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Article de revue

Droitier ou gaucher ? Sacrifice aux horribles mères

Pages 191 à 207

Notes

  • [1]
    Les francs droitiers ont l’ensemble d’un hémicorps plus tendu, un peu plus musclé, et certains tanguent même légèrement à droite lorsqu’ils marchent.
  • [2]
    La localisation du cœur, ou du foie, par exemple, ne s’acquiert pas dans un processus.
  • [3]
    La latéralisation du cerveau présente une certaine plasticité. En cas d’accident et avant un certain âge, une aire peut se déplacer et se reconstituer ailleurs (Cf. les travaux de Sperry).
  • [4]
    Les droitiers comme les gauchers ont en général les mêmes latéralisations cérébrales, et les Japonais sont majoritairement droitiers.
  • [5]
    Les travaux de Corballis (1980), de Harris (1983), de Bradshaw et Rogers (1993) ou de Hopkins et Rönnqvist (1998) font dépendre la latéralisation du corps du partage des fonctions entre les hémisphères droit et gauche.
  • [6]
    Dès 1890, Baldwin fit passer à sa fille Hélène quelques deux mille essais pendant quatre mois. Vers 7 et 8 mois, elle marqua une préférence droitière qui fut confirmée à 13 mois.
  • [7]
    Mais si la gaucherie parentale influence la fréquence des bébés gauchers entre 6 et 13 mois, elle n’agit qu’à travers la latéralité de leur mère (Harkins et Michel, 1988).
  • [8]
    Les animaux ne font pas ce choix – ou à peine, pour les grands singes : ceux qui savent se reconnaître dans un miroir.
  • [9]
    Freud a employé ces deux termes : refoulement et rejet pour décrire le destin de la pulsion. Ce rejet est une projection au dehors, déjà décrite dans le chapitre I de la Métaspychologie, alors que dans le chapitre II, il s’agit de refoulement. Dans Die Verneinung, Freud use seulement du mot rejet (Austossung).
  • [10]
    Dans les rêves comme dans les hallucinations proprement dites.
  • [11]
    Bien évidemment, ce qui se met en boucle, ce n’est pas l’objet de la pulsion, mais des représentations de choses !
  • [12]
    Sauf dans les hallucinations.
  • [13]
    Dans Die Verneinung, Freud a souligné cette fonction de jugement qui accompagne le mouvement de la pulsion.
  • [14]
    C’est pourquoi les objets sont curieusement masculins ou féminins : signe déplacé de l’anthropomorphisme.
  • [15]
    Même dans les exceptions hallucinatoires de la psychose.
  • [16]
    Car nous avons l’habitude – pour des motifs d’état civil secondaires – de réduire le nom au patronyme, alors que le nom propre, c’est aussi bien le prénom (donné) que le patronyme (reçu) ou que le surnom (acquis). Pourtant, du point de vue de la puissance symbolique, le nom donné par les parents (le prénom) surclasse le nom reçu, qui ne fait ses preuves qu’à l’heure de l’Œdipe et de la sexualité génitale. Il est des enfants qui peuvent vivre sans patronyme, ou plus exactement, leur patronyme manque de légitimité. Mais aucun ne survivra sans prénom.
  • [17]
    Pour paraphraser la berceuse enfantine.
  • [18]
    Il fonctionne comme une sorte d’objet transitionnel, dans lequel ce sujet reconnaît son propre, plus propre que la matérialité de l’ours en peluche, cet autre don grâce auquel il s’aime aussi.
  • [19]
    Peut-être cette importance symbolique de l’appel du nom paraît-elle invérifiable pour le nourrisson. Mais après tout, la sorte de répétition générale de la relation à la jouissance du rapport sexuel fait aussi bien preuve : est-il facile de jouir avec quelqu’un dont on ne peut prononcer le nom ? Jouir de son propre corps sera d’autant plus facile que l’on peut s’en tenir à distance en étant appelé par son nom, et donc s’approprier cette étrangeté d’un plaisir qui vient de l’autre. Ainsi se subjective une jouissance qui, sinon, prendrait le risque de la dépersonnalisation (risque ordinairement évité grâce à l’inhibition de l’orgasme).
  • [20]
    Appeler quelqu’un par son prénom, c’est lui ouvrir la porte d’un lui-même dont il peut jouir. C’est-à-dire de lui-même comme d’un autre : c’est lui.
  • [21]
    À partir du carrefour « oral », les pulsions « objectives » se branchent sur les symptômes du corps, en conjonctions disjonctives avec les pulsions subjectives qui peuvent les libérer. Non seulement la voix peut écrire des équivalences avec les autres pulsions, mais, de plus, elle sait se libérer d’elle-même, en associant les sons entre eux dans une suite de signifiants, qui, en s’enchaînant, refoulent la pulsionnalité. Si dans la cure analytique, le corps de l’analyste à qui l’on parle est dérobé à la vue, les mots tendent alors à s’associer, non selon le sens et la pensée, mais selon leurs évocations pulsionnelles, dénouant ainsi les fixations symptomatiques du corps, elles aussi pulsionnelles.
  • [22]
    Dans la mesure où sa mère lui reconnaît sa place de sujet en l’appelant par son nom, l’enfant emprunte en contrepartie sa langue. Le nourrisson avait déjà sa langue privée : les représentations de choses de ses rêves. Il les échange maintenant contre les représentations de mots de la langue commune. Dans ses vocalises grammaticalisées, la voix se sémantise, seule pulsion à savoir le faire, de sorte que l’oral (la nourriture) après avoir transité par l’oral (le babillage) passe à l’oral (le verbal). La mise en tension grammaticale du signifiant prévaut ainsi sur la pulsionnalité sonore, fil à plomb de la conscience qui le sépare de ce monde à prendre. De même que l’enfant jubile devant le miroir à l’énoncé de son nom, lieu à partir duquel il se reconnaît.
  • [23]
    Cf. Pourquoi Papa et Maman R. Jokobson. Langage enfantin et aphasie, Paris, Minuit.
  • [24]
    « Cette nuit que l’on peut voir dans le regard de tout homme », écrivit Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit.
  • [25]
    Ne parle-t-on pas toujours avec quelqu’un que l’on voit, au point d’avoir souvent l’impression de ne pas se comprendre, lorsque le regard ne ponctue pas la parole ?
  • [26]
    Dans un congrès, si quelqu’un parle de la salle avec un micro qui disperse la sonorité, on comprend mal ce qu’il dit tant qu’il ne lève pas la main et qu’on ne le voit pas.
  • [27]
    De même que dans la grande crise d’hystérie à la Charcot, la dextre – masculine – arrache les vêtements que la main gauche cherche à recouvrir la nudité.
  • [28]
    La fonctionnalité de l’hémisphère de la sensation – pulsionnel, ou encore maternel – est sacrifiée, et cela, au rythme du refoulement de la pulsion. La symbolisation cérébrale sera ainsi privilégiée à gauche, et par voie de conséquence, l’habileté fonctionnelle à droite – mais seulement une fois passé le cap de la reconnaissance du regard.

