Couverture de CNMI_192

Article de revue

Activation de la résilience chez des enfants placés, du point de vue des professionnels des services de protection de l’enfance de l’Ontario, Canada

Pages 27 à 50

Notes

  • [1]
    Selon une étude menée en 2011, intitulée : « Violence et négligence envers les enfants », publiée par le Portail Canadien de la recherche en protection de l’enfance.
  • [2]
    Cette étude a obtenu une autorisation éthique du Comité d’éthique de la recherche en arts et en sciences, Faculté des arts et des sciences de l’université de Montréal.

Introduction

1Cette étude s’intéresse au processus d’activation de la résilience par l’activité professionnelle de tuteurs de résilience, soit des adultes significatifs dans la trajectoire de vie d’enfants particulièrement éprouvés par les difficultés de la vie. La résilience est entendue ici comme le fait pour un enfant ayant vécu dans des contextes d’adversité et de stress élevé de se remettre à vivre, le plus normalement possible, avec le moins de conséquences négatives possibles (Cyrulnik, 2009). Cette recherche prolonge les études soutenant un changement de perspective en psychopathologie et suggérant un changement de regard sur le devenir des enfants maltraités. Classiquement, plusieurs études se sont focalisées sur la mobilisation des ressources adaptatives de l’enfant face au traumatisme de la maltraitance (Cyrulnik, 1999 ; Manciaux, 2000 ; Lemay, 2000). En tenant compte de ces facteurs, ce courant de pensée cherche à augmenter la résilience des enfants, pour boucler ainsi le cycle de gestion de la maltraitance par un retour à la prévention et à l’adaptation. Toutefois, ces travaux s’arrêtent généralement aux facteurs de résilience chez l’enfant suite à l’exposition à la maltraitance, et n’examinent pas le processus par lequel la résilience s’active. L’étude du processus d’activation de la résilience dans la période critique de crise constitue une priorité pour concevoir une intervention plus adéquate dans ces situations difficiles (Powley, 2009). Concrètement, cette recherche vise à étendre les connaissances relatives à l’une des conditions essentielles de ce processus d’activation, soit la présence de tuteurs de résilience, des acteurs, ici professionnels, dont l’intervention a pour effet de soutenir les facteurs de résilience, plus encore de susciter leur activation.

2Notre conception de l’activation de la résilience par l’activité professionnelle de tuteurs de résilience ainsi que le cadre conceptuel sont présentés dans la première partie. La deuxième partie décrit la méthodologie de l’étude, alors que les résultats sont présentés dans la troisième partie. Enfin, la dernière partie comprend la discussion et la conclusion.

Le système de placement et la maltraitance infantile dans l’Ontario : cadre contextuel

3Pour bien comprendre le système de placement en Ontario, il est nécessaire de le placer dans le cadre contextuel mondial, fondé sur le respect des droits de l’enfant. Ces droits sont inscrits dans la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) des Nations Unies, adoptée et ratifiée en 1989 par la plupart des pays du monde, incluant le Canada. Ces pays acceptent de promouvoir et de respecter l’ensemble des droits inscrits dans cette convention.

4Partout dans le monde, il est essentiel de protéger les enfants contre les risques et les maltraitances, bien que cette tâche soit difficile et complexe. En Ontario où s’est déroulée cette étude, ce sont les Services d’aide à l’enfance (SAE) qui offrent ce filet de sécurité aux enfants qui subissent ou risquent de subir des mauvais traitements physiques, sexuels ou affectifs, de la négligence ou l’abandon.

5La protection des enfants, des jeunes et des familles vulnérables est au cœur du travail, de la mission et des valeurs de toutes les SAE de l’Ontario. Plus de 20 000 des 3,1 millions d’enfants de l’Ontario, confrontés à des situations de maltraitance, sont sous la garde des SAE. Cela signifie que tous les jours, 1 enfant sur 155 est pris en charge en Ontario, puisque sa sécurité ou son développement est compromis (OACAS, 2013). Un peu plus de 60 % des enfants pris en charge vivent dans des arrangements familiaux nouveaux pour eux, tels que la parenté ou des familles d’accueil. Le reste vit dans des foyers, des établissements de prise en charge ou de façon autonome.

6Des données provinciales récentes indiquent que le Canada compte l’un des taux de placement en famille d’accueil les plus élevés au monde (Trocmé, 2011) [1]. Les enfants sous la responsabilité des services de protection de l’enfance de l’Ontario dont il est question dans cette étude sont les enfants placés, c’est-à-dire une population d’enfants impliqués dans le dispositif de protection de l’enfance, repérés, observés, pris en charge, assistés et suivis sur une longue période ; ce faisant, ce sont les enfants dont la situation est la plus difficile qui retiennent l’attention de cette étude.

7Au Canada, on préconise une intervention fondée sur la sécurité de l’enfant. Ainsi, lorsqu’on juge que la sécurité d’un enfant est compromise, on retire celui-ci de son milieu familial. Cependant, avec le nombre actuel d’enfants pris en charge, il devient de plus en plus difficile de trouver des structures d’accueil de qualité d’un bout à l’autre du pays. Les parcours des enfants sont fréquemment faits de ruptures qui nuisent à l’efficacité du placement et au développement de l’enfant. Du point de vue de ce dernier, le placement est souvent une parenthèse dans la vie d’un enfant.

8Tout placement est obligatoirement précédé d’une évaluation examinant l’état de l’enfant, la situation de la famille et les aides mobilisables dans son environnement (OACAS, 2013). La décision de placement fixe la durée du retrait du contexte familial, retrait qui varie entre quelques jours et plusieurs années. Il peut être modifié et renouvelé à tout moment, à la demande des parents ou de la SAE. Quelle que soit sa durée, il implique de connaître systématiquement et intégralement le parcours des jeunes placés.

9Ces enfants sont donc hébergés en famille d’accueil ou en établissement selon des modalités variables. Les modes et les rythmes d’accueil ont été diversifiés par des dispositions nouvelles de la Loi sur les Services à l’Enfance et à la Famille (LSEF, 2017), afin de les rendre plus souples et plus adaptés aux besoins des enfants et de leur famille et ainsi limiter les changements et les ruptures préjudiciables à l’équilibre de ces jeunes fragilisés. De tels changements de perspective et de pratiques se font progressivement (Myers, 2010).

