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Article de revue

‪L’armée rend-elle viril ? Réflexions sur le « modèle militaro-viril » à la fin du xixe siècle‪

Pages 229 à 247

Notes

  • [1]
    Mihaely 2005a.
  • [2]
    Roynette 2002 : 85-96.
  • [3]
    Audoin-Rouzeau 2011 : 403-404.
  • [4]
    Mosse 1997 : 220. Ce modèle y est défini comme un véritable « ciment de la vie moderne » fixé dans les représentations des sociétés occidentales et à peine érodé par les évolutions postérieures à 1945.
  • [5]
    Georges L. Mosse explique ainsi que les idéaux masculins révolutionnaires « pénétrèrent toute la population » sans en faire la démonstration, Mosse 1997 : 61.
  • [6]
    Selon la définition donnée par Judith Butler, le « genre » n’existe pas par lui-même, en tant qu’essence, mais toujours en tant que performance corporelle, c’est-à-dire en tant que produit d’un acte, d’une interaction dans laquelle sont jouées les normes incorporées par les individus, Butler 2005 [1990] : 256-267.
  • [7]
    Connell 2014 [1995].
  • [8]
    Si, pour reprendre le titre du célèbre article de Joan Scott, le genre peut être une « catégorie utile » pour l’historien, c’est avant tout parce qu’il dévoile un certain nombre d’enjeux liés aux relations de pouvoir, Scott 1988. Ute Frevert a ainsi montré comment la prétention de l’armée allemande à transformer les conscrits en homme permettait de légitimer la brutalité de l’instruction militaire et l’obéissance absolue attendue de chaque soldat au xixe siècle, Frevert 2000 : 159.
  • [9]
    Boëne 1990.
  • [10]
    Cité par Monteilhet 1932 : 166.
  • [11]
    La Barre Duparcq 1884.
  • [12]
    Ces exemples sont tirés des Théories dans les chambres publiées en 1884 par le Commandant Heumann, reproduites dans le Manuel d’infanterie à l’usage des sous-officiers, caporaux et élèves-caporaux, Paris, Charles-Lavauzelle (plusieurs éditions). Ce modèle est encore celui des régimes totalitaires et militaristes du xxe siècle, voir Mosse 1997. Cette dimension mystique de l’engagement du citoyen-soldat existe depuis la Révolution française, voir respectivement Rauch 2000 : 51-85 et Hippler 2006 : 340. On en trouve encore la trace dans la pédagogie républicaine à la fin du siècle, Gerbod 1982 : 409-429 et Chanet 2000 : 13-34.
  • [13]
    Foucault 1975 : 161.
  • [14]
    Chanet 2006 : 38.
  • [15]
    Sur la reconnaissance de la « force morale » dans l’armée française avant 1914, Saint-Fuscien 2011 : 30-37.
  • [16]
    Sohn 2009.
  • [17]
    Drévillon 2014 : 251.
  • [18]
    Godineau 2004.
  • [19]
    Mihaely 2005b.
  • [20]
    Surkis 2006 : 125-185.
  • [21]
    Voir Taraud 2011.
  • [22]
    Sur cette question, voir Joly 2011.
  • [23]
    Mangin s’inspire ici du système des races guerrières théorisé au même moment dans l’Empire britannique, voir Streets 2004.
  • [24]
    On entend par « classes populaires », l’ensemble des sous-officiers appartenant aux professions agricoles, artisanales et ouvrières. Un sondage effectué sur 1 611 sous-officiers issus des classes 1878, 1890 et 1906 révèle que plus de 60% des sous-officiers appartiennent à ces professions. Cette sociologie du recrutement ne procède pas d’un choix de la hiérarchie, qui privilégie systématiquement les soldats les plus instruits pour occuper ces postes, mais des besoins pressants en cadres inférieurs, Marly 2015 : 172-204.
  • [25]
    Lamarque 1901 : 73.
  • [26]
    Sohn 2009 : 421-441.
  • [27]
    Monmillon 1894 : 71.
  • [28]
    Hubert Lyautey, à la suite du scandale littéraire provoqué par la publication de « Sous-offs », roman naturaliste de Lucien Descaves, accuse les sous-officiers de mettre en péril l’autorité militaire, Lyautey 1891.
  • [29]
    Grange 1908 : 18 et 21.
  • [30]
    Sur la sexualité militaire, voir Bertaud 2011 : 75-79. Sur la mutation du désir sexuel au xixe siècle, voir Corbin 1982 : 296-300.
  • [31]
    Le mariage des sous-officiers rengagés est autorisé à partir de 1881.
  • [32]
    Ce phénomène illustre une forme de décalage sociologique dans la transition des modèles de masculinité illustrée par les travaux d’Anne-Marie Sohn, décalage que l’on peut rattacher à celui qui s’opère au même moment dans le rapport à la violence et au « processus de civilisation », voir Elias 1975 : 214-220.
  • [33]
    Sur cet aspect du recrutement militaire, voir Marly & Lembré 2014 : 154-155.
  • [34]
    Le Progrès du Loir-et-Cher, 8 novembre 1903.
  • [35]
    Service Historique de la Défense, 9 NN 2, rapport du colonel du 20e régiment de chasseurs, 5 décembre 1903.
  • [36]
    Perrot 1996 : 106 et Pigenet 2011 : 203-241.
  • [37]
    Selon la typologie employée par Raewyn Connell, cf. Connell 2014 [1995].
  • [38]
    Pugeaud 1894 : 55.
  • [39]
    Sur la brutalité de l’instruction militaire, voir Roynette 2000 : 355-365.
  • [40]
    Les carnets de punitions constituent un critère de promotion hiérarchique et sont également pris en compte dans l’obtention des emplois civils réservés aux anciens sous-officiers rengagés, Marly 2015 : 383-392.
  • [41]
    De nombreux travaux sociologiques ont montré ce que la virilité de certains milieux populaires devait à la domination sociale et au statut de « masculinité marginalisée », voir Connell 2014 [1995] : 83.
  • [42]
    Roynette 2012 : 123.
  • [43]
    Houte 2012.
  • [44]
    Vigarello 2005 : 371. Cette distinction apparaît également au xixe siècle dans le port de l’uniforme militaire aux États-Unis, voir Weicksel 2014 : 146.
  • [45]
    Perrot 1974 : 226. Anaïs Albert repère ce type d’achat pour les classes populaires parisiennes à la fin du xixe siècle, Albert 2014 : 148.
  • [46]
    Charpy 2007 : 157. Voir illustration en annexe : publicité pour la « photographie de la Bastille », Atelier Louis Mullot, vers 1870.
  • [47]
    L’uniforme et le modèle militaro-viril exercent ainsi une forme de « domination symbolique » selon la définition qu’en donne Pierre Bourdieu, cf. Bourdieu 1984 : 7.
  • [48]
    Guéno & Laplume 1998 : 14-15.
  • [49]
    La « mélancolie » n’est pas entendue ici au sens que lui donne Judith Butler– comme refoulé du désir homosexuel – mais au sens d’une performance dans laquelle l’identité militaro-virile est plus subie que choisie.
  • [50]
    Nous empruntons cette expression à l’historienne allemande Ute Frevert, cf. Frevert 1998 : 253.
  • [51]
    Sur cette question, si présente dans l’historiographie de la Première Guerre mondiale, on se reportera avec profit aux travaux des sociologues sur la notion de « consentement » dans le monde du travail. Voir le numéro spécial de la revue Tracés, « Consentir : domination, consentement et déni », 14, 2008 et Lordon 2013 : 241-265.

