Introduction
1Cet article a pour objectif d’analyser les effets subjectifs liés aux fréquents changements auxquels sont soumis les enfants en situation de placement dans une institution d’accueil nommée « abrigo » au Brésil. Nous soutenons l’hypothèse selon laquelle les changements fréquents de logement, l’instabilité ou la perte de liens affectifs, peuvent rendre difficile le maniement singulier de la détresse structurale (Hilflosigkeit), notion proposée par Freud (1895) comme un élément de structure dans la construction de l’appareil psychique.
2La réalité sur laquelle nous travaillons et que nous prenons comme référence centrale est la situation de placement en « abrigos », c’est-à-dire en centres d’accueil, des enfants négligés, maltraités, abusés et abandonnés. Tout au long de cette analyse, nous tenterons de montrer que le défi de l’intervention de l’État serait d’offrir non seulement une structure matérielle adéquate mais aussi une qualité d’accueil qui préserve la construction singulière de la subjectivité des enfants et des jeunes. En ce sens, nous présentons quelques cas d’enfants suivis et nous montrons les relations entre, d’une part, les ruptures de liens et les changements de résidence de ces enfants et, d’autre part, la souffrance à laquelle ils sont confrontés. Nous mettons d’emblée en évidence comment certains éléments de la loi de la protection de l’enfant ainsi que des aspects du fonctionnement institutionnel ne favorisent pas l’accueil des enfants et des adolescents.
3Cette recherche utilise les informations provenant des assistantes sociales, des éducateurs et d’autres professionnels des « abrigos », ainsi que celles produites dans le cadre de l’accompagnement clinique des enfants et des adolescents. L’« abrigo » qui est l’objet de cette recherche est un centre municipal d’accueil temporaire localisé à proximité de l’Université de l’État de Rio de Janeiro. L’accompagnement clinique fait partie du travail de recherche intitulé « Enfant et adolescent en situation de vulnérabilité sociale : une étude sur la détresse, l’angoisse et les processus d’identification ». L’équipe de recherche qui réalise l’accompagnement clinique est composée de la coordinatrice et des étudiants de master et de doctorat.
Questions de législation
4La loi concernant l’Enfant et l’Adolescent (ECA), en accord avec la Convention Internationale des Droits de l´Enfant (CIDE), a été promulguée au Brésil en 1990 pour défendre les droits spécifiques de cette population considérée comme sans défense et « en construction ». Cette loi reconnait et affirme que la famille est fondamentale pour le développement et la construction de l’enfant. L’article 4 établit que c’est le devoir de la famille, de la communauté, de la société en général et des pouvoirs publics, d’accorder une absolue priorité au respect des droits à la vie, la santé, l’alimentation, l’éducation, le sport, les loisirs, la professionnalisation, la culture, la dignité, le respect, la liberté et la convivialité familiale et communautaire.
5La loi affirme le droit de l’enfant à être élevé dans une famille, mais donne aussi la possibilité au Ministère Public d’évaluer les cas où il doit être éloigné de sa famille d’origine et adressé à une famille de substitution, sous forme de garde, de tutelle ou d’adoption. Dans ce cas, des normes sont définies pour la prise en charge des enfants et adolescents et, par conséquent, de nouvelles institutions spécialisées dédiées à leur accueil sont mises en place. L’ECA établit de nouvelles règles pour les différents établissements consacrés à ce public, en stipulant, dans l’article 92, qu’ils doivent travailler dans le sens de la préservation des liens familiaux.
6La première disposition de la loi est que soient d’abord épuisées les possibilités de réintégration de l’enfant dans la famille d’origine avant son orientation vers une famille adoptive. Selon Silva (2004), dans une recherche qui a décrit les caractéristiques des « abrigos » du pays, 87 % des résidents des « abrigos » ont une famille. Ceci signifie que la majeure partie des enfants et des adolescents qui sont dans des « abrigos » restent en attente de réintégration dans leurs familles. Néanmoins, la réalité se révèle beaucoup plus difficile. Les assistantes sociales qui accompagnent les enfants de notre recherche nous indiquent que le contact avec la famille est difficile, car les responsables des enfants ont de longues journées de travail, habitent dans des localités éloignées, ne présentent pas les conditions matérielles satisfaisantes pour recevoir l’enfant ; le lien familial étant très détérioré, dans de nombreux cas, il n’y a guère d’intérêt à sauvegarder la relation parent/enfant.
7Le placement en « abrigo » signifie que l’institution familiale a été considérée par les instances compétentes comme incapable, au moins provisoirement, de satisfaire les droits fondamentaux de l’enfant, selon l’article 4 de l’ECA. Ceci peut aussi renvoyer aux difficultés à remplir une fonction essentielle à la construction subjective, celle d’offrir une place dans la généalogie familiale et donc, dans ce qu’on nomme transmission de la filiation, avec des références familiales claires et stables sur lesquelles l’enfant puisse s’appuyer pour construire sa subjectivité.