1« Droitier » ne signifie pas seulement une plus grande habileté de la dextre, mais aussi l’exécution par cette main de tâches que l’autre ne saurait accomplir. Elle ne se limite pas non plus à cette fonction manuelle : un hémicorps entier s’embarque dans cette dissymétrie [1]. Cette latéralisation du corps humain pose une énigme depuis toujours. Pour Platon, elle résultait de l’éducation, alors qu’Aristote la considérait comme irréductible aux influences de l’environnement. Ces deux points de vue n’ont cessé de s’opposer depuis, et leur traitement scientifique – initié par Darwin – n’a pas éclairci le mystère, plutôt épaissi par la somme des hypothèses génétiques ou neurophysiologiques.

2Toutes les dissymétries organiques du corps ne méritent pas une égale attention [2]. En revanche, la répartition des aires du cerveau correspond à une latéralisation, comme le montre le fait qu’elle ne soit pas régulière selon les cultures [3]. On note une latéralisation à gauche de l’aire du langage dans les cultures dont la phonétique est discriminée par la consonne (c’est-à-dire la plupart des langues) alors que, quand la voyelle prend une certaine extension, cette localisation se présente différemment (comme en japonais). Cette répartition en fonction de la structure phonétique assure que la latéralisation dépend de l’audition des sonorités langagières. Il n’en va pas de même pour la latéralisation du corps, qui lui est postérieure [4] : les gauchers ont une aire du langage située à gauche, comme les droitiers. En effet – on va le montrer –, la latéralisation du corps attend pour s’installer le jeu d’une autre pulsion que l’oralité, la pulsion scopique, selon une coordination vision/préhension. On fera donc l’hypothèse que, si l’on veut faire correspondre ces deux latéralisations acquises – cérébrale puis corporelle –, il faut examiner l’articulation de la pulsion invoquante à la pulsion scopique. Cette articulation existe dans le stade du miroir tel qu’il est décrit par J. Lacan, puisque l’enfant se reconnaît dans l’image lorsqu’il est appelé par son nom.

3Cette même articulation a été étudiée par de nombreux auteurs d’un point de vue organiciste [5]. Certains chercheurs font même remonter au code génétique dans le cytoplasme de l’œuf avant sa fécondation un gradient gauche/droite, dont procéderait un développement plus précoce de l’hémisphère gauche. D’où une dominance gauche pour le langage, puis pour l’habileté manuelle. Selon d’autres auteurs, la testostérone développerait chez les garçons une préférence hémisphérique gauche qui expliquerait le plus grand nombre de gauchers du côté masculin. Mais ces éléments génétiques ou hormonaux sont peu probants, et, de plus, aucun chercheur ne s’est demandé pourquoi l’usage prévalent de la main droite devrait dépendre de la latéralisation de l’aire du langage à gauche !

4Encore des lacaniens sans le savoir…

5En revanche, les études sur l’environnement après la naissance emportent plus volontiers l’adhésion [6]. De nombreux travaux, par exemple ceux de Nagamichi et Tadeka (1995), montrent l’influence du portage de l’enfant du côté gauche par les mères ; mêmes lorsqu’elles sont gauchères. De même, le modèle parental d’une main préférentielle est contagieux [7]. La concordance entre la main utilisée par l’enfant et par sa mère augmente entre 7 et 11 mois, lorsque les enfants jouent, assis sur les genoux de leur mère (Michel, 1992). C’est bien dans une situation en miroir que cette concordance s’établit, et le jeu assure que l’intersubjectivité a alors un rôle de premier plan. Cette observation corrobore des études encore plus précoces qui montrent l’importance du côté du regard stimulé pendant l’allaitement.

