Couverture de CMR_613

Article de revue

Film phare – film fantôme

Le procès du Parti industriel en images et en sons (1930-2020)

Pages 349 à 382

Notes

  • [1]
    V.I. Fomin, éd., Letopis´ rossijskogo kino, 1930-1945 [Chronique du cinéma russe, 1930-1945], M. : Materik, 2007, p. 86.
  • [2]
    Eugene Lyons, Assignment in Utopia, New York : Harcourt, Brace and Company, 1938, p. 370.
  • [3]
    Cf., à titre d’exemple, Šahtinskij process [Le procès Šahti] (210 mètres, environ 8 minutes, film muet de V. Eshurin). Ce procès a également été couvert dans deux éditions du journal filmé (Sovžurnal, n° 23 et 27 de 1928) où il apparaît comme un des sujets d’actualité de la semaine.
  • [4]
    Cf. https://www.youtube.com/watch?v=CYBs16r9W4M Les images sont accompagnées d’un commentaire d’Edvard Razinskij.
  • [5]
     VOKS : Vsesojuznoe Obščestvo Kul´turnoj Svjazi s zagranicej – Société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger.
  • [6]
    Julie A. Cassiday, Ennemy on Trial : Early Soviet Courts on Stage and Screen, DeKalb : Northern Illinois Press, 2000, p. 168-175.
  • [7]
    L’historiographie des procès, sujet étudié dès l’entre-deux-guerres, s’est largement développée après l’ouverture des archives dans les années 1990. L’article détaillé de Vanessa Voisin consacré à cette thématique ouvre notamment sur une approche de ces procès dans une perspective d’histoire sociale. Cf. Vanessa VOISIN « Du “procès spectacle” au fait social. Historiographie de la médiatisation des procès en Union Soviétique », Critique internationale, 75 (2), 2017, p. 159-173. Il serait impossible de présenter un aperçu même bref de la littérature sur la propagande et les campagnes de mobilisation. Parmi les livres récents, on peut indiquer l’ouvrage de David Brandenberger, Propaganda State in Crisis : Soviet Ideology, Indoctrination, and the Terror under Stalin, 1927-1941, Yale University Press, 2011. Si l’ouvrage est censé éclairer non seulement les pratiques d’influence du pouvoir, mais également les réactions de la population, cet aspect est peu développé, surtout en ce qui concerne les formes d’adhésion populaire. Pour une analyse des pratiques mobilisatrices prises dans leur épaisseur sociale, voir Sergej Krasil´nikov, éd., Social´naja mobilizacija v stalinskom obščestve (konec 1920h – 1930h gg.) [La mobilisation sociale dans la société stalinienne (fin des années 1920 – années 1930)], M. : ROSSPEN, 2018. Cet ouvrage contient également un aperçu -historiographique des travaux consacrés aux mobilisations sociales en URSS.
  • [8]
    AVP RF (Arhiv vnešnej politiki Rossijskoj federacii – Archives de politique extérieure de la Fédération de Russie), f. 0136, op. 14, p. 140, d. 593, l. 38, 40.
  • [9]
    Process « Prompartii » (25 nojabrja-7 dekabrja 1930). Stenogramma sudebnogo processa i materialy priobščennye k delu [Le procès du « Parti industriel » (25 novembre – 7 décembre 1930), documents joints au dossier], M. : OGIZ, 1931, p. 44.
  • [10]
    Lettre de Stalin à Molotov, 2 septembre 1930 in L. Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. Molotovu. 1925-1936 gg. Sbornik dokumentov [Lettres de I.V. Stalin à V.M. Molotov. 1925-1936. Recueil de documents], M. : Rossija molodaja, 1996, p. 211.
  • [11]
    Cf. Les dépositions de Ramzin en date du 21 septembre 1930, in Sergej Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g. : podgotovka, provedenie, itogi [Le procès du Parti industriel en 1930 : préparation, déroulement, bilan], vol. 1, M. : ROSSPEN, 2016, p. 132-163.
  • [12]
    Lettre non datée de Stalin à Menžinskij, in Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. -Molotovu, p. 187-188.
  • [13]
    Décision du bureau politique du 25 octobre 1930, in Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g., p. 353.
  • [14]
    Oleg Hlevnjuk, Politbjuro : Mekhanizmy političeskoj vlasti v 1930e gody [Le Politburo, mécanismes du pouvoir politiques dans les années 1930], M. : ROSSPEN, 1996, p. 17-20.
  • [15]
    Cf. Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s-1990s, Cambridge university press, 1998, p. 140-143 ; Susanne -Schattenberg, Inženery Stalina : Žizn´ meždu tehnikoj i terrorom v 1930e gody [Les ingénieurs de Stalin : la vie entre technique et terreur dans les années 1930], M. : ROSSPEN, 2011, p. 58.
  • [16]
    Sabine Dullin, « Litvinov, les diplomates soviétiques et l’Europe au seuil des années 1930 », in Alexandre Tchoubarian, Georges-Henri Soutou, Elisabeth Du Réau, Mikhail Narinsky, éds., L’URSS et l’Europe dans les années 1920, Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2000, p. 160-161.
  • [17]
    Journal officiel de la République française du 4 octobre 1930, n. 234, p. 11359, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6542462m/f7.item
  • [18]
    Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g., p. 354-355.
  • [19]
    Lettre de Stalin à Menžinskij, non datée, in Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. -Molotovu, p. 188.
  • [20]
    RGASPI (Rossijskii gosudartvennyi arhiv socio-politicheskoj istorii – Les archives d’État russes d’histoire socio-politique), f. 17, op. 162, d. 9, l. 80-81.
  • [21]
    À titre d’exemple, cf. RGASPI, f. 495, op. 30, d. 638, l. 91, 139, 142.
  • [22]
    RGASPI, f. 495, op. 30, d. 638, l. 88.
  • [23]
    GARF (Gosudarstvennyi arhiv Rossijskoj Federacii – Archives d’État de la Fédération de Russie), f. 5283, op. 1, d. 139.
  • [24]
    Anna Shapovalova, « Influencer la presse française : les diplomates soviétiques et le procès du Parti Industriel », in Luba Jurgenson, Claudia Pieralli, Lo specchio del Gulag in Francia e in Italia. La ricezione delle repressioni politiche sovietiche tra testimonianze, narrazioni, -rappresentazioni culturali (1917-1987), Pisa University Press, 2019, p. 215-241.
  • [25]
    [Anon.], « V otvet na vreditel´stvo. Tesnee splotimsja vokrug partii [En réponse au sabotage, rassemblons-nous autour du parti] », Kino, n° 64, 17 novembre 1930, p. 1. Les deux autres meetings sont rapportés sur la même page, sous les sous-titres suivants : « Hodatajstvuem o nagraždenii OGPU [Demande d’une récompense pour l’OGPU] » et « Vse sily – na velikuju strojku [Toutes les forces pour la grandiose construction] ».
  • [26]
    Ibidem.
  • [27]
    GARF, f. R-5283, op. 1, d. 139, l. 3-4ob.
  • [28]
    La candidature envisagée pour ce montage est celle de Pèra Ataševa, proche d’Eisenstein.
  • [29]
    Le Procès des SR de droite (D. Vertov, 1922) est le montage le plus long (environ 24 minutes).
  • [30]
    Sur la transition de l’URSS au cinéma sonore, voir Lilya Kaganovsky, The Voice of Technology (1928-1935), India University Press, 2018. Les précisions apportées dans les lignes qui suivent s’appuient toutefois sur les recherches menées par l’une des co-autrices de cet article. Voir V. Pozner, « To Overtake and Outstrip Hollywood : Early Talking Pictures in the Soviet Union», in Masha Salazkina, Lilya Kaganovsky, éds., Sound in Russian and Soviet Audio-visual Media, Indiana University Press, 2013, p. 60-80. Voir également V. Pozner, « Circulation des techniques du cinéma sonore de l’Ouest vers l’URSS au tournant des années 1920-1930 », Larissa Zakharova, Liliane Pérez, éds., Les techniques et la globalisation au xxe siècle, Rennes : PUR, 2016, p. 63-81.
  • [31]
    Une deuxième salle fut équipée à Moscou en février 1931 au Koloss, prestigieuse salle du Conservatoire qui alternait concerts et projections cinématographiques selon les soirs. Elle relevait de la Mejrabpomfilm. Voir Večernjaja Moskva, n° 55, 4 mars 1931, p. 3 et 4. À la fin de l’année 1931 Moscou comptait 11 salles équipées pour le cinéma sonore et l’URSS toute entière – 55, dont certaines avec un matériel très déficient, source de nombreuses réclamations de spectateurs et d’enquêtes des autorités. Voir les articles mentionnés à la note précédente.
  • [32]
    Z. D., « Zvukos´´emka Olimpiady iskusstv [Le film sonore de L’Olympiade des arts] », Kino i žizn´, n° 20, 1930, p. 17 ; Vl. Erofeev, « O čem govorit opyt [Ce qui dit l’expérience] », Kino i žizn´, n° 23, p. 19 et n° 24, 1930, p. 18-19.
  • [33]
    CA FSB, d.  R-37146. Tome 1. Les notes ont été prises par Oleg Kapčinskij à qui nous adressons nos remerciements.
  • [34]
    Anatolij Ardatov (de son vrai nom Natan Zvenigorodskij) avait organisé le séjour à Moscou de Joe Coffman, l’ingénieur américain invité pour conseiller les studios russes. Coffman effectua plusieurs voyages à Moscou entre août et décembre 1930.
  • [35]
    CA FSB, d. R-37146, t. 1, l. 514.
  • [36]
    Cette version « officielle » diffère par sa longueur et l’ordre des séquences de celle que l’on trouve sur internet. Cette dernière aurait peut-être été réalisée pour convenir au format de l’émission de Edvard Radzinskij diffusée sur la chaîne Kul’tura en 2012. Elle est accessible à l’url : https://www.youtube.com/watch?v=CYBs16r9W4M
  • [37]
    Il s’agit plus exactement de trois petites éditions, correspondant à la journée d’ouverture du procès, à celle du 1er décembre et à l’annonce du verdict, probablement distribuées en avant-partie de programme.
  • [38]
    RGALI (Rossijskij gosudarstvennyj arhiv literatury i isskustv – Archives d’État russes de littérature et des arts), f. 2965, op. 1, d. 131, l. 1. Le document n’est pas daté, mais signé de la main de Vyšinskij. Il se trouve dans le fonds personnel de Mark Cejtlin. Né en 1901 à Rostov-sur-le-Don, ce dernier avait travaillé au Musée de la révolution et participé à la constitution d’archives cinématographiques, ce qui l’avait conduit à collaborer avec Šub, notamment pour la Chute de la dynastie des Romanov (1927) et ses autres films de montage. Il passe au studio Sojuzkinohronika en 1929 et collabora ensuite avec Medvedkin pour le cinétrain.
  • [39]
    Curieusement quelques photogrammes montrant Krylenko ont été conservés dans la boîte IV, et dans l’amorce des boîtes III et VIII de la copie positive conservée au RGAKFD. Par ailleurs, Krylenko n’a pas disparu des éditions muettes – preuve que cette version était -considérée comme définitivement obsolète au moment de ces coupes.
  • [40]
    On ajoutera que la documentation du contrôle technique conservée au RGAKFD montre, pour ces douze boîtes, un nombre tout à fait exceptionnel de collures sur le négatif, ce qui renforce l’idée de multiples interventions.
  • [41]
    La documentation sur le tournage ne semble pas avoir subsisté et les archives conservées dans la famille du réalisateur ne comportent aucun document concernant ce film. On sait seulement que participent à ces prises de vues l’opérateur Ivan Beljakov qui a débuté avec Vertov et a secondé Erofeev sur L’Olympiade des arts, tout comme l’ingénieur du son Zahar´ Zalkind. Posel´skij est secondé par sa femme, monteuse passée réalisatrice, Irina Venžer.
  • [42]
    Selon Cassiday, cette brève déposition du témoin Osadčij montrerait « l’instant de la conversion » et constituerait à ce titre l’acmé du « mélodrame » : une lecture que notre analyse ne confirme pas. Cassiday, Enemy on Trial, p. 174.
  • [43]
    Signalons qu’on n’a pour le moment aucune idée du métrage total utilisé, et donc du ratio entre pellicule utilisée et pellicule utile.
  • [44]
    Nous remercions Victor Barbat pour ses remarques sur les paragraphes suivants.
  • [45]
    Il s’agit d’un plan de la boîte X du n° 3685 : ce plan a-t-il été d’emblée écarté ? Il est difficile de le dire.
  • [46]
    Cf. les télégrammes de Duranty, Basseches, Lyons, Just et même Cholerton, AVP RF, f. 0136, op. 14, p. 140, d. 593, l. 56-60, 65-66, 70-73.
  • [47]
    On distingue sur la couverture le nom de Feliks Dzeržinskij, fondateur de la Čéka (OGPU).
  • [48]
    S’agissant des voix des accusés, celles-ci sont étonnamment fermes, particulièrement celle du prof. Čarnovskij. Il est difficile ici de suivre Cassiday qui les décrit comme cassées, caractéristiques de personnes apeurées, totalement isolées, à la différence des juges ou du procureur conservant le contrôle et la « spontanéité cinématographique ». Cassiday, Enemy on Trial, p. 170.
  • [49]
    À Leningrad, Moscou, Harkov´ et Minsk.
  • [50]
    N. Lebedev, « Process Prompartii na èkrane [Le procès du Parti industriel à l’écran] », Večernjaja Moskva, 15 février 1931, p. 3.
  • [51]
    Encart publicitaire dans Večernjaja Moskva, 9 janvier 1931, p. 4.
  • [52]
    Encart publicitaire dans Večernjaja Moskva, 4 février 1931, p. 4 (la première a lieu le 7).
  • [53]
    On ne sait pas si le film fut montré dans la salle de Leningrad ou dans celle de Minsk.
  • [54]
    Letopis´ rossijskogo kino, p. 114.
  • [55]
    Ainsi, il n’est pas présenté lors de l’ouverture de la salle Udarnik, salle de prestige intégrée dans l’ensemble architectural de la Maison du gouvernement conçu par Iofan au centre de Moscou, à proximité du Kremlin.
  • [56]
    Vinogradov à Krestinskij avec copie à la VOKS, GARF, F. 5283, op. 1a, d. 181, l. 71-72.
  • [57]
    Nous remercions Nataliya Poutchenkina pour les éléments fournis à propos de la diffusion du film à l’étranger.
  • [58]
    Comœdia, n° 6559, 3 janvier 1931.
  • [59]
    La Revue du cinéma, 20, 1er mars 1931, p. 13.
  • [60]
    Cette distribution par Welt film fit d’ailleurs l’objet d’une plainte par une société concurrente. Le cas est évoqué par un attaché de la représentation commerciale de l’URSS à Berlin dans un rapport à Intorgkino. Voir RGALI, f. 2497, op. 1, ed. hr. 15, l. 58 ob.
  • [61]
    Voir la thèse d’Anna Shapovalova intitulée « L’Étranger, ressort des procès staliniens pour l’exemple (1928-1933). Pour une analyse de la dimension internationale de trois affaires -soviétiques (Chakhty, Parti Industriel, Vickers) », EHESS, Paris, 9 octobre 2020.
  • [62]
    Novoe russkoe slovo (New York), 28 février, 3 et 4 mars 1931. Cité d’après Letopis´ -rossijskogo kino, p. 94.
  • [63]
    Procédé déjà employé par l’auteur dans Austerlitz (2016).
  • [64]
    Voir Victor Barbat, « Roman Karmen, la Vulgate soviétique de l’histoire. -Stratégies et modes opératoires d’un documentariste au xxe siècle », thèse de doctorat (Paris 1, 2018) ; Idem, « Mettre en scène la preuve. L’esthétique de la représentation soviétique au procès des grands criminels de guerre de Nuremberg », in Vanessa Voisin, Irina Tcherneva, Eric Le Bourhis, éds., Mobilized for Justice: Society Confronts Nazi Crimes During the Cold War, 1940s-80s (à paraître).

