Notes
-
[1]
Mark Hermann, Brassed Off, 1996.
-
[2]
Robert Page Arnot, The Miners. A History of the Miners’Federation of Great Britain 1889-1910, London, Allen & Unwin, 1949 ; Ronald Frankenberg, Village on the Border. A Social Study of Religion, Politics and Football in a North Wales Community, University of Michigan, Waveland Press, 1957 ; Norman Dennis, Fernando Henriques et Clifford Slaughter, Coal is our Life. An Analysis of a Yorkshire Mining Community, London, Tavistock Publications, 1956.
-
[3]
Notamment : Alan Campbell, Nina Fishman, David Howell, Miners, Unions and Politics 1910-1947, Brookfield, Scolar Press, 1996 ; Keith Gildart, North Wales Miners. A Fragile Unity, 1945-1996, Cardiff, University of Wales Press, 2001 ; Ben Curtis, The South Wales Miners : 1964-1985, Cardiff, University of Wales Press, 2013.
-
[4]
Ensembles de 24 instruments à vent et de percussions, dont l’instrumentation est fixée pour la compétition à la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne. Le répertoire est très varié allant d’adaptations de pièces de musiques classiques à des arrangements de chansons populaires en passant par des marches militaires et des hymnes religieux. Trevor Herbert, « Nineteenth-Century Bands : Making a Movement », in Trevor Herbert (dir.), The British Brass Band. A Social History, Oxford, Oxford University Press, 2000, pp. 10-67.
-
[5]
Anciens employés du NCB et membres de leur famille.
-
[6]
Corpus de documents provisoire, qui s’inscrit dans une thèse d’histoire en cours : Music and Identity : A social and cultural History of British Coalfields, 1945-1984 sous la direction de Paul-André Rosental (Sciences Po) et Arthur Mcivor (University of Strathclyde).
-
[7]
Arthur Mcivor, Working Lives. Work in Britain since 1945, Basingstoke, Palgrave, 2013, p. 207.
-
[8]
Ibidem.
-
[9]
Jim Phillips, « The Politics of Deindustrialisation in the Scottish Coalfields after 1945 », in Sylvie Aprile (dir.), Les Houillères entre l’Etat, le marché et la société. Les territoires de la résilience (XVIIIe-XXIe siècles), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 155-167
-
[10]
Coal, mai 1946 p. 6, NCM (National coal mining museum) online digitised collection (1947-1960) : http://www.ncmonline.org.
-
[11]
William Ashworth, History of the British Coal Industry. Vol. 5 1946 – 1982 : The Nationalized Industry, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 3.
-
[12]
Ibid., p. 41.
-
[13]
Ibid., p. 20.
-
[14]
Leo Enticknap, « British Cinema and the Nationalisation of Coal, 1946-1947 » in Simon Popple and Ian W. Macdonald, Digging the Seam. Popular Cultures of the 1984/5 Miners’Strike, Cambridge, Scholars Publishing, 2012, pp. 22-34.
-
[15]
Le magazine Coal devient le journal Coal News à partir de 1961.
-
[16]
Pour le cas du sport, voir Marion Fontaine, Le Racing club de Lens et les « Gueules noires », Paris, Les Indes Savantes, 2010 et « Sport et mobilisation politique dans les mines (1944-1950) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 3, 2011, pp. 23-33.
-
[17]
Ibidem
-
[18]
Coal, juin 1948, pp. 20-21, NCM online digitised collection : « C’était splendide de voir se manifester autant de joie et d’esprit d’équipe ! » Toutes les traductions sont de l’auteur.
-
[19]
T. Herbert (dir.), The British Brass Band…, op. cit.
-
[20]
Dave Russel, « What’s wrong with brass bands ? » Cultural change and the Band Movement, 1918 – c.1964 », in T. Herbert (dir.), The British Brass Band…, op. cit., p. 77.
-
[21]
Événements politiques et culturels marqués par un défilé des loges syndicales accompagnées des brass bands, suivi d’un meeting politique et de compétitions culturelles et sportives. Le plus important et le plus ancien est celui de Durham (1871). Martin Bulmer, Mining and Social Change. Durham County in the Twentieth Century, London, Croom Helm, 1978, p. 28.
-
[22]
Coal, juin 1948, p. 20-21, NCM digitised collection : « Une fanfare commença à jouer la mélodie triste d’un hymne en l’honneur des mineurs décédés. Les têtes étaient nues. Le silence se fit quand la musique se tût. »
-
[23]
D. Russel, « What’s wrong with brass bands… », art. cit. ; Keith Gildart, Images of England through Popular Music. Class, Youth and Rock’n’Roll, 1955-1976, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.
-
[24]
Jame Hinton, « The Communist Party, Production and Britain’s Post-War Settlement », in Geoff Andrews, Nina Fishman, Kevin Morgan (dir), Opening the Books : Essays on the Cultural History of the British Communist Party, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1995, p. 140.
-
[25]
Stuart Mcintyre, Little Moscows : Communism and Working-Class Militancy in Inter-War Britain, London, Croom Helm, 1980 ; G. Andrews, N. Fishman, K. Morgan (dir), Opening the Books…, op. cit. ; Sheryl B. Buckley, « Making Miners Militant ? The Communist Party of Great Britain in the National Union of Mineworkers, 1956-1985 » in Evan Smith et Matthew Worley (dir.), Waiting for the Revolution. The British Far Left from 1956, Manchester, Manchester University Press, 2017.
-
[26]
Kew, NA (National archives), Records of the Security Services, Files KV 3/378 to 380.
-
[27]
Salford Crescent, WCML (Working class movement library), Workers’Music Association Archives, Box 1, Policy for Music in Post-War Britain, 1945.
-
[28]
Dave Harker, One for the Money : Politics and Popular Song, London, Hutchinson, 1980 et Fakesong : The Manufacture of British « Folksong », 1700 to the Present Day, Manchester, Open University Press, 1985 ; Gerald Porter, « The World’s Ill-Divided : The Communist Party and Progressive Song » in Andy Croft (dir.), A Weapon in the Struggle : The Cultural History of the Communist Party in Britain, Londres, Pluto Press, 1998, pp. 171-191 ; Marion Henry, « Farewell Johnny Miner » : Musique et logique de désindustrialisation dans les bassins miniers britanniques (1945-1984), Mémoire de Master de l’IEP de Paris sous la direction de Paul-André Rosental, 2013.
-
[29]
Kew, NA, ED73/141 : Workers’Music Association, 1945-1951, Annual Report, 1949 : « Cela fait longtemps que l’association reconnaît le caractère proprement ouvrier de la pratique du brass band ».
-
[30]
Kew, NA, ED73/141, WMA, Annual Report, 1950, p. 1.
-
[31]
Kew, NA, ED73/141, WMA, Annual Report, 1949.
