Couverture de CLARA_HS5

Article de revue

Nicolas Simon

Pages 218 à 249

Notes

  • [1]
    Dans mon village existait une briqueterie dont l’instituteur nous avait expliqué le fonctionnement. Plus tard, amené à construire près de l’église, je découvris en réalisant les fondations, dans l’argile d’apparence saine, compacte, des morceaux de briques cuites ! Un vieux de l’endroit me dit qu’on avait fabriqué sur place les briques de l’église, qui existait avant l’actuel édifice.
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Portrait

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Portrait

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl - Faculté d’architecture ULiège.

1La question la plus légitime pour commencer cet entretien sera aussi malheureusement la plus banale : qu’est-ce qui vous a poussé à faire des études d’architecture ?

2La réponse s’annonce complexe. Mon souvenir le plus lointain est le dessin que je fis, âgé de plus ou moins trois ans, d’un cheval, au verso d’une carte de Belgique, à un endroit précis – que je revois – de la maison de mes grands-parents maternels où j’étais né. Mon grand-père avait deux chevaux, un blanc et un noir.

3Ma mère, après des bonnes études primaires, était forte en arithmétique. Mon père préférait l’algèbre. Étant technicien issu de l’Ecole Mécanique de Liège, il avait travaillé à la fonderie des canons, ensuite à la Fabrique Nationale d’armes de guerre (FN à Herstal) où, après des séjours en ateliers, il était rentré au BTA, le « Bureau Technique des Armes ». Après que j’eus passé deux années à l’école primaire où je fus un cancre parfait qui ne faisait que dessiner, ignorant devoirs et leçons, mes parents (dont on avait ouvert les yeux) me prirent en main. Propulsé en troisième année chez « le maitre » et encadré par mes parents, le miracle eut lieu : je sortis premier de la classe. Quand je rentrais de l’école avec un problème de « calculs » c’était à qui de mon père, ma mère ou moi, l’aurait résolu le premier. Je pense que c’est alors que germa chez mon père l’idée de faire de moi un ingénieur.

4Durant mes loisirs, je fréquentais l’atelier de mon grand-oncle Alexis. Dans la famille de ma mère, il y avait deux menuisiers – des charrons – et un ébéniste. L’oncle Alexis était un des deux premiers. Il me mettait au travail et, dans un coin de son atelier, armé d’un « couteau à deux mains », je mettais en forme des rayons de roues d’énorme chars qu’il réalisait pour des fermiers du village et d’ailleurs. Je l’accompagnais parfois chez le Maréchal-ferrant, qui cerclait en fer les roues en bois.

5Une famille vint s’installer au village alors que la guerre touchait à sa fin. Un des fils était marin. Après avoir été mousse sur le Mercator, il avait fait la guerre d’Espagne sur une unité de la flotte belge. Il était beau comme Ulysse et épousa la fille de l’oncle Alexis. Il m’apprit des choses de la mer et me fit cadeau de son cahier de mousse à la couverture noire cirée. Je conçus de m’engager sur le Mercator, mais mon père s’y opposa et le précieux cahier disparut comme par enchantement quelque temps après. L’éducation que nous recevions était très marquée par la religion, qui prônait l’obéissance aux parents et à ceux à qui ils nous confiaient, le sacrifice, le renoncement, le travail et les interdits. J’obéis sans discuter.

6Mes talents en dessin et en peinture – huile et gouache – avaient impressionné la cheffe de l’école. Elle avait suggéré à mon père de m’inscrire à l’Académie des Beaux-Arts à Liège. Nouveau refus de mon père. J’entrai donc en Humanités modernes. Mon père, qui nous aimait tendrement, exigeait de moi la première place. Amen. J’étais bon en tout mais sans choix possible. Le professeur de maths, homme remarquable et admirable, nous préparait, avec d’autres candidats venus de l’intérieur, de Belgique mais aussi du Portugal et même de Russie, à l’examen d’entrée à l’Université et à l’école militaire. Mon père et lui s’accordaient sur bien de points.

7À cette époque, j’entrai en contact avec le professeur Hamal-Nandrin, Doyen de la faculté d’Histoire de l’ULg. C’était un homme affable qui organisait des fouilles sur le territoire de mon village natal Fexhe-Slins. Malheureusement il ne me fut d’aucun secours car c’était à l’anthropologie que je m’intéressais et cette discipline n’était pas enseignée à Liège.

8Lors d’un voyage à Rome en 1950, à l’occasion de l’Année Sainte, j’avais obtenu du professeur de français qui nous accompagnait de visiter les basiliques romaines avec un ami. Rentré à Liège, au titre d’un travail demandé par le professeur de dessin, Monsieur Chapaux, que je devais retrouver à Saint-Luc dans l’atelier de 4e, je remis une courte étude sur les basiliques. Elle fut appréciée et Monsieur Chapaux m’encouragea, sans pour autant prendre le risque de contrarier le professeur de maths. Je réussis sans difficultés l’examen d’entrée « aux ingénieurs ». Entre-temps, mon père avait été chargé par la direction de la FN de mettre au point une machine-outil aux USA, une fraiseuse qui n’évacuait pas les copeaux d’acier qu’elle rabotait. Son séjour devait durer plus de neuf mois. Je l’accompagnai à la gare des Guillemins, d’où il partait à Rotterdam. Là, un trans- atlantique de la Holland-America Line ralliait New York en huit jours.

9Moi, j’allais au quai Banning, au Génie Civil de l’ULg où se donnaient les cours. D’emblée les études d’ingénieur me rebutèrent. Je souffrais de devoir « tuyauter » d’énormes syllabus pour réussir. Je n’étais pas préparé à cela par l’enseignement paternaliste reçu en humanités. Lors d’une séance de devoir, un assistant me dit « Mais vous dessinez comme un dieu ! ». Je l’entendis qui ajoutait en s’éloignant « Mais que fait-il ici ? ». Ébranlé, quelques jours plus tard, je décidai d’abandonner l’expérience. Ma mère ne réagit pas ou peu et informa mon père, dont j’imaginais la déception. Les jours qui suivirent, je me présentai à Saint-Luc où je fus reçu par le frère-directeur qui me dit ne pouvoir m’accueillir en première, l’année étant, selon lui, trop avancée. Je fis une année sabbatique durant laquelle je fréquentais les ateliers de peinture, sculpture et gravure, à l’exclusion des ateliers d’architecture. Cela me plut beaucoup, mais je ne cessais pas de regretter d’avoir profité de l’absence de mon père que, s’il avait été présent, j’aurais dû affronter – avec quel résultat !

10En fin de compte tout se passa bien. Mon père revint, ayant brillamment résolu ses problèmes, une réussite qui lui valut la promotion au grade de chef du BTA. J’entrai en première architecture, dont les cours théoriques étaient d’une facilité confondante et les ateliers, où il m’apparut que j’étais mieux armé que mes condisciples, à ma portée. Je terminai l’année en tête de classe à la satisfaction de mon père.

11Je réalise que j’ai contourné l’architecture avant d’y entrer. Lorsque mon père partit aux USA, il laissait à ma mère une maison en début de construction. Mon oncle, l’ébéniste, assurait un suivi relatif. Quant à l’architecte, je ne le vis jamais et fus amené à soulager ma mère en allant jusqu’à surveiller les entrepreneurs et à achever, avec mon frère, des travaux non repris aux devis. La maison était finie quand mon père revint. Non, je n’ai pas choisi le métier d’architecte : j’ai choisi d’entrer dans la discipline qu’on nomme architecture.

12Avant la fin de mes études, en quatrième année, un étudiant de l’école que je connaissais peu est venu chez mes parents et m’a demandé si j’accepterais, pendant les vacances, de faire un projet pour la maison de l’architecte Lambert Jacquemin, qui se sentait un peu dépassé par l’obligation de construire pour lui-même. Je dessinai un projet avec la rigueur que je mettais à faire les choses. Madame Jacquemin, à mes côtés, me guidait dans son programme. Le bureau de Lambert Jacquemin mit le projet dans les formes requises pour le dossier de demande d’autorisation et n’y fit que quelques modifications dimensionnelles. Madame Jacquemin s’était révélée à mes yeux une parfaite maîtresse de stage. En deux mois j’avais appris ce qu’était le client idéal.

13A Saint-Luc, pour la plus grande satisfaction de mon père, j’étais en tête de la classe où se distinguaient, et cela me rassurait, Jean Godart, Jean-Marie Nankin, Lambert Kesenne, André Dombar et François Hainaut. Lors du projet de fin d’études, on me rapporta que j’avais été vivement critiqué en raison de mon évident intérêt pour Le Corbusier, qu’on m’avait accusé d’avoir copié. Si mon intérêt était réel et visible, l’accusation de copie n’était pas justifiée. J’avais illustré mon projet par une perspective en vue aérienne à trois points de fuite. Cette pratique n’était pas enseignée. Ensuite, j’avais été contacté par le Groupe E.G.A.U. où je restai à me familiariser avec le projet de la Plaine de Droixhe et celui de petites maisons sociales à Seraing en attendant d’être appelé sous les armes. J’avais encore, depuis un an, trois autres projets : le monument aux morts du fort d’Ében-Émael, la maison Dieu à Slins et la maison Tiets à Liers.