1Le 4 janvier 1931, un nouveau film – 13 jours de Jakov Posel´skij – sort sur les écrans soviétiques [1]. Il relate un événement majeur dе la vie sociale et politique de l’URSS qui vient à peine de s’achever, le procès dit du Parti industriel.

Prises de vues du procès du Parti industriel

Figure 0

Prises de vues du procès du Parti industriel

2L’importance de ce procès est mise en avant par Eugène Lyons, journaliste américain, représentant United Press International à Moscou, premier à interviewer Stalin le 20 novembre 1930, à la veille de l’ouverture des audiences. Lyons va commenter au jour le jour le déroulement du procès ; plus tard dans ses souvenirs, il notera : « Few things in Soviet history can compare for the size of the audience and the calculated melodrama of the proceedings... There would be trials more significant historically, particularly those that ended with the annihilation of Old Bolsheviks… But not one of them was to approach the Ramzin show for scientifically inflated sensationalism and for the transparency of its make-believe » [2]. Lyons se réfère à la volonté politique de placer ce procès au centre d’une grande mobilisation à la fois en URSS et au-delà de ses frontières. Le film 13 jours, objet du présent article, fait partie intégrante de cette campagne et en constitue probablement la réalisation la plus ambitieuse.

3En ce milieu du premier plan quinquennal, les procès politiques ne sont plus une nouveauté dans le pays. Plusieurs d’entre eux ont déjà été filmés [3]. Le film 13 jours se démarque pourtant clairement de l’expérience passée : il s’agit d’un des premiers films sonores, d’une longueur exceptionnelle de 1h 50 mn, tourné, monté et sorti sur les écrans en un temps record d’un mois, processus qui suggère non seulement l’approbation des autorités politiques mais aussi un engagement important de ressources humaines, techniques et financières ainsi qu’une réactivité rare dans l’univers soviétique bureaucratisé. En dépit de ces investissements, la carrière du film sera modeste. Après une diffusion extrêmement limitée, il tombe rapidement dans l’oubli jusqu’aux années 2000, où une version courte apparaît à la télévision russe [4], suivie plus tardivement d’un autre film intitulé Process [Le Procès], réalisé par Sergei Loznitsa à partir du matériel d’origine.

4Ce décalage entre les ambitions premières et l’échec immédiat de 13 jours soulève des interrogations. Comment expliquer cette production filmique ambitieuse à un moment où l’industrie cinématographique soviétique traverse une grave crise et connaît une profonde restructuration ? Quels sont les enjeux professionnels, mais aussi politiques et sociaux d’une pareille production ? Comment le récit filmé du procès est-il construit et quelle place est-elle faite respectivement au son et à l’image ? Enfin, pourquoi la diffusion du film piétine-t-elle ? L’analyse de l’itinéraire encore largement méconnu du film se base sur le dépouillement des archives visuelles contenant les éléments originaux conservés au RGAKFD (Russkij gosudarstvennyj arhiv kinofotodokumentov – Archives russes d’État du cinéma et de la photographie documentaires), de la documentation soviétique relative à la campagne générale de mobilisation autour du procès du Parti industriel (archives du bureau politique, du Komintern et de la VOKS [5], de la presse soviétique et -étrangère de l’époque.

5Il s’agit d’esquisser l’histoire d’un objet – le film 13 jours – en l’inscrivant dans le cadre plus large du développement du cinéma documentaire soviétique et des pratiques mobilisatrices du pouvoir. Si le champ du cinéma de non-fiction après 1945 concernant les films consacrés aux procès commence à être mieux connu, notamment grâce aux travaux d’Irina Tcherneva et du programme ANR coordonné par Vanessa Voisin, la période de l’entre-deux-guerres reste toujours sous-étudiée, en dehors de l’ouvrage de Julie A. Cassiday, The Ennemy on Trial (2000). La chercheuse américaine étudie les procès à la lumière des débats sur la fonction du théâtre dans la société et des idées que se faisaient les bolcheviks du rôle du public. Sa thèse est que la visée de ces procès était de transformer la société par le recours aux moyens de l’art et particulièrement du spectacle. L’auteure étudie pièces et films contenant des scènes de procès, en s’arrêtant particulièrement sur le tournant des années 1920 et 1930. Elle consacre ainsi plusieurs pages au film 13 jours[6]. Selon elle, ce film témoigne de la victoire du cinéma sur le théâtre et, par là, marque un appauvrissement du spectacle judiciaire, au script désormais contrôlé et dont le public est cantonné au rôle de spectateur passif. Le genre dont relèverait le film est celui du mélodrame, où les accusés feraient figure de « méchants », et le public de « victime ». Son analyse est entièrement subordonnée à la démonstration de cette thèse, avec la sélection d’éléments, voire les imprécisions que cela entraîne.

6Notre ambition est à la fois plus modeste et différente. Loin d’une lecture globale des dimensions fictionnelles de ces productions, notre analyse s’appuiera avant tout sur les avancées récentes dans l’historiographie des procès et des campagnes de mobilisation menées en URSS, mais aussi à l’étranger. Le constat général concernant les ressorts politiques des grands procès publics a pu être enrichi par la reconstruction plus fine de leurs enjeux, de leur fabrique et du rôle des divers acteurs impliqués, en soulevant ainsi l’éventualité d’envisager ces procès en tant qu’événements coproduits [7]. L’étude de cas de la production d’un long-métrage dans cette perspective permettra de questionner l’implication d’un milieu particulier – celui du cinéma – dans une vaste campagne de mobilisation, avec les spécificités et aléas d’un pareil engagement.

7La présentation du procès et de ses enjeux globaux sera suivie par le resserrement de la focale sur l’implication des cinéastes dans la mobilisation générale avec la mise en exergue des motivations propres à ce milieu. La deuxième partie se penchera sur le film lui-même, en apportant des éléments sur sa conservation et ses remodelages et en proposant une analyse détaillée du récit filmique qui s’arrêtera particulièrement sur les articulations multiformes entre l’écrit, le son et les images. La fin de l’article se concentre sur la diffusion du film à l’époque de sa production et sur sa postérité.

Exposer un complot contre-révolutionnaire : l’événement et ses enjeux

8Le procès du Parti industriel – objet et matière du film – se déroule dans la fameuse Maison des syndicats, à quelques pas seulement de la place Rouge, entre le 25 novembre et le 7 décembre 1930.

9Treize jours durant, la Cour Suprême entend les parties pour statuer sur le degré de culpabilité des accusés – degré, car ils avouent tous leurs crimes. Il s’agit pour les autorités de démontrer avec précision et un certain sensationnalisme l’activité néfaste des membres de cette prétendue organisation du Parti industriel. Huit personnes se trouvent dans le box des accusés. Ce sont tous des « spécialistes », membres de l’intelligentsia technique avec une solide formation qui, avant leur arrestation, ont occupé des postes de responsabilité dans les principales institutions économiques. Parmi eux se démarque le professeur Ramzin, chef du Parti industriel selon l’accusation. Au moment de son arrestation, Ramzin est une personnalité connue et influente dans son domaine. Membre à partir de 1920 de la commission d’État à l’électrification, il est à l’origine de la création d’un grand Institut de recherche énergétique ; par la suite, il entre au Gosplan et au VSNH (Vysšij sovet narodnogo hozjaistva – Conseil suprême de l’économie nationale). Au procès, il joue le rôle d’accusé vedette, au point que certains observateurs étrangers attribuent son nom au procès [8]. Que reproche-t-on à ces spécialistes, pourtant placés par le pouvoir même à des postes économiques clé ?

Ramzin lors de l’une de ses dépositions

Figure 1

Ramzin lors de l’une de ses dépositions

10D’après l’acte d’accusation leur sont imputés les crimes désignés par l’article 58 du Code pénal de RSFSR [9]. Il s’agit d’abord d’activités de sabotage : désorganisation de l’économie soviétique, planification erronée et consciemment déficiente, enfin accidents organisés dans la production. Or, l’acte d’accusation insiste davantage sur les liens que les comploteurs soviétiques auraient maintenus avec des ennemis extérieurs. La désorganisation de l’économie soviétique n’aurait été qu’une étape préalable à une nouvelle intervention armée contre l’URSS, avec l’aide idéologique, financière et organisationnelle des émigrés russes, des états-majors et des gouvernements étrangers. Tout cela fait du procès du Parti industriel un procès pour faits de haute trahison par excellence.

11L’ampleur des accusations résulte de la convergence des intérêts institutionnels de l’OGPU avec la commande politique. Depuis l’affaire Šahty en 1928, l’OGPU multiplie les découvertes de « complots ». Or, il s’agit là d’une activité ordinaire de la police politique, dont le financement est d’ailleurs corollaire de sa capacité à se montrer efficace dans la lutte contre les ennemis du régime. Seule une poignée d’affaires investiguées est transformée pourtant en grands procès publics, dont l’affaire du Parti industriel. Le moment clé de cette transformation est la fin de l’été-début de l’automne 1930. À ce moment, la possibilité d’organiser un procès est sérieusement envisagée par le secrétaire général [10]. Après quelques hésitations, c’est le dossier du Parti industriel qui est choisi. L’élan en est donné par les dépositions de Ramzin qui insiste sur la collusion entre les ennemis intérieurs et extérieurs du régime [11]. Ses dépositions attirent l’attention particulière de Stalin qui, dans un message au chef de l’OGPU Menžinskij, souligne les visées interventionnistes des comploteurs et donne des orientations à l’enquête [12]. Bientôt, le feu vert est donné pour aboutir à un grand procès public à vocation politique et pédagogique [13].

12Cette décision découle des usages faits de ces procès par le pouvoir politique : ceux-ci sont avant tout mobilisés comme un moyen de légitimation. La période du Premier plan est loin des tableaux glorifiants qu’en dressent régulièrement les journaux soviétiques. La collectivisation et l’industrialisation suscitent un mécontentement fort auprès d’une grande partie de la population [14]. La mise en place d’un grand procès contre les spécialistes de l’économie vise à canaliser ce mécontentement. De multiples failles économiques sont donc imputées à l’activité de saboteurs et ne sont nullement la conséquence des politiques désastreuses du gouvernement en place. La stigmatisation des spécialistes dits « bourgeois » reflète la méfiance latente d’une partie de la direction politique à l’égard de ce groupe social, elle a surtout l’avantage de s’appuyer sur les tensions réelles dans la production entre les ouvriers et ces spécialistes qui bénéficient toujours de meilleures conditions de vie et de travail [15]. La dénonciation même partielle de l’intelligentsia technique est donc susceptible de toucher une corde sensible chez ceux qui sont mécontents de la distribution des rapports de forces dans le domaine économique. La légitimation du pouvoir passe également par le discrédit jeté sur les partisans de politiques plus « droitières », encore nombreux dans les échelons intermédiaires et bas du parti comme de l’appareil étatique. Durant l’instruction, l’accusation établit des liens entre les idées des membres du Parti industriel et les orientations préconisées par les bolcheviks associés à la droite du parti. Cette association est doublement instrumentale : elle jette le discrédit sur les orientations plus modérées de gens comme Buharin ou Rykov et, par effet de boomerang, vise à réaffirmer la politique plus radicale du Premier plan.

13Enfin, la dimension internationale du complot – relevée par Stalin en personne – est cruciale dans le mécanisme de légitimation. Le procès dénonce la connivence entre les ennemis intérieurs et extérieurs. Ce sont même ces derniers qui sont présentés comme les véritables instigateurs du complot, intéressés à préparer une intervention armée pour renverser le pouvoir bolchevik. Ce discours renforce une image centrale de la révolution stalinienne, celle de l’URSS comme citadelle assiégée. En effet, l’industrialisation est notamment justifiée par les nécessités de la défense du pays. L’exaltation du danger extérieur dépasse d’ailleurs les considérations d’ordre purement idéologique à destination interne. La conjoncture internationale à l’automne 1930 est tendue. La question des exportations soviétiques pose problèmes à plusieurs pays concernés par la crise de 1929 qui adoptent des politiques protectionnistes. L’URSS est accusée de dumping au détriment des producteurs nationaux [16]. Le 3 octobre, la France adopte un décret limitant de fait les exportations en provenance de l’URSS [17]. Les Soviétiques craignent alors de voir d’autres pays suivre l’exemple français. Un procès dénonçant les ennemis extérieurs – en premier lieu la France – est également un message aux publics -étrangers mettant en garde contre des politiques commerciales jugées répressives et -prémonitoires d’une nouvelle attaque contre l’URSS.

