Notes
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[1]
12 En inversant ces termes, nous soulignons la trajectoire qui a amené Nicolas Damont du statut de participant, comme joueur puis éducateur, à celui d’observateur par sa conversion à la sociologie mais également de sa volonté d’avoir un regard introspectif sur sa propre pratique. Pour un retour réflexif sur l’usage de cette notion voir : Bastien Soulé, « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches qualitatives, vol. 27 (1), 2007, pp. 127-140.
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[2]
13 N. Damont, O. Pégard, « Décorum migratoire pour fable sociale », Plein droit, 2016/1, n° 108, pp. 7-10.
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[3]
14 N. Damont, O. Pégard, « Le masculin haut en couleurs. L’apprentissage du football professionnel », Revue Ethnologie française, n° 1/2017, pp. 131-140.
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[4]
15 Depuis le début des années 2000, la Fédération Française de Football (FFF) a mis en place des actions incitatives en faveur du football féminin. À Torcy, la pratique mixte était possible en école de football (jusqu’à 15 ans), mais sans que le club ne souhaite avoir d’équipes féminines, prétextant le manque d’espaces pour les accueillir. Depuis la saison 2015-2016, les premières équipes exclusivement féminines font leur apparition car de récents critères de « labellisation » de la FFF, incitent les clubs à constituer des équipes de filles, laissant entendre que les clubs qui n’en auraient pas pourraient se voir supprimer certaines subventions. Aujourd’hui, le club de Torcy dispose de trois équipes féminines : U13, U16 et U18 pour qui il est très difficile de trouver des créneaux d’entraînement. La lettre U est un sigle anglais pour désigner under. U13 désigne des individus qui ont moins de 13 ans.
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[5]
16 Aubervilliers, Brétigny-sur-Orge, Drancy, Paris Football Club, Montrouge, Colombes, Sannois Saint-Gratien.
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17 Extrait d’un article du journal Le Parisien du lundi 29 septembre 2014 qui avait pour titre : « Ce club pourrait aligner un onze de Ligue 1 » : « Paul Pogba, Adrien Hunou, Mourad Meghni, Yohann Pelé : si tous les joueurs que l’US Torcy a façonnés étaient restés dans leur club formateur, le club jouerait peut-être en ligue 1. Fabrique à champions reconnue aux quatre coins de l’Europe, le club de Seine-et-Marne a appris à jouer à des dizaines de pros ».
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[7]
18 Delphine est secrétaire de direction au SNES. Elle arrive du club voisin de Lognes avec son fils Maxime né en 1995, lors de la saison 2005/2006. Dès la saison suivante, lorsque son fils entre dans la catégorie « Benjamin », elle prend en charge la gestion des licences pour l’ensemble de la catégorie puis de toute l’école de football dès la fin de saison 2006/2007. C’est à ce moment qu’elle entre au conseil d’administration du club et qu’elle en devient la secrétaire. Aujourd’hui, alors que son fils ne joue plus au club depuis la saison 2009/2010, Delphine est toujours secrétaire.
Introduction
1À partir d’une participation « observante » [1] menée par l’un d’entre nous (Nicolas Damont) auprès de jeunes joueurs de seize ans au sein d’un club de football de la région parisienne, cet article montre que l’obligation au règlement de la cotisation n’est pas subie de la même manière selon le niveau de jeu. Si le contexte francilien est à replacer dans une géographie humaine spécifique, à savoir une dimension métropolitaine et cosmopolite, le traitement différencié pour « faire sa licence » ne semble pas se faire en fonction d’une couleur de peau, à la différence du recrutement des centres de formation professionnels [2], mais plutôt en fonction du niveau de jeu. Le traitement différencié analysé dans cette étude de cas nous révèle que le colorisme [3] dans le football masculin francilien n’est pas la seule porte d’entrée pour questionner la discrimination.