L’accueil institutionnel
8A partir de l’homologation de l’ECA en 1990, il a été nécessaire de construire un réseau d’accueil de l’enfant très différent du précédent, qui se basait surtout sur l’existence des grands internats et des séjours de longue durée (Altoé, 2008a). Plus de deux décennies se sont passées depuis et on doit se poser avec insistance la question de savoir si les institutions qui ont été créées sont en mesure de répondre aux exigences de l’ECA en matière de respect des droits de l’enfant afin de favoriser son développement émotionnel et de préserver sa santé mentale.
9Pour étayer notre argumentation, nous allons présenter des faits souvent semblables à ce qui existait avant 1990 et qui posent problème. D’autres recherches et d’autres analyses de ce fonctionnement seraient nécessaires ; des perspectives d’action repérables seraient souhaitables pour que les autorités responsables puissent planifier et exécuter une politique publique conforme à ce que la loi recommande (Altoé, 2008b).
10Selon l’ECA, l’accueil en « abrigo » des enfants qui se trouvent en situation de vulnérabilité sociale et familiale représente une possibilité de garantir l’attention, la protection, l’éducation, ainsi que de nouveaux liens sociaux et le développement de l’autonomie. Cependant, certaines caractéristiques du fonctionnement institutionnel de l’« abrigo » renforcent la situation d’instabilité qui traverse la vie des enfants et qui a justifié le placement luimême. Nous mettons en évidence tout au long de cet article, quelques unes de ces situations qui se caractérisent par le changement fréquent de logement et l’instabilité des liens affectifs dans le quotidien de ces enfants.
11L’équipe « technique » de l’« abrigo » est composée d’assistantes sociales et de psychologues qui sont des fonctionnaires de la municipalité. Une première caractéristique du fonctionnement de l’« abrigo » est l’alternance des éducateurs, hommes et femmes, qui travaillent directement avec les enfants au cours de leur séjour, dans des équipes qui prennent le relais d’un jour à l’autre après une longue journée de travail. Ils sont mal rémunérés (ils perçoivent un salaire minimum) et ne reçoivent pas la moindre formation pour ce type de travail. Ils ne sont pas fonctionnaires de la municipalité mais employés par des ONG.
12L’un des objectifs majeurs du placement est de permettre la recherche d’alternatives à la situation de l’enfant. Dans ce sens, le placement dans l’« abrigo » a un caractère provisoire et il doit être bref. Mais les difficultés de réalisation de cet objectif sont tellement grandes que les enfants et les adolescents restent souvent là pour de longues périodes, plusieurs mois et, dans certains cas, plusieurs années. De plus, l’accueil n’offre pas les conditions nécessaires à la préservation de l’individualité de chacun : il ne permet pas d’avoir à sa disposition des objets personnels comme des vêtements ou des chaussures. Les enfants utilisent ce qui est disponible et portent rarement plus d’une fois le même vêtement ; en général, ce sont des habits donnés, qui peuvent être abimés ou qui ne sont pas à leur taille.
13Une autre caractéristique institutionnelle est le type de logement (« maison », dortoir) qui est organisé par groupes d’âge, de sorte que l’enfant change de place quand il change de groupe d’âge. Si on peut penser que l’objectif de ce critère d’organisation est de faciliter le travail des adultes, de protéger l’enfant et de favoriser le lien social entre les enfants, il ne favorise cependant pas la construction du lien affectif avec l’adulte et mène à des difficultés dans le cas de fratries. Un cas que nous avons suivi illustre cette situation : malgré leur attachement, trois frères ont habité séparément, chacun dans une « maison » différente au moment du placement. Il est important de souligner que ce fonctionnement est en contradiction avec la recommandation de l’ECA selon laquelle les fratries doivent rester groupées.
14La question fondamentale que nous soulevons ici est celle de l’adéquation du dispositif à sa propre finalité. Par exemple, il n’offre pas un espace adéquat pour la réalisation des activités de loisir et de sport. Celles-ci s’effectuent à l’extérieur et dépendent des initiatives des éducateurs et de l’offre d’autres institutions. Ces facteurs rendent difficile la continuité d’activités fondamentales, y compris comme possibilité de construction d’autres liens sociaux, au-delà des murs de l’« abrigo ».
15Un autre aspect significatif concerne les transferts d’un « abrigo » à un autre, soit à la demande des assistantes sociales pour des raisons disciplinaires ou pour une meilleure orientation, soit à la suite d’une fugue de l’enfant ou du jeune. Ceci a pour conséquence le passage par divers « abrigos » dans un temps relativement court, comme c’est le cas de l’adolescent Humberto que nous verrons plus loin.