6Il existe un modèle non génétique de la latéralisation développé par Previc depuis 1991. La position du fœtus in utero, identique dans les deux tiers des cas, entraînerait une prévalence de l’audition à gauche, d’où une latéralisation du cerveau en conséquence. Mais, pour que ce modèle explique la latéralisation fonctionnelle du corps, il faudrait qu’il soit suivi d’effets dès la naissance, ce qui n’est pas démontré. Ce modèle a pourtant l’avantage de résoudre une contradiction : d’un côté, la latéralisation est acquise dans le rapport aux parents, mais en même temps, la droite est prévalente comme s’il s’agissait d’une programmation organique ! Il aurait pu se faire que, dans quelque îlot reculé de Mélanésie, l’usage de la main gauche ait prévalu – mais tel n’est pas le cas. Une telle universalité se vérifie dans toutes les cultures au point que la droiterie a partout été considérée comme orthodoxe (ou même comme un signifiant paternel), alors que le gaucher a toujours été suspecté d’hérésie.

7Si nous ne pouvons comprendre tout de suite pourquoi la latéralisation s’acquiert au cours du développement – alors qu’elle est privilégiée majoritairement et partout d’un seul côté –, considérons plutôt un fait majeur : une moitié du corps est sacrifiée, alors qu’elle pourrait ne pas l’être. Pourquoi, en effet, l’être humain renonce-t-il à des potentialités aussi importantes d’un côté que de l’autre à la naissance [8] ?

Le refoulement originaire instaure entre nous et nos perceptions une symétrie croisée

8Soulignons d’abord une caractéristique de la pulsion : on ne saurait confondre la demande de l’Autre maternel et la pulsion qui en procède sans doute, mais qui s’autonomise presque aussitôt après la naissance. La demande maternelle s’étaye sur les besoins de l’enfant : son but phallique donne au corps son irréalité hallucinatoire. Cependant très vite – entre l’étayage sur un besoin du corps et la demande psychique de phallus –, la pulsion initie son propre circuit.

9Tout commence avec le refoulement – ou plutôt le rejet [9] de la pulsion au point où la demande maternelle devient impossible à satisfaire. Ce rejet de la demande se produit à un moment facile à repérer, lorsque la mère insiste un peu trop, par exemple, au moment où le nourrissage tourne à la tentative de gavage. Avant ce moment – et tant que c’est lui qui prend –, le sujet se prête volontiers. Mais prêter n’est pas donner ! Et la première tentative de forçage maternelle entraîne un refus ou un vomissement, puisqu’il cesse d’être ce sujet qui prend pour devenir un objet pris. Il rejette, donc, pour rester un sujet. Pourtant, ce qu’il a rejeté lui fait retour aussitôt, car il n’aurait pas dû le faire. La pulsion revient sur lui comme une balle attachée par l’élastique de sa culpabilité. Elle se met dès lors en boucle sur une orbite indépendante selon une sorte d’autonomie du corps psychique, désormais irréductible.

10Un événement excessif – donc traumatique – s’est produit. Ce que l’enfant rejette, c’est une représentation de lui à laquelle il ne saurait satisfaire sans cesser d’être un sujet. Fait majeur dans le cadre de cet article, cette part idéale rejetée n’a en elle-même aucune consistance, puisque elle concerne une impossible demande psychique – en elle-même irreprésentable et innommable. Ce sont donc des événements périphériques qui actualisent ce virtuel – des représentations de choses –, des représentants de la pulsion au moment traumatique de son refoulement, source pour toujours de la dimension hallucinatoire du désir [10]. Dès la naissance et à partir de ce rejet, le moteur perpétuel du rêve se met en route [11]. C’est un monde du dehors – les restes diurnes – qui anime la puissance hallucinatoire du rêve. Au moment du trauma par excès de la demande, telle sensation de cet instant, une odeur, une couleur, un bout de tissu, sera le support anthropomorphe du rejet – représentation de chose – à partir duquel la pulsion entame sa giration autonome, presque impersonnelle. Son trajet vers l’extérieur procède du rejet, et son retour vers le sujet est proportionnel à sa culpabilité. Le sujet est coupable d’avoir rejeté la demande maternelle. Le moteur de la pulsion fonctionne à la faute, sa perpétuelle étincelle.

11Remarquons que le monde est ainsi investi par la sorte de part de nous-mêmes que nous y avons rejetée. Nous sommes donc situés en miroir par rapport à cette part, face à un double qui nous reflète : une sorte d’ange gardien si l’on veut, qui se localise à chaque instant à hauteur de notre regard. Mais ce fantôme de nous-mêmes n’est pas positionné n’importe comment dans l’espace : il nous fait face, et le faisant il nous inverse, résultat plus manifeste si nous sommes confrontés à un véritable miroir : si – par exemple – nous essayons de nous couper nous-mêmes une mèche de cheveux. Depuis le premier ours en peluche, l’anthropomorphisme de la perception se trouve ainsi toujours déjà dupliqué selon la physique du miroir. Nous nous « voyons » en miroir en toute chose, qui est investie d’une part animiste de nous-mêmes. Ce rapport en reflet n’est qu’un cas particulier du stade du miroir, décrit par Lacan. C’est un reflet « psychique » que nous ne voyons pas avec nos sensations [12], comme le montrent l’anthropomorphisme des premiers dessins d’enfants, ou l’universalité de l’animisme religieux. Nous ne voyons jamais le réel comme les animaux : ils le voient directement, alors que nous l’apercevons – non seulement investi par un double de nous-mêmes, mais de plus selon une symétrie inversée (c’est pourquoi nous nous reconnaissons dans un miroir, contrairement aux animaux).

L’aller-retour pulsionnel latéralise la relation au monde

12Le rapport au monde succédant au refoulement nous coupe à la verticale en deux moitiés qui sont dans une symétrie croisée, bien qu’aucune préférence ne soit encore donnée à un côté plutôt qu’à l’autre. À cette symétrie, il faut rajouter l’asymétrie de la boucle pulsionnelle qui va pousser le corps dans une latéralisation fonctionnelle soit droite, soit gauche.

