Couverture de CM_097

Article de revue

Présentation d’ouvrages

Pages 271 à 283

Notes

  • [1]
    J. Lacan, leçon II, 13 janvier 1954.
  • [2]
    Le titre complet est When Spring Comes. Awakenings in Clinical Psychoanalysis (Quand vient le printemps. Éveil en clinique psychanalytique), son titre britannique ; The Long Wait and Other Psychoanalytical Narratives (La longue attente et d’autres récits psychanalytiques), son titre nord-américain.
  • [3]
    J. Borossova, article « Khan, Masud », dans É. Roudinesco et M. Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, https://books.google.fr/books
  • [4]
    B. Golse, sous la direction de A. de Mijolla, Dictionnaire international de la psychanalyse, Paris, Hachette Littératures, 2005.
  • [5]
    J. Borossa, « The extensions of psycho-analysis: Colonialism, post-colonialism, and hospitality », dans L. Auestad, Psychoanalysis and Politics: Exclusion and the Politics of Representation, Londres, Karnac Books, 2012, p. 227-243.
  • [6]
    B. Poore, Modernism and the Making of Masud Khan, Queen Mary University of London, 2015.
  • [7]
    J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la “Verneinung” de Freud », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 381.
  • [8]
    M. Zafiropoulos, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud, Paris, Puf, 2008.
  • [9]
    J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 821.
  • [10]
    M. Zafiropoulos, op. cit., p. 239.
  • [11]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p. 319.
  • [12]
    M. Zafiropoulos, op. cit., p. 238.
  • [13]
    M. Zafiropoulos, Les mythologiques de Lacan, Toulouse, érès, 2017, p. 31.
  • [14]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre VI (1958-1959), Le désir et son interprétation, Paris, Le champ freudien, 2013.
  • [15]
    Voir le site internet de l’institut : http://ierhr.com/
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Éros sans Thanatos, Déni de la pulsion de mort des pères du freudo-marxisme, Sébastien Allali, Paris, MJW Fédition, 2017

1 On peut lire aujourd’hui communément que le niveau de sublimation sur la terre viendrait de baisser presque aussi rapidement qu’est monté le niveau des océans. Le monde n’irait pas dans le sens d’un assèchement du Ça – du Zuydersee pour reprendre l’image célèbre de Freud – et, alors que la psychanalyse se donnait comme la méthode pour en réinvestir, sans les totaliser, les fragments tombés, au contraire un Ça débridé, humide, aujourd’hui menacerait de régression la civilisation, qui, avec des objets du désir en proie au spectacle contemporain devenus plus accessibles que jamais dans l’histoire des humains, aurait renoncé à l’éthique du malaise. Temps libertariens ou temps sans père ? Est-ce bien ? Est-ce mal ?

2 Serait-ce alors dans la fluidité moderne, une sorte de victoire inattendue d’Otto Gross et de Wilhelm Reich sur l’austérité freudienne ? Le livre de Sébastien Allali, Éros sans thanatos, qui a pour sous-titre Le déni de la pulsion de mort des pères du freudo-marxisme, est d’abord une invitation très rigoureuse à revisiter les figures d’Otto Gross et de Wilhelm Reich. On révise avec beaucoup de précision leur sorte de folie, leur refus de la loi, déni entêtant qui les pousse vers l’exaltation parfois « loufoque » d’un monisme de la vie (d’un jouir sans entrave dans une société rêvée matriarcale). Ce monisme entra en conflit dès le début avec le dualisme fondamental de Freud qui, à travers les remaniements de ses deux topiques, maintint le principe intangible du battement des pulsions de vie et de mort. On suit pas à pas la manière dont ils furent les aiguillons (négatifs ?) par lesquels Freud put, du reste en se débarrassant d’eux sans guère de ménagement, stabiliser sa doctrine, et on apprend entre autres épisodes comment le père fondateur procéda à l’exclusion du rejeton Reich et exigea par exemple d’Otto Fenichel, jugé trop compréhensif, qu’il se rallie au diagnostic de sa démence.

3 C’est que pour Reich la psychanalyse était comme freinée par Freud lui-même, enfermé tel un « animal en cage » dans le judaïsme, écrit-il, et que le temps était venu de la mener au terme de la révolution qu’elle était de facto, en poussant l’analyse de la névrose jusqu’aux raisons sociales qui l’entretiennent. Il ne sert à rien de soigner singulièrement si on ne soigne pas la société tout entière. La psychanalyse doit oser mettre en cause l’organisation sociale elle-même, et l’enseignement généalogique de Nietzsche, « au-delà du bien et du mal », doit l’irriguer bien davantage.

4 Sébastien Allali, neuropsychologue, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, retrouve aussi son métier de professeur de philosophie en exposant avec pédagogie la façon dont le marteau de Nietzsche doit pour Reich enfoncer plus profondément dans la chair sociale le clou de la psychanalyse que Freud, dans sa « résignation mortifère », a retenu. Sébastien Allali conteste l’hypothèse égalitariste de Reich et de Gross (« Attention, il mord ! » disait Freud de lui), qui imaginent l’homme seulement amoindri, dévitalisé par la seule loi de l’État, soit nietzschéenne. Nietzsche ne considérait pas possible l’attribution d’une cause aussi repérable à la « petite santé » et ne jugeait du reste pas souhaitable une guérison générale.