1. L’impératif de la cotisation
2En 2016-2017, 727 joueurs (dont 54 joueuses [4]) sont engagés à l’Union Sportive Torcy (auxquelles s’ajoutent 122 licences « Dirigeant » ou « Éducateur »). Si la totalité des joueurs versait les frais d’inscriptions, la somme collectée devrait atteindre un peu plus de 204 000 €. Dans un contexte de baisse du financement public, cette ressource est indispensable pour couvrir les frais de fonctionnement (défraiements des bénévoles dits « accompagnateurs », salaire des éducateurs, matériel, frais de compétitions, transports, etc.). Autrement dit, cette rentrée d’argent est essentielle au budget annuel de l’association, d’autant plus qu’elle suit un processus de salarisation. L’argent des licences est censé assumer le paiement des éducateurs.
3La licence ouvre un droit à la participation individuelle aux compétitions officielles et une couverture médico-sociale. Ce qui implique de « verser sa cotisation ». Les termes « cotisants » et « cotisations » rappellent l’histoire sociale de l’effort participatif à constituer une caisse commune en fonction des moyens économiques des adhérents. Ce paiement est une obligation que le secrétariat administratif (secrétaire, trésorier et président de l’association) exprime aux éducateurs sportifs pour qu’ils relancent les jeunes footballeurs qui n’ont pas encore réglé.
2. De la bourgade à la ville nouvelle
4Lorsque l’US Torcy voit le jour en 1942, c’est un club omnisports qui regroupe trois sections : le football, la boule lyonnaise et la gymnastique. Jusqu’aux années 1970, la commune de Torcy compte 2 500 habitants. Le milieu associatif sportif de cette bourgade est alors à un niveau embryonnaire. Dès la deuxième partie des années 1970, l’accroissement démographique lié aux décisions étatiques de créer les villes nouvelles et celui de la montée des loisirs, va intégrer l’espace torcéen dans l’aménagement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. L’US Torcy Marne-la-Vallée est constituée. Cette appellation marque la volonté des responsables de s’inclure dans le territoire de la ville nouvelle. Suivant cette logique des montages et démontages intercommunaux, le 28 mars 2014, la nouvelle appellation devient US Torcy Val-Maubuée. Val-Maubuée regroupe six communes : Torcy, Lognes, Noisiel, Champs-sur-Marne, Émerainville et Croissy-Beaubourg et atteint 90 000 habitants.
5 La municipalité met à disposition de l’US Torcy quatre terrains sur trois sites différents. Le stade du Frémoy héberge le siège social du club avec un terrain en gazon naturel entouré d’une piste d’athlétisme, une petite tribune et un terrain en gazon synthétique inauguré lors de la saison 2010-2011. Celui-ci accueille la grande majorité des séances d’entraînements. Même avec d’autres terrains sur d’autres complexes sportifs, l’US Torcy doit s’organiser avec son seul terrain synthétique pour faire jouer l’ensemble de ses licenciés, ce qui n’est pas sans poser un évident problème de planning. Ces contraintes d’espaces font l’objet de vives discussions.
6 Lors d’une récente réunion technique entre le président et les différents responsables de catégories d’âge, la question des usages s’est une nouvelle fois posée. Du côté des éducateurs, ce déficit d’espace les limite dans le contenu technique de leurs séances. Selon eux, il existe une alternative : soit obtenir de la municipalité une autre surface d’entraînement, soit diminuer le nombre de licenciés (solution difficile à envisager). Les dirigeants affirment la volonté du club et de la municipalité d’organiser plusieurs équipes : celles inscrites au plus haut niveau de compétition qui font la renommée de l’US Torcy et celles qui offrent au plus grand nombre l’occasion de subir le cérémoniel du match à des niveaux inférieurs. Ces équipes dites « loisirs » régulent des entrées d’argent indispensables au paiement des éducateurs sportifs.
3. « Augmenter la licence » : une nécessité pour équilibrer le budget
7Ces données comptables ont été collectées à partir des chiffres présentés lors de différentes assemblées par les présidents en exercice que nous remercions chaleureusement. Nous avons fait le choix de présenter trois années afin de mesurer une tendance.
