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L’original, dont la première page est reproduite en page précédente, a été numérisé et est disponible sur le site du Centre des archives socialistes : http://www.archives-socialistes.fr/app/photopro.sk/archives/detail?docid=260557.
1 La question du crédit agricole a été remise à l’ordre du jour par la crise que l’agriculture a traversée. La protection douanière a été demandée par les cultivateurs comme un abri provisoire qui devait leur permettre de renouveler leur outillage et leur procédé. Or ce renouvellement exige des capitaux, les labours profonds supposent de nombreux et puissants attelages. La culture intensive, les fortes fumures, tout cela suppose de l’argent. Les fermes dans lesquelles la culture intensive est pratiquée avec des capitaux ont résisté à la crise. Seules elles pourront prospérer car les tarifs de douane n’ont pas amené et ne peuvent pas amener un relèvement notable des prix. D’où cette conclusion, il faudrait que tous les fermiers puissent se procurer à bon marché les capitaux nécessaires. Mais ce n’est pas tout, la petite propriété celle qui est cultivée par le propriétaire lui-même vivant du sol qu’il féconde a aussi suffisamment résisté à la crise. Là la culture intensive n’est pas toujours pratiquée comme dans les grandes fermes. La fumure est assez souvent maigre le bétail insuffisant. Mais la sollicitude quotidienne du paysan, son travail incessant et minutieux, l’absence de tous frais de main-d’œuvre élève suffisamment et le produit brut et le produit net. Mais à une condition c’est que la petite propriété ne soit pas grevée de dettes. Partout dans ces dernières années où le paysan propriétaire a eu des intérêts à servir, il a été ou à la gêne ou même à la misère. L’office du crédit serait donc pour le petit propriétaire d’alléger autant que possible le poids de l’hypothèque ou même de la prévenir. Ici, il semble bien que le crédit doive avoir pour objet de rendre plus effective la possession du sol par le petit propriétaire. Il paraît donc au premier abord que ce n’est plus une question de travail rural qui est engagée ici, mais une question de propriété territoriale, ce ne serait plus le crédit agricole ce serait le crédit foncier. Mais c’est là une fausse apparence, pour le paysan propriétaire travail et propriété se confondent. La dette hypothécaire en même temps qu’elle restreint sa propriété pèse sur son travail, elle oblige à verser tous les ans hors de son petit domaine la petite épargne avec laquelle il l’eût améliorée. Le bénéfice de la petite propriété c’est qu’elle ne connaît pas les frais de main-d’œuvre, or la dette hypothécaire est bien plus désastreuse que les frais de main-d’œuvre, car ceux-ci au moins sont appliqués à la culture du sol, et les intérêts de la dette hypothécaire ne retournent pas à la terre dont ils sont sortis. Donc, quelque différente que soit la condition du fermier et du paysan propriétaire nous sommes en présence pour l’un et pour l’autre non d’une question de propriété territoriale, mais d’une question de travail rural. C’est en ces termes que les nécessités même de la crise agricole posent le problème du crédit, car pour lutter contre la concurrence étrangère contre l’avilissement des prix, contre le renchérissement de la main-d’œuvre ce qui importe, c’est d’outiller le travail rural, de façon à accroître la productivité. Il se peut très bien que pour réaliser cet objet, il faille toucher à l’organisation et à la répartition de la propriété rurale, il se peut très bien qu’une série d’analyses convertissent la question agricole en une question agraire et le problème du crédit agricole en ce qu’on pourrait appeler le problème du crédit agraire. Mais le point de départ nécessaire est celui-ci : il faut accroître la productivité du travail agricole. Il faut donc considérer ici la question de propriété comme subordonnée à la question de travail. Par là le problème du crédit agricole s’oppose absolument au problème de la protection douanière. Pour celle-ci en effet la productivité du travail agricole n’est pas le but, elle est le moyen. La protection se proposait en fin de compte non pas d’obtenir que les travailleurs du sol travaillent plus utilement mais de consolider aux mains des propriétaires les revenus accoutumés. Il n’était point nécessaire pour cela que le fermier produisit plus, il suffisait que ses produits se vendissent mieux. Le surcroît de recette obtenu par la majoration des prix ne restait pas à la terre, il ne crée pas au fermier un outillage des avances des moyens de crédit, il lui permet seulement de payer au propriétaire avec moins de difficultés le plein du fermage. Pour obtenir des droits de douane sur l’alimentation, dans un pays de démocratie et de travail la propriété foncière était bien obligée d’invoquer l’intérêt des travailleurs du sol. Et de fait, je ne prétends pas que ceux-ci n’eussent point ça et là à la protection quelque intérêt, mais le bénéfice des travailleurs ruraux était illusoire auprès du bénéfice du capital foncier. Les fermiers verront leurs baux ou accrus ou tout au moins maintenus alors qu’ils auraient nécessairement fléchit. Les métayers qui ont en général des familles nombreuses sur des domaines moyens consomment en général la majeure part de leur blé, le propriétaire vend toute la sienne. C’est-à-dire que le bénéfice de la protection douanière se partage à peu près ainsi un cinquième au métayer quatre cinquièmes au propriétaire. De même bien souvent le paysan propriétaire ne produit pas beaucoup plus qu’il ne consomme, et en tout cas il est beaucoup moins intéressé à une élévation artificielle du prix des céréales qu’à un remaniement du système général des impôts. Or ce remaniement effraie la grande propriété qui se double le plus souvent de grandes fortunes mobilières.