5 Passent ensuite les figures de Federn, de Fromm, de Marcuse. L’auteur laisse volontairement de côté Slavoj Žižek qui veut concilier Lacan et Lénine. C’est vers la découverte par Freud de l’art comme plaisir, où lui-même vit la marque de la fin de son auto-analyse, que le livre infléchit son mouvement : Freud le juif put dans cet ordre être sur un pied d’égalité avec le goy Fliess. La psychanalyse conserve la position civilisationnelle de rappeler tout ce qu’a de « mortifère » le désir quand il est livré à lui-même, elle est du coup une érotique. N’a-t-elle pas, à son corps défendant parfois, été une contribution majeure à la déphallicisation de la sexualité ? La position de Freud par exemple, très prudente sur l’homosexualité, témoigne, malgré tous les reproches qu’ont pu lui faire les « pères du freudo-marxisme », d’une volonté de sortir de la « cage ».

6 L’homme est-il bon ? L’homme est-il mauvais ? L’ancestrale question, avec sa déclinaison dans les théories analytiques du XXe siècle, est l’ostinato de cet ouvrage sans aucun jargon et d’où l’on sort très instruit sur un sous-continent parfois oublié de l’héritage freudien. À cet homme ni absolument bon ni absolument mauvais, la psychanalyse a apporté une nouvelle complexité en lui offrant davantage le moyen d’être ce qu’il veut être.

7 François Ardeven, psychanalyste 97, rue Saint-Denis F-75 001 Paris

8 fard2005@yahoo.fr

Judy Cooper; Speak of Me as I am, The Life and Work of Masud Khan, Londres, Karnac Books, 1993 - Roger Willoughby, Masud Khan, The Myth and the Reality, Londres, Free Association Books, 2005 - Linda Hopkins, False Self, The Life of Masud Khan, New York, Other Books, 2006; Londres, Karnac Books, 2008

9 Pour mémoire. Mohammed Masud Reza Khan a été un des analystes les plus importants du XXe siècle. Le souvenir des titres de ses livres ou de ses articles réveille encore l’enthousiasme de ceux qui les ont lus. Le Soi caché, de 1976, traduit et publié par Jean-Bertrand Pontalischez Gallimard, connut un important succès ; Figures de la perversion, publié en français en 1981, venait transformer radicalement l’approche de cette entité clinique : la perversion devenait passion ; il en alla de même pour Passion, solitude et folie, paru en français en 1985.

10 Masud Khan publiait régulièrement dans la prestigieuse Nouvelle revue de psychanalyse, longtemps catalyseur de la psychanalyse, et tout aussi régulièrement dans l’International Journal of Psychoanalysis, dont il fut l’un des éditeurs. En France, Khan fut l’intime de Victor Smirnoff, de Pontalis, d’André Green, de Wladimir Granoff et de Jacques Lacan, qu’il reçut chez lui à Londres.

11 Maître d’une plume claire et concise, d’une sensibilité indiscutable, de grande capacité théorique, Khan ne se contentait pas d’écrire, mais était aussi éditeur de l’International Psychoanalytical Library, où il publiait ceux qu’il admirait, tout en conseillant des auteurs dans leurs primopublications. Il corrigea les livres de Donald Winnicott, qui reconnaissait sa contribution. Autant dire que Winnicott ne serait pas l’auteur qu’il devint sans cette collaboration avec son ancien patient.

12 Car Khan a fait sa troisième analyse avec Winnicott. Combien de temps ? Khan se vantait d’avoir été quinze ans en analyse avec lui, Linda Hopkins, sa dernière biographe, le croit ; Roger Willoughby, sobre, réduit la durée de cette analyse à trois, voire deux ans ; Judy Cooper, la seule qui connut Khan de près, qui était son intime et dont la biographie fut validée par lui – on serait tenté de dire par Sa Majesté, car à la fin de sa vie, Khan s’est attribué le titre de Prince, Raja, et laissait entendre qu’il était proche de la famille royale britannique –, Cooper donc donne des dates précises, reprises par les deux premiers : Khan commença son analyse avec Winnicott en 1951. Sachant qu’en 1953 il présenta pour la première fois sa candidature à la Société britannique de psychanalyse, épaulé par Winnicott, et que cette même année ils publièrent ensemble, et qu’à cette époque ce patient obtint de son analyste qu’il prenne aussi en analyse sa première épouse, lui cédant quelques heures de son analyse, car Winnicott n’en disposait plus, sachant tout cela, Willoughby déduit que vite le cadre analytique n’existait plus entre ces deux collaborateurs. L’écart entre les versions quant à la durée de son analyse résume la distance entre le mythe et la réalité dans la vie de Khan.

13 Après une première tentative ratée, Winnicott continua à le soutenir fermement et enfin en 1955, avec l’appui aussi ferme d’Anna Freud, qui assura une des supervisions de Khan, il fut élu full member de l’honorable Société britannique, contrariant le groupe kleinien.

14 Pour que Khan devienne training analyst, seule position où il pouvait enfin rayonner et bien gagner sa vie, Winnicott et Anna Freud le soutirent encore quatre fois entre novembre 1955 et novembre 1959, quand il fut accepté parmi le saint des saints. Les trois premières fois, les kleiniens réussirent à lui barrer la route. La dernière fois, Khan avait un patient admis à la formation, qui souhaitait poursuivre avec lui son analyse. Il ne restait à la Société qu’à entériner le fait qu’il était training analyst.

