Couverture de COHE_179

Article de revue

Tariq Ali et ses publics

Pages 138 à 149

Notes

  • [*]
    L’émission s’appelle Millenium et a lieu les mercredis, sur le canal Globo de télévision. Je sais que l’interview avec Tariq Ali a eu lieu peu de temps après l’épisode des états généraux, mais je n’ai pas pu retrouver la date exacte.

1 1er novembre 2003. Tariq Ali, écrivain pakistanais, auteur de Le choc des intégrismes ; croisades djihades et modernité et de Bush à Babylone : la recolonisation de l’Irak, présenté comme historien, donne une conférence à plus de 600 psychanalystes de différentes nationalités et institutions, réunis à Rio à l’occasion de la IIe Rencontre Mondiale des états généraux de la psychanalyse.

2 Il gagne immédiatement la faveur du public, en lui demandant d’être indulgent, car c’est la première fois de sa vie qu’il s’adresse à des psychanalystes. Il annonce qu’il traitera quelques concepts comme celui du fondamentalisme dans sa relation au fanatisme. Il cite Rousseau, pour qui, d’après lui, un certain degré de fanatisme serait nécessaire à l’effectuation du changement. Ensuite, il explique que le mot de « fanatisme » indiquerait la disposition à faire n’importe quoi pour protéger sa propre foi. Plus tard aurait surgi le terme de « fondamentalisme », d’origine essentiellement chrétienne. Selon le conférencier, ce mot n’existe pas en arabe et son apparition date des guerres de la Réforme, lorsque les protestants rompent avec les catholiques. L’origine des États-Unis se trouverait dans ce fondamentalisme revendiqué par les protestants qui y débarquèrent, en fuyant l’Angleterre pour occuper un pays étranger. Bien que la constitution américaine soit entièrement laïque, un fort courant de fondamentalisme protestant serait resté dans la culture du pays.

3 En poursuivant son discours, Ali estime renverser la façon habituelle de discuter le fondamentalisme, en le montrant comme issu du christianisme et agissant dans le pays le plus puissant de nos jours. Il tourne en dérision les Américains, du fait de leur religiosité, et cite des statistiques montrant que 90 % des Américains croient à la divinité, alors que 70 % croient aux anges ; à son avis, si c’était l’inverse, 90 % croyant aux anges et 70 % à la divinité ils seraient plus progressistes. Le public rit beaucoup, déjà complice, car prendre les Américains pour cible c’est le plat de résistance des railleries communes. La complicité entre le public et l’orateur semble fondée sur cette démarche de prouver ensemble que les puissants ne subsistent qu’en tant qu’objet du rire contagieux qui nous réunit ludiquement contre eux.

4 Ainsi, tel le tiers état, vainqueur des combats contre les tyrannies, nous représenterions, dans les états généraux, cette critique du statu quo, si bien que l’invitation faite à Tariq Ali de prendre la parole serait peut-être liée au fait qu’avec sa proposition de critiquer et de corriger les injustices du monde, il est devenu une icône du mouvement antimondialisation, et, par conséquent, un appât idéal pour attirer les grands publics.

5 Les psychanalystes, pour une large part, veulent contribuer à faire un monde meilleur, et une certaine naïveté face aux « puissants » des médias, ces « vedettes » au public assuré, leur rend peut-être plus difficile une analyse critique des discours de ce genre. À cela s’ajoute le fait que Tariq Ali n’ait pas cherché à établir un dialogue avec la psychanalyse ; il a montré qu’il la méconnaissait, en toute bonne conscience, par l’usage erroné de ses concepts (celui de transfert, par exemple, qui apparaîtra plus tard, dans la suite de son discours). Cette attitude, d’un visible manque d’intérêt pour la psychanalyse, semblait suggérer que les psychanalystes n’auraient que des choses à apprendre de ces nouvelles du monde « réel » qu’il leur apportait, en expert, avec ses précieux conseils sur comment politiser la psychanalyse, afin de lutter contre les injustices. Lui, n’aurait rien à apprendre.

6 Ali dit que, pour la première fois dans l’histoire, les États-Unis ont un président fondamentaliste et un ministre de la Justice également fondamentaliste, et il rapporte des épisodes comiques sur ces deux personnages. Le public rit et Ali se racle un peu la gorge, en contrepoint. Il doit répéter ce « signe » tout au long de sa conférence, comme pour assurer « l’ancrage » du rire qu’il provoque. Il critique ensuite le sous-secrétaire américain de l’intelligence pour la défense, qui aurait dit que son Dieu chrétien l’emporterait toujours sur Allah et que la religion islamique adorait des idoles. Il commente en disant que l’Islam est visiblement hostile aux idoles et que la méconnaissance dont fait preuve le général, à ce sujet, est absurde, car il s’agit finalement du représentant du seul empire existant de nos jours. C’est ce qu’il appelle, dit-il, fondamentalisme-source de tous les autres fondamentalismes, sous le contrôle de personnes de cette taille, réunissant pouvoir militaire, pouvoir économique et cette croyance particulière.

