Couverture de CJ_214

Article de revue

Sur Jaurès

Pages 33 à 71

Notes

  • [1]
    Sudhir Hazareesingh, Le Mythe gaullien, Paris, Gallimard, 2010.
  • [2]
    Cf. le compte rendu rédigé par Sudhir Hazareesingh dans ce même numéro.
  • [3]
    « Jaurès contemporain 1914-2014 », 26 mai – 11 novembre 2014.
  • [4]
    Benoît Bréville, Jérôme Pélissier, « L’art de tuer Jaurès », Le Monde Diplomatique, juillet 2014, p. 28.
  • [5]
    Clémentine Vidal-Naquet, « Août 1914 : se marier …vite », L’Histoire, 400, juin 2014.
  • [6]
    Jusqu’alors, cet ouvrage n’avait pas fait l’objet d’un compte rendu dans les Cahiers Jaurès.
  • [7]
    Jacqueline Lalouette, Jean Jaurès, l’assassinat, la gloire, le souvenir, Paris, Perrin, 2014.
  • [8]
    Il était présent dans la série récente de Didier Convard et Jean-Yves Delitte Tânatos chez Glénat, 4 vols., 2007-2011. L’annonce de son assassinat ouvrait par ailleurs le premier volume de la série Mattéo par Jean-Pierre Gibrat, Futuropolis, 2008.
  • [9]
    Outre les innombrables bandes dessinées qui « surfent » sur la vague commémorative 14-18 et qui font souvent honte par leur médiocrité à l’amateur de ce genre artistique, il existe une autre série sur l’histoire, tout aussi discutable pour ne pas dire plus : « L’homme de l’année » chez Delcourt – on ne conseille pas la lecture du volume 7 sur 1894 et Esterhazy !
  • [10]
    24 tomes, repris en 8 volumes, 1976-1978.
  • [11]
    Henrik Rehr, Gavrilo Princip. L’homme qui changea le siècle, Paris, Futuropolis, 2014, traduction par Sidonie Van den Dries.
  • [12]
    Joe Sacco, La grande guerre. 1er juillet 1916, le premier jour de la bataille de la Somme, Paris, Futuropolis, Arte éditions, 2014, traduction par Stéphane Dacheville.
  • [13]
    Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons la parution toute récente d’un cinquième titre : Négocier comme Churchill ; comment garder le cap en situations difficiles, tout aussi prometteur.
  • [14]
    Cf. notre recension de l’ouvrage écrit par cette figure de l’extrême-droite : Cahiers Jaurès, 210, octobre-décembre 2013, pp. 18-19.
English version

Une pensée agissante

1La grande tradition française des anniversaires politiques nous livre de temps en temps des bouquets somptueux. Saluons donc, en cette année du centenaire de son assassinat, la parution de ce magnifique Jean Jaurès de Gilles Candar et Vincent Duclert, un travail foisonnant de brillance, d’érudition, et d’humanité. L’ouvrage intègre judicieusement les avancées historiographiques des dernières décennies tout en offrant une interprétation stimulante de l’œuvre et de la pensée jaurésienne. Ce livre, qui s’imposera comme la référence classique sur le sujet, mérite d’autant plus d’être acclamé que la figure de Jaurès pose au biographe un triple défi. D’abord, celui de sa stature d’icône de la gauche française (peut-être la seule véritable icône qui lui reste), vénération qui ne facilite point la tâche de l’historien ; Michelet l’aurait assurément traité de « saint laïque ». Ensuite, celui de sa mémoire, outragée et martyrisée par des tentatives successives de détournement de son héritage par des mouvements et figures aussi manifestement peu jaurésiens que le gouvernement du Cartel de Gauches, le parti communiste dans sa période stalinienne, Guy Mollet, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen (la pénurie de Grands Hommes à l’extrême droite est telle qu’il s’avère même que le nouveau maire de Hénin-Beaumont a un buste de Jaurès dans son bureau). Enfin, celui de ses « vies multiples », et donc du sens à donner à une pensée toujours en mouvement, et sans cesse tiraillée entre la base et le sommet, la nation et l’universalisme, le parlement et la classe ouvrière, l’idéalisme et le matérialisme, et, last but not least, la République et le socialisme.

2La grande force du livre – ce qui n’a rien d’étonnant vu les incomparables titres de noblesse jaurésiens des deux auteurs — repose sur sa maîtrise parfaite des sources. Elle permet aux auteurs d’éclairer la personnalité et le parcours jaurésien par des illustrations suggestives : de son émerveillement en arrivant à Paris, qui lui procure une « excitation maladive » qu’il décrit dans une lumineuse lettre en 1878, jusqu’au combat inlassable pour la paix pendant les dernières années de sa vie, culminant dans son dernier et « trop beau » discours du 29 juillet 1914 à Bruxelles. Entre ces deux dates, l’ouvrage nous offre des portraits saisissants de son « action politique articulée sur la pensée » : ses luttes nationales et locales, ses nombreux écrits politiques, sa direction de L’Humanité, sa pugnacité verbale et de ses joutes oratoires à la Chambre avec (entre autres) Clemenceau et Briand, sans oublier son sens exquis de la formule, comme lorsqu’il qualifie les nouveaux ministres droitiers en 1897 de « jeunes Machiavels de la bourgeoisie fatiguée » (comme souvent avec Jaurès, l’expression ne manque pas d’échos contemporains). Dans le même registre, les auteurs puisent avec bonheur dans les articles de Jaurès pour le quotidien toulousain La Dépêche, soulignant autant l’importance qu’il accordait à son travail journalistique que sa capacité à manier la dialectique entre l’échelle locale et régionale d’une part, et les impératifs de la politique nationale (et internationale) de l’autre. D’où, justement, l’autre apport concluant du livre : la démonstration que le passage de Jaurès au socialisme est aussi bien le résultat d’une réflexion théorique poussée (grâce notamment à l’influence de Lucien Herr et de Jules Guesde) que d’une compréhension concrète du caractère structurel de l’inégalité et de l’injustice du capitalisme : son expérience au conseil municipal de Toulouse à partir de 1890, le massacre de Fourmies en 1891, suivi de la grève des mineurs à Carmaux, sont de ce point de vue des facteurs décisifs.

