Couverture de COHE_179

Article de revue

La psychanalyse peut-elle cautionner ... l'antisémitisme, le terrorisme, le fondamentalisme... ?

suivi d'un extrait de la discussion du discours de Tariq Ali aux egp de Rio

Pages 107 à 138

Notes

  • [1]
    Tariq Ali est un intellectuel originaire du Pakistan et vivant à Londres, ancien militant trotskiste, éditeur des œuvres de Sartre, réputé farouche opposant des dictatures et des fondamentalismes, écrivain, leader anti-guerre, rédacteur de la New Left Review à Londres. Cet article commente la conférence qu’il donna le 1er novembre 2003 à l’Hôtel Gloria de Rio de Janeiro. Le public était composé de psychanalystes provenant d’horizons très divers et d’une grande diversité d’écoles, affiliées ou non à l’ipa. La règle est que chacun vienne en son nom aux rencontres des egp et non comme représentant d’une association. Lors des conférences du soir, d’autres auditeurs étaient acceptés, en particulier beaucoup d’étudiants.
  • [2]
    Tariq Ali s’est exprimé en anglais. Nous utilisons ici la transcription officielle (Record Editora) disponible sur le site brésilien à l’adresse hhttp:// www. estadosgerais. org/ mundial_rj/ ingl/ch_c_/TAli.htm. Manuel Perianez et Ariane Morris ont assuré la traduction française des passages cités.
  • [3]
    Cf. note 2.
  • [4]
    « It’s this fundamentalism which I have described as the mother of all fundamentalisms, this combination of military power, economic power, and this particular belief. » « C’est ce fondamentalisme que j’ai décrit comme la mère de tous les fondamentalismes, cette combinaison de pouvoir militaire, de pouvoir économique et de croyance particulière. »
  • [5]
    Disponibles sur le site « psychanalyse au singulier » :
    http:// mapage. noos. fr/ psychanalysing/
  • [6]
    Revista Mensa, Ano III, número 33, Fevereiro de 2004.
  • [7]
    Correspondance personnelle.
  • [8]
    René Major, La guerre en Irak, quel avenir pour la démocratie ?, disponible sur le site brésilien de la rencontre. Le thème de l’élection dans l’idéologie américaine est développé dans son livre, De l’élection, Aubier, 1986.
  • [9]
    Victor Klemperer, lti La langue du Troisième Reich, Paris, Agora, 1998. Ce philologue allemand (1881-1960) survécut en Allemagne sous le nazisme, bien qu’il fût juif, tout en étudiant la progression de l’idéologie allemande au travers de ses inventions langagières (la lti : Lingua Trecii Imperii). Pour lui, la résistance à la progression de l’idéologie nazie dans les esprits devait commencer dans le langage ; il fut un résistant par le travail des mots.
  • [10]
    Klemperer, La langue du Troisième Reich, op. cit., « L’étoile », p. 220-226.
  • [11]
    Klemperer, op. cit., « Sion », p. 262-277.
  • [12]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-238.
  • [13]
    Klemperer, op. cit., « La racine allemande », p. 179 s.
  • [14]
    L’idée que la naissance du nationalisme juif est à l’origine du nazisme a été maintes fois soutenue. Mais chacun sait que le sionisme est d’abord, chez Herzl lui-même, une réaction aux persécutions antisémites en Europe, précisément alimentées par les nationalismes européens. Si l’on voulait rapprocher le destin des Palestiniens des Territoires de celui des Juifs, il faudrait dire alors qu’un nationalisme strictement réduit à la souveraineté sur les Territoires occupés (et non pas confondu avec un nationalisme arabe global) serait le fruit de la non-intégration, et même du rejet, des Palestiniens dans les autres nations, notamment les nations arabes (voir le massacre de « septembre noir ») en Jordanie. Tariq Ali n’aborde pas ces questions.
  • [15]
    Op. cit., p. 271.
  • [16]
    Op. cit., p. 80.
  • [17]
    L’accusation de racisme provient souvent d’une méconnaissance de la loi juive : en réalité l’identité juive a toujours pu s’acquérir par conversion, et une mère convertie transmet la judéité à ses enfants. La plupart des Juifs persécutés par les nazis descendaient d’européens convertis.
  • [18]
    La pensée juive et le judaïsme ne se fondent pas uniquement sur la Bible ou « Thora », et c’est de toute façon une Thora constamment relue par la tradition talmudique et les commentaires plus récents. La tradition talmudique a décidé que les peuples qui, d’après la Thora, tombaient sous le coup du « hérem » (excommunication) ont disparu de l’histoire. L’ennemi d’Israël est désigné par « Amalek », qui représente tout peuple se comportant comme une cohorte de bandits s’attaquant aux êtres sans défense (enfants, femmes, vieillards).
    La critique historique montre que le caractère dévastateur des campagnes de Josué est amplifié dans le texte apparent de la Thora et qu’une grande part des Hébreux n’ont probablement pas connu l’Exode, vivant en Canaan avant de se définir comme peuple distinct. Devereux remarque que le trait distinctif des Hébreux est leur horreur obsessionnelle de l’inceste : les peuples désignés à la vindicte étaient, dans l’ensemble, ceux qui pratiquaient des formes d’« inceste » rituels au nom de la déesse-Mère. Freud reconnut le premier ce trait distinctif : les Hébreux ont instauré « la religion du Père ».
  • [19]
    Klemperer, op. cit., p. 222.
  • [20]
    Site Solidarité-Palestine. « Les enfants incarcérés en Israël ; un courrier de emdh (Enfants du Monde – Droits de l’Homme) ». L’article, cité en mars 2003, dit : « Depuis le début de l’Intifada, près de 200 enfants palestiniens ont été tués. Le tiers d’entre eux ont été tués d’une balle dans la tête, un autre tiers de balles tirées en pleine poitrine, les autres sont morts des suites de leurs blessures » (p. 4). Néanmoins, il commençait par affirmer : « Sur 380 Palestiniens tués depuis le 29 septembre 2000, 200 sont des enfants, la plupart touchés par balle à la tête. »
    Même si cela est pénible et heurte le lecteur, il convient d’analyser ces données.
    Ce courrier de emdh remonte aux premiers mois de l’Intifada, étant donné le nombre global de victimes palestiniennes, mais ces chiffres ne correspondent pas aux autres données palestiniennes, comme même celles de dcf/ps. Il y a donc erreur. Contactés pour connaître leurs sources, ils renvoient à l’association dcf/ps – « Defense for Children/Palestine Section » –, qui tient une comptabilité permanente des pertes d’enfants palestiniens et des causes de leur décès. dfc/ps avance en effet le chiffre de 30 %, en moyenne, d’enfants atteints à la tête depuis le début du conflit. Néanmoins les estimations de cette organisation concernant le nombre de victimes sont en général supérieures aux estimations d’autres organisations humanitaires, comme B’Tselem et Amnesty International. En tout cas le chiffre de 90 % donné par Tariq Ali est en contradiction formelle avec ces textes militants qui soutiennent la cause palestinienne, et qui s’appuient sur des estimations maximales.
    Le nombre de victimes dont fait état Tariq Ali parmi les enfants (un mort par jour) ne correspond pas non plus aux estimations d’aucune organisation humanitaire sérieuse, même pour l’année 2003 qui fut la plus meurtrière.
    Amnesty International, dans son document public du 1er octobre 2002 (deux ans après le courrier de emdh, probablement), titré Israël, Territoires occupés et autorité palestinienne. L’avenir assassiné : Les enfants en ligne de mire, déclare : « Plus de 250 enfants palestiniens et 72 enfants israéliens ont été tués depuis le début de l’Intifada. Ils font partie des quelques 1 700 Palestiniens et des plus de 580 Israéliens, pour la plupart des civils, qui ont été tués depuis le 29 septembre 2000. »
    C’est ce rapport qui qualifie les crimes de guerre d’Israël, tandis que les attentats suicides sont caractérisés comme crimes contre l’humanité – ce qui signifie qu’il sont idéologiquement et militairement planifiés pour atteindre les civils.
    Amnesty International s’inquiète des suites traumatiques de ces exactions sur les jeunes générations israéliennes et palestiniennes : c’est l’« avenir assassiné ».
    Le rapport 2003 d’Amnesty International fait état d’un nombre croissant d’enfants victimes du conflit : 150 enfants palestiniens (sur 1 000 victimes) et 47 enfants israéliens (sur 420 victimes) pour 2003. Quant à la cause des décès, elle varie selon les armes utilisées. Concernant les tirs, du côté Israélien, les observateurs d’Amnesty reprochent plutôt les « tirs aveugles ».
    Si la politique d’engagement des enfants du côté palestinien transgresse les droits de l’enfant, la violence de l’armée israélienne transgresse aussi les droits de l’homme. La situation des enfants dans le conflit est absolument tragique, aussi bien d’ailleurs pour ceux qui échappent à la mort et qui, pour la troisième génération, grandissent dans la guerre. De plus la crise sociale grandit en Israël tandis que la crise humanitaire menace dans les Territoires.
    La Jordanie (premier État palestinien constitué d’une grande partie de l’ancienne Palestine britannique) s’était quant à elle débarrassée de la résistance palestinienne dirigée par Yasser Arafat, lors du « Septembre Noir », en faisant en quelques semaines trois mille victimes, pour la plupart civiles, hommes, femmes et enfants, dans les camps de réfugiés palestiniens – davantage que trois années d’Intifada : la communauté internationale ne traite pas l’État jordanien de « nazi » et personne ne conteste son droit à l’existence. La légitimité du gouvernement qui était à l’origine de ce massacre aurait dû pourtant être autrement mise en cause.
  • [21]
    Klemperer, op. cit., « La malédiction du superlatif », p. 279-289.
  • [22]
    Note de traduction. Littéralement il faut traduire « côté judéo » : « judeo » ce n’est pas « Jew » ni « jewish », du point de vue sémantique, cela renvoie plutôt à la Judée.
  • [23]
    Le légalisme juif : le fait que les Juifs non observants suivent souvent aussi le principe talmudique selon lequel « la loi du pays (d’accueil) est la loi », en Diaspora. Chaque année, lors de la fête de Hannouka les Juifs observants rappellent que la résistance est avant tout une résistance par l’esprit (symbolisée par les lumières et la fête). Néanmoins la résistance armée n’est pas interdite, en particulier contre les puissances tyranniques. Parmi les multiples formes de la résistance juive sous le nazisme, Tariq Ali, proche des milieux trotskistes, pourrait se souvenir du Bund, qui fut un mouvement de résistance juive d’origine trotskiste. Il sut, en France, s’allier une part importante de la population non-juive pour sauver les enfants juifs en les plaçant dans des familles non-juives, quitte à accepter leur « aryanisation ». Loin d’eux l’idée de laisser les enfants monter en première ligne. Face à un ennemi réellement déterminé au génocide, une autre stratégie s’imposait.
    Tariq Ali sait bien qu’en revanche le débat historique porte davantage sur la question de savoir pourquoi les Alliés n’ont pas bombardé les voies de chemin de fer. Les Juifs déportés, il est vrai, n’ont bénéficié d’aucune aide internationale. Le monde a réellement fait silence.
  • [24]
    Cette prétendue évidence demande à être regardée, justement, des deux côtés. Malgré leur puissance militaire, les Israéliens sont terriblement inquiets à l’idée qu’un État palestinien ne soit que le cheval de Troie d’une future guerre menée par les nations arabes, répétant celles de 1948 et de 1967. C’est un peuple qui n’a jamais connu la paix. Les Israéliens se sentent isolés face au monde arabe travaillé par le fondamentalisme activiste et terroriste qui progresse.
  • [25]
    Il se trouve, et ce n’est pas par hasard, mais par pure logique discursive, que le thème du « retournement » (Umbruch), comme forme de rupture fondatrice, appartient à la lti , selon Klemperer, op. cit., p. 250. Bien sûr, il fallait retourner l’idée qu’on se faisait de l’« élection juive » pour en faire une infamie.
  • [26]
    Victor Klemperer, op. cit., « Fanatique », p. 89-94. Fanatisme vient du latin fanum, lieu sacré, temple. Sur la même racine : fanor, se démener en furieux.
  • [27]
    Il ne s’agit pas des Confessions, comme le dit Tariq Ali, mais de la Profession de foi du vicaire savoyard.
  • [28]
    Klemperer, op. cit., « Je crois en lui », p. 145-163, « Petit mémento de lti : les annonces du carnet », p. 164-170, et « La malédiction du superlatif », p. 284. L’héroïsme est associé au besoin d’événements « historiques » et à la recherche de l’éternité. On peut craindre que le goût actuellement en vogue pour les « événements » (au sens de Machiavel) ne soit rabattu sur ces naïves et dangereuses idées de grandeur…
  • [29]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-247, et « Sion », p. 262-278.
  • [30]
    Klemperer, quant à lui, invitait à se méfier des expressions prétendument spontanées, trop chères aussi à la lti, op. cit., p. 84.
  • [31]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-238, et « La racine allemande », p. 176-190.
  • [32]
    Op. cit., p. 231.
  • [33]
    Signalons une étude sur la criminalité à l’égard des enfants, comparant le sort des enfants de Rio à ceux du conflit israélo-palestinien : « Les enfants combattant en situation de violence armée à Rio de Janeiro », Lansa News, décembre 2002, Brésil. D’après Amnesty International les policiers ont continué à faire des milliers de victimes dans tout le Brésil durant l’année 2003, et les commandos de la mort n’ont pas disparu. Sur le seul État de Rio, 652 Brésiliens ont été tués par des policiers. Les autres victimes sont celles des mafias.
  • [34]
    René Major, « La démocratie en cruauté », Paris, Galilée, p. 36.
  • [35]
    Cette désignation reprend celle de Médecins du Monde et d’Amnesty International.
  • [36]
    Au cours de la Controverse de l’ihep, le 19 février 2003 à Paris, Jacques Derrida rappelait que lors des tentatives des organisations internationales pour définir le terrorisme, on aboutissait en général à dire que le terrorisme consiste « à terrifier des populations civiles – le terrorisme s’exerce toujours sur des populations civiles – en vue d’influencer la politique militaire et gouvernementale de l’État concerné. On terrifie les civils en vue d’agir sur l’armée ou sur le gouvernement ».
  • [37]
    Victor Klemperer, op. cit., « La racine allemande », p. 176-186, et « Que restera-t-il ? », p. 171-175.
  • [38]
    Rédigé en septembre 2004.
  • [39]
    Comme ce texte vise Élisabeth Roudinesco, Michel Plon et René Major pour leur soutien à Helena Besserman Vianna, je n’ai pas voulu répondre à leur place, pensant qu’ils le feraient. Dans ma communication concernant les fondements du mouvement des États Généraux de la psychanalyse, j’ai cependant introduit une note faisant le point sur les rapports de Füchtner au comité de rédaction de la revue du Coq-Héron, tout en rappelant en quoi son texte appelait discussion (au plan historiographique) et réponse (au plan éthique). Communication disponible sur le site : Psychanalyse au singulier, sous le titre Traversées : questions de fondements (cf. note 5).
  • [40]
    Fabio Landa, « Le pire ennemi de la psychanalyse », Les Temps Modernes, n° 627, juin 2004. Je me permettrai, par rapport à cet article auquel je souscris pour l’essentiel, de dire, en tant que témoin direct, que la foule ne fut pas unanime à Rio, et que sans cela d’ailleurs, aucune information précise ne serait parvenue en France avant cet été. Mes pensées vont aux Brésiliens qui ont affronté la foule courageusement, prenant de plus le risque de bousculer leurs liens et appartenances professionnelles. Que nos voix les soutiennent. Un point soulevé par Fabio Landa, concernant la « zone grise » telle qu’éclairée par Primo Levi, est de savoir si nous sommes condamnés à en faire partie. Personnellement je ne le crois pas, même si, dans des situations véritablement extrêmes, nous pourrions peut-être y trouver une voie d’accomplissement d’un devoir.
  • [41]
    Cf. note 5.
  • [42]
    Il n’existe pas de transcription officielle de la discussion publiée. Je ne reproduis donc que ce qui concerne ma question et la réponse de Tariq Ali, que je me dois de donner.
  • [43]
    Inexactitude due à l’émotion : le bilan de la Shoah se compte évidemment à partir des premiers camps de concentration, et se rapporte à la période 1933-1945.

Droit à l’information et devoir d’analyse

Des psychanalystes piégés ?

1 Inviter des politiques aux États Généraux de la psychanalyse, pourquoi pas ? Comment analyser les souffrances contemporaines sans parler de la guerre, du terrorisme, des fondamentalismes, des sources de ces violences, des remèdes possibles ?