13On l’a dit, le point traumatique, celui du rejet, est aussi celui où la pulsion inverse son trajet de dehors vers dedans en son contraire, point de fixation d’une représentation de chose. Et ainsi relancée au dehors, la pulsion va aussi loin – mais pas plus – que ce qu’autorise la culpabilité. La pulsion se met en boucle entre le sujet et la part de lui qui investit le dehors. Mais, bien plus ! Cette giration s’accompagne d’un jugement[13], puisque la première partie du trajet est « bonne » – dans la mesure où le rejet soulage le sujet – alors que l’autre moitié est « mauvaise », marquée qu’elle est par la culpabilité. La sensation du dehors se répartit ainsi entre du « bon » et du « mauvais », donnant pour toujours son sceau au goût. Le corps se partage entre les deux valeurs du phallus : être et néant – entre droite et gauche. Nous serions ambidextres, si l’aller-retour de la pulsion ne se faisait pas au rythme d’un jugement, départageant du bon et du mauvais. Le sujet refoule la pulsion en même temps qu’il s’en trouve latéralisé, et porte son jugement.

14Cette première latéralisation prend immédiatement de l’extension au rythme de l’identité de perception. En effet, chacune de nos sensations est aussitôt associée au souvenir d’une autre sensation par l’une de ses analogies. Nous ne percevons jamais rien sans aussitôt l’associer à autre chose, à vrai dire à n’importe quelle représentation, du moment qu’elle compte dans notre souvenir. Ainsi, ce n’est pas seulement le corps qui se latéralise au rythme de l’aller-retour pulsionnel, mais l’ensemble du monde. Il y a du bon (investi de la valeur « droite ») et du mauvais (investi de la valeur « gauche »). Le monde auquel nous faisons face nous mire en négatif, droitier ou gaucher [14]. Mine de rien, cette bouteille que j’attrape sur la table est droitière ou gauchère. Notre vision paraît tout uniment plate : elle est en réalité latéralisée dès que nous entrons dans un rapport d’emprise avec le monde.

Comment l’horrible mère devient une martyre

15Ce devenir de la pulsion est conditionné par l’excès insupportable d’une demande maternelle. Mais qui est cette horrible mère ? C’est l’Autre tel qu’il métamorphoserait son angélique nourrisson en son phallus ! Quoi de plus naturel alors que de rejeter la demande d’une telle mère, dès qu’elle exagère ? Cependant, une question se pose : pourquoi ce rejet n’est-il pas global ? Pourquoi le corps s’érogénéise-t-il malgré tout jusqu’à un certain seuil ? Le bébé tout entier devrait partir avec l’eau du bain ! Mais non, seul l’excès est rejeté. Quelque chose retient le sujet à lui-même : il ne part pas complètement dehors [15]. Oscillant entre l’acceptation et le rejet de la demande maternelle, où se trouve le sujet ? Aussi bien dehors que dedans, puisque il évolue au rythme de la boucle pulsionnelle. Lorsque quelqu’un est pris dans ses rêveries, par exemple, il part entièrement dehors.

16Et comment le rappeler sur terre, sinon en l’appelant par son nom ? Ainsi de l’enfant : l’appel de son nom le retient dans son corps. Au moment où l’excès de la demande le dépersonnalise, le pousse à partir en dehors de lui-même, il reste pourtant dans son corps, grâce au nom qui le protège – s’il lui est donné en même temps que l’ordre qui pourrait l’anéantir. Au moment où l’enfant n’obéit pas, il est interpellé par son nom (par exemple, lorsqu’il ne mange pas assez). Le nom lui fournit l’arme contre l’ordre qui lui succède. La caractéristique symbolique du nom donné – c’est-à-dire du prénom – apparaît ainsi [16]. C’est celle d’un premier don en vérité extraordinaire, puisqu’il est donné, et qu’il est en même temps propre au sujet.

17Le don symbolise en général la jouissance en jeu entre l’adulte et l’enfant. Il est la contrepartie inégale de l’incommensurable jouissance qu’offre l’enfant. « Do Do, l’enfant donne [17] » et s’endort de s’être donné. Comme sujet, il se réveille s’il peut s’activer sur un petit objet offert : il peut jouer au lieu d’être joui. Et le nom donné – lui aussi – est un jouet sonore. Le prénom fait médiation d’une jouissance objectivante, retournée en cette sonorité qu’il peut s’approprier [18]. Pourquoi le don du nom stabilise-t-il la boucle dépersonnalisante de la pulsion ? L’enfant se différencie de l’objet de la jouissance lorsqu’il est interpellé : ce qui arrive lorsqu’il ne satisfait pas, justement ! Cet appel signifie un écart entre son être joui (son objectivité, son corps pulsionnel) et le sujet nommé qu’il devient.

18Plus important encore : reconnu comme sujet à l’appel du nom, il peut alors jouir de lui-même comme d’un objet. Du haut de son nom, il profite de sa propre objectivation qu’il n’est donc plus obligé de rejeter en bloc. Il peut se donner grâce au symbole du prénom qui le garde [19]. Ce point de retournement de la jouissance la libère. Quelqu’un – quelqu’Autre – jouit de nous. Mais si, en même temps, il nous donne ce que nous avons de plus propre – le nom –, il devient possible de s’identifier à lui – qui jouit de nous [20]. Si l’Autre légitime notre subjectivité, nous jouissons de nous en train d’être jouis. Par la grâce du nom, certains enfants peuvent jouir d’être jouis, le sourire aux lèvres, alors que d’autres sont jouis : ils se débattent, crient, se refusent.