16Un autre point important est celui du rapport de l’institution d’assistance et de protection avec les institutions judiciaires. Pour orienter les cas, l’institution d’assistance dépend des décisions des institutions judiciaires, ce qui génère de nombreuses difficultés. Nous nommons ce processus « léthargies bureaucratiques ». Nous témoignons, par exemple, du cas d’une mère dont le lien avec son fils était très fragile et qui a attendu plusieurs mois une autorisation de l’amener chez elle pendant les fins de semaines, tandis que ses visites à l’enfant dans l’« abrigo » devenaient de plus en plus rares. La lenteur du processus de jugement qui destitue la famille naturelle et propose l’adoption de l’enfant est aussi un fait habituel, de même que la lenteur du processus d’adoption. La question se pose de savoir s’il est pertinent que tant de décisions soient réservées à des institutions judiciaires. De plus, il n’est pas certain que ces mêmes institutions, surtout dans les grands centres urbains, présentent les conditions permettant de défendre les intérêts de l’enfant, comme le prévoit l’ECA. Il est important de noter que le temps d’attente des enfants est long et, selon nos analyses, cette difficulté augmente en fonction de la structure d’accueil offerte en attendant la décision définitive. Ce phénomène est devenu si évident et préoccupant que, au cours du second semestre 2010, le Juge de l’Enfant, de l’Adolescent et de la Personne âgée de Rio de Janeiro a mis en place un vaste collectif de travail qui fonctionne tous les six mois, dans l’« abrigo » même, avec pour objectif de faciliter l’orientation des cas. Cette initiative des professionnels du système judiciaire est louable, mais sera-t-elle une solution à moyen terme ?
17Malgré les difficultés, l’« abrigo » remplit certainement une fonction sociale importante. C’est pourquoi des changements sont nécessaires pour assurer un accueil plus individualisé, qui favorise le développement socio-affectif des enfants et des adolescents, à un moment particulièrement difficile de leur vie.
18Habituellement, l’équipe d’un « abrigo » est composée d’une majorité de travailleurs sociaux et bénéficie rarement de l’apport d’un psychologue, comme c’était le cas sur le terrain de cette enquête. L’accompagnement psychanalytique dispensé par notre équipe à quelques enfants se révèle, selon les assistantes sociales, très important, surtout dans les cas où des faits de violence, la séparation ou la perte des parents, les changements constants, la maltraitance ou la violence sexuelle laissent ces enfants ou ces adolescents très angoissés, confus, déprimés, enragés, sans qu’ils puissent comprendre ce qui est en train de leur arriver ou sans perspective sur ce qui va leur advenir.
Caractéristiques de la pratique clinique
19Le travail d’accompagnement clinique individuel mis en place répond à la demande des assistantes sociales de l’« abrigo » et a été approuvé par la coordinatrice de la recherche. Les accompagnements sont réalisés par l’équipe à raison d’une à deux fois par semaine, selon les cas et la disponibilité du psychologue, les cas étant discutés en contrôle hebdomadaire.
20Les assistantes sociales sont entendues par notre équipe à l’université, quand elles sollicitent par téléphone un accompagnement pour un enfant ou un adolescent. Nous recueillons les rares informations qu’elles nous apportent sur leur histoire, sur le motif du placement et sur la demande d’accompagnement. Si le lien familial existe, nous fixons des entretiens avec le responsable de l’enfant, en général la mère. L’accompagnement clinique, réalisé par la coordonnatrice de la recherche et par les étudiants du programme de formation en psychanalyse, dans les bureaux du Service de Psychologie Appliquée (SPA) de l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ), est d’orientation psychanalytique. Nous ne visons pas l’adaptation des enfants aux institutions sociales (ce qui serait un travail pédagogique), malgré ce qui peut être perçu en ce sens par les assistantes sociales et les éducateurs, puisque l’un des premiers effets de l’entrée en traitement est la diminution de l’angoisse, qui permet un meilleur rapport avec le groupe de vie.
21L’accompagnement réalisé en dehors de l’« abrigo » permet de minimiser les interférences institutionnelles, à la fois dans les faits et dans l’imaginaire de l’enfant et de l’adolescent. Néanmoins, il est la cause d’une certaine irrégularité de la venue des enfants plus petits aux consultations, du fait qu’ils sont accompagnés par les éducateurs. Nous pensons que cela est dû aux difficultés organisationnelles et au nombre réduit d’éducateurs pour assurer le quotidien de l’« abrigo » et les diverses activités à l’extérieur. Dans certains cas, l’absence des enfants ou de longs intervalles de fréquentation interfèrent avec le déroulement du traitement. Nous tenons également compte des effets du fonctionnement de l’institution universitaire, tels que les grèves et les vacances, et nous cherchons à maintenir un rythme hebdomadaire d’accompagnement de manière à éviter de répéter l’instabilité des relations affectives dans la vie des enfants.
Changements de logement, rupture des liens affectifs et temps d’attente
22Nous présentons dans ce qui suit des éléments du bilan social de quelques uns des cas reçus et de brefs commentaires sur l’accompagnement clinique, afin d’expliciter la réalité sociale de ces enfants et la difficulté de reconstitution de leur histoire. Nous ne visons donc pas une discussion de cas cliniques mais plutôt une mise en évidence de l’instabilité de leurs références familiales et institutionnelles, durant leur séjour dans l’« abrigo », dans l’attente d’une solution ultérieure pour leurs vies.
