Notes
-
[1]
Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à Aix Marseille Université ; chaire de philosophie « psychanalyse et gouvernement des individus », École des sciences philosophiques et religieuses de l’université Saint-Louis à Bruxelles (2015-2016).
. Extraits de L’individu ingouvernable (2015) publiés avec l’aimable autorisation des Liens qui libèrent (lll). -
[2]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » (1937), dans Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, Puf, 1985, p. 263.
-
[3]
Quand bien même il l’avait déjà énoncé dix ans plus tôt, en 1925, dans « Préface à Jeunesse à l’abandon », dans Œuvres complètes. Psychanalyse XVII, Paris, Puf, 1992, p. 161.
-
[4]
É. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Fayard, 1994.
-
[5]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », op. cit., p. 265.
-
[6]
R. Gori, La preuve par la parole (1996), Toulouse, érès, 2008.
-
[7]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », op. cit., p. 265.
-
[8]
S. Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen (1941), Paris, Le Livre de poche, 1993, p. 351.
-
[9]
M. Foucault, L’herméneutique du sujet (1982), Paris, Gallimard/Le Seuil, 2001.
-
[10]
Ibid., p. 37.
-
[11]
P. Manent, Les métamorphoses de la cité, Paris, Flammarion, 2010.
-
[12]
Camille Laurens écrit : « On ne naît pas humain, on le devient. Et ce qui peut aider à cette conquête, me semble-t-il, c’est l’étude de tout ce qui nous est propre – hommes et livres, œuvres humaines – et qu’on nommait d’un mot si beau, autrefois, maintenant désuet, quand on disait : faire ses humanités. » C. Laurens, Le Grain des mots, Paris, pol, 2003, p. 33.
-
[13]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future (1886), Paris, Gallimard, 1993.
-
[14]
La Vie moderne est le titre de l’hebdomadaire luxueux dans lequel L’Ève future fut publiée entre le 18 juillet 1885 et le 27 mars 1886.
-
[15]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 121.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
A. Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, 1951.
-
[18]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 126.
-
[19]
Ch.-É. Bouée, Confucius et les automates, Paris, Grasset, 2014, p. 104.
-
[20]
N. Negroponte, L’homme numérique, Paris, Robert Laffont, 1995.
-
[21]
En décembre 2014, Rue 89 s’interroge sur ces machines qui jugent à notre place : « De plus en plus, on commence à utiliser des algorithmes dans des domaines où il n’existe pas de “bonne réponse”, mais uniquement des arbitrages subjectifs. Google affirme qu’il nous montre les résultats de recherche les plus pertinents. Facebook vise à afficher ce qui est le plus important. Mais comment savoir ce qui est pertinent ? Ce qui est important ?
Il existe des formes d’automation et des algorithmes qui s’appliquent dans des domaines où il existe une bonne réponse. Mais ceci n’a rien à voir : nous assistons à la naissance d’une nouvelle ère, celle des machines capables de juger. Ces machines ne se contentent plus d’ordonner rapidement des bases de données, ou de faire des calculs mathématiques : elles décident de ce qui est “meilleur”, “pertinent”, “approprié”, “dangereux”.
C’est une chose de demander à un ordinateur la réponse à une équation factorielle, ou la façon la plus rapide d’aller d’un point A à un point B. Mais c’en est une autre de laisser un ordinateur choisir qui est le plus “pertinent” parmi nos amis, quelle information est la plus importante, qui nous devrions engager (ou virer). » « Les machines jugent à notre place, et ça va nous faire flipper », Rue 89, 21 décembre 2014. -
[22]
R. Gori, La dignité de penser, Paris, lll, 2011 ; La fabrique des imposteurs, Paris, lll, 2013 ; Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? Paris, lll, 2014.
-
[23]
R. Barthes, Leçon. Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, Paris, Le Seuil, 1978, p. 14.
-
[24]
John Langshaw Austin nomme « performatifs » les énoncés de langage qui produisent les actions qu’ils énoncent. Dire « je t’aime » n’est pas un acte de langage qui se contente de décrire, mais qui produit ce qu’il énonce. Par la suite, Austin en vient à considérer que tout acte de langage détient un certain degré de performativité. J.L. Austin, Quand dire, c’est faire (1962), Paris, Le Seuil, 1970.
-
[25]
R. Barthes, Leçon, op. cit., p. 16.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Le Monde, 2 août 2014, souligné par l’auteur.
-
[28]
Comment ne pas évoquer ici l’ouvrage si pertinent de J.-Cl. Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Paris, Le Seuil, 2003 ?
-
[29]
R. Gori, Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ?, op. cit.
-
[30]
Le Monde, août 2014, souligné par l’auteur.
-
[31]
É. de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1577), Paris, Vrin, 2002, p. 35.