19On peut sans doute caractériser l’amour maternel comme cette reconnaissance intersubjective qui destitue l’Autre. La pulsion s’acharne à la réduction objective, et l’anonymat lui convient, alors que l’amour subjective une personne à chaque fois unique. Le « sentiment amoureux » couvre le destin de la pulsion telle qu’elle se renie dans la reconnaissance mutuelle. L’appel du nom le symbolise. Au commencement de la vie, le négativisme lutte d’abord contre l’objectivation pulsionnelle, mais du « non » au « nom », le sujet peut jouir de lui-même grâce à l’amour. Grâce à l’amour, la pulsionnalité anonyme se métamorphose en un manque qui en appelle au nom, sa parure derrière laquelle il n’y a rien. Le manque de l’amour centre la structure, et c’est à partir de lui que nous pouvons jouir de notre propre objectivation. L’amour est le point nœud de la structure, en tant que force de refoulement et de subjectivation de la jouissance. Sans le serrage de l’amour – ce point nœud du refoulement –, la pulsionnalité l’emporte. Nous devenons alors gauches, maladroits. L’amour nous rend étrangers à nous-mêmes, en dehors de nous, face à un autre auquel nous devons notre reconnaissance subjective. Nous sommes « à moitié » hors de nous, tel le loup pris dans un piège par l’une de ses pattes, et c’est cette patte piégée – la gauche – que nous sacrifions en nous latéralisant. Au manque de l’amour correspond la perte de fonctionnalité d’une partie du corps.

20Il faut s’y résoudre : les mères ne sont donc pas des monstres, sauf lorsqu’elles s’identifient au désir de l’Autre, circonstance où, en effet, certains enfants ne vivent que dans un négativisme complet, luttant contre leur propre dévoration. L’Autre, la mère, est peut-être d’abord cette horreur en train de nous instrumenter, mais à la condition de ce complet retournement de situation, c’est l’enfant qui jouit finalement de la mère : il en profite au maximum ! Il se délecte du pulsionnel dans l’espace du retournement. Il a failli être l’objet de la jouissance, mais, au bout du compte, sa mère devient cette chose à dévorer : en boucle transitive, il peut mordre à belles dents – jusqu’à la tyrannie – cette mère qui fut d’abord gavante et angoissante ! Il le fait dans la mesure où il occupe un poste de commande en dehors de son corps, c’est-à-dire s’il est situé langagièrement avant de prendre, ou encore, s’il porte son nom.

21Quelle est l’importance pour la latéralisation de ces remarques sur le nom ? C’est que – lorsque quelque accident symbolique met le nom en danger – sa mise en défaut va faire tourner sur elles-mêmes la droite et la gauche, selon ce qui s’appelle le vertige : le sujet désarrimé du nom tourne alors sur lui-même selon la giration de la pulsion.

En un coup d’œil, la pulsion s’oriente, puis se latéralise

22Le vertige – ce fait psychique souvent sous-estimé – signifie que la latéralisation ne tient pas son cap, tant qu’elle n’est pas vectorialisée. D’où vient cette orientation, qui commande notre équilibre, notre stature, notre marche que rythme le pas gauche, puis droite (etc.), notre secret balancier ? La clinique du vertige montre qu’il se produit à chaque fois qu’un accident symbolique quelconque (traumatisme, défection amoureuse, doute de la pensée, etc.) entraîne une régression pulsionnelle. Le vertige psychique se déclenche à partir de l’accrochage des perceptions par le regard, qui perd à ce moment sa latéralisation. C’est la position de la pulsion scopique qu’il faut donc d’abord examiner.

23Les pulsions peuvent se classer du point de vue de leur orientation dans l’espace : il y a celles qui entrent dans le corps et celles qui en sortent. Les modèles de cette entrée et de cette sortie sont l’oralité et l’analité. À ce couple de pulsions objectivantes s’en oppose un autre, qui est qualifiable de subjectif, car il ne répond pas de la demande par étayage sur le corps, mais de sa représentation psychique : c’est celui de la pulsion invoquante et scopique. Ces deux couples sont fermement articulés à partir de « l’oralité », grâce aux deux entrées que comporte ce terme : « oralité » représente, d’une part, ce qui s’ingère et, d’autre part, la voix qui est également« orale ». La nourriture a un sens qui la dépasse, et le cri l’articule : il se dédouble entre l’étayage nourricier qu’il appelle, et le sens phallique qui le dépasse : il est divisé entre oral et oral.

24L’oral – en tant qu’invocation – part du sujet : en ce sens, il peut être dit subjectif. L’oral et l’oral s’articulent intimement, car le cri qui sort par la bouche (invoquant) revient par l’oreille, mais transformé puisque il revient chargé de la demande de l’Autre (la nourriture). Sa propre voix revient à un enfant du dehors et cet Autre message lui fait peur. Un enfant commence souvent à pleurer pour un motif concret, mais rapidement, il pleure parce qu’il pleure. La voix qui lui fait retour du dehors vient bien de lui, mais elle revient chargée de la demande maternelle : ce qu’il entend est bien une part de lui, mais tel qu’il aurait dû être pour sa mère : c’est un moi idéal persécutant. Le sujet oscille entre dehors et dedans dans cet entre-deux hallucinatoire d’une demande toujours au-delà – tout du moins tant qu’il n’est pas appelé par son nom : car son appel dénote le lieu d’où vient le cri : c’est en ce sens que le nom – en apparence incorporel – est le lieu d’incorporation du corps. Le nom se mange et fait corps : il évite au sujet de s’envoler hors de lui-même avec ses propres cris. Manger son nom l’arrime et met fin à la giration vertigineuse de la pulsion [21].