1« Bon pour le service, bon pour les filles » : par cette expression devenue un lieu commun, l’armée française se présente à la fin du xixe siècle comme la grande école de la virilité. Cette prétention à incarner un modèle hégémonique de masculinité s’appuie sur la représentation d’un « modèle militaro-viril » – variante militaire d’une virilité triomphante dans la société française du xixe siècle – parachevée par l’imposition du service militaire obligatoire à partir de 1872. Désormais, tous les jeunes Français doivent, en théorie, accomplir un temps de service au sein d’une institution qui incarne une forme valorisée de masculinité depuis les guerres révolutionnaires et impériales [1]. De cette configuration particulière associant une représentation valorisée de la masculinité à une contrainte institutionnelle – le service militaire – on pourrait conclure à une très large diffusion et pénétration du modèle militaro-viril parmi les jeunes Français passés par la caserne [2]. Cette conclusion en appelle une autre : pour avoir intériorisé les codes masculins promus par l’armée, les jeunes Français mobilisés en 1914 auraient eu à cœur de montrer qu’ils étaient des hommes [3]. L’explication semble convaincante et l’on ne manque pas de témoignages attestant la nécessité d’accomplir son devoir « d’homme ». Il semble cependant qu’en attribuant à tous les soldats un rapport identique à la virilité, ce type d’explication délaisse la question fondamentale des diverses réceptions de la masculinité militaire dans la société française de la Belle Époque.

2Cette grille d’analyse « culturelle » de la virilité trouve son origine dans le grand livre de George L. Mosse, L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne. L’historien américain y décrivait l’élaboration d’un modèle de virilité, né à la fin du xviiie siècle, concordance d’un type de beauté extérieure – le modèle grec exalté par la peinture néo-classique – et d’une vertu morale faite d’énergie et de maîtrise de soi. Si, à plusieurs reprises, George L. Mosse, reconnaît que ce modèle est le produit d’un contexte historique particulier (la conquête du pouvoir par les « classes moyennes »), qu’il répond à des intérêts politiques et qu’il permet, enfin, de justifier l’exclusion de certaines catégories marginalisées, il tend à en donner une vision quelque peu uniforme [4]. On peut reconnaître des vertus à cette « histoire des mentalités » sans partager toutes ses conclusions, notamment lorsqu’il s’agit d’effectuer un lien de causalité entre l’élaboration d’une représentation et sa pénétration dans l’ensemble du corps social [5].

3Nous proposons ici une autre approche du modèle « militaro-viril ». Les recherches consacrées à la « performativité » du genre invitent en effet à sortir des représentations englobantes de la virilité pour voir comment les acteurs mettent en scène leur masculinité [6]. Le concept de « masculinité hégémonique », proposé par Raewyn Connell, permet également de comprendre les diverses attitudes et stratégies des hommes placés devant un modèle dominant de masculinité [7]. Ces différentes approches permettent de penser autrement le modèle militaro-viril, non pas comme une « essence » qu’il s’agirait de définir pour en saisir la portée dans le corps social, mais comme un ensemble de références « genrées » mobilisables par différents acteurs (institutions, individus) placés dans une relation de pouvoir [8]. Pour le dire autrement, il n’existe pas de point de vue de Sirius qui permettrait de définir objectivement le modèle militaro-viril, mais une multitude de positions à partir desquelles ce modèle est décliné, utilisé et investi par les militaires, professionnels ou appelés, à la fin du xixe siècle.

