Connexions 2005/2 no 84

Couverture de CNX_084

Article de revue

Les destins de la rupture

Observation d'une crise et de son dépassement dans le cadre d'une modernisation

Pages 191 à 208

Notes

  • [1]
    Nous parlerons ici uniquement de la situation belge, similaire à d’autres cas de privatisation ayant eu lieu en Europe occidentale depuis le milieu des années 1990.
  • [2]
    « Par entreprise publique, il faut entendre tout organisme public, c’est-à-dire tout organisme dont les pouvoirs publics sont maîtres de fixer, de modifier à tout moment les statuts et de les supprimer ; peu importe que cet organisme ait ou non une personnalité juridique distincte du pouvoir créateur ; peu importe la forme juridique que revêt cet organisme à condition qu’il ait une activité d’ordre économique » (Buttgenbach, 1981, p. 367).
  • [3]
    La notion de monde développée par ces auteurs entre dans le projet « d’élaborer une théorie de l’accord et du désaccord qui ne soit pas simplement une théorie des arguments confrontés à des principes, mais qui rende compte de l’affrontement avec des circonstances, avec une réalité, c’est-à-dire de l’engagement, dans une action, d’êtres humains et d’objets » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 163). Chaque monde est donc composé d’objets et d’êtres spécifiques ordonnés par un ensemble de principes qui en définissent la position et la « grandeur » dans des situations particulières.
  • [4]
    Qui « se caractérise principalement par une pyramide hiérarchique développée, une division parcellisée, une réglementation écrite omniprésente, une grande importance accordée aux experts et aux techniciens, des contrôles très élaborés, une communication difficile entre les paliers, une centralisation du pouvoir, une autonomie relativement faible pour les paliers inférieurs, un droit d’expression très limité et une éthique du bien commun » (Chanlat, 1999, p. 39).
  • [5]
    Conférence de presse, mars 1998, Bruxelles. Le slogan de la campagne de privatisation de Technico était : « Le changement dans la rupture ».
  • [6]
    Ils s’en tiennent à cette remarque succincte : « dans l’ouvrage examiné, aucun compromis entre ces deux grandeurs n’a été rencontré » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 396).
  • [7]
    Il y a là redéfinition, non seulement des personnes, mais aussi des objets : « les objets grands sont des biens vendables ayant une position de force sur un marché » (ibid., p. 244-245).
  • [8]
    « Dans le monde marchand, les actions sont mues par les désirs des individus [et non plus les besoins des collectifs], qui les poussent à posséder les mêmes objets, des biens rares dont la propriété est aliénable. La caractérisation de ce monde par la dignité des personnes, toutes également mues par des désirs, et par l’appareillage d’objets adéquats enferme déjà le principe de coordination, la concurrence, qui peut être explicité dans les justifications auxquelles donnent lieu les épreuves » (ibid., p. 244).
  • [9]
    Jean-François Chanlat regroupe sous ce terme les nouvelles pratiques managériales qui se sont répandues depuis le début des années 1980 au nom de la compétitivité. « Il est fondé sur l’idée de faire mieux que les concurrents (nationaux et internationaux), il met l’accent sur le primat de la réussite, la survalorisation de l’action, l’obligation d’être fort, l’adaptabilité permanente, la mobilité, la canalisation de l’énergie individuelle dans les activités collectives, et le défi permanent » (Chanlat, 1999, p. 39).
  • [10]
    Rapport interne d’évaluation de Technico, juin 2000.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Les psychologues du plan de reconversion n’ont, pour rappel, pas jugé utile de conserver les groupes de travail et ont privilégié une approche individuelle des dossiers.
  • [15]
    Au départ d’une étude des groupes, René Kaës (1979) élabore cette articulation entre l’intrapsychique (le système individu), d’une part, le groupal et l’institutionnel, d’autre part à travers la notion d’intermédiaire. Celle-ci est définie par trois caractères : il est, tout d’abord, une instance de communication, une médiation ou un rapprochement entre le maintenu-séparé ; il est, ensuite, une instance d’articulation de la différence, un lieu de symbolisation ; il est, enfin, une instance de conflictualisation.
  • [16]
    Cette notion de projet renvoie à la philosophie et à la sociologie existentialiste (e.a. Sartre, 1970 ; Pauchant et al., 1995). Elle part de l’idée que l’homme « n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait ». De là, Jean-Paul Sartre développe l’idée que « l’homme existe d’abord, c’est-à-dire que l’homme est d’abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir. L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être » (Sartre, 1970, p. 22-23).
  • [17]
    C’est-à-dire que « ce qui s’appuie est en mesure de servir à son tour d’appui à ce qui le soutient », comme dans l’exemple des couples mère-nourisson ou leader-groupe (ibid., p. 10).
  • [18]
    Jacqueline Barus-Michel, Florence Giust-Desprairies et Luc Ridel, dans le cadre de leur ouvrage consacré à ce phénomène, définissent ainsi la crise comme : un processus de déconstruction affectant un ensemble social « dans ses interdépendances internes, externes et dans sa praxis : autrement dit, les liens qui maintiennent une cohésion entre ses différentes composantes (institutionnelles, fonctionnelles et individuelles), dans ses rapports à son environnement proche (institutions d’appartenance, réseaux d’échanges) et lointains (contexte socio-économique), ainsi que ses modes d’action et d’utilisation des résultats » (Barus-Michel et al., 1996, p. 69). Dès lors, on peut penser la crise « comme un échec de la structuration que le pouvoir est censé opérer, une défection dans les transformations entre les différentes composantes qu’il régule » (ibid., p. 70).
  • [19]
    Nous nous appuierons, dans cette partie, sur le matériel recueilli au cours d’une dizaine d’entretiens biographiques approfondis (deux à trois séances de deux heures chacune). Pour un développement complet et précis sur la méthode de l’entretien biographique, cf. M. Legrand (1993), L’entretien biographique, Paris, Hommes et perspectives.
  • [20]
    Dans son étude de la nature événementielle du travail contemporain, Philippe Zarifian conçoit également que « l’événement n’est pas un atome de mouvement. L’événement est une discontinuité dans un récit. L’événement ne dit pas au départ autre chose que ceci : il advient dans le réel, quelque chose qui est en rupture avec le déroulement régulier des phénomènes et auquel nous accordons de l’importance » (Zarifian, 1995, p. 22).
  • [21]
    La crise proprement dite est cette phase dans laquelle il y a « rupture, dissolution et morcellement des unités où chacun trouvait identité, reconnaissance et sens. L’organisation symbolique éclate, les idéaux qui y étaient placés tournent à vide, engendrant sentiment d’abandon, régression et désarroi » (Barus-Michel et al., 1996, p. 89).
  • [22]
    « Exister requiert la coupure du lien [à la mère]. […] La présence et la présentation le l’enfant au monde va de pair avec l’absence du nouveau-né hors de la mère » (Kaës 1979, p. 25).
  • [23]
    Pour une élaboration plus complète d’une épistémologie du concept de typologie cf. Piaser (1994), Epistémologie de la méthode. Voir et faire la sociologie autrement, Paris, Vrin, p. 117-118.
  • [24]
    Comme nous l’avons dit, il est évident que, si nous ne parlons ici que du lien au travail, l’ensemble de l’étayage psychique de l’individu est en fait concerné. Il jouera tout d’abord un rôle dans l’orientation de la décision qui sera prise par l’individu. C’est par rapport à lui que « l’essentialité » du travail au sein du service data sera considérée. Il sera ensuite mobilisé dans l’effort. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir ce que l’on veut, encore faut-il y parvenir et, à ce titre, l’ancrage social et affectif sera d’une grande importance. C’est à ce titre que l’approche biographique est d’une aide précieuse. Elle permet d’interconnecter ces dimensions différentes de l’existence tout en y replaçant la question du changement et de sa progression.
  • [25]
    Nous présenterons ceux-ci davantage comme des types-idéaux, c’est-à-dire des constructions fictives pouvant recouvrir des réalités singulières sensiblement différentes. Les quatre pôles de la typologie sont bien des tendances à considérer relativement aux autres avec, dans la même trajectoire, des possibilités de basculement d’un type à l’autre, par exemple. Il n’y a donc pas lieu d’enfermer les sujets dans l’une ou l’autre case mais bien de se doter d’un outil pour rendre compte des bifurcations et de l’articulation des motifs sociologiques et biographiques qui les déterminent.
  • [26]
    Philippe est handicapé de naissance à la suite d’une maladie génétique affectant sa mobilité.
  • [27]
    Son projet est explicitement centré autour du dépassement du handicap par la constitution d’une famille saine et l’exercice d’une passion équestre.
« Étais-je identique à moi-même lorsque je me suis levée ce matin ? Je crois bien me rappeler m’être sentie un peu différente de l’Alice d’hier. Mais, si je ne suis pas la même, il faut se demander alors qui je peux bien être. »
Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles

1 La transformation en cours des entreprises publiques belges constitue un bouleversement majeur dans une société comme la nôtre. Elle s’impose dans l’imaginaire social avec une force particulière, comme un phénomène signifiant et emblématique, à plus d’un titre, des mutations qui touchent actuellement la vie économique. L’intérêt qu’il y a à étudier une telle mutation et ses conséquences psychologiques et sociales pourrait donc reposer sur une hypothèse générale : par sa radicalité et ses caractéristiques, la modernisation s’inscrit (et inscrit l’État comme acteur) dans le flux des transformations que connaît aujourd’hui le champ économique. Pour nombre d’auteurs, le capitalisme lui-même rentrerait dans un « nouvel esprit » permettant « l’avènement d’une nouvelle représentation de l’entreprise et du processus économique. Celle-ci entend fournir à ceux dont l’engagement est particulièrement nécessaire à l’extension du capitalisme […] des évidences quant aux “bonnes actions” à entreprendre […], un discours de légitimation de ces actions, des perspectives enthousiasmantes d’épanouissement pour eux-mêmes, la possibilité de se projeter dans un avenir, remodelé en fonction des nouvelles règles du jeu et la suggestion de nouvelles voies de reproduction pour les enfants de la bourgeoisie et d’ascension sociale pour les autres » (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 93).

2 L’objet de ce texte sera de nous interroger sur l’impact de cette transformation sur les travailleurs et collectifs statutaires peu qualifiés. Les hypothèses sur lesquelles nous nous fondons posent, d’une part, que ces acteurs sont de bons analyseurs (Lourau, 1970 et 1972) de cette transformation des « règles du jeu » et, d’autre part, que toute requalification d’un ordre de grandeur est aussi, sous certaines conditions que nous éclairerons, un processus de crise et de disqualification. En effet, sans doute « l’ordre de grandeur » nouveau propose-t-il au sujet, quels que soient ses origines et son statut social, des opportunités d’épanouissements et de réalisation personnelle. Mais qu’advient-il des individus dont nous pourrions dire, en paraphrasant Luc Boltanski et Ève Chiapello que « l’engagement n’est pas nécessaire à l’extension du capitalisme » ? Le changement implique-t-il pour eux une incapacité à se « projeter dans cet avenir » incertain et codé par de nouvelles règles du jeu qui les dépossèdent de leurs atouts ?

3 Le groupe de référence à partir duquel nous avons choisi d’observer ces processus serait donc également, pour les raisons que nous venons de mentionner, celui qui semblerait a priori en être le plus affecté : c’est le collectif des « oubliés de la performance », des statuts limites, des précarisés du travail. La privatisation pose donc une question d’ordre sociologique et l’un des enjeux de cet exposé sera d’en rendre compte à travers l’articulation des processus sociaux, organisationnels (groupaux) et subjectifs qui y sont à l’œuvre.

4 Pour ce faire, nous nous attacherons, dans un premier temps, à montrer comment cette mutation sociale et organisationnelle s’impose aux collectifs et individus qu’elle concerne comme un espace en recomposition radicale (espace en rupture). Nous nous pencherons, dans un second temps, sur les enjeux et dynamiques subjectives qui animent ces sujets confrontés à ce changement crisique et le dépassement de celui-ci.

La modernisation comme espace en rupture

5 Le cas que nous allons traiter (l’entreprise Technico) s’inscrit dans la problématique de privatisation des entreprises publiques [1]. Au travers d’une brève présentation de cette entreprise, nous tâcherons de montrer combien ces transformations ont contribué à précipiter la constitution d’un « espace en rupture », c’est-à-dire : un espace ouvert entre deux états radicalement différents d’un système social où se joue un ensemble de tensions éprouvant l’articulation des composantes matérielles et des dispositions subjectives, telle qu’elle s’élaborait dans son état initial.

L’entreprise publique comme « compromis »

6 Une entreprise publique [2] se caractérise par une position d’entre-deux. Elle est à la fois une entreprise ancrée sur un marché mais elle est également fortement liée aux pouvoirs publics et à la nécessité de réaliser une mission d’intérêt général. La sociologie des conventions considère ainsi l’entreprise publique comme un des exemples type d’un « compromis » entre le monde[3] civique et le monde industriel en ce sens que « des mesures destinées à accroître l’efficacité du travail sont justifiées, notamment auprès des personnels, par le souci du bien commun des usagers » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 403).

7 L’entreprise publique est donc, tout d’abord, liée au monde civique en ce qu’elle concerne non pas des personnes, mais des collectifs (les principes d’égalité des citoyens ou des travailleurs, la référence systématique aux règlements et procédures, etc.). Elle est ensuite liée au monde industriel en ce qu’elle est tenue, pour accomplir sa mission, de « prendre appui sur un grand nombre de dispositifs techniques, d’ordres très différents, dont la mise en œuvre repose sur la détention d’une compétence spécifique et dont l’évaluation fait appel à un principe de légitimité industrielle » (ibid., p. 404). Elle se doit de servir le client « dans les meilleurs délais » en leur procurant un « service de qualité » et a pu s’appuyer très longtemps sur une infrastructure technique et des budgets suffisants pour lui permettre d’innover.