2 Tariq Ali, ancien cadre de la Quatrième Internationale, théoricien de la « nouvelle gauche » altermondialiste, était invité à parler du fondamentalisme par le comité exécutif de la Deuxième rencontre mondiale des egp (États Généraux de la psychanalyse) à Rio de Janeiro [1], sur le thème « Psychanalyse et actualité », à l’automne 2003.

3

« Pour l’essentiel, annonça-t-il, ce que je souhaite faire dans cette intervention, c’est ouvrir quelques concepts pour l’auditoire, les discuter et ensuite je serai heureux de répondre aux questions sur n’importe lequel des thèmes [2]. »

4 (Essentially what I want to do in this talk is open up some concepts for you, to discuss them and then I will be very happy to answer questions on any of the themes.)

5 Le public, sept cent à mille personnes, dont bon nombre de psychanalystes, fut séduit et enthousiasmé par ce discours qui, sous l’aspect d’une ballade philologique examinant successivement les concepts de fondamentalisme et de fanatisme, d’attentats suicide, de courage et de conscience, de transfert, de terrorisme, de résistance et de conscience politique, fut une exhortation à la révolte et une apologie de la résistance mondiale contre l’Empire américain, y compris sous la forme des attentats suicide. Comme nous le verrons, cet appel s’appuya sur un condensé de désinformation, sur fond de révisionnisme historique, d’instrumentation de la Shoah et de la résistance au nazisme : les Israéliens y étaient transformés en néo-nazis, le drame palestinien en une nouvelle Shoah, et Tariq Ali en porte-parole de la nouvelle « résistance » internationale : à l’en croire, les soldats israéliens assassinent tous les jours des enfants palestiniens en les tuant d’une balle dans la tête !

6 À Rio, l’altermondialisme était d’une actualité brûlante, si peu de temps après la rencontre du Fond Social de Porto Alegre. Dans un message écrit, Élisabeth Roudinesco s’excusait de son absence et appelait à un grand mouvement psychanalytique altermondialiste, mais à un mouvement qui se garderait de tous les fondamentalismes. Surprise par cette déclaration qu’on aurait pu penser superflue, j’invitai l’assemblée à poursuivre le dialogue avec cette historienne de la psychanalyse. Mais les bornes espérées par Élisabeth Roudinesco allaient justement être dépassées au soir de l’intervention de Tariq Ali : l’assemblée applaudit ce dérapage intolérable.

7 Comment comprendre cette abdication soudaine de toute pensée analytique et de tout esprit critique ? S’agissait-il d’un mouvement de foule accidentel compréhensible dans un contexte culturel particulier ? Depuis lors, les réactions de psychanalystes français, hors tout mouvement de foule, donnent à penser que non. Que se passe-t-il ? Quel est cet aveuglement ?

8 Il m’a paru nécessaire de revenir en détail sur le passage central du discours par un commentaire ligne à ligne afin d’en déjouer les pièges et de comprendre les modes de communication qui aboutissent à de tels effets. À l’issue de ce travail nous verrons que le problème déborde largement le seul discours de cet orateur et concerne plus généralement les ressorts profonds de l’antisémitisme, le rapport des citoyens aux mythes, au langage et à la pensée : et que cette réflexion ouvre à la question de savoir à quelle vigilance les psychanalystes, sont, plus que d’autres encore, conviés.

Le thème du discours

9 Voici un exposé succinct des articulations principales de ce discours, maintenant disponible en portugais, depuis août 2004, sur le site brésilien des États Généraux de la psychanalyse [3].

Fondamentalisme et fanatisme

10 Un peu de fanatisme est nécessaire à l’action ; la raison n’y suffit pas. C’est une donnée banale. En revanche, la mère de tous les fondamentalismes est le fondamentalisme protestant qui a servi de fondement à l’économie de libre-échange et au développement de la puissance économique, politique et militaire de l’Empire américain [4]. L’islam est au contraire éloigné du type d’idolâtrie qui fonde ce fondamentalisme.

11 – Attentats suicide : ce fondamentalisme de l’Empire américain est la source véritable de ce qu’on nomme « terrorisme », y compris les attentats suicide ; ceux-ci s’expliquent par le désespoir des peuples opprimés, dont l’exemple le plus extrême est celui des Palestiniens face à Israël.

12 – Courage et conscience : il faut remarquer le courage instinctif des enfants, en Amérique latine et en Irak, comme chez les enfants palestiniens.

13 – Transfert : la notion psychanalytique de « transfert » permet d’expliquer la violence de l’armée israélienne qui traite les Palestiniens en « sous-hommes ». Les médias font silence sur les atrocités commises sur les enfants palestiniens.

14 – Terrorisme : c’est le nom que donnent les usa à tout ce qui leur résiste : tout Empire a besoin d’un bouc émissaire.

15 – Résistance et conscience politique : en réalité c’est d’une véritable résistance dont il faut parler en Irak, fondée sur une mémoire historique, une culture orale de haut niveau à travers la poésie et le chant, et une haute conscience politique – plus haute même qu’en Occident. On peut parler d’une résistance par les mots.

16 L’orateur conclut sur la domination du fondamentalisme protestant et encourage l’Amérique latine à entrer en résistance et à lutter contre la suprématie américaine.

Le dérapage

17 Ce discours musclé, plein d’humour et revigorant pour l’auditoire, fut littéralement ovationné.

18 L’orateur avait produit une régression collective : s’appuyant sur la haine des militaires, surtout américains (référence partagée par tout l’auditoire), il engagea le public dans une identification aux enfants victimes, désespérés, mais pleins d’humour et de courage. Tout en justifiant les attentats suicide comme réponse à des atrocités, il se faisait le chantre et le représentant d’une résistance des peuples du tiers-monde « par les mots », une résistance d’adulte, intelligente et cultivée, fondée sur la conscience politique, qui leur rendait leur dignité.

19 J’acceptai pendant un bon moment ce mouvement, me sentant moi-même assez proche des enfants victimes de quelque occupation militaire que ce soit ! Ce mouvement de sympathie avec la foule s’arrêta net quand j’entendis le tribun énoncer que Hitler aurait tiré quelques idées (directement ou pas) de Herzl (le père du sionisme) et que 90 % des enfants palestiniens étaient tués par des militaires israéliens d’une balle dans la tête ! Un frisson d’horreur avait parcouru la salle. La stupeur m’envahit.

20 Le cœur de son discours, le levier de sa justification des attentats suicide, c’était sa description de la politique israélienne ; c’était une attaque d’une extrême violence contre Israël, le sionisme, et le peuple juif. Une série de contrevérités dont il ressortait essentiellement l’équation qui fait fortune chez les islamistes : « sionistes = nazis » (sauf exceptions, bien entendu car il y a de « bons » Juifs). Il prit soin à cet égard de ne jamais parler en son seul nom, mais de toujours se référer à des sources juives ou israéliennes, pour une part connues, pour une autre part totalement improbables.

21 Quelques personnes sortirent avant la fin, malades. Pendant que la foule applaudissait, je regardais les quelques auditeurs restés assis, et une pensée me traversa l’esprit : « Mon Dieu, c’est comme cela que devaient se déclencher des pogroms. » Je tins cette pensée solitaire pour un peu folle, mais les claquements de mains continuaient de s’abattre sur des traumas collectifs anonymes. Beaucoup – et des psychanalystes de renom – avouèrent par la suite être restés muets de peur. Cette scène, qui aurait choqué dans un meeting politique, eut ici une portée traumatique par son effet de surprise : il était invraisemblable que cela arrive dans une assemblée de psychanalystes.

22 Quelques questions venant de l’assemblée cherchèrent un élément modérateur : comment comprendre les attentats suicide (Michel Plon) ? N’y avait-il pas aussi des fondamentalistes dans les pays arabes (Halina Grynberg) ? Pourquoi Tariq Ali n’avait-il pas parlé de paix (un auditeur inconnu) ? Aucune, néanmoins, ne pointait les contrevérités énoncées ! Et le comité exécutif restait complètement muet.

23 Il était humainement et intellectuellement insupportable de cautionner par le silence ce discours de guerre radicale. J’ai alors tenté par mes questions (reproduites ci-après en Annexe) de revenir sur ces propos : en retour l’orateur m’accusa de lui attribuer des propos qu’il n’avait pas tenus. Si mon écoute avait été un peu impressionniste, reste que je n’avais pas interrogé les pires passages de son discours, doutant d’avoir bien entendu !

24 Face au déni que l’orateur semblait afficher sur le contenu de son discours, il fallait restituer ses propos avec précision. Mais comment ?

25 Beaucoup, bouleversés, n’ont pas osé parler le soir même. Ils m’ont assuré qu’ils avaient bien entendu les contrevérités que je dénonçais. Le comité exécutif promit l’envoi d’un enregistrement… qui ne nous parvint qu’en février 2004. Mais il se refusa sur le moment à tout commentaire, m’accordant seulement cinq minutes en plénière pour revenir sur la question, et je passai la parole à ceux qui n’avaient pu s’exprimer la veille : parmi eux, Halina Grynberg, Rebecca Schwartz, Betty Fucks, Maryse Touboul, qui rédigèrent ensuite des témoignages [5]. L’une, évoquant la réalité de la Shoah pour sa famille, fut sifflée en pleine assemblée. Le comité exécutif s’appliqua bureaucratiquement à limiter les temps d’intervention pour ces paroles asphyxiées (deux minutes, une minute par personne)… En réponse, quelques participants dirent à nouveau leur ferveur, leur bonheur d’avoir entendu Tariq Ali – on voulait pouvoir faire entendre cela à ses enfants ; c’était le plus beau moment de la rencontre… Au milieu des congratulations collectives, j’exprimais mon regret que l’assemblée ait par moments fonctionné comme foule (au sens freudien).

26 Le surlendemain, un article du journal de Rio O’Globo me décrivait comme une française « exaltée » (le reste de la salle avait fait preuve d’un flegme britannique, sans doute ! ?) ; l’assemblée m’aurait décerné « le trophée du nom propre » (face au phénomène de masse et à la langue de bois, je l’accepte avec bonheur), et l’on avait dû rappeler à mon encontre que la règle fondamentale des egp c’est que « chacun dispose d’un quart d’heure pour parler, pas plus » (sic : une version de la démocratie en forme de chapelets de séances courtes ?).

La censure

27 Le conseil d’administration des Amis des egp adressa une lettre publique au comité exécutif de Rio contenant quelques critiques sur l’organisation de la rencontre, et le site français des egp publia en décembre l’article pondéré mais clair (« La psychanalyse rencontre le politique : à ses risques et périls ») que j’avais rédigé pour le journal O’Globo de Rio qui avait couvert l’événement – le journal avait refusé l’article comme « trop tardif ».

28 Mais à Paris, une autre déconvenue m’attendait : certains collègues présents à Rio soutenaient que rien dans les propos de Tariq Ali ne pouvait relever de l’antisémitisme ! Et la plupart de ceux qui comprenaient ce qui s’était passé songeaient à différer les réactions ou bien à les passer sous silence. Comme si on ne pouvait rappeler un intellectuel de gauche, écrivain et historien, à la raison. Comme si ce mouvement des États Généraux de la psychanalyse – comme tant d’associations – ne pouvait survivre à un conflit interne ! On m’assura que la presse française serait fermée à l’événement, et j’eus l’occasion de le vérifier.

29 Alors que nous travaillions, de part et d’autre de l’Atlantique à élaborer nos analyses, Edelyn Schweidson réussit à publier, sur la base d’un enregistrement qu’elle obtint dès le mois de décembre, une protestation dans la revue brésilienne, la Revista Espaço Acadêmico[6], dont nous offrons dans ce numéro du Coq-Héron une version condensée.

30 De mon côté, j’avais rédigé le corps du présent article et livré en février une première version, mais j’acceptai d’attendre la publication de la conférence prévue en mars, aux dires du comité de Rio. Les délais n’étant pas tenus, tandis que se succédaient sur le site de Rio des commentaires élogieux sur ce discours, j’ai fini par exiger la publication, sur le site des egp, des témoignages, de cet article et de celui d’Edelyn Sweidson, afin d’exercer notre droit à l’information sur l’événement public et notre devoir d’analyse. J’avoue que j’espérais convaincre mes amis et collègues des egp de la nécessité d’un débat contradictoire (un point d’honneur puisque nos contributions soutiennent par ailleurs cette rencontre) : défendre le camp des opprimés, bien sûr, mais de tous les opprimés, en nous gardant de l’antisémitisme autant que de tout autre rejet culturel.

31 Je dirai ci-après ce qu’il en advint (« épilogue »). En tout cas, le site des États Généraux de Rio de Janeiro aura attendu la mi-août 2004 pour publier la transcription de la conférence de Tariq Ali. Le site français des États Généraux, différant la publication de mois en mois sous des motifs intenables et à coup de promesses vite oubliées, a fini, tout en annonçant publiquement des publications prochaines, par m’annoncer son refus définitif, par la voix du conseil d’administration de l’association, de toute publication sur le sujet, obéissant à une interdiction, me dit-on, de Tariq Ali [7] ( ! ?). Mais quelle association de psychanalystes obéirait à un orateur qui prétendrait censurer les réactions à un discours qu’il aurait tenu dans une manifestation qu’elle aurait organisée ?

La caution de la psychanalyse

32 Une réponse semblait pourtant d’autant plus nécessaire que Tariq Ali a convoqué la psychanalyse à l’appui de ses propos.

33 Il tend en effet à opérer dans nos esprits un renversement de perspective en éclairant les mécanismes sous-jacents à l’idéologie dominante : le « terrorisme », ce serait la résistance désespérée et courageuse ; le « fanatisme », ce serait la part de passion nécessaire à l’action ; le « fondamentalisme », ce serait les croyances des chrétiens et des athées occidentaux attachés à l’économie de marché ; quant à la culture et à la conscience politique, les occidentaux n’auraient pas de leçon à donner au tiers-monde. En somme, Tariq Ali prétend nous ouvrir les yeux et l’esprit.

34 Il aurait pu s’appuyer sur l’analyse que René Major a proposée d’un délire d’élection américain [8]. Mais il préféra nous parler d’un de nos concepts, le transfert, en l’illustrant à l’aide du conflit israélo-palestinien :

35

« Puis vous avez le problème du transfert. C’est un concept bien connu de vous tous, j’en suis sûr. Mais regardons-le en relation avec Israël et la Palestine. »

36 (Then you have the problem of transference. This is a concept well known to all of you, I’m sure. But let’s look at it in relation to Israel-Palestine.)

37 Au beau milieu de son discours, l’orateur ciblait ainsi son public en attirant son attention sur ce concept. « Le transfert » allait servir d’explication à son équation latente « sionistes = nazis » (sans cesse suggérée), opérateur du renversement de perspective. L’analyse de ce transfert devait nous ouvrir les yeux sur ce que nous ne pouvions voir : les prétendues vérités que Tariq Ali voulait nous faire entendre. Il allait donc se servir d’un concept psychanalytique pour les cautionner, et du public en principe composé de psychanalystes pour avaliser ses dires ! Et il prétendrait nous interdire d’y réagir où que ce soit ?

Du transfert, selon Tariq Ali : contrevérités sur un conflit

38 Voici un commentaire ligne à ligne du passage du discours de Tariq Ali sur le « transfert », entièrement consacré au conflit israélo-palestinien. Voyons comment progresse la désinformation.

Jénine = Varsovie ?

39 L’orateur tient pour acquis que les Israéliens traitent les Palestiniens comme ils ont été traités par les nazis.

40

« Quand Sharon décida, après le 11 Septembre, de s’embarquer dans sa guerre contre les Palestiniens, il décida d’aller occuper Jénine et de donner une leçon aux Palestiniens, comme ils le font depuis 1948, mais de toute façon, c’est une leçon de plus qui leur est donnée. Et un colonel israélien, un colonel très courageux de l’armée israélienne raconta à un journaliste du journal Maariv, le journal israélien, il dit : “Si nous sommes forcés d’y aller et d’occuper à nouveau ces villes palestiniennes et ces camps de réfugiés, que cela nous plaise ou non, nous devrons utiliser exactement les mêmes tactiques utilisées par les Allemands dans le ghetto de Varsovie.” Pas un journal américain ne l’a rapporté. Mais le fait est que beaucoup d’Israéliens eux-mêmes comprennent ce qu’ils sont en train de faire. »

41 (When Sharon decided, after 9/11, to embark on his war against the Palestinians, he decided to go in and occupy Jenine and teach the Palestinians a lesson, which they have been doing since 1948, but anyway this is more lesson to be taught. And an Israeli colonel, very brave colonel in the Israeli army, told a journalist from the newspaper Maariv, the Israeli newspaper, he said : ‘If we are forced to go and occupy this Palestinian town and refugee camps again, whether we like it or not, we will have to use exactly the same tactics used by the Germans in the Warsaw ghetto.’ That’s what this Israeli colonel said. Not a single American newspaper reported this. But the fact is that many Israeli themselves understand what they are doing.)