João, Daniel et Lucio
23Ce sont trois frères âgés de trois, six et sept ans au moment de leur premier placement. Ils ont été hébergés pour la première fois après avoir été trouvés en situation d’exploitation sexuelle en compagnie d’un adulte et ils ont été transférés au bout d’un mois dans un autre « abrigo », plus proche de la résidence des membres de leur famille. L’assistante sociale a réussi à prendre contact avec la mère et le grand-père maternel ; la mère a prétendu ne pas pouvoir recevoir les enfants du fait de difficultés financières, mais le grand-père maternel, en répondant au désir de sa femme, a été d’accord pour prendre soin des enfants jusqu’à ce que la mère puisse mieux s’organiser pour les recevoir. Après dix mois de séjour dans l’« abrigo », les enfants sont allés habiter avec leur grand-père et son épouse, en même temps que deux autres enfants adoptés auparavant par le couple. Ils sont restés quatre mois dans la maison du grand-père qui les a renvoyés de nouveau dans l’« abrigo », en alléguant que leur comportement « était au bord de la bizarrerie et ébranlait l’ordre familial ». Dès ce moment, il ne s’est plus montré désireux d’un quelconque contact avec les enfants. L’assistante sociale responsable de ce cas rapporte que le grandpère décrit des scènes où l’enfant le plus petit défèque partout dans la maison, urine au lit, salit la nourriture, fait alliance avec des bandits, incite sexuellement d’autres enfants, allant jusqu’à menacer son grand-père d’un couteau. Dans l’« abrigo », il était considéré comme très agité — plus que ses frères — incitant d’autres enfants à des jeux sexuels qui, dans son vocabulaire, incluaient « sucer », « saisir la bite », « baiser ». Fréquemment, lorsque les autres enfants refusaient ces jeux, des bagarres éclataient. Dès que les occasions se présentaient, il touchait les organes sexuels des adultes et des enfants, à tel point que sa présence rendait les enfants plus agités. En même temps, cet enfant (le plus jeune) est très séducteur, si bien que tous les éducateurs l’aiment bien. L’assistante sociale note encore que les frères sont très liés entre eux, se réfèrent les uns aux autres et se défendent lors des bagarres, bien qu’ils soient dans des « maisons » séparées dans l’« abrigo ». L’assistante sociale est davantage préoccupée par le plus jeune mais demande de l’accompagnement pour les trois car ils sont tous très inquiets et perturbent la convivialité lorsqu’ils sont en groupe. Six mois après ce second accueil, les possibilités de rapprochement avec la famille étant épuisées, l’équipe de l’« abrigo » a proposé l’orientation des enfants vers une famille adoptive. En août 2009, les enfants étaient toujours dans l’« abrigo » où ils résidaient déjà depuis 18 mois et où ils bénéficiaient d’un accompagnement psychologique depuis environ un an. Selon nous, l’accompagnement de ces enfants permet vraiment de travailler les situations traumatiques vécues, de préserver les liens sociaux et de redonner de grandes chances de succès à l’insertion dans une famille, si l’offre de ces nouveaux liens familiaux ne tarde pas trop à se présenter.
24Compte tenu du retard de la décision du juge susceptible de les orienter vers une famille adoptive, grâce aux effets de nos propres actions auprès des assistantes sociales, le lien avec la mère a pu être retissé. Cette nouvelle réalité a permis le placement des enfants dans une famille d’accueil, au début de 2010, tout en maintenant des rencontres avec la mère tous les quinze jours, en attendant qu’elle s’organise pour reprendre ses enfants. Le changement intervenu dans leur vie a eu des effets très importants que nous avons pu observer au cours des consultations et qui se sont prolongés après leur sortie de l’« abrigo ». Ces effets se traduisent par des inventions et des solutions qu’ils ont construites pour faire face aux conflits et aux difficultés de leur histoire. L’écoute des assistantes sociales et de la mère qui les a accueillis a également dénoué la situation et permis une bonne interaction avec la famille d’accueil.
Luis
25Luis a 13 ans et réside en « abrigo » depuis un an. Il a été rencontré dans la rue par des policiers : alléguant les mauvais traitements infligés par sa mère, il racontait que ce n’était pas la première fois qu’il fuguait et affirmait qu’il ne voulait pas retourner vivre avec elle. L’assistante sociale déplorait qu’il ne veuille pas habiter chez sa mère qui, elle, affirmait vouloir son retour à la maison. Pour faciliter la réintégration familiale, recommandée par la législation, il a été orienté vers un accompagnement psychologique. Son histoire révèle un parcours itinérant, un passage par plusieurs hébergements. A l’âge de dix mois, sa mère l’a laissé chez son grand-père maternel et l’épouse de celui-ci. À la séparation du couple, Luis a habité avec le grand-père quelque temps. Ensuite, il est allé habiter chez une amie de son grand-père, qui s’était engagée à prendre soin de lui ; de là, il a fugué puis il a été placé pour la première fois (il ne sait pas dire à quel âge). Il est sorti de l’« abrigo » pour aller habiter chez une tante, sœur du grandpère. Fin 2007, il est venu à Rio habiter avec sa mère qu’il connaissait mal. Selon elle, il a fait toutes sortes de bêtises chez elle et lui a rendu la vie « infernale ». La mère raconte encore que, quand elle essayait de parler avec lui, il restait muet et recommençait ses bêtises. De plus, quand elle perdait patience, elle le battait. Après l’un de ces incidents, il a fugué, il est resté un mois dehors, il a été retrouvé et il est revenu habiter avec sa mère, mais ils se disputaient beaucoup. Il restait seul à la maison quand il n’allait pas à l’école, car sa mère travaillait. C’est lors d’une nouvelle fugue qu’il a été ramené à l’« abrigo ».
