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Article de revue

Déterritorialiser l’exclusion, re-territorialiser le racisme et les discriminations : quelle feuille de route pour une politique urbaine d’émancipation ?

Pages 19 à 37

Notes

  • [1]
    « La France, une chance pour chacun », discours du président de la République, Élysée, 23 mai 2018, pp. 1-2, https://bit.ly/2TOq5lV.
  • [2]
    Discours du président de la République sur le thème de la politique de la ville, Tourcoing, 14 nov. 2017, https://bit.ly/2SUZvaJ.
  • [3]
    L. n° 2014-173, 21 févr. 2014, de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite Lamy.
  • [4]
    Nous entendons ici la notion de racialisation comme le processus de naturalisation de différences socialement et culturellement construites, qui en viennent ainsi à être considérées comme formant « essence », ou qualité intrinsèque des populations étudiées, et où la culture rejoint le biologique pour enfermer dans une forme d’altérité radicale.
  • [5]
    Comme l’illustre, par exemple, au début des années 2000, la construction territoire en nouvelle catégorie cible du droit antidiscriminatoire (Doytcheva, 2016).
  • [6]
    Discours devant le Parlement réuni en congrès en Versailles, 9 juillet 2018, https://bit.ly/2CpUH68.
  • [7]
    Voir notamment celles du journaliste et auteur britannique David Goodhart, analyste à succès du Brexit qu’il compare à l’Amérique pro-Trump. Pour un article récent en français, on pourra se reporter à, « Gilets jaunes : La “France périphérique” demande à être respectée », entretien avec Sylvia Zappi, Le Monde, 28 nov. 2018, https://lemde.fr/2M9kzHS.
  • [8]
    Bousquet F., « Les Gilets jaunes, nouveaux “ploucs émissaires” » ? », Le Figaro, 17 nov. 2018, https://bit.ly/2RtRxZt.
  • [9]
    Riché P., « La carte des Gilets jaunes n’est celle que vous croyez », L’Obs, 21 nov. 2018, https://bit.ly/2QItUad. Selon les données et l’analyse produites par Hervé Le Bras, alors que les habitants des zones rurales sont en demande de plus de services publics (ce qui suppose plus d’impôts), ceux des zones périurbaines veulent au contraire moins de taxes. Les deux partagent néanmoins des situations de relative « fragilité », qui ne recoupent pas la carte de la pauvreté, sur laquelle est beaucoup plus fortement indexé le vote FN.
  • [10]
    Lecler S., « Les difficultés des Gilets jaunes sont la conséquence de 50 ans de politique d’urbanisme », Le Monde, 2 janv. 2019, https://lemde.fr/2shW1mQ.
  • [11]
    Pour l’auteur, si les thèses simplificatrices de la fracture masquent l’indéniable vitalité et grande diversité des espaces périurbains français, sujets certes à une dispersion d’ampleur sans équivalent en Europe, c’est avant tout le prisme dépréciatif à travers lesquels ils ont été jugés au cours des dernières années (sécession socio-spatiale, menace à l’urbanité, non soutenabilité) qui a contribué à alimenter la colère, « dont les gilets jaunes constituent assurément l’une des expressions ».
  • [12]
    Endeweld M., L'ambigu Monsieur Macron, Flammarion, 2015 cité par Dejean M., « “Insécurité culturelle”, “France périphérique” : de quoi le succès des thèses de Christophe Guilluy est-il le nom ? », Les Inrocks, 21 oct. 2018, https://bit.ly/2D7LQrp.
  • [13]
    Celui-ci est confronté aujourd’hui à une performance récurrente « en ciseaux » – où les résultats des plus favorisés ne cessent de s’améliorer, tandis que ceux des plus faibles de décroître – faisant de la France le pays le plus inégalitaire en matière de résultats scolaires dans l’OCDE ; qui ne se contente plus désormais de reproduire, mais amplifie fortement les inégalités sociales (Cnesco, 2016 ; v. aussi 2018).
  • [14]
    Dans leur contribution, Rochex et Bongrand (Cnesco, 2016) reviennent ainsi sur ce qu’ils appellent les termes incertains du consensus politique autour de l’éducation prioritaire à laquelle seront attribués, dans la durée, des objectifs très hétérogènes – égalité des chances, garantie d’un minimum de connaissances, développement maximal de chacun dans une logique individualiste. En retravaillant les données de PISA « dans une perspective temporelle », Goussé et Le Donné (Cnesco, 2016) montrent quant à elles que le fait d’être scolarisé en éducation prioritaire est davantage associé à de mauvais résultats en 2009 qu’en 2000. Les auteures suggèrent que c’est à la fois l’extension de la politique d’éducation prioritaire et la dilution de ses moyens qui a conduit à étendre à de nouveaux établissements l’effet négatif lié à la labellisation, suscitant le départ des élèves les plus favorisés, tout en diminuant les effets positifs dus à l’attribution de ressources supplémentaires
  • [15]
    À la suite du rapport, une action en justice est introduite par les maires de Bondy, Saint Denis et Stains contre l’État pour « rupture d’égalité républicaine », https://lemde.fr/2MjJGYG.
  • [16]
    Faute de mesure systématique, Felouzis calcule au début des années 2000 dans l’agglomération bordelaise un indice de ségrégation raciale dans les établissements scolaires de 90 % : c’est-à-dire, 90 % des élèves devraient changer d’établissement afin que la composition de ceux-ci soit égale à la composition moyenne de la population locale (Felouzis, 2003).
  • [17]
    L. n° 2017-86, 27 janv. 2017, relative à l'égalité et la citoyenneté. Dans son titre III « Agir pour renforcer l’égalité réelle », le texte prévoit diverses mesures contre les discriminations, dont parmi les plus significatives, l’introduction d’une action de groupe.
  • [18]
    Discours du 22 mai 2018, op.cit.
  • [19]
    En effet, celle-ci est traditionnellement qualifiée, à rebours de la démarche intégrationniste, comme un déplacement du regard – des « publics » à intégrer, caractérisés avant tout par une série de carences, vers les institutions de la société nationale, productrices elles-mêmes, par leurs règles et conventions, d’inégalités et de discrimination (Doytcheva, 2008).
  • [20]
    Discours du 22 mai 2018, op.cit.
  • [21]
    Ibid., pp. 4, 11-14.
  • [22]
    Discours du 9 juillet 2018, op.cit. Voir aussi la réunion, « La France une chance pour chacun : les entreprises s’engagent », Elysée, 17 juin 2018.
  • [23]
  • [24]
    Communiqué de presse, 23 mai 2018.