10Il ne faut pas perdre de vue que ce dispositif est complexe et qu’il est parfois difficile pour le jeune et sa famille de s’y repérer. Le placement peut, en outre, contribuer à fragiliser davantage un parcours parfois émaillé de ruptures. Permettre aux enfants et aux familles de connaître et d’exercer leurs droits limite les risques de fragilisation, notamment en leur proposant des espaces de ressources et d’accompagnement. Qualifiés de patates chaudes par plusieurs, ces enfants en besoin de protection ont eu un parcours fracassé tant du point de vue psychologique que social, accumulant de quatre à dix placements, parfois plus, dans des structures diverses ; presque tous sont passés par la pédopsychiatrie.

11Les compétences du personnel qui œuvre auprès de ces enfants tout au long de leur parcours sont très diversifiées. La moitié du personnel exerce des fonctions éducatives, pédagogiques et sociales. Outre la direction de la structure, on compte des éducateurs spécialisés, des moniteurs éducateurs, des psychologues et psychomotriciens, des pédopsychiatres, des agents de service, des travailleurs sociaux, des professionnels du secteur médical et sanitaire, des enseignants, des animateurs de loisirs et sportifs, ainsi que des personnes non professionnelles, telles que des bénévoles intervenant pour des activités de soutien scolaire ou du personnel administratif, par exemple.

L’activation de la résilience par l’activité professionnelle de tuteurs de résilience

12Exposés à des conditions de vie difficiles (intimidation, inceste, privation, négligence, toxicomanie, violence, abus sexuels ou physiques…), certains enfants s’adaptent à leur trajectoire et s’en sortent mieux que d’autres qui, au contraire, sont psychiquement tellement affectés qu’ils développent des comportements délétères, au point que certains d’entre eux tentent de se suicider (Anaut, 2002). La capacité potentielle de faire face à l’adversité est un élément clé du développement positif de tout enfant, et devrait donc faire l’objet d’un effort de recherche beaucoup plus soutenu quant à ses conditions d’activation (Springer et al., 2007 ; Miller, 2008). La maltraitance pousse le corps à réagir en augmentant le rythme cardiaque, la pression artérielle et des hormones de stress, comme le cortisol. Quand ce stress est extrême et durable, et que des mesures d’atténuation ne sont pas disponibles pour l’enfant, cela peut endommager ou affaiblir l’architecture du cerveau, avec des répercussions néfastes, à long terme, telles que des troubles du comportement, des problèmes d’adaptation ou d’hyperactivité (Cyrulnik, 2009). Cependant, l’enfant possède la capacité de réussir à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité (Cyrulnik, 2009, p. 8). Cette capacité se nomme la résilience, c’est-à-dire le fait pour un enfant ayant vécu dans un contexte d’adversité de se remettre à vivre avec le moins d’effets négatifs possible.

13S’il est vrai que dans le cadre de cette étude, le tuteur de résilience occupe une fonction professionnelle (travailleur social, enseignant, éducateur, psychologue), ce n’est pas uniquement cette fonction qui crée le statut de tuteur de résilience. L’enfant confronté à la maltraitance a besoin de se sentir aimé, de se développer dans un cadre structurant, de découvrir que la vie a du sens pour devenir résilient. Pour l’enfant blessé, le tuteur peut être également un parent, toute personne avec laquelle il pourra développer une relation de confiance rendant possible la reprise d’un développement sain et positif, en aidant l’enfant à reprendre confiance en lui et à avoir un projet d’avenir malgré le fait qu’il ait été exposé à des situations d’adversité (Lecomte, 2005 ; Cyrulnik, 2009 ; Anaut, 2006).

14Le fait que certains enfants soient résilients est une réalité connue et amplement étudiée. On connaît peu la manière dont la résilience s’active (Powley, 2009). Cette étude porte donc moins sur les facteurs de résilience chez les enfants que sur le processus d’activation de facto soutenu par les tuteurs de résilience.

15L’activation de la résilience requiert que le tuteur se centre sur la création de situations d’interventions permettant à l’enfant d’expérimenter l’émergence de ressources et de compétences nouvelles, mais aussi d’un sentiment de confiance à autrui et d’estime de soi lui permettant de se réaffilier au monde social (Kaufman, 2013). Cela permet à l’enfant d’inscrire sa trajectoire sociale dans un présent plus sensible au futur. L’effort d’intervention peut viser alors non pas la réparation utopique de la blessure subie, mais bien davantage la remise en jeu des capacités du sujet et l’accroissement de ses ressources personnelles afin qu’il retrouve un équilibre puis qu’il reprenne son parcours développemental post-maltraitance.

16La présence d’un rapport de confiance avec l’entourage immédiat est déterminante pour aller pleinement activer le processus de résilience. La capacité également de participer à la vie sociale, en se sentant utile et responsable, fait oublier les immenses sacrifices requis par certaines conditions de vie intolérables. Et si l’enfant peut se rattacher à des projets qui confèrent un sens à sa vie, il pourra se transcender sans nécessairement hypothéquer sa santé mentale. La résilience exige une ouverture aux autres. Le repli sur soi est la stratégie perdante. Ce n’est pas parce qu’ils ont des qualités supérieures que les enfants résilients s’en sortent, c’est parce que les tuteurs les entourant ont su mobiliser des savoirs spécifiques à l’activation de la résilience.

Les interventions post-maltraitance et l’activation de la résilience

17Des études de cas individuels, des expériences naturelles ainsi que des recherches sur la prévention et les interventions indiquent que la résilience peut être activée (Anaut, 2006 ; Masten, 2014 ; Krampen, 1987 ; Springer, et al, 2007 ; Aouba, 2001). Une attention croissante est portée aux facteurs qui facilitent l’activation de la résilience à travers le monde, chez les enfants qui grandissent dans des conditions de vie dangereuses et difficiles. Un solide corpus de connaissances est maintenant nécessaire pour informer les pratiques et les politiques visant à activer la résilience.