7 Il déclenchait un rire franc et contagieux. De mon point de vue, ce rire général avait le pouvoir, semblait-il, de nous unir entre nous et à l’orateur. Serait-ce la combinaison de ces deux éléments – railler les puissants, expectative suscitée par les états généraux eux-mêmes, où le mot d’ordre est l’analyse critique du social, avec la perspective d’arriver ensemble à changer l’état actuel des choses – ce qui donnait à l’orateur son pouvoir de séduction sur le public ? Le renversement des expectatives y était peut-être aussi pour quelque chose, car au lieu d’un discours théorique, aride et conceptuel, on avait droit au talent littéraire d’Ali, qui favorisait ce démontage ludique de personnages pompeux. Son discours agissait sur le public en le transformant en tiers état et en préparant, par ce nouvel état d’esprit, la victoire sur les tyrannies actuelles.

8 Ali parle ensuite d’un grand rassemblement de personnes dans un stade à New York, deux semaines après le 11 septembre, avec la participation du président, the big thinker himself (rires) et du Révérend Billy Graham, « grand penseur et prédicateur évangélique » (encore des rires), lequel aurait dit, en s’adressant au public, pour pleurer les victimes, qu’on lui envoyait de partout cette question : pourquoi Dieu avait-il permis qu’on leur fasse cela, et qu’il avouait n’en rien savoir. Le public rit dans une complicité tacite avec l’orateur ; tous les deux connaissent la réponse à la question : contrairement à ce que laisse entendre Graham – « l’innocence » de l’empire attaqué –, ils savent qu’il n’était pas innocent, pas plus que les victimes de l’attaque.

9 En parlant de ce rassemblement dans un stade, Ali qualifie le 11 septembre de tragédie, mais ayant tiré sa révérence au deuil, il se met, de façon obscène, à ridiculiser la situation, afin de faire dissiper la tragédie dans le rire général. Ceux qui y sont morts, on ne peut les considérer comme des victimes innocentes, semble suggérer Ali, et la souffrance, en tant que punition juste, peut être gommée par le rire. Jacques Derrida, en recevant le prix Theodor Adorno, le 22 décembre 2002, mentionna les attaques : « Ma compassion inconditionnelle adressée aux victimes du 11 septembre, ne m’empêche pas d’affirmer à voix haute et forte : par rapport à ce crime, je ne crois pas que quelqu’un soit innocent » (dans Zizek, 2003, p. 74, traduit du portugais). En se mettant lui-même en cause, Derrida signale notre implication, à nous tous, dans les questions du monde, ne pouvant pas nous innocenter de ce qui se passe autour. Ce n’est pas ce que suggère T. Ali, avec l’effet pervers qu’a son discours, de susciter le rire face à la souffrance : pour lui, les victimes sont coupables.

10 Ali parle ensuite de la nécessité de mettre le fanatisme en perspective de la même façon que cela a été fait avec le fondamentalisme. Il dit que nous aussi, nous devons avoir nos fanatiques dans la psychanalyse, ce qui provoque des rires de reconnaissance, comme si nous étions surpris en flagrant délit. (Ici, nous sommes déjà non seulement les complices de ceux qui voient le fanatisme comme le ressort nécessaire de toute action, mais aussi des fanatiques, nous-mêmes). Il introduit alors ce qu’il appelle un point controversé : les hommes-bombes (suicide bombing), aujourd’hui. Il commente une nouvelle annonçant que des hommes-bombes se sont tués, en tuant des civils, dans un café, et il ajoute que c’est affreux. Et sans souffler il lance : « But to completely dissociate what the suicide bomber has done from the reality of the occupation, that is not permissible… » [« Mais dissocier complètement que l’homme bombe a été fait de la réalité de l’occupation n’est pas admissible. » Ali montre bien qu’il connaît l’art de la manipulation oratoire et le discours d’Antoine nous vient à la tête : « Je viens pour enterrer César, pas pour le louer… », oui, les hommes-bombes c’est affreux, on le sait, mais… et ici commence l’éloge, on ne peut pas les dissocier entièrement de l’occupation. Ce mais dépersonnalise les victimes. Qu’est-ce qui peut survivre à un mais ?

11 Ne serait-ce pas un mais qui était à l’origine du révisionnisme historique niant l’existence des camps de concentration et d’extermination ? C’est comme si on commençait à dire que les camps ont existé, oui, mais que c’était la faute aux Juifs, si bien que, la responsabilité retombant sur les victimes, elles finiraient par bien mériter leur souffrance. De là – les souffrances sont bien méritées – à nier le scandale de la souffrance inhumaine, il n’y a qu’un pas à faire, et ce pas, le révisionnisme historique l’a fait : il a matérialisé cette négation, en affirmant que les camps d’extermination n’avaient pas existé.