-
[32]
Richard Hoggart, The Uses of Literacy, Piscataway, Transaction Publishers, 1957 ; Marion Fontaine, « Une quête sans cesse renouvelée. Culture ouvrière et politique au prisme de Richard Hoggart », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 35, 2017, pp. 159-182.
-
[33]
S. Buckley, « Making Miners Militant… », art. cit.
-
[34]
Matlock, DRO (Derbyshire record office), D1920/1/5, NUM Derbyshire Area Records, Derbyshire’s miners’welfare bands, Leaflet of the WMA School of Music, 1959.
-
[35]
Ibidem
-
[36]
Edimbourg, NLS (National library of Scotland), Acc. 9805 : NUM Scottish Area Records, Welfare Committee Minutes and Agenda.
-
[37]
Matlock, DRO, D1920/1/5.
-
[38]
Edimbourg, NLS, Acc9805/30 : 1961, Scottish Divisional Welfare Committee Annual Report for 1960.
-
[39]
Notamment : Keith Gildart, Images of England…, op. cit. ; Simon Frith., Matt Brennan, Martin Cloonan, Emma Webster, The History of Live Music in Britain. Volume I: 1950-1967 : From Dance Hall to the 100 Club, Farnham, Surrey, Ashgate, 2013 ; Nicolas Verschueren, « Appréhender le travail des ouvrières par le chant », Revue Multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, n° 9, 2014, pp. 190-211 ; Philippe Gumplowicz, « De l’orphéon au jazz. Une métamorphose de classe (XIXe-XXe siècles) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 35, 2017, pp. 103-116 ; Christophe Prochasson, « Musique et politique : nouvelles approches », Le Mouvement social, n° 208, 2004, pp. 3-5 ; Malcom Theoleyre, Musique arabe, folklore de France ? Musique, politique et communautés musiciennes en contact à Alger durant la période coloniale (1862-1962), Thèse d’histoire de l’IEP de Paris sous la direction d’Emmanuelle Loyer, 2016.
-
[40]
M. Fontaine, Le Racing club de Lens…, op. cit. et « sport et mobilisation politique… », art. cit. ; Richard Holt (dir.), Sport and the Working-Class in Modern Britain, Manchester, Manchester University Press, 1990.
-
[41]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 76.
-
[42]
Ibid., p. 24.
-
[43]
Ibidem.
-
[44]
Cette typologie repose sur l’analyse des noms des brass bands liés à l’industrie minière croisés dans les sources : « town band », « colliery band » et « miners’band » ou « miners’welfare band » et s’appuie sur D. Russel, « What’s wrong with brass bands… », art. cit.
-
[45]
Ibid.
-
[46]
Entretien réalisé avec Marie Fawbert Smith à Alfreton, Derbyshire, Angleterre, le 19 mars 2018 : « Les partis politiques ? Non pas vraiment… Comment dire ? Bonne chance si tu es un Tory et que tu essayes de rejoindre le Shirland Miners’Welfare Band, disons-le comme ça. »
-
[47]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 32.
-
[48]
Ibid., p. 65.
-
[49]
Roy Church and Quentin Outram, Strikes and Solidarity. Coalfield Conflict in Britain, 1889-1966, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
-
[50]
C’est le cas par exemple sur le site internet du Croy Silver Band, Lanarkshire, Ecosse : http://www.croysilverband.com/history.html.
-
[51]
Ewan Gibbs, Deindustrialisation and Industrial Communities : The Lanarkshire coalfields c.1947-1983, Thèse d’histoire sous la direction de Jim Phillips, Université de Glasgow, 2016, pp. 121-132.
-
[52]
Newtongrange, NMMS (National mining museum Scotland), Programme du Scottish Miners’Gala Day, 1951 ; Entretiens réalisés avec Rab Wilson le 4 décembre 2018 et sa femme, Margaret Wilson, le 26 mai 2018 à New Cumnock, Ayrshire, Ecosse.
-
[53]
Newtongrange, NMMS, Programme du Scottish Miners’Gala Day, 1961.
-
[54]
T. Herbert, « Nineteenth-Century Bands… », art. cit.
-
[55]
Andrew Perchard, The Mine Management Professions in the Twentieth-Century Scottish Coal Mining Industry, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2007, p. 143.
-
[56]
Entretien réalisé avec Max Senior, Keith Kellet et Michael Wood à Dodworth, Yorkshire, Angleterre, le 21 juillet 2012 : « La mine était très bienveillante vis-à-vis des joueurs de football ou des musiciens de la fanfare, si tu étais en équipe d’après-midi par exemple ils te laissaient sortir du puit une demi-heure plus tôt pour venir aux répétitions. »
-
[57]
Entretien réalisé avec Stuart Fletcher à Clowne, Nottinghamshire, Angleterre, le 22 mars 2018.
-
[58]
Ibidem
-
[59]
« À l’extérieur de la salle de répétition »
-
[60]
Ibidem : « En général quand c’est jour de vote les gens te demandent « tu as voté ? » (…) Mais je ne me souviens pas que quelqu’un m’ait demandé… ils semblaient juste… laisser tout ce qui se passe dans le monde ou ici à l’extérieur dès qu’ils franchissaient la porte de la salle de répétition. C’était très étrange parfois de ne pas pouvoir parler de tout. »
-
[61]
Tim Strangleman, « « Smokestack Nostalgia », « Ruin Porn » or Working-Class Obituary: The Role and Meaning of Deindustrial Representation », International Labour and Working Class History, 84, 2013, p. 28.
-
[62]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 74.
-
[63]
Les brass bands les mieux classés aux compétitions reçoivent une somme d’argent.
-
[64]
Édimbourg, NLS, Acc. 9805/186, NUM Scottish Area, Circular No. 40/65, 7 juin 1965 : « Les groupes qui ne participent pas à la manifestation ne seront pas autorisés à prendre part aux compétitions. Cela doit être clairement signifié à votre brass band lors de son inscription. »
-
[65]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 71.
1Lorsqu’à la fin du film Brassed Off le Grimley Colliery Band remporte le premier prix du National Championships of Great Britain après une année de lutte liée à l’annonce de la fermeture de la mine locale, son chef refuse le trophée [1]. Il explique son geste dans un discours très politique fustigeant la politique industrielle des gouvernements successifs, qui détruit des emplois dans les régions minières britanniques. Mais quelques instants plus tard, alors que le brass band quitte la scène, l’un des musiciens prend quand même la coupe. Le dernier plan du film montre le groupe célébrer sa victoire sur le toit d’un bus à impériale en jouant « Lord of Hope and Glory ». Cette oscillation permanente entre le sérieux et le léger n’est pas seulement propre aux ingrédients d’une comédie sociale et romantique ; elle est constitutive du statut des brass bands miniers, dont il est difficile d’établir le degré de politisation.