18Dans les interventions post-maltraitance visant l’activation de la résilience, le tuteur cherche à réduire voire à complètement éliminer l’exposition au risque. Il est souvent possible de prévenir ou de réduire l’exposition au risque ou à l’adversité, en augmentant les ressources et les actifs. Même lorsque des facteurs de risque sont déjà présents, il est souvent possible d’accroître les actifs et les ressources - ou leur efficacité - dans le but de contrebalancer le risque (Bandura et al., 2002 ; Benight et al., 2004). Les tuteurs interviennent dans des écoles, par exemple, pour contribuer à la mise en place de mesures pouvant faciliter la fourniture des repas, des soins de santé, des ordinateurs, des livres, des moniteurs et des enseignants formés pour atténuer les effets des situations à haut risque.

19Le tuteur soutient l’activation de la résilience par la promotion d’une participation sociale adéquate. En effet, il vise par son approche à favoriser l’utilisation des caractéristiques positives individuelles, familiales et communautaires, à faciliter l’appropriation de savoirs et d’habiletés pour une meilleure autodétermination et à soutenir le développement d’habiletés relationnelles et familiales (Jourdan-Ionescu et al., 2005).

20Ainsi, le tuteur contribue à développer ou rehausser le sentiment d’efficacité personnelle de la personne par la reconnaissance de ses compétences et ses ressources personnelles qui sont mises à contribution (Bandura et al., 2002 ; Benight et al., 2004). Le fait que la personne participe à l’élaboration de l’intervention par le choix de ses objectifs, la planification et l’évaluation renforcent le sentiment de confiance en ses capacités.

21De plus, une présence régulière des tuteurs deux fois par semaine auprès de l’enfant participe au développement et au maintien du soutien social disponible pour lui et par le fait même à la diminution du sentiment d’isolement. Enfin, le lien avec des organismes communautaires favorise l’augmentation des occasions de participation sociale et communautaire à long terme pour ces enfants (Jourdan-Ionescu et al., 2005).

22Un mouvement pendulaire prenant la forme de commentaires constructifs, marque l’intervention post-maltraitance. Krampen (1987) s’intéresse aux effets de ces commentaires de la part des tuteurs dans l’activation de la résilience. L’auteur distingue trois types de commentaires écrits de la part des tuteurs. D’abord, les commentaires de type social (socially oriented) ont pour objectif de comparer les enfants entre eux sur la base de leur résilience. Les commentaires de type objectif (subject matter oriented) ont pour fonction de comparer l’enfant en fonction de standards préétablis. Les commentaires de type personnel (individually oriented) visent la comparaison de l’enfant par rapport à ce qu’il a déjà fait ou est capable de réaliser. L’intervention post-maltraitance visant l’activation de la résilience s’oppose à l’intervention de l’expert orientée sur les incapacités de la personne. Elle offre plutôt une vision de l’intervention en partenariat axée sur les forces de la personne et centrée sur le projet choisi par celle-ci. L’accompagnement par le tuteur se fait en co-construction avec l’enfant, la famille, dans son environnement de vie naturel lui offrant ainsi davantage d’options (Jourdan-Ionescu, 2001). Au contraire de l’approche de l’expert, les objectifs de l’intervention seront identifiés du point de vue de la personne et ensemble, avec le tuteur, les activités pour les réaliser sont explorées et mises en œuvre. D’ailleurs, cette approche en partenariat favorise le co-développement des compétences tant à l’intérieur de l’équipe d’intervenants et de chercheurs qu’avec le tuteur, l’enfant et ses proches. Ainsi, la personne pourra davantage s’autodéterminer et exercer un pouvoir sur sa vie.

Méthodologie

23Il s’agit d’une analyse qualitative exploratoire de récits de professionnels tuteurs de résilience. L’entrée par les récits de pratique favorise d’une part, la reconstruction du sens de leur expérience, et d’autre part, l’accès aux savoirs pratiques par la verbalisation de l’intervention. Nous ne traitons dans cet écrit que des récits de professionnels de la protection de l’enfance, rencontrés dans des SAE de l’Ontario. Le choix de ne considérer ici que l’intervention des professionnels dans l’activation de la résilience s’explique par le fait que c’est cette population précise qui doit appliquer les règles et consignes qui régissent le placement de l’enfant ainsi que les relations à entretenir avec les familles d’accueil. Ils possèdent dès lors une expertise à la fois pointue et unique en la matière. Cette expertise représente pour cette étude un important facteur de validité.

24L’échantillon a été constitué en fonction des critères suivants :

  • Professionnels (travailleurs sociaux, psychologues, sociologues, psychoéducateurs).
  • Ayant un minimum de trois années d’expérience.
  • Ils devaient également estimer être intervenus auprès d’au moins un enfant réputé résilient.
  • Cet enfant devait avoir été placé en foyer et famille d’accueil pour des motifs de maltraitance ou de vécu dans des contextes très difficiles (ex. : maltraitances physiques ou sexuelles).

25En plus d’avoir travaillé au moins trois ans dans une SAE, il était important que les participants sélectionnés dans le cadre de cette recherche aient géré plusieurs dossiers de placements d’enfants variant entre 98 à 224, sur une période s’étalant sur 5 à 26 années. Cela permet à l’étude d’être enrichie d’une somme d’expériences de placements qui se sont bien déroulés, ainsi que des multiples interactions et échanges avec les milieux d’accueil.

26En ce qui concerne les enfants, ils ont été placés pour des durées variant d’une journée (placements d’urgence) à 16 ans et étaient âgés entre 0 et 16 ans au moment du placement. Les placements les plus courts variaient d’une journée à 24 mois, alors que les plus longs duraient entre 25 mois et 16 ans.