8 Cette efficience productive et sociale de Technico était assurée par une organisation strictement bureaucratique [4]. Technico était ainsi départementalisée selon les fonctions que remplissaient les différents acteurs au sein de l’entreprise, les liaisons entre unités de cette structure étaient formalisées et basées sur une planification forte des activités. L’entreprise publique constituait surtout un univers stable d’où était exclue la surprise. Cette même rigueur et cette même prévisibilité réglementaient strictement la progression statutaire des agents. Les promotions s’inscrivaient dans des procédures prescrites qui ne permettaient pas à n’importe qui d’aller n’importe où, n’importe quand, mais créaient un ordre et une certaine stabilité d’ensemble.

Technico, société modernisée

9 La Commission européenne adopta, en 1991, une directive prévoyant la dérégularisation et la démonopolisation totale de ce marché, cette directive devant être d’application pour 1998. Dans le cas de Technico, les nouveaux décideurs ont opté pour une perspective radicale du changement. Ils proposent explicitement une transformation profonde des règles et de « l’image d’un service public archaïque, bureaucratique et dysfonctionnant » pour « redonner au client la confiance dans nos produits et notre technologie » [5]. Le changement introduit par la privatisation dans l’équilibre du compromis ancien entre les mondes civiques et industriels se caractérise par la substitution radicale de principes marchands aux principes civiques, principes dont Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) marquent – de façon singulière [6] – la difficulté qu’ils éprouvent à identifier des compromis.

10 Cette difficile – voire impossible – cohabitation marque, d’un point de vue sociologique, le point d’angle de la création de l’espace en rupture qui nous préoccupe ici. En introduisant avec force, dans le discours et les pratiques, des principes de performance économique, de service aux clients[7] (et non plus aux usagers) et de concurrence [8], c’est l’objet social tout entier, ce qu’il représentait pour les travailleurs et ce qu’il leur permettait d’espérer qui se trouvent mis en tension.

11 Le changement mène plus précisément à l’établissement d’un compromis nouveau entre les principes du monde marchand et du monde industriel en ce que « au cœur même de l’entreprise est la nécessité de frayer un compromis entre un ordre réglé par le marché et un ordre fondé sur l’efficacité » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 405). Cela s’est traduit concrètement au travers d’une réorganisation de la structure ancienne en unités plus flexibles : la pyramide hiérarchique laisse place à un ensemble de services regroupés en entités régionales spécialisées bouleversant le fonctionnement hiérarchique ancien et les repères qu’il procurait, d’une part, et créant avec la disparition de niveaux intermédiaires, un espace accru entre les différentes strates du pouvoir, d’autre part. La volonté des décideurs et des protagonistes du changement était bien de greffer à un mode de gestion bureaucratique accusé de tous les maux (mais conservé essentiellement aux niveaux inférieurs), un mode de gestion basé sur l’idée de compétitivité[9].

12 Au niveau ressources humaines, la nouvelle direction décida d’un plan de restructuration qualifié d’« ambitieux ». Ce plan devait permettre de « mieux utiliser les ressources humaines disponibles, […] d’aligner les besoins de personnel sur les réalités du marché via les départs volontaires anticipés et la reconversion » [10]. En termes quantitatifs, le but du second plan était de réduire les 25 000 travailleurs de l’ex-monopole à un chiffre d’environ 20 000 travailleurs qu’il faudrait encore repositionner dans les nouvelles unités. 6300 travailleurs ont, en fait, accepté la proposition de départ anticipé et ont quitté l’entreprise par voie de démissions négociées (primes, aide au replacement…) ou, plus généralement, de préretraites. Les autres étaient invités à se porter candidats au replacement qui devait leur proposer un service « correspondant à leur domaine de compétence, de manière à répondre aux besoins de la clientèle [11] ». 6600 travailleurs ont participé au processus de reconversion [12].

13 Le succès de ce second plan et ses prétentions firent grand bruit dans les médias et la presse managériale, qui en firent un exemple en matière de reclassement. Plusieurs enquêtes ont par ailleurs montré la satisfaction de nombreux travailleurs (généralement qualifiés) concernant ce plan. Pour eux, c’était « passer d’un système où leurs compétences, leur dynamisme au travail et leur motivation n’étaient guère récompensés à un système où ils se voyaient davantage valorisés tant financièrement que statutairement [13] ». Du point de vue des gestionnaires et responsables que nous avons rencontrés, la genèse de Technico sur les bases de l’ancien monopole était donc un succès tant économique qu’humain.

Technico, espace de crise – le cas data

14 Le service que nous avons suivi pendant plus d’une année ne partage pas ce bilan euphorique et nous avons l’assurance qu’il ne constitue pas une exception. Constitué dans le cadre du second plan, le service data a ainsi connu d’emblée un taux d’absentéisme record atteignant 35 à 40 % dès les premiers mois. Il finira par se résorber significativement quelque trois années plus tard.

15 Pour nous, cette manifestation de retrait traduisait en fait le vécu angoissé du déplacement des principes de justice et des épreuves y correspondant. Dans ce cadre, nous nous attacherons à rendre compte de l’état d’incertitude et de perte de pouvoir des relais traditionnels à l’égard de la nature contrainte du changement. Enfin, à partir des concepts d’identité et d’étayage, nous montrerons en quoi ces différents éléments ont bien constitué des facteurs générant la crise au sein du groupe data.

Épreuve et disqualification

16 La notion d’épreuve peut être définie autour des deux significations majeures. « La première signification a trait à l’évaluation : l’épreuve permet de juger la valeur d’une chose ou d’une personne et de lui conférer une place dans un classement. […] La deuxième signification est d’ordre plus existentiel : on peut dire que la souffrance ou l’adversité, comme les obstacles rencontrés dans le cours de l’activité de travail, représentent une certaine mise à l’épreuve de soi » (Périlleux, 2001, p. 51).

17 Dans la nouvelle Technico, la « grandeur » n’est plus mesurée selon l’aptitude à se conformer à des instructions réglementaires et légales aux fins de favoriser la production d’un service spécifique à la société. Il s’agit désormais de « faire la preuve » de sa rentabilité dans le cadre d’une production « d’objets vendables ayant une position de force sur le marché » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 224-225) à destination de « clients » ayant les moyens de payer. C’est de cette manière que le changement tel qu’il se caractérise tend à déqualifier les travailleurs les moins aptes à satisfaire l’exigence d’efficacité économique que sont, entre autres – et, pour certains, à leur corps défendant – les travailleurs statutaires, ces « ouvriers privilégiés » qui pouvaient justifier leur place dans l’ancien compromis et qui doivent ici leur présence, d’une part, aux acquis des négociations syndicales qui ont obtenu le maintien de leur statut et, d’autre part, à la nécessité d’exécuter des tâches de bas niveau où ils se verront maintenus.