La définition institutionnelle du modèle militaro-viril au xixe siècle : sacrifice et auto-contention 

4Le modèle militaro-viril peut être défini comme l’association des normes et valeurs du monde militaire à la notion de virilité, comprise au xixe siècle comme l’accomplissement des vertus masculines (force, énergie, courage) ou de certains comportements considérés comme relevant du masculin : brutalité, grivoiserie, sens de l’honneur. Ces valeurs et ces normes viriles restent cependant partagées, bien au-delà de l’armée, par l’ensemble de la population civile masculine. Pour séparer ce qui revient en propre à l’armée dans la définition de la virilité, il est donc nécessaire de recourir à ce que la sociologie militaire nomme la « spécificité militaire » [9] ou, pour reprendre le langage du temps, « l’esprit militaire ». Ce dernier apparaît au xixe siècle comme l’expression d’une servitude volontaire qui évoque par certains aspects la vocation sacerdotale. Il est, selon les mots du député catholique Étienne Lamy, « la mort volontaire d’une personnalité dans laquelle ne survit que l’obéissance » [10]. Dans sa définition la plus conservatrice, l’idiosyncrasie militaire rejoint le culte du martyr guerrier : une mort au combat consentie pour la beauté du sacrifice et non subie comme un accident ordinaire et redouté. En 1884, l’officier Edmond de La Barre Duparcq le résume ainsi : « [l’esprit militaire] n’a de plus beau commentaire que cet ordre donné, reçu, exécuté sans murmure par un détachement convaincu : vous allez vous poster là et vous y faire tuer, cela permettra à l’armée de se retirer » [11]. Les historiques régimentaires et les multiples exempla célébrant les actions d’éclat des soldats sur le champ de bataille en donnent quelques illustrations. En Crimée, le 13 février 1855, le caporal Odin fait preuve de bravoure en se jetant sur un obus sur le point d’exploser pour sauver son escouade. En 1882 à Hanoï, le soldat Gouret n’écoute que son courage lorsqu’il décide, en dépit de ses blessures, de continuer le combat. Enfin le sergent Blandan, modèle héroïque des sous-officiers français sous la iiie République, manifeste un sens extraordinaire de l’honneur, en combattant jusqu’au sacrifice suprême des cavaliers arabes dix fois plus nombreux que son détachement d’infanterie [12].

5Les caractéristiques de ce martyrologue guerrier n’épuisent pas le sens donné à la « virilité » par l’institution militaire. En effet, celle-ci ne conçoit pas la virilité sans la discipline et l’obéissance aux ordres. Comme le signale le règlement du service intérieur de l’infanterie, la discipline fait la « force principale des armées » et constitue la vertu militaire la plus essentielle, enseignée bien avant le courage et l’honneur. Cette priorité apparaît déjà dans les armées de l’époque moderne à travers une économie disciplinaire destinée à multiplier, par la coordination des gestes, l’efficacité des fantassins sur le champ de bataille [13]. L’armée refondée en 1872 sur le principe de la conscription universelle conserve à bien des égards cet impératif disciplinaire : les conservateurs à l’origine de cette mesure n’entendent pas créer un peuple de guerriers farouches mais bien discipliner le corps social après les désordres de la Commune [14].

6Le modèle de masculinité défendu par l’institution militaire n’est donc pas celui d’une virilité bruyante et débridée mais bien celui d’une virilité disciplinée et maîtrisée. L’évolution des tactiques militaires dans les années 1900 accentue encore cette exigence. La reconnaissance tactique de l’ordre dispersé face à la puissance de feu conduit en effet l’institution à promouvoir le principe de la « force morale » des troupes confrontées aux mitrailleuses et aux tirs d’artillerie [15]. Il s’agit désormais de créer une obéissance « consentie » et intériorisée chez des soldats destinés à une plus grande liberté sur le champ de bataille. Ce mot d’ordre rejoint celui des républicains qui entendent faire de la caserne une école de morale centrée sur l’impératif catégorique du patriotisme. Les valeurs viriles du courage et de l’honneur sont alors mises au service d’une cause plus grande : la défense de la République et de la Patrie.

7Ces traits de la culture militaire doivent bien faire saisir ce que le type de masculinité défendu par l’institution pouvait avoir de « moderne » si l’on reprend ici la transition théorisée par Anne-Marie Sohn entre les deux « régimes de masculinité » au xixe siècle : celui d’une masculinité traditionnelle fondée sur le courage physique et la défense de l’honneur et celui d’une « masculinité apaisée » caractérisée par la maîtrise de soi [16]. En définitive, qu’il se réfère à la dimension étroite du martyr guerrier ou à celle, plus consensuelle, de l’auto-contention du « citoyen-soldat », le modèle militaro-viril promu par l’institution militaire exalte les grandeurs de la servitude militaire. En s’appuyant sur les dénominateurs communs de la virilité (force, courage, honneur), l’armée naturalise l’obéissance militaire en la présentant comme une vertu proprement masculine. Le modèle militaro-viril est donc l’expression de ce lien entre un type de masculinité hégémonique dans la société civile du xixe siècle – la virilité – et les attentes d’une institution, l’armée, qui entend plier les hommes au devoir militaire. L’exaltation de ce modèle sert également d’autres enjeux de pouvoir, qu’ils concernent les rapports entre les sexes, les « races » et les classes sociales.

