Notes
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Mené à la médiathèque des Mureaux, dirigée par Leslie Thomas et Martine Boutre, désireuse d’ouvrir son espace aux mères des enfants abonnés, avec des femmes étrangères, Marocaines, Africaines de l’Ouest (Mauritanie, Sénégal, Sahel), Comoriennes, Antillaises, dans leur langue d’origine par : Ricardo Montserrat, écrivain ; Goutal, dessinateur-illustrateur, et autant de traducteurs que de langues présentes, notamment l’excellent conteur Amadou Ngam, et le poète Taïeb Nâfi’.
1 À l’annonce de la mort de Samba, Coumba ne pleura pas.
2 – Elle est folle.
3 Aucun pêcheur ne voulut se remarier avec elle. Isolée, méprisée, repoussée, elle sentit peu à peu la folie gagner son esprit. Pour de bon.
4 Cette folie était ancienne. Coumba avait 4 ans lorsque sa mère était morte. La douleur l’avait rendue folle. Son père s’était remarié avec une tante. La douleur ne l’avait plus quittée. Elle avait grandi avec des sœurs qui n’étaient pas de sa mère. Douleur et folie s’étaient incrustées au fond de ses yeux…
5 Bajjo alluma un feu au fond de la pièce. Elle sortit d’un balluchon une poudre couleur pourpre qu’elle jeta dans les flammes.
6 – Par les écorces du tamarinier, scanda-t-elle, par l’argile rouge de la grande termitière, Créatures de la Nuit, défaites ce que la mauvaise femme a fait, dénouez le sortilège que Dewel a noué !
7 … Son père était en train de battre sa mère. Par l’entrebâillement de la porte, la jeune fille vit tout ce qu’un homme peut faire à une femme quand la haine l’enflamme. Jamais elle n’aurait pu imaginer que celui qui la gâtait et la faisait jadis sauter sur ses genoux pût être aussi cruel.
8 – Si Mustafa, je t’en supplie, arrête !
9 Plus Lalla Fatima implorait la mansuétude de son mari et plus les coups tombaient avec rage, n’épargnant ni le visage ni le ventre de la pauvre femme…
10 Après dix ans de connaissance et quatre ans de mariage, le gentil avait fait remonter le mauvais, le taureau avait bondi à la plus petite occasion, le serpent avait tourné la tête dans tous les sens, le venin s’était mélangé à son sang de façon à ce que Bassir veuille la tuer, à ce que Bassir ne veuille plus la voir, ne veuille plus sentir son parfum.
11 Il est difficile de se séparer de celui dont on attendait chaque soir le retour et dont on aimait les caresses…
12 Il se débattait dans une jungle remplie de fauves et de monstres qui portaient les traits des femmes qu’il avait offensées, des fillettes qu’il avait entraînées dans les cages d’escalier, de sa femme qu’il avait délaissée, de sa propre fille qu’il avait abandonnée et qu’il reconnaissait maintenant. « Yasmina, pardonne-moi ! Yasmina ! » Il braillait, vociférait des mots sans suite en arabe, en kabyle, en français et dans une langue rauque qu’il ne connaissait pas.
13 Un fourgon de police fonçait vers lui, toutes sirènes hurlantes, mais Debaa n’entendait que les cris perçants de ses victimes. Des griffes acérées lui déchiraient le visage, des ongles ébréchés lui labouraient le corps, des mains osseuses le déchiquetaient, des dents glacées lui dévoraient le cœur et le foie. Croyant s’en débarrasser, il arrachait ses habits et les jetait au loin.
14 Mais souviens-toi que tu n’es pas une fille comme les autres. Tu n’appartiens pas à ce monde qui te fête aujourd’hui. Aucun de nous n’est digne de toucher la poussière du sol que tu foules. Tu es fille de roi. Tu es fille de l’Afrique. Tu ne t’appartiens pas. Tu appartiens aux femmes qui, ici et là-bas, pleurent sous les coups mais ne baissent pas les yeux devant leurs bourreaux. Tu es Ariane qui guide l’humanité vers la sortie du labyrinthe, laissant derrière elle le monstre décapité. Tu es le commencement et la… fin.
Un atelier d’écriture [1]
15 Ces femmes sont récemment arrivées en France et/ou en alphabétisation et sont prises en charges par deux associations, l’une d’alphabétisation « La vigne blanche », l’autre de formation (couture, cuisine), « Essence d’arts ».
16 Il s’agit de montrer que ces femmes qui s’expriment difficilement en français et, par là même, sont souvent méprisées et mal considérées ou qui n’osent pas sortir sont dans leur langue d’origine capables de démontrer savoir, expérience, talent, force. Et ainsi les aider à construire, reconstruire une identité mise à mal.