2 Les travailleurs du sol n’avaient donc à la protection douanière qu’un tout petit bout d’intérêt, et c’est par là qu’on les a saisis, trainés sur le chemin de la protection. Cette campagne est je le crois le dernier triomphe de la propriété oisive sur le travail rural. La grande propriété ne trouvait pas seulement, dans le mouvement douanier un bénéfice d’argent immédiat, elle y trouvait ou elle y cherchait un bénéfice social, plus vaste et plus durable, elle établissait entre les intérêts du travail et ses intérêts propres, une savante confusion, elle persuadait les travailleurs du sol qu’elle songeait surtout à eux, elle ajournait ainsi leurs revendications propres elles les absorbaient dans les siennes. Mais le résultat n’a pas répondu entièrement à l’attente. Une secrète méfiance s’est éveillée dans le monde du travail rural, il s’aperçoit qu’il a servi un peu de prétexte et de couverture. En tout cas ce qui était le but dernier de la grande propriété : la protection douanière n’est pour les travailleurs ruraux qu’une étape. Epuisés pas la crise ils ont voulu un moment se refaire reprendre haleine mais ils songent maintenant aux intérêts du travail et du travail seul. Ils étaient l’accessoire dans la question douanière, c’est une raison de plus, pour que dans la question du crédit agricole, ils veulent être le principal et non le tout. Les déceptions et les soupçons qui ont suivi la politique douanière s’ajoutent donc aux nécessités même de la crise économique et de la production pour donner à la question du crédit agricole son véritable caractère. Il s’agit et il ne peut s’agir que du crédit au travail et s’il est nécessaire pour l’organiser de toucher à certains privilèges, à certaines puissances abusives de la propriété, ce n’est pas le travail qui sera subordonné à la propriété, ce sera la propriété qui sera subordonnée au travail.
3 Il est indéniable si l’on veut bien regarder les choses de près et les appeler par leurs noms qu’il y a à l’heure actuelle jusque dans nos campagnes l’ébauche d’un mouvement socialiste. M. Jules Simon le constatait il y a quelques jours avec mélancolie. Il s’est formé il y a quelques mois dans la Seine-Inférieure un syndicat de fermiers qui poursuit la réduction du propriétaire et le remboursement au fermier de la plus-value. Je sais bien que ce syndicat est encore isolé mais il fonctionne et ses revendications ont de l’écho. Ils ont un journal. Or par quoi justifient-ils leurs revendications : ils posent d’abord un principe que l’intérêt national doit primer l’intérêt individuel. Or il est de l’intérêt de la Nation que la production agricole soit la plus abondante possible. Si donc un intérêt égoïste de personnes ou de classes fait obstacle à la fécondité du sol, cet intérêt doit être sacrifié. Voilà donc l’intérêt social qui devient la mesure du droit c’est-à-dire que le droit de propriété n’a plus son fondement ni dans la tradition ni dans l’absolu. Ils ne craignent point de le dire, ils ne se bornent pas à citer le discours manifeste où M. Chamberlain s’écriait : on a assez parlé des droits de la propriété il faut parler de ses devoirs. Ils concluent la propriété est une fonction sociale et à ce titre elle doit être comme toutes les autres fonctions soumises à certaines conditions d’intérêt public. La propriété une fonction sociale et ce sont des paysans, des paysans de France qui répètent, propagent, signent de leurs noms de pareilles formules.