18 Les membres du groupe data se sont vus, au regard des critères nouveaux, attribué un « état de petit » qu’ils éprouveront comme tel et qui s’illustre au travers de situations concrètes telles que : le rétrécissement annoncé des possibilités en matière de mobilité et de progression, l’individualisation et le contrôle strict de leur poste de travail, le peu de poids attribué à leur parole, leur isolement en matière d’information, leur éloignement des lieux de décision, etc.

Incertitude, perte de pouvoir des relais traditionnels et contrainte

19 L’annonce des restructurations, ses premières applications et la rapidité même du changement furent également une source importante d’incertitude dans un espace qui n’y était pas coutumier. Les travailleurs ignoraient qui allait vraiment être concerné et dans quelle mesure, alors que les rouages traditionnels de communication se sont enrayés par les multiples réorganisations fonctionnelles : les chefs et délégués syndicaux ont ainsi été forcés de constater que, dans le nouvel espace en élaboration, leur rôle se transformait tandis que l’importance qu’ils avaient en termes de relais du pouvoir tendait à s’affaiblir de même que la zone d’incertitude (Crozier et Friedberg, 1977) informationnelle sur laquelle ils fondaient leur propre pouvoir.

20 Forcés de quitter leurs unités vouées à la disparition, le récit de nos interlocuteurs commence généralement par un événement radical : les conséquences du plan de restructuration se traduisent en une rupture avec une activité quotidienne et intégrée, avec des personnes dont ils avaient pu apprécier la valeur avec le temps [14] et avec lesquelles ils avaient pu établir des relations de confiance. Au mépris des expertises implicites et locales ou, tout simplement, de leurs goûts, les acteurs du changement proposèrent une brève reconversion qui mènera la plupart à quitter une occupation connue et maîtrisée pour se retrouver opérateurs sur un système informatique inconnu. Certains n’avaient même jamais utilisé d’ordinateurs. Ceux qui avaient l’habitude du grand air comme ceux qui se plaisaient dans la diversité des tâches se retrouvent dans un emploi routinier, entièrement informatisé et ne favorisant aucunement la communication.

21 La question du choix (ou de l’absence de choix) apparaîtra ici comme déterminante. Elle cristallise ce sentiment d’injustice, celui d’avoir été sanctionné sans raison, sans avoir l’occasion de se justifier. Le sentiment d’un déclassement et d’un mépris à leur égard s’accentuera par cette conviction tenace que les promesses faites à l’annonce du plan de restructuration ne seront pas tenues.

Crise et identité

22 Les liens que tisse le sujet et au centre desquels (ou par rapport auxquels) il se situe, le renvoient à des groupes, des organisations ou des institutions. Ces lieux et tout particulièrement le groupe [15] sont, pour l’individu, les espaces privilégiés de l’élaboration nécessaire de son identité et de ses projets [16]. Ces unités sociales (groupes, organisations, institutions) « fournissent des contenants, des étais plus ou moins solides à partir desquels il peut se sécuriser, se différencier » (Barus-Michel et Giust-Desprairies, 1997, p. 276).

23 En notant l’importance des étais et des liens signifiants dans le processus de construction du sens et de l’identité, nous constatons en même temps le talon d’Achille du sujet : il réside dans sa sensibilité aux changements signifiants liée à son incapacité à maintenir malgré tout les étais qui soutiennent son travail identitaire et sa connaissance du monde. Et c’est de cette manière que l’intervention d’un changement d’ampleur dans cette conjonction de dépendance et d’instabilité risque de porter atteinte gravement à cette dynamique de groupe et aux sujets. René Kaës note ainsi que si « la qualité de l’étayage en “appui mutuel” [17] dépend de l’existence d’un espace psychique dans lequel peut se conclure un contrat d’étayage [entendant par là] le rapport de réciprocité dans le plaisir et le bénéfice de l’appui mutuel » et compte tenu des implications narcissiques aisément repérables de ce contrat : « on peut déduire […] qu’une perturbation psychique grave se produit lorsque vient à manquer irrémédiablement un étayage nécessaire à la formation du psychisme, sans qu’il soit possible de reconstituer dans un jeu de vicariance prophétique les étais indispensables à la vie ; ou bien lorsqu’une défaillance des étais se produit (désétayage) ; ou bien lorsque s’abolit l’espace de l’étayage, provoquant une sorte de suture de l’étai et de la formation psychique » (Kaës, 1979, p. 10-11).

24 Dans ce cadre, tous les liens n’ont pas la même signifiance et nombre d’auteurs notent combien « dans le modèle de la société salariale le lien au travail s’est constitué comme cadre fort pour la construction identitaire » (Barus-Michel et Giust-Desprairies, 1997, p. 284). Et c’est à ce titre que l’espace de changement qu’est data constitue pour ces individus un espace de crise[18].

Les destins de la rupture. Conditions et composantes du dépassement

25 Notre observation s’initie lorsque le service se réorganise peu à peu, lorsque les groupes de travail se créent et que l’activité reprend. Les tensions des premières heures semblent retombées et, aujourd’hui, seule une certaine rancœur et la méfiance de la hiérarchie persistent. Comme au terme de toute crise, « la dynamique des relations de pouvoir a retrouvé sa circularité ayant intégré le changement. […] Le personnel est résigné au changement » (Barus-Michel et al., 1991, p. 90-91).

26 « Être ensemble » semble être une nécessité au même titre que « travailler dans ce service ». C’est en même temps une contrainte que beaucoup trouvent illégitime ou viciée : le collectif de travail n’est plus un appui, mais le reflet d’une situation personnelle pénible. Comment comprendre la stabilisation du service ? Quelles recompositions ont dû être effectuées par les sujets ou par le groupe pour venir à bout de la crise ? Comment les individus ont-ils été éprouvés ?

27 On ne peut ici s’adosser à aucune intervention précise de Technico dans le sens d’une gestion de la crise. Les décideurs de l’entreprise semblent s’être contentés de jouer un rôle passif (acceptation des congés maladie, etc.) en maintenant le cap qu’ils s’étaient fixé dans leur processus de transformation. De plus, la crise ayant disqualifié le groupe comme espace de référence et ayant généré rivalités, tensions et méfiance croisée, la solution est sans doute à chercher du côté des sujets. Nous avons donc cherché à comprendre comment, placé dans cet « intervalle entre une perte assurée et une acquisition incertaine » (Kaës, 1979, p. 23) et devant l’urgence du dépassement de la crise ce sujet a été engagé dans un processus de changement individuel (un « processus de rupture ») qui s’est superposé au processus de modernisation.

