Connexions 2007/2 n° 88

Couverture de CNX_088

Article de revue

Devenir analyste de groupe

Pages 193 à 204

Notes

  • [1]
    Extrait du chapitre « Le paradoxe de la formation », Le groupe, espace analytique, Toulouse, érès, 2e édition à paraître en 2007.
  • [2]
    Group Analytic Society de Londres et Association de formation européenne du courant de M. Foulkes.
  • [3]
    Enfant et adolescent, adulte, groupe, thérapies familiales.

1Former des analystes de groupe est une visée paradoxale, car il s’agit d’un cheminement personnel et non essentiellement d’acquisition de connaissances intellectuelles et techniques. Proposer à des personnes qui souhaitent devenir thérapeutes de groupe les conditions et le cadre nécessaires à leur propre formation est déjà un énoncé plus acceptable. Mais, dans ce cas, instituer des normes et un cursus devient une exigence à double tranchant : des argumentations diamétralement opposées sont développées sur ce point qui conduit à la question de la « reconnaissance » ou de l’habilitation. Peut-on déterminer des critères d’évaluation ? Peut-on éviter cette question ?

2Si l’acquisition d’une compétence comme analyste de groupe est essentiellement une démarche personnelle, qu’en est-il de la capacité de penser sa pratique et d’en maîtriser la technique ?

3La référence psychanalytique et la dimension groupale, tout en étant une source d’enrichissement mutuel, ne conduisent pas cependant aux mêmes pratiques, aux mêmes élaborations théoriques, aux mêmes exigences méthodologiques, aux mêmes expériences personnelles.

4À vouloir appliquer directement les concepts de la psychanalyse, il est évident que l’on court le risque de plaquer des interprétations intrapsychiques à des situations ayant une dimension inter ou transsubjective. De même, l’expérience personnelle d’une psychanalyse, certes nécessaire, ne peut dispenser d’un travail sur soi-même en groupe. La « vision binoculaire », selon l’expression de W.R. Bion, ne s’acquiert pas seulement par l’addition d’une connaissance de théorie analytique de groupe à une expérience de la psychanalyse.

5Et pourtant, combien ne s’autorisent que de leur expérience de la psychanalyse individuelle pour aborder des traitements de groupe sans autre préparation ? Le travail de groupe est cependant complexe, et l’analyste moins protégé que dans le dispositif analytique classique.

6Assez curieusement, ce court-circuit est plus fréquent pour l’analyse de groupe que pour d’autres techniques, sans doute par la plus grande proximité à la psychanalyse et la moins grande visibilité d’une technique spécifique. Pour le psychodrame, la technique du jeu est fondamentale; pour la relaxation, le rapport à l’investissement du corps et de la voix, du toucher. Il est rare que l’on puisse imaginer d’envisager une pratique de ces techniques sans en avoir fait l’expérience soi-même. De même pour des thérapies de familles, une expérience d’analyse de groupe devrait permettre un travail sur son propre groupe d’appartenance primaire avant d’intervenir dans celui de groupes-familles-patients.

7Pour l’analyse de groupe, c’est effectuer une nouvelle tranche, comme l’on dit de façon si prosaïque, c’est-à-dire s’engager à nouveau dans une aventure analytique dont le terme ne peut être posé à l’avance. Encore faut-il en éprouver le besoin. Il ne peut être reconnu paradoxalement sans en avoir fait l’expérience.

8Il est toutefois bien évident que l’expérience personnelle d’une analyse de groupe s’impose. Elle évitera bien des souffrances et des déconvenues. Sinon l’on risque de découvrir à ses dépens, en même temps que ses patients, les modalités toutes particulières par lesquelles la situation de groupe sollicite mécanisme et processus archaïques, d’être confronté au groupe comme objet fantasmé, à la diffraction du transfert, à la reproduction des liens des groupes d’appartenance primaire, à l’importance des identifications projectives et des actes de parole et à tant d’autres processus inhérents aux interactions et à la dynamique de l’inconscient.