42 Jénine, une expédition punitive gratuite ? Israël agirait pour le compte des usa, punissant les Palestiniens pour les actes d’Al Qaïda ?

43 L’opération « bouclier défensif » visait les infrastructures terroristes palestiniennes et fut déclenchée deux jours après un attentat-suicide très meurtrier et de haute charge symbolique visant des civils en train de célébrer la Pâque juive en famille dans un immeuble ordinaire d’habitation : 27 morts et 160 blessés, tous civils (27 mars 2002).

44 Quant à l’usage de la déclaration d’un colonel israélien (Tariq Ali se prive de donner son nom et la référence de publication), il transforme une crainte qui aurait été exprimée par ce « brave colonel » (de voir l’armée israélienne utiliser les méthodes des Allemands dans le ghetto de Varsovie), en fait établi (« beaucoup d’Israéliens savent ce qu’ils font »). Ce qui signifie à la lettre que les Israéliens savaient qu’ils allaient transformer Jenine en « ghetto de Varsovie » ou que c’est ce qu’ils font actuellement ailleurs. Ce qui laisse entendre que les Israéliens ont utilisé à Jenine ou ailleurs les méthodes des Allemands contre le ghetto de Varsovie.

45 Or l’assimilation de Jenine au ghetto de Varsovie est un exemple-type de dérapage médiatique des grands quotidiens européens dans l’information sur le conflit israélo-palestinien. Le journal Le Monde s’excusa officiellement d’y avoir participé. Quand plusieurs quotidiens européens avaient fait courir la nouvelle de milliers de morts palestiniens à Jénine, Le Monde avait publié dans la revue de presse de son édition du 30 avril 2002 un dessin accusant Israël de politique d’extermination : côte à côte deux images identiques d’une femme pleurant des morts au milieu de ruines urbaines, l’une portant le nom « Varsovie 1943 », l’autre « Jenine aujourd’hui », assorties du commentaire : « l’Histoire se répète d’une étrange manière ».

46 L’Histoire se répète ?

47 Varsovie, avril 1943 : les Juifs enfermés dans le ghetto depuis 1939 et coupés du monde ont déjà connu 100 000 pertes humaines dues à la faim et aux maladies générées par l’absence de soin (jusqu’à 2 000 morts par jour en 1941) et 300 000 déportations vers les camps de la mort (plusieurs milliers par jour après juillet 1942). En avril 1943, il reste 40 000 survivants et les ss donnent l’assaut. Une résistance désespérée et affamée les attend (armée de pistolets et d’explosifs) ; elle tient vingt-sept jours face à plus de deux mille ss qui incendient le ghetto au lance-flamme. Le ghetto est finalement complètement anéanti, puis rasé.

48 Jénine, avril 2003 : selon les sources israéliennes et palestiniennes 200 hommes armés des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, de Tanzim, du Jihad islamique palestinien et du Hamas opéraient à partir de la ville, fondus dans la population civile. Les Israéliens disent avoir appelé les habitants à sortir de la ville avant l’attaque. Bilan des pertes humaines de l’opération, d’après le rapport de l’onu du 30 juillet 2002 : 52 palestiniens tués dont environ la moitié d’hommes armés, et de 23 soldats israéliens. Beaucoup de prisonniers palestiniens et des problèmes humanitaires persistants après les combats.

49 Le Monde admit que ce dessin n’aurait pas dû être publié. Car il s’agissait soit de désinformation sur Jénine, soit de négationnisme par rapport à la Shoah, ou bien encore des deux à la fois.

50 Le rôle d’une assemblée de psychanalystes n’est pas de transformer en mythe une fausse rumeur depuis longtemps démentie, même si les méthodes de l’armée israélienne à Jénine et celles de la résistance palestinienne continuent à faire couler beaucoup d’encre.

51 Le chapitre « transfert » du discours de Tariq Ali commençait malheureusement ainsi : provoquant au transfert de toutes les émotions collectives suscitées par le souvenir de la résistance désespérée des Juifs voués à l’extermination sur les Palestiniens qui soutiennent les opérations terroristes.

52 Politiquement, c’est mobilisateur. Mais intellectuellement, cela ressemble à une manipulation. Quant à l’efficacité dans la défense de la cause palestinienne, on peut en douter, comme doutaient de la pertinence des opérations terroristes les cinquante cinq intellectuels et politiques palestiniens signataires avec Sari Nousseibeh de la pétition rendue publique le 21 juin 2002 appelant à cesser les opérations terroristes contre les civils israéliens.

Les Israéliens traitent les Palestiniens comme des Untermenschen ?

53 Tariq Ali enchaîne par une explication qui se veut psychanalytique : les Israéliens reproduisent ce qu’on leur a fait de pire, sur les Palestiniens. C’est sans doute ce qu’il fait entrer dans le chapitre « transfert ».

54

« Et quand les gens posent la question de savoir comment ce peuple, qui a été lui-même torturé, massacré, tué, qui a souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, comment il peut se conduire ainsi envers un autre peuple ? Nous devons dire que c’est justement pour cela : ils ont appris trop de mauvaises choses, et on en fait autant à partir de cette expérience particulière. »

55 (And when people ask the question how come that people who were themselves tortured, massacred, killed, suffered during the II World War, how they can behave like this to another people ? we have to say that’s why : they’ve learned too many bad things which you do as well from that particular experience.)

56 Pour parler du « pire », il utilise la référence à Klemperer, qui décrivait dans son journal l’humiliation subie sous le nazisme en Allemagne [9] : « Et il y a un livre très intéressant de Victor Klemperer, qui était un Juif allemand qui a survécu à la Seconde Guerre mondiale, et a tenu son journal jour après jour. C’est un livre fascinant. Il était marié avec une femme allemande qui l’a caché ainsi qu’un groupe d’autres juifs. Ils survécurent. Il a tout observé jusqu’au moindre détail pendant ces douze années. Il décrit comment, d’une certaine façon, la pire chose n’était pas d’être arrêté ou déporté vers un camp mais quand ils ont été faits citoyens de seconde classe en Allemagne et forcés de porter l’étoile. »

57 (And there’s a very interesting book by Victor Klemperer, who was a German Jew who survived the Second World War and kept a diary every single day. It’s an amazing book. He survived because he was married to a non… to a German woman who gave him cover and then he and a group of other Jews in a similar position survived. But he observed every single thing, every single thing in that period of twelve years. And he describes how, in some ways, the worse thing was not even being arrested or being taken to a camp – though he said, of course, what could be worse than that ? – but it was when we were made second class citizens in Germany, and forced to wear the star.)

58 À Klemperer il attribue ainsi l’idée que l’humiliation de porter l’étoile jaune et d’être considéré comme un citoyen de seconde classe était d’une certaine manière la « pire » des choses, pire que la prison ou l’internement « dans un camp » (de concentration). C’est notamment le cas, dit-il, quand on considère les humiliations rencontrées par les Juifs sous le nazisme dans les voyages en « bus »…

59 Il s’agit de montrer par ces euphémismes que, d’une certaine manière, l’humiliation des Palestiniens est aujourd’hui la même – mais à propos de « bus », les risques ne sont pas moindres pour les Israéliens ! Tariq Ali entend parler des checkpoints, bien sûr (dont, évidemment, il ne cherche pas la raison d’être) : « Et quand on lit ces descriptions, celles qu’il donne de l’humiliation qui leur a été infligée, par exemple lorsque quelqu’un voyant un Juif avec son étoile lui crachait dessus, ou l’ennuyait pour aller d’un endroit de la ville à un autre, ou le faisait sortir de l’autobus, quand les Palestiniens ont traversé ces expériences et qu’on lit leurs descriptions aujourd’hui de ce qu’ils sont obligés de subir pour passer un simple checkpoint, un simple checkpoint, ce qu’il leur arrive et comment ils sont menacés par les soldats israéliens qui les traitent comme s’ils étaient une Untermensh, une espèce sous-humaine, […] »

60 (And when you read those descriptions, which he is giving of the humiliation inflicted on them, when someone seeing a Jew with a star would just spit on them, or make it difficult for them to go from one part of the city to the other, or take them out when going on buses when they have been through that experience and you read descriptions today from Palestinians of what they are forced to undergo when going through a simple check point, a simple check point, what happens to them and how they are treated by Israeli soldiers, who treat them as if they are an Untermensh, a subhuman species…)

61 Et c’est ainsi que comparant les humiliations des Juifs dans les transports sous le nazisme et celles des Palestiniens dans les Territoires occupés, il en conclut que les Israéliens traitent les Palestiniens en sous-hommes, Untermenschen – mot directement tiré du vocabulaire nazi, cette « langue du Troisième Reich », dont Klemperer s’est appliqué à analyser les méfaits. Et Klemperer lui-même est appelé à cautionner cette affirmation ! Or Klemperer ne dit cela nulle part, ni dans son journal, ni dans La langue du Troisième Reich[10]. Malgré les actes inhumains auxquels un porteur de l’étoile jaune était confronté, jamais Klemperer ne dit que le port de l’étoile jaune fut, sous quelque rapport que ce soit, pire que l’expérience des camps de concentration. Bien sûr.

62 Penser un instant le contraire, ou le faire accroire, c’est minimiser complètement la finalité de ces camps, c’est faire silence sur la politique d’extermination, pour ne pas dire la nier. Non : l’humiliation dans les transports n’est pas synonyme de déportation vers les camps de la mort. Si l’on acceptait l’idée selon laquelle être traité de manière humiliante est déjà être traité en Untermensch, tous les amalgames seraient permis, à propos de toute forme de discriminations. En revanche, certaines formes d’humiliation font tout à fait craindre d’être un jour traité en Untermensch. Il peut y avoir confusion subjective de la crainte et du fait, et cela rend d’autant plus condamnable toute forme d’humiliation.

63 Tariq Ali abuse donc d’un auteur juif pour établir à nouveau une confusion entre une crainte et un fait, et accuser les sionistes d’utiliser les « pire » méthodes nazies. Deux contrevérités dans une.

64 Quant à l’utilisation de la notion de transfert qui couvre ce passage, elle est… déplacée, puisque Tariq Ali entend parler d’un comportement conscient (chez ceux qui « savent ce qu’ils font ») ! Par définition, le transfert est inconscient. Si le fonctionnement était inconscient on parlerait d’identification à l’agresseur – les Israéliens seraient en train de déporter et massacrer en masse les Palestiniens. Il ne s’agirait pas d’humiliation lors des déplacements. Attention aux confusions entre transport, transfert, déplacement et déportation.

65 S’il s’agissait de « transfert », il faudrait se demander pourquoi les Israéliens déplacent sur les Palestiniens des sentiments hostiles qu’ils devraient avoir envers les nazis. Quelque chose dans le comportement des Palestiniens est-il de nature à leur faire craindre une nouvelle extermination ?… Tariq Ali n’emprunte pas du tout cette voie de réflexion…

66 En revanche, consciemment ou non, l’orateur essaie d’établir un triple transfert :

  • un transfert positif de son auditoire sur lui, en se couvrant du manteau des travaux de Klemperer : le philologue qui a inventé la résistance par les mots à travers l’étude du fonctionnement de la langue du Troisième Reich. Il sollicite un transfert d’autorité, prêtant à un intellectuel juif de renommée mondiale les propos qui lui servent à justifier la pratique des bombes humaines ;
  • un transfert positif de l’auditoire sur la résistance palestinienne assimilée à celle d’un peuple qui serait confronté à l’extermination ;
  • un transfert négatif de son auditoire sur l’armée israélienne décrite comme contrainte et décidée aux méthodes nazies.

Hitler a-t-il trouvé des idées dans Herzl, le père du sionisme ?

67 Tariq Ali poursuit : « […] et l’autre chose que Klemperer écrit dans son livre, est que la première fois qu’il a entendu des mots comme peuple juif, nation juive – comme si les Juifs étaient exactement un seul groupe monolithique pensant tous pareil – il dit : “C’est d’Hitler que nous avons entendu cela pour la première fois”. Il utilisait ces mots pour dire : “C’est le peuple que nous devons écraser”, et il se rappela soudain où, pour la première fois, il avait lu ces mots : dans la littérature sioniste de Herzl. C’est là que Hitler avait trouvé ces mots chez des politiciens antisémites qui ont cité et lu Herzl. »

68 ([…] and the other thing Klemperer writes in his book, he says when we first started hearing these words of the Jewish people, the Jewish nation, as if the Jews were exactly the same one monolithic group all thinking the same, he said : « We first heard these from Hitler. He would use them to say “this is the people we have to crush” », and he suddenly recalled on where he first read these words. And he said he first read them in Zionist literature of Herzl. And he said that’s where Hitler had picked the stuff up from in Austria ; in his anti-Semitic youth days from anti-Semitic politicians who quoted Herzl and who read Herzl.)

69 Mais Klemperer n’a pas affirmé que Hitler avait trouvé dans Herzl, directement ou indirectement, son idée de peuple « Un ».

70 Et en entendant Hitler parler d’un peuple juif comme monolithique, il n’a pas pu se souvenir non plus d’avoir lu cela dans Herzl, dont les œuvres ne l’intéressaient pas [11]. Il parle dans La langue du Troisième Reich d’un ami sioniste (ami bien que sioniste, car Klemperer n’était pas sioniste du tout) qui fit ce rapprochement. Ce qui l’a conduit, lui, Klemperer, à lire Herzl – qu’il avait tout à fait négligé !

71 Tariq Ali fait dire à Klemperer qu’Hitler a trouvé « le truc », ou la matière de cette idée en Autriche par le biais d’antisionistes qui avaient « cité et lu » Herzl. Il y a là une insistance (en général on ne cite pas sans avoir lu…) à prétendre que les antisémites ont repris la lettre du sionisme à leur propre compte.

72 Dans sa réponse à ma question (cf. Annexe), Tariq Ali gomme ces déclarations et ne parle plus que de constat par Klemperer de similitudes entre le langage de Hitler et celui de Herzl. Cela prouve qu’il connaît bien Klemperer. Alors pourquoi avoir d’abord déformé sa pensée ?

73 Que dit en réalité Klemperer ? D’après lui, chez les antisémites autrichiens, Hitler aurait pris ses idées d’un peuple juif pourvu de tous les vices[12]. Il ne prétend pas que ces antisémites là ont lu et cité Herzl ; ils en ont probablement entendu parler – ce qui est tout différent. Quand on connaît l’histoire de l’antisémitisme en Europe, on voit mal que les antisémites autrichiens aient eu besoin de lire Herzl pour trouver une telle idée, l’idée qu’il y avait là un peuple à « écraser », et que c’était le peuple juif !

74 Mais Tariq Ali balaye l’idée d’un antisémitisme européen largement répandu : tout le malheur semble venir de la lecture indirecte de Herzl par Hitler : « Parce qu’auparavant, la plupart des Juifs qui étaient intégrés dans les différentes parties de l’Europe, spécialement en Europe occidentale, en France, en Allemagne, et en Angleterre, se pensaient eux-mêmes comme Allemands, Français, ou Anglais. Et donc il explique comment ceci est arrivé, comment ce processus se réalisa. »

75 (Because prior to that most Jewish people who were integrated in different parts of Europe especially in Western Europe, France, and Germany and Britain, thought themselves of as Germans, or French, or British. And so he discusses how this came about, how this process came about.)

76 De quel processus s’agit-il ? De quoi Klemperer a-t-il discuté ? Klemperer s’est-il demandé comment les Juifs s’étaient constitué une identité nationale, ou s’est-il posé la question de savoir comment avait surgi l’antisémitisme ?

77 Klemperer discute en effet des sources de l’antisémitisme. Il doit donc s’agir de cela. Quelle autre interprétation possible ?

78 Mais Klemperer n’ignore pas du tout le rapport entre l’antisémitisme et le contexte culturel allemand et européen. Au contraire, il débusque justement dans le romantisme allemand la source de la logique exterminatrice du Troisième Reich ! Et tout le monde sait que l’antisémitisme allemand était présent dans le temps même de l’« intégration » des Juifs. Sous Hitler, l’antisémitisme a seulement pris une autre forme : celle de l’extermination.

79 Par contre il est vrai que pour Klemperer l’idée même d’un peuple juif Un est une construction, aussi bien du sionisme que du nazisme ; de sorte que le propos sioniste a conforté les futurs nazis à la recherche d’un bouc émissaire. Néanmoins Klemperer ne pense aucunement que c’est la source du nazisme. Il consacre à l’analyse des sources de l’antisémitisme nazi des chapitres importants, en particulier du point de vue de la construction du racisme pseudo-scientifique [13].