14L’emboîtement de ces enjeux de politique intérieure et de relations internationales donne l’impulsion à une grande campagne autour du procès du Parti industriel. Le film consacré au procès s’inscrit dans cette mobilisation plus large qui se veut globale, tant par le nombre d’acteurs impliqués que par les espaces concernés.

15La découverte du complot du Parti industriel et l’ouverture prochaine d’un procès sont annoncées par l’agence d’information TASS le 27 octobre 1930 [18]. Une pareille annonce envoie un signal fort aux responsables de la presse, aux diverses institutions et à la population dans son ensemble : depuis au moins l’affaire Šahty, le jugement des contre-révolutionnaires est considéré par le gouvernement comme une opportunité pour tester la loyauté politique du peuple. Les réactions au complot se multiplient en effet au mois de novembre et le milieu cinématographique, comme on le verra plus loin, n’y fera pas exception.

16L’incitation à la prise de parole vient toutefois d’en haut. L’impératif de transformer le procès du Parti industriel en un temps fort de la mobilisation est clairement formulé dans la lettre de Stalin à Menžinskij : « Si les dépositions de Ramzin sont confirmées et concrétisées par les dépositions des autres accusés <…> cela sera un succès sérieux de l’OGPU puisque <…> on ferait du matériau ainsi obtenu l’apanage des sections de l’Internationale communiste et des travailleurs de tous les pays ; on mènerait une campagne des plus vastes » [19]. Par la suite, le PCUS et l’Internationale relancent à plusieurs reprises le réseau communiste et lui fournissent des directives concernant la campagne à mener. Il s’agit d’organiser de grands meetings le premier jour des audiences, de mettre sur pied plus largement une vaste opération de médiatisation autour du procès et d’en préciser les slogans magistraux : exécution sans merci des agents de l’intervention militaire, avancement significatif sur tout le front de la construction socialiste ; renforcement des capacités de défense du pays ou encore unité combative des travailleurs autour du parti bolchevik [20]. Ces mots d’ordre seront déclinés dans les résolutions de nombreuses institutions et notamment par les cinéastes.

17Les attentes des autorités moscovites sont donc communiquées aux responsables communistes. Au-delà, la documentation relative au procès [21] montre quant à elle, qu’avec le procès du Parti industriel, il s’agit d’une campagne étroitement encadrée et centralisée, devant se déployer à la fois à l’intérieur de l’Union soviétique et à l’étranger.

18La mobilisation dépasse d’ailleurs largement le circuit partisan. L’intelligentsia soviétique y prend notamment une part plus active que par le passé. Y contribue l’activité de la VOKS, pourtant encore totalement absente au moment de l’affaire Šahty. À l’annonce du futur procès, cette association culturelle se montre indifférente, mais elle est rapidement rappelée à l’ordre par le Komintern qui supervise la campagne [22]. La VOKS tâche dès lors de tout mettre en œuvre pour rattraper son retard et montrer son exemplarité : publication d’articles écrits, collecte de signatures, expositions, conférences, visites guidées, sans oublier la projection de films [23]. La multiplication des acteurs de la mobilisation passe également par l’engagement plus prononcé des diplomates dans la mobilisation internationale. La documentation du Commissariat aux Affaires étrangères (NKID) montre entre autres les tentatives des ambassades soviétiques de faire venir des journalistes non-communistes au procès, de placer des articles dans la presse étrangère ou de faire barrage aux publications critiques [24].

19La mise en parallèle des plans ambitieux de ces différentes institutions avec les réalisations concrètes montrera un écart important. Les contraintes sont en effet nombreuses : le manque de personnel, d’équipement et de moyens, les délais extrêmement courts, l’inaudibilité du message diffusé à l’attention des milieux extérieurs, le bureaucratisme et l’autoritarisme des encadrants, les contextes souvent peu propices à une pareille mobilisation. La comparaison avec la mobilisation autour du procès Šahty de 1928 donne, quant à elle, un aperçu sensiblement différent ; malgré ses multiples contraintes et dysfonctionnements, la campagne du procès du Parti industriel reste d’une ampleur étonnante, mobilisant une variété d’acteurs, d’espaces mais aussi de supports bien supérieurs. La réalisation d’un film de long-métrage en est un exemple frappant.

Les cinéastes et la campagne autour du procès

20Comme d’autres secteurs professionnels, le cinéma est appelé à participer à la campagne de dénonciation du Parti industriel. Cette participation se décline sous plusieurs formes : organisation de meetings, rédaction de résolutions ; envoi de cinéastes à des réunions de préfiguration, puis à des manifestations organisées par la VOKS, réponse à des demandes ponctuelles et bien sûr fourniture de supports pour la campagne.

21Trois meetings successifs se tiennent à partir du 12 novembre 1930. Le premier est celui de l’Association des travailleurs du cinéma révolutionnaire (ARRK). Son bref compte rendu est très caractéristique des communiqués stéréotypés qui paraissent alors en quantité :

22

En réponse aux attaques odieuses <…> la réunion appelle les cinéastes d’avant-garde à serrer les rangs autour du parti communiste pour porter un coup décisif aux derniers tenants de la contre-révolution et à leurs émules sur tous les fronts de la construction socialiste. « Sur le front du cinéma, indique un membre de l’ARRK, nous répondrons par un accroissement des rythmes de travail, une amélioration de la qualité artistique et idéologique de la production. Nous ferons plus rapidement du cinéma une arme efficace de la propagande communiste ! La cause des bolcheviks, la cause de la classe ouvrière, la cause d’Octobre restera vivante en dépit de toutes les provocations et sabotages commis par ces féroces ennemis de classe. » En conclusion, les cinéastes ont adressé leurs chaleureuses salutations à l’OGPU qui s’est acquitté d’une tâche héroïque en démasquant une organisation contre-révolutionnaire et ont exigé du tribunal prolétarien la sentence de mort pour ces odieux mercenaires de la bourgeoisie mondiale. [25]

23Un autre meeting se tient le 16 novembre à Sojuzkino, l’entité qui chapeaute depuis février 1930 l’ensemble des activités de la branche. La résolution adoptée exige à nouveau la sentence de mort et demande de décerner l’ordre de Lenin à l’OGPU. Outre des engagements d’ordre général, il est question de réaliser un film de fiction consacré au « Parti industriel et ses activités en URSS », qui devra être produit en des temps records afin de pouvoir être sur les écrans pour le début du procès.

24Enfin, dans la foulée, se tient, toujours à Moscou, un troisième meeting au studio Vostokkino, responsable des films à destination des populations non russes de la fédération de Russie. Parmi les revendications, il est cette fois question de « -démasquer dans nos propres rangs ceux qui sabotent le plan budgétaire et la construction du socialisme » [26].

25À première lecture, ces « informations » semblent calquées sur un moule préconçu, et les engagements pris par les professionnels, relever de mots d’ordre formels. Toutefois l’ambition exceptionnelle du film 13 jours, s’il relève du cinéma documentaire et non de la fiction comme envisagé au départ, dépasse très largement la réponse de pure forme. Comme on va le voir, les raisons en sont, en partie du moins, probablement évoquées de manière sibylline dans l’une de ces brèves.

26Parallèlement, les milieux cinématographiques sont interpelés par la VOKS qui échafaude sa campagne à destination des publics étrangers et dont la section cinéma a été chargée d’élaborer une liste de documentaires illustrant les succès de l’industrie soviétique, preuves de l’échec des manœuvres de sabotage entreprises par le fameux Parti industriel. L’idée est d’envoyer des copies de ces films à l’étranger afin qu’ils puissent être projetés dans le cadre de la campagne autour du procès [27].

27La veille de l’ouverture du procès, le 24 novembre 1930, la section cinéma de la VOKS a enfin élaboré et chiffré son plan : le cœur doit en être constitué par un film d’actualités consacré au procès, qui sera accompagné d’un documentaire illustrant, par contraste, les succès de la construction socialiste. Ce deuxième documentaire de 300 mètres (soit environ dix minutes) sera sous-titré en plusieurs langues (allemand, anglais et français) [28]. Une programmation illustrant la marche en avant de l’URSS accompagnera et complétera ces deux films. Presque tous les titres retenus sont muets, ce qui hypothèque d’emblée le succès de la campagne dans une Europe dont la transition au cinéma sonore a déjà partout eu lieu, sans parler des États-Unis. Les sujets abordés sont larges, les genres variés et les régions évoquées font plutôt penser à une programmation de travelogues. Le lien direct avec le procès n’apparaît pas immédiatement. Entre l’hypothèse d’un choix délibéré pour mieux s’adapter au public étranger en visant un propos plus général, celle d’une interprétation du procès associant étroitement la dénonciation du danger contre-révolutionnaire à la glorification des succès de la construction socialiste et, enfin, l’éventualité d’un pur opportunisme de la VOKS cherchant à valoriser l’ensemble de ses travaux – et en tirer des dividendes politiques et financiers – sous la bannière d’une campagne autour du procès, il est permis d’hésiter.

28D’autant plus que dans la suite du même document, l’auteur propose de faire la propagande de l’essor du cinéma en URSS et à cet effet suggère d’éditer dix articles en trois langues (dont un sur le cinéma parlant), ainsi qu’une monographie plus conséquente consacrée au cinéma soviétique à destination du public américain. Ainsi, à partir du cœur de la campagne (le procès du Parti industriel), par cercles concentriques, il est finalement question de budgéter des actions concernant la propagande du cinéma en général.

29Toutefois, il est clair pour les parties prenantes que le succès du volet cinéma de la campagne tient à celui du film lui-même. On manque de sources pour saisir la chaîne de décisions ayant abouti au lancement de sa production. Il est néanmoins peu probable qu’une commande de la VOKS ait pu suffire. Les moyens de cette organisation sont en effet notoirement insuffisants. Or par la longueur de la production sonore réalisée, 13 jours dépasse très largement tous les autres documentaires consacrés à des procès tournés en URSS avant-guerre, dont la durée n’excède jamais 24 minutes [29]. De plus, 13 jours est un exploit technique. Il s’agit en effet d’un des tout premiers films sonores réalisés en URSS, ce qui entraîne des investissements plus que conséquents. Mais si la documentation disponible ne permet pas de prouver l’existence d’une commande explicite émanant d’une instance extérieure, on peut avancer un faisceau de circonstances ayant pu conduire Sojuzkino à investir de son propre chef des moyens aussi importants, sachant que pareil projet était conforme à la volonté politique d’une couverture médiatique du procès la plus large possible. Ces raisons associent plusieurs dimensions, techniques, économiques et politiques et affectent plusieurs échelles et niveaux de décision : la direction de la branche cinématographique, les milieux cinématographiques moscovites, enfin, il ne faut pas exclure des motifs d’ordre personnel.

Le contexte de la transition au cinéma sonore

30Si la presse présentant le film souligne l’exploit technique, c’est que l’URSS, de ce point de vue, accuse un retard par rapport aux autres pays d’Europe, sans parler des États-Unis où les premiers films sonores distribués datent de 1927 [30].

31Au sous-investissement chronique dont souffre l’infrastructure de la branche s’ajoute l’échec d’une négociation avec l’Américain Photophone pour importer ces technologies. Le développement encore chancelant de procédés sonores soviétiques et particulièrement la fabrication d’appareils dépendent de l’octroi de nouveaux budgets. Mais pour appuyer une demande, encore faut-il montrer des résultats probants. Or, à la veille de l’ouverture du procès, seuls trois programmes sonores sont sortis, composés de courts et moyens métrages mêlant animation, actualités et numéros musicaux, et l’Union soviétique ne compte que quatre salles équipées, dont une (l’unique salle moscovite), avec le matériel américain laissé par -Photophone lors d’une projection de démonstration [31]. Le long-métrage de Dziga Vertov Enthousiasme, produit et en partie réalisé en Ukraine, en son synchrone, est sorti le 7 novembre 1930, mais a été retiré des écrans au bout de trois jours : les remaniements vont prendre plusieurs mois et le film sera finalement présenté au public au printemps 1931 dans une version largement amputée. Ce n’est donc pas ce film qui peut servir à Sojuzkino de fer de lance pour obtenir des moyens supplémentaires. De plus, la plupart des films sonores déjà réalisés relèvent du pur divertissement ou ont une ambition avant-gardiste qui cadre mal avec une démarche visant à prouver l’urgence politique d’investir dans le cinéma sonore. Or les rares fois où des responsables politiques ont pris la parole pour évoquer les potentialités de cette invention, l’accent a été mis sur l’éducation politique et la propagande au sens large. Dans ce contexte, on peut avancer l’hypothèse que la production de 13 jours ait été envisagée afin de remplir cet objectif, à condition d’en faire un film ambitieux.

32Encore fallait-il que les professionnels en eussent les capacités techniques. De ce point de vue, les évolutions récentes allaient dans le bon sens, même si les résultats étaient encore fragiles. Un appareil mobile permettant d’enregistrer sur bande optique en extérieur (appareil Chorine, modèle « Mixt »), expérimenté en laboratoire en novembre-décembre 1929, avait été testé en conditions réelles en Ukraine à partir de mars 1930 par l’équipe de Vertov. Cet appareil, dans une version améliorée, avait ensuite servi pour Olimpiada iskusstv (L’Olympiade des arts), filmé par Vladimir Erofeev durant la manifestation du même nom de l’été 1930. Le tournage avait revêtu un caractère tout à fait expérimental et lors des premières prises de vues, les membres de l’équipe n’étaient nullement assurés des résultats [32]. Erofeev préconisait un dispositif avec deux caméras couplées à deux enregistreurs et une communication téléphonique entre les membres de l’équipe. Considéré comme une réussite, L’Olympiade des arts ouvrait la voie aux actualités sonores et allait permettre la production de 13 jours.

Carton tiré du film 13 jours

Figure 2

Carton tiré du film 13 jours

33Les prises de vues du procès du Parti industriel firent en effet appel exactement au même dispositif, aux mêmes appareils et aux mêmes spécialistes : Ivan Beljakov pour les prises de vues et Zahar´ Zalkind pour l’enregistrement. Les professionnels ayant une expérience du cinéma sonore se comptaient encore, il est vrai, sur les doigts d’une main.