Le visage, échangeur universel de la pulsion

25Mais l’appel du nom ne suffit pas : encore faut-il qu’il soit possible de lancer un grappin sur l’Autre, c’est-à-dire que son statut de sujet soit, lui aussi, nommé, et qu’il soit orienté et repéré dans l’espace. La mère échappe à son identification à l’Autre, lorsqu’elle reconnaît son enfance dans son enfant : elle le voit comme elle ne se souvient plus d’avoir été. Son regard sur son enfant la transporte jusqu’à cet elle-même enfoui. Et l’enfant lui aussi la voit se voir. Leur échange de regards installe la distance transitive de la reconnaissance. Une mère qui donne le sein à son enfant tête en même temps que lui, lui qui demande à être regardé ou qui – sinon – se refuse vite à être pris en prenant ce lait. Le refoulé de l’infantile maternel transite, tandis que la subjectivation du regard refoule pour l’enfant son objectivation, c’est-à-dire déjà son propre infantile. Et cette métamorphose se produit dans un espace latéralisé par le transitivisme du regard.

26L’invocation se vectorialise ainsi entre moi et toi, organisant une syntaxe bien avant que des mots prennent sens. L’enfant qui n’était d’abord qu’un « il » parlé par l’Autre, joue désormais du « je » au « tu ». Le corps se latéralise au fur et à mesure que la parole se grammaticalise, et que son sujet cesse de parler de lui à la troisième personne pour parler en son nom. Du « je » au « tu » – c’est-à-dire grâce au manque qu’engendre l’amour, cœur de la structure –, nous refoulons notre langage le plus privé, les représentations de choses hallucinatoires – au profit des représentations de mots [22]. Le sujet sort du « il » qui se divise entre le « je » et le « tu ». Mais où se trouvent ce « je » et ce « tu » en perpétuelle giration transitive ? Il leur manque encore la cristallisation du lieu d’adresse.

27À l’appel de son nom répond, du côté de l’enfant, l’invocation du seul vocable universel de la langue enfantine que continuent d’employer les adultes : les mots « papa » et « maman » qui dénomment le lieu d’adresse [23]. Mais ces appellations appartiennent – elles aussi – au registre vocal qui diffuse aisément, elliptique et sans linéarité. C’est ici que prend son importance le regard porté sur la personne qui est devenue lieu du manque. La voix s’envolerait en tous sens, si elle n’accrochait le vocable « maman » à un voir. Et ce « voir » porté par le nom se localise grâce au lieu d’émission de la voix, le visage, lieu électif unique, parce qu’il porte la dimension du manque, c’est-à-dire le trou du regard. Le regard de la mère posé sur l’enfant lui avoue son manque, dont il est l’objet. L’enfant peut donc se voir comme manque dans ce regard : il se reconnaît dans cette pupille qui fonctionne comme un minuscule miroir noir.

28Seul à le faire, le regard fait trou, à proportion du manque qu’il découvre. Dans le regard, le sujet se reconnaît comme manquant à être un « il », et rien ne l’amuse autant que de s’en être sorti d’un seul coup d’œil. Il se voit comme manquant : quel soulagement ! Le rire est le propre du sujet qui s’échappe. Ce qui manque, on s’en passe ! C’est notre propre objectivation pulsionnelle. La pulsion, c’est de la consommation grande surface, au contraire de l’amour, dont le manque résiste à la consommation. Ce manque de consommation pulsionnel crée un au-delà de la personne aimée, une rupture d’espace que son regard reflète parce qu’il nous reflète, nous sommes vus voyant, nous qui manquons, par cette échappée du regard à la surface du visage.

29On a longtemps pensé que les nourrissons ne voyaient rien après leur naissance. En réalité, ils laissent pendant longtemps tout en plan, sauf ce qu’ils aperçoivent par le trou du regard, qui leur avoue ce manque où ils reconnaissent le leur [24]. Le soleil, brillant pourtant à des millions d’années-lumière, est à la même distance que le visage qui est peut-être proche, mais pourtant porteur de notre infinité. À partir du trou du regard, la platitude du monde prend son épaisseur, au lieu même où porte et est portée la voix. La boucle pulsionnelle de la pulsion « voix » se vectorialise en ligne droite grâce au regard, qui lui donne cette orientation rectiligne. Et une fois ainsi orientée, la boucle se latéralise en faisant surface, à commencer par celle du visage. Les enfants que leurs mères ne regardent pas tardent à sortir de leur « il ». Par quel bout enfiler la langue maternelle tant que la voix se défausse du défilé des yeux ? Le trou du regard, point d’échappée de l’emprise et du corps à corps, instaure une bizarre communauté des solitudes. L’amour nous équilibre grâce à un échange physique de néants : il faut se voir.

30Par ce trou de serrure du regard, la surface plate du sensible prend brusquement sa profondeur, quatrième dimension du manque qui donne à l’univers sa tridimensionnalité. La vision du regard fonde le sujet dans son manque : il se voit tel qu’en lui-même il échappe à sa propre pesanteur. Grâce à l’échange de manque du regard ; la pulsionnalité sonore se subjective. Elle cesse de s’envoler de tous côtés, refoulant sa polysémie. La voix accroche son invocation au regard, chas du monde [25]. Si nous nous exprimons dans la langue de celui à qui nous parlons, et que nous le regardons, alors nous sommes en miroir par rapport à lui. Parler, c’est se quitter, pour se retrouver grâce à quelqu’un, donc latéralisé. Entre le regarder et l’être regardé, les manques se conjoignent en un seul, ponctuant la signification des phrases [26].