Introduction

1À l’occasion de la remise en mai 2018 du rapport Borloo, « Vivre ensemble. Vivre en grand », censé préfigurer un nouvel et ambitieux élan en matière de politique de la ville, le président Macron en justifia en ces termes la mise au ban : « On a depuis très longtemps une priorité qui a été d'avoir une politique territorialisée […] mais on a oublié qu'il y avait des gens, et les gens, ils veulent pouvoir bouger, ils veulent pouvoir évoluer dans la société par l’école, par la réussite […]. Je ne vais pas vous annoncer un plan ville, un plan banlieue, parce que cette stratégie est aussi âgée que moi […]. Je crois qu’aujourd'hui, poursuivre dans cette logique c'est vouloir poursuivre dans l'assignation à résidence, la politique spécialisée […], qui serait allouée à certains quartiers, certains espaces, et pour tout vous dire je n'y crois pas. » [1]

2Déjà explicitée dans le discours prononcé à Tourcoing en novembre 2017 [2], la nouvelle feuille de route esquissée pour les politiques urbaines est placée sous le signe de l’« émancipation ». Elle signe la désaffection de principe du « grand plan national », composé d’actions spécifiques, et la préférence, à tout le moins théorique, pour l’universalisation de l’agenda public en matière de solidarité et de lutte contre l’exclusion. À vrai dire, cette tendance n’est pas nouvelle et affleure déjà sous la présidence de François Hollande qui, à la différence de ses prédécesseurs, nombreux à avoir lancé en faveur des « quartiers sensibles » un ambitieux programme labellisé, s’est contenté d’une « grande loi » de programmation « pour la ville et la cohésion urbaine » [3]. Cette tendance est à replacer dans une perspective socio-historique d’équilibre fluctuant entre décentralisation/(dé)localisation de ces politiques, d’une part, et leur « recentralisation », nationalisation, d’autre part.

3Dans le corpus académique, elle fait écho à une autre distinction traditionnellement établie en matière d’intervention urbaine entre option people et option place, favorisant en ce qui concerne la première les capacités individuelles de franchir les barrières de la mobilité, résidentielle comme sociale ; agir sur les lieux mêmes de la fracture, ou « refaire la ville sur place », pour la seconde (Donzelot et al., 2003). Pourtant, à rebours de la volonté exprimée d’universaliser la lutte contre l’exclusion – qui répond également et pour partie nous les verrons aux polémiques qui ont opposé dans le débat « banlieues » et « France périphérique », portant la charge sur les politiques urbaines d’un racisme « anti-blanc » ou inversé – nous proposons d’étudier dans cet article le déploiement parallèle, et non sans paradoxe, d’une tendance à la re-territorialisation des problèmes publics, dès lors qu’ils engagent en particulier les questions du racisme et des discriminations.

4Nous nous appuierons pour cela sur la typologie issue de nos travaux des usages politiques et institutionnels des catégories territoriales, dans leur rapport à l’ethnicité. La distinction analytique de « trois âges » ou temps forts dans la construction du territoire en catégorie d’intervention, nous conduit à interroger une logique d’intersectionnalité fluctuante et spécifique entre territoire/« race » et ethnicité (Doytcheva, 2016). Si, dans un premier temps, le territoire fut mobilisé dans l’intervention publique comme substitut ou euphémisme de l’ethnicité, son rôle évolue au fil du temps, pour se transformer d’attribut socio-économique en marqueur ascriptif et fortement prédictif des identités et des conduites. C’est ce que nous avons appelé un usage ascriptif, qui succède à celui normatif des années 90, et contractuel dans la décennie précédente.