9Le rapport dialectique du clinique et du théorique est sans doute l’équilibre le plus subtil et le plus fragile à maintenir. Il n’est pas d’interprétation sans référence à celui qui la donne et à une théorie : la clinique et la théorie se nourrissent l’une l’autre et n’ont de sens que dans leur rapport. Les dérives vers le tout-clinique ou le tout-théorique guettent constamment : le seul récit de « vignettes cliniques » ne se suffit pas plus à lui-même que les développements théoriques proposant des constructions intellectuelles.

10C’est entre ces exigences et ces écueils que toute formation psychanalytique doit trouver son chemin. Mais il reste encore à explorer la dimension institutionnelle et sociale dans laquelle s’insère toute formation.

11Nous restons marqués, en France, par le traumatisme des scissions successives des sociétés psychanalytiques. Celles-ci ont été sources de richesse et d’ouverture, mais aussi d’une grande méfiance à l’égard de toute formation et habilitation ; puisque c’est notamment sur ces questions que les conflits ont été et restent manifestes. C’est sans doute une des causes du manque de coordination des différentes formations aux psychothérapies de groupe. L’ambivalence à l’égard des instituts assurant une telle formation, et la fragmentation en courants, en écoles et en associations différentes n’ont certes pas créé le terrain favorable pour penser cette question sans débordements passionnels. La trop grande dépendance à l’égard de la psychanalyse et de ses sociétés a également été souvent un frein. La nécessité chaque fois plus vive de traiter ce problème a laissé la place au hasard des rencontres et des initiatives individuelles.

12Penser la problématique de la formation aux psychothérapies analytiques de groupe et exposer les postulats à partir desquels un tel dispositif a été élaboré a des implications individuelles, groupales, institutionnelles et sociales.

Une formation « singulière »

13[…] La formation à l’analyse de groupe n’est pas du domaine de ce qu’il est habituel d’appeler « formation », encore que, sous ce vocable, soient groupées des actions de sens et de portées bien disparates. Les pratiques psychanalytiques se situent en rupture, en discontinuité avec une conception traditionnelle de la formation, tant par les visées que par les idées reçues, des croyances et des attitudes habituelles ou paraissant aller de soi, en une prise de conscience critique des situations et de leurs déterminants inconscients, dans un dispositif de groupe.

14Sandor Ferenczi nous éclaire déjà en 1928 sur la différence entre la formation d’un psychanalyste et d’un comportementaliste :

15

« Comment peut-on étudier la psychanalyse ? Qui peut prétendre au titre de psychanalyste, capable de comprendre les problèmes et les conflits du psychisme, jusque dans ses couches les plus profondes, et de trouver une solution pratique aux difficultés de la vie psychique pathologique ou normale ? […] L’expérience psychanalytique montre que, pour pratiquer le métier de psychologue, il ne suffit pas d’établir un rapport logique entre les connaissances et les données expérimentales, il est indispensable d’effectuer une étude approfondie de notre personnalité et une observation rigoureuse de nos motions psychiques et affectives. C’est cette éducation à la connaissance et à la maîtrise de soi qui constitue l’essentiel de la formation analytique, sa condition sine qua non; la formation théorique et pratique ne peut venir qu’ensuite […]. La psychanalyse s’intéresse essentiellement aux connaissances introspectives et subjectives; mais, pour comprendre le matériel psychique recueilli par autrui, nous sommes obligés de procéder par rapprochements avec nos propres processus psychiques et intellectuels.
Nous savons que l’extraordinaire progrès de la biologie a entraîné une dévalorisation de tout ce qui est psychique, sur le plan scientifique, un des principaux mérites de Freud est de s’être courageusement opposé aux excès des fanatiques de l’objectivité, et d’avoir pris en compte la réalité psychique en même temps que la réalité physique. Lors de mon séjour en Amérique, il y a deux ans, le Dr Watson, représentant des behaviouristes, m’a invité à un duel intellectuel. Il soutenait la thèse qu’il était parfaitement inutile de prêter attention aux altérations accessibles par l’introspection, mais qu’il suffisait de décrire l’activité et le comportement des êtres vivants, animaux ou humains, en les considérant comme des ensembles de réflexes et de tropismes. Invité à donner un exemple, le Dr Watson décrivit le réflexe de terreur observé chez la souris blanche et chez le jeune enfant en réaction à un bruit imprévu. Je fus amené à lui certainement référé à ce que lui-même éprouvait dans la même situation ; à partir de l’auto-observation, il avait donc logiquement déduit la possibilité de faire des comparaisons. Le behaviouriste n’est qu’un explorateur déguisé du psychisme. » (1928, p. 239-240)