4 Je sais bien qu’elles ne sont pas d’eux, ils les ont empruntées mais ils les comprennent. Ils ont pour rédiger leurs journaux ou leurs brochures pour faire leurs conférences des journalistes de métier, des avocats. Mais n’est-ce pas ainsi qu’ont procédé les rois de France quand ils ont voulu abattre la puissance féodale. Eux n’étaient guère que de rudes batailleurs, et ils n’entendaient pas grand-chose aux malices du droit, ils utilisèrent les légistes. De même quand les paysans avec leur volonté persévérante et âpre commencent à utiliser les formules socialistes que de nombreux spécialistes sont tout prêt à leur servir un grand mouvement n’est pas loin de se produire. C’est donc dans un certain état des esprits dans un milieu politique et social déterminé que la question du crédit agricole va se développer. Il est impossible de l’étudier à l’état d’abstraction et d’isolement. Je vois des esprits très distingués qui ramènent tout le problème du crédit agricole à la réforme hypothécaire, ils considèrent comme peu efficace les mesures sollicitées par les fermiers. La réduction du privilège du propriétaire, le nantissement fictif, la commercialisation des effets agricoles, l’attribution au fermier de la plus-value laissée par lui et qui peut servir de gage au créancier. Mais quand bien-même toutes ces mesures n’auraient point en effet l’efficacité que leur supposent les fermiers elles n’en ont pas moins une très grande valeur pratique car elles sont à l’heure actuelle le point vif par où les paysans s’intéressent au crédit agricole. De plus elles portent en elles une idée : la souveraineté du travail et si cette idée se réalise d’abord dans les lois où elle apparaît aux travailleurs ruraux immédiatement réalisable le branle sera donné dans la même direction à tout le problème du crédit agricole.
5 Il ne s’agit pas seulement de se demander qu’elle sera la meilleure législation, il faut savoir encore par qui et comment la législation sera faite. Or une législation vigoureuse et efficace sur le crédit agricole ne peut être menée à bien que par la démocratie par le suffrage universel. Je sais bien qu’aujourd’hui bien des esprits éminents comme Summer Maine ne se bornent point à affirmer l’incompétence législative des foules, ils prétendent que le suffrage universel malgré quelques apparences trompeuses et quelques agitations de surface n’est pas une puissance de progrès mais tout au contraire de conservation routinière. Et cela pour deux raisons, la première c’est que les foules ne peuvent arriver aisément à dégager de leur sein une opinion commune, et que les chambres des représentants par leur subordination croissante au corps électoral deviennent de plus en plus des foules. La seconde, c’est que la masse un moment excitée ou grisée par quelque formule retombe bien vite sous la tyrannie des idées vulgaires et des préjugés quotidiens. S’il en était ainsi il faudrait renoncer au moins pour une période indéterminée à tout espoir de progrès, il faudrait renoncer notamment à toute recherche sur l’organisation du crédit agricole, cette organisation supposant une révolution véritable dans les conditions du travail rural, car si les démocraties libres souveraines sont impuissantes au progrès, par qui donc le progrès s’accomplirait-il ? On n’entrevoit pas aussi loin que la vue de l’esprit puisse s’étendre, la constitution d’aristocraties intellectuelles menant les masses par la seule supériorité des lumières et transformant le monde selon la hardiesse d’un idéal intime et à demi occulte. Nous n’avons le choix qu’entre la démocratie libre et une sorte de dictature démagogique. De celle-ci vraiment aucun progrès effectif ne pourrait sortir, car n’ayant pas été portée au pouvoir par une supériorité de la pensée, ce n’est point non plus par la supériorité de la pensée qu’elle songerait à garder et à administrer le pouvoir. D’un côté elle ferait écho à quelques formules vides et satisferait par de misérables trompe-l’œil la partie de sa clientèle, de l’autre elle maintiendrait dans sa vieille ornière la société. Au contraire une démocratie libre peut aider au progrès à deux conditions. Il faut d’abord que par une organisation sérieuse du pouvoir exécutif, elle cesse en effet d’être une foule incohérente. Le pouvoir toujours contrôlé mais ayant une certaine initiative pourra dégager de la mêlée confuse des pouvoirs le sentiment commun des masses et élever peu à peu ce sentiment vers l’idéal. Il faut en second lieu que les intérêts communs puissent peu à peu se grouper. Le désir d’amélioration qui tourmente çà et là quelques fermiers se perd dans la masse indifférente du suffrage universel qui a des soucis multiples et autres, mais que les travailleurs ruraux se rapprochent, qu’ils se forment en pointes et ils feront pénétrer leurs idées dans l’esprit public. Or, à l’heure où nous sommes la démocratie semble travaillée d’un double besoin, d’un côté elle veut organiser plus fortement le pouvoir, et de l’autre on voit les groupes professionnels qui aspirent à se développer, à se fédérer, à obtenir une représentation politique. Le citoyen trouvera dans ces groupements professionnels une vie plus intense. Les progrès réalisables lui apparaîtront sous une forme plus directe plus personnelle. Il se formera ainsi dans toute l’étendue de la démocratie, des foyers de pensées, d’actions et de progrès. Donc pour résumer tout ceci la question du crédit agricole doit-être traitée dans cet esprit, affirmation des droits du travail rural, avec la collaboration de la démocratie rurale.