5Pour le dire vite, de « réceptacle » plus ou moins contingent de l’action publique, le territoire, en la figure des quartiers sensibles, s’est transmué en catégorie essentialiste, racialisée et racialisante [4], en ce qu’elle établit, et c’est le propre du racisme, un déterminisme strict entre certains traits socio-culturels, arbitrairement isolés et socialement construits, et des processus de stratification et de hiérarchisation à l’œuvre dans la société. Les spécialistes des médias le savent bien – des « problèmes de société » ne sont aujourd’hui guère mis en scène que dans des univers de barres et de tours (Mills-Affif, 2004). Un dangereux retournement opère dans l’action publique, des « quartiers » comme cible de l’effort public, à « raison d’être » de ces politiques [5]. Le refoulé du racisme, que le détour territorial permet au départ d’incarner, revient ainsi « au galop » par la ré-imposition sociale et politique d’une figure d’altérité « pathologique » (qu’il s’agissait pourtant précisément de transcender).

6Prenant l’exemple de trois enjeux spécifiques – les inégalités et la violence sexistes, les discriminations, puis la « déradicalisation » islamique – nous montrerons comment, sur ces questions, la territorialisation à la fois des problèmes et des solutions (Tissot, Poupeau, 2005) perdure, à rebours des volontés exprimées d’universalité de l’action publique.

7Au fil de ces évolutions, la territorialisation de l’exclusion apparaît pour ce qu’elle fut au départ, à savoir : un détour, un prétexte au déni, puis finalement un moyen de « réinscrire » (Berey et al., 2017) le racisme et les discriminations qui frappent ces populations : à travers, mais pas seulement, l’acceptation, voire une instrumentalisation de la ségrégation urbaine, « au prétexte de sa compensation » (Felouzis et al., 2016).

1. Déterritorialiser l’exclusion

8Devant un parterre d’invités, dont Jean-Louis Borloo, le président de la République a déclaré le 22 mai 2018, non sans effet de surprise : « Que deux mâles blancs, ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent, l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”. Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça ». Alors que, selon son analyse, « les inégalités de destin » ont très fortement progressé en France en l’espace de 30 ans [6], le cap est désormais placé sur la construction d’une « politique d’émancipation » qui devrait permettre à chacun de « trouver sa dignité dans la république ». Mais cette nouvelle philosophie d’action conduit à changer de méthode : « ce n’est pas tel ou tel quartier,… tel zonage » qui devraient être la cible de l’effort public.

1.1 Refus du zonage

9Pourtant, l’« assignation à résidence » et la « sédentarité subie » prennent dans la France des années 2010 également d’autres coordonnées spatiales et sociologiques. Ce sont celles d’une « relégation territoriale » que vit dans le périurbain, la ruralité et les petites agglomérations, une « France périphérique », selon la notion et mot d’ordre polémiques forgés par le géographe et essayiste Christophe Guilluy. Concept spatio-racial, objet de très nombreuses critiques, tout comme d’ailleurs d’affinités idéologiques avec d’autres analyses centrées sur les « petits blancs » [7] – leur révolte se nourrit (entre autres) de l’incurie des politiques urbaines qui auraient systématiquement privilégié les espaces métropolitains, sans même parler des quartiers massivement peuplés par l’immigration et ses descendants.

10Il nous est impossible dans cet article de faire un bilan, et encore moins de rendre compte de l’importante discussion critique que cette littérature a suscitée. Mais prenons en la matière un raccourci, à savoir la façon dont la problématique fut relancée, trouvant dans l’actualité récente une source de jouvence inespérée à la faveur de la « révolte des Gilets jaunes » [8]. Ainsi, une première source d’analyse critique du zonage, que l’on pourrait qualifier d’externe, à caractère davantage polémique, est à mettre en rapport avec une « rivalité territoriale », qui se déploie à la fois pour les moyens et la reconnaissance publique, dans une compétition matérielle autant que symbolique (Eloi, 2013) ; sur fond de tentatives récentes de revalorisation de la notion de ruralité, malgré ou en raison de, une urbanisation française très avancée.

11Épousant une vision ancienne de la fracture territoriale et des « deux France », on dit les Gilets jaunes plus fortement mobilisés dans la « diagonale du vide » de départements ruraux, en voie de dépeuplement, où se serait développé un « sentiment d’abandon », et dont la géographie ne recoupe ni celle du vote frontiste, ni de la périurbanité [9]. Pour l’urbaniste Stéphane Lecler, le mouvement dénonce une « assignation à résidence », qui est la conséquence de 50 ans de politique d’urbanisme [10]. Favorisant le développement de zones périphériques peu denses (voies rapides, rocades et giratoires, d’une part, lotissements de maisons individuelles, d’autre part), celle-ci aurait créé une véritable « dépendance à la voiture », matérialisée par l’acquisition de plusieurs voitures par un seul ménage, tout en renforçant les risques d’isolement. L’ambition d’Henry Lefebvre d’un « droit à la ville » fait aujourd’hui tout particulièrement sens pour ces populations, encore plus que dans les grandes villes et métropoles où, grâce à la proximité et la « mixité fonctionnelle », la vie quotidienne reste, en dépit des apparences, « plus facile et plus supportable ». De fait, plusieurs commentateurs politiques ont analysé le mouvement des Gilets jaunes comme la conséquence de politiques urbaines à deux vitesses, qui privilégieraient de manière systématique les espaces métropolitains (Delpirou, 2018) [11].