15 Masud Khan fit sa première analyse avec Ella Sharpe, importante analyste spécialisée dans Shakespeare, longuement commentée par Lacan dans ses séminaires. Cette analyse n’a duré qu’une année, 1947, en raison du décès soudain d’Ella Sharpe. Khan reprit immédiatement une analyse avec John Rickman, important analyste dans l’histoire du mouvement psychanalytique, analysé par Ferenczi et Freud. Héros de guerre, Lacan dit de lui qu’il était « une des rares personnes qui aient eu un petit peu d’originalité théorique dans le milieu depuis la mort de Freud [1] ». Cette fois l’analyse de Khan dura quatre ans, jusqu’en 1951, mais là encore, grand fumeur, Rickman meurt d’une crise cardiaque, allongé contre un arbre à Hyde Park.

16 C’est là que Khan entre en analyse avec Winnicott, son superviseur, dont il craint la mort à chaque séance, ce qui l’amène à vérifier l’état de son analyste quand il l’entendait s’endormir. Winnicott avait déjà fait une crise cardiaque au cours de leur supervision, peu avant de le prendre en analyse. Pour le reste, les supervisions de Khan semblent assez confuses, entre Melanie Klein, Anna Freud, Sylvia Payne et les intromissions du Comité de formation de leur Société.

17 Est-ce pour cela qu’il ne peut commencer à publier ses livres qu’à partir de la mort de Winnicott, en 1971, comme le soutiennent ses biographes ? Khan mourra en 1989, dix-huit ans plus tard. Ce seront autant d’années d’enfer. Après avoir connu une telle ascension, les temps viennent de sa chute. Mais sait-on quand elle commença ? En 1965, lors de la mort de Max Gitelson, président de la toute-puissante IPA ? Granoff est alors désespéré. Il comptait sur Gitelson pour que l’Association psychanalytique de France soit admise à l’IPA. Khan écrit à Granoff pour le tranquilliser. Il s’y vante de son amitié avec le défunt et de ses liens à l’intérieur de l’IPA. Granoff, croyant bien faire, transmet une copie de la lettre à la veuve de Gitelson. Ce qu’elle lit la met en fureur, car Khan y ment copieusement, s’inventant une intimité qu’il n’eut jamais. La veuve transmet l’affaire à la direction de l’IPA et exige des excuses publiques de la part de Khan. Tout cela est ridicule, tous en conviennent, mais Khan doit céder. Il est traité en public de menteur et reçoit un avertissement : aucune conséquence n’en sera tirée par l’IPA, mais il n’en va pas de même pour la Société britannique et pour l’enseignement qu’il y dispense. La communauté devient attentive à ses fréquents mensonges. Cette histoire est instructive quant au fonctionnement des institutions et au sujet de Khan. Hopkins la raconte comme une excellente romancière et théoricienne avertie, car à chaque fois elle parvient à lier un épisode de la vie de Khan à ce qu’il écrit.

18 Il y va de même pour ce qui survint après la mort de Winnicott : Khan soulève en public la question de l’impuissance sexuelle de son ancien analyste et ami ; Khan vole une montre à Genève et est mis en prison ; Khan boit davantage ; tout autant il s’engage dans des relations avec ses patientes. Rien ne l’empêche de publier, ses travaux et ceux d’autres auteurs. C’est aussi à cette période qu’il publie Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, de Lacan.

19 Roger Willoughby est plus précis que Linda Hopkins. Il examine le récit de chaque événement de la vie de Khan. Hopkins écrit mieux et elle donne souvent la parole à ceux qui côtoyèrent Khan, à ses collègues comme à ses patients ou à ses supervisés, transcrivant assez extensivement des entretiens qu’elle réalise au sujet de chaque épisode important de sa vie. Ces deux auteurs soulignent les liens entre la vie et la théorie qu’élabore Khan.

20 Depuis quelque temps la Société britannique a été saisie par le mari d’une de ses patientes en formation analytique de plaintes relatives à ses transgressions sexuelles. En 1977, ses dirigeants décident d’enlever à Khan sa qualité de training analyst. Il ne peut plus assurer des supervisions et il ne reçoit plus de patients en analyse didactique. C’est un coup important, symbolique et financier. Les dirigeants de la Société ne souhaitent pas aller au-delà, car Khan est atteint d’un cancer du larynx et son état est grave. Mais c’est une situation absurde, car la Société semble se soucier davantage de ses élèves que des patients. Les conséquences pour sa clientèle furent catastrophiques. L’analyste en formation dont le mari déposa plainte quitta la Société, une autre préféra poursuivre son analyse, mais abandonna sa formation dans ce groupe, un autre encore renonça à la psychanalyse.

21 Peu de temps après, les responsabilités éditoriales de Khan lui furent enlevées : il menaça de mort les responsables de la Société. Il se retira de la vie sociale londonienne et ne garda que ses anciennes connaissances parisiennes et californiennes. Après sa tentative de reprendre une analyse avec Anna Freud, c’est avec son ami Robert Stoller, en Californie, qu’il essaya autant, mais brièvement. Enfin, alors que paraissait son dernier livre, When Spring Comes[2], la Société britannique décida de l’expulser de ses cadres, l’accusant de propos antisémites qu’il tient dans le récit exposé dans l’un des chapitres du livre. À ce sujet, d’après Julia Borossa, Khan se serait expliqué, en justifiant ses propos par une manière d’utiliser le lien entre contre-transfert et transfert [3]. De même, Bernard Golse affirma que Khan « […] un peu dans la lignée de Sándor Ferenczi, s’exposa de telle manière dans sa technique et dans son contre-transfert que certains l’accusèrent d’être devenu fou, antisémite et bisexuel [4] ». L’année d’après son expulsion, il mourait. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ces dérives, rien de tout cela n’entame la richesse de son apport et le génie de sa compréhension de la perversion.

