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Article de revue

En lisant, en écrivant, en se promenant… Avec les Cahiers

Pages 3 à 7

Notes

  • [1]
    Voir l’Inventaire qui en a été réalisé en 1994 sous l’égide à l’époque du président de l’Association pour l’Histoire vivante, Marcel Dufriche. Inauguré le 24 mars 1939 par Jacques Duclos et Daniel Renoult, le Musée de l’Histoire vivante propose une salle où sont exposés « nombre de ses manuscrits ainsi qu’une partie de sa bibliothèque de la Villa de la Tour, qui fut léguée au musée à la mort de Louise Jaurès » (« Historique », in Bibliothèque et manuscrits de Jean Jaurès, préface de Madeleine Rebérioux, Inventaire des collections du Musée de l’Histoire vivante, 1994). L’essentiel des ouvrages provient cependant de la bibliothèque de Jaurès à L’Humanité, comme le rappelle Madeleine Rebérioux, bibliothèque appartenant à « la décennie qui précède la grande guerre » (p. 3). Ce fonds est préservé de l’occupant nazi, qui le convoite, grâce à son transfert dans une ferme durant toute la durée de la guerre.
  • [2]
    Voir la publication in extenso de tous les articles de Jean Jaurès dans La Dépêche (L’intégrale des articles de 1887 à 1914, sous la direction de Rémy Pech et Rémy Cazals, Toulouse, Privat-La Dépêche, 2009), le volume des Œuvres de Jean Jaurès. Tome 16. Critique littéraire et critique d’art, édition établie par Michel Launay, Camille Grousselas, Françoise Laurent-Prigent, Paris, Fayard, 2000, et un portrait par Georges Mailhos qui participa à l’entreprise Privat-La Dépêche : « Jaurès “Le Liseur” de La Dépêche » (L’Humanité, 29 mai 2010).
  • [3]
    Charles Péguy, « Courrier de Russie », Cahiers de la Quinzaine, 19 novembre 1905, rééd. in Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 74.
  • [4]
    Jean Jaurès, « La Quinzaine littéraire. Vue générale », La Dépêche, 19 septembre 1893, republié in Jaurès. L’intégrale des articles de 1887 à 1914, op. cit., p. 586.
  • [5]
    N° 157, juillet-septembre 2000, p. 7. Voir aussi son introduction aux « Lectures » de l’année 2013 : « Les vertus de la controverse » (n° 210, octobre-décembre 2013, pp. 3-5)
  • [6]
    Gilles Heuré, Gilles Candar, Alain Chatriot, aujourd’hui Marion Fontaine.
  • [7]
    Jean Jaurès cahiers trimestriels, n° 135, janvier-mars 1995, pp. 4-7.
English version

1 Jaurès aimait lire, écrire, se promener. Sa bibliothèque, dont une partie est conservée au Musée de l’Histoire vivante de Montreuil, non sans avoir échappé à l’inquisition nazie [1], traduit cette passion de la lecture. On connaît aussi les dons littéraires de Jaurès et sa capacité rare d’écrire par la parole et de parler en écrivant. Ses articles étaient généralement dictés à une sténographe et dans le même temps ils devenaient aussitôt des textes définitifs. Jaurès écrivait aussi sur les livres et particulièrement durant les années du « Liseur », le pseudonyme qu’il employait pour signer les recensions hebdomadaires confiées à La Dépêche entre le 15 mai 1893 et le 20 octobre 1898 [2]. On sait enfin son besoin de promenade, Charles Péguy en a témoigné pour mieux regretter la disparition du « Jaurès des brumes claires et dorées des commencements de l’automne [3] », ce Jaurès des matins frais d’été lorsqu’il arpentait à l’aube les prés de la Fédial, quand il était de retour dans sa « petite patrie ». On se promène avec les livres et même physiquement : sur « Les rêveurs. Promenade au bord de la Garonne », l’un des sept panneaux de cette immense fresque exposée au Capitole de Toulouse, Henri Martin a représenté un lecteur, le peintre Henri Marre marchant avec un livre en direction de Jaurès le liseur. Celui-ci n’hésita pas à emprunter la métaphore de la promenade pour évoquer sa tâche de critique littéraire dans La Dépêche. Son article du 19 septembre 1893 est une adresse à l’« ami lecteur » pour lui narrer son « modeste rôle d’information littéraire ».