-
[32]
Dans Le Monde du 14 janvier 2015, Laurent Alexandre rapporte l’inquiétude de certains chercheurs face à la fabrication de systèmes d’Intelligence artificielle qui, d’ici à 2045, raisonneraient, penseraient et feraient mieux que l’intelligence humaine. La riposte face à cette invasion du monde humain par l’ia, conduisant à la modification profonde des organisations sociales, serait le cyborg, humain augmenté grâce à la greffe de prothèses intracérébrales.
-
[33]
S. Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939), Paris, Gallimard, 1986, p. 189.
« Il semble presque, cependant, qu’analyser soit le troisième de ces métiers “impossibles” dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant.
Les deux autres, connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner [2]. »
1 « Impossibles ». Au moment où Freud énonce ce jugement sans appel, en 1937 [3], ses paroles sont cruellement réalistes : l’art démocratique de gouverner sombre dans la barbarie hitlérienne, l’éducation par la morale et la raison n’évite pas « les violences de ces lâches tapageurs » des troupes d’assaut des sa – les « chemises brunes » –, leur formation universitaire ne les empêche pas de précipiter les « blessés que ces apaches nationaux jetaient tout sanglants dans la rue en les précipitant au bas de l’escalier. […] Quant aux analystes, l’histoire de leur mouvement et des scissions [4] qui le nourrissent suffit à montrer que la pratique de l’analyse, qui exige l’« amour de la vérité » et « un assez haut degré de normalité et de rectitude psychique [5] », selon la formule de Freud, n’exclut en aucune manière les tourments passionnels [6], ni les « canailleries » politiques. Gouverner, éduquer et soigner l’individu se révèlent des tâches impossibles. Celui qui s’y risque n’y parvient jamais parfaitement. Tôt ou tard il rencontre un impossible, un réel qui dévoile les limites de son entreprise, la vanité d’une volonté qui prétendrait influencer de manière radicale l’individu jusqu’à « abraser toutes les particularités humaines au profit d’une normalité schématique [7] ». Une telle entreprise, propre peut-être à la modernité occidentale lorsqu’elle lâche la rampe de la tradition et de l’autorité, avoue son ambition et son projet de vouloir fabriquer l’avenir, l’avenir de l’individu comme de la société qui en constitue la substance. Gouverner, éduquer et soigner procèdent d’un art de conduire les hommes qui rencontre tôt ou tard la butée de l’impossible. Les histoires individuelles comme l’histoire collective montrent bien souvent que c’est au moment même où l’on croit avoir atteint la stabilité et l’ordre d’un progrès culturel raisonnable que les premiers symptômes de son effondrement commencent à se manifester.
2 Si l’art de gouverner, celui d’éduquer et celui d’analyser rencontrent tôt ou tard la butée de l’impossible dans leur visée de transformer les hommes et de les conduire à se diriger eux-mêmes ou à aller dans une juste direction, c’est bien parce que le projet qui soutient cette prométhéenne entreprise en suppose la possibilité. Il n’y a d’impossible dans ces métiers que ce qui provient de leur condition première : se supposer un pouvoir qui prétendrait parvenir à son terme, prétendre parvenir à gouverner les hommes et à leur apprendre à gouverner leurs conduites, à modifier le régime de leurs comportements moraux et raisonnables. Ce pouvoir supposé des entreprises éducatives, politiques ou psychanalytiques s’adosserait à un savoir qui prétendrait changer les hommes par l’exercice d’une ascèse et d’une connaissance fondées sur la vérité. Fondement des plus précaires, comme l’ont révélé tout au long de notre histoire européenne ces monstrueuses barbaries qui, après des périodes de prospérité économique, morale et intellectuelle, ont embrasé le monde. Incendie qui s’allume bien souvent sur les braises d’une humanité trompée, séduite par des idéaux de civilisation que les faits sont venus contredire. Zweig, encore, décrit admirablement ce climat moral de l’Autriche de l’après-Grande Guerre, où la fureur de vivre accompagnait le sentiment de trahison que pouvait éprouver toute une jeune génération qui ne pouvait considérer « qu’avec amertume et mépris ses pères, qui s’étaient d’abord laissé enlever la victoire, puis la paix [8] ». Que dire alors de la haine de la jeunesse allemande des années 1930, de la stupeur des jeunes Français après la « drôle de guerre », de leur folie comme de leur désespoir ?