12 D’ailleurs, ce sont surtout les puissants qui se servent du mais, car c’est une stratégie du pouvoir de faire comme s’il y avait du respect pour l’opinion de l’autre, pour ensuite l’écraser avec un mais, qui marque la véritable intention du discours.

13 Nous le savons, c’est affreux. C’est qui, ce nous ? Ceux qui normalisent le fanatisme comme étant un péché mineur, que l’on retrouve même chez les psychanalystes, comme nous l’apprend Ali ? Ceux qui trouvent à rire à un moment de deuil où l’on pleurait les victimes de l’attaque terroriste du 11 septembre ? Ceux qui sont morts, rendus invisibles par le rire, deviennent métonymiquement aussi risibles que ceux qui les pleurent. Avec cette manœuvre, Tariq nous fait tous rire.

14 Il continue : « … Recently a very moving article was written by a man called Avraham Burg… one of the founding fathers of Israel. A Zionist… » I feel very ashamed of being an Israeli and a Zionist because of what we have been doing to the Palestinians… If you treat them like this, the way we treat them, why, when life is no longer worth living, why shouldn’t they go and kill themselves and take a few of us as well ? » [« Récemment un article très émouvant a été écrit par un homme qui s’appelle Avraham Burg… un des pères fondateurs d’Israël. Un sioniste… “J’ai vraiment honte d’être israélien et sioniste à cause de ce qu’on a fait aux Palestiniens… Si vous les traitez comme ça, comme nous les traitons, quand la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, pourquoi n’iraient-ils pas se tuer et prendre aussi au passage quelques-uns d’entre nous ?” »].

15 Avraham Burg est un personnage hautement respecté et connu en Israël, pour sa dévotion à la cause de la paix. Ce n’est pas l’un des founding fathers of Israel, comme le qualifie Ali. Son père, oui, fut l’un des fondateurs d’Israël, tandis que lui c’est un homme jeune qui, jusqu’à il y a deux ans environ, était le président du parlement israélien.

16 Mais il y a des falsifications – et non seulement des erreurs – lourdes de conséquences dans le discours d’Ali. La lutte pour la paix c’est ce qui replace dans son contexte ce que dit Burg (c’était en 2003). Quand il parle de sa honte face aux actions de l’actuel gouvernement israélien contre les Palestiniens, il le fait pour appeler ses compatriotes à être également honteux de ces actions qui bravent les principes sur lesquels s’était érigé l’État d’Israël. S’il en parle, c’est en faisant don de sa douleur et de sa honte à la cause de la paix. La « citation » que fait T. Ali du discours d’Avraham Burg est apocryphe. Selon Ali, Burg aurait dit : « … if you treat them like this, they way we treat them, why – when life is no longer worth living, why shouldn’t they go and kill themselves and take a few of us as well ? » Mais Burg n’a pas dit : « … and take a few of us as well », un rajout non ingénu d’Ali, car Burg n’aurait jamais justifié la tuerie d’innocents : sa lutte pour la paix est une action politique révolutionnaire et ne peut servir à justifier et à encourager le terrorisme, comme le prétend Ali.

17 Là où il y avait l’assomption d’une responsabilité révolutionnaire dans le but de transformer les conditions favorisant la violence, une confiance dans un mouvement identique venant de son interlocuteur pour faire face ensemble à ceux qui exploitent le désespoir des deux peuples, Ali place son incitation à la violence obscène. Les nôtres, dont Burg ne parle pas, mais dont parle Ali, n’ont pas été offerts en holocauste pour exploser avec les hommes-bombes, comme il essaie de faire croire : Burg comprend le désespoir qui le couvre de douleur et de honte, en tant que citoyen d’Israël, mais il ne justifie pas le terrorisme qui couvre également de honte et de douleur les Palestiniens du camp pacifiste. Tariq Ali continue : « [Now] It was very important that this was said by a Zionist leader in Israel, because if people like me say it they say you are encouraging terrorism… » [« Maintenant, c’était très important que ceci soit dit par un leader sioniste en Israël, parce que si des gens comme moi le disaient, ils diraient que nous encourageons le terrorisme. »]

18 Et il insiste : « … that’s how the language has become debased. Especially since 9/11, but even before that. » [C’est comme ça que les mots ont perdu leur sens. Surtout depuis le 11 septembre, mais même avant. »] T. Ali ravale ici la langue pour concrétiser sa trahison à l’égard de l’accord pour la paix. Tandis que Burg perçoit ses interlocuteurs comme pouvant former avec lui un nouveau « nous » susceptible de créer de façon révolutionnaire des conditions pour la paix, une fois dépassés les faux antagonismes qui les séparent, Ali corrompt ses paroles pour fonder son droit de défendre le terrorisme.