34Ce double contexte – le besoin urgent d’une rallonge budgétaire et la mise au point d’un procédé d’enregistrement approprié – suffirait seul à expliquer l’ampleur donnée à la production. Mais à cela s’ajoute un troisième élément, qui joua sans doute un rôle non négligeable : parallèlement à la préparation du procès public du Parti industriel, d’autres vagues d’arrestations se déroulaient dans un certain nombre de secteurs, y compris celui du cinéma.

L’affaire du ciné-parti industriel

35Il est difficile aujourd’hui de comprendre tous les ressorts de cette affaire : les sources du FSB sont quasi inaccessibles et peu fiables, tandis que les dossiers de Sojuzkino ont très probablement fait l’objet d’un nettoyage. Comme cette affaire se conclut à huis clos par des décisions du collège de l’OGPU, la presse resta muette sur le sujet. Quelques rares documents du fonds 17 du RGASPI montrent -l’implication des sphères les plus hautes du pouvoir.

36Le contexte général est le même que pour le procès du Parti industriel : il convenait de trouver des coupables aux échecs annoncés du Premier plan et, concrètement pour la branche cinématographique, de désigner et châtier les responsables des retards pris dans les prévisions de production, la construction de studios, l’extension du parc de salles, les échecs des films soviétiques à l’export, etc., peu importe si les ambitions étaient démesurées et les objectifs inatteignables. À cela s’ajoutaient bien sûr les déboires liés à la transition au cinéma sonore. L’hypothèse longtemps maintenue d’un accord avec les États-Unis ayant été finalement exclue, il s’agissait rétrospectivement d’en châtier les partisans, que l’on pouvait a posteriori accuser d’avoir entretenu des liens coupables avec l’étranger, et d’avoir voulu dilapider des devises. Enfin un troisième volet concernait directement les « spécialistes d’ancien régime », en l’occurrence certains responsables de la production ayant commencé leur carrière dans les studios des années 1910. La vague d’arrestations débuta en novembre 1930. D’après le dossier conservé aux archives du FSB [33], il s’agissait de mettre au jour l’existence d’un « ciné-parti industriel ». Plus d’une quinzaine de professionnels furent arrêtés et interrogés afin d’extorquer des aveux ou la mise en cause d’autres collègues. En dehors de Moisej Alejnikov, responsable de la production très respecté des cinéastes, la plupart étaient des inconnus, responsables des fournitures, équipements, de la construction ou de l’import-export. Dans le cadre de leurs activités professionnelles, ils avaient été amenés à entretenir des relations avec des firmes étrangères fabriquant de la pellicule ou des appareils, firmes soupçonnées d’avoir voulu espionner les studios et laboratoires de Russie, ou d’avoir soudoyé ces professionnels pour freiner les avancées russes. Ce type de contacts était d’emblée suspect pour l’OGPU et, dans le cadre plus général de la chasse aux ennemis intérieurs, représentait un facteur supplémentaire de risque. Tout comme les accusés du procès du Parti industriel, ceux de cette affaire sectorielle furent tous reconnus coupables d’activités contre-révolutionnaires au titre de l’article 58 du Code pénal. Au terme de l’enquête qui se prolongea jusqu’en juin 1931, deux peines de mort furent prononcées et exécutées, trois accusés virent leur peine de mort commuée en dix ans de camp, sentence également prononcée à l’égard de trois autres (dont Alejnikov), trois professionnels furent condamnés à cinq ans, et deux autres à trois. L’un des condamnés à mort était justement le responsable de Sojuzkino pour la transition au cinéma sonore [34]. Parmi les accusés figurait également un certain Boris Posel´skij, alors responsable du département d’exploitation de Sojuzkino. Arrêté le 16 novembre, il fut transféré le 18 à la prison intérieure de la Lubjanka. Il s’en tira avec une condamnation à dix ans d’enfermement, après avoir dans un premier temps été condamné à mort [35].

37Ces arrestations débutèrent au moment même où se déroulaient les meetings réclamant la plus grande fermeté à l’égard des accusés du procès du Parti industriel. On comprend mieux dans ce contexte l’appel cité plus haut des cinéastes de -Vostokkino à s’inspirer de cette affaire pour faire le ménage dans les milieux du cinéma. On peut supposer que dans ce climat de délation mêlé de craintes et d’incertitudes, la direction de Sojuzkino ait pu voir dans la production d’un long-métrage consacré au procès public, la possibilité de faire preuve de loyauté. Et il est fort probable que ce fut pour la même raison que Jakov Posel´skij, frère de Boris, s’engagea pour réaliser le film. Il reste paradoxal d’avoir choisi de répondre aux attentes politiques supposées par un film sonore, dont la technologie même était le produit d’interactions avec l’étranger… au moment où celles-ci étaient bannies.

13 jours : un film fantôme ?

38Avant d’analyser les images, il convient de s’arrêter sur les sources disponibles. Or, la matérialité concrète de ce film reste énigmatique à plusieurs égards. Les archives du film documentaire (RGAKFD) conservent en effet plusieurs éléments correspondant aux prises de vues du procès du Parti industriel : une version montée d’environ 1 heure et 6 minutes (n° 3952), intitulée 13 jours[36] ; une édition spéciale, muette, de 20 minutes, intitulée le Procès du parti industriel – le verdict du prolétariat (n° 3874) [37], et un certain nombre de fragments regroupés en douze boîtes (n° 3685) pour un total de 2 323 m. (soit 1 h et 24 minutes). La version originale, qui selon le critique N. Lebedev durait 1h 50, n’est donc pas conservée. L’hypothèse d’une erreur du critique, qui aurait pu exagérer la durée, doit d’emblée être écartée pour plusieurs raisons : Nikolaj Lebedev (1897-1978) est non seulement critique, et plus tard historien du cinéma, mais, membre actif de l’ARK, il participe alors à la fondation de la chaire d’études cinématographiques du VGIK : les données filmographiques en constituent la base. De plus, la durée et le contenu des séances annoncées dans les publicités correspondent parfaitement à un long-métrage : si le film avait fait 40 ou même 60 minutes, il n’aurait constitué qu’un complément de programme, or les séances ont lieu toutes les deux heures. Enfin, un courrier de Vyšinskij adressé à Mark Cejtlin, responsable de la rédaction au studio des actualités (Sojuzkinohronika) qui produit le film, est assez éloquent :

39

J’ai visionné le film sonore 13 jours (l’Affaire du Parti industriel) ainsi que le texte [le relevé des interventions verbales et des intertitres AS-VP]. Je considère que le montage a été effectué correctement et est tout à fait satisfaisant idéologiquement et politiquement parlant, tout en conservant la perspective de la procédure juridique <…> Je considère que le film doit être mis sur les écrans le plus rapidement possible. Il pourrait lui être reproché une durée excessive, mais la tentative de raccourcir le texte au-delà de ce qui a déjà été fait a conduit à y renoncer <…> 13 jours est à mon avis bien fait, et doit être montré au public rapidement, aussi bien en URSS qu’à l’étranger [38].

40Il s’agit donc, aux yeux de Vyšinskij, d’un film d’une durée hors du commun – pour un film de procès, ou pour un film d’actualités de manière plus générale, il ne précise pas. Plusieurs questions se posent alors : De quand la version raccourcie (à peine plus d’une heure) date-t-elle ? Quelles parties ont été éliminées ? À quoi les fragments conservés sous le n° 3685 correspondent-ils ? L’hypothèse que ces douze boîtes regroupent la totalité des coupes ne convient pas, car les deux documents mis bout à bout dépassent la longueur originale, or aucune séquence ou plan ne se répète entre le n° 3685 et le n° 3952. Quelques détails mentionnés dans l’article de Nikolaj Lebedev indiquent pourtant que certaines séquences conservées dans ces boîtes correspondent bien à des coupes : il s’agit en particulier des fragments des dépositions du témoin Osadčij, ainsi que des passages où intervient le procureur général Krylenko, notamment son réquisitoire, évoqué par le critique comme « suscitant une énorme tension émotionnelle ». Ici, on peut penser que ces coupes sont intervenues après l’arrestation de Krylenko et son élimination en juillet 1938.

41Faute d’éléments plus précis, on avancera l’hypothèse selon laquelle cette version plus courte (environ une heure) aurait été réalisée dans la foulée, en 1931, pour la distribution courante – l’exploitation d’un long-métrage d’actualités étant réputée plus difficile –, version qui aurait ensuite été encore raccourcie en 1938 pour en supprimer les interventions de Krylenko (d’ailleurs regroupées dans deux boîtes d’archives) [39]. Les éléments se trouvant dans les douze boîtes du n° 3685 correspondent donc pour partie à des fragments qui soit n’ont jamais été montés (écartés au montage pour défectuosité technique), soit ont sans doute appartenu à la première version, la plus longue, et pour une autre partie, à des coupes -intervenues après l’élimination de Krylenko en 1938 [40]. En dehors de ces coupes, il est, dans l’état actuel de la documentation, impossible de se prononcer sur l’ordre des séquences et la composition exacte du film original. En effet, nous n’avons pour le moment retrouvé aucune trace, dans les archives du studio ou les fonds personnels examinés, de la continuité dialoguée avec intertitres établie à l’époque pour la présentation à la censure et qu’évoque Vyšinskij dans son courrier.

42Si les éléments manquent pour juger du film dans la version sortie au début de janvier 1931, certaines caractéristiques se dégagent après examen des différents fragments conservés. Celles-ci concernent tant les choix généraux de structure que le dispositif de filmage/enregistrement, ou enfin le style au sens général (choix de cadrage, mouvements de caméra, etc.).

L’invention d’un genre

43Posel´skij et son équipe [41] – dans laquelle entre peut-être dès le départ Mark Cejtlin, le rédacteur en chef du studio – font ainsi d’emblée le choix de placer le procès dans le contexte de la mobilisation sociale organisée par le pouvoir. En d’autres termes, il s’agit de montrer la pression de la rue en contrepoint du déroulement des audiences : une séquence importante est consacrée au grand meeting qui se tient à proximité du tribunal, où différentes catégories de travailleurs exigent la plus grande sévérité pour les accusés. Il s’agit là d’une thématique traditionnellement exploitée lors des procès précédents, l’épisode le plus connu étant probablement le grand rassemblement organisé lors du jugement des socialistes-révolutionnaires en 1922, où une foule avait fini par faire irruption dans la salle même des audiences, exigeant la peine maximale pour les accusés et assurant la nouvelle justice révolutionnaire du soutien populaire. Le film de Posel´skij se saisit à son tour de cet élément et entend ainsi mettre en scène les « attentes du peuple ». Sur cette toile de fond, le verdict final et surtout la commutation des peines peuvent paraître cléments : laisser en vie ces comploteurs avérés sert à démontrer la puissance et la solidité du régime soviétique, d’autant plus que les crimes sont d’une gravité extrême et les aveux, des plus complets.

44Les extraits conservés du meeting sont filmés de nuit, le soleil se couchant à Moscou vers 16h au mois de décembre, des éclairages puissants permettent de détacher certains groupes, quelques éléments de décoration, et de lire les inscriptions sur des banderoles. On voit circuler un petit blindé, avec quelques soldats à l’intérieur (filmés en plan rapproché) : image très parlante des capacités techniques de la défense que requiert la situation de « forteresse assiégée ». Les slogans saluent l’Armée rouge, « soutien de la paix et gardien fidèle du gouvernement soviétique », appellent à produire davantage d’armes, célèbrent l’OGPU et son efficacité à démasquer les ennemis et, à l’inverse, dénoncent les projets d’intervention de la France et réclament la tête des accusés. Les bâtiments sont ornés de décorations lumineuses appelant à achever le Plan quinquennal en quatre ans. On voit et on entend une fanfare militaire. Les cadrages et échelles de plan varient : la fanfare est filmée en plongée, presque à la verticale ; le soldat émergeant du blindé est, lui, filmé en contre-plongée. Les plans généraux permettant d’embrasser la foule alternent avec des plans plus resserrés sur certaines banderoles ou certains participants. Et comme si cet imposant rassemblement ne suffisait pas, quelques cartons ponctuent la séquence, soulignant l’importance de la mobilisation (« Des centaines », « des milliers », « des millions ») et la détermination de la foule (« D’interminables colonnes d’ouvriers exigeaient des accusés qu’ils répondent de leurs actes »).

Image du meeting insérée dans le film

Figure 3

Image du meeting insérée dans le film

Fanfare vue en plongée

Image du meeting insérée dans le film

Figure 4

Image du meeting insérée dans le film

Meeting accusant Poincaré

Image du meeting insérée dans le film

Figure 5

Image du meeting insérée dans le film

« Требуем расстрела »

Image du meeting insérée dans le film

Figure 6

Image du meeting insérée dans le film

Soldat blindé

45Si ces images sont assez spectaculaires (on sera frappé par le nombre de banderoles réclamant la sentence de mort), c’est bien sûr le son qui donne toute sa puissance à ces plans. Outre la musique de l’orchestre, on entend parfaitement bien les hourras, les vociférations, les clameurs de certains groupes…

46Même s’il est difficile de connaître la longueur initiale et l’emplacement précis de cette séquence dans l’économie générale du film, on peut gager qu’elle était, peu ou prou, placée au début, avant que le procès ne démarre véritablement, à l’image des meetings tenus à la veille et le jour de son ouverture.

47La structure générale du début suivait donc probablement l’ordre suivant : arrivée des accusés en voiture dans la cour arrière de la Maison des syndicats ; leur entrée par une porte de service, convoyés par des gardiens ; l’entrée du public dans la salle ; le box où les accusés prennent place ; l’entrée de la cour et la présentation de chacun des juges ; l’annonce solennelle de l’ouverture du procès par Vyšinskij ; la lecture de l’acte d’accusation ; puis sans doute la séquence du meeting.

Arrivée en voiture des accusés

Figure 7

Arrivée en voiture des accusés

Entrée des accusés dans le box

Figure 8

Entrée des accusés dans le box

Entrée des accusés

Figure 9

Entrée des accusés

Entrée du public

Figure 10

Entrée du public

Vyšinskij

Figure 11

Vyšinskij

48Les différentes parties prenantes étaient ainsi présentées à tour de rôle. Il est fort probable que figuraient également ici quelques plans montrant Krylenko et, à côté de lui, Fridberg, son adjoint. Dans la suite du film, les plans alternent entre ces différents protagonistes : les accusés, dans le box ou à la barre ; les juges, vus ensemble ou séparément ; le public ; le procureur. Les journalistes sont parfois saisis par la caméra – assis dans les premiers rangs, mais jamais singularisés. De même, les plans montrant les accusés dans le box révèlent parfois les deux avocats assis juste devant, mais sans jamais s’arrêter sur eux. Il est vrai que leur rôle est très réduit au cours du procès : seuls deux des huit accusés avaient requis les services d’un avocat, et leur marge de manœuvre était extrêmement réduite. Autre absence significative : celle des témoins, pourtant nombreux, appelés à la barre. Dans le film, une seule séquence en montre un, qui d’ailleurs était déjà interné au moment de sa déposition – ce qui n’est pas précisé, ni dans le fragment filmé ni dans le sténogramme du procès [42].