12Influentes sur la scène politique, les thèses discutables de la « France périphérique », sont reprises par une partie de ladite gauche radicale, et y compris semble-t-il par le candidat Macron, qui consulta leur auteur au moment de sa campagne en préparation [12]. Mais regardons à présent la source « interne » de criticisme du zonage d’intervention qui, malgré une moindre fulgurance politique, présente l’intérêt d’être beaucoup plus étayée sur le plan scientifique. Il s’agit là du scepticisme qui est monté ces dernières années, à l’intérieur même des politiques urbaines, du champ de l’éducation prioritaire – ZEP, REP, RAR notamment – c’est-à-dire des politiques territoriales de compensation des inégalités scolaires, qui n’auraient pas produit les effets escomptés, échouant à limiter les inégalités d’acquis, comme de parcours, liées à la ségrégation.

13Dans la période récente, le constat fut mis en avant par le rapport remarqué du CNESCO (2016), notant la baisse des « compétences cognitives » des élèves, en lien avec l’élargissement des stratégies de labellisation. Aujourd’hui plus qu’hier, leurs performances dépendent de caractéristiques ascriptives (origine ethnique, parcours migratoire, sexe), des effets qui sont en France puissamment médiatisés par la variable territoriale. La « massification ségrégative » de l’enseignement, au cours des années 80, a appelé une stratégie de compensation par le zonage et l’éducation prioritaire. Mais au cours des dernières années, nombreuses sont les enquêtes nationales comme internationales qui tirent la sonnette d’alarme sur « la déroute du système français » –en matière d’apprentissages et surtout d’équité [13].

14Ces résultats convergents autour de la dégradation des acquis scolaires dans les deux dernières décennies sont toutefois expliqués de manières différentes, même si non exclusives les unes aux autres. On peut distinguer au moins deux inflexions importantes : d’une part, c’est l’extension de la politique des ZEP qui est facteur aggravant d’une ségrégation scolaire croissante ; d’autre part, c’est l’augmentation de la ségrégation sociale et résidentielle qui, à travers une offre d’éducation territorialisée, conduit presque mécaniquement à une aggravation de la ségrégation scolaire et donc à une baisse des acquis : la politique de zonage est ici critiquée non pas en tant que cause efficiente de l’inégalité scolaire, mais plutôt comme l’instrument de sa rationalisation politique, celle d’un statu quo, qui « loin de lutter contre la ségrégation sociale et ethnique dans les établissements, la légitime, sous prétexte de “compensation” de ses conséquences » (Felouzis et al., 2016, p. 36) [14].

15À noter que d’autres travaux récusent purement et simplement la notion de discrimination positive, revendiquée par les REP, comme par les politiques de la ville de manière générale, en montrant que, malgré des dotations exceptionnelles dont ces dispositifs sont en théorie récipiendaires, les territoires ciblés demeurent sous-équipés par rapport à une moyenne territoriale, et a fortiori hélas par rapport à des espaces favorisés (Cornut-Gentille et Kokouendo, 2018) [15]. Un résultat de nature à porter de sérieux doutes sur la réalité même, par-delà les effets d’affichage, de telles politiques gouvernementales. L’ensemble de ces travaux appelle en conséquence à agir activement contre la ségrégation au lieu de la produire. Alors même que l’objectif de mixité fut énoncé en préambule de la loi de refondation de l’école de la république (2013), la ségrégation atteint aujourd’hui en France des niveaux stratosphériques, cependant que les moyens de sa mesure empirique font défaut [16].

1.2 Territorialisation vs recentralisation des politiques urbaines

16Pourtant, si on replace cette discussion dans la (déjà) longue histoire des politiques de la ville, ce n’est pas la première fois que l’action territoriale ciblée se trouve de la sorte récusée. À vrai dire, il s’agit d’une tension constitutive entre une « logique curative », « réparatrice » et une autre de « solidarisation » territoriale, et qui émerge dès l’inscription des premières opérations de développement social des quartiers (DSQ) dans le processus de planification en 1984. S’il s’agissait au départ de faire de la nouvelle politique de développement une politique des villes, la tendance est inversée dès 1988-1989, avec une « recentralisation » et le retour de l’État, reprenant la main sur les opérations. Confortée par les alternances politiques, cette double polarité se poursuit et ce jusqu’au plan Borloo (2004), dont la politique de rénovation urbaine, confiée à une agence nationale, se démarque, soit dit au passage, plutôt par la réorientation des interventions – du cadre social au « bâti », avec les résultats que nous connaissons en termes de relogement, « décloisonnement » et « mixité » urbaine – que par une nouvelle philosophie.

