que celui-ci puisse partir facilement s’il en éprouvait le besoin. La saisie du fonctionnement mental du malade était pour Pierre Marty essentielle. Selon sa conception, il existait trois modalités majeures de l’élaboration?: mentale, comportementale et caractérielle. Rappelons-les?: la mentalisation est la capacité du sujet, nourri de son inconscient, à reprendre par la pensée, via le préconscient, les termes des problèmes qui se posent à lui. Chez de tels sujets bien mentalisés, désirs, conflits, ambivalence, frustrations, perte d’objet, tout trouve son expression au niveau mental. Ce qui se traduit par une vie fantasmatique et onirique riche, des capacités d’association et de création. Le manque de capacité de mentalisation aggrave le danger de passage à l’acte chez le sujet. Les représentants pulsionnels dans ce cas ne sont pas repris dans les processus mentaux, mais ont tendance à se traduire directement dans l’action. Il s’agit d’acting, mais non d’acting-out, car l’action engagée peut rester pertinente. Si on peut considérer la prépondérance de l’acting comme constituant une variété de la normale, la propension aux réponses caractérielles apparaît le plus souvent comme pathologique. Pierre Marty pouvait parler de psychose, ou de névrose mentale, comportementale ou caractérielle. La relation allergique et la pensée opératoire ont acquis grâce à lui une certaine autonomie nosographique. Ces modalités de l’élaboration psychique ont fourni les bases d’une classification en psychiatrie? [3].

6À l’issue de la consultation, selon les résultats de l’investigation, le malade pouvait être pris en psychothérapie, en général par un des assistants. Seuls les sujets bien mentalisés, rares en consultation de psychosomatique, pouvaient bénéficier d’une psychanalyse. Ils devaient échapper, eux, à la pathologie psychosomatique. La large gamme des patients correspondant aux diagnostics psychosomatiques qui se retrouvaient aux consultations de Pierre Marty ne disposait pas de fonctionnement mental aussi riche. Une fois par semaine l’équipe, composée d’une douzaine de psychanalystes, se réunissait autour de Pierre Marty pour parler des malades reçus et y réfléchir avec lui. Pour quelques années, Sami Ali s’est joint ultérieurement à l’équipe de la rue Falguière. Ces réunions ont été, bien sûr, passionnantes. L’évolution de la pratique, de la personnalité professionnelle et des vues théoriques de ses élèves en a été profondément marquée. Cette période fut importante pour le développement des conceptions de Pierre Marty lui-même, comme en témoigne son chef-d’œuvre Les mouvements individuels de vie et de mort, dicté à sa collaboratrice, Jacqueline Loriod? [4]. C’est dans cet ouvrage qu’il a exposé ses vues sur les désorganisations et les réorganisations psychosomatiques. Les observations de malade utilisées ont été mises à la disposition de Pierre Marty par le docteur André Ract, chef de service de médecine à l’hôpital de la Cité universitaire et discutées en collaboration avec lui. Le second tome de l’Essai d’économie psychosomatique de Pierre Marty, L’ordre psychosomatique? [5], constitue la synthèse de l’ensemble des travaux de l’École psychosomatique dite «?de Paris?». L’expérience du travail à la rue Falguière a permis à Pierre Marty d’agencer dès sa fondation l’hôpital de la Poterne des Peupliers en fonction des exigences de la consultation et du traitement des patients présentant des maladies psychosomatiques.


Date de mise en ligne : 27/12/2011

https://doi.org/10.3917/cohe.207.0147

Notes

  • [1]
    Le Coq-Héron, Psychanalyse, politique et société I, dossier « Les dispensaries psychanalytiques », n° 201, juin 2010.
  • [2]
    Paris, puf, 1963.
  • [3]
    P. Wiener, Structure et processus dans la psychose, Paris, puf, 1983.
  • [4]
    Paris, Payot, 1976.
  • [5]
    Paris, Payot & Rivages, 1980.

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