26Luis a du mal à raconter son histoire et sa mère n’arrive pas non plus à parler de la sienne ou de celle de son fils sans que des moments d’angoisse ne surgissent, interrompant le récit à plusieurs reprises. Les consultations sont surtout occupées par des activités de dessin qu’il commente seulement avec des mots isolés et évasifs, en général après sollicitation. Il a l’habitude de demander à revoir ses dessins. Il les regarde calmement et fait rarement des commentaires, mais il lui semble important de les revoir pour reprendre un fil par lequel il poursuit sa relation avec l’analyste. Au cours d’une séance, après une longue période sans accompagnement, ce qui pourrait avoir suscité un sentiment d’abandon, il dessine un bateau à voile et, en réponse à la sollicitation à en parler, il dit : « c’est un bateau abandonné sans histoire ». Par cette phrase, il nous semble synthétiser sa difficulté, observée pendant le traitement, à tisser des éléments qui lui permettent de construire une histoire personnelle et familiale.
Alice
27Alice a seize ans. Elle a vécu en compagnie de son arrière-grand-mère depuis sa naissance jusqu’à l’âge de deux ans, au moment où celle-ci est décédée. Elle a habité ensuite chez des oncles dans plusieurs maisons. On lui a dit que sa mère était décédée et elle n’a pas d’informations sur la famille de sa mère. Elle raconte avoir souffert d’agressions de la part de ses oncles, y compris d’avoir été « abusée sexuellement » par un oncle âgé de seize ans. Quand elle a eu douze ans, son père est revenu et elle est allée habiter avec lui et sa grand-mère paternelle. À quatorze ans, elle s’est trouvée enceinte de son père. Elle a quitté la maison de sa grand-mère quand le voisinage a pris connaissance de sa grossesse et que son père a commencé à être menacé. Le fait a été dénoncé au Conseil Tutélaire et elle a été orientée vers un « abrigo » quand son bébé a eu six mois.
28L’orientation vers un accompagnement thérapeutique était motivée par le fait que l’adolescente ne prenait pas suffisamment soin de l’hygiène du bébé qui pesait seulement cinq kilos, alors qu’il était âgé d’un an. Malgré l’attention des assistantes sociales et des médecins, la situation ne s’était pas améliorée. Après quelques séances d’accompagnement, elle a exprimé, en parlant de ses cauchemars à répétition, son conflit entre un désir de mort du bébé et ses tentatives pour le protéger. Elle a pris la décision courageuse et affectueuse de le confier pour une adoption (nous avons su qu’après la séparation et l’adoption, le bébé avait pris rapidement du poids). Il lui a fallu six mois de travail intense, de grande angoisse, de douleur et d’essais pour comprendre ce qui lui arrivait et repenser son entrée dans l’adolescence. Ensuite, elle a fugué de l’« abrigo ». Ce cas a inauguré notre pratique clinique dans le cadre de la recherche.
Paulo João
29Paulo João a neuf ans. À deux ans, un voisin l’a rencontré sur la Place Quinze et l’a amené au commissariat de police. Il a ensuite été adressé à l’« abrigo » actuel. Il raconte qu’il habitait avec sa mère qui consommait des drogues et deux de ses frères âgés de deux et sept ans, et que son frère âgé de onze ans habitait chez sa tante. Son père est en prison. Il dit avoir tenté de « taper avec une arme » sur sa mère. Il raconte qu’elle buvait beaucoup, qu’elle « restait défoncée », qu’elle le battait avec un balai, qu’elle lui laissait des marques de chaussures sur le corps et que, de temps en temps, elle « larguait les enfants dans la rue ». Une dame, que Paulo João aimait, a pris soin de lui pendant un temps, mais elle est décédée. Après son placement, l’assistante sociale, dans son effort pour rencontrer sa famille, a localisé une tante qui disait vouloir en prendre la responsabilité, de même que le grand-père paternel, qui confirmait les histoires racontées par Paulo João et disait que son fils, qui purge une peine de réclusion, n’avait pas enregistré la naissance de son petit-fils. Mais tous deux ont abandonné l’idée de se porter responsables de l’enfant. Au cours de la recherche de ces contacts, en janvier 2008, Paulo João fut transféré vers un autre « abrigo ». Trois mois après, il est retourné dans l’« abrigo » actuel, orienté par le « Central Carioca de Recepção » car, là où il était, il fuguait beaucoup pour essayer de rencontrer son grand-père. Après l’abandon confirmé du grand-père et sans aucune nouvelle de la mère, malgré les recherches faites par le programme « Je recherche ma famille » depuis le 21 août 2007, l’assistante sociale a envoyé l’« Avis d’Abandon » et, le 12 mai 2008, a suggéré l’orientation de l’enfant vers le secteur « Accueil en Famille Adoptive ». Jusqu’en août 2009, il est resté dans l’« abrigo », en attente d’une décision judiciaire.