Le modèle militaro-viril au xixe siècle : instrument de domination masculine, raciale et sociale

8Le modèle militaro-viril trouve son origine dans le renforcement des attributs virils du soldat contre certains raffinements de la culture aristocratique à partir du xviiie siècle [17]. La Révolution française est une étape décisive dans cette définition virile car elle associe étroitement masculinité, citoyenneté et exercice du métier militaire à travers la figure du « citoyen-soldat ». Les débats sur le port d’armes des citoyennes mobilisent alors les distinctions de genre pour refuser aux femmes l’accès aux armes en les associant plus étroitement aux qualités inverses du métier militaire (douceur, fragilité, protection du foyer) [18]. L’exclusion de ce droit associé à la citoyenneté, fondé sur une naturalisation du genre « féminin », légitime l’exclusion des femmes de la sphère publique et politique au xixe siècle. L’adoption de la conscription obligatoire en 1872 établit une séparation plus nette entre le couple masculin/citoyenneté – tous les citoyens étant en théorie soumis au service militaire – et les femmes qui disparaissent au même moment des casernes [19]. Le service militaire devient une composante essentielle de cet ordre politique masculin construit par la iiie République – et notamment par la sociologie durkheimienne – qui entend appuyer la construction de la citoyenneté des jeunes hommes par l’intériorisation des contraintes collectives et la maîtrise de soi [20].

9La dimension coloniale du modèle militaro-viril a déjà fait l’objet de nombreux travaux et l’on se contentera ici d’en évoquer les grandes lignes [21]. Ces derniers ont montré l’usage que l’on pouvait tirer des gender studies pour comprendre la domination coloniale, l’exaltation de la conquête étant bien souvent légitimée par les valeurs viriles du militaire conquérant opposé à l’indigène passif et féminisé. Cette domination connaît cependant quelques exceptions à travers le cas des « races guerrières » à qui les colonisateurs attribuent des vertus militaro-viriles [22]. C’est le cas, dans l’Empire français, des combattants africains à qui le lieutenant-colonel Charles Mangin, dans son ouvrage publié en 1910, La Force noire, prête une virilité guerrière dont il déplore l’affaiblissement en métropole [23]. Ces virilités subalternes sont le produit d’une situation originale : la virilité des colonisés est attestée pour justifier leur intégration dans les armées coloniales sans être suffisante pour abolir l’exclusion politique des soldats indigènes.

10Instrument de domination masculine et coloniale, le modèle militaro-viril exerce également une forme de domination sociale dans les rangs de l’armée. Celle-ci apparaît comme la conséquence directe des transformations sociologiques du recrutement militaire à la fin du xixe siècle. À partir de 1872, et plus encore après les lois de 1889 et 1905, la jeunesse bourgeoise et lettrée ne peut plus faire appel au remplacement, et de moins en moins, aux dispenses, pour échapper au service militaire. La présence de ces jeunes bacheliers sous les drapeaux modifie en profondeur les rapports d’autorité dans le rang, en particulier avec les sous-officiers dont la majeure partie est encore recrutée parmi les « classes populaires » [24]. Cette situation est à l’origine d’une représentation récurrente de la vie de caserne, celle du « sous-off » martyrisant les jeunes recrues éduquées. Or, la figure du « sous-off » apparaît précisément comme le miroir inversé du modèle de masculinité promu par l’armée : brutal, grossier et grivois comme en témoigne le jeune Louis Lamarque, dans une description où pointe une forme de ressentiment social :

11

En général, les sous-officiers sont des hommes qui, dans la vie civile, se trouvaient tout en bas de l’échelle sociale – il suffit de savoir lire et écrire pour devenir sous-officier – charretiers, gardeurs de bestiaux, garçons de ferme, domestiques. Jusqu’au régiment, ils ont toujours été commandés, il se trouve que là ils peuvent commander, ils ont quelques hommes sous eux ; alors ils se vengent de l’infériorité où ils ont toujours été tenus, ils abusent naturellement de leur autorité [25].

12La masculinité du « sous-off » issu des milieux populaires s’oppose trait à trait à celle des jeunes bacheliers, construite dans l’entre-soi des lycées dans lesquels se déploient alors un autre registre de masculinité et d’autorité, fondée sur la bienveillance et l’auto-contention [26]. Victor Monmillon, jeune bachelier passé par la caserne, en appelle ainsi au modèle de l’instituteur bienveillant pour critiquer la brutalité de certains instructeurs militaires ayant conservé « un langage trop imagé, trop coloré, sans retenue, qu’on doit leur interdire » [27]. La jeunesse des écoles est bientôt rejointe par les appels de nombreux officiers qui, à l’instar du jeune Hubert Lyautey, défendent le « rôle social et éducateur » de l’officier, grand frère bienveillant de la troupe, contre les débordements des « sous-offs » [28]. De leurs côtés, les sous-officiers reçoivent des cours de « maintien ». Le capitaine Grange leur recommande de conserver la maîtrise de leur « volonté » devant leurs hommes pour « réfréner les manifestations intempestives et ridicules » auxquels ils se livrent [29]. Les mutations du désir sexuel portées par les classes dominantes entraînent au même moment la condamnation des mœurs militaires encore valorisées dans la première partie du xixe siècle, du « baiser à la hussarde » à la fréquentation des filles d’auberge, auxquels la figure du « sous-off » est encore associée [30]. Désormais, les sous-officiers sont invités à se marier – le célibat militaire étant jusqu’alors la règle – et les relations de concubinages sérieusement contrôlées pour maintenir l’ordre disciplinaire jusque dans les couples [31].