De la vision à la préhension

31De la mise en tension voix/regard s’établit un aller-retour entre deux sujets qui se font face. L’un parle grâce à l’autre, qui légitime sa subjectivité, et ce rapport en miroir obligé entraîne une latéralisation du corps. Notre corps aura été latéralisé dans l’aller-retour d’une voix légitimée par un regard : corps propre, au sens du corps que nous nous approprions, sans existence préalable. Comme corps, nous nous voyons parler grâce à l’autre. Au fur et à mesure que le sujet s’engage dans la parole, son corps se latéralise. La flèche qui va de la voix au visage subjective l’amour, dont le manque en présence impose une limite à la pulsion d’emprise.

32Finalement, cette latéralisation de la vision aura donc comme conséquence la préhension, qui va commander le choix forcé d’une main. Au cœur de la vision s’opère une scission, au creux de la boucle entre voir et être vu, dont procède l’acte de prendre ou d’être pris. Dans la boucle de la pulsion scopique, nous ne pouvons prendre le monde que par un seul côté du corps. L’autre moitié ne peut le faire : elle est prise. Être pris se sacrifie pour prendre, la gauche sauve la mise de la droite [27]. La latération actualise la pulsion d’emprise : une moitié du corps prend d’un côté, alors que l’autre moitié est prise, selon l’aller retour de la boucle pulsionnelle elle-même. Pour prendre, il faut se laisser prendre à moitié, conduite sacrificielle d’une moitié qui aurait pu être parfaitement fonctionnelle. La part anéantissante de la pulsion se retourne sur notre propre corps. Sacrifice rendu à l’horrible mère – qu’elle ait ou non existé : nous sommes des demi-suicidés, selon la logique sacrificielle de l’amour (si le don signifie quelque chose) tandis qu’au même moment – et d’une seule main ! – nous martyrisons notre aimable mère, sans faute, virginale [28].

33La latéralisation, on s’en doutait, est une succursale du stade du miroir, qui ne fait qu’exemplifier le rapport du sujet à la parole, dans laquelle il s’engage sous réserve d’y avoir été appelé par son nom – de même que le sujet se reconnaît dans le miroir, dans la mesure aussi où il est appelé par son nom lorsqu’il se voit. La relation au miroir nous latéralise obligatoirement (quiconque tente de se couper les cheveux lui-même s’en rend compte). Le stade du miroir, donne le modèle physique de la grammaticalité : il (je – tu). Dans le miroir, le sujet se voit comme « il » : du dehors. L’enfant rit sous les chatouilles de la grammaire. On ne peut se chatouiller tout seul, et le rire vient moins du contact physique que du moment d’échappée au rapt.

Jusqu’où avons-nous avancé ?

34Nous avons seulement examiné une question : pourquoi la latéralisation ? Mais la réponse apportée ne dit rien du privilège accordé universellement à la droite. On peut penser qu’un principe physiologique entraîne une certaine position majoritaire de l’embryon in utero, qui privilégie l’hémisphère cérébral gauche pour l’audition, et donc pour la latéralisation de l’aire du langage. Et sur cette base « orale », la latéralisation fonctionnelle du corps se coordonne plus tard scopiquement à la physique du miroir, soit en fonction d’une position « orthodoxe », correspondant à une conformité en miroir au désir de l’Autre. Soit en fonction d’une position « hérétique », qui amène à contrarier ce désir. Il existe déjà une abondante littérature sur la question dans la clinique des dyslexies. Elle montre que l’enfant sera d’autant plus « orthodoxe » que le désir de sa mère sera pacifié, et d’autant plus « hérétique » que cela ne sera pas le cas. La place respective qu’occupent symboliquement le père et la mère sera donc ici prévalente pour l’orientation de la latéralisation, soit en faveur de la droite, soit en faveur de la gauche.