14J’ajouterais deux choses. J’avais rencontré dès la seconde architecture une jeune personne. Nous en vînmes à nous aimer et, après les quelques péripéties d’une relation naissante, elle me déclara être prête à attendre que je sois diplômé et libéré de mes obligations militaires, soit plus ou moins six ans. Dès lors, je connus la sérénité.

15Ensuite, l’attitude de mon père changeait en dépit de sa vigilance. Je lisais sur son visage la bonne impression que mes travaux et moi lui faisions. Je sentais ainsi que ces travaux lui échappaient. J’avais l’impression de prendre le large en le laissant sur le rivage. Alors, je plaçai moi-même la barre très haut.

16Si vous portez un regard rétrospectif sur vos années à l’Institut Saint Luc à Liège, que retenez-vous de ces études ?

17J’en ai gardé un bon souvenir. Les professeurs d’atelier nous laissaient nous exprimer. Leur pédagogie commandait que l’on s’en tînt aux options prises – et supervisées – lors de l’avant-projet, ce qui évitait les changements qui se seraient inspiré des condisciples plus habiles. Le Corbusier inspirait la méfiance chez les professeurs, qui paraissaient voir un avenir dans l’École hollandaise. Nous, nous manquions d’informations. La bibliothèque était pauvre, les cours de théorie d’histoire de l’architecture se réduisaient à un défilé de diapositives qu’il nous incombait d’identifier à l’examen et le cours de composition était inexistant. Un cours de fusain nous proposait des œuvres antiques dont il existait une remarquable collection qui fut mise à mal par des vandales sortis des rangs de mai 68. Les disciplines de l’école, loin de vivre sur elles-mêmes, comme c’est le cas maintenant, étaient fusionnelles. C’était « les » Beaux-Arts, dans un pluriel de terrain qui les unifiait et où l’on partageait faire savoir et savoir-faire. C’est là que j’ai appris la caricature, une manière plaisante d’arriver à faire des portraits ressemblants, croqués sur le vif. Penser dans la rigueur et faire dans la joie. La nostalgie m’envahit quand je pense à ces années-là. Je travaillais comme un damné, mais j’étais heureux. La pédagogie, s’il en était une vraiment, avait un côté positif où le manque d’information développait chez nous le besoin de savoir. [Aujourd’hui] Vous avez internet, nous avions quelques rares livres ou revues que nous avions achetés en vendant, à la sauvette, un portrait ou une aquarelle. Deux ou trois numéros de la revue Forum m’ont accompagné durant des années de ma vie. Rien ou peu nous était donné avant le diplôme, il fallait prendre. C’est pour cela que je dis, me répétant, qu’on donne le diplôme mais l’architecture, il faut la prendre.

18En visitant votre maison, vous nous avez affirmé ne pas vous faire à « l’idée d’une maison qui ne peut évoluer selon les besoins de ses occupants, d’où l’indispensable ‘flexibilité’ qui permet des modifications fonctionnelles faciles »…

19La flexibilité, je la réclame pour moi. Aucun des clients que j’ai connus n’a accepté pour lui le principe constructif de ma maison, qui était, en partie, celui de la maison voisine, celle de mon ami le Docteur Onkelinx, qui n’a, lui, jamais profité de la possibilité offerte.

20Chez Le Corbusier, la flexibilité tient dans la distinction qu’il fait entre l’ossature, matérialisée sur le plan par les points d’impact des piliers, et les cloisons qui serpentent librement entre ceux-ci, contribuant à donner à ce parterre architectural bidimensionnel des qualités picturales évidentes. La flexibilité ici est dans la possibilité qu’a l’architecte de dessiner un plan qui a, pour lui, les qualités de ses peintures. Une facilité ponctuelle dans le temps car, selon moi, la possibilité de modifier le plan des villas Savoye, Stein et autres n’a jamais été exploitée. La flexibilité chez Le Corbusier est dans un acte théorisé, momentané de la conception et elle n’implique pas de projection dans le temps. Elle tient dans le présent de l’artiste et y reste ancrée comme une œuvre d’art, sans autre avenir que sa conversation musicale. Ce n’est pas mon acception. Si Le Corbusier semble se résigner à Pessac devant les transformations subies par ses œuvres après leur mise en vente, en disant : « l’usager a toujours raison », il se borne à faire un constat du goût des acquéreurs intéressés par une image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes, une image identitaire qui n’a rien de fondamental qui concernerait leur qualité de vie. C’est le constat que je fais en revoyant la maison Dieu à Slins, et tout récemment les maisons jumelées de Rosa Knapen à Glons passées, elles aussi, à de nouveaux usagers. Je peux encore ajouter la maison Gelée à Glons et… le monument du fort d’Ében-Émael. Ce dernier, initié par d’anciens combattants – dont le père de mon associé – étrangers au drame de la prise du fort, fut coulé en béton dans un coffrage exécuté à la perfection par un menuisier averti, lui-même ancien combattant. Le béton brut rappelait celui du fort. Il fut blanchi et bouchardé sur le recto par les membres d’une association patrimoniale. Les gens ont besoin de se regarder dans une façade comme devant un miroir. Le cas du monument ne s’inscrit pas directement dans notre préoccupation, mais il témoigne du souci qu’ont les gens de laisser une trace de leur passage sur Terre. Voyez les travaux initiés par des présidents, français ou autres.

21Je crois pouvoir raconter que des gens bien informés, des professeurs et des étudiants en architecture hollandais, ont vu dans ma maison une possibilité à laquelle je n’avais pas pensé. La partie de ma maison où l’on vit – vous l’avez constaté – a un toit plat, au niveau de la route, et aisément accessible, sur lequel, un jour, je retrouvai ces gens, une dizaine. Craignant la surcharge, je les invitai à me rejoindre sous le carport. C’est alors que l’un d’eux m’a dit : « …mais on pourrait faire un village entier avec votre système ! » Je n’enseignais pas encore à l’époque. Plus tard, j’ai compris en faisant connaissance avec le groupe hollandais S.A.R, un groupe qui avait conçu des unités fonctionnelles de l’habitat ; on les assemblait selon les besoins déterminés par les différents pouvoirs. Tout se ressemblait, formait un tout très cohérent mais où l’individu s’effaçait dans la communauté. Des systèmes d’agglomération semblables se sont, depuis, multipliés chez nos voisins, confrontés à un manque de terres habitables. Nous, les Belges, Wallons surtout, qui avons encore de l’espace disponible, sommes devenus des champions de l’individualisme, que le politique répugne à sanctionner.

22Je ne vois pas dans la flexibilité l’évolution possible de mon égo, mais la réponse aisée que je peux apporter aux exigences de mon vécu. L’âge, le temps qui passe, la famille qui grandit ou se défait quand les enfants s’envolent, toutes ces choses peuvent justifier une adaptation des lieux de vie que la maison du belge-qui-aune-brique-dans-le-ventre, avec ses murs porteurs, ne permet qu’au prix de travaux lourds.

23Le terrain de ma maison avec sa vue imprenable sur la vallée du Geer me convenait en dépit – peut-être à cause – de son relief. Je n’ai pas voulu priver les passants de cette vue. Seuls émergent donc la tour centrale et le bureau. Pas de façade au sens habituel et convenu du terme. Cela a peut-être joué en ma faveur auprès des professionnels. Pour ma prairie, j’ai longtemps rêvé d’une maison enterrée. Mais j’ai laissé passer le temps, il ne me reste de cela qu’un croquis… et les dix-sept colonnes en acier que j’avais achetées pour la paroi sur la vallée… Le respect des autres doit vous inspirer. Nombreuses sont les manières de le manifester. J’en vois une que je voudrais mettre en évidence […] en vous parlant d’une maison à Émael, la maison Haesen. Elle va me servir à illustrer ce que j’appelle « la nécessité du geste d’appropriation ».

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Projet d’études pour un Palais des Congres, École Saint-Luc à Liège, 1956 - Fonds N. Simon, GAR asbl - Faculté d’architecture ULiège

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Projet d’études pour un Palais des Congres, École Saint-Luc à Liège, 1956 - Fonds N. Simon, GAR asbl - Faculté d’architecture ULiège

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Monument aux héros du fort d’Ében-Émael à Bassenge, 1957 - Fonds N. Simon, GAR asbl - Faculté d’architecture ULiège

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Monument aux héros du fort d’Ében-Émael à Bassenge, 1957 - Fonds N. Simon, GAR asbl - Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH) - Maison Vandeberg à Jupille, 1958 – Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH) - Maison Vandeberg à Jupille, 1958 – Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH) - Maison Deflanre à Jupille, 1959

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH) - Maison Deflanre à Jupille, 1959

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège.