8En haut du tableau, les sorties d’argent désignent les salaires et les charges. La tendance est le passage de l’éducateur défrayé à l’éducateur salarié. Les premiers contrats de travail font leur apparition en 2004, année de l’accession des U17 en championnat national. La rubrique « Autres charges de personnel » représente principalement les différentes primes de résultats versées aux équipes seniors. En bas, les entrées d’argent regroupent quatre ressources principales. Les subventions des collectivités territoriales (municipalité et conseil général) dont le montant reste relativement stable.
9 Les indemnités de formation représentent les sommes reversées par la FFF lorsqu’un joueur signe un contrat de formation (contrat « stagiaire ») dans une structure professionnelle française. Ces indemnités existent également lorsqu’un joueur signe un contrat professionnel avec un club étranger. Lors du transfert international d’un joueur professionnel avec changement de pays, le club peut toucher une somme variable via « le mécanisme de solidarité ».
10 En définitive, pour compenser l’augmentation du poste « Salaires et défraiements», le club se doit d’augmenter le montant des sommes perçues en augmentant le prix de la licence. Augmenter le nombre de licenciés est infaisable au regard des insuffisances d’équipements.
4. Zoom sur la catégorie U17 de l’US Torcy Val-Maubuée
11Notre regard porte sur les U17 (44 garçons nés en 2001 et 35 nés en 2000) à partir de l’immersion de l’un d’entre nous, responsable sportif de l’équipe d’élite U17 évoluant en championnat de France au sein d’une poule de quatorze équipes réparties entre l’Est francilien, la région Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté. Le prix annuel de la licence est de 310 €. Pour l’association qui utilise des équipements sportifs de la commune de Torcy, le critère de la domiciliation modifie le coût de la licence. Les résidents de Torcy paient 310 €, les non-résidents 330 €. Cette différence entretient un climat apaisé entre les élus et les parents de la commune qui y ont inscrit leurs enfants. En réalité, sont considérés comme torcéens les footballeurs domiciliés à Torcy et l’ensemble des joueurs non-résidents renouvelant leur licence. Entre 220 et 240 € sont affectés aux frais administratifs (budget associatif, district de Seine-et-Marne Nord, Ligue de Paris Île-de-France de Football, LPIFF). Pour atteindre la somme de 310 ou 330 €, l’US Torcy a décidé depuis la saison 2009-2010, que chaque footballeur s’acquitte des accessoires fournis : un short, une paire de chaussettes, un survêtement faisant partie d’une sorte de dress code vestimentaire des U17 nationaux.
12Sur les 79 joueurs, 21 étaient inscrits la saison précédente dans un autre club. Par conséquent, ces derniers ajoutent 36 € de « droit de changement de club », majoration reversée à la LPIFF. La tarification des clubs franciliens [5] disputant le championnat U17 nationaux se distribue entre 200 € (Paris Football Club) et 330 € (US Torcy).
5. L’équipe U17 disputant le championnat national depuis 2003 : un gage de réputation
13L’US Torcy jouit d’un effet de marque dans l’espace francilien et au-delà dans son rôle de club formateur. Cela signifie qu’elle offre la possibilité de placer des enfants désireux de progresser dans le football et d’être repérables par une structure professionnelle. D’une part, la cotisation permet de faire vivre l’association et d’autre part, les exigences de la compétition poussent le club à attirer des enfants talentueux. Les U17 nationaux affrontent des équipes de centres de formation : (Troyes, Strasbourg, Reims, Sochaux, Auxerre, Metz, Nancy). Du côté des joueurs, ce sont des occasions à saisir. Chaque saison, de cinq à dix joueurs engagés dans les championnats prestigieux rejoignent le centre de formation d’un club professionnel français. [6] Via les réseaux sociaux, les informations sont vite propagées. Vouloir jouer à Torcy, c’est s’offrir une possibilité d’être recruté par des centres de formation.