27Une cinquantaine de professionnels (35 travailleurs sociaux, 5 psychologues, 5 sociologues, 5 psychoéducateurs) ont accepté de participer à cette étude [2]. L’ensemble des participants possède un diplôme d’études universitaires dans l’une des disciplines suivantes : travail social, psychologie, sociologie, psychoéducation. Dix d’entre eux possèdent un baccalauréat, trente d’entre eux détiennent une maîtrise, et les dix autres qui sont titulaires d’un PhD interviennent dans un rôle de personnes-ressources (directeurs généraux, directeurs ou directrices de centre, superviseurs, administrateurs) après plusieurs années dans une posture d’intervenants.

28L’âge, l’ethnie ou le sexe des participants n’ont pas fait l’objet d’un critère de sélection. Concernant l’âge plus particulièrement, des intervenants pouvaient être très âgés mais manquer d’expérience parce que nouvellement affectés dans le département des enfants placés. À l’opposé, un intervenant plus jeune pouvait avoir le nombre d’années d’expérience requis. Donc, le fait de rechercher des intervenants qui ont au moins trois ans de pratique permet de contourner le critère d’âge.

29La collecte des données s’est effectuée au moyen d’entretiens individuels semi-structurés.

30Sur base volontaire, nous avons interrogé 50 professionnels (35 femmes et 15 hommes) de huit organismes de l’Ontario œuvrant auprès d’enfants sous la protection de l’État. Les rencontres se sont déroulées sous forme d’entretiens semi-directifs, basés sur la grille suivante :

  • Caractéristiques des jeunes tels qu’ils sont représentés chez les professionnels de la protection.
  • Problématiques rencontrées dans l’exercice professionnel auprès des enfants placés, exposés à des situations d’adversité.
  • Processus d’activation de la résilience. Récits d’histoires vécues, récits de pratiques, exemples de cas de résilience, explicitation du processus d’activation de la résilience (attitude professionnelle, vécu, liens intersubjectifs).

31Les entretiens ont été enregistrés et se sont déroulés de manière très peu directive tout en abordant les trois axes que nous venons de citer. Ils ont également permis d’aborder d’autres questions spécifiques telles que le placement, le traumatisme, le parcours des enfants réputés résilients. Les récits ont été sélectionnés selon les critères suivants :

  • Existence d’une situation de résilience activée, racontée du début à la fin.
  • Existence d’un vécu d’adversité pour l’enfant, postures adoptées, informations et avis subjectifs donnés par le participant sur la situation.
  • Connaissance directe de l’enfant auprès duquel le participant a été impliqué (contact régulier avec l’enfant, connaissance de sa problématique et de son parcours).

32Dans le but de valider et d’explorer les éléments d’analyse découlant des entretiens individuels, tout en restituant toute la complexité des implications professionnelles, nous avons effectué deux entretiens collectifs réunissant chacun dix professionnels. Pendant ces rencontres, les participants se sont prononcés sur divers sujets en rapport avec leur expérience en tant que tuteurs de résilience d’un enfant placé.

33L’analyse des données s’est effectuée à l’aide de l’analyse de contenu thématique. Grâce à cette stratégie d’analyse, nous avons pu découvrir la signification des récits. Nous avons opté pour la saisie et le codage manuels en utilisant le logiciel QDA Miner. Cela nous a permis de classer et de catégoriser le contenu de nos entrevues. À l’aide de ce codage fait manuellement, nous avons créé des fichiers selon les catégories et les sous-catégories abordées dans les entrevues. L’analyse qualitative de ce matériel permet d’en dégager les idées principales afin d’atteindre les objectifs de l’étude.

Résultats

34L’observation la plus révélatrice de notre analyse des récits de pratique consiste à affirmer que le mécanisme par lequel s’active le processus de résilience se met véritablement en branle lorsque l’enfant, lui-même, mais à la faveur du contact avec un tuteur de résilience, parvient à saisir le présent, à vaincre sa peur, à s’approprier son sentiment d’existence, à trouver sa place au sein de la société.

35Nous allons par la suite présenter chacun des éléments principaux identifiés dans le processus d’activation, en l’illustrant à l’aide d’extraits de récits.

Les caractéristiques du tuteur

36Au fil des entretiens menés, certaines caractéristiques des tuteurs de résilience ont été identifiées. Parmi celles jouant un rôle important dans le processus d’activation, l’on retrouve l’ouverture d’esprit, une présence empathique, une volonté manifeste de mobiliser les ressources pouvant améliorer les situations actuelles ou futures, une attitude positive et optimiste.

L’ouverture d’esprit à l’égard du potentiel de l’enfant

37L’ouverture d’esprit est considérée comme une habileté importante dans l’intervention des tuteurs, à laquelle s’adjoint la tolérance, le respect, la curiosité et l’humanisme. Elle permet la prise en compte des multiples facettes de la situation tout en laissant une place aux possibilités qui peuvent émerger dans l’interaction avec l’enfant.

38

Si on arrive auprès de ces enfants enfermés dans nos propres idées pour ce qui est bon pour eux, sans être ouvert à leurs propres idées, on risque de passer complétement à côté de la réalité et même de devenir inhumains.
(Participant 1)

39

Quand ils sentent que vous êtes ouvert, à l’écoute, intéressé par eux, ils deviennent plus enclins à partager avec vous leurs habiletés, passions, idées et même leurs réseaux.
(Participant 6)

40Bien qu’ils accordent beaucoup d’importance à l’ouverture d’esprit, les participants insistent néanmoins sur le fait qu’elle ne les incite pas pour autant à tout accepter :

41

Pour ce qui nous concerne, l’ouverture d’esprit ce n’est pas du tout le fait de tout accepter, au contraire ! Le fait d’être ouvert nous ouvre la porte à des interactions plus sincères et plus profondes avec les enfants que nous rencontrons. Cela nous permet d’avoir une meilleure idée, par exemple, de ce qu’ils veulent, de leurs habiletés, de leurs rêves.
(Participant 3)

42

Pour pénétrer dans l’univers complet de ces enfants et aller chercher leurs forces, il nous faut par moments mettre de côté nos idées préconçues, nos croyances, pour être capable de bien les comprendre. — Cela [l’ouverture d’esprit] demande beaucoup d’humilité, car dans ces moments précis, il faut être ouvert au fait qu’à bien des égards, c’est quasiment eux [les enfants] les experts de leurs propres situations.
(Participant 2)

43Les récits des participants révèlent qu’une posture d’ouverture d’esprit renvoie le message que les enfants sont importants et porteurs de solutions.