24Monsieur Haesen, que je connaissais, vint un jour me trouver avec son épouse. Il alla droit au but : « Monsieur Simon, si je viens vous trouver, c’est parce que vous avez la réputation de pouvoir construire sur n’importe quel terrain. Et celui sur lequel je vais vous demander de construire ma maison me paraît abominable, mais il est bien situé dans le village ». J’étais prévenu. Je dessinai la maison en prenant la précaution d’y introduire une ossature en béton sommaire, mais calculée. Le père de Monsieur Haesen, un maçon de village, exécuta le gros œuvre sous ma surveillance journalière. La maison terminée, le Docteur Verjus, un ami médecin pour qui j’avais construit, me laissa un mot me disant « …chez Haesen, là vous vous êtes surpassés ! » Pourtant, avant les parachèvements (feu ouvert, carrelages, etc.), Monsieur Haesen m’avait dit : « Maintenant, Monsieur Simon, je vous ai laissé faire, je voudrais bien faire un petit peu quelque chose moi-même ». Maladroitement exprimé, c’était on ne peut plus clair. Je m’étais incliné. [Or] c’est l’intérieur surtout que visait la réaction du Docteur Verjus. Cette histoire illustre l’importance de l’acte d’appropriation que souhaitent certains clients. Marquer de son empreinte son territoire est un geste qu’on rencontre chez la plupart des espèces et il n’est pas bon de s’y opposer. Être compréhensif et rester vigilant limite les dégâts. Un nouveau paradoxe ? Peut-être. Mais vous apprendrez très – trop – tôt que nous passons notre vie à marcher sur le fil du rasoir, à vivre un présent sans perdre de vue le passé et en nous projetant prudemment dans le futur, le connu derrière nous et l’inconnu devant.

25Quand vous avez une commande ou arrivez sur un terrain, que faites-vous ?

26Si j’étais amené à aller seul sur un terrain, avant d’en prendre les dimensions, je m’y promenais, ensuite je m’installais pour me laisser pénétrer par tout ce que l’endroit dégageait… J’avais été impressionné quand j’étais allé avec Monsieur Jacquemin voir son terrain à Embourg. Il projetait un tas d’interventions, que je comprenais mal, dont l’abattage d’arbres dont il prétendait qu’ils lui enlevaient la vue sur la vallée. D’autres questions me vinrent par après et l’intérêt pour le sol et ce dont il était porteur se développa chez moi jusqu’à l’obsession quand un client s’inquiétait des arbres et voulait les abattre. Mais tous les terrains ne sont pas « porteurs », si ce n’est de la maison qu’on projette d’y construire.

27Si je visitais le terrain avec le client, là commençait la communication. La première rencontre avec un client est toujours essentielle en ce que deux personnes sont en train de s’observer en se demandant, l’une comme l’autre, jusqu’où elles peuvent aller. « Tout le monde manipule tout le monde ». Durant mes années d’enseignement théorique, soit de 1968 à 1996, je n’ai cessé de mettre en garde les étudiants sur les dangers et la réalité permanente du besoin naturel de marquer son territoire. Dans le plus innocent des cas, nous, architectes, allons tenter d’amener le client à faire une ou plusieurs choses que nous considérons bonnes pour lui, mais auxquelles il n’aurait pas pensé. Maintenant que les informations concernant la construction sont partout disponibles, le client peut prétendre en savoir autant que l’architecte et cela change la nature des rapports et peut y mettre fin. Heureusement, de mon temps, ce n’était pas le cas.

28J’ajoute que j’ai eu un associé particulièrement efficace en relations humaines, Lucien Nahan. Il était rare que viennent vers nous des gens qui considéraient le recours à un architecte comme une simple obligation légale. Les temps étaient difficiles, sinon durs, pour ceux qui voulaient faire de l’architecture une discipline et un art. Mais, pour en revenir à mon associé qui avait assuré la surveillance du chantier Dieu, il recommençait sa cinquième année pour des raisons qui ne paraissaient pas claires et qui me mettaient en cause. Il amena néanmoins deux clients avec lesquels, étant soldat, je n’eus aucun contact. Monsieur Vandeberg dont je dessinai la maison dans ma chambre d’officier – lieutenant d’artillerie –, à Tournai-Ruquoy, et les frères Deflandre, des cousins de son épouse. Dans les deux cas, j’ai agi en quasi-totale liberté et sans avoir rencontré les clients avant les chantiers. Des réussites dues à l’art de communiquer de Lucien Nahan.

29J’aimerais vous parler du service militaire. Dix-huit mois durant lesquels on pense pour vous, on vous manipule de la manière la plus redoutable. La solution est de lâcher prise. Tout le monde pratiquait une définition de l’ordre – et donc du désordre – d’une simplicité élémentaire : des rangs où notre place dépendait de notre taille et de notre bras tendu vers notre voisin de droite, des horaires fixes pour tout. Je vis, au-delà de nos rangs, le tracé des camps romains et des premières villes grecques. J’y gagnai en assurance, appris ce qu’était commander, ce qui m’en ôta le goût, avec celui des armes. Notre chef de corps, un colonel, grand humaniste, m’invita à donner une conférence sur l’architecture. Il avait sans doute appris que j’avais dessiné le monument du fort à Ében-Émael puisque j’avais sollicité, peu de temps après mon incorporation, une permission pour assister à son inauguration. Le séjour me valut un client, le sergent Lechat de Nalinnes, et quelques consultations gratuites et sans suite.

30Désirez-vous transmettre aux étudiants des valeurs que vous vous étiez proposé de partager ?

31La conférence que j’avais donnée durant mon service militaire m’avait ouvert les yeux et fait goûter au plaisir de partager. Le partage avec mon associé relevait d’abord d’une organisation de bureau selon nos goûts et talents personnels. Notre partage à propos d’architecture était tacite, acquis mais muet la plupart du temps. J’avais mis un mois à me décider pour l’enseignement. Nous terminions l’affaire Piedbœuf, un bâtiment de bureaux à Fourn, qui avait sans doute influencé ceux qui m’invitaient à rejoindre le corps professoral de Saint-Luc. En fin de compte, j’acceptai et me vis chargé… d’un cours de croquis, un passage obligé me dit-on ! Je menai ce cours tambour battant en faisant connaître mes motivations. Quand arriva mai 68, j’y fus très actif et gagnai en réputation pour avoir sorti du bureau directorial – par défi, je l’avoue – un étudiant qui s’y était installé et faisait la grève de la faim. Je le ramenai chez moi, à Ében, où il resta quelques jours durant lesquels nous parlâmes.

32À partir de cet instant, mes souvenirs se défont et émergent dans ma mémoire de façon anachronique. J’ai donné des cours théoriques – théorie de l’architecture – axés sur la psychologie et me suis ensuite – et en plus – retrouvé dans des ateliers dont celui de troisième que dirigeait seul Albert Welker, qui avait été mon professeur de la même année. Monsieur Fellen, professeur de construction, m’invitait à ses cours et à y participer activement. J’étais comblé et heureux de « tremper » dans l’architecture. Tout m’était matière à communiquer aux étudiants, qui me demandèrent à voir ce que je faisais en tant qu’architecte et qui finirent par envahir ma maison, ce qui, heureusement, enchantait mon épouse institutrice. Développer leur intérêt et leur curiosité était un objectif en soi mais qu’il me fallait cibler ou guider vers des cibles. Le Corbusier, Wright, les Américains, le Japon constituèrent mes références favorites dont je m’efforçais de dégager des messages en les étudiant en profondeur. Avec l’aide des étudiants, je préparai minutieusement un voyage aux USA en 1974, un autre au Japon en 1976. C’est cette année, 1976 (qui fut dramatique pour moi en raison d’un problème de santé dans ma petite famille), que la direction me demanda d’organiser et de diriger les mémoires de fin d’études dont personne ne voulait. Cette tâche s’ajoutant aux autres allait m’ouvrir de nouveaux horizons et m’amener à meubler une bibliothèque toujours pauvre.

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Siège social de la société Piedboeuf à Jupille, 1965

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Siège social de la société Piedboeuf à Jupille, 1965

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège
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Bal de fin d’année à Saint-Luc, 1956, Au centre Nicolas Simon et son épouse Marie-José Trine, à gauche Lucien Nahan et son épouse - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Bal de fin d’année à Saint-Luc, 1956, Au centre Nicolas Simon et son épouse Marie-José Trine, à gauche Lucien Nahan et son épouse - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964

Photo de Jolan Duvivier/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège
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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Plans définitifs - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Plans définitifs - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Avant-projet façade arrière Est - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Avant-projet façade arrière Est - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Schéma constructif - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Maison personnelle à Ében-Émael, 1959 – 1964, Schéma constructif - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