13La maîtrise des affects, au cœur du modèle de virilité proposé par l’armée et la classe politique à la fin du xixe siècle, n’est pas sociologiquement neutre. Elle reste l’apanage des classes dominantes qui instituent cette norme comme légitime au sein du monde militaire [32]. Les officiers épousent d’autant mieux ce mouvement que leur mode de recrutement favorise très largement les anciens bacheliers et jeunes bourgeois à la fin du xixe siècle [33]. Dès lors, l’affirmation de ce modèle distingue une partie du contingent ainsi qu’un grand nombre d’officiers – encore sensibles au « panache » de l’ethos aristocratique – et disqualifie les sous-officiers et soldats qui ne peuvent faire valoir ce type de rapport à l’autorité ou à la sexualité. Cette hégémonie ne signifie pas pour autant que le modèle de virilité porté par l’armée imprègne de manière uniforme l’ensemble du contingent. Les acteurs placés sous l’uniforme développent en réalité un rapport plus subtil et plus complexe aux types de masculinités mobilisables dans les casernes.

Performances masculines sous l’uniforme 

14Pour mieux cerner la manière dont les militaires – appelés ou professionnels – se saisissent des catégories de genre, nous proposons d’analyser leur mobilisation dans le cadre de situations particulières mettant en scène le « corps » masculin dans son rapport à la violence, à la distinction sociale et à l’affirmation virile.

Performance (1) : « un coup de pied dans le derrière » ou la brutalité des sous-officiers

15Le 8 novembre 1903, Le Progrès du Loir-et-Cher rend compte d’une plainte portée contre le maréchal-des-logis Jeanson, maître-sellier au 20e régiment de chasseurs à cheval [34]. Selon les dépositions de l’enquête menée à l’intérieur du régiment, celui-ci aurait infligé un « coup de pied dans le derrière » d’un réserviste qui se plaignait de « n’être pas ouvrier de profession » et ralentissait le travail de l’atelier. Ouvrier dans le civil, le maréchal-des-logis est décrit par ses officiers comme un travailleur consciencieux tout en étant grossier et brutal avec ses hommes. L’un d’eux témoigne pourtant en faveur du sous-officier :

16

C’est comme tous les chefs et tous les patrons, il y a des moments où il n’est pas content de nous et alors il se fâche ; il y a des fois qu’il n’est pas patient [...] Il exige ce qu’il est en droit d’exiger comme patron. J’ai été assez longtemps chez les autres pour savoir ce que c’est [35](sic).

17Condamné par ses supérieurs, le type d’autorité déployée par le maréchal-des-logis rejoint les méthodes d’apprentissage du monde ouvrier, lesquelles s’appuient alors sur une définition plus traditionnelle de la virilité (force physique, usage de la violence) [36]. La condamnation de cet apprentissage viril apparaît bien ici comme l’imposition d’un modèle hégémonique – la masculinité apaisée et bienveillante portée par le discours de l’officier éducateur – sur une « masculinité marginalisée » [37] incorporée par certains sous-officiers issus des classes populaires.

18Il arrive cependant que ce type de masculinité soit revendiqué lorsqu’il permet aux sous-officiers d’affirmer une autorité qui leur est par ailleurs contestée. Dans son Manuel du bon conscrit publié en 1894, l’adjudant Pugeaud justifie ainsi la brutalité de l’instruction militaire :

19

Ne seriez-vous pas les premiers à vous plaindre, du moins à trouver la tâche du soldat trop facile si l’on vous traitait avec trop de ménagements […] ce qui ferait du conscrit, non pas un soldat robuste et courageux, mais un être efféminé sans valeur [38].

20Le propos de l’adjudant naturalise une forme brutale d’autorité en la réduisant à une catégorie de genre (vous êtes des hommes, il faut donc vous traiter « sans ménagements ») [39]. Ce procédé révèle une stratégie courante chez les cadres inférieurs de l’armée française à la fin du xixe siècle. Ceux-ci restent en effet largement dominés par le système disciplinaire qui les place sous la subordination constante des officiers, la menace de la punition et de l’échec professionnel [40]. Pour échapper à cette emprise punitive, les sous-officiers – et plus encore les adjudants chargés quasi-exclusivement de la discipline – doivent faire preuve « d’énergie » dans l’instruction et l’encadrement des soldats. La brutalité et la rudesse des sous-officiers apparaissent donc en partie comme la conséquence de leur position dans la hiérarchie disciplinaire. Mais elle résonne aussi, pour certains, à la manière d’une revanche : celle d’un type de masculinité marginalisée par le modèle hégémonique [41]. La définition du genre militaro-viril devient ainsi un enjeu de pouvoir pour ces petits gradés qui cherchent à négocier la forte subordination hiérarchique et sociale exercée par les officiers et les classes dominantes au sein de l’institution militaire.