28 En nous inspirant du schéma de crise exposé par Jacqueline Barus-Michel et al., nous tenterons de mettre en évidence, les étapes de cette transposition progressive d’un changement contextuel brutal (social, organisationnel, etc.) en changement personnel. Pour rappel, les auteurs proposent de considérer la crise comme inscrite dans une histoire définissant un « avant », un « pendant » et un « après », phases qui se retrouvent aisément dans le récit du groupe data. Nous repartirons ainsi de l’idée d’un événement déclencheur pour observer ensuite la phase de crise individuelle telle qu’elle peut se manifester sous des ampleurs diverses au niveau subjectif. Nous tâcherons également de nuancer cette idée de « résignation » et rendrons au sujet sa part d’autonomie en nous interrogeant sur les conditions et composantes du dépassement et sur les différentes formes qu’il a pu prendre dans le cas du data[19].

L’événement-rupture

29 D’un point de vue biographique et général, « l’événement renvoie à une variation dans le réel, à une sorte de “bougé” élémentaire du réel. […] L’événement ainsi conçu serait ce qui viendrait introduire une discontinuité, comme une déchirure dans le tissu du réel, dans la trame paisible, régulière des choses. » (Legrand, 1993, p. 130). Mais, à côté de cette acception large, il faut poser, ajoutait Morin, un sens restreint et concentré : est événement, ce qui est « improbable, singulier, accidentel » (Morin, 1982, p. 147) [20].

30 L’événement que constitue la modernisation pour chacun de nos interlocuteurs et qui précipitera le service data dans la crise est donc également, au niveau de l’individu, ce qui marque l’interruption d’une continuité dans un récit sur soi et sur le monde. Tout concourt en effet, pour les travailleurs du data, à déployer la nature événementielle du changement et à précipiter les individus dans un espace en rupture. Pour les uns, c’est la dissolution de leur service et la mobilité forcée, pour d’autres il s’agit davantage de souligner la violence ressentie au cours des entretiens de reclassement… C’est ainsi que certains faits significatifs liés au processus de modernisation deviendront, dans le fil de certaines trajectoires, des événements biographiques précis qui constitueront une charnière entre des dimensions organisationnelles et subjectives du changement.

Crise personnelle : désétayage et reconstruction

31 Parce que l’individu voit se dérober, au travers d’événements précis, les ressources externes nécessaires et désirées pour accomplir son travail identitaire, parce que son projet de vie est compromis significativement et que les moyens de renouer avec lui n’apparaissent pas clairement, l’irruption de la crise et de l’angoisse va mettre en cause l’ensemble du système tissé entre l’individu et son environnement [21].

32 Au cœur du processus de rupture, d’autres dimensions sont ainsi réévaluées ou menacées au regard des changements survenus. Les auteurs de La lutte des places (Gaulejac et Taboada-Léonetti, 1994) ont illustré cette spirale dépressive et destructrice qui, au départ d’un événement-rupture singulier (divorce, perte d’emploi, etc.), précipite la totalité de l’espace d’étayage du sujet dans le désarroi. Ils parlent de ce processus comme d’un « engrenage irrésistible », un « enchaînement des ruptures, de leur contagion » au point que l’individu devient vulnérable à d’autres ruptures quand ce n’est pas lui-même qui les provoque » (Gaulejac et Taboada-Léonetti 1994, p. 118).

33 La rupture du projet existentiel est donc à l’entame d’un processus qui dépasse le cadre strict défini par l’événement qui la signifie mais pousse aussi le sujet à entamer une quête pour renouer ce qui a été défait. Cette phase est caractérisée par la nature ambivalente des remaniements psychiques qui s’y opèrent. Il s’agit, d’une part, d’un processus destructeur acté par les manifestations de désarroi, par une incapacité pour l’individu de jouer le jeu, de « maintenir le cap » et, plus généralement, de se soumettre aux termes des nouvelles épreuves. Il s’agit, d’autre part, et en même temps, d’une phase d’innovation possible, de quête, de recherche d’appuis et de ressources susceptibles de lui permettre de dépasser l’angoisse et de renouer les liens du sens. Une crise personnelle est donc un espace-temps où se lient et se délient des objets, où les questions posées par l’événement invitent le sujet à une démarche collective – quand cela est possible – ou individuelle. C’est là également qu’interagissent et se relient les différents lieux de l’existence – désarticulés par l’ampleur de la perte – dans la quête des ressources nécessaires à la surmonter. L’existence même de l’individu nécessite de telles crises [22]. Les étapes de la croissance (et particulièrement le passage à l’adolescence), la scolarité, l’indépendance financière et l’accès à d’autres étapes significatives de l’existence exigent le dépassement d’une perte, d’une épreuve pour un progrès toujours incertain.

34 Dans l’espace organisationnel, le désarroi pourra ainsi se concrétiser à travers une série de comportements ambivalents. Les comportements de retrait – qu’ils s’exercent en groupe (grève, sabotage, etc.) ou de manière isolée (absentéisme, suicide, etc.) – peuvent donc être perçus, d’une part, comme un rejet de ce que cet événement déclencheur signifie ou une expression de désarroi et, d’autre part, comme la manifestation d’une quête de changement et d’harmonie. Quelle que soit la valence qu’acquerront ces événements pour les individus concernés, ils sont rejetés jusqu’à leur matérialisation, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils placent les sujets – pour un temps fût-il court – face à l’indétermination et à l’incapacité de prolonger d’un trait assuré la ligne qui les porte.

Du désarroi au changement personnel : typologie des réponses individuelles au changement

35 Les manifestations de retrait et de désengagement des agents, si elles ne sont pas tenables pour la survie du service, ne peuvent non plus constituer une solution à long terme pour lesindividus. Au constat d’un changement crisique devenu rupture au niveau subjectif doit donc succéder une réélaboration des étais pour, enfin, dépasser le changement et déboucher sur un positionnement subjectif stabilisé. S’il s’initie par la perte et la crise, c’est le dépassement qui est le terme du processus de rupture et qui constitue son but ultime : rompre pour soi avec ce qui est déjà perdu.