2Les mondes miniers ont longtemps été présentés comme le porte-drapeau de la classe ouvrière et les cultures minières comme l’incarnation de sa cohésion. La vision des communautés minières britanniques comme des ensembles relativement isolés, clos et homogènes doit beaucoup à l’historiographie marxiste et aux community studies des années 1950 et 1960 [2]. Celle-ci a largement été critiquée à partir des années 1980 par un ensemble de travaux s’appuyant sur des analyses régionales et locales [3]. Les brass bands, qui ont un lien ancien avec l’industrie minière britannique, apparaissent comme une forme culturelle traditionnelle des bassins miniers par opposition à d’autres types de musiques populaires issus de l’influence américaine et de la culture jeune comme le jazz et le rock’n’roll. Au moment de la nationalisation de l’industrie minière britannique en 1947, ces groupes musicaux amateurs sont alors le symbole culturel de l’unité des mondes miniers. Les brass bands constituent alors un objet particulièrement pertinent pour interroger les processus d’essentialisation des cultures minières britanniques dans une perspective politique. Il s’agit alors de se demander s’il est possible de mettre en évidence une utilisation politique des brass bands miniers par les différents acteurs et si ces groupes sont des vecteurs de politisation des bassins miniers. Ces usages politiques et formes de politisation seront interrogés dans leurs manifestations explicites mais aussi implicites.
3Ce travail propose d’utiliser la notion délibérément large de brass bands miniers pour renvoyer aux formations musicales de type brass band qui ont un lien avec l’industrie minière nationalisée entre 1945 et le début des années 1960 [4]. Toutefois, la variété de statut et de la composition professionnelle des groupes rend le choix d’un critère de définition compliqué. L’adjectif « minier » renvoie donc ici à une définition relativement large, permettant de prendre en compte les formations musicales qui présentent un nombre suffisant de personnes connectées à l’industrie minière pour prétendre à la mise en avant de cette identité professionnelle et sociale. Celle-ci est généralement visible dans le nom du brass band et/ou la participation à des événements propres aux régions minières comme les galas.
4Cette étude s’intéresse à l’ensemble des bassins charbonniers britanniques, comprenant l’Écosse, l’Angleterre est le pays de Galles mais détaillera d’avantage le cas de trois régions aux caractéristiques contrastées en 1945 : l’Écosse, les Midlands de l’Est et le Yorkshire. Alors que les infrastructures vieillissantes des bassins miniers écossais conduisent à des fermetures de puits dès la fin des années 1950, les mines plus modernes et prospères du Yorkshire et des Midlands de l’Est sont touchées plus tardivement par le processus de désindustrialisation. L’analyse repose sur des sources très peu, voire pas du tout, mises en avant par les historiens des mines de charbon britanniques : les documents des fonds de la CISWO (Coal industry social and welfare organisation) liés à l’organisation des activités musicales et le magazine Coal, publié par le NCB (National coal board) à partir de 1947. S’y ajoute une collection de onze entretiens menés avec des musiciens de brass bands liés à l’industrie minière [5], nés avant 1950 et originaires d’Ecosse des Midlands de l’Est et du Yorkshire [6]. Si les liens entre brass bands miniers et politique se jouent sur le temps long, la période qui s’étend de 1945 au début des années 1960 redéfinit le lien entre cultures minières et industrie avec la nationalisation de l’industrie minière en 1947. Elle est également caractérisée par un relatif consensus social et politique entre l’État, l’industrie et les syndicats [7] jusqu’à la première vague de grèves non-officielles entre 1957 et 1962 [8]. Les effets de la politique de fermetures de puits, qui débute dès la fin des années 1950 pour les bassins miniers d’Écosse et du Sud du Pays de Galles, ne sont visibles qu’à partir du début des années 1960 et le retour au pouvoir du Labour en 1964 [9]. La période choisie est enfin marquée par un contexte politique international tendu avec la rupture entre les États-Unis et l’URSS en 1947, qui donne au CPGB (Communist Party of Great Britain) une position ambiguë en Grande-Bretagne.
Les brass bands miniers, l’industrie nationalisée et les partis politiques : les usages politiques d’une forme essentialisée des cultures minières
Les brass bands minier, vitrine de l’industrie nationalisée
5« Coal is our currency » titre le magazine Coal en mai 1947 [10]. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la question du charbon est centrale dans la reconstruction du pays et la capacité de l’industrie à atteindre les objectifs de production est source de préoccupation pour le gouvernement travailliste élu en 1944. L’extraction de charbon a décliné de 235 millions de tonnes en 1939 à 177, 5 millions en 1945 et l’effectif de la main d’œuvre est tombé de 776 000 à 692 000 entre 1939 et 1946 [11]. L’état des infrastructures varie grandement selon les régions minières et le rapport Reid de 1945 plaide pour une vaste entreprise de modernisation de l’industrie [12]. La nationalisation est censée répondre à ces défis et prévoit le transfert de près de 1 500 mines et autres bâtiments liés à l’industrie à l’État le 1er janvier 1947 [13]. C’est le NCB qui est responsable de la gestion de l’industrie à partir de cette date. Les performances de celle-ci constituent alors un enjeu tout autant économique que politique pour le gouvernement travailliste, qui met en place une vaste entreprise de promotion de l’industrie nouvellement nationalisée et de ses ouvriers par l’intermédiaire du NCB. Ainsi, le ciné-magazine du NCB « Mining Review », lancé en 1947, plonge le spectateur à la fois dans le travail à la mine et dans la vie sociale et culturelle des régions minières [14].
6Il est en effet tout aussi important de montrer les aspects techniques que le visage heureux de l’industrie, qui transparait lors des événements sociaux et culturels organisés par le NCB. Le magazine Coal, publié et distribué par le NCB à partir de 1947 est une source particulièrement utile pour mettre en lumière l’utilisation politique des loisirs par l’industrie minière [15]. Les loisirs sont un outil important de promotion et de mobilisation des forces au lendemain de la guerre [16]. C’est le cas du football, dont l’esprit d’équipe fait écho à celui qui prévaut à la mine [17]. De la même manière, les pratiques musicales de groupe permettent d’exprimer l’unité de l’industrie. Le compte-rendu du magazine Coal du National Colliery Music Festival organisé par le NCB à Londres en 1948 s’enthousiasme de la cohésion des pipe bands, des brass bands et des chorales de mineurs : « It was spendid to have such a happy team spirit [18] ! » Parmi ces genres musicaux, ce sont les brass bands qui sont le plus utiles à la mise en avant d’une culture minière essentialisée et présentée comme le symbole de l’unité du groupe. En effet, le lien entre les régions industrielles britanniques et les brass bands est constitutif de cette pratique musicale largement amateur. Trouvant son origine dans le Nord industriel de l’Angleterre, le Brass Band Movement se formalise à la fin du xixe siècle autour de la compétition [19]. Cette dimension ouvrière persiste jusqu’aux années 1960 et la présence des brass bands est particulièrement forte dans les bassins charbonniers britanniques en 1945 [20]. Outre la mise en exergue d’une forte identité ouvrière, les brass bands permettent également de souligner le caractère britannique d’une industrie nationalisée qui se veut aussi nationale et d’exprimer l’unité des régions minières anglaises, écossaises et galloises. Originaire d’Angleterre, le Brass Band Movement est également très populaire en Ecosse et au Pays de Galles, contrairement aux pipe bands et aux chorales qui sont respectivement majoritaires dans chacune de ces régions.