Krylenko et son assistant Fridberg

Figure 12

Krylenko et son assistant Fridberg

49Figure 13

50Le film sonore procède donc à un resserrement des parties prenantes : les accusés font face à leurs juges représentants de l’État soviétique qui œuvrent à l’application de la loi, tâche dans laquelle ils sont pleinement soutenus par l’auditoire à l’intérieur comme par les manifestants à l’extérieur. On relèvera que les éditions muettes, pourtant beaucoup plus brèves, font le choix inverse, en singularisant certains journalistes (Cachin pour l’Humanité et Kol´cov pour la Pravda), en montrant les avocats (Ocep et Braude), et en consacrant plusieurs plans aux nombreux témoins.

51Enfin, très logiquement, le film suit le déroulement du procès, depuis son ouverture jusqu’à la lecture du verdict par Vyšinskij. Quelques cartons de fin annoncent au public la commutation des peines de mort en années d’emprisonnement.

52Mais à l’intérieur du film, entre les scènes d’ouverture et l’annonce du verdict, les différentes étapes du procès semblent avoir été d’emblée mélangées : l’équipe a filmé pratiquement tous les jours (justifiant le titre du film !) [43], mais le montage procède à un regroupement des extraits des différentes interventions de chacun des accusés. Il est vrai que le rappel des activités de sabotage, des liens avec l’étranger, ou encore les rapports entre les différents membres du « comité central du parti industriel » se répètent fortement d’un bout à l’autre du procès. Même à imaginer que le film ait été fortement remanié, le parti pris des cinéastes était d’emblée de condenser les déclarations.

53Par ailleurs, les séquences filmées restent à un niveau très général : le point principal est de montrer – et d’entendre, ce qui est crucial – les accusés parlant « librement » à la barre et reconnaissant, à plusieurs reprises, leur culpabilité. Ces séquences insistent également sur quelques points-clé : l’implication de différents cercles à l’étranger (politiciens, militaires et émigrés russes) et leurs plans d’intervention armée ; l’échec systématique des actions entreprises à l’intérieur du pays par les membres du Parti industriel pour entraver la marche en avant de l’industrie soviétique ; enfin l’entrée des accusés dans l’action clandestine et les fonctions officielles qu’ils occupaient alors : l’idée est de présenter les accusés comme des ennemis intérieurs de longue date, d’insister sur l’hostilité ambiante du monde extérieur et sur la supériorité du modèle soviétique. Lorsque le film aborde certains détails, il ne s’agit pas tant d’actions de sabotage que de comportements ou de pratiques caractérisant les accusés comme des représentants de l’élite d’ancien régime, isolés numériquement et dénués de principes politiques car rémunérés par l’étranger, à éliminer, comme le réclament les banderoles du meeting.

Image du public

Figure 14

Image du public

La tribune

Image du public

Figure 15

Image du public

La tribune

Image du public

Figure 16

Image du public

Le public, avec en premier plan un projecteur

Image du public

Figure 17

Image du public

Les spectateurs se protègent de la lumière

Image du public

Figure 18

Image du public

Les spectateurs sont gênés par la lumière

Image du public

Figure 19

Image du public

Les spectateurs tentent de se protéger de la lumière

Image du public

Figure 20

Image du public

Image du public

Figure 21

Image du public

Vue en plongée du public, avec une caméra au premier plan

54On peut se demander bien sûr si les cinéastes n’ont pas eu entre les mains un canevas du déroulement des audiences ou n’ont pas été en contact avec les juges, afin de coordonner leurs prises de vues avec certains moments importants du procès. La documentation actuellement disponible sur le tournage est trop restreinte et ne permet pas d’en juger.

55Mais d’autres décisions relèvent clairement des choix des cinéastes, réalisateur et cameraman au premier chef [44]. Il semble qu’une seule caméra sonore ait été à leur disposition, Parvo L couplée avec un enregistreur (contrairement aux préconisations de Lebedev en faveur d’au moins deux caméras pour varier les angles). Une petite caméra mobile muette servant à compléter le filmage par quelques plans du public. C’est la raison pour laquelle, dans certaines déclarations filmées d’abord en gros plan, un passage manque par rapport au sténogramme, avant que la caméra ne montre la suite, cette fois en plan général. Le passage manquant correspond au moment où les membres de l’équipe ont reculé la caméra. On remarquera également que la caméra effectue de très nombreux panoramiques, souvent entre le juge posant une question et l’accusé y répondant. Outre l’impératif dû à la présence d’une seule caméra, on peut y lire la tentative de donner plus de vivacité au film, de transmettre la tension qui s’installe et est éprouvée dans la salle par le public qui reporte son regard d’un personnage à un autre, de la question à la réponse. On relèvera que certains panoramiques effectués trop rapidement donnent un effet flou et chaotique et ont probablement été écartés au montage (ils sont conservés dans les boîtes d’archives parmi les fragments du n° 3685).

56Par ailleurs, une certaine variété est introduite, principalement grâce aux plans montrant le public : celui-ci est filmé tantôt en légère plongée (ce qui implique la mise en place d’une tribune), tantôt au niveau-même des spectateurs assis, tantôt depuis la galerie supérieure (à l’aide de la caméra mobile, peut-être de type Eyemo), tantôt cette galerie, emplie de monde, est montrée en contre plongée. Outre les éclairages de la salle (plusieurs lustres de grande taille comportant chacun plusieurs rangs d’ampoules), l’équipe dispose de projecteurs manœuvrés en même temps que la caméra afin de saisir les réactions. Mais leur puissance indispose visiblement le public, si bien que la caméra ne capte pas tant les réactions au procès que les gestes pour se protéger de cet éclairage trop agressif (certains s’abritent derrière un journal, lèvent le bras, placent leur main devant les yeux, ou encore esquissent des grimaces). Les lents panoramiques saisissent une diversité d’attitudes, d’âges et de mises. Beaucoup moins nombreuses que les hommes, des femmes sont néanmoins présentes. Les regards caméra sont très fréquents – preuve du peu de consignes données par l’équipe mais aussi probablement du manque d’habitude de la présence d’une caméra. Ces plans du public rythment en quelque sorte le cours du film.

57À l’inverse, les plans sur les juges ou les accusés sont beaucoup plus monotones. Les juges sont systématiquement filmés de face, avec plusieurs échelles de plan, Vyšinskij occupant le centre, à tous points de vue : il est assis au milieu de la table, est pratiquement le seul à prendre la parole, il est enfin souvent cadré serré, -probablement avec un objectif de longue focale. Dans la mesure où sur certains plans généraux on voit, face à lui, la petite table où se relaient les sténodactylos, on peut imaginer que les plus gros plans ont été refilmés séparément, soit le soir après la fin des débats, soit le matin avant leur ouverture, ou encore carrément après la fin du procès.

Vyšinskij avec et sans les dactylos

Figure 22

Vyšinskij avec et sans les dactylos

Figure 23

58`Figure 24

59Contrairement aux juges, les accusés, que ce soit dans le box ou à la barre, sont présentés de biais ou de profil. Quelques rares plans ont été filmés en plongée, mais la plupart du temps, la caméra sur pied est installée dans la salle. Tantôt les accusés à la barre sont découpés au niveau du bas du veston, ce qui permet de voir clairement les pages du texte qu’ils lisent, posé sur un lutrin (seul l’accusé Sitnin, dans une séquence, répond spontanément aux questions [45]). Tantôt certains accusés sont filmés en gros plan de profil, ce qui évoque aussitôt le cadrage employé pour les photographies d’anthropométrie judiciaire. C’est particulièrement le cas de Čarnovskij dans la version courte conservée. La caméra panoramique, à plusieurs reprises, depuis les juges à l’accusé se tenant à la barre, poursuit son mouvement jusqu’aux autres accusés assis dans le box pour enfin s’immobiliser de manière à mettre en évidence dans la composition de l’image, debout à gauche, le garde de l’OGPU en uniforme et bonnet de drap sombre (comme les soldats rouges de la Guerre civile), baïonnette dans la main droite, pique pointée vers le haut. Il incarne en quelque sorte la vigilance de son institution.

Accusé de biais et la table des dactylos

Figure 25

Accusé de biais et la table des dactylos

Čarnovskij de profil

Figure 26

Čarnovskij de profil

Garde de l’OGPU

Figure 27

Garde de l’OGPU

60Parmi les accusés, le plus souvent filmé est naturellement la vedette du procès, le professeur Ramzin. Son débit rapide, avec des pauses et reprises de souffle découpant artificiellement le texte, indique un apprentissage (désormais attesté) des déclarations par cœur, même si certains -observateurs étrangers de l’époque se sont fait au moins -partiellement convaincre par les aveux et la manière de se tenir des accusés [46]. Certains plans serrés où l’accusé est de profil ont, là encore, certainement été refilmés a posteriori, dans la même salle : alors que dans les plans précédents, l’éclairage de la salle met en valeur le mur clair et les colonnes, ici le fond est beaucoup plus sombre. On peut imaginer que ces refilmages ont été motivés par la qualité de l’enregistrement. D’une manière générale, la qualité du son est partout suffisante pour suivre les paroles (dans les extraits montés), mais certains propos de Ramzin et de Vyšinskij étaient sans doute trop importants pour que les cinéastes prennent des risques (il n’est pas non plus impossible que le tournage ait été interrompu en raison de la gêne provoquée par les éclairages et le bruit de la caméra). Le nombre de micros installés dans la salle est un élément frappant du film : ils ne sont en effet pas moins de neuf. Mais certains (micros ronds) sont reliés à un pavillon géant que l’on aperçoit sur quelques plans et servent simplement à amplifier la parole des accusés et des juges, à destination donc du public. Tandis que les micros carrés sont reliés à la caméra sonore. D’autres micros, parfois disposés sur la même table, servent à capter les réactions du public. On peut imaginer qu’un assistant ouvrait ou fermait alternativement ces micros.

Le pavillon pour amplifier les voix

Figure 28

Le pavillon pour amplifier les voix

Vyšinskij et ses deux micros

Figure 29

Vyšinskij et ses deux micros

Les micros

Figure 30

Les micros

61Enfin, l’annonce du verdict a clairement bénéficié d’un équipement supérieur avec au moins deux caméras sonores qui permettent de diversifier les points de vue sans qu’il soit nécessaire d’interrompre la lecture synchrone par Vyšinskij. Le spectateur voit ainsi alternativement le juge suprême, les accusés tête basse, et le public attentif. L’annonce des peines est suivie de longs applaudissements : les spectateurs se lèvent et frappent à tout rompre dans leurs mains, adressant de larges sourires à la caméra.

62Les séquences (coupées mais conservées dans les archives) avec Krylenko, particulièrement sa péroraison, sont également très frappantes. Filmé de trois quarts, tourné vers la gauche, s’adressant visiblement au public, le procureur, un homme chauve et massif, à la voix puissante, prononce un discours très agressif, mais construit selon les règles de la rhétorique la plus classique, avec de nombreuses reprises et figures de styles. Coupé au bas du torse, face à une table sur laquelle est placée un large micro et une carafe d’eau, il bouge peu, mais ses mains -accompagnent éloquemment son réquisitoire, le poing fermé ou l’index tendu. Sa voix enfle peu à peu vers la fin, on le voit alors saisir un livre [47], le secouer et le rejeter violemment tandis qu’il prononce les derniers mots. Par comparaison, Vyšinskij a une voix plus aiguë, avec presque des intonations de fausset, mais reste parfaitement maître de lui. Le film, dans sa version originale, devait très probablement jouer du contraste [48].

Krylenko brandissant un livre

Figure 31

Krylenko brandissant un livre

63La fin propose une double conclusion : une première série de cartons communique au spectateur les sentences finalement plus clémentes retenues à l’égard des accusés par le présidium du Comité exécutif central (CIK), instance à laquelle était soumise la Cour suprême. Ces décisions sont suivies d’un appel à la vigilance des citoyens : « Mais le danger d’une offensive militaire contre l’URSS n’est pas passé » ; « Soyez sur vos gardes ! ».

64Ainsi Jakov Posel´skij met en place un certain nombre de procédés afin de relever le défi d’un film sonore tourné dans un lieu unique et dont l’essentiel est le poids des mots. Les procédés qu’il élabore à cette fin sont politiquement signifiants : il insère ainsi des images du meeting à l’extérieur, ce qui crée de la diversité, mais surtout montre la population mobilisée, à l’attention de laquelle s’adressent le film et particulièrement les derniers cartons. Les contraintes dues à l’enregistrement synchrone avec un appareil couplé à la caméra modifient les habitudes de filmage, en ralentissant le rythme et en rallongeant la durée des plans. Le cinéaste et son équipe optent alors pour des panoramiques, en choisissant savamment les cadrages. Le filmage de face de la cour, avec Vyšinskij au centre, est bien sûr une métaphore réalisée de la « droiture » et de l’impartialité de la justice soviétique. Tandis que les plans de biais des accusés signifient leur « obliquité », leur duplicité, leur déloyauté. Mais l’essentiel est la reconnaissance par les accusés de leur culpabilité, point sur lequel le film revient inlassablement.

65Parallèlement, le film polémique en interne avec les partisans du son en studio. En dehors de quelques réenregistrements (et refilmages), l’essentiel des prises de vues/sons est réalisé sur les lieux et durant le déroulement du procès. Or, contrairement aux affirmations d’Ippolit Sokolov, fortement assenées au moment de la sortie du film de Lebedev peu de temps auparavant, on distingue parfaitement les bribes de discours prononcés à l’extérieur et les clameurs de la foule. Loin d’être « irritante », l’ambiance sonore de la ville est parfaitement intelligible et d’une force propagandiste indéniable. Il en va de même des applaudissements à l’annonce du verdict, à l’intérieur de la salle, qui sont pour le moins convaincants (Sokolov avait comparé le son rendu par les applaudissements dans L’Olympiade des arts à celui de dés sur une table de jeu et les avait pour cela disqualifiés par principe).