3Soulignons également l’intérêt justement accordé par Candar et Duclert à la conception jaurésienne de la « petite patrie », avec notamment sa revendication d’une « identité méridionale » et son immersion dans la culture occitane – phénomène intéressant en lui-même (il s’exprimait souvent en « patois » lors de ses réunions électorales), et qui ouvre surtout une perspective théorique féconde sur la dimension socialiste des rapports qui se développaient en France au tournant du siècle entre le centre et la périphérie. Deux autres chapitres ont particulièrement retenu notre attention. D’abord, celui consacré au dreyfusisme de Jaurès, qui rend compte à la fois de sa contribution décisive à la cause du capitaine injustement condamné, et de son rôle catalyseur pour la dimension libérale de la pensée jaurésienne - notamment sa certitude que le combat pour la liberté individuelle n’était pas une diversion, mais devait s’inscrire au cœur de la lutte pour le socialisme. Ensuite, la discussion riche et nuancée du regard jaurésien sur le colonialisme, qui souligne fort justement son appréciation de la grandeur de la civilisation musulmane, et sa critique des dérives de la pratique coloniale (mais pas du fait colonial lui-même), et sa recherche idéaliste d’une solution qui déboucherait sur une cohabitation paisible entre populations autochtones et colons français, grâce à l’accomplissement graduelle d’une « révolution morale ».

4Tout en ne remettant aucunement en cause l’excellence du livre, nous pourrions contester certains choix des auteurs. Le travail historique de Jaurès est trop brièvement analysé, ce qui est d’autant plus dommage que ces ouvrages (en particulier l’Histoire socialiste de la Révolution, inspirée par Marx, Michelet et Plutarque) ouvrent une fenêtre essentielle sur sa synthèse intellectuelle entre le républicanisme et le socialisme. L’absence d’analyse soutenue de la dimension émotionnelle et psychologique de la personnalité de Jaurès est également regrettable. Certes, les sources ne sont pas particulièrement riches. Mais les auteurs semblent un peu crispés sur cette question, Candar déclarant même à un moment que « les affaires privées de Jaurès importent peu ». Mais alors pourquoi donner le montant de sa succession ? Ou livrer, de temps à autre, des affirmations intrigantes sur le penchant de Jaurès pour la « mélancolie », faire état de sa « crise morale », et de la « dépression » dont il aurait été atteint après sa défaite aux élections de 1898, ou encore évoquer les « aspects douloureux » de sa vie intime avec son épouse Louise ? (Max Gallo parle de la vie familiale de Jaurès comme « un nœud de contradictions, de conflits, de reproches », Le Grand Jaurès, 1984, p. 377).

5Certaines des conclusions du livre pourraient aussi être discutées. Dans la grande question qui divisa le mouvement socialiste français (et européen) sur la « participation » aux gouvernements « bourgeois », Candar et Duclert donnent raison à Jaurès, qui s’engage résolument en soutien du gouvernement de défense républicaine de Waldeck Rousseau. Mais le danger pour la République était-il aussi grave que l’affirmait Jaurès, et les résultats de la « participation » furent-ils à la hauteur de ses espérances ? On pourrait en douter, ou du moins en débattre.

6La question de fond que soulève le livre est le statut de la pensée de Jaurès, et sa place dans l’histoire du socialisme français. Peut-on vraiment affirmer, comme le font les auteurs, que sa pensée philosophique était « originale », et (dans la conclusion) que sa conception du politique représente une « forme nouvelle et aboutie du socialisme » ? Candar et Duclert semblent eux-mêmes en douter, quand ils reconnaissent quelques pages plus tard que sa pensée était « éclatée » (Madeleine Rebérioux ne dit pas autre chose quand elle qualifie L’Armée Nouvelle, son ouvrage le plus accompli, de « livre hugolien »). On ne peut certes douter de la puissance et la richesse d’inspiration de la pensée jaurésienne, et c’est justement ce qu’avait Durkheim à l’esprit quand il la qualifia de « force de la nature ». Mais s’il y a vraiment une philosophie jaurésienne du socialisme, elle reste difficilement lisible, et il n’est guère aisé de la distinguer (conceptuellement) d’une forme avancée du républicanisme. Il est vrai que ces deux grands courants partagent – pour le meilleur, et parfois pour le pire — une même conception « métaphysique » de la vie bonne, l’un des éléments récurrents de la pensée politique progressiste en France. En ce sens, on pourrait faire ici l’hypothèse que la pensée de Jaurès est moins un point de départ pour le socialisme de l’ère contemporaine qu’une glorieuse coda à la première tradition socialiste et saintsimonienne française du grand xixe siècle, humaniste, moraliste, lyrique, éclectique et religieuse.