33J’ai eu à l’extérieur de l’école des contacts qui m’ont enrichi. À Louvain-la-Neuve, où pendant deux ans, une ou deux fois par semaine, j’ai encadré des doctorants architectes avec des collègues, dont Monsieur Willy Serneels, directeur de Saint-Luc Bruxelles. Au jury central, c’étaient des professeurs de La Cambre et des candidats, ingénieurs de profession parfois, qui voulaient exercer l’architecture, par exemple Philippe Samyn, dont j’ai encore le mémoire. Toutes ces rencontres m’ont meublé l’esprit. À leur contact, j’ai pris – puisé – conscience de l’extérieur de moi-même. Cependant, les temps étaient propices aux échanges. Charles Vandenhove avait organisé au Sart-Tilman un colloque international sur l’architecture où nous eûmes l’occasion de rencontrer Bruce Goff et de lui parler en privé. De même avec Abraham Moles, qui m’intéressait beaucoup par sa théorie sur la bulle corporelle de l’individu. Plus tard, Charles Vandenhove fit appel à Ricardo Bofill pour une communication qu’ils firent à deux. J’organisais des visites et des voyages. Un chantier de Bofill – Swift – à La Hulpe, son atelier de Barcelone, où nous nous attardâmes sur l’œuvre de Gaudí et celles d’architectes catalans. Il n’y avait qu’à prendre, avec un discernement que j’encourageais. Tout cela sans négliger les grandes époques de l’Art de Bâtir : la Grèce, la Renaissance, Palladio, Alberti, les cathédrales gothiques où la coupe transversale est garante de la stabilité et de son rapport à l’espace intérieur et extérieur, comme l’est le plan chez Le Corbusier. Gaudí et ses maquettes à chaînettes suspendues au plafond éclairaient les préoccupations des constructeurs du Moyen-Âge. Le caractère planétaire de l’architecture m’apparaît comme une concrétion spécifique de l’homme qui rend indissociable le produit et la manière de le construire. Cela signifiait pour moi que la composition architecturale impliquait le souci constructif d’y arriver. Le recours à l’ingénieur ne devait venir qu’en confirmation de ce que l’architecte avait imaginé donner réalité à son œuvre, sa concrétisation. J’avais été redevable à cette approche d’être nommé chargé de cours sans devoir passer par le Certificat d’Aptitude Pédagogique (CAP). J’étais rebuté par les recettes des cours de construction et m’étais décidé à reprendre à l’origine le problème de la corniche dont on donnait des solutions issues du vocabulaire gothique. Un jour, je préparai un cube parfait en carton fort et une cruche d’eau et entrai dans le local où m’attendaient les étudiants. À peine installé, je vis entrer un monsieur distingué aux cheveux grisonnants. Il se présenta.

34C’était un inspecteur de l’État. Il me pria d’agir « comme s’il n’était pas là ». J’avoue que cela ne me posa pas de problème, ayant acquis un certain culot après quelques années de métier et d’affrontements. J’acquiesçai et introduisis mon cours. Après quelques minutes, je déversai de l’eau sur le cube et priai les étudiants d’en tirer les conséquences dans le cas où le cube était un corps en brique posé sur le sol. Les réponses se précipitèrent et, m’interrompant, l’inspecteur me remercia et quitta la classe. Entretemps, j’avais reconnu un des membres du jury de mon projet de fin d’études. Deux jours après cette visite, le secrétaire de l’école m’apporta un document où il était écrit que j’étais nommé définitivement au titre de chargé de cours. Il n’y en eut pas d’autres ce jour-là et je fus le dernier à être nommé par l’État dans l’école.

35S’il vous plaisait d’insister sur une valeur en particulier, je vous dirais la prévention de la manipulation, celle qui se terre dans chaque œuvre humaine, architecturale ou autre. Regardant à la TV une émission où Christian Souris interviewait Antoine Pompe, âgé de cent cinq ans et seul, toute sa famille ayant disparu. Questionné, sans doute intentionnellement, sur ce qu’il pensait de l’architecture de Victor Horta, il répondit malicieusement, du tac au tac, « …c’est une architecture de cocotte ». Christian Souris, interloqué, n’insista pas.

36Quelqu’un a dit : « La retraite, c’est quand on connaît toutes les réponses mais que plus personne ne nous pose plus jamais les questions ».

37Je suis donc privilégié. À quatre-vingt-sept ans, on me pose un tas de questions et je suis loin de connaître toutes les réponses ! Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Comme le dit Confucius :

38

« Si l’on considère les actions d’un homme,
Si l’on observe les motifs qui le font agir,
Si l’on examine ce qui fait son bonheur,
Pourra-t-il cacher ce qu’il est ? »

39Pourquoi montrer à vos étudiants ce niveau de complexité ?

40Vous faites allusion ici à la théorie du chaos et aux fractales dont j’ai laissé percer quelques mots hors interview.

41J’avais trouvé un excellent exposé de ces théories chez un journaliste américain, un certain Glerck. Il était bien documenté et soucieux d’être compris. À un moment de son long exposé, il donnait en exemple une équation très simple qui se traduit graphiquement par une courbe ascendante qui ploie, « se bifide » pour se bifider encore à chaque nouvelle courbe. En fin de compte, montrait-il, le graphique [se remplit et] devient noir. Avec un bon ordinateur, on vérifie aisément la chose et on constate que, de distance en distance, des lignes verticales blanches apparaissent, comme des ruptures dans le chaos qui s’est progressivement installé. À peine avais-je terminé mon cours que des étudiants se sont précipités à la salle des ordinateurs. Ils revinrent triomphalement me voir avec les vérifications imprimées montrant ce phénomène. Il y eut, plus tard, à la suite de ce cours, des mémoires qui en traitèrent longuement.

42Pour ce qui est des fractales, Benoit Mandelbrot, qui les avait décrites, faisait allusion aux côtes de la France dont la longueur croissait selon l’itinéraire parcouru. Celui des autoroutes était le plus court, celui des plages le plus long. Mais il y avait des exemples qui frappaient davantage : une ligne en V dont les bras se développaient en un nouveau V, et ainsi de suite, indéfiniment. Et d’autres exemples où l’on passait de deux à trois dimensions. Pour clore, il avait recours aux ordinateurs où l’on voyait naître des efflorescences extraordinaires. En conclusion, il apparaissait que la montagne était constituée de fragments, de plus en plus petits, lui ressemblant.

43Cette dernière découverte relevait davantage du jeu que la première, qui laissait à penser que le chaos recèle des moments de rémission dont il reste à apprendre comment les exploiter. Les villes constituent un champ de recherches propice à exercer nos travaux – s’il en est – de chercheurs.

44Je ne suis pas adepte de la complexité mais force m’est de constater qu’elle est présente partout. Les paramètres dont il nous faut tenir compte sont de plus en plus nombreux. Les risques sont, entre autres, dans les architectures fortes, celles dont les auteurs ne s’encombrent pas des paramètres que génère le vécu des hommes.

45Entre la manière dont j’ai pratiqué l’art de bâtir et celle que vous êtes ou serez amenés à employer par raison d’État, il y a un monde. La préoccupante nécessité d’économiser l’énergie tend à imposer des maisons autonomes. Le parcours entrepris jusqu’ici a donné lieu à des erreurs et mis l’habitation hors de portée des gens de peu de moyens, et il en est beaucoup. De latente à mon époque, la complexité est désormais chose installée. L’État, impuissant, a recourt à la charité publique pour pallier les injustices qu’il a légalisées par des lois que seuls les puissants, intouchables, contournent. En ai-je assez dit ? Pour moi, oui. J’ai horreur des prêches.

46Nous avons vu vos études de la géométrie, celle des chiffres, vos tableaux. Les copies que vous avez faites de Leonard de Vinci aussi. Qu’est-ce qui vous pousse à de telles entreprises ?

47« Tu es un homme, conduis toi en homme » fait dire Maurice Clavel a l’un de ses personnages.

48J’ai dit que j’avais été amené à placer la barre très haut pour me soustraire au fait que mon père en avait toujours eu l’initiative. Un homme, selon vous, ne doit-il pas se libérer en fin de compte de sa famille, ne serait-ce que pour pouvoir aller vers elle librement ? Sauf à avoir une notoriété nationale (ce qui n’est pas mon cas), pourquoi chercher à me connaître si je n’avais pas quelque singulière qualité susceptible de vous aider ? Et vous allez faire de même avec d’autres que moi. Les hommes ont besoin des hommes et il s’en est toujours trouvé parmi eux pour assumer la diffusion des connaissances. Ceux-là finissent par savoir qu’ils sont investis d’une mission et ils se font en conséquence. Ceux-là sont les parents et les enseignants qui prennent le relais.

49Puis il arrive un moment où, pour faire votre maison, vous avez besoin de définir un angle droit, et vous ne disposez pas d’une équerre. Qu’allez-vous faire ? On vous a appris, heureusement, le théorème de Pythagore. Vous allez donc prendre une corde, y faire treize nœuds équidistants et réaliser la figure pour trouver votre angle.

50Et ainsi de suite pour un tas de choses que des hommes, obstinément en quête de rapports entre elles, ont fini par localiser exactement pour faciliter votre vécu. Mais il en est qui ont fait des choses d’exception dont ils ont caché ou tu, volontairement ou non, le mode opératoire, qu’il nous reste à découvrir si nous souhaitons en faire autant ou simplement savoir. J’étais séduit par la perfection des deux œuvres de Léonard de Vinci. J’ai cherché à savoir. La main de Cecilia Gallerani, dite la Dame à l’Hermine – maîtresse, à l’âge de quinze ans, de Ludovic le More, duc de Milan, qui chargea Léonard de Vinci d’en faire le portrait en 1488 – retint particulièrement mon attention et je me livrai à une étude anatomique. Je ne disposais pas des moyens nécessaires pour reproduire les couleurs dont usait Léonard de Vinci. Je travaillais l’acrylique au mieux et sans difficulté mais je ne retirai finalement, en matière de connaissance, que mon étude de la main… une étude que je devais élargir avec les multiples mains dessinées par Le Corbusier.