80 C’est donc Tariq Ali, caché derrière Klemperer, qui prétend que les antisémites ont trouvé le « truc » du peuple Un dans Herzl et que cela a été déterminant dans la logique d’extermination. Suffit-il que les Juifs se définissent comme un peuple (une réalité vieille de 3 000 ans) pour mériter le génocide ?

81 Mais que suggère Tariq Ali, consciemment ou inconsciemment, quand, tout de suite après avoir accusé les Israéliens de traiter les Palestiniens en Untermensch, il affirme que Hitler a trouvé indirectement le truc du « peuple Un » dans Herzl : les idées de Herzl sont-elles peu ou prou responsables de la politique d’extermination ?

L’idée de sous-homme est-elle une idée sioniste ?

82 Quant à l’origine du nazisme en Allemagne, la seule réponse serait donc cette influence de Herzl. Mais l’orateur déclare tout à coup, concernant le « processus » mystérieux étudié par Klemperer (la naissance de l’antisémitisme nazi, donc ?) : « Et c’est une question très intéressante qui devrait être étudiée en relation avec ce qui est en train d’arriver aux Palestiniens. »

83 (And it’s a very interesting question. And it’s a question which should be studied now in relation to what is happening to the Palestinians.)

84 Ce qui arrive aux Palestiniens devrait donc nous éclairer sur les sources de l’antisémitisme nazi ? – je ne vois guère d’autre interprétation possible, car il ne semble pas s’agir du processus de construction du nationalisme, dont Tariq Ali ne parle pas [14].

85 Faut-il penser que la façon d’être des Israéliens avec les Palestiniens permettrait de comprendre rétrospectivement le nazisme ? Autrement dit : on comprend mieux ce qui est arrivé aux Juifs sous le nazisme quand on voit ce qu’ils font aux Palestiniens aujourd’hui ? Et en effet c’est à ce moment précis que Tariq Ali va répéter que les Israéliens traitent les Palestiniens en Untermenschen en en donnant pour preuve le soi-disant meurtre systématique des enfants. L’enchaînement des phrases n’a-t-il aucune importance ?

86 Voici l’enchaînement des idées : … les Israéliens traitent les Palestiniens en sous-hommes comme ils ont eux-mêmes été traités – l’origine de l’antisémitisme nazi est obscur – c’est que les antisémites ont lu Herzl et que Hitler les fréquentait, comme le dit Klemperer – on comprend mieux le nazisme en voyant ce qui arrive aux Palestiniens – ils tuent systématiquement les enfants palestiniens…

87 C’est bien pourquoi il m’a semblé urgent dans ma question orale de préciser que l’idée d’extermination ne se trouve pas dans les écrits de Herzl. Car le texte de Tariq Ali est véritablement ambigu. Il énonce à sa manière que les Israéliens poursuivent un plan génocidaire (car que peut signifier d’autre le meurtre systématique des enfants) et que cette dynamique sert de guide à la compréhension de l’origine de l’antisémitisme nazi qui n’est pas compréhensible sans la lecture de Herzl par Hitler. Alors le sionisme de Herzl contiendrait-il une idée d’extermination ?

88 Tariq Ali s’est voulu rassurant dans sa réponse (cf. infra) : il n’est pas assez fou, dit-il, pour énoncer une chose pareille. Il valait mieux que cette ambiguïté soit levée.

89 D’ailleurs Klemperer montre explicitement, rappelons-le, que l’idée de sous-homme n’est pas une idée du sionisme de Herzl, contrairement à ce que certains disaient déjà sous le nazisme – et ces temps-ci des soi-disant citations de Herzl fleurissent sur le Net pour attester cette idée, sans qu’on trouve jamais la référence précise !

90 Klemperer s’alarme, par contre, du ton messianique de Herzl et d’une phraséologie en certains points similaire à celle de la lti , en particulier dans sa référence permanente à un peuple juif Un. Mais il reconnaît en Herzl un humaniste (dont il n’apprécie pas la pensée politique) que tout éloigne de la dynamique cruelle du discours hitlérien.

91 « Herzl, avant tout, ne vise jamais l’oppression et encore moins la destruction de peuples étrangers, il ne défend nulle part cette idée, qui est à la base de toutes les atrocités nazies, de l’“élection” et de la prétention à la domination d’une race ou d’un peuple face à l’ensemble de l’humanité. Il ne demande que l’égalité des droits pour un groupe d’opprimés, qu’un espace aux dimensions modestes, un espace sûr, pour un groupe d’êtres maltraités et persécutés. Il n’emploie l’adjectif “sous-humain” que lorsqu’il parle du traitement sous-humain des Juifs galiciens[15]. » (C’est moi qui souligne)

92 Quant aux similitudes de style, Klemperer les renvoie au romantisme allemand. D’une certaine manière, sionisme et nazisme, pensait-il, se sont alimentés réciproquement, entre nationalismes fondant leur unité sur la confrontation à l’ennemi. D’un côté, un Empire désigne un bouc émissaire pour justifier sa politique de domination universelle. De l’autre, c’est l’idéologie d’un peuple qui construit un État face aux persécutions. Le danger, pour le sionisme, ce serait donc la marque qu’il porte du romantisme allemand, même s’il a abandonné la glorification de la puissance sur le monde.

93 Klemperer a clairement désigné ce que le nazisme n’a pas pu emprunter à Herzl, parce que cela ne s’y trouve pas : les notions de sous-homme et d’extermination ! À propos de la notion de sous-homme, il est particulièrement clair. Travaillant sur l’origine des mots « surhomme » et « sous-homme » il s’aperçoit qu’ils existent depuis l’Antiquité.

94 Mais « un mot, une connotation ou une valeur linguistique donnés ne commencent à prendre vie dans la langue, à exister vraiment, que lorsqu’ils entrent dans l’usage d’un groupe ou d’une collectivité qui y affirme son identité. En ce sens le “surhomme” est incontestablement une création de Nietzsche, quant au “sous-homme” [… il est] certainement à mettre sur le compte du Troisième Reich[16] » (je souligne).

95 Et l’idée de « sous-homme » dans la lti contient en elle-même le projet d’extermination – et non de projet de seules humiliations.

96 Si, au contraire, l’éclosion de la politique exterminatrice d’Hitler devait s’éclairer à partir de ce qui arrive à présent aux Palestiniens, il faudrait en conclure que les Israéliens traitent les Palestiniens en « sous-hommes » parce que le sionisme est dans son essence même, et depuis Herzl, un racisme (voilà l’ombre de Durban) [17], qui s’est retourné en antisémitisme contre les Juifs lorsque Hitler a pris indirectement connaissance de la pensée de Herzl. Cela, ce n’est pas Klemperer qui le pense, c’est Tariq Ali qui, pour le moins, le laisse penser, volontairement ou non.

97 Or, les Juifs responsables du nazisme, c’est un credo islamiste : voyez, disent-ils, les campagnes de Josué dans la Bible, et suivez l’inspiration de Roger Garaudy. L’argument, sans doute a fait long feu [18]. Tariq Ali semble inventer une version moins explicitement anti-juive, sous le masque de l’antisionisme. Ce ne serait pas la Bible qui serait montée à la tête de Hitler (ménageons la religion ?), ce seraient les écrits sionistes. Le résultat est quand même qu’un juif, le père du sionisme, et lui seul, un Juif donc, est mis en cause dans la montée de l’hitlérisme. La principale victime se retrouve au banc du principal accusé. Retournement pervers bien connu : « C’est toi qui l’as voulu », dit le bourreau à sa victime.

98 Je terminerai cette analyse du détournement de l’œuvre de Klemperer par un extrait de son récit autobiographique.

99 Un jour Klemperer est arrêté. Les policiers emploient sur lui une des techniques d’humiliation des nazis. Après l’avoir proprement battu, insulté, menacé, on lui dit : « Au garde à vous, tu déclares : “Je suis le Juif Paul Israël sale porc” [19] ».

100 Tariq Ali est plus clément. Il lui fait seulement dire, post-mortem (d’où il n’est pas commode de se défendre) : « C’est chez nous, les Juifs, qu’Hitler a trouvé l’idée dont il s’est emparé pour nous écraser, et c’est moi, le premier Juif à le déclarer ». Mais la honte serait-elle moindre ?

101 Peut-être un jour Tariq Ali fournira-t-il une autre interprétation de ce passage particulièrement obscur et ambigu. Mais la suite ne l’est plus du tout…

La désinformation

102 Mais que se passe-t-il donc dans les Territoires occupés palestiniens qui éclairerait l’origine du nazisme ?

103

« Écoutez, chaque jour, si vous voulez, vous pouvez lire un rapport du Mouvement israélien pour la paix, Gush Shalom, des Israéliens très courageux et braves, un autre exemple de courage. Les soldats israéliens qui disent : “Nous ne nous battrons pas au-delà des frontières de 1967.” Les Israéliens militants pour la paix qui traversent la frontière et aident les Palestiniens chaque jour. Et chaque jour ils envoient des emails [disant] comment un enfant palestinien a été encore tué, pour reparler des enfants. »

104 (Listen, every single day, if you want, you can read an account from the Israeli Peace Movement, Gush Shalom, very brave courageous Israelis, another example of courage. The Israeli soldiers would say « we will not fight beyond the 67 frontiers » The Israeli peace makers who go out and help the Palestinians every day. And every day they send emails, how another Palestinian child has been killed, talking about children again.)

105 Tariq Ali fait encore parler de « bons Juifs » – Klemperer a montré que les « bons Juifs », les « privilégiés » sont toujours utiles à la division des Juifs, et on sait quel sort les nazis leur ont réservé. Il ne donne pas leurs noms et il cite des « mails » : des sources invérifiables.

106

« Et ces enfants, des jeunes garçons qui sont tués par les prétendues forces de défense israéliennes, ne sont jamais tués d’une balle dans le bras ou dans la jambe. C’est une balle dans la tête. Toujours. Ou du moins, 90 % des cas sont une balle dans la tête. »

107 (And these children, young boys who are killed by the Israeli Defense Force so called, are never killed because they’ve got a bullet in their arm or a bullet in their leg, it’s a bullet in the head. Always. Or ninety percent of the cases are bullet in the head.)

108 Cela signifie bien que les soldats israéliens prennent les enfants pour cibles et les tuent systématiquement d’une balle dans la tête, à raison d’au moins un par jour. Ils les visent :

109

« Alors, avec des enfants ciblés de cette façon, pourquoi le monde reste-t-il silencieux ? Pour les officiels israéliens les Palestiniens sont des Untermensch. »

110 (So with children being targeted in this fashion, why is the world silent ? For official Israelis, the Palestinians are an Untermensch.)

111 Le concept d’Untermensch mène bien à une politique d’extermination (avec le nazisme la différence ne serait d’après lui que de quantité ou d’échelle, comme il le dit dans sa réponse à ma question) et cette idée serait une idée sioniste – celle des « officials ».

112 Dans sa réponse à ma question (cf. Annexe) il affirme : « Je n’ai pas dit que Herzl a suggéré l’extermination, vous avez imaginé cela. Ou peut-être vous vouliez l’entendre, je ne l’ai pas dit. C’était la seule remarque que j’ai faite à propos de Herzl. Qu’une partie du langage auquel il était habitué (sic). Quand j’ai parlé du transfert, j’ai cité des officiers israéliens qui étaient obligés de faire ces choses. Bien sûr, ce n’est pas à la même échelle que l’Holocauste, nous ne sommes pas fous pour dire une chose pareille… »

113 (I did not say that Herzl suggested extermination, you imagined that. Or maybe you wanted to hear it, I didn’t say it. That was the only point I made about Herzl. That some of the language he was used (sic). When I talked about transference I quoted Israeli officers who are forced to do these things. Of course it is not on the same scale as the Holocaust, we are not crazy people to say that…)

114 Tariq Ali ne prononce pas le mot « extermination », il n’a pas besoin de le faire ; chacun sait comment s’appelle une politique d’élimination des enfants ! De fait, il a tenté dans son discours d’éviter les signifiants de l’extermination, qu’il nomme, en réponse à ma question, « Holocaust » à la manière américaine, tout en ne parvenant pas à prononcer en entier le mot « chambre à gaz », devenu curieusement « chambre ».

115 « Why is the world silent ? » s’exclame-t-il à propos des enfants palestiniens tués.

116 Question si tenace face à la Shoah : pourquoi le monde fut-il si silencieux ?

117

« Pour les officiels israéliens les Palestiniens sont des Untermensch. Pour les officiels américains, les Palestiniens sont tous terroristes. Pour les régimes arabes vénaux qui existent dans cette région, les Palestiniens sont un embarras. C’est essentiellement ce qui se passe et le monde entier, qui parle de droits de l’homme, et ci et ça, ne regarde même pas ce qui est en train d’arriver aux Palestiniens. »

118 (For official Israelis the Palestinians are an Untermensch. For official Americans the Palestinians are all terrorists. For the venal Arab regimes which exist in that region the Palestinians are an embarrassment. That’s essentially what’s happened and the whole world, which talks about human rights and this and that, doesn’t look even at what’s happening to the Palestinians.)

119 Mais est-ce bien la véritable explication du prétendu « silence du monde » ? Et d’abord, y a-t-il silence sur les morts d’enfants ? Ce prétendu « silence » nous signifie qu’il ne faut pas chercher de preuve de ces atrocités. Mais comment comprendre qu’on pourrait lire tous les jours ces mails des militants de Gush Shalom et que le monde resterait silencieux ?

120 C’est, ajoute-t-il, que personne ne voit véritablement ce qui se passe. Les témoins ne sont pas fiables, ils ne voient rien : « Quand cela arrive sous vos yeux, vous ne le voyez pas parce que vous n’avez pas envie de le voir. Parce que si vous le voyiez jour après jour, vous voudriez faire quelque chose, et il n’y a rien que vous puissiez faire. »

121 (When it’s happening before your eyes, you don’t see it because you don’t want to see it because if you saw it every single day, you would want to do something and there is nothing you can do.)

122 90 %, voire tous les enfants palestiniens tués par les soldats israéliens sont tués d’une balle dans la tête et il n’y a personne pour le voir ! ? Quand vous avez ça devant les yeux, explique-t-il en somme, vous le déniez immédiatement de manière défensive pour ne pas être submergé par le conflit déchirant qui vous saisit entre le désir de faire quelque chose et votre sentiment de totale impuissance.

123 Le scoop de Tariq Ali a saisi l’auditoire. Une telle nouvelle – les soldats de Tsahal abattent de sang froid 90 % à 100 % des enfants en les visant soigneusement à la tête – glace d’horreur.

124 J’ai été suffisamment pétrifiée moi-même pour ne pas évoquer cette question dans la discussion. Aucun témoin n’avait réussi à entendre cela exactement. C’était impensable. C’était fou. Et en même temps, si j’avais bien entendu, sur quelle base convaincre l’assemblée de cette fausse information ?

125 Le piège était remarquablement ficelé. La pseudo analyse subtile du prétendu déni inévitable était faite pour masquer triplement – après la référence aux mails anonymes et au silence du monde – le mensonge savamment calculé et amené. Tariq Ali avait réussi à convaincre son auditoire de la valeur de vérité d’une nouvelle impossible à prouver et taxait de déni tout doute sur ses paroles ! ! Et voilà la psychanalyse convoquée (à travers la référence au déni) pour cautionner la construction d’un mythe ! Et sept cents auditeurs pour applaudir ?

126 Mais à vrai dire, bien sûr, on ne peut pas voir cela, non parce qu’on le dénie, mais parce que ça n’est pas. Le monde fait « silence », non parce que les Palestiniens sont isolés, mais parce cette fausse nouvelle ne peut pas être diffusée. Et comment puis-je affirmer, me direz-vous, que cette nouvelle est un faux ? Peut-on prouver la non-existence de ce qui n’existe pas ? Plus le mensonge est gros, plus il devrait marcher…

127 Je vais argumenter ici, en désespoir de cause, sur des réalités malheureusement sordides, tournée vers ceux, minoritaires, que la vérité intéresse encore.

128 En réalité le conflit du Moyen-Orient est le plus médiatisé du monde. Le fait, parfaitement horrible en lui-même, que des enfants palestiniens meurent dans ce conflit en grand nombre, et certains atteints d’une balle dans la tête, est parfaitement connu et proclamé par les journalistes. Il suffit en France de lire l’Humanité pour en connaître la chronique. Les médias israéliens s’en font aussi l’écho – mais aussi de la mort atroce de familles et d’enfants israéliens déchiquetés par les bombes des attentats suicide.