7Gilles Candar, Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014, 688 p.

8Sudhir Hazareesingh

Jaurès et sa postérité

9C’est un ouvrage original que Jacqueline Lalouette, spécialiste de la libre-pensée et des rapports entre politique et religion, bien connue des lecteurs des Cahiers Jaurès, présente sur Jean Jaurès ou plutôt sur Jean Jaurès posthume, sur « l’autre vie » du personnage qu’il devint à partir du 31 juillet 1914 et qu’il est resté, avec des facettes et selon des modalités très diverses.

10La première partie est consacrée essentiellement à l’assassin, à travers sa biographie, les circonstances de son crime, sa détention, la préparation et le déroulement de son procès, son acquittement extraordinaire le 29 mars 1919, et son existence plus que médiocre jusqu’à son meurtre en 1936. L’auteur y fait le point avec une très grande érudition sur tout ce que l’on peut savoir aujourd’hui, y compris ce que l’on ne saura peut-être jamais à coup sûr, par exemple la question de l’assassin isolé ou manipulé (elle examine successivement six pistes aboutissant à de très hypothétiques commanditaires : l’Action française, la police, l’ambassadeur de Russie, l’Allemagne, les Anglais, les Jésuites…), la question du report huit fois renouvelé de son procès, celle de son acquittement stupéfiant qui n’est pas le fait d’une « justice de classe » comme cela avait été prétendu ; et de même la question du remboursement des frais du procès imputé à Madame Jaurès. Dans l’état actuel des sources disponibles et sauf trouvaille exceptionnelle, on dispose ici d’une somme incontournable d’informations. Pour analyser les lettres de Villain l’auteur a poussé le souci jusqu’à consulter psychologue et psychanalyste ; elle a étudié la procédure des cours d’assises où, de 1880 à 1900, dans plus du quart des affaires, les jurys populaires – qui étaient souverains et délibéraient alors sans la présence d’un magistrat – ont prononcé l’acquittement pur et simple des prévenus. Elle montre bien la redoutable efficacité des avocats de la défense qui surent exploiter l’erreur stratégique de ceux de la partie civile, notamment Joseph Paul-Boncour, qui avaient voulu exalter la mémoire de Jaurès en développant trop longuement son panégyrique de patriote, y compris en le lavant des multiples accusations proférées contre lui avant-guerre. De ce fait l’accusation contre Villain passait au second plan, ce que résumait ainsi Le Canard enchaîné : « Quand Boncour eut fini son discours sybillin / On eût cru que Jaurès avait tué Villain ».

11La seconde partie du livre porte entièrement sur Jaurès, sa mémoire comme objet d’histoire, comment les contemporains ont vécu la tragédie de sa disparition et son absence, et comment l’acquittement de son assassin a eu pour conséquence une volonté de réparation qui conduisit à la panthéonisation et à de multiples formes d’hommage au disparu. Par-delà les conjectures multiples sur ce qu’il aurait pu faire le jour suivant, pendant la guerre et par la suite, c’est cette partie qui nous a paru l’essentiel du livre. Elle prolonge avec un luxe impressionnant de références critiques les travaux de Madeleine Rebérioux, Maurice Agulhon, Jean-Pierre Rioux, Vincent Duclert, Gilles Candar, Marion Fontaine, etc. Jaurès comme « lieu de mémoire » ou comme « passion française » selon des formules à la mode qui disent peut-être assez bien combien la dimension du personnage s’est démultipliée, pour atteindre un niveau de mythe ou de légendaire, comme cela a pu être montré en particulier pour de Gaulle [1]. On voit ainsi comment chez certains socialistes non des moindres, une aura de mystique ou même de religiosité a pu nimber souvent la référence à Jaurès ; comment aussi le nom du saint patron a pu devenir parfois un prénom. Nul doute que s’il y a toujours à rechercher la vérité sous le mythe, la vérité de Jaurès, à la différence d’un de Gaulle, n’est pas dans sa légende mais dans son histoire.

12Jacqueline Lalouette a multiplié les angles de vue, étudiant successivement la grande manifestation de protestation contre l’acquittement, puis la panthéonisation avec les débats parlementaires, l’exhumation albigeoise, l’exposition à la Chambre, les deux cortèges parisiens et les manifestations d’hommages en province. Elle analyse les monuments et statues du grand homme, avec les péripéties de leur choix, de leur édification et de leur inauguration, parfois aussi de leur contestation, voire de leur destruction et de leur renaissance. Outre les timbres, elle n’a pas oublié toute la diversité des menus supports du « culte » jaurésien, des portraits, cartes postales, rubans, médailles, figurines, porte-clés, pipes. Et Jaurès n’a pas fini de susciter de tels hommages, un siècle encore après sa mort. Il en va de même pour les voies « Jaurès » que l’on trouve aujourd’hui dans plus de 2100 communes de France, ce qui place le personnage au cinquième rang dans l’odonymie communale, après de Gaulle, Pasteur, Leclerc et Hugo. S’il est difficile de retrouver pour chaque commune la délibération et donc l’année de l’hommage rendu par la municipalité, on peut essayer de voir la tendance entre 2007 et aujourd’hui grâce aux données recensées par le service postal de l’Adresse : à coup sûr une croissance nette, mais pas autant que « l’heureuse surprise » évoquée par notre collègue (+ 308 communes) puisqu’il faut tenir compte des communes assez nombreuses où existent deux, voire trois voies Jaurès (par exemple une impasse attenant à une avenue ou une place, ou une deuxième voie par annexion d’une commune limitrophe du fait de l’extension urbaine). La question des « débaptisations » de voies Jaurès durant la période de Vichy est aussi susceptible d’être approfondie puisqu’il s’avère que le maréchal Pétain s’y est quelques fois opposé et compte tenu de certaines tentatives marginales de « récupération » de Jaurès. Un autre terrain prometteur évoqué ici est celui des commémorations du 31 juillet, avec une histoire désormais séculaire. On voit que le sujet difficile inauguré dans les années 1980 par Maurice Agulhon est, comme il le prévoyait lui-même, loin d’être épuisé.