51Dans le portrait du Musée du Louvre, celui de Lucrezia Crivelli, peint de 1490 à 1496, le rendu des tissus m’intéressait. Léonard de Vinci s’était, paraît-il, limité à peindre le visage et les épaules. Les vêtements avaient été de la main d’un certain Boltraffio. J’estimais les avoir réussis en utilisant une technique qui consistait à poncer l’acrylique. Les tissus m’intéressaient beaucoup, étant donné que j’avais dessiné, pour ma sœur étudiant la couture, des robes, en toute liberté. Je devais, par la suite, dessiner les robes de mon épouse.

52Il me reste à m’expliquer à propos de mon intérêt pour la géométrie et l’écriture. Les chiffres viendront compléter mes questionnements. Des artistes célèbres de la Renaissance, tout en présentant leurs œuvres, ont tenu un langage trop souvent hermétique. La dissimulation de leurs écrits les protégeait des plagiats, mais aussi du désintérêt des mécènes pour les affaires qui passent trop tôt dans le vulgaire. Chez Palladio et les traités lui étant consacrés, à côté de notations chiffrées en pieds et pouces sans grande signification, j’avais découvert les tracés et une rigueur géométrique qui explicitait des modes inavoués. Pour Alberti, l’inaccessibilité des écrits égarait les lecteurs et les menait à des jugements parfois féroces. Je m’employai à relever le défi pour Santa Maria Novella à Florence, San Andrea de Mantoue et d’autres où des tracés cohérents se superposaient sans difficulté et témoignaient aussi d’une incroyable habileté dans la composition bidimensionnelle des façades. J’étais comblé. J’avais trouvé, à côté de rapports de petits nombres entiers, des irrationnels tels que Φ, √2, √3, √5, etc.

53C’est ainsi que je me suis attaché très tôt à traquer les irrationnels qui se déroulaient en chiffres à l’infini et en se frôlant de quelques cent millièmes. Sur ma lancée, j’ai rédigé un opus sur les quadratures du cercle, de sa surface, de la surface de la sphère et de son volume (déposé en 2002 à l’Albertine).

54Reste l’écriture. Là je dirai simplement que j’y ai pris goût en humanité grâce à un professeur de français qui savait nous orienter vers des sujets où disparaissait le caractère du « devoir » de ce qui était demandé. Je trouvais là un moyen de m’exprimer et je finis par écrire sans avoir besoin d’une bonne raison. En fin de compte, pour simplifier, j’aime ce que je fais, et ce qui me vient, j’en use pour m’exprimer. Ce que je trouve chez les grands maîtres viendra à son heure illustrer mes écrits car les auteurs qui meublent les bibliothèques sont vite satisfaits.

55Franco Borsi, pour Alberti, se montre satisfait avec les carrés qu’il superpose aux façades ; Pierre Caye et Françoise Choay se passent d’illustrations de leurs propos et Donati ne fait pas mieux. Rien chez ces auteurs qui ne soit pédagogiquement opérant.

56Et cela expliquerait votre pluridisciplinarité. Le lien entre les choses qui donnerait l’envie de s’intéresser à chacune d’elles.

57Les choses sont là, en premier ; les liens qui les rendent interdépendantes, il m’incombe de les établir. Ce que vous dites inverse les perceptions : les choses d’abord, les liens ensuite. Les liens qui se tissent dans les nécessités du vécu m’intéressent d’autant plus s’ils paraissent impliquer un défi. Transformer de mes mains un appartement haut placé et fortement compartimenté en loft où pourrait circuler une chaise roulante ne m’a posé aucune difficulté majeure. Dans un autre registre, accepter d’illustrer le livre que venait d’écrire, pour sa petite fille, un urologue de ma connaissance, représentait un défi que j’ai accepté toutes affaires cessantes. Je peux vous montrer les illustrations réalisées dans l’euphorie de l’imagination documentée.

58Vous pratiquez la peinture, le dessin, l’écriture…

59Je voudrais m’attarder un instant sur le rôle de ma main, qui exécute ce que j’ai pensé, mis en dessin avant l’exploit de la réalisation. Souvent, sinon toujours, le passage de l’acte qui fait du dessin une réalité est modifié dans son processus par la main qui a trouvé une voie plus simple et plus directe. Il est arrivé, par ailleurs, qu’un ouvrier ne sache pas réaliser le coffrage de telle ou telle pièce en béton à couler sur place. Je l’ai fait de mes mains en me rappelant la promesse que je m’étais faite de ne jamais demander une chose que je ne sache faire moi-même. Que d’architectes se compliquent la vie et celle d’exécutants en imaginant des détails complexes, sophistiqués qui n’affectent en rien le résultat global, mais qui ont requis une dépense d’énergie qui n’a d’égal que le coût de ces détails. La main qui est le prolongement obligé du cerveau et qui en modifie le fonctionnement ! Le Corbusier !

60Cela nous permet de revenir à vos influences. Quelle portée a eu Le Corbusier dans votre propre œuvre ? Peut-on dire de vos travaux qu’ils ont subi une influence corbuséenne ?

61À vrai dire, il a eu une influence sur moi pendant mes études d’abord. Dans la pratique, il y a eu la maison Jacquemin, puis la maison Dieu-Brepoels, la maison Tuts-Hoho, le monument du Fort, la maison Vandeberg, la maison Belleflamme, toute simple, la maison des frères Deflandre… Il y avait dans cela quelque chose de Le Corbusier, mais pas seulement. Je me suis aussi inspiré de l’œuvre d’un architecte italien, pas tellement connu, que j’avais vue dans un livre – son nom m’échappe aujourd’hui. Avant ça, il y avait eu la maison Vandeberg, où c’était du Corbu, indiscutablement. Et puis après, je me suis rendu compte qu’il y avait deux grandes époques dans la vie de Le Corbusier. Pour l’époque des villas blanches, il n’était pas le seul à en faire. Il suffit de regarder ce qui se faisait en Allemagne, ça pullulait. Je pense à Stuttgart, à la cité du Weißenhof, où il y avait plein de villas blanches, de très belles. À Paris aussi, Robert Mallet-Stevens avait réalisé des remarquables villas dans la rue qui porte son nom.

62Je me suis rendu compte qu’ici, des villas blanches, ça ne marchait pas. On ne voulait pas du blanc, c’est salissant, il faut périodiquement repeindre… Il faut dire que les gens de la région en savaient quelque chose, on construisait en bloc de sable, en bloc de tuffeau exactement. Il y a cent ans de cela, un peu plus peut-être, il n’y avait que des maisons en bloc de tuffeau ; intérieur comme extérieur : deux parements et un espace où nous trouvions de la paille entre les deux. C’était appareillé d’une façon remarquable, presque sans joints, mais cela demandait, pour tenir le coup dans le temps, d’être repeint à la chaux chaque année. Il y avait des mélanges, d’invraisemblables recettes qui contenaient de la chaux, de l’amidon pour accentuer la blancheur…

63Dès lors, ce qu’on voulait, c’était une maison en briques, en briques rouges, tirées de l’argile de Hesbaye. Il y a eu partout, en peu de temps, de nombreuses briqueteries. La brique primait, plus de maisons blanches. Je n’ai plus fait de maisons style Le Corbusier parce qu’il fallait repeindre le cimentage [1]. J’ai retenu de lui son enseignement sur l’harmonie mathématique/géométrique et ergonomique.

64Vous pensez qu’il y a des contraintes qui vous ont été imposées du fait de construire ici, dans cette région de la Belgique ? Est-ce que vous vous y sentiez obligé ou, est-ce qu’au contraire, cela vous a inspiré pour en faire d’autres ?

65Les deux. Quand je me suis mis à construire en brique, je me suis fait une obligation de moduler mes plans, en associant la brique et le bloc de béton. La brique comme parement extérieur, le bloc comme élément porteur intérieur, avec un creux entre les deux. Le bloc c’est 19×19×39cm, 19×39×14cm, 19×39×9 cm. Je cherchais des briques de 19 cm par 9 cm de profondeur que je m’efforçais d’accorder en hauteur avec les 19 cm du bloc. Il fallait aussi prévoir l’épaisseur du joint, soit 1 cm. Il faut dire que, bien que la chose ait été acquise et que les blocs de béton ne variaient qu’en épaisseur, 19 et 39 cm étant des dimension fixes, cela demandait idéalement de travailler sur un module de 20/20 en comptant le joint. Je me suis donc mis à moduler mes plans. Tout ce qui était extérieur avait une côte se terminant par 9 et les dimensions des pièces se terminaient par 1. La standardisation m’a toujours intéressé. Ce qui m’a intéressé aussi c’est, de la part de certains architectes, une recherche intensive de ce qui pouvait faciliter la construction. Neutra, par exemple, architecte autrichien ayant émigré aux États-Unis avant la guerre, collectionnait tous ses détails techniques. Il avait un carnet dans lequel il les reportait de sorte que, quand il entamait une nouvelle construction, il n’était plus dans l’obligation de les repenser ou réinventer.