figure im1
Dans notre observation, les conditions de cette acceptation se sont révélées plus contrastées que ce que le récit de groupe laissait apparaître. Les dimensions existentielles des projets singuliers et de leur adaptation apparaissent, en effet, criantes lorsque le sujet devient le centre des observations. Afin de réduire cette diversité et de favoriser l’opérationnalisation et la systématisation du processus de rupture, nous avons élaboré, sur base des entretiens biographiques recueillis, une typologie des réponses individuelles au changement[23].
Celle-ci se structure à partir de deux dimensions visant à qualifier l’état du changement personnel dans ce cadre organisationnel [24]. La première propriété évalue la signifiance du travail pour le sujet, à savoir la présence d’étais suffisants au sein de la situation transformée. Seule la stabilité du système est interrogée sans considérer sa nature ni sa signification : Comment l’individu se sent-il aujourd’hui dans son travail ? Y a-t-il retrouvé sa place ? Est-il parvenu à intégrer ce qui a changé, à le situer par rapport à l’ensemble de son être et par rapport à son projet existentiel ? Le travail fait-il à nouveau sens ? La seconde propriété s’intéresse à la signification du travail, c’est-à-dire qu’elle interroge l’implication du sujet dans la conservation et la consolidation de ces étais. Comment conçoit-il son engagement par rapport au service data ? Le travail est-il perçu comme essentiel dans le projet existentiel ? Est-il pour lui source d’implication ? Souhaite-t-il œuvrer à la construction de ce lien ou à sa consolidation ?
Le croisement de ces deux propriétés laisse apparaître quatre types de positionnements par rapport au changement signifiant, quatre destins possibles de la rupture. Nous les avons baptisés : investissement souffrant, retrait effectif, retrait instrumental et engagement stratégique[25].
Les entretiens et l’analyse organisationnelle que nous avons exposée en première partie de ce texte mettent en évidence deux composantes explicatives des bifurcations opérées par les individus au sein de cette typologie. Nous en avons abondamment parlé, mais les opportunités offertes par l’environnement vont se révéler décisives pour définir l’éventail des possibles dans lequel chaque individu pourra se mouvoir. Mais cette première donnée ne peut être considérée comme suffisante à expliquer la diversité des destins possibles de la rupture, ni la prégnance d’un type dans une situation telle que celle du service data. Il faut encore la mettre en interaction avec les opportunités mises à disposition par le parcours biographique de chaque individu. En fonction de l’accessibilité de ces ressources, de la densité et surtout de la diversité des lieux où les puiser (et donc de la valeur relative de ce qui a été perdu), cette phase de dépassement peut donc survenir à différents moments et prendre différentes formes.

Engagement stratégique

36 Le changement peut correspondre aux souhaits manifestes ou inconscients du projet existentiel élaboré par l’individu mais aussi à une évolution correspondante des attentes ou de la situation du sujet. Peut-être ce projet était-il même entravé par l’état ancien du système ? Ce premier type concerne ainsi les sujets qui, au terme du processus, ont trouvé sens aux changements et qui considèrent ceux-ci comme une source d’engagement : soit parce qu’ils n’ont pas heurté le projet existentiel de façon significative, soit parce qu’ils apportent des opportunités nouvelles au sujet. Le changement peut, dans ce cas, intervenir comme une porte de sortie d’un système qui n’apportait pas toute satisfaction et porter avec lui la promesse d’une amélioration notable (que celle-ci soit d’ordre financier ou existentiel, d’ailleurs).

37 Le récit d’Irène semble correspondre à ce profil. Elle nous dit avoir été empêchée, pendant longtemps, de déployer pleinement son projet personnel. Ses options professionnelles comme son lieu de résidence ont été choisies pour elle par son mari et sa belle-famille. Le travail intervenait, dès lors, comme prédominant dans une stratégie de quête d’autonomie et de reconnaissance.

38 Pour elle, la direction des transformations de Technico ainsi que les circonstances particulières dans lesquelles elle se trouve se conjuguent dans ce sens. D’une part, l’ancien système ne permettait pas, par sa centralisation bureaucratique et son esprit même, une valorisation de la performance individuelle. D’autre part, il apparaît que ce changement intervient à un moment propice de son histoire personnelle. La précarisation financière de son mari (suite à un échec professionnel en tant qu’indépendant) lui permet d’inverser la polarité des dominations conjugales. Il lui est désormais possible d’intervenir significativement sur la marche du couple (son mari ayant retrouvé un emploi dans leur région s’occupe désormais des enfants, elle dispose d’une plus grande autonomie financière, etc.).

Retrait instrumental

39 Ce profil correspond au cas d’un sujet qui aurait pu donner sens au changement mais le vivrait comme une perte et comme un motif de désengagement. Un système d’étais nouveaux a été élaboré autour de l’objet anxiogène mais en le plaçant plus en retrait du projet existentiel ; il y est, dans certains cas, ramené à une dimension mineure. Au travers d’une réévaluation de son projet existentiel, le travail est compensé par d’autres dimensions et n’apparaît plus au sujet comme une activité centrale. Ménageant sa peine, il mesurera son effort au fil de sa rémunération.

40 Pour Philippe, le changement de Technico est regardé comme une source de mensonges et de trahisons. Le maintien du lien n’est cependant plus menacé : le travail n’est plus source d’angoisse (celle-ci a été réduite en même temps que l’importance de l’objet) mais reste néanmoins une source de revenus. S’il compte bien tout faire pour en respecter les termes, il ne semble pas question de dépasser le cadre strict de son contrat. Il a redéfini la relation sur le mode d’un « je ne vous dois rien et vous ne me devez rien ».

41 À nouveau, le parcours de Philippe peut expliquer l’orientation de ce choix. Il a une « expérience » du renoncement à travers les entraves que son handicap a placées devant lui [26]. Il a dû très tôt acquérir cette faculté d’intégrer la perte dans son existence et de la combler par un investissement dans la construction de son autonomie financière, intellectuelle et affective. Il a du trouver un sens à sa vie et élaborer son projet avec force bien avant de pouvoir se stabiliser dans un emploi [27]. Le changement est intervenu au moment où son projet familial et existentiel commence à se concrétiser. Il est marié et propriétaire d’un lieu ou exercer sa passion pour l’équitation. Assuré de la stabilité de son emploi et de la régularité de ses revenus, il n’attend donc rien d’autre de Technico.

Retrait effectif

42 Ce troisième type correspond à la situation d’un individu qui n’aurait pu reconstituer le lien avec ce qui a changé et qui préfère rompre avec l’objet anxiogène (soit parce qu’il pense que sa transformation ne peut lui permettre de l’intégrer au projet existentiel, soit parce qu’il s’en croit incapable). Dans le cadre organisationnel, la rupture du lien à l’activité devient une rupture du lien à l’emploi tel qu’il est proposé dans l’espace transformé.

43 Pour des raisons de mobilité, d’attrait du travail et parce que, selon lui, certaines promesses n’ont pas été correctement tenues, Michel décide que l’investissement demandé pour travailler au sein du service data ne vaut pas le coup. Si son projet reste bien de faire, comme son père, « carrière » au sein de Technico, avec ce que cela implique de stabilité et de maintien des acquis, il n’admettra pas l’effort exigé et préférera poursuivre son chemin ailleurs dans la société, là où il l’aura décidé. Dans son cas, seul son déplacement au sein de data n’a pu être accepté et c’est cette contrainte à laquelle il a mis fin en obtenant, après plus d’un an de demandes répétées, sa mutation. Il reste cependant « attaché » à Technico.

44 D’autres situations, appartenant au même profil, sont plus marquées parce qu’elles renvoient à des cas de mobilité externe. Souvenons-nous que la base du second plan concernait une sollicitation au départ volontaire. De fait, chez Technico, plusieurs centaines de travailleurs plus âgés ont fait ce choix. Ceux que nous avons rencontrés ont d’emblée affirmé « qu’il s’agissait d’une opportunité qu’ils ne pouvaient que saisir » (opportunité d’une prime et d’une pension honorable, par exemple). Enfin, certains suicides ou tentatives d’attenter à ses jours (comme formes radicales de ce retrait) nous donnent une idée de l’ampleur que peut prendre cette épreuve.