13L’histoire du Jaurès posthume patriote ou pacifiste, du jauressisme et des usages politiques qui en ont été faits, par exemple durant le Front populaire, pendant la Seconde guerre et sous la Guerre froide, jusqu’aux captations fracassantes observées à droite et à l’extrême-droite lors des péripéties électorales du xxie siècle, n’est pas close. Mais le chantier de l’histoire des associations, des études, des œuvres, savantes ou non, artistiques et littéraires (romans, poésies, chansons, théâtre et cinéma), inspirés par la vie et l’œuvre du grand homme, est ici bien avancé. On trouvera dans ce livre quasi encyclopédique beaucoup d’exemples, de références, de réflexions convaincantes et de doutes argumentés, mais aussi de pistes à explorer et de lectures ou relectures à entreprendre. Raisons de plus pour en conseiller vivement la lecture.

14Jacqueline Lalouette, Jean Jaurès l’assassinat, la gloire, le souvenir, Paris, Perrin, 2014, 384 p.

15Philippe Oulmont

Jaurès et sa légende

16Quelques mois avant la parution de la nouvelle biographie de Jaurès co-écrite avec Gilles Candar [2], Vincent Duclert a publié aux éditions Autrement, dans la collection « Vies parallèles » (qui vise à approcher à la fois la biographie mais aussi les représentations entourant des personnages illustres), un ouvrage plus synthétique intitulé, Jaurès 1859-1914. La politique et la légende. Conformément aux principes de cette collection, le livre se décompose en deux parties. La seconde présente « l’histoire de Jaurès » et revient sur les grandes étapes du parcours politique du leader socialiste, depuis la jeunesse normalienne et républicaine jusqu’à la lutte contre la guerre en passant par les engagements éthiques de l’affaire Dreyfus. Elle présente donc un résumé utile, accessible même à celui qui serait peu au fait du parcours jaurésien ; elle stimule en même temps la curiosité et invite à d’autres lectures grâce aux repères bibliographiques présentés à la fin.

17On s’attardera toutefois un peu plus longuement sur la première partie, intitulée « Jaurès dans l’histoire » et qui fait la véritable originalité de l’ouvrage. Accompagnée d’un abondant cahier iconographique (les documents proviennent du Centre national et musée Jean Jaurès de Castres), cette partie revisite en effet les représentations et les images qui ont entouré Jaurès de son vivant, plus encore après sa mort et ce jusqu’à aujourd’hui. Vincent Duclert livre ainsi quelques pages très intéressantes, qu’on aurait souhaité même être davantage développées, sur le rapport du député de Carmaux à la photographie. Il revient surtout sur l’édification de la légende jaurésienne et sur le rôle que celle-ci a joué tout au long du siècle, notamment à gauche. Ce sont donc les Jaurès posthumes que V.Duclert dessine ici, celui des artistes, celui des politiques mais aussi celui des historiens, des premières biographies à l’édition actuelle des Œuvres en passant par la création de la Société d’études jaurésiennes en 1959. Il y a là autant de pistes, de domaines que l’auteur connaît pour certains de l’intérieur et qu’il explore ici avec un engagement communicatif. Il y a là encore une belle réflexion, à travers le cas de Jaurès, sur l’élaboration des imaginaires politiques dans la France républicaine du xxe siècle. Vincent Duclert ne s’est d’ailleurs pas arrêté là, puisque de cette réflexion il a fait non seulement un livre, mais aussi une exposition, qui a été inaugurée en mai 2014 au Panthéon et portait sur les représentations et le légendaire jaurésien [3]. Elle a constitué ainsi le pendant idéal de celle qui s’est tenue durant ce même printemps 2014 aux Archives nationales, sous la conduite de Gilles Candar, Romain Ducoulombier et Magali Lacousse, et qui traitait, elle, de la trajectoire de Jaurès de son vivant. Comme on le voit une fois encore, les productions des historiens jaurésiens n’ont cessé, en cette année un peu spéciale, de se répondre entre elles : nul doute que la recherche comme le public y ont gagné !

18Vincent Duclert, Jaurès 1859-1914. La politique et la légende, Paris, Éditions Autrement, coll. « Vies parallèles », 2013, 283 p.

19Marion Fontaine

Jaurès aux Archives nationales

20L’exposition consacrée à Jaurès, organisée aux Archives nationales avec le soutien de la Fondation Jean Jaurès, s’est tenue entre mars et juillet 2014. Elle a constitué à plus d’un titre un événement et a été à la fois un véritable succès public et une exposition scientifique de haute tenue.

