Connexions 2009/1 n° 91

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Article de revue

Un hommage pluriel

Pages 211 à 214

English version

1C’est une tâche difficile d’écrire, ou plutôt d’essayer de transmettre en quelques lignes la trajectoire commune et singulière de trois psychanalystes argentins qui nous ont quittés en 2008 : Emilio Rodrigué, Armando Bauleo et Fernando Ulloa.

2Les trois « psychoargonautes » (terme choisi par Rodrigué pour se désigner eux-mêmes) sont partis – comme s’ils voulaient le faire ensemble – très vite l’un après l’autre, en février, en mars et en avril.

3Rodrigué et Bauleo – plus connus en Europe – de même que Ulloa, avaient des liens très étroits avec E. Pichon Rivière, disciples et aussi amis, ayant une vocation commune pour la clinique, la recherche et pour la transmission de la psychanalyse, mais surtout pour les groupes « opératifs » à l’écoute psychanalytique à travers le référentiel « pichonien » avec lequel ils développent un enseignement-apprentissage créatif et transformateur.

4À la fois maîtres et apprentis, ils ont un engagement pour la production théorique et clinique d’une psychanalyse à l’écoute particulière de la dimension du social, du groupe et de l’institutionnel. Cela est évident dans leur production théorique et surtout dans leur enseignement, aussi bien universitaire que dans des groupes d’étude.

5Contestataires de la « psychanalyse officielle » pour sa bureaucratie, ses structures de pouvoir qui interfèrent dans les processus de formation des psychanalystes, ils fondent en 1971 le groupe « Plataforma » (Rodrigué et Bauleo) et le groupe « Documento » (Ulloa) afin de défendre leurs idées, avec d’autres collègues, quant à la place de la psychanalyse dans la société. Ils ne seront plus jamais membres de l’IPA. Rodrigué a été président de l’APA (Association psychanalytique argentine), élu à son retour d’un voyage aux États-Unis où il avait travaillé avec Erikson et Rappaport dans une communauté thérapeutique, au Minnesota à la fin des années 1960.

6À partir de 1974, période noire de la dictature en Argentine, commence la diaspora de divers professionnels. Parmi les émigrés, Marie Langer, très proche d’eux. Ulloa s’exilera pour peu de temps au Brésil. Quant à Rodrigué, il s’installera lui aussi au Brésil (Bahia), après avoir résidé une courte période en France et en Espagne. Bauleo ne rentrera en Argentine que pour y finir ses jours. Il s’installera d’abord en Espagne et finalement en Italie (Milan et Venise) tout en venant fréquemment en Amérique du Sud (Brésil, Argentine).

7Ils étaient, certes, très amis, mais leurs productions et leurs attitudes vis-à-vis de la vie étaient bien différentes. Rodrigué et Bauleo avaient fait un voyage ensemble en Italie avant l’exil. Ils resteront en contact avec Franco Basaglia développant des projets sur divers problèmes de la santé mentale (méthodologies de l’assistance) et des hôpitaux psychiatriques. Postérieurement, Bauleo fera en sorte que Deleuze et Guattari aillent au Brésil en diverses occasions pour travailler avec des groupes et des institutions. Ulloa, proche de Rodrigué, coordonnera plusieurs groupes d’études psychothérapeutiques à Bahia (Brésil) pendant de courts séjours.

8Rodrigué, décédé en février 2008, recevra les hommages de ses collègues les plus proches, dont ceux de Bauleo et d’Ulloa. À cette occasion, ils font le projet de se revoir au mois de mars ; Ulloa mourra fin mars et Bauleo, malade depuis des années déjà, en avril, après être rentré à Buenos Aires.

9Il m’est impossible d’entrer dans le détail de leur biographie, et de leur œuvre tellement riche (je suggère de consulter Google). J’essaierai, en un hommage personnel, de faire une brève esquisse référentielle sur chacun d’eux.