129 Enfin la presse la plus favorable aux Palestiniens ne manque pas d’avancer des chiffres – et des estimations d’abord hâtives. Les militants qui adressent ces mails à Tariq Ali appartiennent, d’après lui, à l’organisation Gush Shalom, qui dispose d’un site ami sur l’Internet : Solidarité-Palestine. Pourquoi Gush Shalom aurait-il évité de publier ces chiffres ? Pourquoi Tariq Ali lui-même ne s’est-il pas empressé de les publier plus tôt dans tous les médias ? Il existe de plus une étude rapportée par Solidarité-Palestine sur le nombre des enfants palestiniens tués pendant l’Intifada, assortie de statistiques sur la cause de leur mort [20]. Pourquoi auraient-ils minimisé le nombre d’enfants tués d’une balle dans la tête – minoritaire évidemment, selon cette étude, dont les chiffres paraissent déjà largement amplifiés ? Gush Shalom – le « Bloc de la paix » – ne parle nulle part de 90 % d’enfants palestiniens tués par balle, et encore moins d’une balle dans la tête : ce n’est pas le Bloc du mensonge !

130 Klemperer connaissait ce type de stratégie de propagande, qu’il considérait moins comme un mensonge que comme une figure de rhétorique, tout à fait au point dans le style de la lti  : c’est l’usage maximaliste des chiffres pour exacerber les passions et galvaniser les foules [21]. Ici, il s’agit d’exacerber la haine contre Israël. Il ne s’agit pas de s’élever avec vigueur contre la politique de tel gouvernement israélien, de dénoncer la politique d’occupation des Territoires et les excès de la répression commandée par un gouvernement : il s’agit de délégitimer le sionisme en tant que fondateur de l’idée d’un État israélien, en lui assignant un projet d’une extrême cruauté, au prix d’une manipulation des faits.

131 Ce mensonge triplement camouflé, cette désinformation, porte d’autant plus qu’il s’appuie sur la rumeur antisémite la plus ancienne et la plus coriace : le Juif tueur d’enfants. N’est-ce pas assez que la situation soit devenue folle au point que des enfants palestiniens soient exposés aux représailles et encouragés à provoquer les soldats israéliens engagés depuis plus d’un demi-siècle dans cette guerre sans fin ponctuée par deux tentatives d’invasion ? Et il est vrai que dans ce conflit des enfants sont tués sans y être aucunement engagés (et cela est vrai dans les deux camps). Pourquoi alourdir à ce point un bilan de toute façon désastreux ? Et dans un discours qui flatte le courage des enfants dans la guerre sans dénoncer leur engagement de plus en plus involontaire ?

132 Il s’agit de provoquer le renversement de perspective qui fait du sioniste un nazi. Dans sa réponse à ma question, Tariq Ali se fait plus précis : les soldats israéliens sont « forcés » par leurs supérieurs à faire « ces choses » par lesquelles leur comportement est le même que celui des nazis, mais à une échelle moindre – « It is not at the same scale as the Holocaust. » Autrement dit, on approche la définition du crime contre l’humanité, orchestré par l’idéologie et toute la superstructure d’un État. Car, en la matière, le changement d’échelle n’ôterait rien à la nature du crime.

133 Il s’agirait seulement, d’après lui, de ne pas « dénier » le caractère « inacceptable » de la répression contre les Palestiniens :

134

« Mais nier la répression quotidienne des Palestiniens qui a lieu, et que beaucoup de Juifs de Diaspora nient, est inacceptable. Inacceptable. »
(Extrait de la réponse de Tariq Ali à ma question, cf. infra, annexe.)

135 (But to deny the daily repression of the Palestinians which takes place, which many Diaspora Jews deny, is unacceptable. Unacceptable.)

136 Pourtant la répression contre les Palestiniens peut être dénoncée comme inacceptable – tout crime de guerre est inacceptable – sans être pour autant comparée à l’Holocauste, ou maximalisée pour apparaître comme un début de génocide. Comme si plus rien ne pouvait soulever d’indignation qui ne relève du génocide et de la Shoah.

Manipulation du transfert, procédé de retournement

La logique du déni

137 Face à l’invention de ces « quatre-vingt-dix pour cent d’enfants tués d’une balle dans la tête » on peut apposer la logique complémentaire du déni portant sur la réalité de la Shoah. Nous l’avons déjà vu à l’œuvre quand il prétendait que le pire de ce que les Juifs ont vécu sous le nazisme, c’est l’humiliation de porter l’étoile jaune.

138 Répondant à Michel Plon pour justifier la pratique des hommes-bombes, Tariq Ali déclare que les Juifs n’auraient pas dû se laisser mener dans les camps « comme des moutons », ils auraient dû « exploser » les rails (la traduction française simultanée française était : « s’exploser sur les rails ») qui les menaient « à leurs horribles chambres » (à gaz).

139

« Et tout à fait honnêtement, quand quelquefois je pense au passé et lis sur ce qui s’est passé du côté “juif [22]” de la Seconde Guerre mondiale ; vous souhaitez vraiment qu’il y ait eu une résistance, une résistance juive qui aurait fait ça. Parce qu’ils étaient tués de toute façon. Ils auraient dû le faire, ils auraient dû le faire. Cela aurait été une bien bien meilleure issue que d’être mené en troupeau comme des moutons dans ces chambres horribles. Ainsi, nous avons des choses à apprendre de l’histoire. »
(Extrait de la réponse de Tariq Ali à la question de Michel Plon)

140 (And quite honestly, when sometimes I think back and read about what happened in the judeo side of the II World War you really wish that there had been a resistance, a Jewish resistance who had done that. Because they were being killed in any case. They should have done that, they should have done that. It would have been a much much better way to go than being herded like sheep into those horrible chambers. So we have to learn some things from History.)

141 Or, non : les Juifs ne se sont pas laissés faire « comme des moutons » (l’expression bestiale est d’un grand mépris pour le légalisme des Juifs de la Diaspora). La résistance juive fut une réalité, hors les camps et dans les camps. Des rails, ils en ont fait sauter. Mais ils n’ont pas cherché, c’est vrai, à mener des actions contre les civils. C’est à leur honneur [23].

142 Tariq Ali se dit « choqué » (« this shocks me deeply ») à l’idée que l’Occident ait pu penser qu’il n’y avait pas de résistance irakienne. Probablement comprend-il cela comme du mépris et une profonde incompréhension des valeurs des Irakiens. Les Juifs, dont les valeurs principales, rappelaient Freud et Einstein, sont la justice, la liberté et la vérité, pourraient se sentir très choqués qu’il nie l’existence de la résistance juive.

143 Déni de réalité, construction de fausse réalité ? Quelle est la finalité de ce discours, à quoi tend-il ?

Le procédé de retournement

144 Tariq Ali avait annoncé que ce chapitre illustrerait la question du transfert… Quel transfert ? S’agit-il bien de cela, au fond ?

145

« Donc ici nous n’avons pas seulement un cas de transfert, par exemple, mais un cas très classique de double discours, de deux façons différentes de regarder la même expérience. »

146 (So here we have not just the case of transference but a very classic example of double standards, of two different ways of looking at the same experience.)

147 Ordinairement, on parle de « deux façons différentes de voir les choses » pour dire qu’il faut regarder la réalité des deux bords à la fois : c’est la position normale des tiers, si utile pour sortir des conflits duels.

148 Mais, dans ce que Tariq Ali vient d’exposer, nous comprenons qu’il faut « voir » « les 90 % d’enfants tués d’une balle dans la tête » dans les Territoires palestiniens, cette chose que personne ne peut voir, justement. Il faut développer donc cette vision d’un peuple palestinien entièrement victime et désarmé, isolé, abandonné au silence du monde, face à une armée israélienne impitoyable et sanguinaire. Victimes absolues opposées à un bourreau inimaginable parce qu’on lui accorde jusqu’à présent un statut de victime. Comme il le dira dans sa réponse à ma question, les morts palestiniens comptent pour lui autrement (que les morts israéliens), parce que le combat est disproportionné entre oppresseurs et opprimés [24].

149

« Voilà, c’est extrêmement important de discuter de ces choses parce que des gens sont tués chaque jour. Et je ne mets pas un signe égal entre les personnes qui sont tuées par la quatrième plus grande armée au monde qui est l’armée israélienne […] vous devez comprendre qu’un côté est opprimé et que l’autre côté est l’oppresseur. C’est la réalité ».
(cf. infra, Annexe)

150 (And look, to discuss these things is extremely important because people are being killed every single day. And I don’t put an equal sign between people who are killed by the fourth largest army in the world which is the Israeli army […] you have to understand that one side is oppressed and the other side is the oppressor. That is the reality.)

151 Pourtant, eu égard aux pertes civiles et à la mort des enfants, on ne saurait raisonner de cette manière, les enfants israéliens n’étant pas plus coupables d’oppression que les enfants palestiniens.

152 Nous comprenons donc qu’il faut, non pas regarder des deux côtés comme nous le faisons – et c’est faire face à la cruauté –, mais renverser la perspective. La place tenue autrefois par le Juif serait à présent tenue par le Palestinien. Et la place tenue par les nazis serait à présent celle des sionistes. Les libéraux du monde occidental, qui ne connaissent pas d’autre ennemi que le nazisme, pourront ainsi transférer leur sympathie aux victimes absolues sur les Palestiniens, et leur haine des bourreaux absolus sur les sionistes. Bref il ne s’agit pas d’analyser le transfert, mais de le manipuler doublement.

153 Mais pour renverser ainsi la perspective, il fallait occulter bien des choses :

  • le soutien idéologique – et autre – d’une grande part du monde arabe envers les Palestiniens ;
  • la présence des armes en Palestine ;
  • les liens du terrorisme avec des organisations islamistes extrémistes, pas toutes palestiniennes (et qui ne reconnaissent pas l’existence d’Israël) ;
  • l’entraînement des jeunes au terrorisme et au martyre ;
  • et par ailleurs l’existence de mouvements sionistes et palestiniens favorables à la paix sur la base de « deux États pour deux peuples », luttant contre l’occupation des Territoires palestiniens, pour le retour des Palestiniens en Palestine (plutôt qu’en Israël) et contre les actions terroristes – Gush Shalom ne représente pas toute la résistance israélienne.
Il fallait maximaliser, voire mentir sur la violence pourtant bien réelle du gouvernement actuel d’Israël.

154 Enfin il fallait minimiser la souffrance des Juifs dans la Shoah et prétendre qu’ils avaient souffert, d’une certaine manière, davantage de l’étoile jaune que des camps.

155 Était-il utile d’inventer, de plus, que cette affirmation était celle d’un Juif qui avait vécu sous le nazisme ?

156 Mais il ne suffit pas à Tariq Ali d’inverser le regard d’hier (les Juifs victimes) à aujourd’hui (les Juifs quasi-nazis), il voudrait aussi inverser le regard de l’historien sur la situation des Juifs durant la Shoah. Et son discours, à cet endroit, vise expressément autre chose que le sionisme, mais bien les Juifs en général. De ces quelques phrases sur la Shoah, il ressort que les Juifs sont finalement doublement en cause dans leur propre extermination : d’une part parce que le sionisme les a définis comme peuple et aurait peut-être fourni l’argument du signifiant « Untermensch » (c’est ce qu’il suggère), et d’autre part parce qu’ils ne se sont pas révoltés, c’est-à-dire qu’ils ont été complices passifs.

157 Le regard inversé et si neuf de l’« historien » Tariq Ali n’est rien moins que discriminatoire, eu égard à l’analyse des deux conflits historiques :

  • dans le conflit du Proche-Orient, les Palestiniens innocents seraient des victimes absolues, sans défense, sans alliés, confrontées au silence du monde et à une puissance militaire invincible et sans pitié face à laquelle ils s’opposent avec le courage du désespoir ;
  • sous le nazisme, les Juifs auraient, par leur thème sioniste, déclenché indirectement leur extermination – encore que « sous certains rapports » cela n’aurait pas été la pire des choses pour eux –, et ils s’en seraient rendus complices sans l’ombre d’un courage (une faiblesse constitutionnelle ?) ;
  • les Palestiniens étaient déjà à cette époque les victimes virtuelles du sionisme qui ne pourrait aboutir qu’à l’apartheid.
Car répondant encore à un auditeur qui remarquait que jamais il n’avait prononcé le mot paix, il fit encore parler un Juif anonyme, un membre du Likoud, disait-il, qui défendait le principe d’un État sioniste au risque de l’apartheid. Il aurait dit : « Vous pouvez nous appeler ce que vous voulez, “démocratie ethnique”, “apartheid”, nous ne permettrons jamais aux Juifs en Israël d’être une minorité » (extrait de réponse à ma question, cf. Annexe).

158 (You can call us what you like, « ethnic democracy », « apartheid », we will never allow the Jews in Israel to be a minority.)

159 Comme si les non-Juifs n’avaient pas en Israël de droits civiques ; comme si la défense de la culture juive comme culture dominante en Israël devait donner à l’État un caractère ethnique ou un caractère d’appartheid : ce n’est pas l’unique représentation possible de la culture juive et d’un État juif.

160 Il est vrai que la naissance de l’État hébreu, avec son histoire qui remonte à l’Antiquité, doit beaucoup aux persécutions, puis à l’incapacité de l’Europe, tant à régler le problème que lui posaient les suites de la Shoah – la présence des survivants –, qu’à faire avec sa culpabilité. Le crédit de sympathie internationale dont Israël a bénéficié fut proportionnelle à cette mauvaise conscience sous-jacente. Si l’on perd la mesure de ce que furent ces persécutions et de ce que fut la Shoah on ne comprend pas vraiment le succès du sionisme moderne auprès des Juifs d’Europe, à quoi s’ajoute le rejet plus tardif des Juifs d’Afrique du Nord qui a précipité des migrations vers Israël. Cet état de fait ne permet certes pas à Israël de construire autre chose qu’un « état de droit », un état qui tend à la justice – et c’est tant mieux. Mais minimiser la Shoah en comparant les camps à quelque forme d’humiliation, ou en déniant aux Juifs le statut de victimes, et faire, parallèlement, des Israéliens les nazis d’aujourd’hui, c’est évidemment saper une part des fondements de la reconnaissance internationale de l’État hébreu.

Klemperer, lecteur de Tariq Ali

161 En examinant les sources revendiquées par Tariq Ali, je découvris avec étonnement que ce procédé de « retournement » est décrit par Klemperer comme un des procédés typiques de la lti[25] : il s’agit d’abaisser ce qui se donne comme « élevé », par exemple d’inverser le sens de tous les signes de l’« élection » juive.

162 Tariq Ali semble avoir fait de multiples emprunts conscients et inconscients à Klemperer. Alors que ses emprunts explicites déforment le propos de Klemperer, ses emprunts non signalés et cachés sont en revanche plus fidèles… aux caractéristiques de la Langue du Troisième Reich.

163 Il emprunte d’abord à Klemperer cette position d’analyste du discours (de résistance par les mots) à laquelle il prétend ; mais aussi sa définition du fanatisme à partir de l’étymologie [26] – en prétendant qu’il s’agit d’un grand débat actuel (où cela ?) et en se trompant sur la source de cette définition, telle que rapportée par Klemperer, chez Rousseau [27]. Klemperer trouve d’ailleurs une tout autre idée du fanatisme chez Rousseau, et sa conclusion est surtout que les nazis ont été les premiers à faire du fanatisme une vertu. L’appel au fanatisme lui paraît une des caractéristiques de la lti . Et Tariq Ali propose à la nouvelle résistance altermondialiste de se le réapproprier ! Troublant.

164 Mais, dans la lti , Klemperer rencontre aussi le culte du héros mort au combat, pour la joie et à la fierté des proches – tous exaltés à l’idée d’une gloire éternelle [28]. Tariq Ali entonne l’apologie du courage spontané des enfants, identifiés à la souffrance des adultes. Il ne manqua pas, dans sa réponse à une question de Michel Plon, d’accréditer les possibles motifs religieux du martyr des hommes-bombes, ni de souligner le caractère impassible des héros devant la mort. Héroïsme du sacrifice individuel : troisième ressemblance avec la lti … Le trouble augmente.

165 Un quatrième élément de l’analyse de la lti se retrouve dans le discours de Tariq Ali : le besoin, pour un discours messianique qui prétend à la domination mondiale, d’un bouc émissaire[29]. Tariq Ali met cette analyse à profit (toujours sans la citer, mais l’idée est assez commune) : « Pour préserver leur hégémonie, les grands empires ont besoin d’ennemis ».

166 (In order to preserve its hegemony, great empires need enemies.)

167 Il dénonce ainsi le discours de l’équipe Bush qui nomme « terroriste » toute forme de résistance spontanée [30].

168 En retour, Tariq Ali désigne pour une résistance altermondialiste unifiée un seul ennemi : le fondamentalisme capitaliste des démocraties occidentales. Alors, comment mobiliser une démocratie latino-américaine, anti-américaine, certes, mais attachée à la démocratie ? Quel ennemi désigner qui soit susceptible de mobiliser contre lui les forces acquises aux démocraties ? C’est le sionisme qui a servi, dans son discours, d’ennemi public n° 1. Quitte à conforter l’équation « sionisme = nazisme », tellement en vogue dans l’islamisme.