17En 2013-2014, François Hollande ne donne pas suite à la mission d’étude sur « la refondation de l’intégration républicaine », cependant que la loi Lamy du 21 février 2014 instaure (parmi d’autres mesures de rationalisation bureaucratique) les « emplois francs », dont 280 seulement seront créés. Au même moment, le rapport remis au ministère éponyme, « Vers l’égalité des territoires », met en avant des concepts novateurs, tels qu’« égalité plurielle » et « justice dynamique », sans toutefois, et à dessein, « directement » prendre en charge la question d’une ségrégation urbaine montante (Eloi, 2013, p. 18). Ce sera l’objectif explicite de la loi Égalité et citoyenneté qui, adoptée fin 2016 dans le contexte post-attentats, vise à « rassembler tous les Français autour des valeurs de la République » [17]. En l’absence de mesure-phare, le texte se limite toutefois à agréger des (micro)interventions, souvent disparates, lui ayant valu l’étiquette de « cabinet de curiosités » par la droite. À suivre Thibault Tellier (2018), c’est que l’exercice de l’appel à une « mobilisation nationale pour sauver les quartiers ne fait plus recette ». Dans ce contexte, la principale innovation consisterait à envisager une modification des règles de l’action publique, plutôt qu’une nouvelle hausse de la dépense.

18À noter toutefois que, y compris les partisans d’une plus forte « recentralisation » en matière de politique urbaine, n’ont jamais dérogé à l’usage du zonage. Et pour cause, on peut en distinguer deux sortes qui ont historiquement bénéficié, comme nous l’avons montré, d’un effet d’entraînement (Doytcheva, 2007) : on peut qualifier ces deux logiques respectivement de contractuelle versus catégorielle ; collective versus individuelle ; politique versus normative et juridique. C’est la première qui semble en l’occurrence fléchir aujourd’hui, avec la mise au ban des « plans banlieue » à grands projets emblématiques (« académie des leaders », « quartiers de l’excellence numérique », pour reprendre celles du rapport Borloo) ; celle qui permet en revanche le ciblage individualisé des bénéficiaires de dispositifs spécifiques perdure, sans que sa popularité ne soit démentie. Comme nous le verrons ci-après, on pourrait même estimer qu’elle se renforce au fur et à mesure que les dispositifs qui la déclinent tendent à se généraliser.

2. La lutte contre les discriminations, un élément-clé de l’émancipation

19Annoncée dès novembre 2017, reprise en mai 2018, la lutte contre les discriminations constitue un élément-clé de la notion d’émancipation, chargée de « crédibiliser tout le reste » : « c'est un devoir national, une mobilisation nationale – besoin de lutter contre les discriminations. Parce que si on n'y arrive pas, je vais vous dire, c’est simple ! Tout ce que j’ai dit avant ne marche pas » [18]. Toutefois, comme on peut rapidement s’en apercevoir par l’étude d’exemples d’actions, ainsi que des thématiques déclinées, la territorialisation de ces enjeux demeure, voire ils sont, pour certains, re-territorialisés (apprentissage).

2.1 … mais cette fois avec le « zonage »

20Il en va ainsi par exemple de l’accès à l’apprentissage. Alors que celui-ci est un dispositif phare à la fois en matière d’insertion professionnelle et de prévention de l’échec et du décrochage scolaires, on constate que la jeunesse populaire, issue de quartiers défavorisés y est paradoxalement sous représentée. D’où l’idée de 15 000 apprentis recrutés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), ainsi que « le renforcement de centres de formation dans ou à proximité des quartiers politiques de la ville ». La mise en avant de l’apprentissage en matière de lutte contre les discriminations ne manque pourtant pas d’interroger.

21L’association des deux problématiques n’est pas une nouveauté, elle avait été initiée par la loi pour l’égalité des chances (2006), procédant parmi d’autres mesures à un abaissement de l’âge d’accès à l’apprentissage, mais suscitant aussi des critiques de confusion, voire d’une inversion de la perspective antidiscriminatoire [19]. Aussi, s’il faut, selon le discours présidentiel, « tordre le cou très profondément à la stigmatisation qui existe aujourd'hui » [20], la réforme de l’apprentissage ne semble pas nécessairement en ouvrir la meilleure voie, même si, cela va de soi, la sous-représentation des plus défavorisés dans ces dispositifs pose question.