L’investissement souffrant

45 Ce dernier type correspond à l’état d’un individu dont les étais restent insuffisants mais qui s’investit passionnément dans leur restauration. Il se distingue des trois autres par la persistance de l’instabilité qui caractérise les sujets qui y sont emprisonnés et correspond, au niveau subjectif, à la persistance d’un état régressif ou, en quelque sorte, à une position antérieure aux autres types : aucune réponse n’a été apportée, aucun choix d’engagement stratégique ou de retrait n’a été fait. S’il occupe une place centrale dans le processus de rupture – parce qu’il amène la nécessité angoissée de l’intégration du changement et constitue donc le moteur du changement personnel – cet état, marqué par le désordre et le désarroi est généralement temporaire. Pour certains, il peut même être très bref (comme dans le cas d’Irène). C’est juste le temps « d’accuser le coup », juste le temps de « retrouver ses marques » ou de « retomber sur ses pattes ». Mais nous avons également constaté que cet état pouvait, effectivement, plus ou moins s’installer dans la durée.

46 Le cas de France nous a permis d’observer que le maintien de cet état peut être expliqué par la mise en tension d’éléments hétérogènes et inconciliables. D’un côté, France ne souhaite pas perdre son emploi, elle n’en a pas les moyens ; ensuite, aucune porte de sortie ne lui est offerte par Technico (elle est trop jeune pour la pension anticipée et trop âgée pour être licenciée dans de « bonnes conditions ») ; enfin, comme tous les autres, elle ne dispose d’aucune qualification valorisable sur le marché du travail. Mais elle prétend également ne disposer d’aucun endroit où elle puisse trouver la sérénité : vie familiale, vie affective, relations avec sa fille… tout est interprété sur le mode de l’échec et la répétition de schémas biographiques lui venant de son enfance.

47 Elle ne parvient pas à intégrer la donnée du changement. Isolée et insuffisamment préparée (à cause de ses nombreuses absences), elle ne dispose que de peu de ressources informationnelles. Elle éprouve, dès lors, de grandes difficultés à intégrer les nouvelles procédures et à apprendre les nouvelles façons de faire. Elle tente de faire ce travail seule mais échoue malgré la sollicitude de certains collègues qui se lassent les uns après les autres de ses dépressions répétées, de ses crises d’angoisse qui les rappellent à de moins bons moments. Constamment à bout de nerfs, isolée dans cette épreuve dans laquelle elle était entrée dans un état de fragilité psychique, elle se réfugie dans des solutions temporaires telles que l’alcool, et l’automédication sauvage qui entravent, par ailleurs, sa progression vers une situation plus stable. Des tentatives de suicide témoignent de l’insoutenable de la situation dont elle ne perçoit pas l’issue.

Conclusions et perspectives : du changement singulier au changement social

48 Au niveau des transformation subjectives, nous devons, tout d’abord, revenir sur les conséquences de la radicalité d’un changement qui a affecté durement – tant au niveau de son organisation que des groupes qui la constituait – un système fortement stabilisé et ancré sur la régularité (organisation bureaucratique). Ceci s’est traduit par un ensemble de sentiments forts (tels que le sentiment de mépris, le sentiment d’injustice) précipitant les individus et le lien qui les maintenait à leur activité dans l’incertitude. Le processus ici décrit s’enclenche donc autour de l’idée d’une perte qui intervient de façon variable dans les trajectoires singulières en fonction des projets de chacun. Mais tous sont ébranlés et tous sont soumis à la contrainte de se redéfinir dans un monde qui dément les valeurs passées.

49 Le cas du service data nous montre combien une décision lointaine peut transformer de manière radicale le quotidien de travail d’un ensemble de sujets socialement identifiables pour y insinuer l’incertitude, le désarroi et la crise. Mais, à l’inverse, l’analyse des dimensions subjectives du changement permet d’éclairer certaines dimensions d’un changement organisationnel et du contexte social spécifique dans lequel il se situe. Ainsi, si le service data semble aujourd’hui considéré comme « sans problèmes », il y a lieu d’interroger cette normalité et cette sérénité retrouvées, tant au niveau organisationnel que social.

50 Une application de la typologie à l’ensemble de membres de ce groupe montre, en effet, que celui-ci est composé essentiellement d’individus ayant opté pour le retrait instrumental. En quelque sorte, la plainte s’est éteinte avec la passion plutôt que de se muer en critique. Au niveau organisationnel, cela signifie certes la reprise de l’activité mais pas la performance ou le partage d’un projet commun. Le désarroi est, au contraire pour cette population, devenu désinvestissement d’un espace de construction essentiel et des relations de solidarité qui s’y nouaient au risque d’y abandonner les plus faibles.

51 D’un point de vue plus général, cette analyse nous interroge et nous éclaire sur la condition des travailleurs peu qualifiés soumis à l’épreuve de la modernisation et de la déqualification. Pour de nombreux travailleurs peu qualifiés mais encore à la recherche d’un emploi et d’une sécurité, Technico, en renonçant à sa mission sociale, ne peut plus constituer un rempart efficace contre la précarité. Elle ne constitue plus, ou moins, une alternative aux projets d’ascension sociale ou de stabilité des plus démunis, des plus précaires ou des moins préparés à affronter une société toujours plus orientée par l’idéologie gestionnaire.

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Mots-clés éditeurs : changement organisationnel, travailleurs peu qualifiés, rupture et crise, modernisation