22 Le livre de Judy Copper porte le titre que Masud voulait comme épitaphe : Parlez de moi tel que je suis. C’est un vers de l’Othello, de Shakespeare. Dans la traduction de François Victor-Hugo (Paris, Librio, 1996), elle apparaît ainsi.

23

« Doucement, vous ! Un mot ou deux avant que vous partiez ! J’ai rendu à l’État quelques services ; on le sait, n’en parlons plus. Je vous en prie, dans vos lettres, quand vous raconterez ces faits lamentables, parlez de moi tel que je suis ; n’atténuez rien, mais n’aggravez rien. Alors vous aurez à parler d’un homme qui a aimé sans sagesse, mais qui n’a que trop aimé ! »

24 Ces trois livres racontent une même histoire avec des talents différents, à partir de positions différentes. Ils se complètent et se lisent comme des romans théori-ques, dans la tradition du romantisme allemand. Leur lecture est éclairante au sujet d’un thème qui ne cesse de nous hanter : la coexistence de la folie et de la sagesse, de la créativité et de la destructivité, y compris chez les psychanalystes, peut-être de manière plus importante et souvent insidieuse chez eux, irradiés par leurs pratiques quotidiennes.

25 Immédiatement après le décès de Khan, Pontalis lui fit un brillant hommage dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, réunissant plusieurs auteurs en son honneur : Christopher Bollas, Didier Anzieu, Adam Phillips et aussi des extraits des lettres de Khan à Victor Smirnoff (In Memoriam, n° 40, 1989).

26 Trois ans après sa mort, Othello réincarné, il fut réhabilité par Adam Limentani dans son Obituary (IJPA, 73, 1992). Une fois le deuil de Masud Khan accompli, le temps du recueillement terminé, vingt ans plus tard, son parcours permit le renouvellement des questions à son sujet, ouvrant aussi sur d’autres interrogations, plus précises, sur le racisme en milieu psychanalytique. La déchéance de Khan fut déclenchée par un article d’un de ses anciens patients, économiste en charge de hautes fonctions auprès de Sa Majesté, Wynne Godley, qui raconte comment Winnicott refusa sa demande d’analyse et l’adressa à Kahn en précisant qu’il le faisait en supposant qu’il « n’aurait pas d’objection à voir un analyste pakistanais ». Borossa [5] qui souligne ce passage rappelle également que Hopkins, dans son livre, cite les témoignages d’autres patients adressés à Khan qui se rappelaient ce genre d’adresse de la part des analystes consultés en première instance. Ainsi, peu à peu, l’antisémitisme dont fit preuve Khan envers son patient, tel qu’il apparaît dans son dernier livre, When Spring Comes, devient un reflet des discriminations qu’il subit dans la Société britannique de psychanalyse et dans sa vie londonienne en général, mais aussi, paradoxalement, comme ce qu’il aurait cru à juste titre acceptable de la part des analystes britanniques et de la culture de ce pays en termes d’antisémitisme. Une récente thèse doctorale trace les racines britanniques de l’antisémitisme de Khan dans les œuvres de T. S. Elliot et d’autres, qu’il affectionnait particulièrement [6]. Khan se trompa, mais les perspectives qui s’entrouvrent par ces études « khantiennes » sont à peine entamées. En fait, comme le souligne Borossa, le mouvement psychanalytique s’est fait et se fait encore davantage par exclusion que par inclusion, ce qui constitue une position politique précise, et par exclusion non seulement de ceux qui en ont été explicitement écartés, mais plus essentiellement de ceux qui n’y ont même pas accès pour des multiples raisons.

27 Luiz Eduardo Prado de Oliveira, professeur émérite de psychopathologie université de Bretagne, Brest, directeur de recherches, CRPMS, université de Paris, 7-Denis Diderot, membre d’Espace analytique, 107, Rue Mouffetard, F-75005 – Paris

28 ledprado@gmail.com

Marie-Jean Sauret, La bataille politique de l’enfant, Toulouse, érès, 2017

29 Ce dernier ouvrage de Marie-Jean Sauret s’inscrit dans la lignée de Psychanalyse et politique. Huit questions de la psychanalyse au politique (2000), L’effet révolutionnaire du symptôme (2008) et Malaise dans le capitalisme (2009), tout en étant l’occasion pour l’auteur de renouer avec la thématique de l’enfant explorée dans de sa thèse soutenue en 1989 : De l’infantile à la structure, et ainsi de lier trois registres qui lui sont chers : la psychanalyse, le politique et l’enfant.

30 L’œuvre se structure autour d’une thèse : notre manière d’accueillir et de traiter les enfants est significative de l’état de notre société et de notre lien social – fil rouge des treize chapitres de ce nouvel opus, composé d’une série d’articles rédigés au cours de ces dix dernières années.