22Autre mesure de territorialisation maintenue – les « emplois francs », créés, nous l’avons vu, mais peu mis en œuvre, en 2014. Rappelant le dispositif des « zones franches » (1996), infléchi là aussi selon une logique individuelle, les emplois francs recouvrent des emplois aidés à destination des habitants des QPV. Saluée par le gouvernement, la fédération du bâtiment s’est engagée à proposer « 15 000 bâtisseurs d’avenir dans les quartiers » ; une charte en faveur de l'emploi territorial devrait réserver 10 % des budgets alloués aux Jeux olympiques de 2024 à l’insertion des publics des quartiers. Ainsi, si « l’ENA des quartiers », vitrine des « talents de banlieue », ne verra pas le jour, le zonage d’un ensemble de dispositifs est maintenu, voire amplifié, en ce qui concerne notamment la logique d’accès individualisé.

23En matière de lutte contre les discriminations, c’est toutefois la déclinaison territoriale d’un ensemble d’objets en lien direct avec la problématique qui interroge davantage. Nous avons à maintes reprises souligné le paradoxe qui existe à faire des « quartiers » les lieux et supports privilégiés d’une politique nationale de lutte contre les discriminations (Doytcheva 2008, 2013, 2016), demandant ainsi aux victimes et aux plus défavorisés de « se remobiliser » à nouveau. Aujourd’hui, l’amplification de ce procédé contre-intuitif et contre-productif de territorialisation dépasse les enjeux seuls d’efficacité, pour se transformer en élément moteur de logiques ascriptives protéiformes, qui renforcent les hiérarchies statutaires – genrées, classistes, âgistes, racisées – et les déterminismes sociaux qu’elles accompagnent. Il en va ainsi tout particulièrement de trois catégories qui ressortissent à lutte contre le racisme et les discriminations, à savoir l’antisémitisme, les inégalités et violences sexistes, la déradicalisation islamiste.

24Alors même que la dimension générale et universaliste de chacune est rappelée contre tout amalgame et déterminisme, ces derniers ne cessent d’émailler tant les stratégies concrètes d’action que les discours programmatiques, portant témoignage de la logique qui consiste à arrimer problèmes publics, populations et espaces ségrégés :

25

« D’abord, il y a un travail qui a été commencé, mais que nous allons intensifier, de lutte contre les discours racistes et antisémites. Ils se développent dans les quartiers, il faut le regarder en face… D’abord, il y a des gens qui se sont habitués aux discours antisémites dans les quartiers, en pensant que c’était la bonne réplique aux discours racistes. […]
« Ensuite, c’est dans les quartiers, la pénalisation contre les outrages sexistes, qui est prévue par la loi, dont beaucoup oublient de parler ces dernières semaines, mais qui est un vrai changement ! C'était l'impunité… La pénalisation des outrages sexistes serait l'une des priorités de la “police de sécurité du quotidien”. » […]
« Et la troisième chose c'est qu'il nous faut savoir, y compris dans les quartiers les plus difficiles, refaire République… en particulier dans tous les quartiers avec les préfets et l'ensemble des élus, nous devons construire une société de la vigilance… tout le monde est acteur de la lutte contre les violences… mais il faut aussi construire des héros républicains qui viennent des quartiers ! Refaire République, c'est aussi se donner les moyens de construire des héros, des récits républicains. »[21]

26À l’intérieur du troisième axe programmatique, qui recoupe essentiellement « politiques de sécurité et justice », mais où la lutte contre les discriminations est à nouveau partiellement redéployée, c’est la question des fichés S qui est tout d’abord longuement abordée. Si le prisme sécuritaire n’est pas inédit dans le rapport à ces espaces ségrégués, la radicalité islamique lui confère aujourd’hui une nouvelle tonalité. L’avènement d’une « société de vigilance », puis d’un « héroïsme discret » thématise la déradicalisation face à l’appel de « refaire société ». Pour cette dernière figure notamment – celle du héros républicain – on peut se demander dans quelle mesure elle ne vient refléter en négatif, sur le mode de l’action routinière, la « monstration » des « talents de banlieue » réunis en ENA des quartiers qu’imagine Borloo. L’exceptionnalisme tape-à-l’œil que véhicule la mise en scène d’une reconnaissance de qualités extraordinaires est ainsi transposé dans le registre d’un héroïsme discret, ordinaire, qui se donne à décoder dans la résistance opposée au quotidien à la « dérive » communautaire, mais qui révèle en creux ce qui semble faire essence, à savoir l’exposition à la violence. Dans cet exemple, de manière presqu’idéal-typique, la logique de racialisation, entendue comme un mécanisme protéiforme de naturalisation (et donc d’un déterminisme social toujours plus strict), vient se substituer à celle d’une discrimination positive revendiquée, fût-ce dans ses effets les plus caricaturaux de tokening et de vitrine des minorités.

27L’ensemble converge dans le sens d’une altérisation (de moins en moins) implicite de ces territoires et leurs populations, où le racisme biologique rejoint celui culturel pour enfermer dans une forme extrême d’altérité : « naturellement » sexiste, portée à la violence, en voie de radicalisation, lieu elle-même de l’intolérance et du racisme (antisémite, mais non seulement), celle-ci exsude les humeurs d’un strict déterminisme, qui est celui au cœur même des processus de discrimination.

