Notes
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[*]
Ce texte reprend et prolonge une communication prononcée lors du colloque « Un paradoxe de Winnicott » (université Paris 7, 27 novembre 2004).
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[**]
Jean-François Chiantaretto, psychologue clinicien et psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’université Paris 13 ; 99 avenue Jean-Baptiste Clément, F-93430 Villetaneuse.
-
[1]
S. Freud (1919j), « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’Université ? », Œuvres complètes. Psychanalyse, XV, Paris, puf, 1996.
-
[2]
Je laisse délibérément ouverte la question de la formation des psychothérapeutes.
-
[3]
Ibid., p. 113.
-
[4]
Cf. J.-F. Chiantaretto, L’écriture de cas chez Freud, Paris, Anthropos/Economica, 1999.
-
[5]
P. Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, puf, 1975, p. 13.
-
[6]
Je me permets ici de renvoyer le lecteur à mes travaux autour de l’idée de « témoin interne » (cf. J.-F. Chiantaretto, Le témoin interne, Paris, Aubier/Flammarion, 2005).
-
[7]
D.W. Winnicott (1988), La nature humaine, Paris, Gallimard, 1990.
-
[8]
Ibid., p. 91.
-
[9]
Ibid., p. 131.
-
[10]
Ibid., p. 120.
-
[11]
Ibid., p. 146.
-
[12]
Ibid., p. 172.
-
[13]
Ibid., p. 127.
-
[14]
Ibid., p. 172.
-
[15]
Ibid., p. 174.
-
[16]
Ibid., p. 174.
-
[17]
Ibid., p. 172.
-
[18]
Ibid., p. 182.
-
[19]
Ibid., p. 183.
-
[20]
Cf. P. Aulagnier, L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, puf, 1984 ; Cent fois sur le métier (on remet son écoute), Topique, n° 41, 1988, p. 7-17.
-
[21]
Cf. J.-F. Chiantaretto, « L’écriture du psychanalyste et la séance. Publication interne et méthode analytique », dans J. André, I. Lasvergnas (sous la direction de), La psychanalyse à l’épreuve du malentendu, Paris, puf, 2006, p. 117-134.
-
[22]
Cf. P. Aulagnier, 1975, op. cit.
-
[23]
D.W. Winnicott, op. cit., p. 193.
1Comment transmettre quelque chose de la psychanalyse à l’université ? La question n’est pas nouvelle, on le sait, elle a été posée par Freud dès 1918, dans « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université [1] ? ». La perspective freudienne reste actuelle, pour la plupart de ceux d’entre les analystes qui sont aussi des enseignants chercheurs : si la formation des psychanalystes n’exige pas intrinsèquement le recours à l’université, il est souhaitable et nécessaire que l’université ait recours à la psychanalyse pour la formation des médecins et des psychiatres, mais aussi plus largement pour l’enseignement et la recherche dans les « sciences de l’esprit ». Il s’agirait seulement de prendre acte de l’extension de cette perspective à la formation des psychologues cliniciens et à la recherche en psychopathologie [2].
2Mais cette extension intervient aujourd’hui dans un contexte marqué par la difficulté de maintenir l’exigence que le recours à la psychanalyse – pour la formation des psychologues cliniciens et la recherche en psychopathologie – soit assuré principalement par des psychanalystes. Un tel contexte, pour dommageable qu’il soit, souligne mieux qu’auparavant les limites de la perspective freudienne concernant la psychanalyse à l’université, dans la mesure où elle n’intègre pas véritablement le problème de la méthode analytique, abordé seulement sous l’aspect de la « fécondation » desdites « sciences de l’esprit [3] ». Or la formation des cliniciens questionne en elle-même la méthode psychanalytique, et ce questionnement-là ne peut être porté que par des enseignants qui pratiquent la psychanalyse.
3Dès le cas Dora, Freud nous a donné les mots pour comprendre et faire l’expérience de la position d’analyste comme étant intrinsèquement une position de chercheur, ce qu’ensuite il ne manquera jamais de rappeler, par exemple dans « L’homme aux loups ». Il y a une association en l’analyste du thérapeute et du chercheur, des exigences thérapeutiques et des exigences liées à « l’investigation [4] ». Cette association, même si elle est toujours plus ou moins conflictuelle, signifie qu’en dernière instance : d’une part, il n’y a de « traitement » psychanalytique qu’en liaison avec le développement des possibilités d’investigation, ensemble et séparément, de l’analyste et de l’analysant, et d’autre part, il n’y a de recherche en psychanalyse qu’en liaison avec le développement des possibilités thérapeutiques de la psychanalyse.