16Une formation d’analystes de groupe ne peut prétendre englober les approches psychanalytiques et psychosociales, ni réaliser une impossible synthèse, mais se situer à leur articulation, aux lieux de contradictions auxquels chacun est confronté : elle ne pose pas, au départ, ces domaines comme clivés. Dans la recherche des déterminants psychiques et sociaux qui régissent les conduites individuelles et collectives, un cursus de formation doit ainsi s’efforcer de constituer des lieux où il soit possible de faire le lien entre des éléments habituellement séparés ou clivés qui, par leur rapprochement, prennent sens.

17Dans cette quête du sens, la rupture ne se situe pas essentiellement au niveau d’une représentation de la réalité, mais plus fondamentalement à celui des systèmes de valeur et des croyances établies à la fois dans le champ psychanalytique et psychosocial. Centrée sur l’analyse de processus individuels et collectifs, l’analyse de groupe est sous-tendue par une conception des structures psychiques qui traversent l’individu, le groupe et l’institution. En d’autres termes, il s’agit de structures qui sont intériorisées, introjectées de telle façon qu’elles font partie intégrante de la réalité psychique des personnes et de celle de leurs groupes d’appartenance primaire et professionnelle.

18Dans cette perspective, l’évolution des personnes, des dispositifs et du cadre institutionnel est donc posée comme indissociable, la seule formation « individuelle » étant source de répétition ou de renversement en son contraire et de reproductions. Une application directe des concepts psychanalytiques s’y révèle insuffisante, aussi bien sur le plan de l’expérience personnelle que sur celui des concepts théoriques et de la supervision. Pour le sujet qui nous intéresse, disons que les clivages opérés entre l’intrapsychique, le transsubjectif et le psychosocial sont le domaine même de l’analyse de groupes et d’institutions.

19Par le rapprochement d’éléments habituellement disjoints, en une démarche singulière, personnes et groupes donnent un sens nouveau à leurs propres conduites. Cela suppose un temps d’élaboration suffisamment long et un « travail » au sens analytique du terme. Les changements passent par l’interrogation et le réaménagement des systèmes de valeur, des structures personnelles et des investissements professionnels. La formation et la pratique de psychanalystes, de psychothérapeutes, de psychiatres et de psychologues concernent le plus habituellement des individus en relation duelle. C’est une expérience essentielle qui ne conduit cependant pas directement à l’analyse des processus inconscients dans un groupe. Au cours d’analyses de groupe de personnes ayant fait une psychanalyse, ou même étant psychanalystes, la simple observation montre en effet que le travail de groupe touche les individus dans leur équilibre psychique et somatique, et qu’il est souvent vécu comme source d’angoisse et de souffrance, comme l’avait déjà remarqué Trigant Burrow. Le changement de « vertex », dirait W.R. Bion, ou cette « vision binoculaire » sont source de réaménagements profonds, tant sur le plan de la dynamique psychique que sur celui des références conceptuelles.

20En analyse de groupe, l’histoire du sujet ne tient pas la même place qu’en relation duelle. Il est donc souhaitable que tout futur analyste de groupe fasse lui-même l’expérience personnelle, en tant que patient, d’une analyse de groupe, avec si possible, d’autres analystes que ceux avec lesquels il engagera un perfectionnement. Ou qu’il fasse au moins de façon suffisamment approfondie et répétée l’expérience de « groupes d’évolution » dans le cadre de la formation professionnelle, en tant que participant.

21Mais la formation d’analyste de groupe, comme toute formation psychanalytique, n’a pas seulement une dimension analytique. Si l’on considère le triptyque admis comme base de formation dans ces domaines (une expérience personnelle de l’analyse, un travail théorique et des contrôles), seul le premier élément est strictement analytique, en tant qu’analysant. Il n’autorise nullement à une pratique de l’analyse de groupe, sauf à concevoir ce préalable à toute formation comme un aboutissement : la question de la formation serait alors sans objet, au risque de « conformer » des analystes en « groupies » du maître-analyste. Quand le désir de devenir analyste persiste au terme d’une analyse, la « liquidation du transfert » peut-elle devenir effective sans tiers ? La formation théorique et les contrôles s’inscrivent dans un cadre institutionnel, dans le meilleur des cas, permettant de se constituer en tant que sujet-analyste, et de métaboliser le rapport entre sa réalité psychique et la réalité extérieure de la pratique de l’analyse de groupe.