19 C’est ainsi qu’Ali mène en bateau son public : finalement, combien, parmi ses auditeurs, connaîtraient le discours d’Avraham Burg ? Lui, Ali, c’est la vedette médiatique, présenté comme historien, ayant étudié à Oxford, rédacteur en chef (dans le passé ou aujourd’hui encore) d’une célèbre revue de gauche, la New Left Review, alors qu’Avraham Burg n’est pas connu dans notre pays. Mais ce ne fut certainement pas à cette occasion que T. Ali a commencé sa fabrication de citations bâtardes pour leurrer son public. Dans son livre sur Le choc des intégrismes (Confronto de Fundamentalismos, Ed. Record, 2002), il y a plusieurs citations sans les références bibliographiques nécessaires. Par exemple, p. 136-137 (éd. brésilienne), une citation que fait Ali des journaux de Herzl apparaît sans aucune référence, dans le but de faire croire que le créateur du sionisme avait des objectifs néfastes à l’égard des Palestiniens ; et pourtant je n’ai pas trouvé dans les journaux de Herzl ce qu’Ali affirme en avoir tiré. En ce qui concerne le discours de Burg, le conférencier s’est donc servi de la technique qui consiste à attribuer à l’adversaire la défense de sa position à lui, n’hésitant pas à fausser ses propos. Il s’agissait d’un libellé pour la paix, Ali en a fait des armes de guerre.

20 Avraham Burg appartient au groupe qui, pendant trois ans, a préparé en secret l’accord de Genève, avec la participation d’Israéliens et de Palestiniens travaillant ensemble pour la paix, développant l’aptitude de regarder droit dans les yeux de l’adversaire, qui devient ainsi, petit à petit, un interlocuteur. Il a fallu surmonter beaucoup de méfiances, de stéréotypes, de haines. Comme l’écrit Amos Oz (2003), il s’agit là d’un divorce, après de longues années de mariage, où il y a des concessions réciproques et difficiles à faire. Il s’agit d’un accord auquel participent des Palestiniens qui avaient été incarcérés dans des prisons israéliennes et des Israéliens profondément sionistes (comme Avraham Burg lui-même), luttant tous pas à pas pour la paix, sursautant parfois lorsque des doubles sens, la plupart du temps inconscients, se faisaient remarquer, comme le cas d’un Israélien qui s’adresse à un Palestinien, lui coupant la parole : « Est-ce que je peux t’arrêter un instant ? », ou un Palestinien qui vocifère : « … sur ce point, je ferais exploser la réunion » (en suggérant de subdiviser l’ordre du jour). Oz écrit que, contrairement à ceux qui luttent pour la paix, en faisant face à des conflits à chaque pas, les extrémistes des deux côtés s’unissent contre la paix, dans le même fanatisme soutenu par Tariq Ali.

21 Ali favorise l’irruption du rire pour éviter que l’on s’aperçoive de son dessein, la violence qu’il banalise, alors que dans le dur travail pour la paix on assiste à l’irruption de la peur et de la méfiance, car il y a des douleurs dues à des pertes que l’on ne peut banaliser et qui séparent ces deux peuples, quoique les souffrances provenant de ces pertes soient communes à tous les deux. Pour faire cesser la violence, il faudra interrompre l’escalade de la terreur que le fanatisme provoque et soutient au moyen d’actions spectaculaires, lesquelles s’opposent, selon Zizek (2003), à des actions politiques sérieuses, dont le but est de changer la définition même des conflits.

22 La proposition de Tariq Ali semble s’épuiser dans cette terreur-spectacle à laquelle il incite, en diabolisant l’Occident dans une ambiance de rires, sans la moindre mention à un horizon possible de paix. À défaut de cette mention, il y a sa tactique d’aveugler en fascinant, avec le spectacle de la violence, pour que son public ne s’aperçoive pas de l’inexistence du moindre projet transcendant ce spectacle. Dans une interview à l’émission « Millenium », de la chaîne de télévision Globo News, T. Ali révèle cette absence de projets dans l’idéalisation qu’il fait de Saddam Hussein, selon lui quelqu’un qui permettait à tous de bien vivre, à condition de ne pas s’opposer à sa politique. [*] Comme dans la description d’une scène idyllique, Ali commente qu’on pouvait même s’y promener la main dans la main, en amoureux, sans aucun problème. L’idéalisation du dictateur sanguinaire montre que c’est dans le passé que T. Ali puise des forces pour son nationalisme extrémiste, faute de perspectives d’un avenir susceptible d’instaurer un monde plus juste. T. Ali dit souhaiter la fin de l’occupation de l’Irak et de la Palestine, mais il ne dit rien d’un temps postérieur à l’occupation.