31 L’introduction pose les prémices du débat et s’ouvre sur un constat : notre société maltraite l’enfant, en témoignent les bouleversements dramatiques dans les rapports que nous entretenons avec lui et repérés par l’auteur : rejet, refus, marchandisation de l’enfant, etc., et leurs conséquences tout aussi dramatiques : rejet scolaire, pathologies diverses, radicalisation, suicide – pour n’en citer que quelques-unes. À partir de cette analyse, l’auteur se pose trois questions : Comment l’enfant se débrouillait-il autrefois ? Comment en est-on arrivé là ? Comment la psychanalyse peut-elle s’articuler à ces questions ?

32 Dans un premier mouvement, M.-J. Sauret revient sur quelques aspects fondamentaux (qu’est-ce que la névrose infantile ? Qu’est-ce qui distingue l’infantile de l’enfantin ? Qu’est-ce que le roman familial ? Qu’est-ce que l’Oedipe et la fonction paternelle selon Freud et Lacan ?) et trace les principes éthiques, épistémologiques et cliniques qui orientent sa conception de l’enfant : celui-ci est un sujet à part entière et non en devenir, à quoi s’ajoute ce fait que l’enfant rencontré par le psychanalyste est l’enfant dont parle l’analysant – quel que soit son âge.

33 Dans la continuité, M.-J. Sauret établit deux questions anthropologiques posées par l’enfant : d’un côté l’altérité qu’il incarne doit être accueillie par la génération précédente et d’un autre côté, celle-ci a également pour tâche de lui transmettre les moyens de son humanisation et de son inscription dans le lien social avec ses semblables, d’où cette question : quelles solutions la société offre-t-elle au sujet pour nouer les trois dimensions qui le constituent : Symbolique (langage), Imaginaire (sens) et Réel (jouissance) ? Le psychanalyste s’intéresse ainsi à deux modalités histo- riques de nouage : celui du temps des mythes et des religions et celui du temps de l’Oedipe et de la fonction paternelle (l’époque de Freud), en repérant les conditions de leur succession avec l’avènement du libéralisme, du discours de la science, du marché et des techno-sciences qui viennent façonner notre lien social.

34 Il observe que celui-ci se fonde sur le primat de la jouissance, le rejet de la castration et la faillite de la fonction paternelle, avec comme conséquence l’impossibilité pour l’enfant de s’appuyer sur le génie de sa structure – notamment par la solution névrotique (complexe de castration et fonction paternelle, symptôme, fantasme, ligature par la généalogie) – pour se réaliser comme sujet responsable de son désir et de ses actes. L’auteur dessine ainsi une anthropologie de l’enfant contemporain et réinscrit au cœur du débat la question d’une « nouvelle économie psychique », terme qu’il emprunte à C. Melman pour en subvertir le sens et l’interroger comme solution et non comme déficit.

35 Poursuivant le fil de sa réflexion, Marie-Jean Sauret élargit son enquête aux adolescents et à l’adolescence et en extrait une question clinique, éthique et politique primordiale pour l’avenir de notre société : l’effondrement de la fonction d’autorité imposée par l’Autre présente une face de libération des sujets : saurons-nous créer les conditions pour qu’il en profite ?

36 À la suite de cette question son intérêt se porte sur la psychose et sur ce qu’elle peut nous enseigner dans l’invention d’une modalité de nouage des trois registres RSI sans le recours à la fonction paternelle – notamment en faisant sinthome.

37 La dernière partie de l’ouvrage met l’accent sur le statut et les effets de la psychanalyse à l’ère du néolibéralisme et s’applique à dégager l’intérêt de ses contributions pour le monde contemporain.

38 L’ensemble de l’ouvrage nous invite à porter un regard critique sur notre société mais surtout à entendre et soutenir la protestation du sujet, ce qui ne va pas sans l’hypothèse de l’inconscient, l’appui de la parole et l’effet révolutionnaire du symptôme. Cela rend nécessaire de rejoindre, selon les mots de Lacan « la subjectivité de notre époque », c’est-à-dire de nous réinventer comme clinicien, mais assurément aussi comme société pour se faire les passeurs des générations à venir.

39 Lucie Rodrigues, psychologue clinicienne doctorante en psychologie - psychologie psychanalytique du sujet, Laboratoire LCPI - université Toulouse Jean Jaurès, 5, allées Antonio Machado, F-31058 Toulouse Cedex 9

40 lucie.b.rodrigues@gmail.com

Sigmund Freud, La (dé)négation, Texte intégral, 1925 présenté et commenté par Jean-Jacques Rassial, traduction par Hélène Francoual, Paris, Éditions In Press, 2017

41 La collection « Freud à la lettre », aux éditions In Press, dirigée par Jacquy Chemouni et Helene Francoual proposent la présentation et le commentaire de textes de Freud par différents psychanalystes, ici Jean-Jacques Rassial. En introduction à cette nouvelle traduction, une première partie s’emploie à présenter le texte freudien et à en expliciter la genèse ; le texte à proprement parler est suivi d’un commentaire méticuleux de chaque paragraphe (partie IV), puis d’une discussion concernant les destins de ce texte après Freud (partie V).La présentation éclaire le texte, explicite le contexte philosophique et référentiel qui en soutient l’élaboration, mettant en évidence les axiomes qui fondent son développement, soulignant son incidence au sein de l’œuvre de Freud, ses implications quant à la conception de l’inconscient, ses enjeux pour la pratique et, plus encore, sont l’occasion de propositions fortes de la part de J.-J. Rassial. Sa lecture est portée par une éthique des conséquences qui exige d’éprouver l’authenticité du message que le texte véhicule et de marquer les incidences des remaniements doctrinaux dans la pratique.