22Quelles peuvent être les caractéristiques de cet espace tiers, lieu d’une formation personnelle dans un cadre institutionnel ? Nous sommes confrontés à un paradoxe difficile à dépasser, sinon insurmontable. Il ne faut pas en sous-estimer l’importance : il s’agit d’un processus d’évolution personnelle en rapport à un projet institutionnel.

23Aussi est-il utile de situer la formation clinique et théorique de l’analyse de groupe au cœur de la problématique psychosociale à laquelle toute formation est liée.

24On sait la méfiance que S. Freud entretenait à l’égard d’une formation psychanalytique à l’université. Il s’agissait, à son époque, des facultés de médecine. Que dirait-il actuellement de l’enseignement universitaire dans certains départements de psychologie clinique ? Dans La question de l’analyse profane, il en parle ainsi (1926, p. 143-144) :

25

« La formation dite “médicale” me semble un pénible détour pour accéder à la formation d’analyste, elle donne certes à l’analyse beaucoup de ce qui lui est indispensable, mais le charge par ailleurs de trop de choses qu’il ne pourra jamais mettre à profit, et elle entraîne le danger que son intérêt, comme son mode de pensée, soit détourné de l’analyste reste à créer, il doit comprendre comme matières, aussi bien les sciences de l’esprit, la psychologie, l’histoire de la civilisation, la sociologie, que l’anatomie, la biologie et l’histoire de l’évolution. Il y a là tant à enseigner que l’on est en droit de laisser en dehors du programme tout ce qui n’a pas un rapport direct avec l’activité analytique et ne peut contribuer qu’indirectement comme toute autre étude, à la formation de l’intellect et de l’observation par les sens. Il est commode d’objecter à cette proposition qu’il n’existe pas de telles écoles supérieures d’analyse, que c’est là une exigence idéale. Eh oui, un idéal, mais un idéal que l’on peut réaliser et qu’il faut réaliser. Nos instituts d’enseignement sont déjà, en dépit de toute leur juvénile insuffisance, le début d’une telle réalisation. »

26[…] L’accès à la connaissance ne peut être clivé de la recherche personnelle, l’un nourrissant l’autre dans un échange vital. S. Freud décrit cette conjonction fondamentale de la façon suivante : « Il y a eu en psychanalyse, dès le début, une étroite union de la cure et de la recherche, la connaissance amenait le succès, on n’acquérait aucun éclaircissement sans en éprouver l’action bienfaisante. Notre procédé analytique est le seul dans lequel cette précieuse conjonction est conservée. C’est seulement quand nous pratiquons la direction de conscience analytique que nous approfondissons notre compréhension – qui commence juste à se faire jour – de la vie psychique de l’homme. Cette perspective de gain scientifique était l’aspect le plus noble, le plus réjouissant du travail analytique. » (1926, p. 150-153)

Transmission ou formation à l’analyse de groupe

27[…] Au contraire d’autres dispositifs de formation analytique, la « régulation » avec le groupe des participants est une des dimensions essentielles à la formation des analystes de groupe. Le dispositif de formation et son rapport au cadre institutionnel font partie de l’analyse : en d’autres termes, le dispositif doit inclure des espaces d’analyse de son propre fonctionnement. Cette analyse peut être conduite par le formateuranalyste dans la mesure où il a lui-même un consultant susceptible de l’aider dans son élaboration contre-transférentielle. Sinon, il sera préférable que cette analyse soit conduite par un tiers, qui n’ait pas été à l’origine du dispositif institué, et qui aura une relative neutralité à son égard. […]

28Sur le plan pratique, cela nous a conduits à mettre en place, dans le cadre de Transition – Analyse de groupe et d’institution, quatre dispositifs spécifiques de formation. Le « nous » désigne ici principalement Monique Soula Desroche, et les analystes de l’association.