Une présence empathique

44Selon les participants, la présence empathique est une sous-composante de l’ouverture d’esprit. Elle permet de conscientiser le tuteur quant à la manière subjective dont l’enfant en particulier vit ce qui l’affecte. Cette présence doit en effet être ressentie, perceptible au quotidien par l’enfant.

45

La présence empathique nous permet d’être simplement soucieux de l’état émotionnel de l’enfant afin d’identifier ses propres émotions et ses vrais soucis.
(Participant 4)

46La perception par l’enfant de cette présence requiert une authenticité du tuteur, elle-même requérant une connaissance approfondie de l’enfant, des interactions fréquentes, une disponibilité réelle et quotidienne à cet enfant :

47

Il faut par contre être authentique, ne pas faire semblant, cela nous donne souvent l’heure juste sur l’étendue des abus subis par l’enfant.
(Participant 10)

48

Pour entrer pleinement dans le processus d’activation de la résilience, l’enfant doit ressentir qu’on porte sur lui un regard inspiré par un véritable intérêt pour son mieux-être.
(Participant 9)

49Les participants présentent la présence empathique comme un puissant vecteur de motivation et d’adaptabilité de l’intervention qui incite l’enfant à agir au-delà du traumatisme et à s’engager consciemment dans le processus d’activation de la résilience.

50

On ne fait quasiment jamais de reproches à l’enfant.
(Participant 7)

51

Ce qui importe vraiment pour nous, c’est de chercher et de trouver ce petit brin de force qui existe encore chez l’enfant, souvent après qu’il ait presque tout perdu.
(Participant 2)

52

On devient pour l’enfant cette présence qui, en quelque sorte, absorbe ses erreurs, ses faiblesses, pour découvrir ses habiletés, sinon on risque de se trouver dans un cul de sac.
(Participant 3)

53Les tuteurs consentent un effort significatif dans le processus d’activation de la résilience, notamment sur le plan affectif, mais aussi en termes de présence physique et de disponibilité à l’enfant. Les tuteurs ne perçoivent pas leur implication comme quelque chose d’extraordinaire ou de professionnalisé. Cela va dans le sens des travaux de Masten (2014) qui mettent aussi en évidence le fait que la résilience fait appel à des ressources ordinaires, dans la plupart des cas. Elle est plutôt le résultat de ce que Masten appelle la magie ordinaire (2014, p.52) provoquée par une rencontre sensée et authentique aux yeux de l’enfant. Cette implication du tuteur vise la mobilisation et la facilitation des systèmes de protection puissants chez l’enfant, par l’atténuation des effets des situations anxiogènes à haut risque à travers des programmes visant à renforcer ou à améliorer la qualité des relations parent-enfant, mentor ou enseignant-enfant ou à donner une famille aimante à un enfant orphelin sont des exemples de mobilisation du pouvoir des relations d’attachement (Masten, 2014). Protéger l’efficacité des parents en cas de crise est un autre exemple. La recherche sur les interventions préventives, visant l’activation de la résilience auprès des enfants confrontés à des familles en instance de divorce et d’autres types d’adversité a démontré qu’une présence empathique avait un effet protecteur sur les enfants, avec des effets positifs pouvant durer des années après l’intervention (Masten, 2014 ; Krampen, 1987). Des expériences récentes visant à stimuler le développement des compétences des fonctions exécutives chez les jeunes enfants à haut risque grâce à des programmes de formation ou préscolaires suggèrent qu’il existe un potentiel considérable d’intervention pour promouvoir l’activation de la résilience, et qui joue un rôle central dans la réussite scolaire (Masten, 2014).

54Pour le tuteur de résilience, le développement de la solidarité et le constat de la capacité de l’humain à franchir les premiers obstacles qui suivent un évènement grave confèrent à l’enfant maltraité un sentiment encourageant de maîtrise de la situation (Gilligan, 2008 ; Delage, 2001). Dans la pratique, la mise en jeu de ces éléments se présente de manière différente selon que l’enfant est rencontré dans les suites immédiates et à court terme, sous le choc, ou selon qu’il est rencontré à distance de la situation traumatique, à moyen terme et prise dans un travail de crise (Delage, 2001). Le processus d’activation de la résilience est donc fondé sur le lien et se construit dans l’intersubjectivité (Anaut, 2002), d’où l’importance du tuteur comme une des conditions qui active le processus de résilience. Toutes les études sur la résilience ont montré qu’un élément essentiel est la rencontre avec une ou des personnes qui ont pu être tuteurs de résilience (Lecomte, 2003, p. 12).

Une volonté manifeste de mobiliser les ressources de l’enfant

55Une des caractéristiques du tuteur de résilience que les participants ont identifié comme étant un élément important pour favoriser le processus d’activation de la résilience est une volonté manifeste du tuteur de mobiliser les ressources cognitives, sociales et conatives de l’enfant dans le sens d’une activation du potentiel de résilience. Cette volonté, si elle doit être ferme et structurante de toute l’intervention, doit aussi être aisément perceptible par l’enfant :

56

Cela peut paraître contradictoire, mais des conditions de vie extrêmes permettent le développement des ressources, voire même des compétences jusque-là insoupçonnées.
(Participant 1)

57

Il s’agit pour nous d’aider à repérer les connaissances, savoirs, aptitudes, capacités de l’individu, de les mobiliser afin de les transformer en actions.
(Participant 2)

58

Ainsi, l’enfant parvient à découvrir ses aptitudes parfois scolaires, mais aussi artistiques.
(Participant 3)

59Une relation signifiante avec un tuteur de résilience permet à l’enfant d’expérimenter sa propre expérience du monde en tant que productrice de compétences.