2 « Ce n’est point ici œuvre de critique ambitieuse : je veux simplement tenir au courant les lecteurs de La Dépêche des principaux événements littéraires ; je voudrais [me] promener quelquefois avec eux au passage Choiseul, devant les vitrines de Lemerre ou sous les galeries de l’Odéon, les mettre en rapport avec la jeunesse littéraire, avec ses essais, ses ambitions, ses œuvres. Ce n’est pas toujours le livre de la quinzaine que nous signalerons exclusivement : il nous faudra parfois, pour comprendre telle œuvre récente, faire un léger retour en arrière. Qu’on me permette aujourd’hui, en quelques traits rapides, de marquer l’état présent des lettres françaises, les influences et les directions principales. Cela nous aidera à définir rapidement les œuvres nouvelles, soit qu’elles rentrent dans le cadre déjà tracé, soit qu’elles en sortent [4]. »

3 Toutes les chroniques du « Liseur » démentent l’assertion de Jaurès indiquant que son rôle n’est que celui « d’information littéraire ». Plus exactement, si son rôle est bien celui-ci, c’est dans le but de transmettre le sens des œuvres, en les situant dans le contexte de la pensée du temps, en les confrontant à d’autres et en en révélant, ou non, l’originalité, la qualité et le courage.

4  

5 Invitée par la directrice des Cahiers Jean Jaurès à ouvrir la livraison des « Lectures » pour l’année 2017, j’ai retrouvé quelque chose de cet éloge jaurésien de la promenade dans ce vaste ensemble composé par Marion Fontaine. Je mesure d’emblée l’intelligence de son travail pour penser et agencer ces 72 comptes rendus d’ouvrages. Comme par le passé mais avec peut-être plus encore d’ouverture, les livres qu’accueillent ces « Lectures » restituent une bonne part de l’actualité historiographique récente que l’on découvre elle-même pensée et finement articulée. En effet, l’implication de Marion Fontaine ne se limite pas à choisir parmi une production toujours abondante (et souvent inégale) les ouvrages à recenser ni même à les confier à des recenseurs toujours pertinents. Elle suppose d’organiser la publication de ces comptes rendus en créant des ensembles signifiants, ni trop rigides ni trop ouverts afin de leur conserver du sens. Certes, les agencements des précédentes livraisons peuvent aider à composer cette matière doublement vivante du livre et de sa recension. Mais la pluralité des sujets oblige à affiner de près les thèmes de lecture.

6 Jaurès oblige, les œuvres, ses contemporains et les historiens et historiennes qui lui sont proches ouvrent cette livraison. Viennent l’histoire du socialisme et des socialistes, l’histoire des acteurs et des politiques économiques, l’histoire des arts visuels et des représentations, l’histoire de la guerre et de ce qui s’en suivit. Mais ce qui frappe particulièrement concerne la part prise par les recensions d’ouvrage qui interrogent, plus que l’histoire empirique elle-même, la démarche historienne, ses concepts, ses méthodes et ses écritures. Au centre du volume s’installent ainsi deux sections portant sur « Temporalités à l’expérience » et « Renouvellements et débats historiographiques ». Évidemment, on pourrait discuter ces classifications, en soulignant l’apport historiographique majeur de certaines monographies destinées à figurer dans les sections classiques. Mais elles ont le mérite d’afficher les couleurs, ce qui n’est jamais inutile en recherche (comme en politique).

7 Ces choix d’ouvrages et ce dispositif de composition, cet effort méthodique pour titrer les comptes rendus, cette rencontre souvent subtile entre un livre et son recenseur, le nombre de recensions et leur ampleur parfois inscrivent les « Lectures » des Cahiers Jaurès parmi les instances de réflexion de l’histoire contemporaine. L’ancrage jaurésien apporte incontestablement un supplément d’âme. Il est implicite, tant les Cahiers et la Société qui les édite se retrouvent sur une tradition du livre, de la bibliothèque et des idées. Il peut parfois être incarné aussi par un retour au texte d’autant plus précieux que Jaurès s’est finalement peu exprimé sur sa démarche de recension. La « Vue générale » du 19 septembre 1893 occupe ainsi une belle fonction didactique et pédagogique.

8 Ce que Jaurès appréciait particulièrement dans la pratique journalistique, c’était la dimension collective de l’action intellectuelle. On la retrouve aussi dans les Cahiers et autour de la Société comme au sein des institutions sœurs, Amis de Jean Jaurès à Toulouse, Centre national et Musée Jean-Jaurès de Castres, Musée de l’Histoire vivante de Montreuil, Fondation Jean-Jaurès, l’Ours, etc. Ce numéro de « Lectures » le démontre sans conteste. Avec les anciens qui ne désertent jamais quand sonne l’heure des comptes rendus (malgré les multiples offres de recensions de revues plus prestigieuses), se réunissent de nouvelles générations de chercheurs et de liseurs qui donnent aux Cahiers l’élan nécessaire pour agir au présent et imaginer l’avenir.