4Comment transmettre quelque chose de la psychanalyse à l’université ? Je voudrais ici simplement souligner en quoi la question ne se pose pas avec Winnicott comme avec Freud. Ou plutôt, comment la définition freudienne de la méthode analytique, qui vaut pour ce dernier comme définition en propre de la psychanalyse, peut et doit intégrer l’extension winnicottienne du champ psychanalytique à l’infans, tout particulièrement telle qu’elle est présentée dans La nature humaine.
De l’analyste chercheur à l’enseignant chercheur
5Nous sommes presque tous d’accord, au moins officiellement : l’analyste chercheur, lorsqu’il est en position d’enseignant-chercheur à l’université, s’il ne forme pas des analystes, ne transmet pas seulement un savoir théorique. Je dirais qu’il s’agit pour lui d’essayer de transmettre un savoir inspiré par son expérience, par nature singulière, de la méthode analytique, une expérience au cœur de sa pratique clinique comme des recherches qu’il mène hors la cure. Ainsi l’enseignant-chercheur est-il supposé trouver des modalités qui lui soient propres pour ouvrir son discours à ce qui, précisément, fait de lui, en tant qu’analyste, un chercheur.
6Dans la situation analytique, cela renvoie à une éthique du connaître, procédant de la tension constitutive entre exigences scientifiques et exigences thérapeutiques, entre l’universalisable des concepts et le singulier d’une rencontre par nature inédite. En d’autres termes, une telle éthique renvoie à la confrontation entre le « déjà-connu d’une théorie et le non-encore-connu auquel nous confronte le discours qu’on écoute [5] ». Cette confrontation, qui rend la solitude de l’analyste potentiellement partageable avec les autres analystes, suppose ce que j’appelle un public interne [6], c’est-à-dire la mise en œuvre dans le travail de pensée en séance de la dimension tierce de la théorie et de la méthode psychanalytiques. Cette mise en œuvre suppose elle-même un dialogue intérieur, notamment avec les analystes référents de l’analyste – dialogue sans lequel l’inscription en l’analyste de l’appartenance symbolique de chacun à la communauté analytique serait empêchée par les réseaux transférentiels et d’appartenances.
7De ce dialogue intérieur, l’analyste en position d’enseignant-chercheur doit en quelque façon répondre, l’enjeu étant de rendre pensable par les étudiants, au travers de l’approche psychopathologique, le conflit irréductible entre l’éthique du connaître liée à la cure et l’éthique universitaire, liée à la transmission des connaissances, entre un registre psychique centré sur le flux associatif et l’interaction de deux inconscients et le registre de la pensée hypothético-déductive. Cela revient à trouver un style de discursivité qui ne trahisse pas trop le style caractérisant le penser en séance : l’enjeu est de témoigner d’une place singulière d’interprète, selon des modalités respectant la dimension du secret caractérisant la séance et permettant de déplacer toute communication informative.
8Dans la perspective freudienne, je soutiendrais que l’analyste chercheur en position d’enseignant-chercheur est appelé à témoigner, plus ou moins latéralement, de ses dispositions à mobiliser en soi l’enfant chercheur, c’est-à-dire ce spécialiste des théories sexuelles infantiles dont nous parle si bien Freud dans le deuxième essai de 1905. J’essaierai rapidement de circonscrire une perspective winnicottienne, où il s’agirait de témoigner, plus ou moins latéralement, de ses dispositions à mobiliser en soi l’infans chercheur, c’est-à-dire ce spécialiste de la nature humaine, au sens où Winnicott en parle dans le recueil du même nom [7]. J’ai d’ailleurs relu ce texte issu d’enseignements donnés à l’université avec l’espoir de m’éclairer à moi-même la convergence, dans mon parcours, de l’expérience de l’enseignement et de l’importance prise dans ma pratique clinique par Winnicott, et plus largement, par le modèle de la relation nourrisson/psyché maternelle, alors même que je recevais de moins en moins d’enfants, petits ou grands.
La nature humaine de la création/la nature humaine comme création
9Cela m’a rendu particulièrement sensible à la démarche régrédiente du livre pour étudier et définir la nature humaine, de l’enfant de la période œdipienne à l’infans jusqu’au nourrisson des premiers mois. Winnicott nous explique que la méthode ne saurait être la même pour décrire l’enfant et l’infans : avec ce dernier, « on ne considérera pas un enfant supposé savoir gérer une relation triangulaire, mais un petit enfant et sa capacité à former une relation avec une autre personne (la mère) [8] ». Et, ajoute-t-il, « plus notre étude du développement avance sur son chemin rétrograde, et plus nous nous retrouvons à l’évidence impliqués profondément dans l’étude de l’environnement, qui, dans le vocabulaire de la psychothérapie, relève de l’aménagement [9] ».