Applaudissements du public à l’annonce du verdict

Figure 32

Applaudissements du public à l’annonce du verdict

66Ainsi, bien que le long-métrage original ne soit pas conservé, le recoupement des extraits montés avec les séquences sauvegardées dans les archives et d’autres sources, dont la presse, permet d’esquisser la structure du premier film de Posel´skij, d’en analyser les plans et les procédés. L’œuvre de Posel´skij et de son équipe s’ancre dans la tradition soviétique de filmer les procès exemplaires qui débute dès 1919 avec l’affaire Mironov et continue par la suite, notamment avec le procès des socialistes-révolutionnaires en 1922 et l’affaire Šahty en 1928. L’élaboration et les évolutions de ce genre spécifique exigent une étude à part entière, dont cet article pose le premier jalon. Il est clair que Posel´skij reprend à son compte des éléments présents dans les filmages antérieurs, comme la visualisation de l’arrivée des accusés, la présentation des divers acteurs présents durant les audiences, la volonté de montrer l’implication du public notamment par le biais des meetings et l’annonce du verdict. Toutefois, par comparaison avec ces films, 13 jours est tout à fait exceptionnel : sa durée hors du commun et l’ajout du son permettent au réalisateur d’innover et de déployer certaines thématiques. Les accusés et l’accusation sont mis en avant et leurs interventions sont davantage développées et soignées, ce qui se traduit notamment par le refilmage de certaines séquences. Parallèlement, les avocats perdent le peu de visibilité qu’ils avaient dans les filmages antérieurs. Il s’agit là d’insister davantage sur la culpabilité incontestée des accusés, de surcroît filmés de profil et dont il est désormais possible d’entendre les aveux de vive voix. L’usage du son permet aussi de développer en détail une autre thématique qui deviendra centrale dans les procès à venir – la connivence des ennemis intérieurs, isolés dans le pays, avec les puissances capitalistes hostiles. Enfin, la multiplication des plans sur le public traduit la volonté de montrer l’intérêt des Soviétiques à l’égard de l’événement, leur forte hostilité pour les contre-révolutionnaires jugés et leur soutien au pouvoir en place.

67L’important dispositif de prises de vue, de même que la durée du montage final montrent que le film fut conçu à l’origine comme un instrument d’éducation politique et un moyen de mobilisation des masses de tout premier plan. Toutefois, peu d’éléments sont connus quant à sa diffusion et tout porte à croire que son auditoire fut plus que succinct.

Un film phare au public réduit

68La diffusion interne en Union Soviétique fut d’emblée limitée par des contraintes d’ordre technique : comme l’on a évoqué, en ce début de l’année 1931, seules quatre salles soviétiques de cinéma étaient équipées pour projeter des films sonores [49].

69La documentation archivistique disponible étant très lacunaire, on ne possède d’informations que pour deux salles : le 1er cinéma artistique de Sojuzkino et le Koloss, situé dans la grande salle du Conservatoire, qui dépendait de la Mežrabpom-film. Les notices publicitaires insérées dans la presse révèlent l’importance attribuée à la projection de ce film. Dans la première salle, il reste à l’affiche durant deux mois : les projections débutent le 9 janvier 1931 – témoignant d’un temps record entre le tournage et la sortie du film, rapidité applaudie par la critique [50] – et durent au moins jusqu’au 6 mars. L’intensité des séances annoncées quotidiennement et qui se succèdent toutes les deux heures est, elle aussi, étonnante [51]. Le film est également montré au mois de février au Koloss à l’occasion de la réouverture de ce cinéma tout juste équipé pour des projections sonores. Sans que l’on puisse préciser la durée totale de ces projections au Koloss, ici comme dans l’autre salle, plusieurs séances par jour sont programmées [52]. Dans le contexte de l’extrême rareté des salles équipées, la volonté de maintenir le film à l’écran et de multiplier les séances est sans doute révélatrice des enjeux politiques associés. Cette « importance politique des actualités filmées » est d’ailleurs rappelée par le critique de cinéma N. Lebedev : il reproche à Sojuzkino de vouloir arrêter les projections de 13 jours afin de « laisser la place à un autre film sonore », en dépit de son succès matériel. S’il est difficile de statuer sur la popularité réelle de 13 jours, cette remarque de Lebedev est sans équivoque et s’inscrit dans son plaidoyer pour le cinéma comme arme politique.

Publicité pour la projection de 13 jours au cinéma « Koloss »

Figure 33

Publicité pour la projection de 13 jours au cinéma « Koloss »

70Quoi qu’il en soit, un fossé sépare les ambitions des cinéastes et les réalités du terrain. Certes, le film est projeté pendant une période assez longue et à haute fréquence, mais son public est finalement réduit aux spectateurs des deux seules salles moscovites du centre-ville [53], de surcroît financièrement susceptibles -d’acquérir des billets pour ces salles prestigieuses.

71Il est vrai que 13 jours circule aussi un peu en province : il est mentionné dans une liste de films présentés au cours de la troisième tournée de projections ambulantes sonores organisée par Sojuzkino notamment à destination des publics d’Asie centrale. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la version courte ait été élaborée pour ce type de projections. Enfin, 13 jours est à l’affiche pour l’inauguration de la salle sonore de Bakou, où il est présenté par le président du CIK d’Azerbaïdjan, le 28 juillet 1931 [54]. Mais il n’y a pas denrée plus périssable qu’un film d’actualité. Et six mois après sa sortie, sa carrière semble définitivement terminée [55].

72À l’international, le film est encore moins remarqué. 13 jours fait partie de la panoplie de supports envoyés à l’étranger dans le cadre de l’ambitieuse campagne de mobilisation entourant le procès. Pourtant, les cas recensés de projections internationales des séquences tirées du tournage du procès – sous des formes variées – sont extrêmement rares, alors même que le nombre de cinémas équipés pour les films sonores aux États-Unis et en Europe est incomparable à celui de l’Union Soviétique. Ici, les règles du marché, la nécessité de convaincre des distributeurs, de mobiliser des réseaux alternatifs, et ceci dans un laps de temps relativement court, entravent une diffusion large du film. La tâche est d’autant plus difficile que la concurrence est forte et la thématique de 13 jours est à la fois controversée et difficilement audible pour le public occidental : l’activité de sabotage reste un phénomène étrange pour les Européens, tandis que la préparation d’une intervention armée contre l’Union soviétique de connivence avec les milieux étrangers peut paraître à la fois fantaisiste et diffamatoire. En dépit de ce contexte fortement défavorable, quelques traces éparses de la circulation du film peuvent toutefois être identifiées, même s’il est encore impossible de restituer précisément les canaux de son exportation et de sa diffusion. La même incertitude règne quant au format, à la longueur et au contenu des images envoyées depuis Moscou aux pays occidentaux.

73Il est hautement probable que la pression de la censure dans de nombreux pays étrangers ait conduit les responsables de la distribution à exclure d’emblée la possibilité d’une diffusion dans les circuits commerciaux et à élaborer différentes stratégies en fonction des pays et des opportunités. Ainsi, pour l’Allemagne, c’est une version courte de 250 mètres (9 minutes) qui est envoyée début 1931. Mais le film est interdit par le ministère allemand de l’Intérieur pour des raisons formelles (le film excède les 50 mètres autorisés pour les actualités filmées). Dans leur correspondance interne, les diplomates soviétiques soupçonnent des raisons politiques, notamment l’hostilité envers le procès. Toutefois, ils instrumentalisent l’explication officielle allemande, divisent la pellicule en cinq parties et tentent de nouvelles démarches pour obtenir l’autorisation de diffusion. En même temps, Vinogradov de l’ambassade soviétique berlinoise s’interroge auprès du NKID sur -l’opportunité d’une « requalification » du film d’actualités filmées en film documentaire [56]. Cette remarque laisse penser que l’élaboration de plusieurs versions était imaginée comme un moyen de contourner la censure.

74En France, comme en fait foi l’annuaire Tout-Cinéma[57], la version complète de 13 jours n’est pas présentée aux autorités pour l’obtention d’un visa d’exploitation, ce qui paraît logique, compte tenu de l’attention particulière portée par les autorités aux films soviétiques, motivée par la peur de la propagande révolutionnaire. Mais dans ce cas particulier s’ajoute le fait que la France a été particulièrement ciblée au cours du procès (et dans le film). Toutefois plusieurs images (quelques minutes à peine) se retrouvent dans une édition de L’Éclair Journal dès le 3 janvier 1931, soit avant même la sortie du film en URSS. Intorgkino, le département d’import-export de Sojuzkino, a en effet signé un contrat avec L’Éclair pour l’échange d’actualités. Des images du procès voisinent ainsi avec des scènes de la vie parisienne [58]. Il est difficile aujourd’hui de dire si ces images étaient tirées du film sonore de Posel´skij ou de l’édition muette. Quoi qu’il en soit, ces images tranchent fortement avec le reste du journal au point d’inspirer à Jacques Berr dans la Revue du cinéma un petit développement sur le genre même du cinéma soviétique d’actualités : « Les actualités soviétiques qui sont conçues dans un esprit tout à fait différent de celui des autres pays ont souvent recours aux prises de vue de congrès, de procès, de conférences qui se déroulent à l’intérieur de palais ou d’immeubles quelconques. Un des plus importants et des plus récents documents de ce genre est celui concernant le procès du “Parti industriel” » [59].

75Plus énigmatique est la (non)diffusion du film dans les circuits communistes et sympathisants qui a priori auraient dû constituer les premiers relais de la campagne échafaudée par la VOKS. Or il n’existe qu’une seule mention d’une projection de ce film par le ciné-cartel du Secours ouvrier international Welt film aux Pays-Bas en avril 1931 [60]. Au-delà, les tentatives de retracer la circulation de 13 jours dans des réseaux théoriquement plus accessibles ont été infructueuses. Ainsi, pour la France, aucune trace de ce film dans la documentation concernant les Amis de l’Union Soviétique, le Cercle de la Russie neuve ou encore la Bellevilloise, tandis que L’Humanité n’évoque jamais cette production. Certes, les archives concernant ces milieux sont plus lacunaires et la question mériterait des recherches plus poussées. Toutefois, la documentation consultée semble indiquer que le réseau partisan ne fut pas mobilisé pour diffuser 13 jours ou négligea cette demande. Cette inaction est d’autant plus frappante que d’une manière générale, ce réseau était fortement impliqué dans la popularisation du procès en Europe, notamment en France et en Allemagne [61].

76Par contraste, le cas étasunien reste étonnant : en effet, à en juger par une critique parue dans le journal émigré Novoe Russkoe Slovo, une version longue semble bel et bien avoir été projetée à New York au 8th Street Playhouse, salle de cinéma très en vue, conçue en 1929 par Frederick Kiesler, membre de De Stijl. L’article fait du film un cas d’école qui permet de comprendre les ambitions médiatiques du pouvoir soviétique :

77

C’est seulement en voyant ce film que l’on peut comprendre clairement la méticulosité avec laquelle ce procès a été mis en scène, les rôles joués à la perfection et à quel point les acquis du cinématographe muet et parlant ont été mis à profit. <…> il faut bien reconnaître qu’il s’agit d’un film des plus intéressants et des plus grandioses. Seul un gouvernement qui ne lésine à aucune dépense quand il s’agit de propagande peut se permettre de dilapider des sommes pareilles pour ce genre de mise en scène. [62]

78L’exemple américain reste malgré tout l’exception qui confirme la règle : en somme, la diffusion internationale du film 13 jours est extrêmement réduite.

Le film de Loznitsa : le message derrière le montage d’archives

79Diffusé au début de 1931, 13 jours tombe rapidement dans l’oubli et le reste durant de longues décennies jusqu’à sa re-sortie récente, cas d’autant plus étonnant que le film obtient aussitôt une renommée internationale. Les différents éléments conservés par le RGAKFD ont en effet servi en 2017-2018 de matériau brut pour une œuvre du réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa intitulé Process [Le Procès]. Il s’agit d’un film de montage, donc sans aucun ajout de mise en scène, mais dont les effets, à la fois visuels et sonores, sont très savamment travaillés. On tentera dans les lignes qui suivent d’en décrire brièvement les principales caractéristiques.

80La durée totale de cette nouvelle production, de 2h 08, a été obtenue en ajoutant au film conservé des fragments des chutes (n° 3685, particulièrement en réintégrant le réquisitoire de Krylenko, mais également la séquence complète de la déposition du témoin Osadčij) ainsi que des extraits de la version muette (n° 3874), ici sonorisée. Le résultat est donc un montage d’une longueur totale supérieure au film original de Posel´skij.

81Le film s’ouvre sur des images documentaires de Moscou en 1930, avec ses piétons, tramways et voitures à cheval, qui constituent une sorte de « sas » visant à replacer le spectateur dans l’ambiance de l’époque. Pour assurer cette immersion, le réalisateur et l’ingénieur du son ont pris le parti de sonoriser tout ce prélude. Peu à peu, les plans ciblent le centre-ville et le Kremlin : on se rapproche des lieux du pouvoir. Enfin, un plan assez long s’arrête sur la façade de la Maison des syndicats en plein centre de la capitale où va se dérouler le procès. La suite correspond au début du film sonore (n° 3952) : il s’agit de l’arrivée des accusés en voiture dans la cour arrière du bâtiment, qui enchaîne avec leur entrée par la porte de service. Ici, la bande sonore, absente dans le film conservé, introduit le grondement des moteurs et surtout des aboiements de chiens, qui ne correspondent à aucune image, puisque les accusés sortent des voitures simplement convoyés par des gardes de l’OGPU, mais qui communiquent à cette scène relativement neutre un caractère oppressant. On perçoit également quelques éclats de voix des gardes adressant des ordres aux accusés, sans que les paroles soient audibles. Avec cette bande son, le réalisateur impose d’emblée une atmosphère carcérale qui culmine avec le bruit d’un verrou que l’on ferme qui accompagne un brusque fondu au noir, lequel vient interrompre un plan montrant l’un des accusés entrant dans le tribunal. Ici se place le générique de début où sur l’écran noir s’étalent les lettres du titre Procès, lequel fait -évidemment écho à l’œuvre célèbre de Kafka.