3 L’histoire serait-elle un éternel recommencement au cours duquel les droits conquis pour la liberté et les valeurs humanistes seraient régulièrement remis en cause, puis rétablis ? Sans tomber nécessairement dans les démons de l’analogie, la récurrence des cycles de l’histoire pose le délicat problème d’une « concordance des temps ». Tout se passe comme si nous assistions périodiquement à l’émergence de valeurs humanistes, suivie de leur remise en cause sous l’effet d’une volonté mystérieuse surgie des ténèbres du masochisme humain. Ce retour, incessant et discontinu à la fois, du « refoulé » de la conscience de civilisation rapproche l’histoire de l’humanité, en particulier européenne, et celle du sujet singulier. L’une et l’autre révèlent tôt ou tard la vanité, les limites, de toute entreprise d’éducation, de soin ou de gouvernement qui tendait à les « civiliser ». Nos sociétés civilisées, notait Freud, exigent de l’humain une bonne conduite, le contraignent à renoncer aux pulsions érotiques et destructrices, à obéir à des commandements moraux dont l’hypocrisie finit par être démasquée. Alors « craque » le vernis de la civilisation dont on pensait naïvement qu’il était parvenu à refouler les tendances menaçant la coexistence pacifique des hommes. Ce « refoulé » de la civilisation est indissociable du projet qui soutient toute entreprise politique et éthique visant à en finir avec les pulsions érotiques et agressives afin de parvenir à vivre ensemble. Mais, nous dit encore Freud, celui qui est ainsi obligé par les règles et les prescriptions sociales, par les idéaux de la société dans laquelle il vit, de se conduire en homme civilisé, se trouve en quelque sorte en contradiction avec ses penchants intimes et se voit contraint de vivre au-dessus de ses moyens psychiques. À la moindre occasion, le « naturel » revendique ses droits, et, nonobstant l’angélisme des « psychologies positives », le « vernis » de la civilisation craque, la violence comme le goût des plaisirs érotiques se déchaînent. Il pourrait en être de même des sociétés qui, parvenues à un certain niveau de civilisation, pétries d’idéaux aussi optimistes qu’hypocrites, finissent par se laisser griser par des idéologies et des pratiques politiques qui les entraînent dans la jouissance funeste de se détruire et de se meurtrir.
4 Sans méconnaître pour autant les contraintes normatives des économies matérielles et celles, symboliques, de chacune des cultures européennes à une époque donnée et dans une société donnée, tout se passe comme si les idéaux d’une civilisation s’effondraient au moment de leur triomphe.
5 […] La civilisation des mœurs, qu’elle procède de l’éducation, du soin, de l’éthique, de la justice, de l’art ou de la science, se révèle profondément politique, puisque pour gouverner les hommes la société les enjoint à se gouverner. La manière de gouverner les hommes se montre indissociable de la manière dont les sujets eux-mêmes se gouvernent.
6 Le désir d’apprendre aux hommes à « se gouverner eux-mêmes », qu’il se manifeste par la voie de l’éducation ou par celle du soin, se trouve au cœur de la politique. Michel Foucault nous rappelle qu’en Occident les rapports entre le « sujet » et la « vérité » constituent depuis le début l’essentiel de la réflexion politique [9], le régime des gouvernements individuels se révélant, d’entrée de jeu, politique. Et la politique est indissociable de la relation d’un sujet avec lui-même, avec sa « vérité ». Cette relation privilégiée en Occident entre le sujet et sa « vérité » implique que la philosophie, le soin et l’éducation s’inscrivent dans le registre plus général d’une culture du « souci de soi-même ». C’est la réponse de Socrate à Alcibiade : si tu veux gouverner les autres, commence par t’occuper de toi-même, fais attention à toi-même, prend conscience de ce que tu es. Comme le remarque Foucault dans le commentaire qu’il fait du dialogue de Platon Alcibiade, « la nécessité de se soucier de soi est liée à l’exercice du pouvoir [10] ».
7 […] Ce nouage entre éduquer, soigner et gouverner met au jour l’existence d’une dimension politique propre à l’Occident dans la civilisation des mœurs qui est la sienne. C’est, entre autres, ce qui explique en quoi l’éducation, l’information et le soin sont préférentiellement – avant même les conflits économiques et armés – la cible des nouvelles barbaries antioccidentales. Le projet politique de l’éducation, du soin et du gouvernement « démocratique » présuppose que l’humain soit capable d’agir par sa raison et sa volonté dès lors que ces dernières s’inscrivent dans un mouvement culturel, singulier autant que collectif. Ce mouvement culturel singulier autant que collectif a pu successivement se réaliser à partir des formes de savoir et de pouvoir calquées sur celles de la Cité, de l’Empire et de l’Église [11]. Sans décrire ici les « métamorphoses » de ces projets de la Cité et des programmes de civilisation qu’ils impliquent, je voudrais, bien au contraire, souligner ce que leurs pratiques sociales et culturelles ont en commun : l’homme est perfectible, il demande à être créé. On ne naît pas humain, on le devient [12]. C’est le début de la modernité occidentale des formes de philosophie sociale et politique, qui se rapprochent de ce que l’on nomme « athéisme » : l’œuvre de Dieu ne suffit pas, c’est nous-mêmes qui nous fabriquons. Il nous faut accomplir l’œuvre dont nous avons prêté le projet à Dieu, voire aux dieux, ou au moins l’achever !
8 Même si, de différentes façons, ce projet de conversion de l’homme à lui-même traverse toute l’histoire occidentale, c’est dans la modernité que la société se donne pour ambition prométhéenne de sortir de l’état de nature pour accéder à elle-même. Bien sûr, on trouvera l’anticipation d’un tel programme chez Platon. Mais il n’empêche : c’est à l’époque moderne que l’état de la société demeure tributaire de la connaissance des causes qui gouvernent la nature et l’homme. Les connaître permet de les anticiper, de les corriger et de fabriquer les artefacts nécessaires à pallier les carences de la nature.