Performance (2) : poser en uniforme

21À la fin du xixe siècle, la pose dans un atelier photographique ou une simple baraque de foire devient une pratique courante chez la plupart des conscrits qui entendent ainsi laisser à leurs familles une image d’eux-mêmes en uniforme. Il semble cependant que l’acte de poser en uniforme ne relève pas seulement d’une volonté de conformité à une catégorie de genre [42] – la virilité dont l’uniforme serait le signe – mais qu’il exprime également une volonté d’imitation ou de distinction sociale. En effet, le prestige de l’uniforme dans la France du xixe siècle [43] doit également beaucoup à certains détails matériels, corporels et symboliques qui en soulignent l’aspect distinctif. Le patron des uniformes militaires, taillé en V et dont la tunique enserre la taille et libère la poitrine, évoque à bien des égards le gilet et la redingote bourgeoise contraignant le corps à la rectitude alors considérée comme un signe de distinction sociale [44]. Le « maintien » imposé par l’uniforme contraste avec la blouse ouvrière et paysanne dont l’équivalent militaire correspond à la « tenue de corvée », réservée aux travaux ménagers des casernes. La pose en uniforme s’inscrit dans une forme d’imitation bourgeoise qui touche alors une partie des classes populaires dans leurs achats vestimentaires à la fin du xixe siècle [45]. Le décor des ateliers photographiques évoque de manière récurrente certains intérieurs bourgeois ou aristocratiques (jardin d’hiver, escalier de pierres, mobilier de luxe, etc.), sur le modèle des portraits photographiques d’abord réalisés pour la bourgeoisie [46].

22Ce qui est joué dans l’acte de la pose ne relève donc pas d’une adhésion à un modèle universel de virilité – que l’armée prétendrait définir – mais plutôt de l’imitation d’un certain registre social de virilité. Le caractère prétendument universel de cette pose (maintien du corps, maîtrise de soi) dissimule l’imposition d’une norme socialement dominante transformée en universel [47]. L’hégémonie de ce modèle de masculinité promu par l’armée, la République et les classes dominantes à travers la figure du « citoyen-soldat » est au cœur du travail de discipline et de « polissage » opéré dans les casernes du service militaire obligatoire et explique, autant que la contrainte exercée sur les corps, les marges de séduction opérées par ce modèle sur une partie du contingent. En effet, si l’uniforme reste un outil permettant de mieux contrôler le corps des soldats en les soumettant à une série de contrôles disciplinaires, il revêt à l’occasion de la pose quelques avantages symboliques : l’image envoyée à la famille – et peut-être à la future mariée – offre une représentation valorisante de soi en accord avec le modèle hégémonique de masculinité. Les soldats subissent donc la contrainte de ce modèle mais peuvent aussi y adhérer et se construire ainsi comme « sujet » de cette relation de pouvoir et de domination.

Performance (3) : le regard d’une petite fille

23Notre dernier exemple est extrait d’une lettre écrite par un « poilu », Henri Aimé Gauthé, décrivant la traversée de Commercy avec son régiment d’infanterie en février 1916 :

24

La traversée de Commercy se fit au pas cadencé, arme sur l’épaule. Il importait de ne pas offrir le spectacle d’un troupeau incohérent et flasque. Montrer à la population les signes extérieurs d’une troupe organisée et disciplinée. Ma baïonnette s’empêtre dans mes cuisses ; mon col tiré en arrière m’étrangle... Une-deux ! Vas-y c’est beau ! Regardez, bourgeois, notre pas cadencé permet à votre volaille de cuire en son four. Par hasard, en levant les yeux, j’aperçus une fillette jolie et mièvre un peu... À voir ses yeux émus et admiratifs, j’ai compris que nous étions beaux... Et grands. Nous allions par là-bas, où l’on meurt, où l’on est défiguré, haché, déchiré... Et nous y allons. Au pas, au son des cuivres aigus... Nous portons dans nos cartouchières la mort. Nos fusils tuent. Nous sommes forts et doux, peut-être... Nous sommes une bête formidable qui pourrait broyer cette enfant, sans la voir, sans entendre ses cris et sa plainte. Son admiration est une vague d’effroi et de pitié. Nous sommes un énorme troupeau de formidables douleurs... Nous sommes un rempart des joies, de l’amour, du bonheur... Sans accepter cette tâche, nous mourrons pour elle... Peut-être cette enfant ignorante, naïve, coquette ne l’a-t-elle pas compris. Mais elle l’a senti... Son regard me réchauffe, son admiration m’a fait tendre le jarret, son sourire m’a donné du cœur... À mes côtés, sous son regard, mes camarades eux aussi se sont redressés... Mille rêves ont peut-être caressé leurs pensées... Un charme sensible paraît les avoir touchés et, parce qu’une fillette les voyait, ils eurent un regard plus serein et plus clair, une démarche plus ferme, un front plus guerrier [48].

25Cette scène saisit dans le vif une performance virile, soit l’adoption d’une posture (se redresser, faire preuve de courage) en fonction d’une catégorie de genre. Cette posture se produit le temps d’une rencontre entre le regard d’une enfant et une troupe de soldats ; regard qui renvoie le narrateur à sa triple identité d’homme, d’adulte et de combattant. La richesse de l’extrait tient surtout à la réflexivité de l’auteur sur ses propres affects : Henri Aimé Gauthé entretient avec le modèle militaro-viril, auquel il se réfère, un rapport à la fois joyeux et mélancolique [49]. L’identification au modèle du soldat viril qu’il croit lire dans les yeux de la fillette lui « réchauffe le cœur ». Elle lui donne brièvement le sentiment d’une situation dominante et valorisante : la puissance du soldat admiré par une fillette. Mais ce sentiment accompagne aussitôt la conscience de sa propre faiblesse et de sa soumission (« énorme troupeau de formidables douleurs », « sans accepter cette tâche nous mourrons pour elle »).