10La définition de la nature humaine n’intervient véritablement que dans la quatrième et dernière partie, consacrée au « développement émotionnel primitif » des premières semaines après la naissance et à la psychose. Elle est précédée, à la fin de la troisième partie, de considérations sur les quatre catégories de matériaux de l’analyse, renvoyant certes au type d’organisation du patient, mais en sachant que « le type de matériau présenté dépend du langage de l’analyste [10] », c’est-à-dire de ses dispositions à travailler avec ces quatre types de matériaux.
11Autrement dit, dans la ligne d’un Ferenczi, l’approche de la nature humaine n’est pas l’approche d’une essence humaine, mais l’approche des conditions psychiques, à la fois intrapsychiques et intersubjectives, présidant au passage du non-être à l’être, outre la naissance et la satisfaction des besoins vitaux. Et à ce titre, elle passe par l’approche de ce qui se rejoue de ces conditions dans l’implication on pourrait presque dire existentielle de l’analyste pour rendre possible un cadre analytique adapté à des phases massives de manifestations archaïques.
12On voit au mieux, dans ce texte autour de la nature humaine, le point peut-être le plus dérangeant et le plus stimulant chez Winnicott : poser d’un même geste théorique l’idée d’une dépendance vitale au plan psychique, d’abord absolue et définitivement inconnaissable, vis-à-vis de l’environnement – ce qu’il désigne dans d’autres textes sous le terme de mère-environnement – et l’idée de créativité primaire. Le fameux trouvé/créé, comme la version winnicottienne de l’hallucination primaire, supposent une convergence entre la mère et le nourrisson, tout à la fois une adaptation suffisante chez la mère et un « potentiel créatif » chez le bébé.
« Le monde est créé à nouveau par chaque être humain, qui se met à la tâche au moins aussitôt qu’il naît et prend son premier repas théorique. Ce que crée le tout-petit dépend très largement de ce qu’on lui présente au moment créatif : « on », c’est-à-dire la mère et son adaptation active aux besoins du bébé : mais, que la créativité du tout-petit vienne à manquer, et les détails présentés par la mère seront dépourvus de sens. [11] »
Solitude et dépendance
14À partir de là, Winnicott va proposer une théorie du passage du non-être à l’être, c’est-à-dire une définition de la nature humaine en termes de genèse, en lien avec ce qu’il nomme « l’essentielle solitude » ou « la solitude fondamentale ». Cette solitude est, dit-il, « la base de la nature humaine [12] », « de l’être humain comme membrane limitante avec un dedans et un dehors [13] ». Elle précède la dépendance mais elle est décrite par Winnicott de façon assez ambiguë, puisqu’il semble distinguer un état « d’avant l’animation de la vie, où la solitude est un fait [14] », et l’état proprement dit de solitude, à partir duquel l’être émerge, du point de vue individuel.
15L’ambiguïté peut être ramenée à la polémique que Winnicott mène contre l’idée freudienne de pulsion de mort, qui traduit à ses yeux l’évitement chez Freud à la fois de « l’agression inhérente à la pulsion d’amour primaire » et de celle inhérente à la réaction à « l’interruption de la continuité d’existence par empiétement [15] ». De ce point de vue, l’argumentation de Winnicott se doit de mettre en avant une théorie de la genèse psychique fondée sur la « séquence » : « “Solitude”, double dépendance, pulsion précédant la compassion, puis souci et culpabilité [16]. »
16Toutefois l’ambiguïté laisse apparaître le paradoxe dès lors qu’on met l’accent sur l’idée de double dépendance. Outre le fait de la solitude, liée à la non-vie, avant l’animation de la vie, Winnicott postule une capacité de se soucier de la solitude avant la dépendance, fondée sur cette expérience première de la solitude. Il définit ainsi un état de solitude, intégralement ignorant de ses conditions, correspondant à une dépendance absolue inconnaissable, qui n’a pas de sens, dans la mesure où il n’y a aucune conscience de l’environnement ni de l’amour de l’environnement (de l’adaptation active de l’environnement).
17Cette solitude fondatrice, sous réserve d’une adaptation active de l’environnement suffisamment consistante pour permettre l’illusion du trouvé/créé, va être reconnue comme telle. Une telle reconnaissance de la solitude fondamentale, qui va ensuite rendre possible de supporter l’absence de « contact direct entre la réalité extérieure et moi-même », correspond à la progressive prise de sens et perception de la dépendance, c’est-à-dire une dépendance seconde, relative, susceptible d’être connue et perçue.
