Couverture de CLA_029

Article de revue

L’hystérie masculine

Pages 121 à 125

Notes

  • [1]
    S. Freud, Sigmund Freud présenté par lui-même (1925), Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1984, p. 22.
  • [2]
    J. Sédat, « En quoi consiste précisément l’invention freudienne », Paris, Espace analytique, 21 mars 2015.
  • [3]
    Le texte de la traduction en français de cette conférence n’est pas encore publié, il va l’être dans le futur volume 1 des ocpf aux Puf.
  • [4]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre xvii, L’envers de la psychanalyse (1969‑1970), Paris, Le Seuil, 1991, p. 60.
  • [5]
    G. Pommier, Que veut dire faire l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010.
  • [6]
    R.J. Stoller, Masculin ou féminin ?, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 1989, p. 320.
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1 « Parmi tout ce que j’ai vu chez Charcot », dit Freud dans son ouvrage Sigmund Freud présenté par lui-même, « ce qui m’a le plus impressionné sont les dernières investigations sur l’hystérie qui furent menées en partie encore sous mes yeux. Je veux parler de la démonstration de l’authenticité et de la régularité des phénomènes hystériques […] de l’occurrence fréquente de l’hystérie chez les hommes [1] ». Lors de son retour à Vienne après son stage chez Charcot entre septembre 1885 et avril 1886, Freud abandonne le domaine du cerveau et ses premières recherches neurologiques. L’apport précieux entendu chez Charcot est qu’il arrache pour la première fois le discours de l’hystérie au religieux, au possédé, au démoniaque. Les leçons du mardi par Charcot, lors du stage de Freud, portaient sur « L’hystérie virile ». Même si Charcot confisque la parole aux hystériques lors de ses célèbres présentations de cas ouvertes au public et aux étudiants, l’hystérique devient un sujet qui n’est plus possédé mais support de représentations [2]. Elle devient une personne malade que l’on respecte même si elle est là pour être source d’enseignement et de transmission. À la suite de cette expérience, Freud présente à Vienne le 15 octobre 1886 une conférence sur « L’hystérie masculine [3] » qui suscite un tollé chez ses confrères, refusant d’entendre que l’hystérie déborde du domaine féminin. Freud tient bon, l’hystérique est un sujet qui va être à déchiffrer dans le domaine du psychisme et non plus un malade qui souffre de troubles neurologiques. Cette névrose peut atteindre la femme ou l’homme.

2 Il est intéressant de relever qu’en ce début du xxie siècle en Occident, le terme d’« hystérie » tend à être effacé des enseignements de psychiatrie pour revenir à une classification nosographique dite de « troubles » : du comportement, des affects et des émotions, de la personnalité, troubles mixtes… Comme si l’immense apport freudien sur la compréhension du psychisme humain permettant un élargissement du champ de la conscience et un meilleur discernement tendait à être réduit, refoulé, au profit de la production d’une masse non éclairée, par la privation d’un savoir qu’elle pourrait acquérir sur elle-même. Une masse hystérisée et facilement hystérisable ? Ce n’est pas uniquement contre le refoulement qu’il nous faut lutter, mais contre le déni et le désaveu toujours à l’œuvre, sous-tendus par la pulsion de mort.

3 Ce dont le discours hystérique se plaint, c’est de l’insatisfaction, de la privation prise dans le dam imaginaire. Il s’agit, chez l’hystérique féminin ou masculin, de l’assomption par le sujet de la jouissance d’être privé [4].