9 Faust est la fiction suprême de ce projet politique de l’Occident lorsque, après la plénitude de la Renaissance et les illusions de la modernité, ce projet se révèle comme une révolte contre Dieu. En se substituant à Dieu, les sciences et les techniques copulent avec le Diable. L’Église ne s’y est pas trompée, qui a toujours veillé jalousement sur les tentations diaboliques de fabriquer les créatures de Dieu. J’y reviendrai plus longuement. Mais reportons-nous à L’Ève future, de Villiers de L’Isle-Adam [13] : le Diable s’est vêtu des oripeaux de la science du xixe siècle, il offre en échange de l’âme humaine le corps éternel et mécanique que la technique est en passe d’offrir dans la vie moderne [14]. La « chair artificielle », voilà le « squelette d’une ombre attendant que l’ombre soit [15] », car aujourd’hui « la science a multiplié ses découvertes ! Les conceptions métaphysiques se sont affinées. Les instruments de décalque, d’identité, sont devenus d’une précision parfaite. […] Il nous est possible de réaliser, désormais, de puissants fantômes, de mystérieuses présences-mixtes dont les devanciers n’eussent même jamais tenté l’idée, dont le seul énoncé les eût fait sourire douloureusement et crier à l’impossible [16] ! »
10 Alors, faudra-t-il transformer les humains en objets ou en automates afin qu’à jamais raisonnables ils se conforment à la logique des choses et à la politique qui l’accompagne ? Ce projet a nourri les idéologies de progrès comme les totalitarismes les plus meurtriers. La « terreur rationnelle [17] », comme l’écrivait Camus, exige que tout réel soit rationnel et que tout rationnel soit réel. « Tout est possible », nous promettent les techniques et les sciences contemporaines. Au souci de s’émanciper des contraintes de la nature succèdent aujourd’hui le désir et la promesse de franchir les limites du corps humain, de ses servitudes que sont la maladie, la vieillesse, le handicap et la mort. Les biotechnologies nourrissent les utopies transhumanistes et les fictions projetant la fabrique de posthumains. La question est déjà de savoir comment nous allons, en tant qu’humains, accueillir les posthumains, les robots, les cyborgs et tous ces « andréides » qu’anticipait L’Ève future. Au point qu’une des questions les plus sérieuses dont se saisissent aujourd’hui certains laboratoires et juristes américains concerne les droits des robots et les prescriptions éthiques qui s’imposeront aux humains lorsqu’ils seront plongés dans un tel environnement et métissés avec lui ! Parmi ceux de nos descendants qui liront encore nos vieux romans du xixe siècle, certains découvriront avec surprise la malédiction prophétique de Villiers de L’Isle-Adam : « Milord, répondit gravement Edison, je vous le jure : prenez garde qu’en la juxtaposant à son modèle et en les écoutant toutes deux, ce ne soit la vivante qui vous semble la poupée [18]. »
11 Les déclarations et manifestes transhumanistes s’accommodent fort bien des principes de démocratie libérale, de revendication d’un gouvernement des hommes qui puisse passer par la « neutralité » de la technique. Google ne sponsorise-t-il pas les recherches transhumanistes ? Dans un monde qui apparaît à la fois comme chaotique et hyperformalisé, volatil et complexe, incertain et ambigu, fluctuant et insaisissable, la technique rassure, l’automatisation garantit le retour du même. Le xixe siècle avait anticipé cette évolution de l’humain se dépouillant progressivement de sa conscience morale et de l’exigence d’avoir à penser sous l’effet de l’habitude et des automatismes. De là proviendraient notre proximité, notre intimité avec les machines, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui et de demain.
12 […] Si demain l’humanité « supérieure » doit être celle qui calcule sans conscience morale et intellectuelle et qui fonctionne par « habitudes », nous sommes bien partis pour la fourmilière. Il est possible, au contraire de cette pessimiste prophétie, que notre éthique soit remaniée, repensée, recodée sous l’effet des interfaces de plus en plus fortes et variées entre l’humain et les nouvelles machines. Comme le note également Charles-Édouard Bouée, le monde « est en train de devenir un gigantesque système d’information et de communication. La nouvelle réalité “cyberphysique” est celle dans laquelle les objets et les machines se gouvernent seuls et s’améliorent en permanence. Tout sera connecté à tout [19] ». Nicholas Negroponte l’avait prédit : demain, c’est dans les « quartiers numériques » que nous rencontrerons notre « prochain [20] ».
13 Avec ce triomphe d’une société entièrement régie par la technique, le gouvernement de l’individu sera enfin rendu possible par sa disparition, ou au moins son effacement au profit des machines interconnectées [21]. J’ai largement développé l’analyse critique de ce totalitarisme de la technique dans la recomposition des métiers et la prolétarisation généralisée de l’existence [22].