66Il y a donc une part, que je dirais très pragmatique, qui a trait à la facilité et à la rigueur, à la précision de la mise en œuvre. Un peu plus tard, j’ai eu l’occasion de lire des revues américaines. J’ai été abonné très tôt aux revues Forum et Progressive Architecture, elles étaient truffées de réclames. Je les gardais soigneusement parce qu’elles portaient une attention particulière, par exemple, à la technique du bloc. Vous savez que le bloc de béton se fait avec des alvéoles, en creux. En général, maintenant, il est calibré impeccablement. Certains blocs sont faits avec des matériaux isolants du type « Argex », des boulettes d’argile remplacent les granulats que l’on trouve dans les bétons ordinaires. Ce sont des bétons plus légers mais bien calibrés. Et bien les Américains remplissaient les alvéoles d’isolant pour augmenter les performances du bloc. De surcroit, tous les « x rangs » de blocs, ils disposaient des armatures légères qui palliaient les mouvements éventuels dans la maçonnerie et les fissures. En Belgique, nous appelons cela des « Murfor® ».

67Donc l’architecture américaine m’intéressait. Elle avait aussi des façons de promouvoir l’aluminium, l’acier, qui étaient très intéressantes et par ailleurs exploitées chez eux dans de grandes constructions. En Amérique, les architectes ne sont pas impérativement requis. Ce sont des entrepreneurs en construction qui présentent à un client potentiel des catalogues. Ils vont exécuter pour lui un projet de leur catalogue de projets de maisons, comme j’en ai vu. Il en est de très belles, qui sont impeccables. On ne requiert donc l’architecte que pour des œuvres de prestige, d’une certaine ampleur. Parfois, un client a recours à l’architecte pour avoir une maison qui sorte de l’ordinaire. Hors ce cas exceptionnel, toutes les maisons américaines sont faites en bois et les constructeurs font un peu ce que nous faisons ici, en utilisant le cimentage, le plâtre, voire des briques pour camoufler l’ossature.

68Camoufler l’ossature… Par rapport à cela, nous avons été surpris par un détail de la maison Fourneau, où les poutres en acier ont été par endroit masquées par un habillage en bois. Quelles sont les raisons de ce choix ?

69Il ne me parait pas qu’à l’origine les poutres aient été recouvertes de bois. Les poutres ne sont pas visibles sur toute leur trajectoire. Comprenons qu’elles n’ont été recouvertes de bois que sous le lanterneau dont l’aspect commandait leur soudaine et trop courte apparition. Comment était construite la maison Fourneau ? Celle-ci et la maison Verjus sont semblables d’aspect mais tout à fait différentes du point de vue de la stabilité. La première est faite de quatre semi-portiques en acier réunis au centre et faîte de la maison, la deuxième de quatre poutres en bois contraintes entre les butées en béton et leur jonction au faîte et centre des deux pavillons.

70En regardant de plus près certaines de vos réalisations, notamment ces maisons Verjus et Fourneau, il semble que vous ayez adopté certains traits d’influence japonaise.

71Les influences japonaises me sont venues je dirais… insensiblement. J’ai fréquenté dans les années 1970, le domaine de Bokrijk, dont j’avais eu l’occasion de rencontrer le directeur et dont le bureau d’architecture comptait des anciens de Saint-Luc. Ce domaine se situe dans le Limbourg, près de Diepenbeek, non loin de Hasselt. Il est immense et ce que l’on y voit remonte déjà à plusieurs années. Des spécialistes parcourent les régions pour y repérer d’anciennes maisons qu’ils achètent, démontent en numérotant toutes les pièces et remontent dans le domaine où l’on retrouve ainsi des témoins de la vie d’autrefois. C’est une entreprise extraordinaire et je dois dire que leur façon de procéder m’avait enthousiasmé.

72Dans l’ancien temps, je vous l’ai dit, on construisait ici en tuffeau, c’est à dire en pierre de sable. Dans l’autre partie de la Hesbaye, sur les plateaux donnant sur la vallée, lorsqu’on n’était pas assez riche pour s’offrir des maisons en matériaux durs, c’est-à-dire en brique ou en pierre de silex, grossièrement équarries en soubassement, on construisait en ossature bois. Un peu comme le fait cette communauté américaine de Pennsylvanie, les Amish, que j’ai pu voir en 2002. Leurs constructions m’avaient rappelé ce que j’avais vu à Bokrijk. Les gens travaillaient en équipe pour construire une immense grange en quelques jours, si ce n’est en quelques heures. Les façades, dont les membrures assurent la rigidité, sont construites au sol, puis relevées et, une fois assemblées, on les couvre et c’est fini. Le procédé de construction utilisé à Bokrijk pour les maisons de bois était semblable. On construisait les façades au sol, on les dressait sur des fondations sommaires – les constructions étaient légères – et, une fois qu’elles étaient en place, on mettait entre les pièces de bois des baguettes d’osier ou de noisetier entrelacées, qui étaient encastrées dans des rainures prévues à cet effet. De part et d’autre on appliquait un mélange fait essentiellement d’argile et de fétu de paille. Selon qu’on était plus ou moins à l’aise, on mettait cet enduit à l’extérieur et à l’intérieur. Si on manquait de moyen, seulement à l’extérieur. Les parois extérieures, fines, étaient blanchies à la chaux pour stabiliser l’argile. La paille coupée était mélangée à l’argile avec des adjuvants tels que l’urine de cheval, dont on usait aussi pour faire les sols qui étaient de terre battue. Il y avait du sable, de l’urine, du sang…

73Je me suis intéressé à tout et j’ai constaté que ça ressemblait très fort à l’architecture japonaise. Quand vous vous promenez dans la partie ancienne de Bokrijk, vous vous croyez au Japon, à ceci près qu’au Japon, il n’y a pas de triangulation. Au Japon on multiplie les pièces horizontales comme on fait pour les chaises. Une construction japonaise est posée sur de grandes pierres, profilées de façon à recevoir ses piliers. Voyez surtout les sanctuaires, de plus modestes constructions dont la souplesse pallie les tremblements de terre si fréquents au Japon. La maison se prête ainsi plus aisément aux déformations du sol que si elle avait été rigide. J’avais été frappé par cette similitude d’ossature noire avec des remplissages blancs. J’ai trouvé ça dans le village de Slins, voisin de celui de mon enfance, où restait une maison, une sorte d’étable, construite selon cette méthode-là. Je l’avais moi-même repérée et dessinée dans le mode gravure. De vieilles personnes du village m’avaient expliqué que c’était l’ancienne manière de construire.

74Mais, en parcourant la région, nous trouvions plusieurs manières de construire. Il y avait de ces maisons faites avec des pignons en pierre et dont les façades principales étaient constituées de bois agencé de différentes façons. Certaines étaient faites en quadrillages, d’autres avec le système de contreventement, de bracons. Cela me tentait, me séduisait.

75Ce sur quoi je veux surtout attirer votre attention, c’est l’inépuisable richesse des modes de construction japonais. Quantité de livres les rapportent, où les détails des assemblages destinés à pallier les déformations sont légion. Si la maison Fourneau fut inspirée, intérieurement surtout, par l’art du Japon, la maison Verjus ne l’est pas et tient davantage de Wright.

76C’était une manière de construire extraordinaire mais qui nécessitait, au niveau du chauffage par exemple, des dispositions particulières. C’est ainsi que le schéma type de la maison comprenait une énorme cheminée au centre de la pièce ainsi divisée en deux : la chambre à coucher des parents et la chambre commune. La chambre commune étant la pièce de séjour, où l’on recevait à table non seulement les membres de la famille, mais la domesticité. La chambre à coucher était l’endroit d’intimité, où les maîtres de maison se retiraient et se séparaient de tous ceux qui pouvaient demeurer chez eux. Pour renforcer la chaleur d’autant plus nécessaire lorsqu’on regarde la faiblesse des murs, il y avait les étables qui jouxtaient la salle commune. Cela était conçu de telle sorte qu’on pouvait, par un système de bras qui passait dans une ouverture par la porte, atteindre jusqu’à l’auge des animaux, sans devoir l’ouvrir. Tout était remarquablement étudié. Ce type de maisons existait aussi en briques, pour les plus fortunés. Bokrijk vaut vraiment la peine d’être vue, tout comme son arboretum, un jardin comme on en faisait à l’époque, qui présente toutes les espèces de légumes et de plantes alors nécessaires à la vie en autonomie. Cela m’a séduit. J’apprécie une certaine simplicité, je suppose que vous vous en rendez compte. La cuisine, ici, par exemple. Ma femme était une excellente cuisinière mais elle n’avait besoin que d’une petite cuisine. Le strict nécessaire, un évier, un four, une table de cuisson. Comme vous la voyez ici, toujours comme je l’ai conçue en 1964. C’est une cuisine Bruynzeel, hollandaise, de très bonne facture mais toute simple. Les gens s’étonnent toujours de sa petitesse. Là je dois dire que j’ai été influencé par Wright et ce qu’il faisait dans ses maisons usoniennes. Les cuisines de Wright étaient relativement petites et jouxtaient, voisinaient directement le coin à manger ; un peu comme ici.

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Spits à Housse, 1967, Perspective - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Spits à Housse, 1967, Perspective - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Spits à Housse, 1967

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Spits à Housse, 1967

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège
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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Verjus à Ében-Émael, 1968

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Verjus à Ében-Émael, 1968

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège
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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Fourneaux à Jupille, 1969

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Fourneaux à Jupille, 1969

Photo Romain Delathuy/Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège.

77Nous nous demandions si, lorsqu’on vous donnait plus de liberté lors de la commande des maisons, vous ne tendiez pas plus naturellement vers la logique des schémas des maisons de Wright – un peu plus étirés – comme par exemple dans la maison Van Heusden.