6 Pourquoi le crédit à l’agriculture n’est-il pas développé comme le crédit au commerce et à l’industrie, pourquoi le commerçant l’industriel trouvent-ils aisément de l’argent a quatre, trois et même 2 % pourquoi au contraire l’agriculteur n’en obtient-il dans les conditions les plus favorables qu’à 6 ou 7 % ? Cette différence tient à la nature même des choses, et ceux qui s’imaginent qu’un artifice quelconque pourra la faire disparaître se trompent gravement. Tout d’abord l’effort de la banque aujourd’hui comme les autres branches du commerce a ses commis voyageurs, elle va au-devant des clients, elle les sollicite. L’autre jour un petit patron de l’industrie de la tannerie me disait : ce n’est pas le crédit qui nous manque nous avons trop de crédit c’est une tentation et un danger pour nous. Certes ces commis voyageurs de la banque et du crédit ne vont guère dans les campagnes, les propriétaires et les cultivateurs ne se plaignent pas d’être tentés. Pourquoi ? Il faut observer en premier lieu que le chiffre d’affaire que l’agriculture peut offrir aux maisons de crédit, que le chiffre d’affaire qui leur est offert par le commerce et par l’industrie, les opérations que fait l’agriculture n’atteignent jamais la valeur du capital employé par elle. Les transactions agricoles ne portent que sur les fruits de la terre c’est-à-dire sur le produit brut du capital engagé. Or ce produit brut ne dépasse guère sept ou huit % du capital engagé.
7 Et quand bien même le propriétaire du sol voudrait réaliser d’avance par le recours au crédit la totalité de ce produit brut, quand il voudrait recourir au crédit pour payer les semences les engrais la main-d’œuvre pour faire face ensuite à ses engagements avec la totalité de ses produits il n’y aurait aucune proportion entre l’activité du crédit agricole et l’activité du crédit industriel et commercial. En effet dans le commerce et l’industrie, le chiffre des affaires n’est pas réduit à une fraction minime du capital engagé. Il ne s’enferme même pas dans les limites de ce capital et l’excède et de beaucoup : avec cent mil francs de capital tel industriel peut faire cinq cents, six cent mille francs d’affaires et davantage. Il n’est qu’à étudier le bilan des faillites il y a souvent, entre les ressources personnelles du négociant et son passif un abîme qui a été comblé par le crédit, il n’est donc pas étonnant que l’effort de la banque et du crédit se soit porté là où les opérations étaient forcément les plus vastes. L’agriculture crée, l’industrie transforme, le commerce échange, or il y a une limite étroite à la puissance créatrice de l’homme et des éléments naturels. Il suffit au contraire pour transformer avec un capital médiocre des valeurs énormes de matières, de ne les transformer que modérément. Si le même industriel voulait laver et exploiter les peaux de laine puis filer la laine, puis la teindre puis la tisser, puis la vendre directement aux consommateurs, il serait obligé d’abord d’immobiliser un capital considérable, puis s’il voulait recourir au crédit, il serait obligé d’emprunter à longue échéance puisqu’il ne pourrait réaliser sa marchandise qu’après une longue série d’opérations. Il y aurait donc pour tout cet ensemble d’opérations un acte unique de crédit.
8 À cet acte serait forcément restreint, car d’une part, la longueur même de l’opération accroîtrait les chances mauvaises et l’incertitude du remboursement et d’autre part c’est le crédit personnel d’un seul homme qui aurait à porter le poids de toute une série d’opérations. Il est probable dès lors que les avances faites au banquier par l’industriel se réduiraient ou à peu près aux limites du capital personnel avec lequel l’industriel pourrait répondre de ses avances. Au contraire par division du travail chaque industriel étant chargé d’une opération distincte et à court terme, l’un de l’exploitation des peaux, l’autre du filage, un autre de la teinture, un autre du tissage, etc., chacun d’eux n’a besoin pour une opération à court terme que d’un crédit à court terme. L’étendue du crédit s’accroît en raison inverse de sa durée.