30Pendant les séances d’accompagnement, il présente d’énormes difficultés à parler de n’importe quel sujet et dit ne pas vouloir parler de son histoire. Quelquefois, il affirme vouloir retourner dans l’« abrigo » précédent pour retrouver son grand-père ; d’autres fois, il veut rester là où il est ou encore dit qu’il veut une autre famille. La lenteur de la décision judiciaire — « seul le juge le sait », a-t-il dit — rend difficile un quelconque projet d’avenir, aussi bref soit-il, ce qui semble le bloquer. Bien qu’il soit un garçon intelligent, il a peu d’intérêt pour l’école. Quand il sourit, il a une expression espiègle. Pendant le second semestre 2010, il a reçu des visites d’une famille qui manifestait l’intention de l’adopter.
Inès
31Inès a seize ans. Enfant, elle a été amenée par sa mère chez sa grand-mère qui vivait dans un autre État (Maranhão). Elle a vécu avec sa grand-mère et ses frères, loin de sa mère qui vivait à Rio, sans contact et sans nouvelles d’elle. L’adolescente ne fait aucune allusion à son père. Dans l’état du Maranhão, elle a décidé de partir de la maison de sa grand-mère et d’aller habiter avec des amies et elle s’est mise à consommer de la drogue et de l’alcool. Elle est tombée enceinte. À sa grand-mère, elle a demandé de prendre contact avec sa mère et manifesté le désir de retourner à Rio. Elle y est retournée pour habiter avec sa mère. Mais la cohabitation, selon Inès, est devenue perturbée et insoutenable, surtout après la découverte de sa grossesse par sa mère. Elle dit que les mauvais traitements, les rejets, les violences corporelles et psychologiques sont devenus constants, au point que les voisins ont appelé le Conseil Tutélaire.
32Sa cousine et sa tante ont obtenu sa garde temporaire et celle de son bébé. Mais la situation s’est compliquée et, la tante ayant abandonné sa garde, Inès a été orientée vers un « abrigo ». C’est là qu’elle s’attache à son enfant et le considère comme sa seule raison de vivre. Toutefois, cette relation se révèle confuse et fluctuante, alternant entre attention et maltraitance, entre inquiétude et indifférence. Parfois, elle prend un soin excessif de l’hygiène de son enfant, lui témoigne de la tendresse et de l’attention et, à d’autres moments, elle l’abandonne à son propre sort, s’irrite et le frappe ; ou encore, en visite chez sa mère, elle le laisse enfermé avec son beau-père qui, selon ses propres paroles, a quelquefois séduit le garçon. Inès travaille et étudie mais elle a de fréquents moments de solitude au cours desquels elle pleure beaucoup. Lors de nos accompagnements, elle parle d’« angoisse » et de « sensation étouffement ». De temps à autre, elle consomme de nouveau du « crack » et dit parfois avoir « peur de faire une bêtise », « une folie », racontant à l’assistante sociale qu’elle a envie de tout abandonner et de se tuer. Elle dit ne pas avoir de perspective de vie, dans la mesure où elle ne veut plus rester dans l’« abrigo », qu’elle ne peut pas retourner chez sa mère qui ne la soutient pas, qu’elle ne veut pas retourner dans le Maranhão, car « là-bas c’est difficile de gagner sa vie ».
33Pendant l’accompagnement, après une énorme déception par rapport à sa mère, elle a fait une tentative de suicide et a été hospitalisée dans un hôpital psychiatrique pendant quelques jours. Marquée par cette expérience dans un hôpital de « cinglés », Inès ressent encore une forte rancune envers sa mère, malgré son désir pressant de changer d’attitude. Quelques mois plus tard, l’analyste est informé qu’Inès a fugué de l’« abrigo » en emmenant son fils, pour habiter avec son amoureux, un ancien fonctionnaire, qui a été lui-même placé là avant ses dix-huit ans.