7Cette utilisation politique des brass bands miniers au service de l’industrie nationalisée est particulièrement visible lors de moments très symboliques comme les galas [21]. Lors du gala de Durham de l’été 1947, le premier après la nationalisation, la tonalité est à l’harmonie entre l’industrie et ses ouvriers, unis derrière l’objectif de production. Il s’agit alors de célébrer l’aboutissement du vieux rêve de « la mine aux mineurs ». L’heure n’est plus aux luttes sociales mais à l’union autour du défi à venir et à l’hommage aux mineurs qui ont donné leur vie à l’industrie. Cet esprit de communion est accentué par le pouvoir fédérateur de la musique : « A band struck up the sad melody of a hymn in honour of dead miners. Heads were bared. There was a silence when singing ceased [22]. » Cette instrumentalisation devient moins tangible à mesure que l’on avance dans les années 1950 et que l’entreprise de promotion du NCB s’essouffle. Ce qui demeure visible néanmoins, c’est l’affirmation du lien intrinsèque entre brass bands et cultures minières et l’utilisation du genre musical comme matérialisation d’une culture minière homogène, alors que les premiers puits de mines ferment à la fin des années 1950 et que de nouvelles sonorités venues des États-Unis mettent davantage à l’épreuve cette unité culturelle apparente [23]. En effet, jusqu’au début des années 1960, le magazine Coal s’intéresse très peu aux groupes de jazz et aux dance bands, qui sont pourtant pléthore dans les bassins miniers. Si le NCB cherche à donner de l’industrie minière une image moderne sur les plans technique et sanitaire, c’est le conservatisme culturel qui semble primer, en mettant au premier plan ces formations musicales garantes de la tradition. L’industrie minière nationalisée trouve ainsi le porte-drapeau parfait de son unité dans la figure des brass bands même s’il est toutefois peu probable que cette utilisation politique relève d’un plan cohérent de la part du NCB.
Une musique « pour le peuple par le peuple » : le rôle des brass bands dans la politique culturelle du CPGB
8Le caractère populaire et ouvrier du Brass Band Movement est également utile aux partis de gauche et en particulier au CPGB. Le CPGB est un acteur politique marginal en Grande-Bretagne en 1945, comparativement au Labour, dont le lien avec les mondes ouvriers est à son apogée dans les années 1940 [24], et à ses homologues européens. Cette particularité a conduit les historiens à minimiser son rôle politique et social mais celui-ci a été réévalué depuis les années 1990 [25]. Questionner le rôle de la musique, et en particulier des brass bands miniers dans la politique culturelle du CPGB permet d’apporter un nouvel éclairage sur une histoire largement centrée sur les relations industrielles entre l’État, les partis et les syndicats.
9La place de la musique au sein de la politique culturelle communiste britannique est visible à travers la création de la WMA (Workers’music association) par le compositeur communiste britannique Alan Bush en 1936. Cette organisation, perçue par le gouvernement britannique comme une sentinelle de la propagande communiste au sein des milieux artistiques, est étroitement surveillée de 1943 au début des années 1950 [26]. L’objectif de la WMA est de développer la pratique et l’offre musicale dans les régions industrielles tout en diffusant les idées communistes [27]. Si le lien entre la musique et la politique culturelle du CPGB a bien été mis en évidence par les historiens à travers l’analyse du Folk Revival [28], le cas des brass bands est beaucoup moins connu. Pourtant, l’esprit d’équipe, le lien ancien avec les mondes ouvriers et le caractère britannique de ce genre musical, sont des caractéristiques qui sont à la fois mises en évidence par le NCB et la WMA. L’organisation affiliée au CPGB réaffirme la forte identité ouvrière du Brass Band Movement en 1949 : « It has long been recognized by the Association that the brass band was peculiarly a working-class form of musical activity [29]. » Le caractère britannique du genre est également perçu par la pensée communiste comme un rempart contre l’« invasion culturelle » américaine dans les premiers temps de la Guerre Froide [30]. Si les brass bands ont perdu un peu de leur assise populaire depuis l’entre-deux-guerres, c’est à cause, selon la WMA, de l’omniprésence de la compétition et de la domination des intérêts commerciaux [31]. On retrouve cette idée dans les travaux des Cultural Studies de la fin des années 1950 et du début des années 1960 et notamment chez Richard Hoggart, où les formes de cultures ouvrières apparaissent comme progressivement avalées par les forces de la logique de marché et de la culture de masse [32].
10Qu’en est-il des liens entre la WMA et les brass bands miniers ? Plusieurs travaux ont mis en évidence l’entreprise de politisation des syndicats ouvriers par le GPGB après la guerre et notamment du NUM (National union of mineworkers) [33]. Ce projet est également visible sur le plan des pratiques musicales et le cas de la Summer School of Music organisée par la WMA est particulièrement intéressant. Cette école d’été créée en 1947, qui vise à encourager les musiciens issus des régions industrielles, se déroule chaque année à Wortley Hall dans le Yorkshire et s’adresse aux musiciens de tous âges [34]. Encadrée par des musiciens professionnels, elle propose une offre de cours variée allant de la théorie musicale à l’improvisation de jazz en passant par la musique folk et la musique des brass bands [35]. L’initiative est soutenue par l’industrie minière via la CISWO, qui propose des bourses aux jeunes musiciens souhaitant participer. La division écossaise de la CISWO délivre ainsi chaque année huit bourses d’une valeur totale de £200 entre 1957 et 1965 [36]. C’est également le cas du comité du Derbyshire de la CISWO à partir de 1960 [37]. Mais si les rapports annuels de la CISWO soulignent le succès de la Summer School, il semble toutefois que sa dimension politique soit peu intégrée par les musiciens [38] et que les résultats de cette initiative, par ailleurs relativement marginale, soient à nuancer. Cet exemple témoigne toutefois de l’existence de lien entre le CPGB, l’industrie nationalisée et le NUM, par le biais de la CISWO, en particulier dans des régions d’avantage sensibles à l’influence communiste comme l’Écosse.
11Si les utilisations politiques des brass bands miniers par l’industrie nationalisée et le CPGB sont bien visibles de 1945 au début des années 1960, et plus particulièrement entre 1947 et le début des années 1950, celles-ci ne semblent pas permettre la mise en évidence d’un plan cohérent d’instrumentalisation politique. Les gouvernements britanniques successifs, travailliste puis conservateur, ont d’abord en tête la question de la modernisation et de la productivité de l’industrie et le rôle du CPGB est à relativiser. L’exemple du soutien de la CISWO à la Summer School de la WMA est toutefois particulièrement intéressant car il permet de mettre en lumière des formes de coopération entre l’industrie minière nationalisée, le NUM et le CPGB en matière de politique culturelle jusqu’au début des années 1960.