18On peut considérer qu’une certaine ambiguïté reste attachée à l’idée d’une solitude avant la dépendance : avant même la dépendance absolue ou avant ce que je nomme ici la dépendance seconde, soit le mouvement progressif de reconnaissance de la dépendance ? Mais il me semble essentiel de prendre acte de l’apport winnicottien sur trois points :
- « l’expérience du premier éveil » inscrit psychiquement la possible représentation de l’état de non-vie qui précède, recouverte par l’interrogation sur la mort ;
- la reconnaissance après coup d’une solitude originelle, qui inscrit en l’homme un état de solitude présent jusqu’à la mort, jusqu’au retour à la non-vie, une solitude « accompagnée par l’absence de conscience des conditions mêmes qui sont essentielles à l’état de solitude [17] » ;
- la distinction entre le fait de la solitude, liée au nécessaire passage de la non-vie à la vie et l’état de solitude. Cet état de solitude est caractérisé par l’inconnaissable de ses conditions, renvoyant à l’adaptation de l’environnement, et par la nécessité qu’il soit reconnu, pour supporter la nature illusoire du contact entre réalité intérieure et réalité extérieure.
La solitude en l’analyste
20Voilà donc l’approche paradoxale de la solitude caractérisant la nature humaine dont Winnicott nous dit qu’elle se rejoue dans l’implication de l’analyste pour rendre possible un usage vivant et créatif du cadre analytique, en particulier chez les patients dits limites !
21La régression thérapeutique renvoie chez Winnicott à une utilisation thérapeutique du repli dans lequel le sujet « prend en main une partie régressée du self et le materne, aux dépens des relations extérieures [18] ». Cela suppose une « capacité de confiance », qui repose sur la capacité chez l’analyste à une adaptation suffisamment bonne aux besoins psychiques du patient, de telle façon qu’il devienne « non conscient des soins de l’environnement et de la dépendance [19] ». Est ainsi exigé de l’analyste qu’il soit capable d’assumer d’être investi d’abord comme figure maternelle idéalisée, aux soins parfaits, puis progressivement aussi comme figure maternelle mauvaise. De telles dispositions reposent sur la confiance accordée par l’analyste, en lui, à ce que j’ai appelé l’infans chercheur, spécialiste de la solitude, né de l’absence de contact direct entre réalité intérieure et extérieure, chercheur acceptant l’inconnaissable, de la créativité primaire comme de la rencontre de l’adaptation active suffisamment bonne de l’environnement.
22Il y a, pour l’analyste en situation, une réactivation, en lui, de l’infans chercheur ainsi défini, c’est-à-dire des racines émotionnelles et affectives de son propre Je. Comme celle de la mère en relation avec le nourrisson, la psyché de l’analyste manifeste une pluralité de fonctionnements. Ces fonctionnements tiennent ensemble dans la stricte mesure où l’analyste en situation investit la traduction des émotions et affects en mots, et les limites d’une telle traduction, comme une source de questionnement sur sa propre pensée, sur les sources inconnaissables de sa propre pensée. Cela correspond à ce que Piera Aulagnier désigne comme les « questions fondamentales » de l’analyste, en référence à son concept de « langage fondamental [20] ».
23Mon hypothèse serait de considérer la « théorisation flottante » de l’analyste, au-delà de la fonction pare-excitation/contenante, comme un dialogue interne donnant lieu au pouvoir identifiant de la psychanalyse, comme l’espace d’inscription en situation d’un public interne, d’une communauté interne. Ainsi, s’inscrit psychiquement le partageable de la solitude de l’analyste, il faudrait dire la dimension à la fois intersubjective et communautaire de la métapsychologie, telle qu’elle rend possible de garantir le secret du penser « en présence de », caractérisant la séance.
24Ce dialogue interne, qui met en œuvre l’hétérogénéité de fonctionnement du penser de l’analyste, j’ai proposé ailleurs de le comprendre comme une écriture potentielle, donnant fond à la parole, actualisant les fondements relationnels de la parole [21]. Il concerne en l’analyste l’enfant chercheur freudien, mais aussi l’infans chercheur winnicottien. Il met en œuvre non seulement un style interprétatif, mais aussi un style d’être. Il implique non seulement la richesse sémantique des mots mais aussi leurs sources émotionnelles, renvoyant à l’expérience, à jamais en deçà de toute connaissance, d’avoir été pensé par les mots de l’autre. Il implique non seulement le pouvoir interprétant du langage, mais aussi son pouvoir identifiant.