14 Un seul exemple tiré de notre vie ordinaire suffit pour imaginer, sans trop extrapoler, ce qui nous attend lorsque demain les machines guideront nos conduites. Aujourd’hui la langue des logiciels qui nous gouvernent produit un monde, un monde technique, numérisé, digitalisé, désincarné, financiarisé. Ce nouveau totalitarisme, technofasciste, est à portée de main, de clavier plutôt. Il est « fasciste » dans le sens où Roland Barthes a pu écrire : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir [23]. » La langue […] affirme, précise Barthes, elle est performative [24]. Elle fait être le monde, elle le produit. La forme sous laquelle elle le produit n’est pas neutre, elle est d’entrée de jeu philosophique et politique. Dans la langue s’insinue aussi la « grégarité de la répétition [25] », écrit Barthes. Les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus, c’est-à-dire pour autant qu’ils se répètent, se reproduisent, entraînent avec eux cette grégarité dont la foule raffole et que l’on nomme servilité, mode, imitation : « Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement [26]. » Cette grégarité passe aujourd’hui par la technique, et c’est elle qui dicte la politique, le gouvernement des conduites individuelles et collectives. Ceux qui la possèdent gouvernent le monde. Au prix de se voir possédés par elle.
15 Pour illustrer cette emprise de la technique sur l’éducation, le soin et l’art de gouverner, j’évoquerai une expérience pilote conduite à Londres et relatée dans Le Monde du 2 août 2014. Cette expérience fait suite à une loi de 2012 réprimant les personnes arrêtées en état d’ébriété et les obligeant à pointer régulièrement auprès de la police afin que l’on puisse vérifier leur taux d’alcoolémie. Elle consiste à poser autour de la cheville de l’individu concerné un boîtier électronique analogue à celui que portent les personnes assignées à résidence. Ce dernier, en analysant la transpiration du porteur, mesure son taux d’alcool toutes les trente minutes. À la moindre ingestion d’alcool, l’appareil émet une alerte qui risque de renvoyer le fautif devant un tribunal, voire, en cas de récidive régulière, en prison. Le Monde précise : « [C]e projet ne s’adresse pas aux alcooliques les plus sérieux, ceux qui sont connus de la police. » Et de citer le maire de Londres, Boris Johnson : « On vise les gens qui exagèrent un peu trop un vendredi ou samedi soir, et qui se retrouvent dans des délits liés à l’alcool, par exemple des bagarres. Plutôt que de les emprisonner, on peut les aider avec cet appareil. Je crois que c’est moins cher et plus efficace [27]. »
16 Le recours à ce type d’appareil pour gens ordinaires tend à se généraliser : seniors en cavale après avoir fui leur maison de retraite, bambins fugueurs de crèches, professionnels « tracés » pour leur sécurité, policiers ou infirmiers exemplaires, personnel « dévoué » à son entreprise, et demain peut-être conjoints repentis après un adultère, déviants religieux ou politiques qui menaceraient la paix civile, élèves ou étudiants réfractaires, politiques soucieux de montrer qu’ils n’ont rien à cacher… Et puisque, dans notre société de l’« illimité [28] », « tout se vaut », que nous nous devons de lutter contre l’arbitraire des « critères » et des « jugements », pourquoi ne pas envisager la mise en œuvre de telles mesures, sans discrimination, par souci d’égalité et de transparence, pour tout le monde ? Dans un univers où tout est possible et où l’on n’a rien à cacher, pour quelles raisons et au nom de quoi se priver d’un procédé « moins cher et efficace » ?
17 Ne nous y trompons pas, nous nous dirigeons sans réflexion ni état d’âme vers ce type de lien social. Car il ne s’agit pas seulement d’appareils et de procédés techniques, mais de manières de gouverner, d’« aider », de soigner, d’éduquer, de vivre ! À la place de la réflexion personnelle, de la conscience morale, nous avons la technique. Reste seulement à l’améliorer pour la rendre plus acceptable, plus légère, plus light, plus fun. La technique sera la solution aux métiers « impossibles » de l’éducation, du soin et du gouvernement des hommes ; elle les remplacera. Déjà, la chose tend à s’imposer dans le domaine de la prévention et du soin des délinquants et des malades mentaux [29].