https://doi.org/10.3917/cnx.084.0191

Notes

  • [1]
    Nous parlerons ici uniquement de la situation belge, similaire à d’autres cas de privatisation ayant eu lieu en Europe occidentale depuis le milieu des années 1990.
  • [2]
    « Par entreprise publique, il faut entendre tout organisme public, c’est-à-dire tout organisme dont les pouvoirs publics sont maîtres de fixer, de modifier à tout moment les statuts et de les supprimer ; peu importe que cet organisme ait ou non une personnalité juridique distincte du pouvoir créateur ; peu importe la forme juridique que revêt cet organisme à condition qu’il ait une activité d’ordre économique » (Buttgenbach, 1981, p. 367).
  • [3]
    La notion de monde développée par ces auteurs entre dans le projet « d’élaborer une théorie de l’accord et du désaccord qui ne soit pas simplement une théorie des arguments confrontés à des principes, mais qui rende compte de l’affrontement avec des circonstances, avec une réalité, c’est-à-dire de l’engagement, dans une action, d’êtres humains et d’objets » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 163). Chaque monde est donc composé d’objets et d’êtres spécifiques ordonnés par un ensemble de principes qui en définissent la position et la « grandeur » dans des situations particulières.
  • [4]
    Qui « se caractérise principalement par une pyramide hiérarchique développée, une division parcellisée, une réglementation écrite omniprésente, une grande importance accordée aux experts et aux techniciens, des contrôles très élaborés, une communication difficile entre les paliers, une centralisation du pouvoir, une autonomie relativement faible pour les paliers inférieurs, un droit d’expression très limité et une éthique du bien commun » (Chanlat, 1999, p. 39).
  • [5]
    Conférence de presse, mars 1998, Bruxelles. Le slogan de la campagne de privatisation de Technico était : « Le changement dans la rupture ».
  • [6]
    Ils s’en tiennent à cette remarque succincte : « dans l’ouvrage examiné, aucun compromis entre ces deux grandeurs n’a été rencontré » (Boltanski et Thévenot, 1991, p. 396).
  • [7]
    Il y a là redéfinition, non seulement des personnes, mais aussi des objets : « les objets grands sont des biens vendables ayant une position de force sur un marché » (ibid., p. 244-245).
  • [8]
    « Dans le monde marchand, les actions sont mues par les désirs des individus [et non plus les besoins des collectifs], qui les poussent à posséder les mêmes objets, des biens rares dont la propriété est aliénable. La caractérisation de ce monde par la dignité des personnes, toutes également mues par des désirs, et par l’appareillage d’objets adéquats enferme déjà le principe de coordination, la concurrence, qui peut être explicité dans les justifications auxquelles donnent lieu les épreuves » (ibid., p. 244).
  • [9]
    Jean-François Chanlat regroupe sous ce terme les nouvelles pratiques managériales qui se sont répandues depuis le début des années 1980 au nom de la compétitivité. « Il est fondé sur l’idée de faire mieux que les concurrents (nationaux et internationaux), il met l’accent sur le primat de la réussite, la survalorisation de l’action, l’obligation d’être fort, l’adaptabilité permanente, la mobilité, la canalisation de l’énergie individuelle dans les activités collectives, et le défi permanent » (Chanlat, 1999, p. 39).
  • [10]
    Rapport interne d’évaluation de Technico, juin 2000.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Les psychologues du plan de reconversion n’ont, pour rappel, pas jugé utile de conserver les groupes de travail et ont privilégié une approche individuelle des dossiers.
  • [15]
    Au départ d’une étude des groupes, René Kaës (1979) élabore cette articulation entre l’intrapsychique (le système individu), d’une part, le groupal et l’institutionnel, d’autre part à travers la notion d’intermédiaire. Celle-ci est définie par trois caractères : il est, tout d’abord, une instance de communication, une médiation ou un rapprochement entre le maintenu-séparé ; il est, ensuite, une instance d’articulation de la différence, un lieu de symbolisation ; il est, enfin, une instance de conflictualisation.
  • [16]
    Cette notion de projet renvoie à la philosophie et à la sociologie existentialiste (e.a. Sartre, 1970 ; Pauchant et al., 1995). Elle part de l’idée que l’homme « n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait ». De là, Jean-Paul Sartre développe l’idée que « l’homme existe d’abord, c’est-à-dire que l’homme est d’abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir. L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être » (Sartre, 1970, p. 22-23).
  • [17]
    C’est-à-dire que « ce qui s’appuie est en mesure de servir à son tour d’appui à ce qui le soutient », comme dans l’exemple des couples mère-nourisson ou leader-groupe (ibid., p. 10).
  • [18]
    Jacqueline Barus-Michel, Florence Giust-Desprairies et Luc Ridel, dans le cadre de leur ouvrage consacré à ce phénomène, définissent ainsi la crise comme : un processus de déconstruction affectant un ensemble social « dans ses interdépendances internes, externes et dans sa praxis : autrement dit, les liens qui maintiennent une cohésion entre ses différentes composantes (institutionnelles, fonctionnelles et individuelles), dans ses rapports à son environnement proche (institutions d’appartenance, réseaux d’échanges) et lointains (contexte socio-économique), ainsi que ses modes d’action et d’utilisation des résultats » (Barus-Michel et al., 1996, p. 69). Dès lors, on peut penser la crise « comme un échec de la structuration que le pouvoir est censé opérer, une défection dans les transformations entre les différentes composantes qu’il régule » (ibid., p. 70).
  • [19]
    Nous nous appuierons, dans cette partie, sur le matériel recueilli au cours d’une dizaine d’entretiens biographiques approfondis (deux à trois séances de deux heures chacune). Pour un développement complet et précis sur la méthode de l’entretien biographique, cf. M. Legrand (1993), L’entretien biographique, Paris, Hommes et perspectives.
  • [20]
    Dans son étude de la nature événementielle du travail contemporain, Philippe Zarifian conçoit également que « l’événement n’est pas un atome de mouvement. L’événement est une discontinuité dans un récit. L’événement ne dit pas au départ autre chose que ceci : il advient dans le réel, quelque chose qui est en rupture avec le déroulement régulier des phénomènes et auquel nous accordons de l’importance » (Zarifian, 1995, p. 22).
  • [21]
    La crise proprement dite est cette phase dans laquelle il y a « rupture, dissolution et morcellement des unités où chacun trouvait identité, reconnaissance et sens. L’organisation symbolique éclate, les idéaux qui y étaient placés tournent à vide, engendrant sentiment d’abandon, régression et désarroi » (Barus-Michel et al., 1996, p. 89).
  • [22]
    « Exister requiert la coupure du lien [à la mère]. […] La présence et la présentation le l’enfant au monde va de pair avec l’absence du nouveau-né hors de la mère » (Kaës 1979, p. 25).
  • [23]
    Pour une élaboration plus complète d’une épistémologie du concept de typologie cf. Piaser (1994), Epistémologie de la méthode. Voir et faire la sociologie autrement, Paris, Vrin, p. 117-118.
  • [24]
    Comme nous l’avons dit, il est évident que, si nous ne parlons ici que du lien au travail, l’ensemble de l’étayage psychique de l’individu est en fait concerné. Il jouera tout d’abord un rôle dans l’orientation de la décision qui sera prise par l’individu. C’est par rapport à lui que « l’essentialité » du travail au sein du service data sera considérée. Il sera ensuite mobilisé dans l’effort. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir ce que l’on veut, encore faut-il y parvenir et, à ce titre, l’ancrage social et affectif sera d’une grande importance. C’est à ce titre que l’approche biographique est d’une aide précieuse. Elle permet d’interconnecter ces dimensions différentes de l’existence tout en y replaçant la question du changement et de sa progression.
  • [25]
    Nous présenterons ceux-ci davantage comme des types-idéaux, c’est-à-dire des constructions fictives pouvant recouvrir des réalités singulières sensiblement différentes. Les quatre pôles de la typologie sont bien des tendances à considérer relativement aux autres avec, dans la même trajectoire, des possibilités de basculement d’un type à l’autre, par exemple. Il n’y a donc pas lieu d’enfermer les sujets dans l’une ou l’autre case mais bien de se doter d’un outil pour rendre compte des bifurcations et de l’articulation des motifs sociologiques et biographiques qui les déterminent.
  • [26]
    Philippe est handicapé de naissance à la suite d’une maladie génétique affectant sa mobilité.
  • [27]
    Son projet est explicitement centré autour du dépassement du handicap par la constitution d’une famille saine et l’exercice d’une passion équestre.
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