21Ceux qui n’auraient pas eu la possibilité de la visiter peuvent se rattraper avec le catalogue intitulé, Jaurès. Une vie pour l’humanité, et dirigé par les commissaires de l’exposition, Gilles Candar et Romain Ducoulombier pour les historiens, Magali Lacousse pour les Archives nationales. L’ouvrage offre une sélection des documents qui ont été présentés au printemps, en assurant des reproductions de grande qualité. Il présente en même temps des mises au point sur les grands thèmes qui ont structuré l’exposition (le 31 juillet 1914, le parcours intellectuel et politique de l’homme, la société dans laquelle il baignait, le projet socialiste qui l’animait) et des éclairages sur des points plus précis (Louise Jaurès, Jaurès du Nord au Midi, Jaurès historien, etc.).

22Le livre est susceptible de plaire aussi bien aux lecteurs curieux qu’aux spécialistes les plus exigeants. Les documents proposés sont de nature très diverse (manuscrits, photographies, caricatures, peinture) et proviennent des Archives nationales bien sûr, mais aussi d’autres sources (le Centre national et musée Jean-Jaurès de Castres, le Musée d’histoire vivante de Montreuil, tout comme d’autres musées ou centres d’archives départementaux). On se plaît à retrouver les plus connus (certains dessins satiriques, les portraits du Jaurès « classique ») ; d’autres surprennent davantage, émeuvent, interrogent : l’image d’un Jaurès jeune, mince et imberbe, quelques caricatures particulièrement violentes, des manuscrits originaux, le beau portrait peint par Henri Martin. L’ensemble, appuyé sur des notices et des explications à la fois érudites et stimulantes, alimente la réflexion sur bien des points. Cela concerne par exemple les sources multiples du charisme jaurésien et la conscience que pouvait en avoir Jaurès lui-même. Même si ce dernier est à bien des égards une exception, son parcours témoigne aussi du contenu de la profession politique dans une période de transition, entre l’enracinement de la République parlementaire et les premiers signes des changements propres au xxe siècle (s’agissant du rôle des médias ou encore celui de l’État). On notera enfin la finesse et la rigueur dont les auteurs font preuve lorsqu’ils traitent des antinomies stéréotypées qui accompagnent, jusqu’à aujourd’hui, l’évocation de la figure jaurésienne (d’un côté Jaurès/ Guesde, la réforme et la révolution, de l’autre Jaurès/ Clemenceau, l’idéal et le réel) : ils démontrent à la fois la part de vérité que ces antinomies recouvrent, et simultanément la complexité et les mouvements qu’elles occultent.

23En ce sens, il ne s’agit pas seulement ici d’un « beau livre », mais aussi d’une analyse utile, à l’heure où les différentes gauches paraissent parfois se complaire à ressasser, dans un sens ou dans un autre, ce genre de cliché. On regrettera d’autant plus, dans ces conditions, l’article, de mauvaise foi, paru dans Le Monde diplomatique en juillet [4] et qui égratigne l’exposition au nom d’une « lutte des classes » qu’elle aurait, paraît-il, occultée. Un seul regard jeté au catalogue suffit à prouver à l’inanité d’une telle accusation : les documents et les notices font en effet largement allusion aux rapports que Jaurès a entretenus au mouvement ouvrier et au conflit social. Tout cela n’atteste au fond qu’une seule chose : l’exigence intellectuelle, qui a toujours été celle de Jaurès et qui se retrouve dans cette exposition, est peut-être le premier héritage jaurésien, et celui qu’il importe aujourd’hui le plus de retrouver.

24Gilles Candar, Romain Ducoulombier,Magali Lacousse (dir.), Jaurès. Une vie pour l’humanité, Paris, Beaux-Arts éditions – Archives nationales, 2014, 176 p.

25Marion Fontaine

Le monde selon Jaurès

26Bruno Fuligni a le sens du récit, comme en témoignent ses nombreux ouvrages historiques et les deux pièces de théâtre (La valise de Jaurès et Qu’est-ce que la République ?) qu’il a écrites sur Jaurès et qui ont été interprétées par Jean-Claude Drouot notamment. Il connaît par ailleurs admirablement la vie politique et parlementaire de la IIIe République. Il n’hésite pas ici à proposer un tour d’horizon de la pensée jaurésienne en deux cents pages, au moyen de citations et de morceaux choisis plutôt brefs, du moins selon les critères jaurésiens ! L’ensemble est parfaitement maîtrisé et joliment réussi. Contentons-nous de citer les divers intitulés des chapitres : la révélation d’un talent, la vie, l’humanité, la religion, l’histoire, la république, le socialisme, la justice, l’école, le patriotisme, la guerre et la mémoire. L’auteur utilise beaucoup des discours parlementaires, mais aussi des articles de presse et des textes de jeunesse que l’édition des Œuvres chez Fayard remet en actualité et rend plus accessibles. Le livre est alerte, très bien fait, vivant et sûr. La méthode choisie conduit peut-être à atténuer la diversité des périodes, à amortir les évolutions et les tournants, mais elle sert justement le propos de Bruno Fuligni désireux de rappeler que Jaurès est d’abord avant tout un penseur, qu’il convient de le lire et que cela importe davantage que la multiplication des révérences à ses effigies et statues. L’ouvrage constitue une excellente introduction pour qui souhaite découvrir aussi bien la figure que la pensée politique de Jaurès. Et le jaurésien averti prend plaisir à y retrouver des textes parfois très célèbres, parfois oubliés, voire à en découvrir de méconnus. Qui parmi nous connaît vraiment cet article du Matin qu’exhume Bruno Fuligni où Jaurès salue l’élection du premier député musulman de France, Philippe Grenier élu à la faveur d’une élection partielle dans le Doubs à la fin de l’année 1896 ?