4 D. est un jeune homme venu me rencontrer en grande souffrance et en dépression à la suite de son abandon par sa petite amie qui lui a préféré une femme. Il est dans une grande souffrance identitaire avec une angoisse intense, il refuse sa masculinité et appréhende celle des autres hommes avec inquiétude. Il ne s’y reconnaît pas, s’inquiète sur son orientation sexuée. Il passe ses journées à ingurgiter des séries télé américaines, comme les bd de Lucky Luke qu’il lisait en boucle enfant, et à s’alcooliser, dans une grande inhibition par rapport à sa fin d’études, un mémoire à rendre en sociologie. Il a « quitté » la maison des parents à 21 ans mais n’arrive pas à investir son appartement. Il se présente de manière assez efféminée, aime jouer sur l’ambiguïté lorsqu’il se fait draguer par des hommes et se rassure en séduisant sans arrêt de nouvelles conquêtes féminines pourtant insatisfaisantes car il choisit des jeunes femmes en couple. Il fait aussi du théâtre, est accepté dans une formation deux ans après le début de sa cure, ce qui lui procure une grande joie, et il se met alors à écrire des pièces sur la question du genre. Le temps de travail analytique dans la cure lui permettra de progresser dans les problèmes œdipiens, de représenter sa rivalité au père (un père capable de lui prendre son objet de désir. Il rêve que son père a une relation sexuelle avec sa première petite amie), déployant la palette affective de sa jalousie œdipienne dans le désir de posséder la mère. D. était incapable de pouvoir s’identifier à ce père trop viril, très sportif, méprisant ses capacités intellectuelles et son désir pour le théâtre. Ce père tout-puissant capable de lui ravir ses conquêtes ou même de le séduire. La figure du grand-père paternel dont il se sentait proche a été pour lui une figure paternelle positive qui l’encourageait dans ses lectures, dans la culture et le valorisait. Se dépliera ensuite dans la cure son fantasme de féminisation par le père. Il avait été surpris, enfant, par l’irruption du père dans sa chambre alors qu’il était en train de se masturber et se rappelle aussi un ressenti d’excitation vers 5 ans, quand son père le fessait les fesses nues. Que son amoureuse l’abandonne pour une femme et non pour quelqu’un du même sexe que lui a fait sauter sa fragile identification au masculin et l’a laissé enfermé dans ce fantasme de féminisation, avec des doutes sur son identification à sa mère, sur son identité sexuée, dans un risque de régression préœdipienne. C’est quelque chose de très violent pour un sujet non encore déterminé dans son genre. Il rêve « qu’il est enfermé avec sa petite amie chez ses parents, ressent de la haine pour elle et pense qu’il doit s’évader ». Des rêves de féminisation apparaissent avec le père mais aussi avec la mère phallique, il se représente en rêve soumis à une femme intrusive qui lit ses notes et se sent en attente de reconnaissance par elle. Surgit alors dans un rêve la représentation de la mère « mauvaise », qui l’insulte, le frappe, une mère haineuse, à laquelle il répond, mais il se réveille angoissé juste avant de subir des coups. La période psychique suivante sera marquée par de nombreux rêves de colère envers le père, envers la mère. Au fur et à mesure de sa subjectivation et de la mobilisation de ses défenses, D. va commencer à se sentir moins vide, se séparer psychiquement de son amie, des imagos parentales, investir davantage son travail intellectuel, oser partir randonner seul. Juste avant que déroulement de la problématique œdipienne avance dans la cure avec l’apparition du fantasme de parricide, D. relate le rêve suivant : il revient dans sa maison d’enfance, en fait le tour et dort à l’extérieur dans une tranchée. Le père est nu à côté de lui et le patient se rend compte dans le rêve que son visage est proche du sexe en érection de son père. La pensée du rêve est que ce n’est pas dans le rêve mais dans la réalité, que « le père a vraiment fait ça ». Puis il se retrouve dans une colonie de vacances où tous les autres sont des morts-vivants, robotisés. Il n’a rien pu associer autour de cette pensée du rêve. A-t-il subi des attouchements dans une colonie de vacances ou s’agit-il du fantasme de séduction ? Ce rêve met en scène le traumatisme initial préexistant à sa névrose hystérique, le trauma d’une séduction par le père, mais surtout par le pénis du père, avec risque de mort. Cela nous renvoie à la question du monisme phallique décrit par Freud et conditionnant pour lui tout le développement de la sexualité féminine. L’envie du pénis se retrouve chez la petite fille mais aussi chez le garçon. L’hypothèse freudienne controversée du Penisneid comme organisateur primaire de la sexualité féminine peut être à mon avis, et c’est l’hypothèse que je pose, élargie à la position féminine passive de ce temps psychique du fantasme de féminisation et concerne les deux sexes. Le Penisneid existe aussi chez l’homme, il s’agit du Phallusneid recherché par les deux sexes. Le père donne le phallus aux deux genres dont le choix se détermine à partir du parricide, dit Gérard Pommier [5]. Les pratiques ritualisées de fellation homosexuelle imposée chez la population Sambia de Nouvelle-Guinée, décrites par Robert J. Stoller [6], l’illustrent de manière saisissante. Les jeunes hommes sont soumis à des activités de fellation homosexuelle ritualisée et considérée comme nécessaire par la communauté de cette société de guerriers puissants se défendant contre un monde hostile. Ces rituels sont jugés « nécessaires pour opérer le passage de l’attraction contaminante de l’état de femelle à la séparation courageuse de l’état de mâle et de la masculinité ». Pour R. Stoller, le fait que les garçons sambia soient dans une situation à haut risque d’être féminins réside dans ces initiations. Envisager le Penisneid sous cet angle théorique du Phallusneid peut libérer la sexualité féminine d’une réduction théorique induite par ce monisme phallique.

5 La castration conditionne le désir, dit Gérard Pommier, mais au prix d’une féminisation qui le piège. Dans l’extrême du fantasme de séduction, être séduit ou séduite équivaut à mourir incestueusement, apparaît alors la seule défense possible dans une poussée pulsionnelle, tuer le séducteur. C’est l’ouverture possible du fantasme de parricide, que ce patient a pu déployer à la suite de cet acte psychique du rêve. Cela a eu pour lui un effet séparateur. Le deuil de sa petite amie a pu se terminer, il a pu quitter psychiquement la maison des parents, découvrant dans un rêve « son nouvel appartement agrandi de nouvelles pièces lumineuses », dans une Erweiterung, élargissement, de sa conscience.

Notes

  • [1]
    S. Freud, Sigmund Freud présenté par lui-même (1925), Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1984, p. 22.
  • [2]
    J. Sédat, « En quoi consiste précisément l’invention freudienne », Paris, Espace analytique, 21 mars 2015.
  • [3]
    Le texte de la traduction en français de cette conférence n’est pas encore publié, il va l’être dans le futur volume 1 des ocpf aux Puf.
  • [4]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre xvii, L’envers de la psychanalyse (1969‑1970), Paris, Le Seuil, 1991, p. 60.
  • [5]
    G. Pommier, Que veut dire faire l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010.
  • [6]
    R.J. Stoller, Masculin ou féminin ?, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 1989, p. 320.
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