42 La (dé)négation témoigne d’une « rupture épistémologique » (p. 11) qui s’opère de 1920 à 1924 chez Freud par la constitution de la seconde topique. Celle-ci n’étant pas seulement un changement de paradigme pour la psychanalyse mais une rupture épistémologique, j’oserais dire, dans le psychanalyste Freud lui-même qui prend acte d’une rupture dans le rapport au savoir qu’il construit. Celle-ci touche jusqu’à l’interprétation de l’analyste comme liée à sa théorie de la fonction intellectuelle, du jugement et de la décision (p 12 ; p 22). L’analyste qui pense la psychanalyse le fait dans la matière même dont est fait ce qu’il pense et est soumis à sa logique : « Freud embrasse clinique, pratique et métapsychologie, voire philosophie, sans qu’on puisse trouver un autre fil que celui de la valeur de la négation dans l’acte d’interprétation » (p. 14). De ce fil découlent des propositions quant à l’association libre, « la règle fondamentale » (p. 20 ; p. 34-36) et la position de l’analyste. L’analyste « cesse d’être dans la position du pêcheur à la ligne qui laisse le poisson attraper l’hameçon pour tirer le fil de l’interprétation, et accepte de devenir le chasseur qui traque l’idée incidente, en demandant au patient de dire ce qui ne lui vient à l’esprit que pour être rejeté : “Que tenez-vous pour le plus invraisemblable de tout ?” » (p. 21). Dans la troisième partie du premier chapitre (p. 28-29), la pensée de Freud est située en son articulation à celle de Brentano, d’Husserl et du cercle de Vienne. À la suite de cette introduction, le texte est présenté dans une nouvelle traduction par Helène Francoual. Une traduction accompagnée de notes permettant au lecteur de situer les enjeux et les difficultés du passage de l’allemand au français.

43 Le texte est fragmenté en neuf paragraphes que J.-J. Rassial commente méthodiquement invitant le lecteur à prendre acte de l’événement que constitue ce texte pour Freud mais aussi pour le lecteur analyste s’il s’attache à « faire répondre [le texte] aux questions qu’il nous pose à nous, le traiter comme une parole véritable, nous devrions dire, si nous connaissons nos termes, dans sa valeur de transfert [7] ». La lecture proposée par Rassial insiste sur la modification de la position de l’analyste : « L’analyste n’est pas une simple surface de projection, mais l’agent qui dirige l’investigation, celui qui demande » (p. 51). Corrélativement s’éclaire le souci du Freud de la seconde topique d’élucider et de prendre acte des « franchissements impossibles » du travail de la cure (p. 54) et de l’irréductibilité de l’inconscient. Il peut ainsi « être possible de vaincre la négation, c’est-à-dire d’obtenir le consentement intellectuel entier à la reconnaissance des représentations refoulées, sans que pour autant le processus de refoulement soit affecté » (p. 54). L’auteur explicite la logique des négations dans la pratique (p. 65). Dans un cinquième chapitre, il déplie le destin de ce texte, notamment chez Jean Hyppolite et Lacan, avant, dans sa conclusion, d’expliciter ses propres supposés philosophiques (Spinoza) et de souligner que « la Verwerfung (ou plutôt la Verurteilung) n’est pas l’indice de la psychose, ni la dénégation le propre de la névrose ». Ici, le lecteur trouvera profit à poursuivre l’élaboration de Rassial dans son ouvrage récemment réédité chez érès, Le sujet en état limite.

44 J’invite vivement à la lecture de ce livre, le lecteur y trouvera de nombreuses pistes à explorer, de questionnements à prolonger et à en mesurer la portée jusque dans la pratique.

45 Jérémie Salvadero, psychanalyste, 12 rue Caroline, F-75017 Paris

46 jeremiesalvadero@yahoo.fr

Markos Zafiropoulos, Les mythologiques de Lacan, La prison de verre du fantasme : Œdipe Roi, Le diable amoureux, Hamlet,Toulouse, érès, 2017

47 Le second volet de l’archéologie critique de l’œuvre de Lacan proposée par Zafiropoulos s’achevait sur la perspective d’un crépuscule de « la lune de miel transférentielle » qui aura lié, pendant dix ans, l’œuvre lacanienne à celle de Lévi-Strauss [8]. Malgré sa thèse qui fait de « l’invention” lacanienne du nom du père » une institution à ranger « dans la classe des valeurs symboliques zéro », Zafiropoulos avait l’honnêteté de citer en postlude un passage de Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien dans lequel Lacan soutient une hypothèse inverse, insistant sur « ce qui objecte à conférer [au] signifiant S(A barré) le sens du Mana ou d’un quelconque de ses congénères [9] »

48 À partir de là (et non sans risquer « quelques disgrâces ») Lacan se serait alors engagé dans une « relecture critique des textes de Lévi-Strauss [10] », détaillant la dimension imaginaire de ce signifiant d’exceptiondont le reste de valeur d’idéal masquait incomplètement le défaut fondamental qui frappe, en dernière analyse, le fait signifiant. « Une nouvelle période s’ouvre dans un univers moins complet » écrivait alors Zafiropoulos et on s’attendait à le voir désormais dresser ce portrait d’un « troisième Lacan » résolument non lévi-straussien.

Raté.