9 Les industriels qui se livrent les uns aux autres à de brefs intervalles la matière première diversement élaborée forment une chaîne continue ou le crédit des uns s’appuie au crédit des autres, par là les valeurs de crédit industriel et commercial prennent une extension énorme et en même temps, les actes de crédit qui portent sur ces valeurs sont très répétés, d’où pour le crédit industriel et commercial une impulsion qui ne peut pas se faire sentir dans le crédit agricole. Car celui-ci non seulement au lieu d’être un crédit de transformation c’est-à-dire indéfini est un crédit de création c’est-à-dire défini mais la culture ne connaît pas et ne peut pas connaître la division du travail. C’est le même qui laboure, herse, sème, sarcle, moissonne et pique, etc.
10 D’où il suit que l’opération de crédit si elle se produisait au début devrait avoir non pas une durée de 90 jours mais une durée d’au moins un an ce qui fait que les opérations de crédit agricole autre qu’elles seraient beaucoup plus maigres, seraient beaucoup plus rares.
11 Mais ce n’est pas tout, le crédit pour exister vraiment doit-être réciproque, c’est-à-dire que le même qui reçoit du crédit doit faire crédit. Le plus souvent l’industriel trouve du crédit aux moyens d’engagement à échéance plus ou moins prochaine qui lui ont été souscrits par d’autres industriels, c’est-à-dire, qu’en réalité il utilise le crédit d’autrui. Or dans le monde agricole presque toutes les ventes se font au comptant. Les paysans qui apportent au marché leur blé en rapportent un sac d’écus lorsqu’ils vendent une paire de bœufs, ils font quelquefois quand ils connaissent l’acheteur crédit de huit jours mais c’est tout, et il n’y a pas de papier signé, il ne peut donc pas s’établir dans le monde agricole cette circulation de crédit qui s’établit dans le monde industriel et commercial. Est-ce à dire que les produits agricoles ne servent point de base à des opérations de crédit ? Si, mais c’est justement quand ils sont sortis des mains des producteurs agricoles. Quand le blé a été ramassé sur les marchés par les gros acheteurs qui le livrent ou à la spéculation ou à la meule il est certain qu’il donne naissance à une série de valeurs de crédit. De même pour les bestiaux quand ils ont été enlevés par les gros marchands. Mais là encore le crédit ne commence que quand l’agriculture finit. On pourrait concevoir il est vrai au point de contact entre l’agriculture d’une part, l’industrie ou le commerce de l’autre, des opérations qui feraient refluer jusque dans le monde agricole le crédit industriel ou commercial. Par exemple, le producteur de betteraves accepterait du fabricant de sucre un engagement payable à bref délai et avec ce papier le producteur de betteraves se procurerait, mais ici comme on le voit c’est l’agriculture qui commencerait à faire crédit, c’est-à-dire qu’en réalité le crédit ne se développerait pour elle que si elle renonçait à l’habitude de vendre comptant et alors où est pour elle le bénéfice où est l’afflux de nouveau les capitaux nécessaires ? Lorsqu’un banquier ne se borne pas à escompter du papier lorsqu’il fait à un industriel une avance proprement dite par exemple pour achat de matières premières il sait que ces matières premières une fois transformées seront livrées à un nombre limité ou d’industriels ou de gros commerçants, il peut suivre le mouvement des affaires de son client, l’itinéraire industriel des matières premières qui représentent l’avance faite par lui. Au contraire la vente des produits agricoles est le plus souvent une vente dispersée détaillée ou toute trace des produits se perd ou toute base de crédit s’émiette.
12 Enfin, il y a une dernière cause très profonde qui frappe l’agriculture d’infériorité au point de vue du crédit, c’est que le produit net, le bénéfice normal, y est beaucoup moindre que dans le commerce et dans l’industrie. Supposez que l’agriculture retire du capital engagé comme doit le faire l’industriel ou le commerçant un revenu moyen de dix % net tous frais payés.
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L’original, dont la première page est reproduite en page précédente, a été numérisé et est disponible sur le site du Centre des archives socialistes : http://www.archives-socialistes.fr/app/photopro.sk/archives/detail?docid=260557.