Les brass bands miniers : acteurs de la vie politique ou espaces apolitiques des communautés minières ?
12Malgré le fort potentiel d’utilisation politique des brass bands, les historiens du Brass Band Movement ne mettent que très peu, voire pas du tout en avant cette dimension et l’articulation entre ces formations musicales et les mondes industriels britanniques demeure très largement inexplorée. L’élan relativement récent du dialogue entre histoire sociale et popular music studies d’une part et l’appel d’autre part à une exploration des liens entre musique et politique, utilisant les méthodes de la musicologie, donnent des pistes très utiles à l’analyse de l’inscription sociale et politique des brass bands au sein des régions minières [39]. L’étude des relations entre musique, sociabilités et politisation peut également s’inspirer de l’histoire sociale et politique du sport, qui a connu un développement antérieur [40]. Dans un article récent, Marion Fontaine explique l’ambiguïté structurante des formes de sociabilités ouvrières liées aux loisirs, qui alternent « entre le sérieux et le jeu, le politique et l’apolitique » [41]. Elle souligne également que l’alternative entre instrumentalisation totale de ces pratiques et imperméabilité au politique n’est pas satisfaisante [42]. L’étude des rapports entre brass bands miniers et politisation est complexe et nécessite d’interroger la multiplicité des affiliations de ces groupes musicaux. Le but de ce travail est alors de proposer des pistes d’interprétation et de participer aux discussions à travers le cas d’ensembles musicaux qui se situent toujours à la frontière du politique.
Les brass bands : des vecteurs de politisation implicites au sein des bassins miniers
13Le caractère politique des brass bands miniers n’est jamais explicite entre 1945 et 1960 et il n’existe pas d’entreprise de politisation dont l’envergure serait semblable à celle du Parti communiste en France après la guerre [43]. Ces formations musicales sont soit reliées historiquement à un village, soit à une compagnie minière et donc à l’industrie nationalisée à partir de 1947, soit à un miners’welfare, géré par la CISWO à partir de 1952 [44]. Les brass bands ne sont alors jamais intégrés à des structures manifestement militantes, comme c’est le cas pour les équipes de football corporatives du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais entre 1945 et 1950 [45]. Le CPGB n’entreprend pas une telle initiative d’encadrement des pratiques musicales et le Labour, dont le lien avec le mouvement ouvrier est pourtant à son apogée dans les années 1940, n’est pas mentionné explicitement dans les sources. C’est comme si l’affiliation à la gauche était finalement trop évidente pour être signifiante comme le montre cet entretien réalisé avec Marie Fawbert Smith, musicienne du Shirland Miners’Welfare Band et issue d’une famille de mineurs : « No, there was no sort of political party… How can I put it ? You’d be in a sorry state if you were a Tory and you tried to become a member of Shirland Welfare let’s put it like that [46]. » Marie souligne aussi que son père, mineur et chef du brass band entre les années 1940 et 1960 était par ailleurs un syndicaliste affilié au NUM (National Union of Mineworkers). Cette proximité politique ne suffit pourtant pas à faire du Shirland Miners’Welfare Band une organisation politisée et militante. L’affiliation politique ne conduit pas nécessairement à la mobilisation comme le souligne Marion Fontaine : « L’adhésion au Syndicat, le vote en faveur d’un parti n’impliquent pas, ou plus, l’acceptation d’un engagement de tous les instants [47]. »
14Si les affinités politiques des brass bands miniers ne sont jamais explicites et n’induisent pas nécessairement une propension à la mobilisation, il faut s’employer à mettre en lumière les formes de politisation implicites, qui permettent de comprendre le rôle symbolique que ces formations musicales peuvent momentanément endosser. En définissant la politisation comme la « manifestation de l’adhésion à un projet et à des valeurs dans l’espace public [48] », on peut en trouver des signes dans l’analyse du rôle joué par les brass bands lors de certains événements politiques et sociaux. L’attachement à la solidarité, inhérente à l’histoire des mondes ouvriers et structurante au sein du Brass Band Movement, est manifeste dans la mobilisation de ces groupes musicaux lors des périodes de grève. Cela est toutefois difficile à vérifier pour la période 1945-1960 car les grèves ne sont pas massives et sont toutes non-officielles [49]. Ce que l’on peut cependant mettre en avant, c’est l’entretien de la mémoire des grèves de 1921 et 1926 par les brass bands miniers. Lors de ces événements, un certain nombre de formations musicales s’emploient à récolter de l’argent pour des soupes populaires destinées aux mineurs grévistes. Ce soutien aux mouvements sociaux est une source de fierté pour les brass bands, qui le mettent en avant jusqu’à aujourd’hui [50]. Cette fonction politique et sociale, liée à l’expression d’une solidarité ouvrière est davantage visible dans la participation des formations musicales aux miners’gala. Le cas du Scottish Miners’Gala, qui a lieu chaque année à Edinburgh à partir de la nationalisation, est un cas particulièrement intéressant et peu étudié. Dans sa récente thèse, Ewan Gibbs a montré l’importance de cet événement dans la l’expression du nationalisme écossais au sein du mouvement ouvrier [51]. La revendication d’une identité nationale est bien visible avec la présence des pipe bands, symboles d’une pratique culturelle typiquement écossaise mais aussi à travers l’analyse du répertoire des brass bands lors du gala, puisque les airs traditionnels y occupent une place non négligeable [52]. Lors du gala de 1961, qui célèbre le départ à la retraite du président de la branche écossaise du NUM et personnalité communiste Abbe Moffat (1942-1961), il est prévu que le brass band vainqueur de la compétition joue « Auld Lang Syne » à la fin de la journée [53]. Cet air traditionnel écossais exprime la nostalgie des adieux tout en célébrant un nouveau départ. La décision du NUM, qui organise l’évènement, de faire jouer cette pièce de musique lors du départ d’Abbe Moffat a donc une portée symbolique très forte, entre hommage politique, manifestation d’une identité nationale et expression d’un espoir pour l’avenir du NUM écossais. Cela montre également la grande plasticité de la signification politique de la musique des brass bands, dont le caractère britannique peut être détourné par la mise en avant d’un répertoire national.