23 Puis il attaque par un autre biais. Il parle du courage et de la conscience et il cite l’exemple du Vénézuéla, où la population est consciente de ce que Chavez a fait pour elle, bien que la télévision privatisée l’attaque, et où un jeune trompettiste de l’armée a refusé l’ordre de jouer pour un homme d’affaires local corrompu, que les États-Unis, par un coup d’État, avaient voulu hausser à la présidence du pays. Son acte de bravoure l’a rendu intouchable et personne n’a pu le punir.

24 Ali parle ensuite de l’importance de l’humour dans des convulsions politiques et dans des situations sociales confuses. Il montre un photomontage d’un petit garçon irakien en train d’uriner sur la tête d’un soldat américain, ce qui déclenche l’hilarité générale. Il parle de la résistance des enfants : pour faire croire qu’ils étaient les bienvenus en Irak, les officiers de l’armée d’occupation leur offraient du chocolat et se faisaient photographier avec eux, en souriant et en leur serrant la main. Mais tout en souriant, les enfants lançaient des gros mots en arabe, que les journalistes occidentaux ne comprenaient pas. Il explique que les enfants le font parce qu’ils ressentent, beaucoup plus profondément que leurs parents, la douleur de l’occupation. De même, les enfants palestiniens qui jettent des pierres sur les soldats israéliens.

25 Ainsi, pendant toute la conférence, il était surprenant de voir la réaction du public qui applaudissait Tariq Ali. On devrait pouvoir supposer aux psychanalystes quelques connaissances de l’Histoire, par exemple en ce qui concerne ce que Freud avait souffert et écrit là-dessus, pour avoir subi tant de discriminations du fait de sa condition de Juif, qu’il n’a jamais reniée, ayant témoigné d’une Europe où cette condition impliquait des souffrances (Freud, 1985). Il y en eut qui bénéficièrent, pendant un certain temps, des lois émancipatrices et qui se convertirent, comme Klemperer, fils d’un rabbin, qui croyait obtenir ainsi le plein statut d’européen, qui était refusé aux Juifs. Par ailleurs, il y avait les masses de Juifs destitués de l’Europe orientale, qui subissaient souvent des pogroms et qui luttaient pour leur survie. C’est dans le dessein de les sauver, de leur reconnaître le droit à la vie et à la citoyenneté et pour que ce peuple ne soit plus la cible des pogroms qu’on idéalisait le sionisme. Tariq Ali mise sur la méconnaissance de son public en laissant entendre que les Juifs étaient bien intégrés en Europe et que l’affirmation de leurs souffrances est une invention du sionisme destinée à justifier la création d’un État juif. La réaction d’une bonne partie de ses auditeurs laisse entendre qu’il avait raison.

26 Tariq Ali mentionne ceux qui résistent du côté israélien, les pacifistes qui refusent de lutter au-delà des frontières de 1967, et qui aident les Palestiniens ; du même coup il dit que les enfants palestiniens qui sont atteints par les balles des soldats israéliens le sont, à 90 %, dans la tête, information qui n’est vérifiable dans aucune des sources consultées. C’est abominable qu’il y ait des enfants atteints par des balles et c’est aussi abominable d’essayer de manipuler un auditoire avec des données qui faussent tout, et le plus grave c’est de ne pas dire que ce sont les enfants des deux côtés qui sont les victimes de toute cette horreur que Tariq Ali soutient, avec ses distorsions.

27 Il envoie un mensonge que le public fasciné reçoit comme une vérité. Il demande pourquoi le monde ne dit rien sur les enfants palestiniens – à aucun moment il ne mentionne les enfants israéliens tués par le terrorisme palestinien – et il répond que, pour les officiers israéliens les Palestiniens sont Untermensch, pour les officiers américains les Palestiniens sont tous des terroristes, et pour les régimes vénaux arabes, qui existent dans la région, les Palestiniens sont un motif de honte.

28 Ali essaie de construire un monde d’oppositions insurmontables entre les peuples, que seuls les actes terroristes semblent éventuellement remettre en question, au moment de l’explosion et du spectacle. Et pourtant, de tels actes ne font que renforcer les oppositions et rendent improbable le dépassement des faux antagonismes au moyen d’actes vraiment politiques, impliquant que l’on s’aperçoive que bien des conflits sont surmontables. Car des deux côtés – le palestinien et l’israélien – ceux qui luttent pour la paix éprouvent un antagonisme fondamental contre la terreur.