14Le problème majeur pour l’éducateur des U17 nationaux de Torcy vise donc à répondre à une logique de flux. Pour se maintenir à ce niveau en voyant partir les bons éléments, il s’agit de renouveler de probables bons arrivants.
15Obligation du paiement de la cotisation d’un côté et nécessité d’attirer des bons joueurs de l’autre peut conduire à un traitement différencié, ce qui exercerait une sorte de discrimination. Issu de la diversité ou des minorités visibles, issu d’une catégorie populaire ou pas, un joueur talentueux qui évolue en U17 n’est pas forcément un garçon qui paye sa cotisation. Au risque d’imposer la règle du cotisant engagé et solidaire, dirigeants et éducateurs sportifs de l’US Torcy savent qu’il s’agit d’entretenir une attractivité compétitive en accueillant correctement les talents.
6. Argumenter la justification tarifaire ou subir le scénario de la tractation : « Faire signer la licence dans les règles ? »
16La deuxième semaine du mois de mai 2016, les licences se renouvellent. Delphine [7], secrétaire administrative, reçoit de la part de la LPIFF les dossiers préremplis de joueurs inscrits la saison précédente et les dossiers « vierges » pour les nouveaux joueurs. Par l’intermédiaire des huit éducateurs sportifs du club, chaque joueur reçoit son dossier d’inscription ou de réinscription comprenant un document officiel à retourner à la LPIFF composé de l’état civil, l’autorisation médicale, la signature d’un représentant légal pour les mineurs. Dans le cas de l’inscription d’un joueur provenant d’un autre club, l’administration de l’US Torcy demande des garanties pour honorer le paiement de la cotisation (règlement en un ou plusieurs chèques, en espèces, par carte bancaire). Selon les propos du président et ancien trésorier, 5 % environ des paiements sont réglés par carte bancaire, 30 % sont réglés en espèces et 65 % par chèque. Les versements échelonnés (de deux à quatre paiements) atteignent environ 80 %. S’acquitter du montant de la cotisation est un sujet sensible pour beaucoup de familles car elle constitue une charge importante.
17Au verso de cette fiche les représentants légaux sont invités à signer la Charte du respect torcéen qui engage d’une part à ce que chaque jeune footballeur suive des règles de vie au sein du club et d’autre part, que les représentants légaux n’interfèrent pas dans les décisions sportives.
7. Trier les bons « éléments » : l’impératif discriminant du championnat national U17
18Parmi les 79 joueurs nés en 2000 et 2001, il s’agit de discriminer, c’est-à-dire d’accélérer les formalités d’accès à la licence pour environ 30 joueurs en capacité de participer au championnat national (cette saison et/ou la saison suivante). Ainsi, se construit le tri des licences plus importantes à obtenir, celles qui concernent l’ossature des nationaux. En concurrence avec d’autres clubs franciliens évoluant au même rang (Aubervilliers, Bretigny-sur-Orge, Drancy, Paris FC) l’intérêt est de faire signer le plus rapidement possible une licence à l’US Torcy pour un joueur approché par d’autres clubs.
19S’agissant des joueurs non prioritaires car jugés moins performants, il y a moins d’urgence. Accueillir ces garçons avec bienveillance mais ne pas accélérer la constitution de leur dossier, tel est le lot des licenciés cotisants soumis à une offre de services sportifs en milieu associatif. Malgré la bienveillance et la décontraction sportive, les éducateurs sportifs sont conscients d’une réalité pressante sur des effectifs à gérer. Les jeunes qui ne sont pas identifiés comme joueurs « à potentiel » seront plutôt invités à trouver un autre club de football, plus proche de leur domicile.
20À l’inverse, le garçon identifié « bon joueur » peut entendre des paroles différentes : « Le plus important pour que nous puissions faire ta licence est que tu me ramènes au plus vite ta demande de licence (en montrant le document) avec le certificat médical, la signature de tes parents, une photo d’identité, une photocopie de ta carte d’identité et la fiche de renseignement remplie. Pour le paiement de la licence on verra plus tard, d’accord ? ».