15Il faut cependant prendre garde à ne pas sur-interpréter cette manifestation de la solidarité ouvrière dans la sphère publique par l’intermédiaire des brass bands miniers car l’étude de leur fonctionnement montre que ces organisations matérialisent un certain nombre de conflits qui se jouent dans les relations au travail. Le lien entre l’industrie et les brass bands s’est développé dans le cadre du paternalisme minier de la deuxième moitié du XIXe siècle [54] et a construit une relation privilégiée entre certains « colliery managers » et les formations musicales. Celle-ci se poursuit après la nationalisation, qui n’a pas conduit à un changement massif du personnel d’encadrement des mines [55]. Cette position particulière des brass bands conduit parfois les mineurs-musiciens à disposer de certains avantages, notamment en termes d’horaires de travail. Ils peuvent alors être autorisés par les managers à ne pas travailler dans l’équipe de l’après-midi ou de nuit afin de pouvoir participer aux répétitions. C’est le cas de la mine de Dodworth dans le Yorkshire, où les musiciens du Dodworth Colliery Band sont autorisés à terminer plus tôt : « The colliery was very good for the football or the band players for instance if you’re on afternoon shift they let you out of the pit half an hour early to come to rehearsals [56]. » Mais si les anciens mineurs-musiciens interviewés sont souvent peu enclins à relier ce traitement spécial à d’éventuels conflits avec d’autres mineurs, le mécontentement de ces derniers transparait pourtant dans les entretiens. Quand Stuart Fletcher quitte son travail dans le bâtiment pour rejoindre le prestigieux Creswell Colliery Band, on lui offre un poste à la mine du même nom [57]. Celui-ci se souvient alors de l’irritation du mineur en charge de sa formation, agacé de devoir expliquer le travail de mineur à des ouvriers recrutés avant tout pour le brass band [58]. La situation des mineurs-musiciens est toutefois très hétérogène et dépend largement du statut de la formation musicale et surtout de ses performances aux compétitions. Il serait toutefois intéressant de savoir dans quelle mesure le degré de proximité entre les managers et les brass bands influe sur la propension des musiciens à affirmer une solidarité ouvrière dans la sphère publique.
« Outside the band room door [59] » : une mise à distance volontaire du politique ?
16Si les brass bands sont des acteurs politiques des bassins miniers, au sens où ils sont ancrés dans un contexte politique et social, la question de la signification politique pour leurs membres, de la manifestation d’un soutien à des idées ou à des valeurs liées à une identité minière est toujours en suspens. Les sources orales mettent davantage en avant la dimension apolitique des brass bands. Stuart Fletcher se souvient ainsi du silence sur le vote dans la salle de répétition : « You know in general you go around and people say to you ‘have you voted ?’ (…) But I don’t remember anybody saying… they just… seemed to leave everything that was happening in the world or here left outside the band room door when they walked pass the band room door. It was very strange at time you couldn’t talk to them about things [60]. » En général, les témoignages oraux insistent en permanence sur la solidarité et la camaraderie et taisent les éventuelles dissensions politiques. Ce silence apparent est certainement en partie tributaire de la prégnance de la mémoire de la grève de 1984-1985, qui a considérablement divisé les régions minières et en particulier les Midlands de l’Est. Ce biais lié à la nature des sources doit cependant être interrogé en procédant à une analyse systématique des mécanismes de construction du récit. On peut y voir d’une part la prégnance de la nostalgie la mémoire collective du passé minier. Le sociologue Tim Strangleman montre en effet que la nostalgie fait partie d’un processus de deuil de la perte des relations sociales, des activités culturelles et des identités professionnelles dans le cadre de la désindustrialisation [61]. D’autre part, on peut faire l’hypothèse que ce mutisme relatif témoigne d’une politisation informelle des musiciens et de leur adhésion à deux valeurs principales que sont la discipline et la solidarité. L’importance de ces valeurs à la fois pour Brass Band Movement, l’industrie minière et l’action militante expliquerait alors la plasticité des utilisations politiques du genre musical. Les brass bands peuvent ainsi à la fois exprimer l’ordre et de la camaraderie au travail comme se faire le symbole de l’unité ouvrière. Ce caractère consensuel permettrait de comprendre la force de la figure des brass bands dans la construction d’une culture minière essentialisée.
17Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre ce silence au sérieux, comme le souligne Marion Fontaine à propos de l’entreprise de politisation du football par le Parti Communiste dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais après 1950 : « Même pour les mineurs des grandes années de la nationalisation, et surtout parmi les plus jeunes, il existe sans doute l’idée qu’il y a des lieux et des instances pour faire de la politique (…), des lieux et des moments pour ne pas en faire justement, pour échapper aux contraintes du politique. La sociabilité, comme le rappelle Georg Simmel, fonctionne aussi comme lieu de mise à distance du sérieux social ou politique [62]. » C’est bien de cette de mise à distance volontaire du sérieux et du politique qu’attestent la plupart des entretiens. La pratique musicale est avant tout un divertissement voire une échappatoire, notamment pour les musiciens qui travaillent à la mine. Il faut également souligner l’importance de la compétition au sein du Brass Band Movement. Les concours sont une véritable motivation pour les brass bands miniers et semblent intéresser d’avantage les musiciens que les aspects politiques des galas [63]. Dans un document relatif à l’organisation du gala écossais par le NUM en 1965, il est signifié aux brass bands qu’ils ont l’obligation d’être présents à la manifestation pour pouvoir participer au concours : « Bands which do not participate in the demonstration will not be allowed to participate in the competitions. This should be made clear to your band when you engage in it [64]. » La fermeté du NUM semble davantage souligner ici l’attrait pour la compétition, voire même le désintérêt pour les aspects politiques de l’événement, que la force du lien entre les formations musicales et le syndicat. Reste à savoir si cette mise à distance du politique au sein des brass bands miniers est structurelle ou conjoncturelle. Marion Fontaine souligne ainsi l’aspect non-linéaire de la politisation « faite de seuils, de reflux et de paroxysmes [65]. » Si la période qui va de 1945 au début des années 1960 ne semble pas constituer un moment particulier de politisation pour les musiciens des brass-bands, qu’en est-il de celle qui s’étend des années 1960 au milieu des années 1980, marquée par une accélération et une intensification du processus de désindustrialisation, la rupture du consensus social et le regain du caractère militant du mouvement syndical ?