60Il est rassurant de savoir que l’activation de la résilience ne semble pas nécessiter des talents ou des ressources extraordinaires, mais dépend plutôt de systèmes fondamentaux d’adaptation humaine. La capacité de résilience se développe et change à mesure que les systèmes de protection d’un enfant se développent et changent. Certains se trouvent chez l’enfant et d’autres découlent de relations et de ressources dans les multiples contextes de la vie d’un enfant, y compris à l’école. Lorsque ces systèmes fondamentaux fonctionnent normalement, les jeunes ont une capacité remarquable de résilience. Les plus grandes menaces pour les jeunes surviennent lorsque ces systèmes clés et la capacité qu’ils représentent sont endommagés ou détruits et ne sont jamais restaurés (Masten, 2014 ; Krampen, 1987). Nourrir, soutenir et restaurer ces systèmes adaptatifs fondamentaux pour le développement humain sont des priorités absolues pour activer la résilience chez les jeunes et les préparer à traverser les tempêtes de la vie.

Affirmer l’avenir proche de l’enfant comme étant porteur de changements positifs

61Les participants révèlent qu’une attitude positive et optimiste de la part du tuteur à l’égard de l’avenir proche de l’enfant représente un des éléments clés de l’activation de la résilience. Avec une telle attitude positive, l’enfant peut expérimenter une anticipation de sa vie hors de l’adversité, qui elle, tend à confiner l’enfant dans un présent sans issue :

Voir les choses du bon côté vous permet de prendre de l’expérience à chaque événement/situation, et de l’utiliser de manière enthousiaste pour avancer, au lieu de sans cesse y penser, se plaindre et regretter.
(Participant 10)
Ce dont vous avez besoin ? Développez une attitude positive – une vision positive envers la vie. C’est à partir de ce moment que vous commencez votre chemin vers une vie plus heureuse. En fait, je dirais même plus : si vous avez une attitude positive, il est alors quasi-impossible de retourner dans un cercle vicieux.
(Participant 18)
Il est important de ne pas se focaliser sur ce qu’on ne veut plus, mais sur ce qui est potentiel et porteur de changement positif. Les tuteurs cultivent donc en ce sens une posture résolument optimiste à l’égard de l’enfant.

Caractéristiques du processus d’activation

62Pour que le processus d’activation de la résilience puisse se mettre véritablement en marche, les tuteurs doivent combiner habilement attitudes positives, mises à l’expérience, décisions et actions. Afin de bien cerner les éléments qui, selon les participants, entrent dans la constitution du processus d’activation, voici, à travers leurs témoignages, l’explicitation des éléments principaux identifiés dans le processus d’activation.

Saisir le présent

63Le passé traumatique de l’enfant et sa crainte du futur empêchent l’enfant d’habiter la seule dimension du temps sur laquelle celui-ci peut exercer un pouvoir, une capacité de résilience, à savoir le présent, en tant qu’antichambre du futur proche.

64Ainsi, à travers leurs récits de pratique, les participants disent :

65

Je leur dis « Si tu regardes le train passer, tu risques de le manquer. »
(Participant 30)

66

Il s’agit de leur donner du pouvoir sur le cheminement. Et de véhiculer le message qu’ils ne font pas ça pour plaire aux travailleurs, ou aux familles, c’est pour eux. C’est de l’empowerment, c’est une question d’effort.
(Participant 32)

67Le tuteur de résilience aide concrètement l’enfant à faire l’équilibre entre les adversités du passé, la compétence présente et l’espérance du futur : moins vivre dans le passé, moins vivre dans un futur abstrait, saisir le présent. Il faut alors diminuer ses regrets et favoriser le développement d’un optimisme réaliste qui lui permet d’être raisonnablement confiant face à son avenir.

68

Avoir de la gratitude, cela veut dire que vous savez apprécier ce que vous avez. Le passé est du passé, et il n’y a rien à faire pour le changer.
(Participant 32)

69

Se concentrer sur ce que vous avez aujourd’hui peut être un très bon exercice. Regardez où vous en êtes dans la vie.
(Participant 30)

Poser la peur comme objet d’intervention

70Le tuteur de résilience aide l’enfant à affronter ses peurs, à en contrôler ses effets sur sa vie. La peur est probablement le plus grand obstacle à surmonter dans l’activation du processus de résilience. Quand la peur coince l’enfant, elle est susceptible de le rendre agressif, de l’enfermer dans un cycle des échecs, véritable prophétie auto-réalisatrice constituant l’exact opposé de la résilience. Elle l’empêche d’aimer, de saisir le moment présent, de poser le futur comme désirable, de s’ouvrir aux autres et d’être réceptif aux possibilités qui s’offrent à lui.

71

Je leur demande souvent : « Est-ce que tu es à 100% certain de ne pas pouvoir y arriver ? » L’idée, c’est d’aller chercher cette petite partie qui croit que c’est possible malgré tout. « Es-tu ouvert à la possibilité que ce soit possible de t’en sortir ? »
(Participant 27)

72Le tuteur aide l’enfant à remettre en cause la peur de l’échec et utilise l’échec comme une occasion de grandir. Le tuteur aide l’enfant à arriver à la conclusion selon laquelle la peur l’informe que quelque chose doit et peut être corrigé.

73

On fait des erreurs qui sont en fait des apprentissages, on découvre des difficultés auxquelles on n’a pas pensé.
(Participant 30)

74

Cela augmente la confiance en soi, ainsi que l’estime de soi, deux éléments essentiels au processus d’activation.
(Participant 20)

75

Quand cela ne marche pas, ce n’est pas grave, on continue à explorer et à essayer d’autres choses, c’est l’analogie du skieur, c’est-à-dire ceux qui ne tombent pas ne progressent pas.
(Participant 18)

L’appropriation du sentiment d’existence et favoriser l’estime de soi

76L’activation du processus de résilience vise à agir sur l’auto-attribution d’un statut de victime et sur la croyance en son impuissance face aux conditions adverses. Pour ce faire, le tuteur travaille à reconnecter le sujet avec son potentiel :

Ils ressentent tous le lien avec le tuteur, mais aussi avec tous ceux qui peuvent les aider.
(Participant 3)
Le jeune se sent unifié à ce grand tout qui l’entoure, et se sent surtout supporté, accepté, aimé, fort et puissant malgré les adversités vécues.
(Participant 12)
Le tuteur explore avec l’enfant les axes sur lesquels focaliser le travail sur la confiance en soi. Ce qui permet à ce dernier de créer un sentiment de pouvoir, et donne sens au processus d’activation de résilience.