21La bonne gestion des U17 nationaux conduit à repérer les bons éléments de U16 et les convaincre qu’ils intégreront rapidement l’équipe du championnat national, au pire la saison d’après. Cela implique parfois des arrangements sur le montant de la cotisation. Par exemple, au cas où un joueur d’un autre club est prêt à rejoindre Torcy, cela peut se traduire par une exonération des 36 € de frais de mutation. L’US Torcy s’en charge. La question habituelle posée aux nouveaux joueurs est de savoir si la précédente cotisation dans leur ancien club a été payée, sinon, ce dernier, en informant la LPIFF, est en droit d’empêcher cette mobilité.
8. Joueur de talent et exercice de la tractation sur la cotisation
22Certains pères ou frères aînés de joueurs de qualité profitent de la situation de concurrence entre les clubs et n’hésitent pas à demander un « geste » de la part du club, l’exemption ou un rabais sur la cotisation. Face à de telles demandes qui restent rares, des proches investissent le scénario du footballeur mobile, représenté par des agents tiers s’efforçant de négocier une bien modique tractation sur le plan comptable mais qui finalement révèle sur le plan symbolique des jeux de transfert entre les échos de la presse sportive évoquant le monde du football professionnel et le secteur amateur. On pourrait sourire de ces situations, mais le secteur associatif non marchand est le théâtre de petites marchandisations.
23En 2016-2017, il y a eu six cas de licence sans versements de cotisations. Même si ce total reste assez marginal, le président de l’US Torcy a pressé les éducateurs de rappeler aux joueurs de régler leur cotisation, invoquant l’égalité de traitement à respecter et le budget à ne pas fragiliser. Sur un plan moral et légal, ne sont-ce pas les parents garants et responsables qui devraient plutôt être contactés ? Adresser directement les réclamations aux parents ferait courir le risque de réveiller des cas d’exonérations de paiement et ainsi attiser des conflits. L’US Torcy est ici confronté à la tension entre un football pour tous, l’usage de la cotisation comme socle d’un budget façonné par un collectif, et la nécessité de tenir son rang dans des compétitions exigeantes qui conduit à quelques situations d’arrangements avec une catégorie de joueurs.
9. La remise des équipements et le stage de préparation
24Une fois la licence signée, les différentes équipes de la catégorie (U17 DHR, U16, U17DH et U17 nationaux) ne font pas leur retour sur les terrains aux mêmes dates. Le « groupe des nationaux » (25 à 30 joueurs) reprend l’entraînement fin juillet (entraînements tous les jours de la semaine durant l’été), le reste de l’effectif ne commence que le 15 août.
25Le début de saison est marqué par la remise des équipements (survêtement et tenue). Mais ce protocole de la dotation matérielle pose plusieurs problèmes, à savoir des distinctions entre joueurs qui ont payé et les autres. Entre ceux qui reçoivent mais qui n’ont pas honoré les versements de la cotisation, ceux qui reçoivent parce qu’ils ont payé et ceux qui ne reçoivent pas parce qu’ils n’ont pas payé, les éducateurs sportifs ont à faire face à d’éventuelles crispations. Qualité de prestation oblige, l’intégration dans l’équipe U17 nationaux permet à chaque joueur de recevoir « un pack » plus fourni (un sac, un tee-shirt aux couleurs du club, un imperméable contre la pluie, le prêt d’une parka pour la saison).
26En début de saison, les U17 nationaux partent en stage. Chaque joueur doit verser 130 €, un tiers du coût global, le reste est payé par l’US Torcy. Ce stage est encadré par l’éducateur responsable, l’adjoint et le préparateur physique. Dans l’année, les déplacements (autocar, TGV) et les repas sont pris en charge par le club. Pour éviter la lassitude, quelques séances de boxe française, un tournoi en salle à 5 contre 5, ou encore une journée découverte canoë et vélo sont insérés lors du stage de préparation. Le groupe « national » bénéficie d’un traitement particulier et reste une source continuelle de débats et polémiques sur une politique ciblée de formation.