18Les utilisations politiques et formes de politisation des brass bands miniers sont des processus davantage implicites qu’explicites, procédant à la mise en avant d’une identité minière essentialisée, marquée par l’unité, l’homogénéité et la solidarité. Ces mécanismes s’inscrivent dans le temps long de l’histoire des bassins miniers britanniques et s’inspirent de temps forts comme les grèves de 1921 et 1926 pour se redéployer dans un contexte de recherche de cohésion de 1945 au début des années 1960. Cette prégnance du politique n’entraine toutefois ni la mise en place d’un plan cohérent de politisation de la musique de la part de l’industrie nationalisée et des partis politiques, ni une mobilisation politique des musiciens au-delà de la manifestation de l’adhésion à des valeurs communes comme la solidarité et la discipline. Ces formes de politisation ont toutefois un poids important car elles participent à la construction d’une culture minière présentée comme homogène et traditionnelle et servant le mythe de l’unité des mineurs britanniques. Ce mythe social et politique est doublé d’un mythe culturel, qui oppose des formes de cultures ouvrières pensées comme « traditionnelles » à la culture de masse. Ce clivage ne peut conduire qu’à deux formes d’interprétation et deux attitudes dans le contexte de la désindustrialisation et du succès des produits culturels venus des États-Unis : une lamentation pessimiste liée au déclin ou une posture de résistance. Aucune de ces deux alternatives n’est satisfaisante car l’homogénéité des cultures ouvrières est présupposée. Ainsi, on fait des brass bands miniers le symbole d’un monde disparu, dans un discours qui alterne entre l’inéluctable chant du cygne et la fierté de la lutte. Le dialogue entre histoire sociale et histoire culturelle permet au contraire de mettre en évidence la complexité des affiliations sociales, culturelles et politiques de cette pratique musicale.
Notes
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[1]
Mark Hermann, Brassed Off, 1996.
-
[2]
Robert Page Arnot, The Miners. A History of the Miners’Federation of Great Britain 1889-1910, London, Allen & Unwin, 1949 ; Ronald Frankenberg, Village on the Border. A Social Study of Religion, Politics and Football in a North Wales Community, University of Michigan, Waveland Press, 1957 ; Norman Dennis, Fernando Henriques et Clifford Slaughter, Coal is our Life. An Analysis of a Yorkshire Mining Community, London, Tavistock Publications, 1956.
-
[3]
Notamment : Alan Campbell, Nina Fishman, David Howell, Miners, Unions and Politics 1910-1947, Brookfield, Scolar Press, 1996 ; Keith Gildart, North Wales Miners. A Fragile Unity, 1945-1996, Cardiff, University of Wales Press, 2001 ; Ben Curtis, The South Wales Miners : 1964-1985, Cardiff, University of Wales Press, 2013.
-
[4]
Ensembles de 24 instruments à vent et de percussions, dont l’instrumentation est fixée pour la compétition à la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne. Le répertoire est très varié allant d’adaptations de pièces de musiques classiques à des arrangements de chansons populaires en passant par des marches militaires et des hymnes religieux. Trevor Herbert, « Nineteenth-Century Bands : Making a Movement », in Trevor Herbert (dir.), The British Brass Band. A Social History, Oxford, Oxford University Press, 2000, pp. 10-67.
-
[5]
Anciens employés du NCB et membres de leur famille.
-
[6]
Corpus de documents provisoire, qui s’inscrit dans une thèse d’histoire en cours : Music and Identity : A social and cultural History of British Coalfields, 1945-1984 sous la direction de Paul-André Rosental (Sciences Po) et Arthur Mcivor (University of Strathclyde).
-
[7]
Arthur Mcivor, Working Lives. Work in Britain since 1945, Basingstoke, Palgrave, 2013, p. 207.
-
[8]
Ibidem.
-
[9]
Jim Phillips, « The Politics of Deindustrialisation in the Scottish Coalfields after 1945 », in Sylvie Aprile (dir.), Les Houillères entre l’Etat, le marché et la société. Les territoires de la résilience (XVIIIe-XXIe siècles), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, pp. 155-167
-
[10]
Coal, mai 1946 p. 6, NCM (National coal mining museum) online digitised collection (1947-1960) : http://www.ncmonline.org.
-
[11]
William Ashworth, History of the British Coal Industry. Vol. 5 1946 – 1982 : The Nationalized Industry, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 3.
-
[12]
Ibid., p. 41.
-
[13]
Ibid., p. 20.
-
[14]
Leo Enticknap, « British Cinema and the Nationalisation of Coal, 1946-1947 » in Simon Popple and Ian W. Macdonald, Digging the Seam. Popular Cultures of the 1984/5 Miners’Strike, Cambridge, Scholars Publishing, 2012, pp. 22-34.
-
[15]
Le magazine Coal devient le journal Coal News à partir de 1961.
-
[16]
Pour le cas du sport, voir Marion Fontaine, Le Racing club de Lens et les « Gueules noires », Paris, Les Indes Savantes, 2010 et « Sport et mobilisation politique dans les mines (1944-1950) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 3, 2011, pp. 23-33.
-
[17]
Ibidem
-
[18]
Coal, juin 1948, pp. 20-21, NCM online digitised collection : « C’était splendide de voir se manifester autant de joie et d’esprit d’équipe ! » Toutes les traductions sont de l’auteur.
-
[19]
T. Herbert (dir.), The British Brass Band…, op. cit.
-
[20]
Dave Russel, « What’s wrong with brass bands ? » Cultural change and the Band Movement, 1918 – c.1964 », in T. Herbert (dir.), The British Brass Band…, op. cit., p. 77.
-
[21]
Événements politiques et culturels marqués par un défilé des loges syndicales accompagnées des brass bands, suivi d’un meeting politique et de compétitions culturelles et sportives. Le plus important et le plus ancien est celui de Durham (1871). Martin Bulmer, Mining and Social Change. Durham County in the Twentieth Century, London, Croom Helm, 1978, p. 28.
-
[22]
Coal, juin 1948, p. 20-21, NCM digitised collection : « Une fanfare commença à jouer la mélodie triste d’un hymne en l’honneur des mineurs décédés. Les têtes étaient nues. Le silence se fit quand la musique se tût. »
-
[23]
D. Russel, « What’s wrong with brass bands… », art. cit. ; Keith Gildart, Images of England through Popular Music. Class, Youth and Rock’n’Roll, 1955-1976, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.
-
[24]
Jame Hinton, « The Communist Party, Production and Britain’s Post-War Settlement », in Geoff Andrews, Nina Fishman, Kevin Morgan (dir), Opening the Books : Essays on the Cultural History of the British Communist Party, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1995, p. 140.
-
[25]
Stuart Mcintyre, Little Moscows : Communism and Working-Class Militancy in Inter-War Britain, London, Croom Helm, 1980 ; G. Andrews, N. Fishman, K. Morgan (dir), Opening the Books…, op. cit. ; Sheryl B. Buckley, « Making Miners Militant ? The Communist Party of Great Britain in the National Union of Mineworkers, 1956-1985 » in Evan Smith et Matthew Worley (dir.), Waiting for the Revolution. The British Far Left from 1956, Manchester, Manchester University Press, 2017.
-
[26]
Kew, NA (National archives), Records of the Security Services, Files KV 3/378 to 380.
-
[27]
Salford Crescent, WCML (Working class movement library), Workers’Music Association Archives, Box 1, Policy for Music in Post-War Britain, 1945.