Conclusion : la main tendue à l’entreprise

28Regardons rapidement et pour conclure ce qui complète ce dispositif, hélas peu ambitieux, en matière de lutte contre les discriminations, hors « quartiers sensibles », cible convenue de la sollicitude des pouvoirs publics. C’est la main tendue au patronat. En effet, les entreprises se voient rassurées – « on ne va pas rajouter une loi anti-discriminations » – il ne leur sera pas demandé de s'engager par la loi, « mais par des engagements actifs, immédiats, visibles, de créations d'emplois, d'embauche d'apprentis, etc. » [22]. La généralisation du testing au SBF 120 en 3 ans, ainsi qu’aux services de l’État, le coaching personnalisé, l’entrepreneuriat, etc. font partie des hypothèses (déjà en place) soulevées. Dès le 17 juillet, les dirigeants des 100 plus grandes entreprises françaises sont conviés à l’Elysée pour une réunion intitulée « La France une chance pour chacun : les entreprises s’engagent ». Inclusion, égalité des chances, non-discrimination y sont mises à l’honneur par l’intervention d’organisations telles que Mosaik RH et son médiatique président, à la recherche de « pépites de banlieue », et qui ont permis aux « profils en difficulté de prouver leurs compétences », grâce à une certification via sa plateforme numérique ayant déjà qualifié « plus de 7000 talents sur leur personnalité » [23].

29Pourtant, « on ne peut conduire une politique publique d'État censée faire vivre les valeurs républicaines en s'en remettant principalement au bon vouloir des seuls acteurs économiques pour lutter pour l'emploi et la formation » s’est alarmée l’association des maires Ville & Banlieue. Cela reviendrait à dire « que la bonne fortune sourit aux plus veinards ! » [24]. Car, en effet, laisser les organisations – collectivités territoriales, entreprises, institutions – dans un rôle de décideurs, sans objectifs nationaux, ni périmètre de contractualisation, ne conduit pas à un fort développement des politiques en matière de mixité, comme de lutte contre les discriminations. Nous avons aujourd’hui suffisamment de recul sur le plan hexagonal pour l’affirmer, alors que des enseignements d’expériences internationales corroborent le diagnostic : entravées par des phénomènes puissants de collusion entre biens privés, collectifs et publics, les stratégies incitatives seules ne peuvent fonctionner, dès lors que les objectifs de (l)égalité ou de justice sociale viennent percuter des intérêts constitués en matière commerciale, électorale ou politique.

Bibliographie

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  • Cnesco (octobre 2018), « Panorama des inégalités scolaires d’origine territoriale dans les collèges d’Île-de-France, Dossier de synthèse.
  • Cornut-Gentille F., Kokouendo R. (mai 2018), « Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis ».
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  • Doytcheva M. (2007), Une discrimination positive à la française ? Ethnicité et territoire dans les politiques de la ville, La Découverte.
  • Doytcheva M. (2008), « Lutter contre les discriminations en France. L’arrimage territorial », VEI Diversité, n° 155, pp. 132-138.
  • Doytcheva M. (2016), « Usages et mésusages des catégories territoriales : les risques d’in retournement idéologique des causalités », Les Cahiers de la LCD, n° 1, pp. 48-60.
  • Eloi L. (dir.) (2013), Vers l’égalité des territoires. Dynamiques, mesures, politiques – Rapport à la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, La Documentation française.
  • Felouzis G. (2003), « La ségrégation ethnique au collège et ses conséquences », Revue française de sociologie, n° 44, vol. 3, pp. 413–447.
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  • Tellier T. (2018), « Politique de la ville : il faut définir un nouveau partage des responsabilités entre l’État et les collectivités locales », Le Monde, 23 mai 2018.