29Deux cycles relativement courts (dix-huit mois environ) concernent :

  • les conduites de groupes, thérapeutique, de soutien, de parole, de médiation en institution, avec des patients dans un cadre sanitaire, ou avec des personnes accueillies en travail social;
  • la conduite de supervision ou de consultations institutionnelles auprès de professionnels, avec une approche groupale et institutionnelle.

30Un nouveau cycle « Analyste d’institution » vise à acquérir une qualification dans la conduite d’analyse d’institution, de consultations institutionnelles, d’action-recherche, de supervisions. Une habilitation est décernée suite à un mémoire sur une intervention institutionnelle. D’une durée de trois ans, les deux premières années sont en tronc commun avec le cycle analyste de groupe, car une compétence à conduire différents types de groupe est nécessaire à l’analyse d’institution.

31Le cursus du cycle « Analyste et psychothérapeute de groupe » s’adresse à des praticiens ayant une expérience psychanalytique personnelle.

32Le cadre collectif du perfectionnement détermine un espace contenant dans un dispositif groupal permettant à chacun d’y effectuer un cheminement personnel. C’est donc l’espace du groupe qui médiatise le rapport entre l’intrapsychique et le psychosocial, donnant une dimension clinique au travail personnel et d’évolution à la formation. Chacune des phases du cursus peut être engagée à son propre rythme, la durée effective de participation pouvant dépasser largement les quatre années prévues dans le dispositif de formation.

33Le cursus est initié par un temps d’expérience personnelle de participation à un groupe d’évolution et à une session sur la conduite de groupe. Il est en effet indispensable d’effectuer un travail personnel en situation de groupe, et d’acquérir par ailleurs les bases méthodologiques de la conduite de groupe.

34Bien que cela soit souhaitable, il ne paraît pas possible d’imposer comme une injonction thérapeutique d’effectuer une analyse de groupe. Certains en éprouvent le besoin, d’autres en découvrent la nécessité par eux-mêmes à la suite d’expériences de travail en groupe.

35Car on ne peut se représenter la force du processus thérapeutique groupal avant d’y avoir été confronté. S’ils engagent une analyse de groupe, ce sera à titre personnel, en dehors du cadre de la formation, et avec d’autres analystes que leurs formateurs.

36L’expérience de groupe d’évolution fait partie d’un dispositif de formation pouvant être pris en charge dans la formation continue. Il s’agit d’une expérience d’analyse de groupe limitée à ce cadre et non d’une psychothérapie, même si des effets thérapeutiques parfois importants peuvent s’y produire. Les groupes sont constitués de professionnels en formation, intéressés à découvrir pour eux-mêmes les processus de groupe, et non de patients pour lesquels un traitement psychothérapeutique de groupe a paru l’indication la plus appropriée.

37Cette expérience est importante dans la mesure où la formation d’un analyste de groupe ne peut consister en une expérience de l’analyse individuelle complétée par des connaissances sur la théorie des groupes. Elle marque bien dès le début le sens et l’orientation donnés à ce cursus : le lien entre l’expérience personnelle et la référence à des concepts utiles à la pratique analytique dans un groupe, et non à un savoir clivé de la clinique. Il en sera de même pour le travail sur les théories analytiques de groupe, et pour les supervisions dans le même rapport entre clinique et théorie.

38Trois caractéristiques principales permettent de situer l’esprit dans lequel le dispositif du cycle « Analyste de groupe » a été conçu, en s’efforçant de prendre en compte et de dépasser les paradoxes de la formation décrits précédemment :

  • un dispositif rigoureux, contenant d’un espace transitionnel ;
  • une conceptualisation théorique confrontée à d’autres formes de théorisation analytique sur le groupe;
  • une participation personnelle à des groupes d’évolution et à des super-visions. La visée globale étant de permettre aux participants de saisir et d’analyser la dimension groupale des processus, il est essentiel que le dispositif favorise un travail d’évolution tant sur le plan personnel que sur celui des pratiques et de la théorie.