Images documentaires de Moscou en 1930, ouverture du film de Loznitsa

Figure 34

Images documentaires de Moscou en 1930, ouverture du film de Loznitsa

Près du Kremlin
Figure 35
La Maison des syndicats

82Dans la suite du film, les ajouts sonores les plus frappants concernent les séquences où l’on voit le public dans la salle. Le premier ajout, sur un plan général de l’entrée de l’auditoire, est celui d’une sonnette prévenant du début imminent des audiences – qui ressemble aux sonneries des salles de concert ou de théâtre. L’objectif est certainement d’amener le spectateur à comparer le procès à un spectacle et donc à une parodie de procès. Les pas pressés des gens entrant dans la salle ont également été sonorisés. Un brouhaha transcrit le degré d’excitation du public. On perçoit aussi quelques toussotements, bruits de chaises, etc. que les micros de l’époque ne pouvaient pas capter. Un nouveau coup de sonnette accompagne l’entrée des accusés, filmés de dos, dans la salle. Beaucoup plus que dans le film original, on comprend ce passage comme celui de leur « entrée en scène », vue depuis « les coulisses ».

83Cette sonorisation accentue également les images du meeting à l’extérieur. Le bruit de la fanfare et particulièrement du tambour commence d’ailleurs à se faire très légèrement entendre en arrière-fond sur les dernières images de la salle, tandis que la première séance est levée et que le public commence à quitter la salle d’audience, après que les accusés ont chacun reconnu leur culpabilité et annoncé qu’ils plaideront coupable. Le lien entre intérieur et extérieur est ainsi encore plus -fortement souligné que chez Posel´skij. La pression de la rue est organisée certes par les autorités, mais ces images témoignent du fort soutien de la population au régime répressif. Cette interprétation est d’autant plus mise en exergue que la séquence du meeting a été rallongée par l’ajout des images tournées à Leningrad présentes dans l’édition muette, en mélangeant savamment les deux rassemblements (les images étant ici sonorisées) [63], puis découpée en pas moins de sept petits extraits qui viennent ponctuer le déroulement du procès, et donc du film, rappelant régulièrement l’exigence de sévérité formulée par les citoyens. Ici l’objectif est clairement de souligner la violence générale qui s’est emparée de l’ensemble de la société.

84Cette introduction d’images de la version muette contribue par ailleurs à élargir l’éventail des points de vue, des cadrages et des angles. Ce qui, ajouté à la manière très libre dont Loznitsa traite la bande son originale, associant certaines paroles avec d’autres images que celles du film de départ, permet de renforcer son efficacité : ainsi des images du public sont systématiquement mises en regard des déclarations des accusés ou de leurs réponses à Vyšinskij, organisant a posteriori une sorte de champ contre-champ qui dynamise le film et communique une plus grande tension au procès.

85Ces images de la version muette permettent d’ailleurs au passage de découvrir l’équipe du film sonore, groupée au milieu de la salle autour de la caméra, filmée donc par celle de l’autre édition. On voit un bref instant trois hommes dont l’un est masqué par la caméra couplée à l’appareil d’enregistrement du son. Les deux autres portent des casques sur les oreilles et on aperçoit l’un d’eux (s’agit-il de Zahar´ Zalkind, l’ingénieur du son ?) se pencher pour en prendre un autre. Dans le film de Loznitsa, ce passage renforce l’idée qu’il s’agit d’une mise en scène et d’un procès fabriqué. Ce qui était certes le cas, mais le réalisateur ukrainien emploie des moyens assez explicites pour le signifier. Les images, très nombreuses, du public incommodé par les projecteurs vont dans le même sens : pour le dire simplement, la salle très solennelle de la Maison des syndicats, avec ses colonnes massives, sa galerie à balustrade et ses immenses lustres a été transformée pour l’occasion en un plateau de cinéma.

L’équipe de tournage

Figure 36

L’équipe de tournage

Čarnovskij – carton de fin du film de Loznitsa

Figure 37

Čarnovskij – carton de fin du film de Loznitsa

86Enfin, pour renforcer la dimension accusatoire du film, Loznitsa reprend à son compte l’annonce de la commutation des peines, à travers une série d’intertitres consacrés à chacun des accusés. Mais il associe ces annonces à des précisions concernant leur sort ultérieur au sein d’un même carton comportant à gauche le profil de l’accusé. Ce qui escamote totalement l’image de clémence donnée in fine par le film de Posel´skij.

87Cette série de cartons qui clôt le film est précédée d’un carton plus général mentionnant que « le Parti industriel n’a jamais existé. L’affaire avait été fabriquée par l’OGPU sur ordre de Stalin ». Cet intertitre suit immédiatement de longs plans du public applaudissant frénétiquement à l’énoncé du verdict. Comme dans plusieurs de ses films antérieurs, Loznitsa cherche donc non seulement à dénoncer un régime criminel mais, de manière assez insidieuse, à associer l’ensemble de la société soviétique aux violences commises.

88Ce documentaire, présenté parfois comme restitution de la version originale, a été présenté dans des festivals et est actuellement visible dans les circuits commerciaux ainsi que dans le cadre académique, aux côtés d’autres œuvres du même réalisateur. L’intérêt du public à son égard soulève des interrogations. Car, certes, le film donne en partie accès aux images originales de Posel´skij, et donc à une certaine vision du Procès du parti industriel, celle que pouvaient en avoir certaines franges du public à l’époque. Pour autant la part d’ajouts, particulièrement sonores, de Loznitsa, reste de l’ordre du non-dit, masquée derrière une intervention « d’auteur », veillant de surcroît au confort du spectateur, à son prétendu « besoin de réalisme ». Or le message ainsi crypté qui associe dans un même mouvement accusatoire les auteurs-organisateurs du procès et son public reste dérangeant. On en revient à travers ce film à l’interprétation la plus basiquement totalitariste des procès staliniens et de leur médiatisation. Ce nouveau Procès mériterait sans doute une réflexion à part entière. Il était toutefois difficile d’en faire abstraction même dans un article à visée plus historienne.

Conclusion

89Malgré la multitude de procès exemplaires en URSS, seule l’affaire du Parti industriel donne lieu à la production d’un véritable long-métrage sonore – 13 jours de Jakov Posel´skij. Cette production hors du commun reflète une multitude d’enjeux.

90Pour le pouvoir, il s’agit d’un outil politique d’autolégitimation et d’implémentation des politiques voulues : la fustigation publique des ennemis doit canaliser le mécontentement populaire, assurer une meilleure cohésion sociale face au danger contre-révolutionnaire et justifier la mise en œuvre du plan quinquennal. Pour faire passer ce message, les autorités donnent l’impulsion à une vaste campagne de mobilisation, inégalée par le degré de sa centralisation, son ampleur et les moyens mobilisés.

91Aux côtés de la VOKS, les milieux cinématographiques y prennent une part active. Le tournage du procès présentait en effet des enjeux propres à l’industrie cinématographique soviétique : la production d’un long-métrage sur une actualité éminemment politique constitue sans doute une opportunité pour justifier la nécessité de la transition au cinéma sonore et d’une allocation de fonds plus importants. À cela s’ajoute la menace qui pèse sur la profession avec l’affaire sectorielle du Ciné-parti industriel. Il s’agit donc de démontrer au pouvoir l’utilité du cinéma comme arme politique et la loyauté des cinéastes. Le cas de Jakov Posel´skij, dont le frère Boris se fait incarcérer, est éloquent à cet égard.

92Le procès n’est pourtant pas une matière des plus faciles à transformer en un long-métrage : le tribunal siège pendant treize jours ; à part le début du procès et l’énoncé du verdict, les audiences révèlent une certaine répétitivité et technicité ; elles se déroulent par ailleurs toujours dans la même Maison des syndicats, ce qui risque de rajouter de la monotonie au récit filmé. Si l’équipe de Posel´skij fait le choix de conserver peu ou prou la chronologie du déroulement du procès, elle met en place des procédés pour le condenser et le dynamiser. Ses choix ne s’expliquent pourtant pas uniquement par des considérations d’ordre artistique ou technique, ou par la seule volonté de capter l’attention des spectateurs.

93Ce qui compte véritablement, c’est de véhiculer le discours officiel sur l’affaire du Parti industriel par des moyens cinématographiques. Cela explique notamment l’insertion des images du meeting à l’extérieur, les nombreux aller et retour sur le public, le fort accent mis sur les aveux. Le refilmage de certaines séquences, ainsi que le renforcement du dispositif d’enregistrement le jour de l’annonce du verdict reflètent l’importance politique particulière de ces moments pour l’ensemble du récit sur le procès : sont ainsi mis exergue la contre-révolution entièrement désarmée, l’impartialité de la justice soviétique ainsi que le soutien populaire au régime.

94Le croisement des sources – archives écrites, images et son – permet de statuer sur la nature des enregistrements parvenus à nos jours : il ne s’agit pas là de l’original, mais d’une version plus courte, ainsi que de rushes et de coupures plus tardives. Au-delà, ce travail de recoupement, entendu comme méthode, contribue simultanément à l’analyse du récit filmé et à une meilleure compréhension des procès eux-mêmes. La mise en parallèle des sténogrammes et des images filmées confirme ainsi la préparation méticuleuse des audiences, réduisant la nécessité de la censure : pour ce qui est des paroles prononcées, rien de radicalement nouveau n’apparaît sur la pellicule par rapport aux sténogrammes. L’équipe de Posel´skij suivant jour après jour les audiences, ce recoupement des sources éclaire aussi sur la sélection des temps forts, leur mise en scène et leur montage, ainsi que sur les facteurs d’ordre technique, idéologique et politique qui guident ces choix. Enfin, les images donnent à voir ce qu’aucun texte ne peut rendre et dont l’importance est néanmoins cruciale, à savoir la présence et le rôle du public. Ces images, à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle, rythment véritablement le film et l’enregistrement sonore permet d’accorder à l’auditoire un relief nouveau (applaudissements, clameurs d’approbation ou d’accusation). Sans cibler personne en particulier ni offrir de gros plans permettant de mieux observer les réactions, c’est bien ici sur la technologie sonore que mise avec succès le réalisateur.

95Les procédés élaborés par Posel´skij, ainsi que les refilmages auxquels il procède avec son équipe informeront durablement le tournage et le montage des films de procès soviétiques et s’observent au moins jusqu’au travail de Roman Karmen sur le film tiré du procès de Nuremberg [64].

96Le procès ainsi filmé est présenté aux spectateurs soviétiques dès janvier 1931. Le public reste pourtant très restreint en URSS du fait du sous-équipement pour le cinéma sonore. À l’étranger, c’est un échec flagrant : les difficultés d’exporter un long-métrage documentaire sur un sujet spécifique en un temps record sont aggravées par la nécessité de contourner la censure et rendre 13 jours compétitif sur le marché occidental. La transformation d’un film d’environ deux heures en un sujet filmé de quelques minutes diffusé en France représente une belle métaphore de ce décalage entre les visées initiales des cinéastes et des institutions soviétiques et le peu d’écho que rencontre l’œuvre de Posel´skij.

97Plusieurs décennies plus tard, les séquences originelles réémergent dans le film Process réalisé par Loznitsa. Leur exposition est sans doute appréciable dans la mesure où elle rend le procès lui-même ainsi que sa mise en images par Posel´skij familiers au public contemporain. Pour autant, il ne s’agit guère d’une tentative de reconstruction du film original, mais d’un documentaire d’auteur. Celui-ci est, certes, constitué uniquement à partir des séquences de l’époque, mais celles-ci sont retravaillées et montées d’une façon qui témoigne d’une repolitisation du procès et des images s’apparentant paradoxalement aux usages politiques du passé.

98Le film 13 jours est au total un objet aux contours flous, en permanente reconstruction. Dès sa création, malgré les grandes ambitions d’en faire un film-phare à visée politique et sociale, il ne rencontre qu’un public réduit et fait l’objet de plusieurs modifications de format. Ce processus de transformation débute presqu’au moment de sa première diffusion et s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Si, à juste titre, on peut qualifier 13 jours de film phare pour son époque, tant par ses enjeux, ses moyens techniques, humains et financiers, c’est aussi un film fantôme, difficile à saisir et dont l’histoire conserve encore de nombreuses zones d’ombre.