26La conscience à demi voilée de cette contradiction explique ce rapport mélancolique au modèle militaro-viril. Mélancolie d’un désir d’identification à un modèle qui au fond n’est pas le sien : il le précède, il existait avant lui, en dehors de lui et reste donné par le signe de l’uniforme. Il dispose de ce modèle qui lui est proposé par une circonstance particulière de la guerre : le regard d’une petite fille sur une troupe de soldats exténués. Henri Aimé Gauthé ne choisit pas et n’adhère pas librement au modèle de virilité militaire qui s’offre à lui. Celui-ci s’impose comme une catégorie genrée mobilisable dans une situation donnée et dont ce soldat tire un profit momentané : un peu d’énergie contre la fatigue, un peu de fierté dans la soumission. L’emprise séductrice de ce modèle fonctionne ici à la manière d’un dispositif d’assujettissement : le « sujet » y gagne l’estime de soi en se soumettant à la rigueur de la discipline militaire.

*

27L’armée rend-elle viril ? Le croire c’est accepter l’idée selon laquelle les caractéristiques viriles définies au xixe siècle se confondent avec les attentes de l’institution militaire. C’est aussi prendre pour argent comptant le mythe du « brevet de virilité » délivré par l’armée, laquelle prétend précisément à « l’universalisation du genre » [50] pour mieux justifier la généralisation de la contrainte militaire. C’est ignorer, enfin, que les masculinités se déclinent selon différents registres. Cette diversité des masculinités militaires invite à saisir le modèle militaro-viril dans ses différents usages, le plus souvent comme argument dans une relation de domination. Celle-ci s’opère par la naturalisation d’une relation de pouvoir : les femmes – ou les « indigènes » si l’on ajoute la dimension coloniale – ne peuvent pas agir dans l’espace civique car elles ne portent pas les armes et elles ne portent pas les armes car leur nature féminine les en empêche. La domination exercée sur les militaires eux-mêmes – appelés, engagés et professionnels – obéit à un procédé semblable quoique plus complexe. La convergence des normes masculines promues par les classes dominantes et l’institution militaire (maîtrise des affects, sens du sacrifice au nom de valeurs « universelles ») produit une « masculinité hégémonique » – présentée comme universelle et légitime – dont les principaux ressorts sont fondés sur la distinction, l’exclusion ou l’imitation sociale. Cette hégémonie militaro-virile peut-être incarnée, admirée, imitée, admise et quelquefois détournée voire explicitement critiquée. Sa plus grande force repose sur sa capacité à produire un désir d’identification au sein même d’un processus de domination sociale et militaire, chez ceux-là même qui subissaient le poids de la contrainte militaire sans en tirer de bénéfices symboliques durables. Il y a là, sans doute, une piste d’explication structurale permettant de s’affranchir de l’illusion d’un « consentement libre » de tous les soldats à la virilité définie par l’armée [51].

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Mots-clés éditeurs : xixe siècle, masculinités, armée, France, virilité, genre