9 Voici vingt-deux ans que le numéro de « Lectures » est né. L’idée en revient à Frédéric Audren qui en fit le cahier 157. On mesure le chemin parcouru. Et en même temps, les fondamentaux étaient déjà là dont les fameux agencements (« Jaurès philosophe », « Le vaste monde… », « À quoi sert l’histoire ? », « Histoire et République », « Questions sociales »…). Cette livraison inaugurale était introduite par un autre chercheur (il venait seulement de franchir le cap de la quarantaine). Son « éloge du compte rendu » demeure d’actualité tant pour l’hommage rendu à la discussion critique que pour le regret d’une injuste reconnaissance pour les auteurs « inférieur en dignité à tout autre contributeur [5] ». Depuis, chaque directeur des Cahiers [6] s’emploie à soigner ces livraisons qui leur demandent autant de subtilité dans les choix d’ouvrages et de recenseurs que d’huile de coude pour recevoir les livres des éditeurs et les renvoyer aux « liseurs ». La Poste comme les bibliothèques doivent beaucoup aux Cahiers Jaurès. Comme en 2000, chaque livraison est accompagnée d’une libre préface, un texte d’auteur convoité pour son statut improbable et l’honneur qui est donné d’ouvrir ce voyage dans les livres, les savoirs et les idées. Dans sa présentation de la livraison de 2016, Emmanuel Jousse s’offrit une autre promenade en parcourant les ouvertures de la décennie écoulée. Cette évocation du passé nous entraîne vers des rives plus anciennes encore. En janvier 1995, cinq ans plus tôt, paraissait le premier numéro de Jean Jaurès cahiers trimestriels qui succédaient à trois Cahier Jaurès hors collection (dus à Madeleine Rebérioux, Gilles Candar et Frédéric Moret) et aux cent-trente-quatre fines brochures de Jean Jaurès. Bulletin de la société d’études jaurésiennes (dont il avait conservé la numérotation). Quatre-dix numéros nous séparent aujourd’hui du premier cahier Jaurès régulier, dont le texte d’ouverture, signé de « la rédaction », avait pour titre : « L’histoire nous réserve bien des surprises [7] ! »

10 Je pense que le pari de créer une revue d’histoire contemporaine est relevé, une revue couvrant le temps de Jaurès, de la Révolution française qu’il étudiait comme historien à l’histoire de Jaurès conduite aujourd’hui, s’inspirant de son inlassable curiosité pour la vie humaine, celle des gens et des sociétés, s’attachant aux inflexions de la connaissance humaniste vers des sciences sociales dont il était à la fois loin académiquement, et proches par ses questionnements réflexifs et l’inquiétude dont elle ne peuvent se dépendre. Du moins ce pari est-il été porté par les équipes successives des Cahiers et leur directeur/directrice respectif/ve. En témoigne cette nouvelle livraison des « Lectures » qui traduit l’unité des regards aussi bien que les échappées belles des jaurésiens.


Date de mise en ligne : 20/02/2018

https://doi.org/10.3917/cj.226.0003

Notes

  • [1]
    Voir l’Inventaire qui en a été réalisé en 1994 sous l’égide à l’époque du président de l’Association pour l’Histoire vivante, Marcel Dufriche. Inauguré le 24 mars 1939 par Jacques Duclos et Daniel Renoult, le Musée de l’Histoire vivante propose une salle où sont exposés « nombre de ses manuscrits ainsi qu’une partie de sa bibliothèque de la Villa de la Tour, qui fut léguée au musée à la mort de Louise Jaurès » (« Historique », in Bibliothèque et manuscrits de Jean Jaurès, préface de Madeleine Rebérioux, Inventaire des collections du Musée de l’Histoire vivante, 1994). L’essentiel des ouvrages provient cependant de la bibliothèque de Jaurès à L’Humanité, comme le rappelle Madeleine Rebérioux, bibliothèque appartenant à « la décennie qui précède la grande guerre » (p. 3). Ce fonds est préservé de l’occupant nazi, qui le convoite, grâce à son transfert dans une ferme durant toute la durée de la guerre.
  • [2]
    Voir la publication in extenso de tous les articles de Jean Jaurès dans La Dépêche (L’intégrale des articles de 1887 à 1914, sous la direction de Rémy Pech et Rémy Cazals, Toulouse, Privat-La Dépêche, 2009), le volume des Œuvres de Jean Jaurès. Tome 16. Critique littéraire et critique d’art, édition établie par Michel Launay, Camille Grousselas, Françoise Laurent-Prigent, Paris, Fayard, 2000, et un portrait par Georges Mailhos qui participa à l’entreprise Privat-La Dépêche : « Jaurès “Le Liseur” de La Dépêche » (L’Humanité, 29 mai 2010).
  • [3]
    Charles Péguy, « Courrier de Russie », Cahiers de la Quinzaine, 19 novembre 1905, rééd. in Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 74.
  • [4]
    Jean Jaurès, « La Quinzaine littéraire. Vue générale », La Dépêche, 19 septembre 1893, republié in Jaurès. L’intégrale des articles de 1887 à 1914, op. cit., p. 586.
  • [5]
    N° 157, juillet-septembre 2000, p. 7. Voir aussi son introduction aux « Lectures » de l’année 2013 : « Les vertus de la controverse » (n° 210, octobre-décembre 2013, pp. 3-5)
  • [6]
    Gilles Heuré, Gilles Candar, Alain Chatriot, aujourd’hui Marion Fontaine.
  • [7]
    Jean Jaurès cahiers trimestriels, n° 135, janvier-mars 1995, pp. 4-7.

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