27Il ne convient pas de chicaner ce livre vif et rapide sur la légèreté de son annotation. Pourtant, il est aussi utile de signaler au lecteur qu’il faut rectifier p. 169 le nom du « plus puissant orateur des temps modernes » selon Jaurès : les secrétaires des débats de la IIIe République ne pouvaient être infaillibles et sous l’accent rocailleux du Tarn, ils n’ont pas reconnu l’évocation de Daniel Webster (et non Welseley), le grand sénateur whig des États-Unis d’Amérique.

28Bruno Fuligni, Le Monde selon Jaurès. Polémiques, réflexions, discours et prophéties, Paris, Tallandier, 2014, 224 p.

29Gilles Candar

Le roman de Jaurès

30Journaliste, écrivain et historien aux centres d’intérêts variés, du sport aux coopératives sociales, des premiers socialismes à Charles de Gaulle, Laurent Lasne signe une biographie dont la part romanesque est assumée puisqu’elle s’intitule Le roman de Jaurès. L’auteur en effet ne s’interdit pas de remplir les blancs et de dissiper les incertitudes. Il le fait en étant bien informé. Son récit s’appuie sur une enquête sérieuse, sur des lectures vastes et étendues, sur une réflexion personnelle. Il ne s’agit pas d’un ouvrage universitaire, mais d’une biographie populaire et éducative au récit alerte et fort bien documenté. Elle n’est pas sans rappeler la très belle Vie de Jean Jaurès ou la France d’avant 1914 de Marcelle Auclair, paru voici soixante ans. L’écriture, la sensibilité de l’auteur sont naturellement différentes, mais on y retrouve la même chaleur, la même lucide sympathie qui sait aller à l’essentiel. Chaque livre témoigne de son époque. Les préoccupations de Laurent Lasne sont plutôt de s’attacher directement aux idées et aux combats de Jaurès, d’où son pertinent sous-titre, Des idées dans les poings, emprunté à Jules Renard, l’écrivain-compagnon de Jaurès.

31Bien entendu, il y aurait matière à discuter, assez rarement sur l’information elle-même, plutôt sur certaines interprétations, mais ce serait broutilles et cela peut attendre. Il suffit ici de marquer la réussite globale du projet, fruit du travail méthodique et consciencieux dont témoigne l’annotation et de la maîtrise de la langue et du récit. Il est toutefois possible de regretter l’absence d’index des noms et d’une bibliographie même rudimentaire.

32Laurent Lasne, Le roman de Jaurès, Paris, Éditions du Rocher, 2014, 270p.

33Robert Lindet

Jaurès philosophe personnaliste ?

34L’intérêt essentiel de ce livre de Roger Benjamin sur Jaurès tient à son parti pris personnaliste. Thèse originale, iconoclaste, mais est-elle bien juste ?

35L’auteur, ancien directeur de la Fondation pour la Recherche Sociale et rédacteur en chef de la revue Recherche Sociale, tente ici un grand écart philosophique entre le personnalisme et le réformisme révolutionnaire de Jaurès. Benjamin a déjà écrit un livre sur le personnalisme il y a plus de 40 ans : Notion de personne et personnalisme chrétien (Éd. Mouton, 1971).

36Un « personnalisme humanitariste » ou « humanisme personnaliste » (p. 68) caractériserait la philosophie morale de Jaurès qui, selon l’auteur, rappellerait et annoncerait même le « personnalisme communautaire » d’Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, en 1932.

37Affirmer cela, c’est d’abord supposer une même démarche intellectuelle, philosophique et politique entre les deux philosophes, ce dont on peut douter. En effet, Jaurès n’a jamais cherché une troisième voie entre le capitalisme libéral et le marxisme mais un accomplissement ultime de la République, qui est le socialisme en puissance ; le socialisme étant la République en acte, c’est-à-dire pleinement réalisée, « jusqu’au bout » : le collectivisme ou République sociale fondée sur la propriété sociale.

38L’auteur reconnaît que « Jaurès ne s’est jamais réclamé de l’humanisme, il ne s’est pas non plus affirmé personnaliste » (p. 68). Et pour cause : le « personnalisme réaliste » de Charles Renouvier, en 1903, ne pouvait fondamentalement pas convenir à Jaurès car ce dernier n’avait pas du tout une optique kantienne : même si la personne est digne de respect pour Jaurès, elle n’est pas un absolu a priori. Point d’impératif catégorique chez Jaurès qui critiquait déjà Kant dans son Cours de philosophie au lycée d’Albi, en 1883, mais aussi dans sa thèse principale De la réalité du monde sensible, comme le rappelle cependant Benjamin, page 20.

39Par contre, Benjamin vise juste lorsqu’il fait partir la philosophie de Jaurès d’Aristote (mais pas seulement) et de ses deux concepts de puissance et d’acte que reprend à son compte Jaurès pour penser l’être comme ce qui est (la réalité) et l’identifier à Dieu en tant que le monde réalisé, puissance actualisée. Cette analyse de Benjamin n’est pas nouvelle, mais il est heureux de rappeler cela, sans que Jaurès ait été aristotélicien mais reconnaissant Aristote comme son seul « maître ».