29 Le discours fini, très applaudi, un temps est destiné aux questions. Quelqu’un se lève pour dire combien Ali venait rejoindre le désir des psychanalystes de se poser contre la guerre, contre l’irrationalisme (c’est ainsi qu’il a dû comprendre la mise en valeur du fanatisme), et qu’il serait souhaitable que les analystes se rallient à ceux qui tendent à résister, à dénoncer l’intentionnalité destructrice explicitée dans les événements de guerre. La personne en question proposait une adhésion à des mouvements comme celui du Forum Social Mondial et celui des journalistes, et il devenait manifeste que beaucoup des présents ne s’étaient pas tout à fait rendu compte de ce dont parlait l’orateur.

30 En répondant à une question sur les hommes-bombes, Ali a parlé du courage et de la résistance, en France, contre les nazis, quand certains avaient sacrifié leur vie pour faire sauter des voies ferrées et des gares ; et à ce moment-là il a mentionné les Juifs, car ils « auraient dû » résister, faire sauter quelque chose, puisqu’ils allaient mourir de toute façon, mais qu’ils se sont laissés emmener, au contraire, comme des moutons à l’abattoir. L’obscénité de ce commentaire c’est le commentaire lui-même.

31 Quelqu’un a dénoncé l’absence, dans le discours d’Ali, du mot paix, qui aurait changé la teneur de ce qu’il avait dit ; il a aussi omis de mentionner les Juifs qui refusaient de lutter contre les Palestiniens, sans citer les Palestiniens qui se refusaient au terrorisme contre les Juifs.

32 Sur la paix, Ali a parlé des foules, dans le monde entier, qui avaient marché en vain contre l’invasion de l’Irak. D’après lui, les Américains n’entendent que la langue de la violence et les gens se sont aperçus qu’il fallait résister violemment. Ali dit qu’il y a deux occupations simultanées dans le monde arabe, celle de la Palestine par les Israéliens et celle de l’Irak, par l’Occident, toutes deux se servant de la force militaire. Quant à la Palestine, continue-t-il, la question n’est pas la même, car il s’agit de deux mouvements nationaux, le mouvement national juif, le sionisme, s’étant emparé des terres qui appartenaient à d’autres, pour s’y installer. Les Palestiniens, dans le territoire d’Israël, seraient traités comme des citoyens de seconde classe et ceux qui sont à l’étranger, comme des réfugiés. Les Palestiniens ont besoin de leur propre État, et ce qu’Israël leur a proposé jusqu’à présent est inacceptable. Il dit vouloir la paix, mais pas celle des tombeaux. À la suite de cette tirade, il est très applaudi.

33 Ali associe, dans sa réponse, la paix à des tombeaux. D’habitude, on pense la paix comme représentant une garantie pour que l’on puisse symboliser la mort, sans inscription inconsciente, au moyen de rituels susceptibles d’apaiser la douleur. Et on pense aussi, en général, à la violence, comme une menace contre les conquêtes de la culture qui permettent cette symbolisation (violence qui a refusé l’inscription symbolique aux victimes de génocides et aux « disparus » des régimes totalitaires). Dans son élan, l’orateur semble vouloir fasciner son public avec la violence, seule alternative à la paix, qu’il associe au signifiant tombeau (paix renvoyant à mort, en opposition à guerre renvoyant à vie ?), sans faire allusion à l’aspect travail et construction que cette paix implique.

34 Corinne Daubigny se réfère à l’antisémitisme du fondamentalisme luthérien et à la façon dont il a été diffusé dans les sites islamiques sur le net. Elle conteste l’affirmation d’Ali selon laquelle Hitler aurait trouvé ses idées chez Herzl et elle expose les idées centrales de ce dernier, où il n’y avait pas l’intention de dominer un autre peuple, mais, au contraire, l’idée un peu naïve de favoriser l’enrichissement général.

35 T. Ali réagit en niant avoir dit ce que Daubigny rapportait, il avait tout simplement cité Klemperer (il y a toujours quelqu’un qui est le porte-parole de T. Ali ; il n’est pas responsable de ce qu’il fait dire aux autres, en faussant leurs propos, pour qu’ils disent ce qui l’intéresse, tout en usant du subterfuge de nier l’avoir dit lui-même) ; de plus, continue-t-il, on ne peut jamais oublier qu’il y a d’un côté, l’agresseur et, de l’autre, l’opprimé.