Occuper sa place

77Le tuteur aide l’enfant à prendre sa place et à exercer une influence sur son environnement à travers un talent artistique, le sport, le bénévolat ou toute autre activité adaptée au projet de vie de l’enfant. L’enfant se sent ainsi renforcé dans son sentiment d’existence (Pourtois et al., 2012). Pour les participants, ce n’est que lorsque l’enfant réalise qu’il fait partie intégrante de sa communauté, même reconfigurée par l’éloignement de parents, par exemple, et qu’il se sent valorisé, que le processus d’activation de la résilience atteint sa pleine capacité. Ainsi, les participants nous disent :

Quand l’enfant trouve sa place dans son environnement, dans la société, pour réaliser qu’il est aussi un élément fondamental de celle-ci, son estime de soi se renforce, il devient capable de réaliser des exploits. […] C’est comme si, tout à coup, l’enfant découvre ses talents artistiques. Il se met à créer, il chante, peint.
(Participant 30)
Une fois qu’il éprouve la conviction d’être un membre de sa communauté, l’enfant fait beaucoup d’efforts pour se dépasser, il veut réussir, mais il veut aussi aider d’autres enfants à réussir.
(Participant 9)
Le sentiment d’avoir trouvé sa place se constitue comme une caisse de résonnance affective, une véritable courroie de transmission entre les besoins affectifs de l’enfant et sa résilience activée. Pour Pourtois et ses collaborateurs (2012), c’est à travers le sentiment d’avoir trouvé sa place au sein de sa communauté que le système affectif entre pairs, considéré comme le système le plus répandu de tous les systèmes d’affection (après les liens familiaux), peut se révéler opérationnel chez l’enfant. À l’inverse, les enfants qui ne trouvent pas leur place au sein de la société se désaffilient (Ahern, 2006).

Discussion

78L’activation de la résilience requiert que le tuteur se centre sur la création de situations d’intervention permettant à l’enfant d’expérimenter l’émergence de ressources et de compétences nouvelles, mais aussi d’un sentiment de confiance à autrui et d’estime de soi lui permettant de se réaffilier au monde social et d’inscrire sa trajectoire sociale dans un présent plus sensible au futur.

79Le changement de regard qu’exige la résilience n’a de sens que si le tuteur fait preuve d’ouverture d’esprit. Cela implique d’examiner les faits, d’avoir la volonté de rechercher des informations qui peuvent remettre en cause ses croyances, d’envisager tous les aspects de la situation (difficultés, possibilités, forces, faiblesses, ce qui est dit et ce qui est non-dit), de soupeser toutes les possibilités de réponse, et d’accepter de changer de point de vue face à de nouvelles révélations. La capacité à changer d’idée, à la lumière de nouvelles informations, représente l’une des plus grandes forces du tuteur.

80Le fait de se focaliser sur les forces et les habiletés de l’enfant et d’éviter tout jugement, blâme et reproche à son endroit, contribue au renforcement, au soutien et la restauration de ses systèmes adaptatifs fondamentaux, ce qui facilite son développement ainsi que la promotion de ses compétences et de sa résilience. Les bienfaits de cette présence empathique sont confirmés par les études en neuroscience (Doidge, 2007). Dans l’ensemble, cette étude confirme indéniablement que la résilience existe. C’est un processus qui peut se mettre en place, dès l’enfance. L’adversité, aussi bien que la résilience peuvent être le fruit de l’enfant, du milieu, ou de la famille. On peut fuir les situations difficiles, les filtrer ou les tamponner, mais quand le milieu est structuré par un discours ou par une institution qui rendent l’adversité permanente, on est contraint aux mécanismes de défense, au déni, au secret ou à l’angoisse.

81Le tuteur vise à établir des liens entre les forces et compétences de l’enfant avec les ressources formelles, comme le milieu scolaire ou communautaire, et informelles, comme le réseau familial et social, disponibles dans son environnement. Pour les enfants ayant des vulnérabilités biologiques, comme une réactivité très élevée au stress ou une intelligence inférieure à la moyenne, le soutien de l’environnement est extrêmement important.

82Toutefois, selon Cyrulnik (2000), les situations adverses sont disproportionnées, car elles surviennent à des moments différents sur des constructions psychiques différentes. La mort d’un parent ne cause pas la même intensité de fracture de vie à tous les enfants. La résilience n’est pas une substance. C’est pourquoi, elle revêt un caractère adaptatif et évolutif du moi en processus de résilience plutôt que la notion de force et de faiblesse de l’individu, souvent associée au concept de résilience. Le concept de résilience, qui n’a rien à voir avec l’invulnérabilité, appartient à la famille des mécanismes de défense, mais il est plus conscient et plus évolutif, donc maîtrisable et porteur d’espoir.

83Le chemin vers la résilience se fait parfois en marchant, parfois au pas de course. Une relation thérapeutique empreinte d’un esprit de collaboration, de confiance ainsi que de la croyance dans la capacité des individus à identifier leurs besoins, leurs forces et leurs ressources est donc primordiale (Cyrulnik, 1999 ; Drapeau et al., 2000 ; Kaufman, 2013 ; Lecompte 2005).

84Cependant, des cas d’enfants adoptés tardivement (entre 5 et 12 ans) et très retardés dans leur développement, bien qu’ils témoignent de possibilités de progrès bien supérieures de ce qu’on aurait pu prévoir, montrent aussi que ces possibilités diminuent avec l’âge. Une combinaison d’actions et un climat environnant convenable, axé sur la résilience, peuvent contribuer à améliorer le développement de cette catégorie d’enfants dits défavorisés. Sans tomber dans un optimisme aveugle, et en s’appuyant sur des recherches sérieuses, les auteurs combattent des idées préconçues concernant le caractère irréversible des handicaps socioculturels, mais soulignent aussi l’importance de la responsabilité de la société tout entière, dans les conditions de vie qui les produisent.