40Concernant la philosophie morale de Jaurès, la personne surgit de l’individu en tant qu’homme en acte parce qu’elle gît « toujours déjà là » (pour parler comme Aristote) en puissance dans l’individu. Procession-conversion morale chez Jaurès qui suppose donc de ne pas opposer l’« individu » et la « personne », comme le rappelle avec justesse Benjamin, mais que les jeunes personnalistes des années 1930 (prônant un « ordre nouveau » au-delà de l’individualisme et du collectivisme) opposaient cependant, inspirés en cela par Charles Péguy. De plus, Jaurès concevait une action réciproque, là aussi compénétrée, entre le matériel et le spirituel, sans être matérialiste mais en donnant crédit au seul matérialisme économique de Marx qu’il tentait de concilier avec l’idéalisme objectif et ses « idéaux préconçus » de droit et de justice préalables à l’Histoire, dans sa conférence « Idéalisme et matérialisme dans la conception de l’Histoire », le 12 décembre 1894, alors que Mounier disait que « le spirituel commande le politique et l’économique ». Dès lors pourquoi et comment faire de Jaurès un personnaliste, même malgré lui ?

41Par ailleurs, Benjamin néglige le concept/enjeu-clé de l’unité de l’être dans ce mouvement ontologique des choses chez Jaurès, même s’il voit la transposition de ce processus en politique. Présentant comme si c’était les siennes diverses études philosophiques passées sans les citer, Benjamin s’engage sur le terrain de la transposition de la métaphysique jaurésienne en politique en rappelant que Dieu devient politiquement l’Humanité chez Jaurès. Encore aurait-il fallu dire que l’Humanité est retour à une unité perdue de son être, dans un élan plotinien très présent chez Jaurès dès son professorat à Albi.

42Si Benjamin n’avait pas négligé le concept d’unité mouvante au sein d’une ontologie dynamique, il est à parier qu’il aurait été plus convaincant lorsqu’il reprend l’idée de socialisme jaurésien et surtout celle du rôle de l’État. Citant plusieurs longs passages de L’Armée nouvelle, notre auteur surfe sans approfondir et sans voir véritablement l’enjeu de la pensée de l’État chez Jaurès.

43En effet, Benjamin qualifie l’État d’« arbitre », qui « ne peut s’empêcher d’être partisan » (p. 153). Rien n’est moins sûr selon Jaurès. Ce serait alors figer l’État dans une posture de régulations sociales faite de compromis le plus souvent favorables à la classe dominante, comme le rappelle Benjamin jusqu’à notre crise de 2008. C’est aussi négliger la filiation lassallienne (l’État au-dessus des classes) et non marxienne de Jaurès en la matière. Or, le rôle de l’État n’est pas celui-ci chez Jaurès mais bien une transmutation (mouvement de changement de qualité de la matière dans la physique d’Aristote) de la République en socialisme, à la fois individualisme « bien pensé » par la souveraineté du travail, et collectivisme par la propriété sociale organisée par l’État et fondant la souveraineté économique du citoyen. L’État n’est pas qu’une personne morale chez Jaurès mais un processus d’action historique, une praxis par laquelle le prolétariat arrivé légalement au pouvoir devra transmuer la République en socialisme sans dictature du prolétariat. Ce que ne voit pas du tout bien Benjamin est que l’État constitue donc une dynamique historique, le mouvement politique de passage de la puissance républicaine à l’acte socialiste pour retrouver l’unité humaine et sociale et, par la méthode du réformisme révolutionnaire, supprimer les classes pour réaliser la Justice, l’Humanité.

44En dépit de certaines analyses justes à propos des bases de la philosophie de Jaurès, cet ouvrage ne convainc pas assez sur le plan métaphysico-politique, même si la direction prise est la bonne. On peut noter l’absence de bibliographie jaurésienne, comme pour mieux se dédouaner de quelques emprunts tus et présentés implicitement comme originaux (ontologie d’inspiration aristotélicienne, « big bang ontologique » chez Jaurès, lien avec la philosophie de l’Identité de Schelling etc.). Mais il demeure un livre utile pour entrer en matière, pour approcher la philosophie politique de Jaurès.

45Roger Benjamin, Jean Jaurès. Un philosophe humaniste et personnaliste, un socialiste réformiste et révolutionnaire, Paris, L’Harmattan, 2014, 163 p.

46Bruno Antonini

Jaurès : philosophie, religion et politique

47Éric Vinson et Sophie Viguier-Vinson s’intéressent à la pensée philosophique et religieuse de Jaurès qu’ils estiment mal connue ou négligée par la plupart des personnes se réclamant de lui. Au mieux, estiment-ils, Jaurès est cité « par touches » (p. 21). On ne peut leur donner tort, en dépit des travaux antérieurs de divers auteurs, dont plusieurs sont d’ailleurs abondamment cités dans l’ouvrage, notamment Jordi Blanc et Jean-Pierre Rioux. Les auteurs entendent non seulement analyser cette pensée riche de facettes multiples – des « infinies nuances » pour les admirateurs de Jaurès et des « ambiguïtés récurrentes » pour ses détracteurs (p. 14), mais aussi montrer comment elle a nourri l’action du leader socialiste, ce dont rend bien compte le sous-titre de l’ouvrage. Les dix chapitres correspondant à cette double démarche se succèdent selon un plan très cohérent, tout à la fois chronologique et thématique, partant de « l’empreinte des jeunes années » (chapitre 1) pour aboutir à « l’âme de la paix » (chapitre 10). Les chapitres deux à sept sont consacrés aux options philosophiques et religieuses. La thèse principale (De la réalité du monde sensible) est largement sollicitée et les auteurs s’attachent à mettre en lumière toutes les sources philosophiques auxquelles Jaurès a puisé (Aristote, Plotin, Spinoza, Leibniz, Maine de Biran, Victor Cousin, Félix Ravaisson, Jules Lachelier…) et à souligner ce qu’il récuse (le positivisme…). L’importance de Dieu dans la pensée de Jaurès est centrale. Sont également soigneusement analysés et largement cités deux autres textes : la thèse complémentaire et le fameux manuscrit de 1891 demeuré inédit. Le caractère religieux du socialisme de Jaurès est amplement souligné.