Emilio Rodrigué

10Emilio Rodrigué est certainement le plus connu des trois en Europe vu son parcours et sa production littéraire. Il a écrit la plus récente biographie du père de la psychanalyse – Freud, le siècle de la psychanalyse (1995) – qui a eu un effet important au plan international, ayant été publiée en France, en Argentine et au Brésil.

11Avec Marie Langer et Pichon Rivière, ils organisèrent les premiers groupes psychanalytiques en Argentine et en Uruguay, et ont publié ensuite le premier ouvrage élaboré ensemble sur ce thème. Ils fondent avec Grimberg l’Association argentine de psychologie et de psycho-thérapie de groupe.

12Au milieu des années 1950, Rodrigué complète sa formation psychanalytique à Londres avec Melanie Klein. À son retour, avec Arminda Aberastury, ils introduisent les idées de M. Klein et Bion en Argentine et en Amérique latine. Au cours des années 1960, il reste trois ans au Minnesota ( USA ) à l’« Austin Rigs Center » dans une communauté thérapeutique dirigée par Rappaport et Erikson. Tout de suite après, il publiera un livre relatant cette expérience. L’année 1971 marque sa rupture avec la psychanalyse orthodoxe.

13Il a toujours « osé » et suivi avec ténacité la force de ses désirs, vivant sa vie avec intensité dans un coin de Salvador, à Bahia, qu’il aimait tant.

Armando Bauleo

14Il était aussi psychiatre et psychanalyste, très lié à Pichon Rivière, disciple et ami fidèle de toute une vie. Il reprendra l’enseignement du groupe opératif créé par ce dernier, et le diffusera dans le milieu psychanalytique partout en Europe, tout en reformulant certains de ses aspects grâce à des apports personnels au niveau de groupes thérapeutiques, et des institutions.

15Il a fondé ou collaboré à diverses institutions de formation en Espagne, en Suisse, en Italie et au Brésil. Il a écrit de nombreux articles et plusieurs livres sur les groupes et les institutions. Sa pensée et sa théorisation exploraient aussi les questions politiques et sociales soulevées par les institutions.

16Ses amis et ses collègues ont de lui le souvenir d’un homme jovial, toujours souriant et plein d’humour.

Fernando Ulloa

17Fernando Ulloa a fait sa formation psychanalytique à l’APA (Asociación Psicoanalítica Argentina), rompant avec elle en 1971, lui aussi, quand il fonde avec des collègues le groupe « Documento » proche de l’idéologie de « Plataforma ».

18Il enseigna à l’Université nationale de Buenos Aires en tant que professeur de psychologie institutionnelle et de psychologie clinique. Il est le seul psychanalyste à avoir fait un doctorat de psychologie sociale à l’Université d’Iowa.

19Il a toujours défendu l’idée d’une psychanalyse intégrant la dimension sociale. Il a coordonné et supervisé de nombreux groupes de professionnels attachés aux commissions des Droits de l’homme et des « Mères de la Place de Mai ».

20Ses recherches en clinique psychanalytique portent notamment sur les concepts de haine-sadisme et cruauté. Il a introduit une dimension particulière qu’il a appelée « la numérisation sociale ».

21À l’occasion de ses 80 ans, ses amis et ses collègues lui ont rendu hommage en publiant un ouvrage intitulé Pensando Ulloa (2005). Il se distinguait par sa sympathie, sa bonne humeur et sa passion pour l’exercice clinique, la tonalité affective de ses relations avec sa famille et ses amis et par l’ardeur avec laquelle il se consacrait à la transmission de la psychanalyse.

22Plusieurs hommages ont été rendus à ces trois psychanalystes argentins, qui ont été d’une certaine façon des pionniers dans de nombreux aspects de l’analyse de groupe.

23Un lien fraternel les unissait, aussi bien dans le parcours de leur vie que dans leur recherche d’une psychanalyse plus proche de l’intersubjectivité et de la réalité sociale.

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