Notes

  • [1]
    « La France, une chance pour chacun », discours du président de la République, Élysée, 23 mai 2018, pp. 1-2, https://bit.ly/2TOq5lV.
  • [2]
    Discours du président de la République sur le thème de la politique de la ville, Tourcoing, 14 nov. 2017, https://bit.ly/2SUZvaJ.
  • [3]
    L. n° 2014-173, 21 févr. 2014, de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite Lamy.
  • [4]
    Nous entendons ici la notion de racialisation comme le processus de naturalisation de différences socialement et culturellement construites, qui en viennent ainsi à être considérées comme formant « essence », ou qualité intrinsèque des populations étudiées, et où la culture rejoint le biologique pour enfermer dans une forme d’altérité radicale.
  • [5]
    Comme l’illustre, par exemple, au début des années 2000, la construction territoire en nouvelle catégorie cible du droit antidiscriminatoire (Doytcheva, 2016).
  • [6]
    Discours devant le Parlement réuni en congrès en Versailles, 9 juillet 2018, https://bit.ly/2CpUH68.
  • [7]
    Voir notamment celles du journaliste et auteur britannique David Goodhart, analyste à succès du Brexit qu’il compare à l’Amérique pro-Trump. Pour un article récent en français, on pourra se reporter à, « Gilets jaunes : La “France périphérique” demande à être respectée », entretien avec Sylvia Zappi, Le Monde, 28 nov. 2018, https://lemde.fr/2M9kzHS.
  • [8]
    Bousquet F., « Les Gilets jaunes, nouveaux “ploucs émissaires” » ? », Le Figaro, 17 nov. 2018, https://bit.ly/2RtRxZt.
  • [9]
    Riché P., « La carte des Gilets jaunes n’est celle que vous croyez », L’Obs, 21 nov. 2018, https://bit.ly/2QItUad. Selon les données et l’analyse produites par Hervé Le Bras, alors que les habitants des zones rurales sont en demande de plus de services publics (ce qui suppose plus d’impôts), ceux des zones périurbaines veulent au contraire moins de taxes. Les deux partagent néanmoins des situations de relative « fragilité », qui ne recoupent pas la carte de la pauvreté, sur laquelle est beaucoup plus fortement indexé le vote FN.
  • [10]
    Lecler S., « Les difficultés des Gilets jaunes sont la conséquence de 50 ans de politique d’urbanisme », Le Monde, 2 janv. 2019, https://lemde.fr/2shW1mQ.
  • [11]
    Pour l’auteur, si les thèses simplificatrices de la fracture masquent l’indéniable vitalité et grande diversité des espaces périurbains français, sujets certes à une dispersion d’ampleur sans équivalent en Europe, c’est avant tout le prisme dépréciatif à travers lesquels ils ont été jugés au cours des dernières années (sécession socio-spatiale, menace à l’urbanité, non soutenabilité) qui a contribué à alimenter la colère, « dont les gilets jaunes constituent assurément l’une des expressions ».
  • [12]
    Endeweld M., L'ambigu Monsieur Macron, Flammarion, 2015 cité par Dejean M., « “Insécurité culturelle”, “France périphérique” : de quoi le succès des thèses de Christophe Guilluy est-il le nom ? », Les Inrocks, 21 oct. 2018, https://bit.ly/2D7LQrp.
  • [13]
    Celui-ci est confronté aujourd’hui à une performance récurrente « en ciseaux » – où les résultats des plus favorisés ne cessent de s’améliorer, tandis que ceux des plus faibles de décroître – faisant de la France le pays le plus inégalitaire en matière de résultats scolaires dans l’OCDE ; qui ne se contente plus désormais de reproduire, mais amplifie fortement les inégalités sociales (Cnesco, 2016 ; v. aussi 2018).
  • [14]
    Dans leur contribution, Rochex et Bongrand (Cnesco, 2016) reviennent ainsi sur ce qu’ils appellent les termes incertains du consensus politique autour de l’éducation prioritaire à laquelle seront attribués, dans la durée, des objectifs très hétérogènes – égalité des chances, garantie d’un minimum de connaissances, développement maximal de chacun dans une logique individualiste. En retravaillant les données de PISA « dans une perspective temporelle », Goussé et Le Donné (Cnesco, 2016) montrent quant à elles que le fait d’être scolarisé en éducation prioritaire est davantage associé à de mauvais résultats en 2009 qu’en 2000. Les auteures suggèrent que c’est à la fois l’extension de la politique d’éducation prioritaire et la dilution de ses moyens qui a conduit à étendre à de nouveaux établissements l’effet négatif lié à la labellisation, suscitant le départ des élèves les plus favorisés, tout en diminuant les effets positifs dus à l’attribution de ressources supplémentaires
  • [15]
    À la suite du rapport, une action en justice est introduite par les maires de Bondy, Saint Denis et Stains contre l’État pour « rupture d’égalité républicaine », https://lemde.fr/2MjJGYG.
  • [16]
    Faute de mesure systématique, Felouzis calcule au début des années 2000 dans l’agglomération bordelaise un indice de ségrégation raciale dans les établissements scolaires de 90 % : c’est-à-dire, 90 % des élèves devraient changer d’établissement afin que la composition de ceux-ci soit égale à la composition moyenne de la population locale (Felouzis, 2003).
  • [17]
    L. n° 2017-86, 27 janv. 2017, relative à l'égalité et la citoyenneté. Dans son titre III « Agir pour renforcer l’égalité réelle », le texte prévoit diverses mesures contre les discriminations, dont parmi les plus significatives, l’introduction d’une action de groupe.
  • [18]
    Discours du 22 mai 2018, op.cit.
  • [19]
    En effet, celle-ci est traditionnellement qualifiée, à rebours de la démarche intégrationniste, comme un déplacement du regard – des « publics » à intégrer, caractérisés avant tout par une série de carences, vers les institutions de la société nationale, productrices elles-mêmes, par leurs règles et conventions, d’inégalités et de discrimination (Doytcheva, 2008).
  • [20]
    Discours du 22 mai 2018, op.cit.
  • [21]
    Ibid., pp. 4, 11-14.
  • [22]
    Discours du 9 juillet 2018, op.cit. Voir aussi la réunion, « La France une chance pour chacun : les entreprises s’engagent », Elysée, 17 juin 2018.
  • [23]
  • [24]
    Communiqué de presse, 23 mai 2018.
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