27Un soir de réunion avec des éducateurs, un dirigeant prend la parole : « Sur les 79 joueurs U17, ils sont 28 à ne pas être à jour de leur cotisation. Pour certains d’entre eux (ceux qui ont repris avec le groupe des nationaux), ils ont repris depuis le 28 juillet et ils ont déjà coûté au club entre 300 et 400 euros entre le stage à Vichy, la licence, les équipements. Et ils sont 12 sur les 24 à être partis en stage et à devoir quelque chose au club. Cette situation n’est pas acceptable ». Ce dirigeant termine sa prise de parole sur le reste des U17. « 16 joueurs n’ont pas payé l’intégralité de la licence tandis que certains à jour dans leur cotisation n’ont pas encore une seule minute de match ».
28Les parents de joueurs ne faisant pas partie du groupe des nationaux n’étant pas à jour de leur cotisation recevront un courrier leur expliquant que s’ils ne régularisent pas leur situation vis-à-vis du club pour le retour des vacances de la Toussaint, le club n’acceptera plus leurs enfants lors des entraînements.
29Dans le groupe des nationaux, le traitement se fait au cas par cas. En fonction de la somme restant à payer les discussions durent plus ou moins longtemps. Ils sont quatre à n’avoir rien versé pour la licence. L’un d’eux est un jeune qui habite Sevran et qui jouait à Drancy. La saison précédente, il avait dû s’acquitter de 120 € pour pouvoir « lever l’opposition » de son ancien club. Puis sont venus les 130 € de participation au stage et il fallait sans doute proposer un échéancier. Deux garçons de Meaux qui jouent à Torcy depuis deux ans n’ont encore rien payé. Les dirigeants sont fermes, « ça ne pourra pas se passer comme cela cette saison encore ». Enfin, le dernier cas de cotisation non payée sera traité par le frère aîné qui reçoit les primes de match en équipe senior. Un dirigeant de cette équipe propose de ponctionner sur ses primes pour payer la cotisation du frère cadet.
30 Finalement, il est décidé que les parents de 12 joueurs du groupe U17 national recevront un courrier. En aucun cas n’est évoquée la possibilité de les empêcher de jouer, car cela pourrait fragiliser les résultats entraînant un risque de rétrogradation en cas de mauvais classement dans un championnat à 14 équipes où les 4 dernières retourneront jouer en division inférieure (DH). Les résultats sportifs des U17 nationaux occupent la part la plus importante des discussions au sein du club et ce groupe phare participe à la renommée du « club formateur » et donc à l’attractivité de beaucoup de joueurs désireux de rejoindre Torcy. Ceci justifierait la gestion différenciée de ce groupe U17 national.
Pour finir
31La thématique de la cotisation dans le club de l’US Torcy interpelle bien évidemment la dimension socio-économique des parents qui inscrivent leurs enfants dans le football. Mais la sélection sportive organise un autre type de tri par le niveau de jeu entre les adhérents de l’association. Pour beaucoup de familles de catégories populaires, le coût de la cotisation peut empêcher l’inscription des enfants au football. Côtoyer le « haut-niveau » pousse les acteurs du secteur associatif à se soumettre aux principes de la rationalité compétitive qui fabrique du traitement différencié.