18 Le message d’émancipation des Lumières, qui invitait à sortir de l’état de minorité en ne se fiant qu’à sa raison critique et à sa conscience morale, paraît bien obsolète. L’appareil économise d’avoir à penser et à juger. Pour combien de temps ? Eh bien, pour le temps qu’on le porte, semble-t-il : « L’efficacité de ces bracelets électroniques est loin d’être prouvée. Aux États-Unis où ils sont utilisés depuis dix ans, les études indiquent un résultat positif mais qui ne dure pas. Dans le Dakota du Sud par exemple, seuls 5 % des condamnés boivent pendant la période où ils portent l’appareil. Mais après l’avoir enlevé, leur taux de récidive est assez proche des autres personnes condamnées pour un crime lié à l’alcool [30]… »
19 La normalisation technique de l’humain est en marche, son système totalitaire s’impose tous les jours davantage au nom de l’efficacité et des économies qu’il permet, dans tous les sens du terme. Il est la nouvelle langue du pouvoir, il en déplace les lignes et les figures, les enjeux et les modes d’exercice. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, et certainement pas ce langage vieilli dans lequel les uns et les autres, philosophes, sociologues, éducateurs, thérapeutes et politiques, nous nous exprimons. Alors, faudra-t‑il se soumettre ? Et ce d’autant plus que la génération qui vient n’aura pas eu l’expérience d’un autre langage que celui de la technique, ou presque. Nous pourrions craindre que La Boétie n’ait raison lorsqu’il écrit : « Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais ceux qui viennent après servent sans regret, et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. C’est cela, que les hommes naissant sous le joug, et puis nourris et élevés dans le servage, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés ; et ne pensant point avoir autre bien ni autre droit que ce qu’ils ont trouvé, ils prennent pour leur naturel l’état de leur naissance [31]. »
20 […] Et si aujourd’hui notre naïve joie de vivre, notre raison critique, notre conscience morale, nos valeurs humanistes se voyaient menacées par un nouveau totalitarisme, par le pouvoir suprême des techniques elles-mêmes, transformant leur exécution en technofascisme ? Non pas que la technique soit en elle-même diabolique, pas davantage que ne le sont la science ou le « marché », mais l’usage que nous en faisons par « efficacité » – ce qui est déjà du langage de machine – et par « économie » – ce qui est déjà un choix de valeur en faveur de la marchandise – conduira à un nouveau totalitarisme, avec ses fanatiques, ses hypocrites, ses lâches, ses profiteurs, mais aussi ses « remontrants », ses martyrs et ses héros. L’orthodoxie technofasciste menace aujourd’hui notre avenir, elle nous incite insidieusement mais férocement à renoncer à la sagesse, à la « forme épique de la vérité » que constituait notre goût de raconter et de partager le sensible, la saveur des expériences.
21 […] La rationalisation morale et psychologique des comportements s’appuie en permanence, au cours des décennies qui suivent la publication de ce pamphlet visionnaire du républicain Poulot, sur la mécanisation et l’innovation technique. La réorganisation du travail et la recomposition des tâches et traditions des métiers ne feront que s’accroître au siècle suivant, jusqu’à tendre, de nos jours, à une rationalisation totalitaire de l’existence par les dispositifs techniques. Non sans risquer de provoquer, en réaction à ce technofascisme, des violences terroristes se revendiquant des religions traditionnelles, portées à l’incandescence des intégrismes, connectées aux entreprises sectaires, mafieuses et délinquantes. Mais il n’empêche : le système technicien se révèle chaque jour davantage comme un guide normatif des conduites tel que le rêvait au xixe siècle l’ingénieur Poulot.
22 Ce guide normatif a acquis, avec la mondialisation, une dimension irréversible et universelle, conduisant certains zélotes des nouvelles technologies, tel Laurent Alexandre, à imaginer une « société de l’Intelligence artificielle [32] ». Avant même la greffe de « nanorobots » sur le corps pour rendre l’homme plus performant, la « machine » est apparue, dès le début de sa fabrication industrielle, comme un dispositif de contrôle moral et psychologique des comportements.
23 […] L’histoire se répéterait. La récurrence des violences et des anomies sociales vérifierait la damnation freudienne, damnation selon laquelle l’Empire de la répétition envahit l’espace des hommes quand son règne n’est plus limité par les forces d’Éros. Qu’est-ce qui fait que le royaume d’Éros s’arrête à un moment donné aux portes de la pulsion de mort ? Le trauma. Telle est la réponse de Freud. Qu’est-ce qui produit le traumatisme ? Une expérience à laquelle le sujet n’est pas préparé, pas suffisamment dans tous les cas, et qui déborde les possibilités du psychisme de parer à l’excitation. Une expérience qui exige trop du psychisme, et qui, par suite d’un facteur quantitatif provoque des réactions inhabituelles, pathologiques. Le risque alors est qu’au niveau singulier comme au niveau collectif le sujet ne se mette en « pilotage automatique », en reproduisant sous les effets de la contrainte de répétition ce qui avait produit la souffrance. Il suffit bien souvent pour que ce « refoulé » fasse retour que les forces qui permettaient son refoulement soient affaiblies, ou que dans un vécu récent, à un moment donné, des impressions analogues détiennent le pouvoir de le réveiller. Alors, écrit Freud, « le récent se renforce de l’énergie latente du refoulé et le refoulé parvient à agir derrière le récent avec l’aide de celui-ci [33] ».