Date de mise en ligne : 29/03/2021

https://doi.org/10.4000/monderusse.12019

Notes

  • [1]
    V.I. Fomin, éd., Letopis´ rossijskogo kino, 1930-1945 [Chronique du cinéma russe, 1930-1945], M. : Materik, 2007, p. 86.
  • [2]
    Eugene Lyons, Assignment in Utopia, New York : Harcourt, Brace and Company, 1938, p. 370.
  • [3]
    Cf., à titre d’exemple, Šahtinskij process [Le procès Šahti] (210 mètres, environ 8 minutes, film muet de V. Eshurin). Ce procès a également été couvert dans deux éditions du journal filmé (Sovžurnal, n° 23 et 27 de 1928) où il apparaît comme un des sujets d’actualité de la semaine.
  • [4]
    Cf. https://www.youtube.com/watch?v=CYBs16r9W4M Les images sont accompagnées d’un commentaire d’Edvard Razinskij.
  • [5]
     VOKS : Vsesojuznoe Obščestvo Kul´turnoj Svjazi s zagranicej – Société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger.
  • [6]
    Julie A. Cassiday, Ennemy on Trial : Early Soviet Courts on Stage and Screen, DeKalb : Northern Illinois Press, 2000, p. 168-175.
  • [7]
    L’historiographie des procès, sujet étudié dès l’entre-deux-guerres, s’est largement développée après l’ouverture des archives dans les années 1990. L’article détaillé de Vanessa Voisin consacré à cette thématique ouvre notamment sur une approche de ces procès dans une perspective d’histoire sociale. Cf. Vanessa VOISIN « Du “procès spectacle” au fait social. Historiographie de la médiatisation des procès en Union Soviétique », Critique internationale, 75 (2), 2017, p. 159-173. Il serait impossible de présenter un aperçu même bref de la littérature sur la propagande et les campagnes de mobilisation. Parmi les livres récents, on peut indiquer l’ouvrage de David Brandenberger, Propaganda State in Crisis : Soviet Ideology, Indoctrination, and the Terror under Stalin, 1927-1941, Yale University Press, 2011. Si l’ouvrage est censé éclairer non seulement les pratiques d’influence du pouvoir, mais également les réactions de la population, cet aspect est peu développé, surtout en ce qui concerne les formes d’adhésion populaire. Pour une analyse des pratiques mobilisatrices prises dans leur épaisseur sociale, voir Sergej Krasil´nikov, éd., Social´naja mobilizacija v stalinskom obščestve (konec 1920h – 1930h gg.) [La mobilisation sociale dans la société stalinienne (fin des années 1920 – années 1930)], M. : ROSSPEN, 2018. Cet ouvrage contient également un aperçu -historiographique des travaux consacrés aux mobilisations sociales en URSS.
  • [8]
    AVP RF (Arhiv vnešnej politiki Rossijskoj federacii – Archives de politique extérieure de la Fédération de Russie), f. 0136, op. 14, p. 140, d. 593, l. 38, 40.
  • [9]
    Process « Prompartii » (25 nojabrja-7 dekabrja 1930). Stenogramma sudebnogo processa i materialy priobščennye k delu [Le procès du « Parti industriel » (25 novembre – 7 décembre 1930), documents joints au dossier], M. : OGIZ, 1931, p. 44.
  • [10]
    Lettre de Stalin à Molotov, 2 septembre 1930 in L. Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. Molotovu. 1925-1936 gg. Sbornik dokumentov [Lettres de I.V. Stalin à V.M. Molotov. 1925-1936. Recueil de documents], M. : Rossija molodaja, 1996, p. 211.
  • [11]
    Cf. Les dépositions de Ramzin en date du 21 septembre 1930, in Sergej Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g. : podgotovka, provedenie, itogi [Le procès du Parti industriel en 1930 : préparation, déroulement, bilan], vol. 1, M. : ROSSPEN, 2016, p. 132-163.
  • [12]
    Lettre non datée de Stalin à Menžinskij, in Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. -Molotovu, p. 187-188.
  • [13]
    Décision du bureau politique du 25 octobre 1930, in Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g., p. 353.
  • [14]
    Oleg Hlevnjuk, Politbjuro : Mekhanizmy političeskoj vlasti v 1930e gody [Le Politburo, mécanismes du pouvoir politiques dans les années 1930], M. : ROSSPEN, 1996, p. 17-20.
  • [15]
    Cf. Hiroaki Kuromiya, Freedom and Terror in the Donbas : A Ukrainian-Russian Borderland, 1870s-1990s, Cambridge university press, 1998, p. 140-143 ; Susanne -Schattenberg, Inženery Stalina : Žizn´ meždu tehnikoj i terrorom v 1930e gody [Les ingénieurs de Stalin : la vie entre technique et terreur dans les années 1930], M. : ROSSPEN, 2011, p. 58.
  • [16]
    Sabine Dullin, « Litvinov, les diplomates soviétiques et l’Europe au seuil des années 1930 », in Alexandre Tchoubarian, Georges-Henri Soutou, Elisabeth Du Réau, Mikhail Narinsky, éds., L’URSS et l’Europe dans les années 1920, Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2000, p. 160-161.
  • [17]
    Journal officiel de la République française du 4 octobre 1930, n. 234, p. 11359, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6542462m/f7.item
  • [18]
    Krasil´nikov, éd., Sudebnyj process « Prompartii » 1930 g., p. 354-355.
  • [19]
    Lettre de Stalin à Menžinskij, non datée, in Košeleva, éd., Pis´ma I.V. Stalina V.M. -Molotovu, p. 188.
  • [20]
    RGASPI (Rossijskii gosudartvennyi arhiv socio-politicheskoj istorii – Les archives d’État russes d’histoire socio-politique), f. 17, op. 162, d. 9, l. 80-81.
  • [21]
    À titre d’exemple, cf. RGASPI, f. 495, op. 30, d. 638, l. 91, 139, 142.
  • [22]
    RGASPI, f. 495, op. 30, d. 638, l. 88.
  • [23]
    GARF (Gosudarstvennyi arhiv Rossijskoj Federacii – Archives d’État de la Fédération de Russie), f. 5283, op. 1, d. 139.
  • [24]
    Anna Shapovalova, « Influencer la presse française : les diplomates soviétiques et le procès du Parti Industriel », in Luba Jurgenson, Claudia Pieralli, Lo specchio del Gulag in Francia e in Italia. La ricezione delle repressioni politiche sovietiche tra testimonianze, narrazioni, -rappresentazioni culturali (1917-1987), Pisa University Press, 2019, p. 215-241.
  • [25]
    [Anon.], « V otvet na vreditel´stvo. Tesnee splotimsja vokrug partii [En réponse au sabotage, rassemblons-nous autour du parti] », Kino, n° 64, 17 novembre 1930, p. 1. Les deux autres meetings sont rapportés sur la même page, sous les sous-titres suivants : « Hodatajstvuem o nagraždenii OGPU [Demande d’une récompense pour l’OGPU] » et « Vse sily – na velikuju strojku [Toutes les forces pour la grandiose construction] ».
  • [26]
    Ibidem.
  • [27]
    GARF, f. R-5283, op. 1, d. 139, l. 3-4ob.
  • [28]
    La candidature envisagée pour ce montage est celle de Pèra Ataševa, proche d’Eisenstein.
  • [29]
    Le Procès des SR de droite (D. Vertov, 1922) est le montage le plus long (environ 24 minutes).
  • [30]
    Sur la transition de l’URSS au cinéma sonore, voir Lilya Kaganovsky, The Voice of Technology (1928-1935), India University Press, 2018. Les précisions apportées dans les lignes qui suivent s’appuient toutefois sur les recherches menées par l’une des co-autrices de cet article. Voir V. Pozner, « To Overtake and Outstrip Hollywood : Early Talking Pictures in the Soviet Union», in Masha Salazkina, Lilya Kaganovsky, éds., Sound in Russian and Soviet Audio-visual Media, Indiana University Press, 2013, p. 60-80. Voir également V. Pozner, « Circulation des techniques du cinéma sonore de l’Ouest vers l’URSS au tournant des années 1920-1930 », Larissa Zakharova, Liliane Pérez, éds., Les techniques et la globalisation au xxe siècle, Rennes : PUR, 2016, p. 63-81.
  • [31]
    Une deuxième salle fut équipée à Moscou en février 1931 au Koloss, prestigieuse salle du Conservatoire qui alternait concerts et projections cinématographiques selon les soirs. Elle relevait de la Mejrabpomfilm. Voir Večernjaja Moskva, n° 55, 4 mars 1931, p. 3 et 4. À la fin de l’année 1931 Moscou comptait 11 salles équipées pour le cinéma sonore et l’URSS toute entière – 55, dont certaines avec un matériel très déficient, source de nombreuses réclamations de spectateurs et d’enquêtes des autorités. Voir les articles mentionnés à la note précédente.
  • [32]
    Z. D., « Zvukos´´emka Olimpiady iskusstv [Le film sonore de L’Olympiade des arts] », Kino i žizn´, n° 20, 1930, p. 17 ; Vl. Erofeev, « O čem govorit opyt [Ce qui dit l’expérience] », Kino i žizn´, n° 23, p. 19 et n° 24, 1930, p. 18-19.
  • [33]
    CA FSB, d.  R-37146. Tome 1. Les notes ont été prises par Oleg Kapčinskij à qui nous adressons nos remerciements.
  • [34]
    Anatolij Ardatov (de son vrai nom Natan Zvenigorodskij) avait organisé le séjour à Moscou de Joe Coffman, l’ingénieur américain invité pour conseiller les studios russes. Coffman effectua plusieurs voyages à Moscou entre août et décembre 1930.
  • [35]
    CA FSB, d. R-37146, t. 1, l. 514.
  • [36]
    Cette version « officielle » diffère par sa longueur et l’ordre des séquences de celle que l’on trouve sur internet. Cette dernière aurait peut-être été réalisée pour convenir au format de l’émission de Edvard Radzinskij diffusée sur la chaîne Kul’tura en 2012. Elle est accessible à l’url : https://www.youtube.com/watch?v=CYBs16r9W4M
  • [37]
    Il s’agit plus exactement de trois petites éditions, correspondant à la journée d’ouverture du procès, à celle du 1er décembre et à l’annonce du verdict, probablement distribuées en avant-partie de programme.
  • [38]
    RGALI (Rossijskij gosudarstvennyj arhiv literatury i isskustv – Archives d’État russes de littérature et des arts), f. 2965, op. 1, d. 131, l. 1. Le document n’est pas daté, mais signé de la main de Vyšinskij. Il se trouve dans le fonds personnel de Mark Cejtlin. Né en 1901 à Rostov-sur-le-Don, ce dernier avait travaillé au Musée de la révolution et participé à la constitution d’archives cinématographiques, ce qui l’avait conduit à collaborer avec Šub, notamment pour la Chute de la dynastie des Romanov (1927) et ses autres films de montage. Il passe au studio Sojuzkinohronika en 1929 et collabora ensuite avec Medvedkin pour le cinétrain.
  • [39]
    Curieusement quelques photogrammes montrant Krylenko ont été conservés dans la boîte IV, et dans l’amorce des boîtes III et VIII de la copie positive conservée au RGAKFD. Par ailleurs, Krylenko n’a pas disparu des éditions muettes – preuve que cette version était -considérée comme définitivement obsolète au moment de ces coupes.
  • [40]
    On ajoutera que la documentation du contrôle technique conservée au RGAKFD montre, pour ces douze boîtes, un nombre tout à fait exceptionnel de collures sur le négatif, ce qui renforce l’idée de multiples interventions.
  • [41]
    La documentation sur le tournage ne semble pas avoir subsisté et les archives conservées dans la famille du réalisateur ne comportent aucun document concernant ce film. On sait seulement que participent à ces prises de vues l’opérateur Ivan Beljakov qui a débuté avec Vertov et a secondé Erofeev sur L’Olympiade des arts, tout comme l’ingénieur du son Zahar´ Zalkind. Posel´skij est secondé par sa femme, monteuse passée réalisatrice, Irina Venžer.
  • [42]
    Selon Cassiday, cette brève déposition du témoin Osadčij montrerait « l’instant de la conversion » et constituerait à ce titre l’acmé du « mélodrame » : une lecture que notre analyse ne confirme pas. Cassiday, Enemy on Trial, p. 174.
  • [43]
    Signalons qu’on n’a pour le moment aucune idée du métrage total utilisé, et donc du ratio entre pellicule utilisée et pellicule utile.
  • [44]
    Nous remercions Victor Barbat pour ses remarques sur les paragraphes suivants.
  • [45]
    Il s’agit d’un plan de la boîte X du n° 3685 : ce plan a-t-il été d’emblée écarté ? Il est difficile de le dire.
  • [46]
    Cf. les télégrammes de Duranty, Basseches, Lyons, Just et même Cholerton, AVP RF, f. 0136, op. 14, p. 140, d. 593, l. 56-60, 65-66, 70-73.
  • [47]
    On distingue sur la couverture le nom de Feliks Dzeržinskij, fondateur de la Čéka (OGPU).
  • [48]
    S’agissant des voix des accusés, celles-ci sont étonnamment fermes, particulièrement celle du prof. Čarnovskij. Il est difficile ici de suivre Cassiday qui les décrit comme cassées, caractéristiques de personnes apeurées, totalement isolées, à la différence des juges ou du procureur conservant le contrôle et la « spontanéité cinématographique ». Cassiday, Enemy on Trial, p. 170.
  • [49]
    À Leningrad, Moscou, Harkov´ et Minsk.
  • [50]
    N. Lebedev, « Process Prompartii na èkrane [Le procès du Parti industriel à l’écran] », Večernjaja Moskva, 15 février 1931, p. 3.
  • [51]
    Encart publicitaire dans Večernjaja Moskva, 9 janvier 1931, p. 4.
  • [52]
    Encart publicitaire dans Večernjaja Moskva, 4 février 1931, p. 4 (la première a lieu le 7).
  • [53]
    On ne sait pas si le film fut montré dans la salle de Leningrad ou dans celle de Minsk.
  • [54]
    Letopis´ rossijskogo kino, p. 114.
  • [55]
    Ainsi, il n’est pas présenté lors de l’ouverture de la salle Udarnik, salle de prestige intégrée dans l’ensemble architectural de la Maison du gouvernement conçu par Iofan au centre de Moscou, à proximité du Kremlin.
  • [56]
    Vinogradov à Krestinskij avec copie à la VOKS, GARF, F. 5283, op. 1a, d. 181, l. 71-72.
  • [57]
    Nous remercions Nataliya Poutchenkina pour les éléments fournis à propos de la diffusion du film à l’étranger.
  • [58]
    Comœdia, n° 6559, 3 janvier 1931.
  • [59]
    La Revue du cinéma, 20, 1er mars 1931, p. 13.
  • [60]
    Cette distribution par Welt film fit d’ailleurs l’objet d’une plainte par une société concurrente. Le cas est évoqué par un attaché de la représentation commerciale de l’URSS à Berlin dans un rapport à Intorgkino. Voir RGALI, f. 2497, op. 1, ed. hr. 15, l. 58 ob.
  • [61]
    Voir la thèse d’Anna Shapovalova intitulée « L’Étranger, ressort des procès staliniens pour l’exemple (1928-1933). Pour une analyse de la dimension internationale de trois affaires -soviétiques (Chakhty, Parti Industriel, Vickers) », EHESS, Paris, 9 octobre 2020.
  • [62]
    Novoe russkoe slovo (New York), 28 février, 3 et 4 mars 1931. Cité d’après Letopis´ -rossijskogo kino, p. 94.
  • [63]
    Procédé déjà employé par l’auteur dans Austerlitz (2016).
  • [64]
    Voir Victor Barbat, « Roman Karmen, la Vulgate soviétique de l’histoire. -Stratégies et modes opératoires d’un documentariste au xxe siècle », thèse de doctorat (Paris 1, 2018) ; Idem, « Mettre en scène la preuve. L’esthétique de la représentation soviétique au procès des grands criminels de guerre de Nuremberg », in Vanessa Voisin, Irina Tcherneva, Eric Le Bourhis, éds., Mobilized for Justice: Society Confronts Nazi Crimes During the Cold War, 1940s-80s (à paraître).

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