78Monsieur Van Heusden était un monsieur charmant, directeur à la RTT à Liège. Il m’avait demandé de faire sa maison sur un immense terrain qui lui venait des parents de son épouse, une fille de grands fermiers à Xandremael en Hesbaye. Effectivement c’est une maison qui se déploie un peu dans le style de Wright. Si on fait abstraction des dégradations apparues sur la maçonnerie par manque d’entretien, elle est encore belle. Le maçon qui avait fait cette maison était un homme du cru… et je crois que malgré mes recommandations et l’insistance que je mettais à vérifier la manière dont était fait le mortier, il avait triché à certains endroits. Le mortier n’était pas homogène. Je crois qu’à l’époque les maçons n’étaient ni assez équipés, ni assez attentifs. Cela reste pour moi une belle maison. Une maison dont le plan est très articulé et où je dirais qu’on sent l’espace. Un plan d’ailleurs assez complexe.

79Qu’est-ce qui est différent quand on conçoit et que l’on construit sa propre maison ?

80Les architectes qui construisent pour eux sont rares. Du moins de mon temps. A l’époque où je suis sorti de l’école, il y avait peu d’architectes qui pouvaient montrer une maison qu’ils avaient faites pour eux-mêmes. Je me suis trouvé confronté ici à un problème de sous. C’est à dire que je n’avais pas les moyens de m’offrir une grosse maison, aussi ai-je opté pour une maison que je pourrais agrandir au fur et à mesure des nécessités. Mais ce n’était pas l’unique raison. J’étais braqué sur une maison, je dirais flexible, qui pourrait s’adapter à différents types d’occupation. Ce que je vous ai présenté comme le dressing tout à l’heure a été, un temps, une chambre à coucher. Il y avait deux chambres à coucher aussi là où se trouve la salle à manger. Mais cet état n’a duré que très peu de temps. J’ai eu un peu de rentrées et j’ai pu envisager de faire moi-même des modifications et de descendre les chambres en bas, au niveau sol, occupé depuis par les chambres et les caves.

81La différence entre le fait de construire pour soi et le fait de construire pour quelqu’un d’autre peut être énorme ou pas du tout, quand on se retrouve confronté à un problème financier. Les problèmes sont les mêmes : construire au moindre prix. Mais, lorsqu’on a opté pour un certain type de construction, les exigences sont forcément différentes. En général, le client veut quelque chose qui restera tel que cela était au départ. J’ai eu un client qui est venu me trouver ici et m’a dit : « Votre maison est très belle mais je ne veux pas d’une maison comme ça ». C’était clair et net : « Je veux une maison en dur ». Je lui ai dit : « Mais vous allez passer votre vie – qui je l’espère sera longue –, vous allez avoir des enfants – il en avait déjà un –, vous allez avoir des besoins autres que ceux que vous avez maintenant. Puis, vos enfants vont grandir, leurs besoins vont devenir autres que ce qu’ils étaient étant petits, pour finalement s’en aller, se marier et vivre de leur côté. À ce moment-là vous vous retrouverez seul et, si vous voulez changer quelque chose à votre maison, ce sera à coups de marteau, démolir, enlever des murs… »

82Mais je ne pense pas que cela fonctionne comme ça ; l’homme s’adapte. C’est un fait que l’homme a une capacité d’adaptation énorme. La majorité des gens possède cette capacité d’adaptation. Quand j’ai bouché toutes les vitres de mon bureau, j’éprouvais quand même le besoin de me retirer, d’être tranquille, de me sentir entouré de murs. Ou, à défaut de murs, de bibliothèques. C’était une manière de faire [typique] de Wright, dans ses maisons usoniennes. Il avait une façon de faire les murs, dans ces maisons, que je n’ai jamais comprise. Je n’ai jamais réussi à résoudre ce mystère-là. Il avait un planchéiage horizontal, à l’extérieur, qui était typique de sa façon de faire et qui rappelait un peu les maisons pionnières. Il y avait la même chose à l’intérieur et, entre les deux, un panneau d’aggloméré. Où était la structure dans ces murs ? Je vous assure que je ne l’ai jamais vue. Je sais que dans ses plans – qui étaient largement répandus –, il y avait un bloc en dur, qui contreventait tout le reste et, peut-être, un ou deux blocs supplémentaires pour les cheminées… mais je n’ai jamais su comment il construisait ses murs. J’ai eu des échos, par la lecture, qu’un jour un de ses clients, pour lequel il avait fait deux maisons, un certain monsieur Rosenberg avec lequel il était très ami, lui avait dit : « Mais Frank, quand je pousse sur le mur de ma maison, je sens qu’il bouge ». Ce à quoi l’architecte aurait répondu « Tu sais j’ai aussi mis des planches horizontales pour que tu y poses des livres. Quand tu les auras mis, cela ne bougera plus ». Et ces maisons, très légères finalement, se sont très bien comportées. Wright avait des audaces qu’il dissimulait, des porte-à-faux vertigineux dont on ne percevait pas les structures.

83Dans votre maison, vous avez fait de nombreuses choses vous-même. Pour d’autres maisons, à faible budget notamment, vous avez aussi beaucoup participé à la construction. Quel est votre rapport à la matière et à la main de l’architecte lors de l’édification du projet ?

84La maison Pirotte est un cas typique. Après avoir fait un plan bien structuré, bien dimensionné, bien dessiné avec recours au bloc et à la brique, un monsieur est venu me rendre visite. Il a dit qu’il était concessionnaire, pour la Belgique, d’un produit BASF, une grosse boîte allemande. Il s’agissait de grands blocs creux de polystyrène dans lesquels on coulait du béton avec des armatures. Vous montez un mur, ou une portion de mur, avec ces blocs, vous mettez vos armatures, vous remplissez de béton et puis, le lendemain, vous pouvez continuer. Après avoir contacté le client, je lui ai dit que j’étais partant. Les plans étaient autorisés et je les ai tous redessinés à 5 %. Je suis allé à l›administration communale pour demander s’ils étaient d’accord que je change de matériau, ils ont dit « oui » tout de suite. Il y avait néanmoins un problème car ce monsieur voulait construire lui-même et il n’avait pas d’outils. Non seulement il n’avait pas d’outils mais il n’était pas manuel.

85Pendant toutes les grandes vacances, c’est à dire pendant deux mois, je suis allé avec mon fils tous les jours aider ce monsieur à construire sa maison. Nous en sommes venus à bout. Mais il ne savait rien faire, il fallait tout lui dire, suivre le chantier et, en plus de ça, le concessionnaire de BASF était en train de tomber en faillite. Je lui trouvai un particulier qui lui avança un million de l’époque et, bien que cela lui permît de survivre quelques temps, il dut finalement fermer boutique. Alors, gros problème ! Nous étions en train de faire la maison et tous les blocs de polystyrène, de grands blocs pour les murs, n’avaient pas encore été livrés. Nous sommes allés sur place et avons pris tout ce qui restait sur le chantier du concessionnaire et avons terminé la maison malgré tout. Donc le rapport aux matériaux était on ne peut plus complet.

86Maintenant je vous dirais que ça se passait dans les années 1985, j’ai eu à ce moment-là des clients qui voulaient faire de l’auto-construction. Je ne dis pas que je suis allé aussi loin qu’avec Pirotte car ils avaient quand même un certain savoir-faire, c’était des fils de fermiers. Mais il n’en reste pas moins que je suis allé sur le chantier pour leur indiquer comment ils devaient s’y prendre, pour ne pas qu’ils se trouvent devant des situations inextricables. Et comme ils n’étaient pas financièrement très à l’aise, je suis allé avec eux sur des chantiers de démolition acheter par exemple des escaliers. On achetait un escalier droit en bon état et, quand on voulait faire un escalier en deux parties, c’était moi qui le découpais. J’enfilais une salopette ; il m’arrivait d’ailleurs d’être à l›école en salopette !

87À l’école la salopette était nécessaire car il fallait improviser des bureaux et on n’avait personne pour les faire. Je suis allé dans trois bureaux différents à Saint-Luc et, à chaque fois, je les ai faits moi-même. Il m’est même arrivé de faire le bureau du directeur et une mezzanine dans une chapelle désaffectée pour y donner cours. J’ai été aidé par les étudiants et cela a été fait pendant les grandes vacances. C’était des étudiants nord-africains, très gentils et qui ne demandaient qu’à rendre service. C’est pour cela que j’étais attaché, non seulement à mon métier, mais aussi à l’école. J’avais des rapports privilégiés avec les étudiants.

88Comment concevez-vous le rôle d’architecte ? Est-ce plutôt un concepteur ou un coordinateur ? Est-il l’égal d’autres métiers de service ? Quelle place donnez-vous à l’architecte ?

89Il m’apparaît de plus en plus que le métier d’architecte se diversifie. Il devrait y avoir dans une même école des architectes qui se destinent à la pratique du métier, des architectes qui se destinent à la conception, des architectes qui se destinent à la recherche parce que, dans l’évolution actuelle du métier, on fonctionne de plus en plus en bureau et, dans un bureau, il n’y a pas d’autre solution que de se répartir la besogne. Donc, tout en concevant qu’un architecte devrait être capable de faire tout cela dans une vue idéale des choses, je crois qu’il devrait y avoir des spécificités pour chaque rôle qu’un architecte est obligé de jouer.