49 Contre toute attente ces Mythologiques s’ouvrent sur une citation de Lacan qui affirme chercher « la même chose » que Lévi-Strauss « quand il tente de formaliser le passage de la nature à la culture, et plus exactement la faille entre la nature et la culture [11] »... Alors on s’interroge : Zafiropoulos repousserait-il le moment où pour mener à bien son archéologie critique il lui faudra décrire celui de l’objection faite à Lévi-Strauss ? Cet opus divisé en plusieurs livrées aurait-il la fonction d’habile repoussoir feuilletonesque, remettant, aux calendes (forcément) grecques, l’heure du cliffhanger transférentiel ?

50 S’en persuader reviendrait à passer à côté du fond même de ce texte. En 2003, Zafiroupoulos écrivait que « les recherches de Lévi-Strauss fonctionnaient bel et bien pour [Lacan], comme une sorte de point de capiton [12] », sentence qu’il convient de mettre en tension avec celle qu’il extrait maintenant du texte lacanien afin d’en faire le « coup de théâtre épistémologique » décrypté dans cet ouvrage : « Le point de capiton ne serait qu’une affaire mythique [13]. » Si, de part son titre même, Les mythologiques de Lacan, semble rendre compte du moment le plus gémellaire des œuvres lacanienne et lévi-straussienne, son sous-titre La prison de verre du fantasme situe la nature du dégagement qui s’y profile : en analysant la « nature » des mythes auxquels il a choisi de se confronter, Lacan analysait déjà la nature de son transfert au grand spécialiste des mythes, ce qui aboutira au dépassement du caractère aveuglant qu’a toujours la « fausse fenêtre » de l’idéal et à la reconnaissance d’un manque dans l’Autre (que représente ici un écueil théorique).

51 Si Lacan s’est engagé sur le chemin de son retour à Freud en suivant Lévi-Strauss à la trace, c’est sans doute en détachant ses pas de ceux de l’anthropologue qu’il aura finalement achevé sa retrouvaille d’avec le vif de la découverte freudienne. La tentation de reconnaître dans le miroir du monde le reflet de ses motions projetées, au point d’y déceler un plaisant effet d’homogénéité, est pour Freud à la source du discours mythico-animiste et c’est à cette jubilation d’ordre strictement imaginaire que Lacan va opposer son invention de l’objet (a) dont l’existence comme cause du désir signe la décomplétude fondamentale de l’image spéculaire. Et si ce premier tome des Mythologiques lacaniennes ne couvre pas encore cette « découverte » qui signera le divorce épistémo-transférentiel, larévolution du phallus dont Zafiropoulos rend ici compte prélude de la rupture à venir : masqué sous la surface miroitante de cet échange des femmes qui prend des airs de fait social total, Lacan repère déjà la circulation d’un signifiant (pour l’heure uniquement phallique) qui ne peut être reconnu derrière ses équivalents spéculaires féminins au risque du déclenchement de l’angoisse et de l’inhibition.

52 C’est d’ailleurs là le principal enjeu clinique de cet ouvrage qui met notamment l’accent – par son analyse du cas Hamlet – sur le drame commun à l’obsessionnel et à l’objet de son désir : pour le héros, on le sait, « Ophélie est omphalos[14] », point d’’ombilication de son désir qui lui vaut d’être comme tel fuie par lui, jusqu’à finalement la contraindre au pire. Un drame qui ne pouvait qu’intéresser l’auteur de La question féminine...

53 Mais pour l’heure donc pas de final tragique pour ce premier tome des Mythologiques de Lacan ! La perspective d’une fin y est habillement repoussée par la relance du désir que permet (méthode bien connue des feuilletonistes) la production de cet aimable objet (à) suivre.

54 Kévin Poezevara, psychologue clinicien, docteur en recherche en psychopathologie et psychanalyse, ATER, UFR études psychanalytiques, 13-15 rue de l’Ermitage, F-93100 Montreuil

55 kevinpoezevara@gmail.com

Serge Tisseron, Frédéric Tordo (sous la direction de) L’enfant, les robots et les écrans. Nouvelles médiations thérapeutiques, Paris, Dunod, coll. « Inconscient et culture », 2017.

56 Sous la direction du psychiatre psychanalyste Serge Tisseron et du psychologue clinicien psychanalyste Frédéric Tordo, ce recueil offre un ensemble de textes de recherche autour de la question des apports et des appropriations des objets numériques comme médiation psychothérapeutique. Le parti pris de l’ouvrage étant de comprendre la médiation en psychothérapie, comme un dispositif venant pallier les difficultés de communication ou de symbolisation de la personne (« Introduction générale »), ils proposent de penser les apports du numérique à travers la spécificité de deux interfaces : l’écran et les robots. Ainsi, l’ouvrage en deux parties s’inscrit dans leurs travaux sur la psychanalyse du « virtuel », et présente en premier lieu des travaux sur les écrans, plus particulièrement sur les jeux vidéo, pour ouvrir ensuite à la question des robots, champ de recherche qu’ils ont initié en France en 2013 avec la création de l’IERHR [15] (l’Institut pour l’étude des relations homme-robots).

57 Dans le premier texte, Tisseron va inscrire les objets numériques au sein d’une psychologie des objets. Ce texte est important, car il y intègre tout son précédent travail sur le numérique dans une pensée plus générale de notre relation aux objets. Il définit ainsi plusieurs fonctions aux objets : une fonction transitionnelle, une fonction de trésor et de fétiche, la fonction de mémoire et la fonction de projection-introjection. De là, il montre que la relation aux écrans connectés à Internet, et interactifs, fait appel à ces quatre fonctions, en raison de la présence de l’avatar.