36 Ces derniers mots résument la déclaration d’Ali contre la paix. Car comme l’a soigneusement établi l’accord de Genève, s’il n’y a pas un point zéro d’où commencer à construire, sans récriminations et sans rancunes, sans ressentiments jamais rassasiés, criant vengeance et réclamant plus de concessions, sans ce point zéro, ne serait-ce qu’en tant qu’idéal à atteindre, on ne pourra pas construire la paix. C’est ce travail de faire table rase des douleurs, pour un début dans un présent non surchargé par le passé, où commencer la tâche de mériter la confiance l’un de l’autre, le travail du deuil permis ouvrant à la possibilité d’une réconciliation future, c’est ce travail qu’ont fait les personnes concernées par l’accord de Genève. Cet accord n’a pas été mentionné une seule fois par T. Ali qui, par cette omission, se révèle. En passant sous silence le travail pour la paix, Tariq Ali fait le travail de la guerre. En ignorant l’accord, T. Ali le défait devant un public qui, méconnaissant les faits ou se méconnaissant lui-même et sa capacité de s’aliéner dans la masse et dans le leader qui la fascine, ou méconnaissant encore ce qui le mène, dont les traces se trouvent peut-être dans le désir de beaucoup (comme l’avait exprimé la première personne à saluer T. Ali après son discours) d’une déclaration des psychanalystes en tant qu’entité massive – contraire à la proposition de la psychanalyse pour que chacun parle en son propre nom – se situant par le menu face aux misères du monde (mal comprises par celui qui a formulé tel souhait), se rallie aux mouvements de la mode, comme celui de l’antimondialisation, et dans l’effusion des applaudissements à quelqu’un qui cherche à mobiliser, qui banalise la violence et se laisse prendre pour celui qui prêche le terrorisme.

37 Qu’est-ce qui a séduit le public ? Est-ce la fascination pour le spectacle de la violence, présent dans le discours de Tariq Ali et faisant rire du deuil et des victimes, dans une violence contre le respect escompté de la souffrance ? Comme si ce n’était qu’un jeu, pour tourner en dérision et les puissants et ce qui est conventionnel ? Conventionnel, comme le respect pour les morts et la compassion pour les victimes ? Une telle violence dans le discours est isomorphe à la violence qu’il promeut et à laquelle il incite.

38 Ou bien est-ce le désir de se fondre dans la masse, chacun renonçant à sa capacité critique, à son héritage freudien qui met en valeur la capacité de se différencier des majorités manipulables par un Führer ? Ou tout cela et encore l’appel du mouvement antimondialisation, le fait de se sentir participer à une pensée qui juge les temps actuels, les unissant tous comme des membres d’une entité organique (les psychanalystes) contre des cibles peu spécifiques (le « capitalisme », des complots obscurs, les « États-Unis »), et incitant à la violence contre eux ? Tout le public appelé à participer au spectacle ? Ainsi serions-nous tous à l’abri de doutes et de malaises, dans un au-delà de Freud : les émissaires de la réalité nous diraient quoi penser et contre qui et comment lutter, comme ils l’avaient fait avec les hommes-bombes.

39 Peut-être pourrait-on déceler chez les psychanalystes présents une carence paternelle ? Finalement, il y a tout un outillage psychanalytique pour penser le monde et pour dialoguer avec d’autres domaines de la pensée. Dans l’épisode de ce discours qui proposait la violence et qui a enthousiasmé le public, il m’a semblé percevoir l’abdication de cet héritage de la psychanalyse. D’où aurait-il surgi cet élan apparemment suicidaire d’ovationner quelqu’un qui propose la « résistance » des hommes-bombes ? La proposition d’Ali méprise les accords, car elle ne croit pas au dialogue. Au lieu de ça, elle propose la Babel de la violence, la ruine de la parole, qui vient du cynisme face à la souffrance. Les psychanalystes auraient-ils abdiqué d’eux-mêmes ? Ou bien quelque chose de très archaïque, ignoré d’eux-mêmes, aurait été réveillé par le discours de Tarik Ali, dans l’appel fait par celui-ci à la destruction et à la recherche de boucs émissaires pour ne pas faire face au malaise dans le monde ?

40 J’en ai discuté après, avec quelques collègues. Certains ont entendu ce qui n’était pas dans le discours qui, pour eux, était un discours pour la paix, d’autres ont argumenté que s’il avait plu à des professionnels à la mode, à des intellectuels reconnus, à des membres d’académies, c’était une garantie acceptable. Ils ne semblaient pas s’apercevoir qu’ils montraient avoir ainsi renoncé à une audition propre. D’autres encore ont commenté que du fait d’être juifs, nous entendons différemment – quoique certains non-juifs aient aussi entendu « différemment » et certains psychanalystes juifs aient entendu comme la majorité – mais que cela n’empêchait pas que nous soyons amis car, après tout, Freud avait parlé du narcissisme des petites différences et nous devons respecter les différences. Dans ces remontrances, j’ai cru pressentir que j’avais transgressé quelque principe psychanalytique dont ces personnes se posaient en gardiennes, lorsque je les ai appelées à remarquer ce qui avait été dit et qu’elles n’auraient pas entendu (bien que certaines d’entre elles insistent sur le fait que l’audition juive serait différente).