Humberto
34Humberto a seize ans. Selon sa mère, quand il était enfant, il se comportait différemment à l’école. À l’âge de huit ans, il a été orienté vers une institution Pestalozzi puis vers un service de psychiatrie. Avec un diagnostic d’hyperactivité, il a bénéficié d’un accompagnement psychiatrique et psychologique pendant six ans. Il a huit frères, certains du même père et d’autres de pères différents. Il raconte avoir vécu avec son père et sa mère jusqu’à l’âge de six ans. Ensuite, son père est allé habiter dans une autre commune et n’a plus jamais donné de nouvelles. Les neuf enfants ne vivaient pas ensemble, quelques-uns habitaient dans la maison de la mère et d’autres dans la maison de la grand-mère, qui se situait dans un quartier éloigné. Avec la maladie de la grand-mère, ils sont retournés vivre chez leur mère et la situation est devenue chaotique et insupportable, selon cette dernière. Elle raconte qu’à l’arrivée de Vitorio (son fils « qui ne marche pas droit »), Humberto s’est impliqué dans des petits vols, est devenu agressif, renfrogné, allant jusqu’à l’agresser physiquement par deux fois, avec son frère. La mère a appelé la police qui les a amenés au commissariat puis dans un établissement socio-éducatif où ils sont restés en internat pendant quarante-cinq jours. Ils ont ensuite été placés dans un « abrigo », car la mère n’a pas voulu qu’ils reviennent chez elle. Humberto nous informe qu’il est déjà « resté dans la rue » et qu’il est passé par cinq « abrigos » différents (données qui sont confirmées par son dossier social), pendant une période de deux ans. Il fait preuve d’agressivité avec certains camarades de l’« abrigo » et de son lieu de stage, et avec des membres de l’équipe qui, selon lui, « lui pourrissent la vie » et « s’acharnent sur lui ». Selon les rapports, son comportement agressif est constant et se manifeste soit par de simples menaces, soit par des passages à l’acte, ce qui pour nous pourrait être la cause des divers changements d’« abrigos ».
35Les situations présentées ici montrent la singularité de chaque cas, ainsi que l’éclatement des histoires de vie de ces enfants, caractérisées par des changements constants de logement et par l’absence de repères durables grâce auxquels ils pourraient construire leur subjectivité. Dans ce qui suit, nous allons analyser plus particulièrement la notion de « détresse », considérée comme structurelle par Freud (1895), et le processus de construction de l’appareil psychique dans lequel la famille ou des substituts familiaux jouent un rôle important et représentent une référence stable pour l’enfant, processus qui reste perturbé pour cette population.
« Détresse » et famille
36Freud, dès le début de son œuvre, se consacre à l’étude du processus d’humanisation du bébé et de la construction de l’appareil psychique. En 1895, dans le texte intitulé « Esquisse pour une psychologie scientifique », il formule la notion de « détresse » et lui attribue une fonction fondamentale dans la structuration psychique. La « détresse » se réfère à la dépendance à autrui du bébé humain à sa naissance pour son auto-conservation. L’aide externe ne se réduit pas à la satisfaction d’un besoin, elle introduit l’enfant dans l’ordre symbolique, dans la mesure où elle requiert la fonction de communication. L’état de dépendance serait intolérable pour l’enfant qui commencerait à construire des stratégies pour contourner cette position radicale de « détresse » lui permettant de constituer un appareil psychique, fait humain par excellence. L’homme n’étant pas un animal orienté par des instincts mais un être marqué par le langage, il doit inventer des modes de relation avec le monde. L’invention de ces modes, propre à chacun, est ce que Freud décrit comme la construction singulière du psychisme.
37Le complexe d’Œdipe est utilisé par Freud (1909-1924) pour expliquer comment se constitue, sur la base des premières relations infantiles, l’organisation psychique et, par conséquent, comment se produit la construction du symptôme névrotique, c’est-à-dire comment chacun va construire un récit sur soi, par le lien avec les personnes qui lui sont les plus proches au cours de ses premières années de vie. À travers le roman familial, mis en scène dans les affects agressifs et amoureux que les enfants destinent aux parents, se construit un mode de relation affective avec le monde.
38La « détresse » serait ainsi un élément structurel dans la construction de l’appareil psychique, définissant l’état de dépendance par rapport aux autres qui précèdent l’enfant et dont les « aides », les investissements lui permettent de survivre. Nous pouvons dire que nous sommes tous en état de « détresse », notre histoire personnelle étant la construction de contournements possibles à cet insupportable. Chaque construction est unique et les éléments que nous utilisons sont ceux qui sont disponibles dans notre contexte de vie.
39Dans un article du début de son œuvre, « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Lacan formule une analyse de l’importance des premières relations sociales et familiales dans la vie psychique. Il précise le rôle de la famille humaine dans les processus fondamentaux du développement psychique de l’enfant, à partir des « complexes familiaux ». C’est par le moyen du « complexe » que la diversité culturelle est assimilée par l’enfant : « entre tous les groupes humains, la famille joue un rôle primordial dans la transmission de la culture » puisque c’est « elle qui établit ainsi entre les générations une continuité psychique dont la causalité est d’ordre mental » (Lacan, 1938). C’est au sein des premières relations, vécues en général dans la famille, que l’enfant passe par des complexes structuraux, en recevant l’héritage symbolique de sa culture à travers des histoires familiales. L’enfant peut être au sein de sa famille, avec ses parents et sa fratrie ou dans sa famille étendue, ou encore avec d’autres adultes, avec lesquels il établit une relation affective stable et durable.