169 Le trouble allant croissant, il paraît fastidieux de développer la part prise par tous les éléments qui tomberaient sous la critique de la lti opérée par Klemperer : l’ambition de détrôner la raison, la division du monde juif en bons et mauvais Juifs, la désignation du peuple bouc émissaire comme peuple essentiellement cruel, l’usage majoré des chiffres à des fins de propagande… Le livre de Klemperer constitue un analyseur étrangement pertinent des propos de Tariq Ali. Alors, « résistance par les mots » ou manipulation ?

Dangers

L’antisémitisme hors racisme

170 Pourquoi si peu de gens reçoivent-ils ce discours comme antisémite, mais seulement comme une défense des opprimés ? À Paris, devant les réactions de maints collègues, on ne pouvait plus parler de « décalage culturel brésilien », ou de mouvements de foule…

171 On m’accordait bien des points. Bien sûr, la déformation ou le détournement systématique des emprunts à des auteurs juifs signe un mépris particulier de ces auteurs, y compris à l’égard d’un des représentants de l’intégration la plus poussée que fut Klemperer. Certes, une attitude discriminatoire de l’historien qui refuse en toutes circonstances aux Juifs le statut de victimes – même durant la Shoah – mène l’orateur au bord du négationnisme, et signe un sérieux acharnement. Le soutien à des attentats-suicide, dont on sait qu’ils visent aussi bien des Juifs en Israël que dans la Diaspora, ne peut que constituer un encouragement à la haine antisémite. Laisser entendre que les Juifs tendent au crime contre l’humanité dès qu’ils détiennent les rênes d’un pouvoir d’État, et se comportent comme des moutons quand ils vivent en Diaspora dans le respect de la culture et de la légalité du pays dont ils sont les hôtes opprimés, qu’ils n’ont d’autre choix qu’être cruels (en Israël) ou lâches (en Diaspora), enfin oublier toutes leurs contributions aux luttes des opprimés et nier leurs actes de résistance, constitue encore un signe de haine. L’usage de la désinformation visant à accréditer que les sionistes commettent des atrocités nazies, ce qui appelle par conséquent sur eux les châtiments les plus radicaux, et l’idée que sans les écrits des Juifs européens le nazisme n’aurait pas été ce qu’il fut, ne peuvent que mettre la communauté juive en péril…

172 Mais qu’importe, me dit-on, Tariq Ali est un homme de gauche et il n’est certainement pas raciste.

173 Soyons clairs, à la suite de Klemperer et de Freud, d’ailleurs : l’antisémitisme n’a pas besoin du racisme pour exister. Sur ce point Klemperer se demande si le racisme « scientifique » n’est pas, sous le nazisme, le « manteau » de l’antisémitisme plutôt que son essence. L’essence de l’antisémitisme ce ne serait pas le racisme, mais la projection diabolique sur les Juifs assignés à un statut de peuple cruel et inhumain [31]. Autrement dit la place de ce peuple comme « bouc-émissaire », voué à l’excommunication systématique :

174

« Le Juif est l’homme le plus important dans l’État de Hitler : il est la tête de Turc et le bouc-émissaire le plus populaire, l’adversaire le plus notoire, le dénominateur commun le plus évident… Si le Führer avait vraiment réussi à détruire tous les Juifs, selon ses aspirations, il aurait été obligé d’en inventer de nouveaux, car sans le diable juif – sur les panneaux des SA était écrit : “Celui qui ne connaît pas le Juif ne connaît pas le diable” –, sans le sombre Juif, il n’y aurait jamais eu la figure lumineuse du Germain nordique [32]. »

175 Aussi d’autres peuples peuvent être mis – et ont été mis à cette place – et ont été victimes de génocide.

176 L’antisémitisme n’est pas nécessairement un racisme anti-Juif ; c’est la haine qui vise à détruire la culture juive, et donc les Juifs en tant que peuple (pris un par un, les Juifs apparaissent « bien braves » à toutes sortes d’antisémites).

177 En ce sens chercher les sources du nazisme chez un intellectuel juif, et déformer les propos d’un autre pour en faire l’auteur de cette idée monstrueuse, sont des procédés aussi violents et ravageurs que la désinformation visant à faire de Tsahal l’armée la plus cruelle du monde. La question posée par Freud, et qui doit retenir encore notre attention, est de savoir ce qui dans la culture juive est susceptible d’attirer la haine et comment la culture juive peut, non seulement survivre, mais encore surmonter cette haine.

178 L’expression de Klemperer – le racisme « pseudo scientifique » comme manteau de l’antisémitisme – m’a conduite à penser que ce manteau-là était usé. Probablement le seul manteau que l’antisémitisme puisse prendre aujourd’hui pour se faire accepter est celui du sacré, de la religion. Pour les athées, le manteau de ce qui fait office de religion : l’humanisme.

179 Pour provoquer cette haine destructrice au nom de l’humanisme, Israël doit commettre des crimes contre l’humanité. Si Israël n’en commet pas, il faut les provoquer, ou bien en inventer.

Les conditions de la guerre radicale

180 L’antisionisme de Tariq Ali résulte probablement de son passé trotskiste : pour ce courant politique, il faut « détruire l’entité sioniste alliée de l’impérialisme américain ». Le modèle de paix « deux États pour deux peuples » ne convient pas à ceux pour qui nationalisme rime avec fascisme, et sionisme avec racisme. Sa conception de la paix, a-t-il expliqué dans ses réponses, avait été celle d’un État palestinien binational (où les Juifs seraient comme partout minoritaires), et c’est toujours à peu près ce que souhaitent les partisans de la paix de Gush Shalom, qui militent pour le retour des réfugiés palestiniens, non seulement en Palestine, mais aussi au sein de l’État israélien. C’est l’idée d’un État palestinien démocratique et multiculturel incluant les Juifs – plus démocratique et plus multiculturel que ne le fut l’espace culturel des Omeyyades. Une version laïque, voire révolutionnaire, des temps messianiques, sous la forme du « grand soir ». Difficile de faire le deuil d’une idée si jolie…

181 Mais ce qui inquiète dans ce discours sur le conflit israélo-palestinien, c’est d’abord la volonté de justifier à tout prix le terrorisme contre Israël, contre les « intérêts » juifs partout dans le monde et contre l’Occident en général, tant que ces attentats sont commis au nom de la solidarité avec les Palestiniens. Pourtant le droit des réfugiés palestiniens à un État ne nécessite pas leur victimisation absolue.

182 Ensuite c’est la façon de transformer les Palestiniens en Juifs. Rien n’est probablement plus psychotisant et source de haine réciproque que la prétention des uns à être les autres, à nier ce qui appartient en propre à l’autre. Tant la prétention des Israéliens à s’approprier une terre dans une passion comparable à l’attachement à la terre prôné par l’islam, alors qu’une dimension essentielle du judaïsme est l’accueil de l’étranger à partir de l’expérience de l’exil. Tant la prétention des Palestiniens à être le Nouvel Israël du Moyen-Orient.

183 Cette dynamique de négation de l’Autre est propre à générer les folies collectives. Prétendre qu’« il n’y a pas d’interlocuteur pour la paix » participe d’une dynamique aussi folle : seule la guerre totale serait possible. La souffrance due aux crimes de guerre, des deux côtés, a atteint une telle dimension, surtout à travers la violence et la terreur imposées aux enfants, qu’on peut déjà inférer que les cinquante ou cent prochaines années en resteront marquées.

184 Tariq Ali n’aime guère, apparemment, le dialogue entre « modérés ». Pour lui les démocraties formelles occidentales ne témoignent d’aucune conscience politique réelle, et l’alternance ne se joue qu’entre le centre droit et le centre gauche acquis au « fondamentalisme du libre-échange ». Néanmoins le « libre-échange » économique ne requiert pas le fondamentalisme ; et gagnerait-on à ce que la vie politique se résume au contraire à l’opposition entre des extrémismes – totalitarisme soi-disant communiste d’un côté, fondamentalisme religieux de l’autre, par exemple ? En Irak, il y a une opposition politique réelle, dit-il, pas une opposition parlementaire, mais celle qui s’exprime dans les cafés et les bazars, par la bouche des poètes, des chanteurs, par exemple…

185 Est-ce vraiment préférable au régime parlementaire ? La conférence de Tariq Ali tenait du propos de café. S’il se révéla terriblement sympathique pour son auditoire qui lui était a priori très favorable, et toute violence réservée aux absents qui vivent de l’autre côté du globe, il ne fut certainement pas, ce soir-là, philosophe ni historien. Son discours semble d’ailleurs illustrer une tendance très actuelle du trotskisme où l’on entend dénoncer les menées « génocidaires » d’Israël, et appeler à la liquidation de l’État « raciste et sioniste » à l’aide d’un front uni avec la base sociale de l’islamisme international afin de promouvoir une grande « république ouvrière » : tel est le discours de la tendance amorcée en 1994 par Chris Harward au sein du swp anglais, et repris par la tendance trotskiste « socialisme par en bas ». On ne s’étonnera donc plus du fait que Tariq Ali ait pu justifier une pointe de fanatisme, soulignant le rapport au « sacré » (fanum), et de retrouver dans son discours l’écho laïcisé des antiennes islamistes (juifs = nazis).

186 Qu’on le veuille ou non, la victoire de la raison sur les passions restera la condition de la paix. Elle se fera entre modérés, et la modération demande du courage. Elle donnera lieu à des discussions… parlementaires. Les discussions de café (lieux d’attentats, hélas), si importantes, n’y suffiront pas.

Catastrophe dans le langage : la psychanalyse aux frontières de la pensée

187 Inutile de supposer à Tariq Ali le projet de tenir des propos antisémites. Il veut faire accepter à l’Amérique latine le terrorisme comme forme de résistance « spontanée » à la puissance des usa. Israël et le mensonge central sur le meurtre systématique des enfants palestiniens ne servent que de détonateur et de justification à des réactions extrêmes. Israël et Palestine sont ici instrumentalisés, objets d’une construction déréelle destinée à provoquer la haine, et à alimenter une forme de romantisme révolutionnaire.

188 Mais la misère, les trafics de stupéfiants et d’armes ainsi que la violence policière font à Rio annuellement autant de morts assassinés que le conflit du Moyen-Orient, toutes proportions gardées entre les populations. Dix-sept morts par jour annonça Jurandir Freire Costa, psychanalyste brésilien, lors de cette rencontre des egp. Une grande partie des victimes y sont aussi des enfants engagés dans des combats armés [33]. Les attentats suicide n’y remédieront pas. Le monde est silencieux. L’assemblée de Rio le fut aussi ! Le renouvellement des structures économiques et politiques contribuera plus sûrement au remède. Dans quel nouveau rapport aux États-Unis ? Il s’agit là de politiques de « résistance » bien différentes. La seconde n’a certainement pas besoin de fanatisme pour aboutir. Mais saura-t-elle s’appuyer sur une analyse claire des alternatives possibles ?

189 Des psychanalystes, outre leur nécessaire rejet du fanatisme, ne peuvent justifier quelque terrorisme que ce soit. On pourrait citer René Major sur ce point : « Tout acte de résistance à l’oppression doit pouvoir se donner d’autres moyens que ceux de la terreur [34]. » Sergio Paulo Rouanet, fut plus radical, désignant les attentats terroristes comme crimes contre l’humanité [35]. Dommage que ni l’un ni l’autre n’ait trouvé nécessaire de répondre à ce discours que leur présence réelle ou symbolique (par le biais de leurs contributions à la rencontre) semblait soutenir.

190 L’antiaméricanisme, si compréhensible en Amérique latine, la condamnation de la guerre contre l’Irak et le rejet de la politique du gouvernement actuel israélien, n’excusent pas cet appel à la haine et cette justification du terrorisme. Car ce terrorisme a pour visée essentielle d’attaquer massivement les civils pour semer la terreur parmi eux afin d’infléchir les décisions politiques de leurs gouvernements [36]. Ce ne fut pas la politique de la Résistance armée sous le nazisme. Et c’est abuser des résistances irakienne et palestinienne, auxquelles Tariq Ali prétendait rendre hommage, que d’encourager ces amalgames entre résistance et terrorisme.

191 En France, le mouvement altermondialiste connaît aussi de tels dérapages, entretenant un renouveau de l’antisémitisme qui prend des allures vertigineuses (attaques contre les lieux de prières, les enfants, les cimetières…). Il importe de comprendre pourquoi.

192 Le terrorisme et les fondamentalismes restent pour la psychanalyse objets d’analyse : si on peut les considérer comme des formes de résistance, ce sont des résistances pathogènes qui résistent à la vie sociale, à la vie de l’esprit, à la limitation de la toute-puissance du sujet – et d’autant plus s’il en attend une jouissance éternelle. Ce sont les effets de processus sociaux qui laminent à grande échelle la construction des identités et des subjectivités.

193 La psychanalyse situe des limites : celles qui ouvrent à l’humanité, à la vie sociale et à la vie de l’esprit, à un avenir, en limitant les ravages des pulsions destructrices. Ces frontières-là sont celles qui permettent la symbolisation. Des psychanalystes doivent, dans toute rencontre, préserver ces limites, maintenir un espace de pensée. Les procédés de la lti visaient au contraire à entretenir une psychose de masse. Tout discours cautionnant la transgression de ces limites est probablement condamné à utiliser des procédés semblables. Soutenir ceux qui résistent aux pires violences politiques, c’est soutenir aussi le déchiffrement de ces discours.

194 Le discours de Tariq Ali fut probablement, malgré son auteur, un exemple de ce qu’il entendait dénoncer. Il porte à penser que l’altermondialisme unifié, s’il se cantonne à vouloir déstabiliser l’Empire capitaliste américain, n’aurait pas, quant à la forme, un discours moins dévastateur que celui de n’importe quel « Empire ». Il lui faut désormais tracer ses propres limites, et il me resterait à souhaiter que Tariq Ali soit en mesure de dissiper le malaise induit pas son discours.

195 Klemperer me souffle un dernier mot. Un point remarquable de la lti , dit-il, c’est qu’elle tend à effacer des frontières [37]. Pas tant celles des nations, que celles qui séparent l’écriture de la monstration, ou, dans notre langage, celles qui séparent les processus secondaires des processus primaires. Une telle régression induit une catastrophe dans le langage et dans la pensée. Ne sommes-nous pas collectivement menacés d’une telle catastrophe ?

196 Pas plus qu’elle ne devait se rendre complice des régimes de dictatures militaire en Amérique latine, pas plus qu’elle ne saurait légitimer la réduction à la misère de continents entiers, la psychanalyse ne peut servir à cautionner le fanatisme, les fondamentalismes, la désinformation, l’antisémitisme, le terrorisme qui vise les populations civiles et l’enrôlement des enfants dans les guerres. Pas plus ne peut-elle se départir de participer à la réflexion sur les droits du sujet.

197 Pour finir, la pensée n’est pas sans frontières. Ses frontières, qui sont psychiques, la démarquent du crime originaire et de ses répétitions.

Épilogue : pas de divan sous terreur [38] !

198 Au corps de ce texte écrit, à quelques retouches près, entre février et mai, s’ajoute un épilogue. L’association française des États Généraux de la psychanalyse, par la voix de son conseil d’administration, a donc finalement refusé de publier cette contribution, comme tout autre commentaire sur la conférence de Tariq Ali, renvoyant pour cela au site brésilien où cette conférence se présente à une place de choix – un site que les internautes français ne risquent pas de consulter. Conformément à cette décision, j’ai retiré du site français mon article pour O’Globo… Pourtant l’association a soutenu l’organisation de cette rencontre internationale, y a largement contribué, a fait connaître ses contributions.

199 Aucun membre de l’association n’a répondu non plus au texte de Mr Füchner mis en ligne depuis plus d’un an sur le site brésilien, et qui pour défendre Kemper, un des pères de la psychanalyse brésilienne, justifie la collaboration sous le régime nazi [39].

200 Après la mort d’Helena Besserman Vianna en 2002 (célèbre pour sa dénonciation de la collusion entre psychanalystes et dictature), l’association qui s’est créée dans le sillage du mouvement qu’elle a induit se trouve donc dans l’étrange position de donner libre cours à des propos justifiant sans nuance le terrorisme, et de censurer les critiques à cet endroit. Alors que les egp 2000 entendaient répondre à la complicité dont se sont rendus coupables les establishments des sociétés psychanalytiques affiliées à l’ipa avec les dictatures qui ont ensanglanté l’Amérique latine, comment les responsables de ce mouvement ont-ils pu nous demander de faire silence sur une alliance contre-nature de la psychanalyse avec le terrorisme international ? Faut-il combattre une forme de terreur pour tomber sous la férule d’une autre ? Pour finir, ces psychanalystes seraient-ils acquis à l’équation « juifs = nazis » ?