24 […] Les civilisations, à l’instar des individus, ne seraient-elles pas vouées à répéter le trauma d’expériences insuffisamment élaborées ? Depuis le début de leur histoire, les libéralismes semblent avoir laissé en jachère la question fondamentale de la gouvernementalité de l’individu dans son rapport au vivre ensemble, question qui au moment de certaines crises fait violemment retour. Adapté aux exigences de la production, le management des individus en saison libérale échoue à régler les problèmes politiques qui surgissent. L’œuvre d’Hannah Arendt, mieux que toute autre, nous a appris que les crises politiques inhérentes aux libéralismes ne sauraient se satisfaire des modèles de gestion et d’administration qui suffisent en temps normal à la régulation sociale du monde du travail. Ces modèles, la plupart du temps, ne font que reproduire les conditions d’émergence des crises politiques. Si l’accroissement du prolétariat se révèle indissociable de sa paupérisation lors des révolutions industrielles, les crises politiques qui surgissent de cet état social ne sauraient être réglées par les moyens mêmes qui les ont produites, c’est-à-dire par l’économie et l’industrie. La crise politique exige une capacité d’innover dont sont dépourvus justement les modèles sociaux et culturels qui l’ont provoquée. C’est le point crucial où la crise peut conduire aussi bien à la catastrophe qu’à l’innovation politique, au désert qu’à la liberté.
25 Hannah Arendt a rendu compte de l’atmosphère sociale et du climat culturel au sein desquels émerge le totalitarisme en Allemagne. Aux horreurs de la Grande Guerre succède un mécontentement général, une désillusion brutale des idéaux factices du libéralisme, de sa fausse sécurité, de sa fausse liberté, de sa fausse culture égalitaire et universelle. C’est la même inquiétude que celle qui porta Karl Lueger au pouvoir à Vienne en 1895, et qui fournit à Adolf Hitler les masses dont il avait besoin pour détruire la démocratie. L’un comme l’autre ne firent qu’agglutiner autour de l’abject noyau antisémite la crise générale des valeurs et des pratiques culturelles.
26 […] Aujourd’hui où les théofascismes rivalisent avec les technofascismes, se renforçant réciproquement, nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas à la veille de nouvelles tragédies de l’histoire.
27 […] Les totalitarismes politiques et culturels naissent d’un besoin, à un moment donné et dans une société donnée, de faire « bouger les choses ». Et ils les font bouger, souvent pour le pire.
28 […] L’actualité le démontre tous les jours : l’illusion de civilisations ou de religions clairement définies, aux contours stables, aux frontières suffisamment hermétiques pour justifier des affrontements et désigner des adversaires, participe de la recherche d’« idées dictatoriales », pour reprendre l’expression de Paul Valéry, à même de donner un lieu, un ordre, une cohérence, un sens, à ce qui s’est trouvé pulvérisé dans notre cybermonde. La « liquidité » de notre vie sociale fabrique une nécessité d’essentialiser des phénomènes pour répondre au besoin de causalité des individus et des populations. Que ce soit sous la bannière de la « race », du « peuple », de l’« islam », de l’« Occident », de la « religion » ou de l’« ethnie », la radicalisation communautaire ou tribale procède d’un besoin de fonder des règles et de trouver des signifiants qui donnent un sens à des existences malmenées par les nouvelles normes du marché mondialisé. La peur est préférée à l’effroi. Face au chaos du monde, à la dislocation des sociétés, à la mise en cause de la souveraineté des nations, des processus de « tribalisation » se mettent en place, procédant par des rites initiatiques comparables à ceux des sectes et des gangs.
29 […] Aujourd’hui comme hier, les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets, et, selon la formule de Lacan, « le racisme a un bel avenir ». Que ce racisme procède de critères religieux, ethniques, nationaux ou tribaux, il risque, face au chaos, de renouer avec les vieilles recettes de la discrimination et de la stigmatisation. La recomposition des frontières, le démembrement des géographies sous l’impact des nouvelles technologies du temps réel, la liquidité des foules et des réseaux rendent d’autant plus forte l’attraction des racismes, et d’autant plus difficiles leur repérage et leur pérennité. Spirale infernale qui risque de conduire à la victoire des forces de discorde si nous ne nous donnons pas le temps et les dispositifs pour traiter le mal à la racine. Et je le redis, encore et encore : le mal provient de l’incapacité des libéralismes successifs à conjuguer le pluriel et le singulier, la tradition et la modernité.
30 […] Comment redonner à la vie humaine les conditions matérielles et symboliques, multiples et infinies, de s’exprimer dans la pluralité des cultures et la singularité des existences ?
Notes
-
[1]
Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à Aix Marseille Université ; chaire de philosophie « psychanalyse et gouvernement des individus », École des sciences philosophiques et religieuses de l’université Saint-Louis à Bruxelles (2015-2016).
. Extraits de L’individu ingouvernable (2015) publiés avec l’aimable autorisation des Liens qui libèrent (lll). -
[2]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » (1937), dans Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, Puf, 1985, p. 263.