39Pour ce faire, le dispositif du cycle doit être groupal, afin de faciliter les échanges et les interactions à la fois pour l’acquisition de connaissances, pour les supervisions ou les contrôles, mais aussi pour l’analyse de la dynamique interne, du rapport au cycle et au dispositif institué. Il s’agit d’une analyse accompagnatrice du déroulement et du fonctionnement du cycle, d’une « régulation » et non d’une analyse fondamentale. Cette dimension est essentielle à un travail d’évolution pour les personnes dans le cadre du cycle, et dans leur groupe d’appartenance professionnel. C’est-à-dire dans le cadre institutionnel où s’insère leur pratique. La fonction contenante du groupe de travail dépendra de cette conjonction entre les activités proposées et l’analyse des processus qui se développent au fur et à mesure de leur mise en œuvre : un espace transitionnel favorisant la métabolisation entre la réalité psychique et la réalité extérieure.

40L’élaboration théorique qui nous est propre constitue la base pour l’acquisition de concepts utiles à la pratique de l’analyse de groupe. Comme je l’ai dit précédemment, l’accès à la connaissance ne peut être clivé de la recherche personnelle. L’expérience d’une analyse de groupe en tant que patient permet d’aborder les concepts dans une perspective qui ne soit pas seulement celle d’un intérêt intellectuel, extérieur à la clinique.

41Elle est utile aussi pour traiter de questions telles que la spécificité du transfert et du contre-transfert dans le travail de groupe, la répétition, la reproduction de liens propres au groupe d’appartenance primaire, le contre-transfert anticipé par l’institution du groupe, le groupe comme objet fantasmé, la fonction de contenant, les identifications projectives et l’émergence de processus et mécanismes primaires, le dispositif dans son rapport au cadre institutionnel et l’interprétation, etc.

42Mais le travail théorique doit rester ouvert. À cette fin, en troisième et quatrième années notre propre élaboration est confrontée à celle d’autres courants et d’autres pratiques de l’analyse de groupe, avec la participation, dans des journées d’étude, de collègues psychanalystes et analystes de groupe de la Société française de psychothérapie psychanalytique de groupe, de la Group Analytic Society, et de l’Association argentine de psychologie et psychothérapie de groupe et de collègues italiens. Cela vise à solliciter, de la part des participants, une élaboration conceptuelle qui leur soit personnelle, et corresponde à leur pratique. Le mémoire théorique présenté en fin de cycle prend ainsi son sens.

43Enfin, quand la formation est suffisamment avancée, certains peuvent demander à participer à la conduite de groupes d’évolution (dans le cadre de la formation permanente). Cela permet de faire le lien entre la clinique et la théorie, et de travailler notamment le rapport entre le dispositif, le cadre institutionnel et l’interprétation. Nous préférons cette approche à celle d’observateur ou de conducteur de groupes d’analyse avec des patients. L’introduction de praticiens en perfectionnement dans des groupes slow-open est en effet confrontée à l’aspect semi-perma-nent de ces groupes, les patients y restant le temps qui leur est nécessaire et d’autres patients venant s’y intégrer au fur et à mesure, en fonction notamment du nombre, des pathologies en présence, de l’état émotionnel du groupe, etc. Il nous semble donc préférable que les participants du cycle travaillent avec nous dans des groupes d’évolution (avec des participants et non avec des patients), dont le terme est fixé à l’avance. Le travail avec l’analyste est complété par les séances de supervision dans le cadre du groupe du cycle.

44À partir de la troisième année, des groupes d’analyse (avec des patients) sont institués par les participants du cycle eux-mêmes, s’ils n’en conduisent pas déjà, dans leur cadre institutionnel par exemple. Il peut s’agir de groupe de « parole » (dont l’objet, les limites et le dispositif méritent souvent d’être précisés), de groupes de soutien, ou de tout autre groupe où l’analyse de groupe est fondamentale ou accompagnatrice. La distinction entre l’analyse de groupe et psychothérapie analytique de groupe est située en rapport au cadre institutionnel. Comme pour la psychanalyse, l’analyse de groupe ne peut être située que dans le cadre d’une pratique privée, en cabinet professionnel, la demande des patients n’étant médiatisée par aucune structure tierce. Dans le cadre d’une « institution » à finalité soignante, la demande des patients et le cadre déterminent les finalités et les limites du dispositif : il s’agit de psychothérapie analytique de groupe. Il n’y a pas dans cette constatation de hiérarchie à établir entre ces pratiques. Il est par contre essentiel d’en reconnaître la différence, dans la dialectique cadre-dispositif, car l’on risque sinon d’être dans l’illusion d’une pratique privée en « institution ».