201 Le scandale est triple : c’est le discours de Tariq Ali lui-même, c’est ensuite la réaction de la salle et du comité exécutif à Rio, puis c’est la censure de l’association française des egp. Les maîtres-censeurs laissent courir la rumeur au nom des États Généraux de la psychanalyse, une rumeur faite pour générer des vocations terroristes.

202 Notre collègue de la rédaction du Coq-Héron, Fabio Landa, absent de Rio, mais qui reçut bien sûr les informations sur le déroulement de la rencontre (notamment par la première version du présent article), réagit par un article bienvenu paru en juin 2004 dans Les Temps Modernes[40]. Mais, même à l’annonce de cette publication, l’association des egp refusa encore d’entrer dans le débat public après avoir pourtant promis de le faire par le biais de son site, et je dus me résoudre à publier tous les textes dont je disposais sur le site de « psychanalyse au singulier [41] » fin mai, et à démissionner de toute charge au sein de l’association. Dans la presse française Tariq Ali est interviewé en spécialiste du Proche-Orient, mais refuse tout article sur son dérapage de Rio maintenant relayé par le site brésilien des egp.

203 Une seule hypothèse s’impose hélas : le « renversement de perspective » que Tariq Ali appelait de ses vœux est en cours depuis longtemps en France comme au Brésil, et de nombreux psychanalystes sont prêts à le soutenir. Même au prix de la vérité. Mon effort pour convaincre de la nécessité d’une ouverture critique, et éviter à l’association une politique de caution aveugle a donc été vain. L’état-major en a décidé autrement, et le nom d’« États Généraux » de la psychanalyse s’éloigne de tout rapport à une démocratie, même minimale, pour ne renvoyer qu’à des convocations ponctuelles livrées au bon vouloir du prince – une voie obsolète et sans issue.

204 Pourtant, quand on considère comment les fausses informations de la cia ont enflammé le peuple américain contre l’Irak, quand on entend les si nombreux faux témoignages de crimes racistes ou de crimes de guerre destinés à attiser la haine, on attend des psychanalystes qu’ils gardent la distance nécessaire à la distinction entre fiction (ou fantasme), Réel et réalité, comme entre mensonge et dialogue, qu’ils gardent fermes les réquisits d’une éthique de la parole au sein de leurs propres assemblées, qu’ils refusent de servir de véhicule à la désinformation, et surtout qu’ils ne renoncent pas à leur travail et à leurs responsabilités de psychanalystes.

205 Aux psychanalystes donc, poursuivant le travail de Freud sur les sources de l’antisémitisme et respectueux des droits humains, de comprendre pourquoi ces fictions emportent si facilement la conviction ; à eux aussi de contribuer à chercher des voies de remèdes aux catastrophes humaines provoquées par le sort réservé aux enfants dans les conflits armées et économiques.

206 Mais pas de divans sous terreur ! Car, comme le disait un ami de la liberté : « Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains. » (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « fanatisme » (1764).

207 Paris, septembre 2004.


Annexe [42]

Extrait de la discussion

208 Quelques questions purent être posées à l’orateur de suite après son intervention. Le comité décida de clore cette discussion après la mienne, énoncée sous le coup de la stupeur et dans l’incertitude d’une bonne écoute, que voici :

209 Corinne Daubigny

210 Je me sens un petit peu déchirée quand je vous entends. Déchirée.

211 Je suis aussi gênée par le fait qu’on applaudisse. Les sujets sont quelque part trop graves et il y a trop de vies humaines en jeu pour que, quelque part, on applaudisse qui que ce soit. Mais on continuera à applaudir. Je dis simplement mes sentiments.

212 Alors « déchirée » parce que… parce que bien sûr je ressens quelque part la douleur qui peut être celle, qui est celle de l’occupation, et j’entends bien ce que vous dites sur la martyrologie. Et en même temps il y a des choses qui signent de votre côté, par rapport au conflit du Moyen-Orient, quelque chose qui est, excusez-moi de le dire, probablement une ignorance. Or cela tient à la question du fondamentalisme.

213 Alors, René Major qui avait initié ces États Généraux en février dernier, a fait une conférence où il a parlé du fondamentalisme protestant (effectivement) des États-Unis et du rôle de ce qu’il appelle « le mythe d’élection » depuis très très longtemps dans cette affaire : en disant que – à la suite de Freud – l’idée de l’élection du peuple juif a été réinterprétée de manière délirante par le fondamentalisme protestant entre autres. C’est exact, c’est-à-dire que – excusez-moi, je suis obligée de dire des choses précises – par exemple si vous lisez les œuvres de Luther (Luther c’est le père du… d’une certaine forme de protestantisme), vous verrez effectivement une forme de remaniement de l’idée d’élection au profit de l’idée de la « grâce » d’un peuple, « comme ça », pour des chrétiens d’une manière générale, avec un antisémitisme absolument épouvantable. Quelque chose qui vraiment menace d’extermination. C’est facile de lire Luther actuellement car, malheureusement, il est diffusé sur les sites fondamentalistes islamistes – que je regarde, car je regarde tout. Donc c’est facile de se procurer les œuvres de Luther.

214 Par contre vous avez invoqué les œuvres de Herzl. Je les ai lues. Je vous demande de les lire. Vous ne trouverez pas l’idée de l’extermination ou de la soumission des arabes ou des Palestiniens. Vous trouverez une idée de la colonisation avec achat des terres ; vous y trouverez – la pire des choses qui est dans Herzl c’est l’idée de « colonie » effectivement, au sens de petites colonies, de colonies par achat de terres, et que peut-être ce n’est pas évident d’embaucher sur ces terres les Arabes. C’est-à-dire il y aurait un partage, effectivement, un partage des terres. C’est la pire des choses que j’ai trouvée, moi, dans les œuvres de Herzl. Mais certainement pas l’idée d’humilier ; parce qu’il y avait l’idée, au contraire, complètement illusoire, d’apporter des richesses, sur ces terres qui profiteraient aux peuples présents.

215 Enfin j’ai entendu que vous avez dit que Hitler avait certainement trouvé ses idées dans Herzl. Non ! Il ne les a pas trouvées dans Herzl, ça non. Par contre il les a trouvées dans le fondamentalisme protestant. Il les avait probablement trouvées aussi dans le génocide qui avait eu lieu aux États-Unis. Parce que les États-Unis ont fait un génocide, contre les Indiens, vous l’avez dit d’ailleurs, et ont inventé l’idée du gazage aussi pour les malades mentaux – etc. Donc il a trouvé ses idées ailleurs, mais c’est pas dans Herzl.

216 Ensuite vous avez dit que l’humiliation de porter l’étoile jaune était bien pire que d’aller en prison. Ça c’est vrai. Et vous avez dit qu’on ne peut pas imaginer pire que cette humiliation. Pourtant, en cinq ans [43] six millions de Juifs sont morts : c’était pire que l’humiliation, même si l’humiliation était bien pire que d’aller en prison. Alors, bien entendu, je ne crois pas qu’on puisse dire que les Israéliens traitent les Palestiniens comme les nazis ont traité les Juifs… !

217 Tariq Ali – Look…

218 Je crois qu’il est important de ne pas attiser la haine, ni d’un côté ni de l’autre. Et quand on dit que ce sont les Juifs qui sont à l’origine de l’idée d’extermination on attise une haine.

219 Enfin, sur les kamikazes palestiniens : ils sont effectivement dans une martyrologie, qu’on trouve d’ailleurs dans la Bible aussi, etc. Mais ils provoquent quelque chose qui n’est pas évident [fortuit, une chose dont on ne peut pas dire qu’ils ne le font pas exprès bien entendu], qui est la terreur. La terreur. Eh bien oui, la terreur des civils. Mais bien sûr ! Mais c’est une affaire de guerre, bien entendu ! Alors la réaction des Israéliens – c’est une réaction en boucle qui est épouvantable, et qu’il faut arrêter effectivement [mais qui existe parce que] parce que les Israéliens effectivement sont sensibles à la question de la persécution, à la question de la terreur et ont très peur de l’extermination.

220 Donc il est possible de faire la paix mais en ayant des représentations de l’Histoire qui, si vous voulez, soient dégagées de tous les fondamentalismes. Et c’est la différence entre la position de René Major et la vôtre : celle de René Major c’est de dire qu’il faut séculariser les États ; il faut séculariser aussi nos représentations ; il faut limiter la puissance des États, etc. Vous dites : la raison ça nous fait aussi du mal… Ben, il faut peut-être une raison… tempérée, je dirais. Voilà, je termine là-dessus. »

221 Tariq Ali

222 This is a very serious question and you have made a few charges against me which show that you didn’t understand what I said.

223 So I’ll try and explain to you. When I referred to Herzl and Hitler I made a very specific point quoting from Victor Klemperer’s book, which I don’t know if you read but I would recommend it to you. The German Jew who survived and wrote his Diaries. And who was a philologist, a master of language, and looked at the language the nazis used and found similarities in it to what he had read in Herzl as a scholar. It’s not me who is saying it. So don’t accuse me of saying that. I did not say that Herzl suggested extermination, you imagined that. Or maybe you wanted to hear it : I didn’t say it. That was the only point I made about Herzl. That some of the language he was used (sic).

224 When I talked about transference I quoted Israeli officers who are forced to do these things. Of course it is not on the same scale as the Holocaust, we are not crazy people to say that, but to deny the daily repression of the Palestinians which takes place, which many Diaspora Jews deny, is unacceptable. Unacceptable.

225 You know, I debate with Israelis all the time. I’ll tell you something now. There was a debate in London before an audience as large as this between me and a leader of the parliamentary Likud party. On Israel and Palestine. And I told him and it was a mixed audience, there were lots of supporters of Israel, lots of Palestinians, and I said to him : « all my active political life I have been in favour of a bi-national state of Israel and Palestine. That has been my position : a bi-national state where Jews, Arabs, whoever else, Christians, Muslims, lived together in peace. That has been my dream. » And he turned to me and said in front of this big audience : « that can never happen, that can never happen because we ill never allow the Jews in Israel to be a minority again. You can call us what you like, ‘ethnic democracy’, ‘apartheid’, we will never allow the Jews in Israel to be a minority. » I said « Okay, I understand that, I understand that… In that case you should not stop the Palestinians from having a sovereign independent Palestinian state without any interference from your side. You can’t have it both ways : you won’t accept a bi-national Israel Palestine and you won’t allow the Palestinians a state of their own without you interfering with it ». And look, to discuss these things is extremely important because people are being killed every single day. And I don’t put an equal sign between people who are killed by the fourth largest army in the world which is the Israeli army – which, as I said, many brave Israeli are resisting ; so what should people outside who are friends of Israel do, who should they help ? I think they should help the Israelis in Israel who are resisting, that’s extremely important.

226 As for what you said about Martin Luther, I agree with you : of course there was a strong streak of German fundamentalism and anti-Semitism in his work. However, if you look at the writings of Protestant fundamentalists in England, who made the English revolution of the seventeenth century, if you study the writings of John Milton, the great English poet of the revolution : totally pro Israel. And because they were biblical, that’s why. Nothing to do with, you know : this was in the seventeenth century, for people who believed in the Bible literally, like Milton, and people did, for them the land of Israel belonged to the Israelis. To the Jews. Why do you think the « born again » Christian fundamentalist groups in the United States today, at every big meeting they have today there is a member of the Israeli government present ? Because that’s what they believe as well, literalism, a literal belief in the Bible. So it’s not the case that all Protestant fundamentalists are anti-Semites, far from it, they have an exaggerated respect, if you like, which many Israelis would laugh at even, for the land of Israel belonging to the Jews. And they actually say it, you can see it on their websites, if you go back home type out Google dot com, some of the Christian fundamentalists’ websites, and you can read it up. And this is one of the problems with this Bush administration, that it cannot act as a mediator anymore : it’s so totally committed to one side, can’t mediate.

227 That’s the situation we confront, there’s not an easy solution, and there are not easy answers either. But you have to understand that one side is oppressed and the other side is the oppressor. That is the reality.

Traduction française

228 Ceci est une question très sérieuse et vous avez fait quelques attaques contre moi qui montrent que vous n’avez pas compris ce que j’ai dit. Je vais donc essayer de vous expliquer.

229 Quand je me suis référé à Herzl et à Hitler j’ai fait une remarque très spécifique citant à partir du livre de Victor Klemperer, dont je ne sais pas si vous l’avez lu mais je vous le recommande. Le Juif allemand qui a survécu et a écrit ses journaux intimes. Il était un philologue, un maître du langage ; il a examiné la langue qu’utilisaient les nazis et a trouvé des similitudes avec ce qu’il avait lu chez Herzl en tant qu’étudiant. Ce n’est pas moi qui le dis. Je n’ai pas dit que Herzl a suggéré l’extermination, vous avez imaginé cela. Ou peut-être vous avez voulu l’entendre : je ne l’ai pas dit. C’était la seule remarque que j’ai faite au sujet de Herzl. Qu’une partie du langage auquel il était habitué (sic).

230 Quand j’ai parlé du transfert, j’ai cité les officiers israéliens qui sont forcés de faire ces choses. Naturellement ce n’est pas à la même échelle que l’Holocauste, nous ne sommes pas fous pour dire une chose pareille, mais nier la répression quotidienne des Palestiniens qui a lieu, et que beaucoup de Juifs de Diaspora nient, est inacceptable. Inacceptable.

231 Vous savez, je discute avec des Israéliens tout le temps. Je vous dirai quelque chose maintenant. Il y avait un débat à Londres devant une assistance aussi grande que celle-ci, entre un chef du Likoud et moi. Sur Israël et la Palestine. C’était une assistance mélangée, Israéliens et Palestiniens, et je lui ai dit : « Toute ma vie politique active, j’ai été en faveur d’un État bi-national d’Israël et de la Palestine. Ça a été ma position : un État bi-national où les Juifs, les Arabes, et quiconque, des chrétiens, des musulmans, vivraient ensemble en paix. Ça a été mon rêve. »

232 Et il s’est tourné vers moi et a dit devant cette grande assistance : « Qui ne peut jamais se réaliser, parce que nous ne permettrons jamais que les Juifs en Israël soient de nouveau une minorité. Vous pouvez nous appeler ce que vous voulez, “démocratie ethnique”, “apartheid”, nous ne permettrons jamais aux Juifs en Israël d’être une minorité. » J’ai dit : « OK, je comprends ça, je comprends ça… Dans ce cas, vous ne devriez pas empêcher les Palestiniens d’avoir un État palestinien indépendant souverain sans aucune interférence de votre côté. Vous ne pouvez pas tout avoir : vous n’acceptez pas un État bi-national Israël-Palestine et vous ne permettez pas aux Palestiniens d’avoir un État à eux sans interférence de votre part. »

233 Voilà, c’est extrêmement important de discuter de ces choses parce que des gens sont tués chaque jour. Et je ne mets pas un signe égal entre les personnes qui sont tuées par la quatrième plus grande armée au monde – l’armée israélienne – à laquelle, beaucoup d’Israéliens courageux résistent ; ainsi, que devraient faire les personnes au dehors qui sont amis d’Israël, qui devraient-elles aider ? Je pense qu’elles devraient aider les Israéliens en Israël qui résistent, c’est extrêmement important.

234 Quant à ce que vous avez dit au sujet de Martin Luther, je suis d’accord avec vous : naturellement il y avait une forte tendance de fondamentalisme et d’antisémitisme allemand dans son travail. Cependant, si vous regardez les écrits des fondamentalistes protestants en Angleterre, qui ont fait la révolution anglaise du xvii e siècle, si vous étudiez les écrits de John Milton, le grand poète anglais de la révolution : totalement pro-Israël. Et c’est simplement parce qu’ils étaient imprégnés de la Bible. Rien à faire avec, ça avait lieu au xvii e siècle, c’étaient des gens qui ont cru littéralement en la Bible, comme Milton ; pour eux la terre d’Israël appartenait aux Israéliens. Aux Juifs. Pourquoi pensez-vous que les groupes fondamentalistes chrétiens born again, aux États-Unis, lors de chaque grande réunion qu’ils tiennent aujourd’hui il y a un membre du gouvernement israélien qui est présent ? Parce que c’est ce qu’ils croient aussi, du « littéralisme », une croyance littérale dans la Bible. Ce qui ne veut pas dire que tous les fondamentalistes protestants sont antisémites, loin de là ; ils ont un respect exagéré, dont beaucoup d’Israéliens riraient même, pour l’idée que la terre d’Israël appartient aux Juifs. Et ils le disent réellement, vous pouvez le voir sur leurs sites Web. Rentrez chez vous et cherchez sur Google certains des sites Web chrétiens des fondamentalistes, et vous pouvez le lire. Et c’est l’un des problèmes avec cette administration Bush, qu’elle ne peut plus agir en tant que médiateur : elle est si totalement engagée d’un côté qu’elle ne peut pas servir de médiateur.