-
[28]
Dave Harker, One for the Money : Politics and Popular Song, London, Hutchinson, 1980 et Fakesong : The Manufacture of British « Folksong », 1700 to the Present Day, Manchester, Open University Press, 1985 ; Gerald Porter, « The World’s Ill-Divided : The Communist Party and Progressive Song » in Andy Croft (dir.), A Weapon in the Struggle : The Cultural History of the Communist Party in Britain, Londres, Pluto Press, 1998, pp. 171-191 ; Marion Henry, « Farewell Johnny Miner » : Musique et logique de désindustrialisation dans les bassins miniers britanniques (1945-1984), Mémoire de Master de l’IEP de Paris sous la direction de Paul-André Rosental, 2013.
-
[29]
Kew, NA, ED73/141 : Workers’Music Association, 1945-1951, Annual Report, 1949 : « Cela fait longtemps que l’association reconnaît le caractère proprement ouvrier de la pratique du brass band ».
-
[30]
Kew, NA, ED73/141, WMA, Annual Report, 1950, p. 1.
-
[31]
Kew, NA, ED73/141, WMA, Annual Report, 1949.
-
[32]
Richard Hoggart, The Uses of Literacy, Piscataway, Transaction Publishers, 1957 ; Marion Fontaine, « Une quête sans cesse renouvelée. Culture ouvrière et politique au prisme de Richard Hoggart », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 35, 2017, pp. 159-182.
-
[33]
S. Buckley, « Making Miners Militant… », art. cit.
-
[34]
Matlock, DRO (Derbyshire record office), D1920/1/5, NUM Derbyshire Area Records, Derbyshire’s miners’welfare bands, Leaflet of the WMA School of Music, 1959.
-
[35]
Ibidem
-
[36]
Edimbourg, NLS (National library of Scotland), Acc. 9805 : NUM Scottish Area Records, Welfare Committee Minutes and Agenda.
-
[37]
Matlock, DRO, D1920/1/5.
-
[38]
Edimbourg, NLS, Acc9805/30 : 1961, Scottish Divisional Welfare Committee Annual Report for 1960.
-
[39]
Notamment : Keith Gildart, Images of England…, op. cit. ; Simon Frith., Matt Brennan, Martin Cloonan, Emma Webster, The History of Live Music in Britain. Volume I: 1950-1967 : From Dance Hall to the 100 Club, Farnham, Surrey, Ashgate, 2013 ; Nicolas Verschueren, « Appréhender le travail des ouvrières par le chant », Revue Multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, n° 9, 2014, pp. 190-211 ; Philippe Gumplowicz, « De l’orphéon au jazz. Une métamorphose de classe (XIXe-XXe siècles) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 35, 2017, pp. 103-116 ; Christophe Prochasson, « Musique et politique : nouvelles approches », Le Mouvement social, n° 208, 2004, pp. 3-5 ; Malcom Theoleyre, Musique arabe, folklore de France ? Musique, politique et communautés musiciennes en contact à Alger durant la période coloniale (1862-1962), Thèse d’histoire de l’IEP de Paris sous la direction d’Emmanuelle Loyer, 2016.
-
[40]
M. Fontaine, Le Racing club de Lens…, op. cit. et « sport et mobilisation politique… », art. cit. ; Richard Holt (dir.), Sport and the Working-Class in Modern Britain, Manchester, Manchester University Press, 1990.
-
[41]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 76.
-
[42]
Ibid., p. 24.
-
[43]
Ibidem.
-
[44]
Cette typologie repose sur l’analyse des noms des brass bands liés à l’industrie minière croisés dans les sources : « town band », « colliery band » et « miners’band » ou « miners’welfare band » et s’appuie sur D. Russel, « What’s wrong with brass bands… », art. cit.
-
[45]
Ibid.
-
[46]
Entretien réalisé avec Marie Fawbert Smith à Alfreton, Derbyshire, Angleterre, le 19 mars 2018 : « Les partis politiques ? Non pas vraiment… Comment dire ? Bonne chance si tu es un Tory et que tu essayes de rejoindre le Shirland Miners’Welfare Band, disons-le comme ça. »
-
[47]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 32.
-
[48]
Ibid., p. 65.
-
[49]
Roy Church and Quentin Outram, Strikes and Solidarity. Coalfield Conflict in Britain, 1889-1966, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
-
[50]
C’est le cas par exemple sur le site internet du Croy Silver Band, Lanarkshire, Ecosse : http://www.croysilverband.com/history.html.
-
[51]
Ewan Gibbs, Deindustrialisation and Industrial Communities : The Lanarkshire coalfields c.1947-1983, Thèse d’histoire sous la direction de Jim Phillips, Université de Glasgow, 2016, pp. 121-132.
-
[52]
Newtongrange, NMMS (National mining museum Scotland), Programme du Scottish Miners’Gala Day, 1951 ; Entretiens réalisés avec Rab Wilson le 4 décembre 2018 et sa femme, Margaret Wilson, le 26 mai 2018 à New Cumnock, Ayrshire, Ecosse.
-
[53]
Newtongrange, NMMS, Programme du Scottish Miners’Gala Day, 1961.
-
[54]
T. Herbert, « Nineteenth-Century Bands… », art. cit.
-
[55]
Andrew Perchard, The Mine Management Professions in the Twentieth-Century Scottish Coal Mining Industry, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2007, p. 143.
-
[56]
Entretien réalisé avec Max Senior, Keith Kellet et Michael Wood à Dodworth, Yorkshire, Angleterre, le 21 juillet 2012 : « La mine était très bienveillante vis-à-vis des joueurs de football ou des musiciens de la fanfare, si tu étais en équipe d’après-midi par exemple ils te laissaient sortir du puit une demi-heure plus tôt pour venir aux répétitions. »
-
[57]
Entretien réalisé avec Stuart Fletcher à Clowne, Nottinghamshire, Angleterre, le 22 mars 2018.
-
[58]
Ibidem
-
[59]
« À l’extérieur de la salle de répétition »
-
[60]
Ibidem : « En général quand c’est jour de vote les gens te demandent « tu as voté ? » (…) Mais je ne me souviens pas que quelqu’un m’ait demandé… ils semblaient juste… laisser tout ce qui se passe dans le monde ou ici à l’extérieur dès qu’ils franchissaient la porte de la salle de répétition. C’était très étrange parfois de ne pas pouvoir parler de tout. »
-
[61]
Tim Strangleman, « « Smokestack Nostalgia », « Ruin Porn » or Working-Class Obituary: The Role and Meaning of Deindustrial Representation », International Labour and Working Class History, 84, 2013, p. 28.
-
[62]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 74.
-
[63]
Les brass bands les mieux classés aux compétitions reçoivent une somme d’argent.
-
[64]
Édimbourg, NLS, Acc. 9805/186, NUM Scottish Area, Circular No. 40/65, 7 juin 1965 : « Les groupes qui ne participent pas à la manifestation ne seront pas autorisés à prendre part aux compétitions. Cela doit être clairement signifié à votre brass band lors de son inscription. »
-
[65]
M. Fontaine, « Sport et mobilisation politique… », art. cit., p. 71.