58 Puis, Tordo recentre l’analyse de la relation à l’avatar sur une structure psychique particulière : les problématiques limites. Il reprend la « règle fondamentale psychanalytique » conceptualisée par Sigmund Freud en 1912 qu’est l’association libre, pour en proposer l’adaptation suivante : les images sont regardées et interprétées afin que le préconscient lie les différents registres de représentation, dans une « participation flottante » de l’analyste. Résumant ses précédents travaux, il explique que l’avatar, constitué comme un double numérique, va permettre au sujet de s’approprier la ligne de partage entre deux partie de son Moi et de figurer un double interne.

59 L’article du psychanalyste et docteur en psychopathologie Benoît Virole ouvre ensuite à une analyse plus large de la relation au numérique, en montrant la manière dont le numérique est un élément tiers dans la relation transférentielle. Grâce à la tablette, il permet au sujet de contourner ses difficultés cognitives. Virole donne ainsi des éléments pratiques pour pouvoir mettre en place le cadre d’une psychothérapie par médiation via les tablettes numériques.

60 Enfin, le psychologue clinicien Olivier Duris va revenir sur la relation au numérique dans la psychose. Ce détour lui permet d’aborder un aspect des jeux vidéo moins analysés par la psychanalyse : le rapport à la Loi via la structure symbolique du jeu.

Les médiations robotiques

61 Dans une visée anthropo-psychanalytique, Tisseron tente une odyssée dans les fantasmes sur les robots de l’imaginaire commun. Il montre que par son « empathie artificielle », le robot permet d’apprivoiser les interactions humaines, il peut devenir un confident et permet des socialisations.

62 À partir de cette démythologisation, Tordo analyse sa propre pratique clinique de la médiation avec les robots dans les troubles du spectre autistique. Le robot est alors pensé comme médiateur et invoque les fonctions psychiques suivante : théâtralisation en double, transformation, attracteur, enveloppe, plasticité, virtualisation, dimensionnalité en double, inscription, métabolisation du vécu sonore.

63 Reprenant l’analyse de Tisseron des fantasmes engendrés par les robots, les pédopsychiatres Thierry Chaltiel et Laura Sarfaty retracent la mise en place d’un atelier robotique au sein d’un hôpital de jour. Ils observent qu’il a permis aux différents sujets : l’expression de leurs pensées au groupe, la constitution d’une image du corps, des gestes de soin aux autres, une certaine plasticité dans les moyens d’expression des angoisses, un « assemblage » de la multisensorialité des phénomènes (son, couleur, toucher, etc.).

64 L’ouvrage a un double intérêt. Premièrement, il est un outil pratique pour les cliniciens, en offrant des réponses pratiques et théoriques sur la manière dont ils peuvent s’approprier les outils numériques dans leur dispositif de prise en charge du sujet. Deuxièmement, il montre que loin d’être l’apanage d’un paradigme de la psychologie, les médiations numériques peuvent être pensées dans une pratique d’orientation psychanalytique. Autrement dit, l’inconscient n’est pas en reste avec les choses et les façons de faire du numérique.

65 Alexandre Saint-Jevin, psychologue clinicien, docteur en psychanalyse,université Paris 8 - unité de recherche TEAMeD, 23, rue de Sambre et Meuse F-75010 Paris

66 a.saintjevin@gmail.com


Mise en ligne 27/02/2018

https://doi.org/10.3917/cm.097.0271

Notes

  • [1]
    J. Lacan, leçon II, 13 janvier 1954.
  • [2]
    Le titre complet est When Spring Comes. Awakenings in Clinical Psychoanalysis (Quand vient le printemps. Éveil en clinique psychanalytique), son titre britannique ; The Long Wait and Other Psychoanalytical Narratives (La longue attente et d’autres récits psychanalytiques), son titre nord-américain.
  • [3]
    J. Borossova, article « Khan, Masud », dans É. Roudinesco et M. Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, https://books.google.fr/books
  • [4]
    B. Golse, sous la direction de A. de Mijolla, Dictionnaire international de la psychanalyse, Paris, Hachette Littératures, 2005.
  • [5]
    J. Borossa, « The extensions of psycho-analysis: Colonialism, post-colonialism, and hospitality », dans L. Auestad, Psychoanalysis and Politics: Exclusion and the Politics of Representation, Londres, Karnac Books, 2012, p. 227-243.
  • [6]
    B. Poore, Modernism and the Making of Masud Khan, Queen Mary University of London, 2015.
  • [7]
    J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la “Verneinung” de Freud », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 381.
  • [8]
    M. Zafiropoulos, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud, Paris, Puf, 2008.
  • [9]
    J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 821.
  • [10]
    M. Zafiropoulos, op. cit., p. 239.
  • [11]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p. 319.
  • [12]
    M. Zafiropoulos, op. cit., p. 238.
  • [13]
    M. Zafiropoulos, Les mythologiques de Lacan, Toulouse, érès, 2017, p. 31.
  • [14]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre VI (1958-1959), Le désir et son interprétation, Paris, Le champ freudien, 2013.
  • [15]
    Voir le site internet de l’institut : http://ierhr.com/
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