Date de mise en ligne : 17/10/2018

https://doi.org/10.4000/clio.14557

Notes

  • [1]
    Mihaely 2005a.
  • [2]
    Roynette 2002 : 85-96.
  • [3]
    Audoin-Rouzeau 2011 : 403-404.
  • [4]
    Mosse 1997 : 220. Ce modèle y est défini comme un véritable « ciment de la vie moderne » fixé dans les représentations des sociétés occidentales et à peine érodé par les évolutions postérieures à 1945.
  • [5]
    Georges L. Mosse explique ainsi que les idéaux masculins révolutionnaires « pénétrèrent toute la population » sans en faire la démonstration, Mosse 1997 : 61.
  • [6]
    Selon la définition donnée par Judith Butler, le « genre » n’existe pas par lui-même, en tant qu’essence, mais toujours en tant que performance corporelle, c’est-à-dire en tant que produit d’un acte, d’une interaction dans laquelle sont jouées les normes incorporées par les individus, Butler 2005 [1990] : 256-267.
  • [7]
    Connell 2014 [1995].
  • [8]
    Si, pour reprendre le titre du célèbre article de Joan Scott, le genre peut être une « catégorie utile » pour l’historien, c’est avant tout parce qu’il dévoile un certain nombre d’enjeux liés aux relations de pouvoir, Scott 1988. Ute Frevert a ainsi montré comment la prétention de l’armée allemande à transformer les conscrits en homme permettait de légitimer la brutalité de l’instruction militaire et l’obéissance absolue attendue de chaque soldat au xixe siècle, Frevert 2000 : 159.
  • [9]
    Boëne 1990.
  • [10]
    Cité par Monteilhet 1932 : 166.
  • [11]
    La Barre Duparcq 1884.
  • [12]
    Ces exemples sont tirés des Théories dans les chambres publiées en 1884 par le Commandant Heumann, reproduites dans le Manuel d’infanterie à l’usage des sous-officiers, caporaux et élèves-caporaux, Paris, Charles-Lavauzelle (plusieurs éditions). Ce modèle est encore celui des régimes totalitaires et militaristes du xxe siècle, voir Mosse 1997. Cette dimension mystique de l’engagement du citoyen-soldat existe depuis la Révolution française, voir respectivement Rauch 2000 : 51-85 et Hippler 2006 : 340. On en trouve encore la trace dans la pédagogie républicaine à la fin du siècle, Gerbod 1982 : 409-429 et Chanet 2000 : 13-34.
  • [13]
    Foucault 1975 : 161.
  • [14]
    Chanet 2006 : 38.
  • [15]
    Sur la reconnaissance de la « force morale » dans l’armée française avant 1914, Saint-Fuscien 2011 : 30-37.
  • [16]
    Sohn 2009.
  • [17]
    Drévillon 2014 : 251.
  • [18]
    Godineau 2004.
  • [19]
    Mihaely 2005b.
  • [20]
    Surkis 2006 : 125-185.
  • [21]
    Voir Taraud 2011.
  • [22]
    Sur cette question, voir Joly 2011.
  • [23]
    Mangin s’inspire ici du système des races guerrières théorisé au même moment dans l’Empire britannique, voir Streets 2004.
  • [24]
    On entend par « classes populaires », l’ensemble des sous-officiers appartenant aux professions agricoles, artisanales et ouvrières. Un sondage effectué sur 1 611 sous-officiers issus des classes 1878, 1890 et 1906 révèle que plus de 60% des sous-officiers appartiennent à ces professions. Cette sociologie du recrutement ne procède pas d’un choix de la hiérarchie, qui privilégie systématiquement les soldats les plus instruits pour occuper ces postes, mais des besoins pressants en cadres inférieurs, Marly 2015 : 172-204.
  • [25]
    Lamarque 1901 : 73.
  • [26]
    Sohn 2009 : 421-441.
  • [27]
    Monmillon 1894 : 71.
  • [28]
    Hubert Lyautey, à la suite du scandale littéraire provoqué par la publication de « Sous-offs », roman naturaliste de Lucien Descaves, accuse les sous-officiers de mettre en péril l’autorité militaire, Lyautey 1891.
  • [29]
    Grange 1908 : 18 et 21.
  • [30]
    Sur la sexualité militaire, voir Bertaud 2011 : 75-79. Sur la mutation du désir sexuel au xixe siècle, voir Corbin 1982 : 296-300.
  • [31]
    Le mariage des sous-officiers rengagés est autorisé à partir de 1881.
  • [32]
    Ce phénomène illustre une forme de décalage sociologique dans la transition des modèles de masculinité illustrée par les travaux d’Anne-Marie Sohn, décalage que l’on peut rattacher à celui qui s’opère au même moment dans le rapport à la violence et au « processus de civilisation », voir Elias 1975 : 214-220.
  • [33]
    Sur cet aspect du recrutement militaire, voir Marly & Lembré 2014 : 154-155.
  • [34]
    Le Progrès du Loir-et-Cher, 8 novembre 1903.
  • [35]
    Service Historique de la Défense, 9 NN 2, rapport du colonel du 20e régiment de chasseurs, 5 décembre 1903.
  • [36]
    Perrot 1996 : 106 et Pigenet 2011 : 203-241.
  • [37]
    Selon la typologie employée par Raewyn Connell, cf. Connell 2014 [1995].
  • [38]
    Pugeaud 1894 : 55.
  • [39]
    Sur la brutalité de l’instruction militaire, voir Roynette 2000 : 355-365.
  • [40]
    Les carnets de punitions constituent un critère de promotion hiérarchique et sont également pris en compte dans l’obtention des emplois civils réservés aux anciens sous-officiers rengagés, Marly 2015 : 383-392.
  • [41]
    De nombreux travaux sociologiques ont montré ce que la virilité de certains milieux populaires devait à la domination sociale et au statut de « masculinité marginalisée », voir Connell 2014 [1995] : 83.
  • [42]
    Roynette 2012 : 123.
  • [43]
    Houte 2012.
  • [44]
    Vigarello 2005 : 371. Cette distinction apparaît également au xixe siècle dans le port de l’uniforme militaire aux États-Unis, voir Weicksel 2014 : 146.
  • [45]
    Perrot 1974 : 226. Anaïs Albert repère ce type d’achat pour les classes populaires parisiennes à la fin du xixe siècle, Albert 2014 : 148.
  • [46]
    Charpy 2007 : 157. Voir illustration en annexe : publicité pour la « photographie de la Bastille », Atelier Louis Mullot, vers 1870.
  • [47]
    L’uniforme et le modèle militaro-viril exercent ainsi une forme de « domination symbolique » selon la définition qu’en donne Pierre Bourdieu, cf. Bourdieu 1984 : 7.
  • [48]
    Guéno & Laplume 1998 : 14-15.
  • [49]
    La « mélancolie » n’est pas entendue ici au sens que lui donne Judith Butler– comme refoulé du désir homosexuel – mais au sens d’une performance dans laquelle l’identité militaro-virile est plus subie que choisie.
  • [50]
    Nous empruntons cette expression à l’historienne allemande Ute Frevert, cf. Frevert 1998 : 253.
  • [51]
    Sur cette question, si présente dans l’historiographie de la Première Guerre mondiale, on se reportera avec profit aux travaux des sociologues sur la notion de « consentement » dans le monde du travail. Voir le numéro spécial de la revue Tracés, « Consentir : domination, consentement et déni », 14, 2008 et Lordon 2013 : 241-265.

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