41 Il vient peut-être à propos de rappeler ici la métaphore des hirondelles que l’on envoie à l’intérieur des mines, pour certifier des conditions locales : si elles meurent, c’est la preuve que la pollution a atteint des niveaux insupportables, ce qui évite d’autres morts. Nous, qui nous alarmons, juifs et non-juifs, sommes peut-être les premiers à nous apercevoir des menaces, parce que souvent dans l’Histoire ceux qui ne suivent pas acritiquement les masses – juifs et non-juifs – ont été les hirondelles des conditions du monde. Peut-être bien.

42 L’acte révolutionnaire auquel fait allusion Zizek, sans se rendre compte, me semble-t-il, de l’ampleur de la différence qu’il impliquerait, se traduirait par une tierce rive, permettant une issue à la situation spéculaire de deux rives antagonistes, instaurée par les partisans de la violence et toujours justifiée en tant que réponse à la violence de l’opposant. C’est ainsi que l’on assiste à l’escalade des destructions et au regain de force des incitateurs du terrorisme, qui font confiance à cette fascination morbide pour le spectacle de l’horreur, dont la source, d’après Zizek, serait la passion négative du réel. L’issue vers la tierce rive aurait comme exemple majeur le travail pour la paix de ceux qui ont signé l’accord de Genève, montrant ainsi que les deux côtés sont faussement exacerbés comme antagoniques et qu’il est indispensable, pour faire la paix, que l’on redéfinisse les coordonnées du conflit : ce nouveau « nous », qui réunit Israéliens et Palestiniens voulant la paix, s’aperçoit qu’il faut faire face au terrorisme obscène, à ceux qui tirent profit des conflits insolubles, afin de pouvoir dresser, à partir de cette tierce rive, une nouvelle carte n’excluant pas les populations respectives – qui se détruiraient au cas où l’on n’arriverait pas à redéfinir les conflits sous-jacents aux impasses apparentes.

43 Un auditoire constitué de psychanalystes, embarqués dans le mouvement à la mode, celui de l’antimondialisation, applaudit acritiquement un orateur charismatique qui propose le terrorisme travesti de signifiants séduisants tels que : courage, conscience, martyre, résistance. Lorsqu’un orateur qui n’est pas intellectuellement assez sérieux pour être digne de considération gagne chaque fois plus de place dans nos milieux intellectuels, l’ange de Benjamin (Benjamin, 1968), propulsé vers l’avenir, regarde le passé et voit les décombres qui s’y accumulent. Le discours d’Ali fait penser aux circonstances terrifiantes auxquelles cet ange est soumis, et la réaction du public est affligeante car elle n’oppose pas de résistance à cette invitation à la destruction de la Terre, à ce mouvement qui l’enfouit de plus en plus sous ses décombres.

Bibliographie

Bibliographie

  • Accord de Genève http:// www. heskem. org. il/ Heskem_en. asp
  • Benjamin, Walter. 1968. « Theses on the philosophy of history », dans Illuminations Walter Benjamin, New York, Schocken Books.
  • Ben Jelloun, Tahar. 2003. La Prisión Árabe. La Vanguardia, 2003/12/12 (http:// www. lavanguardia. es? web/ 20031212? 5114874064. html)
  • Burg, Avraham. 2003. A Failed Israeli Society Collapses While Its Leaders Remain Silent. forward : Forward Forum, August 29, 2003 (www. forward. com/ issues/ 2003/ 03. 08. 29/ oped3. html)
  • Freud, Sigmund. « Résultats, idées, problèmes », II, 1921-1936, Paris, puf, 1985.
  • Klemperer, Victor. 1996. « lti La langue du IIIe Reich », Éditions Albin Michel, S.A., Paris.
  • Oz, Amos. 2003. Nós Limpamos o Terreno para a Paz, publié par The Guardian le 17/10/03, traduit pour la liste : Paz Agora/Brasil (http:// groups. yahoo/ group/ pazagorabr/
  • Ramagem, Sônia. 2003. article envoyé par internet.
  • Seligmann-Silva, Marcio. 2004. correspondance privée.
  • Strauss, Mark. 2003. Antiglobalism’s Jewish Problem http:// www. foreignpolicy. com/ story/ story. php? storyID= 13958
  • Waintrater, Meïr. 1994. Le mauvais juif de Sion Antisionisme et antisémitisme : les fortunes d’un concept, dans Léon Poliakov, « Histoire de l’antisémitisme », Éditions du Seuil, Paris, 19-32.
  • Zizek, Slavoj. 2003. « Bem-Vindo ao Deserto do Real ! » Boitempo Editorial, São Paulo.
  • Zizek, Slavoj. 2003b. « A Paixão pelo Real », Supplément, « Mais » du Journal A Folha de São Paulo, 30/11/03, p. 4-7.

Notes

  • [*]
    L’émission s’appelle Millenium et a lieu les mercredis, sur le canal Globo de télévision. Je sais que l’interview avec Tariq Ali a eu lieu peu de temps après l’épisode des états généraux, mais je n’ai pas pu retrouver la date exacte.
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