45En ce qui concerne le cycle de Transition, c’est l’évolution de la situation en Europe qui nous a amenés à concevoir une habilitation. La Fédération européenne de psychothérapie psychanalytique ( EFPP ), dont la FAPAG et la SFPPG font partie, est en train d’élaborer un « certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe », afin de défendre la psychanalyse face au lobbying des « nouvelles thérapies » importées de la côte Ouest des États-Unis. Nous y avons fait évoluer les critères statutaires de la formation qui avaient été conçus uniquement en rapport avec ceux du Group Analytic Institute de Londres. De notre point de vue, avoir fait une psychanalyse est un préalable à la formation à l’analyse de groupe. Celle-ci est donc effectuée en dehors du cadre de la formation. Pour l’école de Foulkes, c’est-à-dire le Group Analytic Institute, une analyse de groupe à deux séances par semaine pendant deux années fait partie du cursus de formation, et est effectuée éventuellement conjointement à la formation théorique et clinique, dans le même cadre.

46Le cycle « Analyste de groupe » correspond globalement aux normes européennes telles que nous les avons fait évoluer à l’EFPP où j’ai été délégué de la FAPAG pendant au moins quatre ans.

47Le mémoire est présenté à un comité scientifique en rapport avec la FAPAG, pour validation du cycle et habilitation comme psychothérapeute psychanalytique de groupe.

48Les motifs pour lesquels l’EFPP élabore un certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe sont résumés ainsi, dans un document interne, par Peggy Denny, actuellement coordinatrice de la section groupe :

  • la reconnaissance de la méthode et de la qualification de professionnels spécialisés devrait renforcer la position de ces professionnels et des instituts de formation ;
  • dans beaucoup de pays européens seules des méthodes psychothérapeutiques reconnues scientifiquement (fondées sur des preuves) sont acceptées et payées par les services publics. Le certificat étayerait des normes de qualité et l’insertion des psychothérapies psychanalytiques de groupe dans le secteur public;
  • il est logique de valoriser des normes requises pour être membre de l’EFPP. Cela garantit et renforce ces normes et l’identité professionnelle;
  • la création du certificat facilitera la discussion sur la formation et les normes professionnelles entre les différentes approches des psychothérapies psychanalytiques de groupe ainsi qu’avec les organisations de ce champ (par exemple EGATIN et GAS  [2] ) et d’autres organisations psychanalytiques internes et externes à l’EFPP;
  • il est important que les quatre sections de l’EFPP  [3] mettent en place des certificats, le certificat de psychothérapie psychanalytique de groupe faisant partie de différentes qualifications aux psychothérapies psychanalytiques, auxquelles la reconnaissance par l’EFPP comme un tout donnera une qualité spécifique.

49Ce sont les instituts de formation dans chaque pays qui décerneront ce certificat, après avoir été agréé par une commission de l’EFPP.

50Afin de donner une plus grande ouverture à ces cursus, il serait souhaitable que des échanges entre associations soient instaurés, afin que les personnes en formation puissent être confrontées à des pratiques diverses de l’analyse de groupe dans différentes associations, et non plus seulement, comme c’est le cas actuellement, à des concepts et théorisations de divers courants de pensée. Cela dépend, bien évidemment, au premier chef d’une entente entre les associations assurant une formation à l’analyse de groupe.

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  • VIDERMAN, S. 1970. La construction de l’espace analytique, Paris, Denoël.

Mots-clés éditeurs : Processus de formation, psychothérapie psychanalytique, institut de formation, évolution personnelle, analyse de groupe, conduite de groupe, certificat de psychothérapeute

Mise en ligne 01/04/2008

https://doi.org/10.3917/cnx.088.0193

Notes

  • [1]
    Extrait du chapitre « Le paradoxe de la formation », Le groupe, espace analytique, Toulouse, érès, 2e édition à paraître en 2007.
  • [2]
    Group Analytic Society de Londres et Association de formation européenne du courant de M. Foulkes.
  • [3]
    Enfant et adolescent, adulte, groupe, thérapies familiales.
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