17 Mais aussi, dans une ville historiquement agitée par des racismes inter-communautés, notamment entre Arabes (premiers arrivés) et Africains, leur permettre de trouver un espace à l’intérieur duquel se rencontrer, échanger, confronter leurs points de vue, exprimer leurs différences, leurs points communs, de femmes, d’exilées, de musulmanes…
18 Le point de départ est simple : chacune raconte le souvenir qu’elle a de son premier contact avec le français, la langue française, les Français, la France. Ainsi, l’une d’elles raconte comment, en allant chercher de l’eau au puits à plusieurs kilomètres de sa maison, elle passait près de l’école où des élèves chantaient Fwèwejac. Une autre, comment une Française était venue en visite dans son quartier de Fez et avait en public cajolé son garçon comme aucune femme n’aurait osé le faire…
19 À partir de ces anecdotes se tisse une fiction racontant les destins croisés de femmes obligées de partir de leur pays d’origine, qui pour se marier en France, qui pour fuir la misère, qui pour fuir la tyrannie de la polygamie, qui pour s’éloigner d’un mari volage, qui pour fuir la violence d’un père, qui pour renouer les fils brisés d’une histoire familiale éclatée. Arrivées en France, après bien des malheurs, elles uniront leurs forces, s’entraideront et deviendront infirmière, cinéaste, styliste pour la haute couture…
20 Le dessinateur – qui joue le rôle du naïf – accompagne la fiction de dessins réalisés sur les indications des femmes, à partir d’objets, de photos, de souvenirs, qu’elles rapportent. Ces dessins à leur tour réveillent les souvenirs et permettent d’enrichir l’histoire.
21 Les bibliothécaires de la médiathèque alimentent à leur tour l’atelier en proposant beaux livres, films et dessins autour des thèmes traités. Les textes sont soit « dits » aux traducteurs qui les notent et les traduisent à haute voix, soit écrits à la maison avec l’aide d’une fille lettrée et lus plus tard sur l’atelier.
22 Les temps des lectures croisées qui ouvrent et ferment chaque séance sont essentiels, car ils suscitent commentaires, critiques, questions, mais surtout ouvrent sur de nouvelles histoires, de nouveaux thèmes, de nouveaux débats. Plus encore, chaque fois que l’une touche à un nouveau thème, elle autorise les autres à en parler. Ainsi, alors qu’elles avaient prévenu d’emblée qu’on ne parlerait de rien d’intime, quand l’une des Sénégalaises a commencé à parler de sexualité, les Marocaines se sont engouffrées dans la brèche et sont allées bien plus loin qu’elles n’auraient pu l’imaginer puisque qu’elles ont parlé de viol, de violences familiales, de polygamie, etc. Plus les histoires vont s’entre-tisser et plus les partages vont se faire. Sous prétexte de comparer leurs recettes de couscous, les unes vont inviter les autres à manger chez elles…
23 Une seule différence ne s’effacera pas dans le travail : les Africaines de l’Ouest remontent très loin dans le passé, y compris dans l’Histoire légendaire ou mythique pour raconter leurs heurs et malheurs alors que les Africaines du Nord ne remontent pas plus haut que leur enfance. Le pouvoir magique des mots est plus africain, la magie des images plus arabe…
24 En moins de neuf mois, elles viennent ainsi à bout d’un beau roman, Les Filles d’Ariane (Polel Jeeri), qui sera prochainement publié avec les illustrations, en français, arabe classique et poulard (langue peul). Il est signé par Aïcha Bouzit, Amina Marrakchi, Annick Luciathe, Diamilatou Guey, Fatima Zouhair, Fatima Kanoute, Fatma Hribelle, Fatoumata Diaw, Houria Nourine, Lbatoul Bourahla, Mariama Abdou, Mariem Diop, Malika Graij, Ouleye Sy, Tacko Doukoure, Rougui Diao, Rkia Badri, Saadia Bahraoui, réunies sous le nom collectif Babel.
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Mené à la médiathèque des Mureaux, dirigée par Leslie Thomas et Martine Boutre, désireuse d’ouvrir son espace aux mères des enfants abonnés, avec des femmes étrangères, Marocaines, Africaines de l’Ouest (Mauritanie, Sénégal, Sahel), Comoriennes, Antillaises, dans leur langue d’origine par : Ricardo Montserrat, écrivain ; Goutal, dessinateur-illustrateur, et autant de traducteurs que de langues présentes, notamment l’excellent conteur Amadou Ngam, et le poète Taïeb Nâfi’.