-
[3]
Quand bien même il l’avait déjà énoncé dix ans plus tôt, en 1925, dans « Préface à Jeunesse à l’abandon », dans Œuvres complètes. Psychanalyse XVII, Paris, Puf, 1992, p. 161.
-
[4]
É. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Fayard, 1994.
-
[5]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », op. cit., p. 265.
-
[6]
R. Gori, La preuve par la parole (1996), Toulouse, érès, 2008.
-
[7]
S. Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », op. cit., p. 265.
-
[8]
S. Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen (1941), Paris, Le Livre de poche, 1993, p. 351.
-
[9]
M. Foucault, L’herméneutique du sujet (1982), Paris, Gallimard/Le Seuil, 2001.
-
[10]
Ibid., p. 37.
-
[11]
P. Manent, Les métamorphoses de la cité, Paris, Flammarion, 2010.
-
[12]
Camille Laurens écrit : « On ne naît pas humain, on le devient. Et ce qui peut aider à cette conquête, me semble-t-il, c’est l’étude de tout ce qui nous est propre – hommes et livres, œuvres humaines – et qu’on nommait d’un mot si beau, autrefois, maintenant désuet, quand on disait : faire ses humanités. » C. Laurens, Le Grain des mots, Paris, pol, 2003, p. 33.
-
[13]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future (1886), Paris, Gallimard, 1993.
-
[14]
La Vie moderne est le titre de l’hebdomadaire luxueux dans lequel L’Ève future fut publiée entre le 18 juillet 1885 et le 27 mars 1886.
-
[15]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 121.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
A. Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, 1951.
-
[18]
A. de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 126.
-
[19]
Ch.-É. Bouée, Confucius et les automates, Paris, Grasset, 2014, p. 104.
-
[20]
N. Negroponte, L’homme numérique, Paris, Robert Laffont, 1995.
-
[21]
En décembre 2014, Rue 89 s’interroge sur ces machines qui jugent à notre place : « De plus en plus, on commence à utiliser des algorithmes dans des domaines où il n’existe pas de “bonne réponse”, mais uniquement des arbitrages subjectifs. Google affirme qu’il nous montre les résultats de recherche les plus pertinents. Facebook vise à afficher ce qui est le plus important. Mais comment savoir ce qui est pertinent ? Ce qui est important ?
Il existe des formes d’automation et des algorithmes qui s’appliquent dans des domaines où il existe une bonne réponse. Mais ceci n’a rien à voir : nous assistons à la naissance d’une nouvelle ère, celle des machines capables de juger. Ces machines ne se contentent plus d’ordonner rapidement des bases de données, ou de faire des calculs mathématiques : elles décident de ce qui est “meilleur”, “pertinent”, “approprié”, “dangereux”.
C’est une chose de demander à un ordinateur la réponse à une équation factorielle, ou la façon la plus rapide d’aller d’un point A à un point B. Mais c’en est une autre de laisser un ordinateur choisir qui est le plus “pertinent” parmi nos amis, quelle information est la plus importante, qui nous devrions engager (ou virer). » « Les machines jugent à notre place, et ça va nous faire flipper », Rue 89, 21 décembre 2014. -
[22]
R. Gori, La dignité de penser, Paris, lll, 2011 ; La fabrique des imposteurs, Paris, lll, 2013 ; Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? Paris, lll, 2014.
-
[23]
R. Barthes, Leçon. Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, Paris, Le Seuil, 1978, p. 14.
-
[24]
John Langshaw Austin nomme « performatifs » les énoncés de langage qui produisent les actions qu’ils énoncent. Dire « je t’aime » n’est pas un acte de langage qui se contente de décrire, mais qui produit ce qu’il énonce. Par la suite, Austin en vient à considérer que tout acte de langage détient un certain degré de performativité. J.L. Austin, Quand dire, c’est faire (1962), Paris, Le Seuil, 1970.
-
[25]
R. Barthes, Leçon, op. cit., p. 16.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Le Monde, 2 août 2014, souligné par l’auteur.
-
[28]
Comment ne pas évoquer ici l’ouvrage si pertinent de J.-Cl. Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Paris, Le Seuil, 2003 ?
-
[29]
R. Gori, Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ?, op. cit.
-
[30]
Le Monde, août 2014, souligné par l’auteur.
-
[31]
É. de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1577), Paris, Vrin, 2002, p. 35.
-
[32]
Dans Le Monde du 14 janvier 2015, Laurent Alexandre rapporte l’inquiétude de certains chercheurs face à la fabrication de systèmes d’Intelligence artificielle qui, d’ici à 2045, raisonneraient, penseraient et feraient mieux que l’intelligence humaine. La riposte face à cette invasion du monde humain par l’ia, conduisant à la modification profonde des organisations sociales, serait le cyborg, humain augmenté grâce à la greffe de prothèses intracérébrales.
-
[33]
S. Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939), Paris, Gallimard, 1986, p. 189.