Limites de l’étude

85Malgré son importante contribution et son apport original, la présente étude comporte des limites qu’il importe de souligner.

86Nous voulons émettre une critique quant à l’homogénéité des populations d’enfants auprès desquels sont impliqués les tuteurs de résilience ayant participé à cette étude. En effet, l’âge des enfants varie d’un tuteur à l’autre (parfois de 0 à 5 ans, parfois de 12 à 14 ans et parfois de 12 à 16 ans), ce qui représente parfois un écart de 3 à 4 ans. D’autre part, pour ceux placés en familles d’accueil, certains d’entre eux, avant d’être placés, ont été confiés à un tiers digne de confiance.

87Nous sommes conscients du fait qu’il puisse exister des différences au niveau de l’activation de la résilience en fonction des maltraitances subies par l’enfant. Par exemple, si tous les enfants dont parlent les participantes et participants ont été exposés à des situations de maltraitance, ils n’ont pas bénéficié des mêmes suivis, des mêmes prises en charge. Certains ont dû endurer les violences familiales sur une durée beaucoup plus importante, certains ont été maltraités précocement dans leur famille biologique, ce qui a sans doute eu des effets négatifs sur le développement de leur processus de résilience. De plus, il semblerait que parmi tous ces enfants, certains cumulent plusieurs types de mauvais traitements, cumul qui a eu un impact plus important que la seule présence de négligences graves. Conséquemment, il est possible que certains paramètres activationnels de résilience nous échappent. Or, il aurait fallu que les études établissent le niveau d’adaptation des enfants avant leur exposition à l’adversité, ce qui n’est pas sans poser de difficultés. Pour satisfaire à cette exigence méthodologique, il faudrait mettre en œuvre des études longitudinales. Il serait alors possible d’évaluer régulièrement les enfants, de rencontrer ceux qui échappent à notre regard, de suivre le développement de ces enfants après leur exposition à l’adversité. Une telle démarche permettrait d’évaluer d’une part la résilience, d’autre part, la non résilience, dans une perspective de cycle de vie. La question à laquelle de telles recherches pourraient répondre est celle de la pérennité ou non de ce processus. La résilience est-elle une qualité fixe de l’individu ? La mise en œuvre d’un processus de résilience est-elle une garantie de protection face à d’autres traumas ? Et inversement, un individu qui s’est effondré durablement à la suite de la survenue d’un évènement traumatique est-il condamné à ne jamais pouvoir surmonter les épreuves qu’il rencontrera dans sa vie ? De telles études pourraient également mettre en lumière des différences au niveau de l’activation de la résilience en fonction des maltraitances subies par l’enfant.

Conclusion

88Cette étude apporte une contribution empirique aux écrits scientifiques visant l’élaboration de pratiques d’intervention axées sur l’adaptation post-maltraitance. Elle montre que si la résilience est avant tout l’affaire du sujet, ce dernier peut être positivement soutenu par des tuteurs aptes à créer des conditions favorables à l’activation de ces processus en partie intrinsèques au sujet. Le rôle de tuteur, dans l’activation véritable de la résilience, doit se déployer en tandem avec une posture humaniste déjà bien connue des intervenants, mais trop souvent mise à mal par des environnements les pressurisant, fragmentant leur travail, monitorant leurs performances par des indicateurs volumétriques peu aptes à rendre compte de la complexité de ce qui se joue dans l’intervention. Ainsi, si l’activation de la résilience est l’affaire d’attitudes positives, derrière ces attitudes se trouvent une philosophie de soin, des conditions du travail et une volonté d’intervenir là où ça compte.

89Nous proposons à travers cette étude, le concept de résilience activée, que nous définissons comme suit : le fait pour un individu, avec l’aide d’un tuteur de résilience, de parvenir à saisir le présent, à vaincre sa peur, à s’approprier son sentiment d’existence et, à trouver sa place au sein de la société (Louis, 2017).

90Les savoirs essentiels au cœur de l’activation de la résilience sont :

  • Savoir maintenir une ouverture d’esprit à l’égard du potentiel de l’enfant.
  • Savoir afficher et entretenir une présence empathique.
  • Savoir démontrer une volonté manifeste de mobiliser les ressources de l’enfant.
  • Savoir adopter une attitude positive et optimiste.

91Le processus de résilience se met véritablement en branle lorsque l’enfant, lui-même, mais à la faveur du contact avec un tuteur de résilience, parvient à :

  • Saisir le présent.
  • Vaincre sa peur.
  • S’approprier son sentiment d’existence.
  • Trouver sa place au sein de la société.

92Puisque le processus d’activation de la résilience semble porteur de changements positifs, il importe d’avoir des tuteurs se constituant eux-mêmes en conditions favorables à la résilience.

93Enfin, pour ce qui est du futur, les travaux recensés et les récits de pratiques pointent vers un énorme intérêt en ce qui concerne la manière dont se construit et s’active la résilience. Dans cet ordre d’idées, les interactions précoces parleront beaucoup plus, tandis que les institutions familiales, sociales, celles qui s’occupent essentiellement du mieux-être et du développement (positif) des enfants, tiendront l’essentiel du discours. La génétique et les neurosciences auront également leurs mots à dire. Les recherches sur la résilience bénéficieront énormément de l’épigénétique, cette composante de la biologie, qui étudie les relations de cause à effet entre les gènes et l’environnement socio-affectif.

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Mots-clés éditeurs : prévention, intervention, développement, résilience, enfants

Date de mise en ligne : 05/02/2020.

https://doi.org/10.3917/cnmi.192.0027

Notes

  • [1]
    Selon une étude menée en 2011, intitulée : « Violence et négligence envers les enfants », publiée par le Portail Canadien de la recherche en protection de l’enfance.
  • [2]
    Cette étude a obtenu une autorisation éthique du Comité d’éthique de la recherche en arts et en sciences, Faculté des arts et des sciences de l’université de Montréal.
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