90Je crois aussi qu’il faudrait développer chez les architectes un certain sens moral. Je ne fais pas allusion ici à la déontologie. Un sens moral qui leur ouvre les portes de contacts meilleurs avec le client. Et, surtout, dans les préalables à l’acte de construire, qui n’oblige pas l’architecte à caresser dans le sens du poil des promoteurs et des dictateurs. À ce sujet-là, j’appréciais beaucoup Louis Kahn bien que, à force de l’étudier, d’entendre les propos qu’il a pu tenir lors d›interview, je me suis dit que ce n’était pas l’attitude idéale. Surtout dans la mesure où il prétendait à un certain moment que si un architecte voulait faire des choses et percer, il devait automatiquement trouver des gros mécènes. En ce qui le concernait, il avait fréquenté Ali Bhutto qui lui avait permis de construire le parlement de Dhaka au Bangladesh. Ali Bhutto, c’était un dictateur. Oscar Niemeyer a travaillé à Brasilia pour Kubitschek, lui aussi dictateur. Je dirais cependant, à sa décharge, que – enfin… on me l’a assuré – Oscar Niemeyer travaillait avec un fixe, comme un ouvrier ou un employé, mais dans le cadre d’une dictature. Il ne gagnait pas sa vie comme un architecte le fait actuellement. Tout cela est très complexe et, parfois, on sent que les architectes, pour se faire un nom, ont besoin d’appuis politiques, de relations… Je ne juge pas cela, mais je pense qu’à long terme ça peut être préjudiciable aux usagers de leurs œuvres. Quand il parlait de ce qu’il avait fait au Bangladesh, Louis Kahn avait des paroles très dures, il était, dans son comportement, aussi sec que Le Corbusier avait pu l’être parfois. C’était comme ça et pas autrement. Il allait jusqu’à dire que, bien qu’aient été prévus au départ des arbres autour du parlement, il préférait qu’il n’y en ait pas. Une simple pelouse mettait mieux ses bâtiments en valeur. Est-ce bien raisonnable ? Je pense au vieil Antoine Pompe, l’architecte bruxellois, qui disait « Il n’y a aucune maison qui ne mérite son lierre ». Il avait raison, à ceci près que le lierre détruit les maisons. J’avais un lierre ici, je l’ai toujours d’ailleurs et je dois le surveiller constamment parce qu’il entre dans la maison !

91Jusqu’où allez-vous dans la conception ? Vous êtes-vous déjà impliqué, au-delà de l’enveloppe, dans des opérations de menuiserie, de choix du mobilier ?

92Non, cela n’allait pas aussi loin. Rien de comparable avec Wright qui dessinait les meubles de certaines de ses maisons. Il faut voir dans quel milieu on évolue aussi. J’ai évolué dans un milieu pauvre. D’ailleurs un jour, lors d’une réception, j’ai entendu un monsieur que je connaissais très bien, pour qui j’avais une certaine sympathie, dire à sa femme : « Tu sais monsieur Simon construit surtout pour des pauvres ». Sur le moment cela m’a touché puis je me suis dit que tout compte fait il avait raison. Je ne lui en ai d’ailleurs pas voulu, il avait raison.

93Pensez-vous avoir souffert de construire essentiellement des projets pour de faibles budgets ?

94Non. Cela n’enlève rien au plaisir de concevoir. Le plaisir de concevoir, que je dois à mon associé avec lequel j’entretenais une relation d’amitié. C’était un homme charmant qui avait avec les clients des relations privilégiées à cause précisément de son entregent. Il m’a permis d’exercer ma préférence pour la conception et le dessin. Je rejoins ce que je disais tantôt sur ma manière de concevoir les études d’architecture et l’organisation d’une école. Il y a peut-être aussi des cours à donner sur la manière dont on doit pouvoir entrer en relation avec quelqu’un. C’est de plus en plus évident maintenant dans la mesure où les gens se croient aussi malins que l’architecte.

95Vous savez, pendant toute ma carrière, j’ai connu des gens qui avaient recours à un architecte parce qu’une loi de 1939 les y obligeait. Avant cela, on a pourtant fait de bonnes maisons, qui ont tenu le coup. Les architectes, quand ils sont entrés dans la danse et ont eu la certitude qu’ils devaient être contactés, ont-ils fait quelque chose de tellement différent de ce qui se faisait avant ? Je n’en suis pas sûr. Je parle ici des maisons et plus particulièrement rurales, voire périurbaines.

96Avez-vous un conseil à donner à notre jeune génération d’architectes ?

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Auto Center FINA, Liège, 1970 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Auto Center FINA, Liège, 1970 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Van Spauwen 2, 1973 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Nicolas Simon et Lucien Nahan (UTAH), Maison Van Spauwen 2, 1973 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Séance d’atelier à l’Institut Supérieur d’architecture Saint-Luc de Liège, À droite John Berhaut-Streel, au centre Nicolas Simon, de dos Émile-José Fettweis, 1982 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

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Séance d’atelier à l’Institut Supérieur d’architecture Saint-Luc de Liège, À droite John Berhaut-Streel, au centre Nicolas Simon, de dos Émile-José Fettweis, 1982 - Fonds N. Simon, GAR asbl – Faculté d’architecture ULiège

97Lorsque mon fils a voulu faire de l’architecture (il était malade quand il a pris cette décision), il m’a dit « Écoute Papa, je veux terminer mes humanités à Saint-Luc ». Il y avait effectivement des humanités artistiques à Saint-Luc. Il s’est retrouvé un petit peu comme moi lorsque je suis passé de l’université à Saint-Luc. M’étant dit qu’il voulait être architecte, je lui ai répondu : « Écoute Karl, le métier d›architecte, c’est 5% de jouissance pour le plaisir que tu éprouves à faire quelque chose et 95% d’emmerdes ! » Je continue à le penser et ça ne s’améliorera pas. Pourquoi ? En toute honnêteté je n’en sais trop rien. Mais je sens chez les gens avec qui il m’arrive occasionnellement de parler d’architecture, une manière d’agir et surtout de voir les choses qui me déçoit profondément.

98Le métier d’architecte restera un métier à part entière, j’en suis convaincu, mais il le restera pour les mordus, pour les gens qui en veulent, qui sont prêts à souffrir. Vous savez l’architecte de l’Arche de la Défense, à Paris, le danois Von Spreckelsen, avait été sélectionné lors d’un concours par une commission d’architectes. Celle-ci avait sélectionné quelques bureaux qui furent soumis à Mitterrand. Ce dernier choisit lui-même Von Spreckelsen. Quand on demanda à Von Spreckelsen ce qu’il avait fait – et cela lui valut les applaudissements car on crut qu’il minimisait son œuvre – il répondit en toute honnêteté : « Ma maison personnelle et quatre ou cinq églises au Danemark ». C’était la stricte vérité, il n’avait pas de bureau d’architecture, il avait un ami ingénieur auquel il avait recours. Alors il s’est vu mandaté pour faire l’Arche de la Défense. Je crois finalement que l’opération fut menée – je pense – par l’architecte Andreu, qui fit la BNF. Ce sont les grands bureaux d’architectes qui peuvent organiser de tels chantiers.

99En fait je suis assez embarrassé pour répondre à cette question. Est-ce que la véritable question ne serait pas : « Quelle est la place que je peux espérer avoir dans un bureau d’architecture ? » En cela je vais à contre-courant de beaucoup, dont mon fils. C’est un architecte qui sait tout faire et ne comprend pas comment un architecte peut se limiter à la recherche. Moi je comprends qu’un architecte puisse se limiter à la recherche, je le comprends d’autant mieux que je vois dans la recherche une issue pour l’architecte, pour la conception aussi d’ailleurs. Je dirai aussi qu’il faut se garder de frustrer ceux qui, ayant fait des études ciblées, se voient privés de les mettre en pratique. J’ai connu des fonctionnaires en charge de juger, d’orienter des projets d’architecture, qui me recevaient avec une évidente amertume. Un jour j’ai conçu une maison rurale pour un parent. Pour demander un avis préalable, j’avais fait une maquette en plus d’un plan. Le fonctionnaire de service, évitant mon regard, me dit : « C’est trop beau pour l’endroit ! ». Je protestai sans succès et fis rapport au client, qui m’ayant fait confiance, me tint pour responsable et mit fin à ma mission. Considérant mon échec, il fit des difficultés pour me payer de ma peine. Nous avons besoin des fonctionnaires comme de nos associés qui ont choisi des aspects plus pragmatiques du métier. Il convient de pallier des comportements que rend légitime leur isolement. Le partage organisé en rencontres peut seul y remédier.

100Février 2016

Notes

  • [1]
    Dans mon village existait une briqueterie dont l’instituteur nous avait expliqué le fonctionnement. Plus tard, amené à construire près de l’église, je découvris en réalisant les fondations, dans l’argile d’apparence saine, compacte, des morceaux de briques cuites ! Un vieux de l’endroit me dit qu’on avait fabriqué sur place les briques de l’église, qui existait avant l’actuel édifice.
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