235 C’est la situation à laquelle nous faisons face, il n’y a pas de solution facile, et il n’y a pas de réponses faciles non plus. Mais vous devez comprendre qu’un côté est opprimé et que l’autre est l’oppresseur. C’est la réalité.

Notes

  • [1]
    Tariq Ali est un intellectuel originaire du Pakistan et vivant à Londres, ancien militant trotskiste, éditeur des œuvres de Sartre, réputé farouche opposant des dictatures et des fondamentalismes, écrivain, leader anti-guerre, rédacteur de la New Left Review à Londres. Cet article commente la conférence qu’il donna le 1er novembre 2003 à l’Hôtel Gloria de Rio de Janeiro. Le public était composé de psychanalystes provenant d’horizons très divers et d’une grande diversité d’écoles, affiliées ou non à l’ipa. La règle est que chacun vienne en son nom aux rencontres des egp et non comme représentant d’une association. Lors des conférences du soir, d’autres auditeurs étaient acceptés, en particulier beaucoup d’étudiants.
  • [2]
    Tariq Ali s’est exprimé en anglais. Nous utilisons ici la transcription officielle (Record Editora) disponible sur le site brésilien à l’adresse hhttp:// www. estadosgerais. org/ mundial_rj/ ingl/ch_c_/TAli.htm. Manuel Perianez et Ariane Morris ont assuré la traduction française des passages cités.
  • [3]
    Cf. note 2.
  • [4]
    « It’s this fundamentalism which I have described as the mother of all fundamentalisms, this combination of military power, economic power, and this particular belief. » « C’est ce fondamentalisme que j’ai décrit comme la mère de tous les fondamentalismes, cette combinaison de pouvoir militaire, de pouvoir économique et de croyance particulière. »
  • [5]
    Disponibles sur le site « psychanalyse au singulier » :
    http:// mapage. noos. fr/ psychanalysing/
  • [6]
    Revista Mensa, Ano III, número 33, Fevereiro de 2004.
  • [7]
    Correspondance personnelle.
  • [8]
    René Major, La guerre en Irak, quel avenir pour la démocratie ?, disponible sur le site brésilien de la rencontre. Le thème de l’élection dans l’idéologie américaine est développé dans son livre, De l’élection, Aubier, 1986.
  • [9]
    Victor Klemperer, lti La langue du Troisième Reich, Paris, Agora, 1998. Ce philologue allemand (1881-1960) survécut en Allemagne sous le nazisme, bien qu’il fût juif, tout en étudiant la progression de l’idéologie allemande au travers de ses inventions langagières (la lti : Lingua Trecii Imperii). Pour lui, la résistance à la progression de l’idéologie nazie dans les esprits devait commencer dans le langage ; il fut un résistant par le travail des mots.
  • [10]
    Klemperer, La langue du Troisième Reich, op. cit., « L’étoile », p. 220-226.
  • [11]
    Klemperer, op. cit., « Sion », p. 262-277.
  • [12]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-238.
  • [13]
    Klemperer, op. cit., « La racine allemande », p. 179 s.
  • [14]
    L’idée que la naissance du nationalisme juif est à l’origine du nazisme a été maintes fois soutenue. Mais chacun sait que le sionisme est d’abord, chez Herzl lui-même, une réaction aux persécutions antisémites en Europe, précisément alimentées par les nationalismes européens. Si l’on voulait rapprocher le destin des Palestiniens des Territoires de celui des Juifs, il faudrait dire alors qu’un nationalisme strictement réduit à la souveraineté sur les Territoires occupés (et non pas confondu avec un nationalisme arabe global) serait le fruit de la non-intégration, et même du rejet, des Palestiniens dans les autres nations, notamment les nations arabes (voir le massacre de « septembre noir ») en Jordanie. Tariq Ali n’aborde pas ces questions.
  • [15]
    Op. cit., p. 271.
  • [16]
    Op. cit., p. 80.
  • [17]
    L’accusation de racisme provient souvent d’une méconnaissance de la loi juive : en réalité l’identité juive a toujours pu s’acquérir par conversion, et une mère convertie transmet la judéité à ses enfants. La plupart des Juifs persécutés par les nazis descendaient d’européens convertis.
  • [18]
    La pensée juive et le judaïsme ne se fondent pas uniquement sur la Bible ou « Thora », et c’est de toute façon une Thora constamment relue par la tradition talmudique et les commentaires plus récents. La tradition talmudique a décidé que les peuples qui, d’après la Thora, tombaient sous le coup du « hérem » (excommunication) ont disparu de l’histoire. L’ennemi d’Israël est désigné par « Amalek », qui représente tout peuple se comportant comme une cohorte de bandits s’attaquant aux êtres sans défense (enfants, femmes, vieillards).
    La critique historique montre que le caractère dévastateur des campagnes de Josué est amplifié dans le texte apparent de la Thora et qu’une grande part des Hébreux n’ont probablement pas connu l’Exode, vivant en Canaan avant de se définir comme peuple distinct. Devereux remarque que le trait distinctif des Hébreux est leur horreur obsessionnelle de l’inceste : les peuples désignés à la vindicte étaient, dans l’ensemble, ceux qui pratiquaient des formes d’« inceste » rituels au nom de la déesse-Mère. Freud reconnut le premier ce trait distinctif : les Hébreux ont instauré « la religion du Père ».
  • [19]
    Klemperer, op. cit., p. 222.
  • [20]
    Site Solidarité-Palestine. « Les enfants incarcérés en Israël ; un courrier de emdh (Enfants du Monde – Droits de l’Homme) ». L’article, cité en mars 2003, dit : « Depuis le début de l’Intifada, près de 200 enfants palestiniens ont été tués. Le tiers d’entre eux ont été tués d’une balle dans la tête, un autre tiers de balles tirées en pleine poitrine, les autres sont morts des suites de leurs blessures » (p. 4). Néanmoins, il commençait par affirmer : « Sur 380 Palestiniens tués depuis le 29 septembre 2000, 200 sont des enfants, la plupart touchés par balle à la tête. »
    Même si cela est pénible et heurte le lecteur, il convient d’analyser ces données.
    Ce courrier de emdh remonte aux premiers mois de l’Intifada, étant donné le nombre global de victimes palestiniennes, mais ces chiffres ne correspondent pas aux autres données palestiniennes, comme même celles de dcf/ps. Il y a donc erreur. Contactés pour connaître leurs sources, ils renvoient à l’association dcf/ps – « Defense for Children/Palestine Section » –, qui tient une comptabilité permanente des pertes d’enfants palestiniens et des causes de leur décès. dfc/ps avance en effet le chiffre de 30 %, en moyenne, d’enfants atteints à la tête depuis le début du conflit. Néanmoins les estimations de cette organisation concernant le nombre de victimes sont en général supérieures aux estimations d’autres organisations humanitaires, comme B’Tselem et Amnesty International. En tout cas le chiffre de 90 % donné par Tariq Ali est en contradiction formelle avec ces textes militants qui soutiennent la cause palestinienne, et qui s’appuient sur des estimations maximales.
    Le nombre de victimes dont fait état Tariq Ali parmi les enfants (un mort par jour) ne correspond pas non plus aux estimations d’aucune organisation humanitaire sérieuse, même pour l’année 2003 qui fut la plus meurtrière.
    Amnesty International, dans son document public du 1er octobre 2002 (deux ans après le courrier de emdh, probablement), titré Israël, Territoires occupés et autorité palestinienne. L’avenir assassiné : Les enfants en ligne de mire, déclare : « Plus de 250 enfants palestiniens et 72 enfants israéliens ont été tués depuis le début de l’Intifada. Ils font partie des quelques 1 700 Palestiniens et des plus de 580 Israéliens, pour la plupart des civils, qui ont été tués depuis le 29 septembre 2000. »
    C’est ce rapport qui qualifie les crimes de guerre d’Israël, tandis que les attentats suicides sont caractérisés comme crimes contre l’humanité – ce qui signifie qu’il sont idéologiquement et militairement planifiés pour atteindre les civils.
    Amnesty International s’inquiète des suites traumatiques de ces exactions sur les jeunes générations israéliennes et palestiniennes : c’est l’« avenir assassiné ».
    Le rapport 2003 d’Amnesty International fait état d’un nombre croissant d’enfants victimes du conflit : 150 enfants palestiniens (sur 1 000 victimes) et 47 enfants israéliens (sur 420 victimes) pour 2003. Quant à la cause des décès, elle varie selon les armes utilisées. Concernant les tirs, du côté Israélien, les observateurs d’Amnesty reprochent plutôt les « tirs aveugles ».
    Si la politique d’engagement des enfants du côté palestinien transgresse les droits de l’enfant, la violence de l’armée israélienne transgresse aussi les droits de l’homme. La situation des enfants dans le conflit est absolument tragique, aussi bien d’ailleurs pour ceux qui échappent à la mort et qui, pour la troisième génération, grandissent dans la guerre. De plus la crise sociale grandit en Israël tandis que la crise humanitaire menace dans les Territoires.
    La Jordanie (premier État palestinien constitué d’une grande partie de l’ancienne Palestine britannique) s’était quant à elle débarrassée de la résistance palestinienne dirigée par Yasser Arafat, lors du « Septembre Noir », en faisant en quelques semaines trois mille victimes, pour la plupart civiles, hommes, femmes et enfants, dans les camps de réfugiés palestiniens – davantage que trois années d’Intifada : la communauté internationale ne traite pas l’État jordanien de « nazi » et personne ne conteste son droit à l’existence. La légitimité du gouvernement qui était à l’origine de ce massacre aurait dû pourtant être autrement mise en cause.
  • [21]
    Klemperer, op. cit., « La malédiction du superlatif », p. 279-289.
  • [22]
    Note de traduction. Littéralement il faut traduire « côté judéo » : « judeo » ce n’est pas « Jew » ni « jewish », du point de vue sémantique, cela renvoie plutôt à la Judée.
  • [23]
    Le légalisme juif : le fait que les Juifs non observants suivent souvent aussi le principe talmudique selon lequel « la loi du pays (d’accueil) est la loi », en Diaspora. Chaque année, lors de la fête de Hannouka les Juifs observants rappellent que la résistance est avant tout une résistance par l’esprit (symbolisée par les lumières et la fête). Néanmoins la résistance armée n’est pas interdite, en particulier contre les puissances tyranniques. Parmi les multiples formes de la résistance juive sous le nazisme, Tariq Ali, proche des milieux trotskistes, pourrait se souvenir du Bund, qui fut un mouvement de résistance juive d’origine trotskiste. Il sut, en France, s’allier une part importante de la population non-juive pour sauver les enfants juifs en les plaçant dans des familles non-juives, quitte à accepter leur « aryanisation ». Loin d’eux l’idée de laisser les enfants monter en première ligne. Face à un ennemi réellement déterminé au génocide, une autre stratégie s’imposait.
    Tariq Ali sait bien qu’en revanche le débat historique porte davantage sur la question de savoir pourquoi les Alliés n’ont pas bombardé les voies de chemin de fer. Les Juifs déportés, il est vrai, n’ont bénéficié d’aucune aide internationale. Le monde a réellement fait silence.
  • [24]
    Cette prétendue évidence demande à être regardée, justement, des deux côtés. Malgré leur puissance militaire, les Israéliens sont terriblement inquiets à l’idée qu’un État palestinien ne soit que le cheval de Troie d’une future guerre menée par les nations arabes, répétant celles de 1948 et de 1967. C’est un peuple qui n’a jamais connu la paix. Les Israéliens se sentent isolés face au monde arabe travaillé par le fondamentalisme activiste et terroriste qui progresse.
  • [25]
    Il se trouve, et ce n’est pas par hasard, mais par pure logique discursive, que le thème du « retournement » (Umbruch), comme forme de rupture fondatrice, appartient à la lti , selon Klemperer, op. cit., p. 250. Bien sûr, il fallait retourner l’idée qu’on se faisait de l’« élection juive » pour en faire une infamie.
  • [26]
    Victor Klemperer, op. cit., « Fanatique », p. 89-94. Fanatisme vient du latin fanum, lieu sacré, temple. Sur la même racine : fanor, se démener en furieux.
  • [27]
    Il ne s’agit pas des Confessions, comme le dit Tariq Ali, mais de la Profession de foi du vicaire savoyard.
  • [28]
    Klemperer, op. cit., « Je crois en lui », p. 145-163, « Petit mémento de lti : les annonces du carnet », p. 164-170, et « La malédiction du superlatif », p. 284. L’héroïsme est associé au besoin d’événements « historiques » et à la recherche de l’éternité. On peut craindre que le goût actuellement en vogue pour les « événements » (au sens de Machiavel) ne soit rabattu sur ces naïves et dangereuses idées de grandeur…
  • [29]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-247, et « Sion », p. 262-278.
  • [30]
    Klemperer, quant à lui, invitait à se méfier des expressions prétendument spontanées, trop chères aussi à la lti, op. cit., p. 84.
  • [31]
    Klemperer, op. cit., « La guerre juive », p. 227-238, et « La racine allemande », p. 176-190.
  • [32]
    Op. cit., p. 231.
  • [33]
    Signalons une étude sur la criminalité à l’égard des enfants, comparant le sort des enfants de Rio à ceux du conflit israélo-palestinien : « Les enfants combattant en situation de violence armée à Rio de Janeiro », Lansa News, décembre 2002, Brésil. D’après Amnesty International les policiers ont continué à faire des milliers de victimes dans tout le Brésil durant l’année 2003, et les commandos de la mort n’ont pas disparu. Sur le seul État de Rio, 652 Brésiliens ont été tués par des policiers. Les autres victimes sont celles des mafias.
  • [34]
    René Major, « La démocratie en cruauté », Paris, Galilée, p. 36.
  • [35]
    Cette désignation reprend celle de Médecins du Monde et d’Amnesty International.
  • [36]
    Au cours de la Controverse de l’ihep, le 19 février 2003 à Paris, Jacques Derrida rappelait que lors des tentatives des organisations internationales pour définir le terrorisme, on aboutissait en général à dire que le terrorisme consiste « à terrifier des populations civiles – le terrorisme s’exerce toujours sur des populations civiles – en vue d’influencer la politique militaire et gouvernementale de l’État concerné. On terrifie les civils en vue d’agir sur l’armée ou sur le gouvernement ».
  • [37]
    Victor Klemperer, op. cit., « La racine allemande », p. 176-186, et « Que restera-t-il ? », p. 171-175.
  • [38]
    Rédigé en septembre 2004.
  • [39]
    Comme ce texte vise Élisabeth Roudinesco, Michel Plon et René Major pour leur soutien à Helena Besserman Vianna, je n’ai pas voulu répondre à leur place, pensant qu’ils le feraient. Dans ma communication concernant les fondements du mouvement des États Généraux de la psychanalyse, j’ai cependant introduit une note faisant le point sur les rapports de Füchtner au comité de rédaction de la revue du Coq-Héron, tout en rappelant en quoi son texte appelait discussion (au plan historiographique) et réponse (au plan éthique). Communication disponible sur le site : Psychanalyse au singulier, sous le titre Traversées : questions de fondements (cf. note 5).
  • [40]
    Fabio Landa, « Le pire ennemi de la psychanalyse », Les Temps Modernes, n° 627, juin 2004. Je me permettrai, par rapport à cet article auquel je souscris pour l’essentiel, de dire, en tant que témoin direct, que la foule ne fut pas unanime à Rio, et que sans cela d’ailleurs, aucune information précise ne serait parvenue en France avant cet été. Mes pensées vont aux Brésiliens qui ont affronté la foule courageusement, prenant de plus le risque de bousculer leurs liens et appartenances professionnelles. Que nos voix les soutiennent. Un point soulevé par Fabio Landa, concernant la « zone grise » telle qu’éclairée par Primo Levi, est de savoir si nous sommes condamnés à en faire partie. Personnellement je ne le crois pas, même si, dans des situations véritablement extrêmes, nous pourrions peut-être y trouver une voie d’accomplissement d’un devoir.
  • [41]
    Cf. note 5.
  • [42]
    Il n’existe pas de transcription officielle de la discussion publiée. Je ne reproduis donc que ce qui concerne ma question et la réponse de Tariq Ali, que je me dois de donner.
  • [43]
    Inexactitude due à l’émotion : le bilan de la Shoah se compte évidemment à partir des premiers camps de concentration, et se rapporte à la période 1933-1945.
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