Le pluriel de l’analyste et la position d’enseignant chercheur
25Dans cette perspective, l’analyste chercheur en position d’enseignant-chercheur va donner à entendre, à son su et son insu, qu’il y consente ou s’y oppose, ce dialogue interne lié à la théorisation flottante en séance. Cela peut dans les meilleurs cas l’amener à inventer un style de discursivité gardant trace du pluriel à l’œuvre dans la situation analytique. Ledit pluriel correspond à la pluralité de ses registres de fonctionnement en séance, l’affect, le sens et la culture engageant tous ensemble l’affectivité comme étant à la fois un mode de connaissance et un mode thérapeutique spécifique à la cure comme « expérience relationnelle », permettant de retisser ou réactiver l’interprétation maternelle [22]. Il s’agit aussi de la pluralité des figures identificatoires, des liens d’appartenance et des étayages métapsychologiques mis en jeu avec la fonction analysante.
26On pourrait ajouter que ce pluriel se conjugue avec la pluralité des approches requises pour l’approche génétique de la nature humaine telle qu’elle est proposée par Winnicott.
« Il n’y a pas d’étude plus importante que celle de l’individu au début, quand il est intimement pris dans l’environnement. Là se rencontrent les nombreuses disciplines de l’investigation scientifique générale, du diagnostic et de la pratique psychiatrique et psychothérapeutique, ainsi que de la philosophie, auxquelles nous devons le courage de procéder pas à pas vers une meilleure compréhension de la nature humaine. [23] »
28*
29* *
30Le témoignage de l’analyste en position d’enseignant-chercheur, qui rend possible la transmission, est par nature latéral, indirect et parcellaire, du fait de l’hétérogénéité de l’espace analytique et de l’espace universitaire. Il l’est par nature et doit être assumé comme tel, de façon à préserver l’espace du secret, constitutif de la séance. Son objet est un mode de penser, donné à penser et non à voir. Plus précisément, il s’agit d’attester de sa place singulière d’interprète et de la relation analytique comme espace de questionnement de sa propre pensée et de ses sources, sans exhiber la scène analytique. C’est à cette position, difficile voire presque impossible, que nous convie Winnicott, une position consistant donc à autoriser jusqu’à un certain point la parole enseignante à être inspirée par le destin interne de l’infans chercheur – soit la source peut-être première du singulier mis en œuvre avec la méthode analytique, méthode indissociablement d’investigation et de traitement.
Notes
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[*]
Ce texte reprend et prolonge une communication prononcée lors du colloque « Un paradoxe de Winnicott » (université Paris 7, 27 novembre 2004).
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[**]
Jean-François Chiantaretto, psychologue clinicien et psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’université Paris 13 ; 99 avenue Jean-Baptiste Clément, F-93430 Villetaneuse.
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[1]
S. Freud (1919j), « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’Université ? », Œuvres complètes. Psychanalyse, XV, Paris, puf, 1996.
-
[2]
Je laisse délibérément ouverte la question de la formation des psychothérapeutes.
-
[3]
Ibid., p. 113.
-
[4]
Cf. J.-F. Chiantaretto, L’écriture de cas chez Freud, Paris, Anthropos/Economica, 1999.
-
[5]
P. Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, puf, 1975, p. 13.
-
[6]
Je me permets ici de renvoyer le lecteur à mes travaux autour de l’idée de « témoin interne » (cf. J.-F. Chiantaretto, Le témoin interne, Paris, Aubier/Flammarion, 2005).
-
[7]
D.W. Winnicott (1988), La nature humaine, Paris, Gallimard, 1990.
-
[8]
Ibid., p. 91.
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[9]
Ibid., p. 131.
-
[10]
Ibid., p. 120.
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[11]
Ibid., p. 146.
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[12]
Ibid., p. 172.
-
[13]
Ibid., p. 127.
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[14]
Ibid., p. 172.
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[15]
Ibid., p. 174.
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[16]
Ibid., p. 174.
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[17]
Ibid., p. 172.
-
[18]
Ibid., p. 182.
-
[19]
Ibid., p. 183.
-
[20]
Cf. P. Aulagnier, L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, puf, 1984 ; Cent fois sur le métier (on remet son écoute), Topique, n° 41, 1988, p. 7-17.
-
[21]
Cf. J.-F. Chiantaretto, « L’écriture du psychanalyste et la séance. Publication interne et méthode analytique », dans J. André, I. Lasvergnas (sous la direction de), La psychanalyse à l’épreuve du malentendu, Paris, puf, 2006, p. 117-134.
-
[22]
Cf. P. Aulagnier, 1975, op. cit.
-
[23]
D.W. Winnicott, op. cit., p. 193.