40Pour que la construction psychique s’effectue, l’enfant a besoin d’être accueilli par un autre être humain et cette construction sera fondée sur ces premières relations. La continuité de ces relations, leurs ruptures et leurs privations ont également des incidences sur la construction qui s’élabore, se renforce ou se fragilise. Pour affronter la « détresse » structurale de tout être humain, il faut un accueil par un autre être humain qui rend possible son humanisation, son inscription dans l’ordre symbolique, dans le langage. Les conditions dans lesquelles ceci se déroule sont fondamentales mais non déterminantes. Cependant, il est évident que le mode selon lequel chacun narre sa propre histoire est marqué par la place que lui assignent ceux qui s’occupent de lui.
41Selon Maria Cristina Poli (2005) qui discute les spécificités de la clinique avec les adolescents dans des « abrigos », il est toujours nécessaire d’interroger les effets des « présupposés » de l’Autre sur la place que le sujet occupe dans son propre récit. En racontant son histoire, le patient se met à produire mais aussi à reproduire la manière dont il est raconté par l’autre. Au cours des accompagnements effectués avec ce type de patients, l’auteur rapporte leurs difficultés à construire un récit et leur malaise devant l’invitation à parler de leur histoire. Dans notre pratique clinique, nous rencontrons les mêmes difficultés.
42Dans un autre article (Altoé, 2008b), nous notons que les enfants qui habitent des « abrigos » manifestent souvent des confusions dans leurs références familiales ; ils n’arrivent pas à raconter leur histoire de vie, sauf dans des récits entrecoupés, perdant ainsi le lien de continuité de leur généalogie, dans la mesure où la filiation est la marque d’un lieu qui permet à l’enfant de se décrire comme « fils ou fille de ».
43Nous faisons ici l’hypothèse que, probablement, les histoires de vie des parents de ces enfants placés sont elles aussi morcelées, rendant difficile ou impossible la transmission d’une filiation (Altoé, 2008). Dans notre recherche, nous avons rencontré des difficultés semblables à celles de Luis, dont l’histoire marquée par des changements successifs de lieux de vie et de personnes responsables ressemble à celle de sa mère qui n’arrive pas non plus à raconter explicitement sa propre histoire de vie ni celle de son fils.
Pour conclure
44Ce travail de recherche, dont la méthodologie repose sur l’accompagnement clinique, porte sur une réalité sociale spécifique, suscitant de notre part une prise de position éthique et, par conséquent, un engagement politique. En présentant des éléments caractéristiques des cas suivis, nous avons mis en évidence les contextes de vie de ces enfants et adolescents, y compris sous leurs aspects institutionnels. Nous n’avons ainsi pas pu nous abstenir d’intervenir auprès des assistantes sociales et, dans un deuxième temps, de formuler des réflexions sur la politique publique d’accueil qui touche cette population infanto-juvénile et sur sa relation avec les institutions judiciaires.
45Les nouvelles formes institutionnelles mises en place à partir de l’ECA de 1990 dessinent un réseau d’accueil diversifié qui remplit une fonction sociale importante. Cependant, les dispositifs qui composent ce réseau, par leurs modes de fonctionnement, n’offrent pas de garanties pour les enfants et les adolescents accueillis. Il faut donc envisager non seulement une amélioration de la qualité matérielle et de la qualification du personnel, mais aussi l’instauration de mesures de prévention qui permettraient de diminuer le flux d’entrée de ces enfants qui circulent entre familles, « abrigos » et rue. Des changements importants sont indispensables pour mettre en œuvre, le plus souvent possible, l’accueil dans le quartier où vit l’enfant et chercher à maintenir les liens familiaux avec le voisinage et la convivialité communautaire. Ainsi, les conditions seraient favorables pour que des éléments stables permettent aux enfants de construire une histoire, ce qui se révèle difficile dans le contexte analysé où les changements sont fréquents et souvent vécus par les enfants comme arbitraires. Nos analyses nous amènent à penser que le fonctionnement du réseau institutionnel, en particulier celui de l’« abrigo », doit être modifié.
46Dans de nombreux cas, nous considérons qu’une aide thérapeutique est nécessaire. Dans notre travail qui s’appuie sur la théorie psychanalytique, nous insistons sur l’importance d’un ancrage, d’un appui symbolique, pour « faire avec » la « détresse » structurale et sociale. La spécificité de la réalité sociale des sujets suivis est prise en compte dans la clinique, bien que ce ne soit pas le but du traitement. Une clinique psychanalytique privilégie la singularité du sujet, elle vise l’appropriation et même la construction d’une narration de sa propre histoire, afin d’offrir au sujet la possibilité de se raconter selon un mode différent. Ce travail, traversé par la règle fondamentale de « tout » dire, favorise la diminution de l’angoisse devant ce qui ne peut se dire, permettant à l’enfant et à l’adolescent de s’aventurer dans la vie avec ce qu’elle offre de possibles. C’est là notre pari.
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : psicanálise, détresse, crianças, adolescentes, “abrigos”, desamparo, abrigamento, psychanalyse, enfants, adolescents
Date de mise en ligne : 31/03/2021
https://doi.org/10.3917/cliop.009.0065