Notes

  • [1]
    Les francs droitiers ont l’ensemble d’un hémicorps plus tendu, un peu plus musclé, et certains tanguent même légèrement à droite lorsqu’ils marchent.
  • [2]
    La localisation du cœur, ou du foie, par exemple, ne s’acquiert pas dans un processus.
  • [3]
    La latéralisation du cerveau présente une certaine plasticité. En cas d’accident et avant un certain âge, une aire peut se déplacer et se reconstituer ailleurs (Cf. les travaux de Sperry).
  • [4]
    Les droitiers comme les gauchers ont en général les mêmes latéralisations cérébrales, et les Japonais sont majoritairement droitiers.
  • [5]
    Les travaux de Corballis (1980), de Harris (1983), de Bradshaw et Rogers (1993) ou de Hopkins et Rönnqvist (1998) font dépendre la latéralisation du corps du partage des fonctions entre les hémisphères droit et gauche.
  • [6]
    Dès 1890, Baldwin fit passer à sa fille Hélène quelques deux mille essais pendant quatre mois. Vers 7 et 8 mois, elle marqua une préférence droitière qui fut confirmée à 13 mois.
  • [7]
    Mais si la gaucherie parentale influence la fréquence des bébés gauchers entre 6 et 13 mois, elle n’agit qu’à travers la latéralité de leur mère (Harkins et Michel, 1988).
  • [8]
    Les animaux ne font pas ce choix – ou à peine, pour les grands singes : ceux qui savent se reconnaître dans un miroir.
  • [9]
    Freud a employé ces deux termes : refoulement et rejet pour décrire le destin de la pulsion. Ce rejet est une projection au dehors, déjà décrite dans le chapitre I de la Métaspychologie, alors que dans le chapitre II, il s’agit de refoulement. Dans Die Verneinung, Freud use seulement du mot rejet (Austossung).
  • [10]
    Dans les rêves comme dans les hallucinations proprement dites.
  • [11]
    Bien évidemment, ce qui se met en boucle, ce n’est pas l’objet de la pulsion, mais des représentations de choses !
  • [12]
    Sauf dans les hallucinations.
  • [13]
    Dans Die Verneinung, Freud a souligné cette fonction de jugement qui accompagne le mouvement de la pulsion.
  • [14]
    C’est pourquoi les objets sont curieusement masculins ou féminins : signe déplacé de l’anthropomorphisme.
  • [15]
    Même dans les exceptions hallucinatoires de la psychose.
  • [16]
    Car nous avons l’habitude – pour des motifs d’état civil secondaires – de réduire le nom au patronyme, alors que le nom propre, c’est aussi bien le prénom (donné) que le patronyme (reçu) ou que le surnom (acquis). Pourtant, du point de vue de la puissance symbolique, le nom donné par les parents (le prénom) surclasse le nom reçu, qui ne fait ses preuves qu’à l’heure de l’Œdipe et de la sexualité génitale. Il est des enfants qui peuvent vivre sans patronyme, ou plus exactement, leur patronyme manque de légitimité. Mais aucun ne survivra sans prénom.
  • [17]
    Pour paraphraser la berceuse enfantine.
  • [18]
    Il fonctionne comme une sorte d’objet transitionnel, dans lequel ce sujet reconnaît son propre, plus propre que la matérialité de l’ours en peluche, cet autre don grâce auquel il s’aime aussi.
  • [19]
    Peut-être cette importance symbolique de l’appel du nom paraît-elle invérifiable pour le nourrisson. Mais après tout, la sorte de répétition générale de la relation à la jouissance du rapport sexuel fait aussi bien preuve : est-il facile de jouir avec quelqu’un dont on ne peut prononcer le nom ? Jouir de son propre corps sera d’autant plus facile que l’on peut s’en tenir à distance en étant appelé par son nom, et donc s’approprier cette étrangeté d’un plaisir qui vient de l’autre. Ainsi se subjective une jouissance qui, sinon, prendrait le risque de la dépersonnalisation (risque ordinairement évité grâce à l’inhibition de l’orgasme).
  • [20]
    Appeler quelqu’un par son prénom, c’est lui ouvrir la porte d’un lui-même dont il peut jouir. C’est-à-dire de lui-même comme d’un autre : c’est lui.
  • [21]
    À partir du carrefour « oral », les pulsions « objectives » se branchent sur les symptômes du corps, en conjonctions disjonctives avec les pulsions subjectives qui peuvent les libérer. Non seulement la voix peut écrire des équivalences avec les autres pulsions, mais, de plus, elle sait se libérer d’elle-même, en associant les sons entre eux dans une suite de signifiants, qui, en s’enchaînant, refoulent la pulsionnalité. Si dans la cure analytique, le corps de l’analyste à qui l’on parle est dérobé à la vue, les mots tendent alors à s’associer, non selon le sens et la pensée, mais selon leurs évocations pulsionnelles, dénouant ainsi les fixations symptomatiques du corps, elles aussi pulsionnelles.
  • [22]
    Dans la mesure où sa mère lui reconnaît sa place de sujet en l’appelant par son nom, l’enfant emprunte en contrepartie sa langue. Le nourrisson avait déjà sa langue privée : les représentations de choses de ses rêves. Il les échange maintenant contre les représentations de mots de la langue commune. Dans ses vocalises grammaticalisées, la voix se sémantise, seule pulsion à savoir le faire, de sorte que l’oral (la nourriture) après avoir transité par l’oral (le babillage) passe à l’oral (le verbal). La mise en tension grammaticale du signifiant prévaut ainsi sur la pulsionnalité sonore, fil à plomb de la conscience qui le sépare de ce monde à prendre. De même que l’enfant jubile devant le miroir à l’énoncé de son nom, lieu à partir duquel il se reconnaît.
  • [23]
    Cf. Pourquoi Papa et Maman R. Jokobson. Langage enfantin et aphasie, Paris, Minuit.
  • [24]
    « Cette nuit que l’on peut voir dans le regard de tout homme », écrivit Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit.
  • [25]
    Ne parle-t-on pas toujours avec quelqu’un que l’on voit, au point d’avoir souvent l’impression de ne pas se comprendre, lorsque le regard ne ponctue pas la parole ?
  • [26]
    Dans un congrès, si quelqu’un parle de la salle avec un micro qui disperse la sonorité, on comprend mal ce qu’il dit tant qu’il ne lève pas la main et qu’on ne le voit pas.
  • [27]
    De même que dans la grande crise d’hystérie à la Charcot, la dextre – masculine – arrache les vêtements que la main gauche cherche à recouvrir la nudité.
  • [28]
    La fonctionnalité de l’hémisphère de la sensation – pulsionnel, ou encore maternel – est sacrifiée, et cela, au rythme du refoulement de la pulsion. La symbolisation cérébrale sera ainsi privilégiée à gauche, et par voie de conséquence, l’habileté fonctionnelle à droite – mais seulement une fois passé le cap de la reconnaissance du regard.
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