32À l’image de Torcy, beaucoup de clubs franciliens accueillent les jeunesses populaires cosmopolites. Ici, nous avons plutôt voulu évoquer une discrimination sportive ordinaire à l’intérieur même de la politique d’une association en matière de cotisation : avoir son survêtement ou ne pas avoir son survêtement. Logique sportive du résultat et décennies sociales d’injonctions à la compétitivité et à l’employabilité au service de la croissance économique, la discrimination par le niveau n’est-elle pas devenue une activité ordinaire désignant après tout une sorte de méritocratie ? Le port du survêtement de l’US Torcy, club réputé sérieux et formateur, servirait à afficher une supposée promesse masculine de la réussite. Autrement dit, si des pratiques discriminantes reposent sur des ethos valorisés vs dévalorisés, nous avons montré combien l’objectif de réussite sportive fragilise l’ethos de l’engagement social et de la participation de chacun à cotiser selon ses moyens.
Bibliographie
- Soulé B. (2007), « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches qualitatives, vol. 27, n.1, pp. 127-140.
- Damont N., Pégard O. (2017), « Le masculin haut en couleurs. L’apprentissage du football professionnel », Revue Ethnologie française, n.1, pp. 131-140.
- Damont N., Pégard O. (2016), « Décorum migratoire pour fable sociale », Plein droit, vol.1, n.108, pp. 7-10.
Notes
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[1]
12 En inversant ces termes, nous soulignons la trajectoire qui a amené Nicolas Damont du statut de participant, comme joueur puis éducateur, à celui d’observateur par sa conversion à la sociologie mais également de sa volonté d’avoir un regard introspectif sur sa propre pratique. Pour un retour réflexif sur l’usage de cette notion voir : Bastien Soulé, « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches qualitatives, vol. 27 (1), 2007, pp. 127-140.
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[2]
13 N. Damont, O. Pégard, « Décorum migratoire pour fable sociale », Plein droit, 2016/1, n° 108, pp. 7-10.
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[3]
14 N. Damont, O. Pégard, « Le masculin haut en couleurs. L’apprentissage du football professionnel », Revue Ethnologie française, n° 1/2017, pp. 131-140.
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[4]
15 Depuis le début des années 2000, la Fédération Française de Football (FFF) a mis en place des actions incitatives en faveur du football féminin. À Torcy, la pratique mixte était possible en école de football (jusqu’à 15 ans), mais sans que le club ne souhaite avoir d’équipes féminines, prétextant le manque d’espaces pour les accueillir. Depuis la saison 2015-2016, les premières équipes exclusivement féminines font leur apparition car de récents critères de « labellisation » de la FFF, incitent les clubs à constituer des équipes de filles, laissant entendre que les clubs qui n’en auraient pas pourraient se voir supprimer certaines subventions. Aujourd’hui, le club de Torcy dispose de trois équipes féminines : U13, U16 et U18 pour qui il est très difficile de trouver des créneaux d’entraînement. La lettre U est un sigle anglais pour désigner under. U13 désigne des individus qui ont moins de 13 ans.
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16 Aubervilliers, Brétigny-sur-Orge, Drancy, Paris Football Club, Montrouge, Colombes, Sannois Saint-Gratien.
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17 Extrait d’un article du journal Le Parisien du lundi 29 septembre 2014 qui avait pour titre : « Ce club pourrait aligner un onze de Ligue 1 » : « Paul Pogba, Adrien Hunou, Mourad Meghni, Yohann Pelé : si tous les joueurs que l’US Torcy a façonnés étaient restés dans leur club formateur, le club jouerait peut-être en ligue 1. Fabrique à champions reconnue aux quatre coins de l’Europe, le club de Seine-et-Marne a appris à jouer à des dizaines de pros ».
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18 Delphine est secrétaire de direction au SNES. Elle arrive du club voisin de Lognes avec son fils Maxime né en 1995, lors de la saison 2005/2006. Dès la saison suivante, lorsque son fils entre dans la catégorie « Benjamin », elle prend en charge la gestion des licences pour l’ensemble de la catégorie puis de toute l’école de football dès la fin de saison 2006/2007. C’est à ce moment qu’elle entre au conseil d’administration du club et qu’elle en devient la secrétaire. Aujourd’hui, alors que son fils ne joue plus au club depuis la saison 2009/2010, Delphine est toujours secrétaire.