48Probablement dans le but d’accentuer le caractère religieux, spirituel, mystique des conceptions jaurésiennes, les auteurs établissent à maintes reprises une consonance entre elles et des œuvres, religions ou spiritualités saisies dans le passé ou le futur. Est ainsi établie une parenté entre Jaurès et les Upanishad (p. 77), le taoïsme (p. 78), le bouddhisme (p. 80), le kabbaliste du xvie siècle Haïm Vital (p. 82), les socialistes utopistes et spiritualistes du premier xixe siècle, dont il serait « un héritier un peu tardif « (p. 109), mais aussi Emmanuel Mounier (p. 184), Simone Weil (p. 200), James Lovelock, inventeur de « l’hypothèse Gaïa » en 1974 (p. 98), René Guénon (p. 82), les physiciens à l’origine du principe anthropique (p. 173), sans qu’il soit précisé si Jaurès aurait été proche du principe anthropique faible ou du principe anthropique fort qui aboutit au Dessein intelligent…, du New Age (dont Jaurès est présenté comme un précurseur p. 102, alors que pp. 179-180 les auteurs estiment que les écrits de Jaurès qui mettent en garde contre les « exigences spirituelles » réduites « à l’esthétisme et à l’émotion » sont bons à considérer dans une période où « se multiplient les sous-produits plus ou moins New Age des grandes traditions), les théologiens de l’enfouissement et les prêtres ouvriers (p. 163). Diverses expressions servant à désigner Jaurès renforcent cette volonté de présenter un Jaurès métaphysicien puisqu’il est « notre métaphysicien » (pp. 61, 90, 111, 125…), « le jeune métaphysicien » (p. 84), « notre métaphysicien militant » (p. 174). Les auteurs consacrent par ailleurs plusieurs pages à l’indéniable intérêt que Jaurès portait au domaine parapsychique. En effet, Jaurès n’avait-il pas invité le spirite Léon Denis à prononcer une conférence à la Faculté des Lettres de Toulouse ? Ne court-il pas une célèbre anecdote, que personne semble-t-il n’a récusée, relative à une rencontre entre Jaurès et la célèbre voyante Madame Fraya ? (Deux faits que les auteurs ne mentionnent d’ailleurs pas).

49Les auteurs n’inventent rien et les textes cités existent, bien faits pour perturber l’entendement de jaurésiens qui préféreraient ignorer un tel Jaurès ou le rejeter dans les marges, ce que rien, à notre sens, ne saurait justifier. Cependant, certains apparentements finissent par paraître incongrus et certaines analyses nous semblent quelque peu biaisées. Peut-on vraiment se demander si Jaurès aurait « viré huguenot » (p. 124) et ne pas citer le célèbre discours sur la France qui avait ignoré la Réforme pour se réserver pour la Révolution (« C’est parce que notre génie français avait cette merveilleuse audace d’espérance et d’affirmation dans la pensée libre qu’il s’est réservé devant la Réforme afin de se réserver tout entier pour la Révolution », Chambre des députés, 2e séance du 21 avril 1905, JO, 22 avril 1905, p. 1640) ? Au passage, à propos du rôle des protestants, Ferdinand Buisson, Félix Pécaut…, (pp. 124-125) dans la France républicaine, on peut se référer à André Encrevé qui a tenu à le relativiser (Les protestants en France de 1800 à nos jours. Histoire d’une réintégration, Paris, Stock, 1985, p. 202ss). Et peut-on faire état de l’admiration de Jaurès pour l’Évangile sans ajouter qu’il a aussi estimé que le Syllabus y était en germe (« Oui, de l’Évangile au Syllabus il y a une évolution immense, mais c’est une évolution organique et tout le Syllabus, non pas explicitement, mais en germe, est contenu dans l’Évangile », Chambre des députés, jeudi 3 mars 1904, Journal officiel, 4 mars 1904, p. 564.) ? Parce ce que Jaurès a laissé sa fille faire sa première communion, faut-il vraiment le décrire disant à Madeleine : « Va prier ma fille » ? A-t-il lui-même « mené sa fille communier à l’église » ? (pp. 210-211).

50Par ailleurs, nous nous demandons si, dans le domaine du spirituel et du parapsychique, il ne faudrait pas aussi mentionner tout ce qui aurait pu retenir l’attention de Jaurès, mais ne l’a pas fait. Jaurès s’est-il intéressé au Parlement des religions de Chicago (1893), à Vivekananda ? Jusqu’où est allé son intérêt pour la théosophie ? A-t-il entretenu des liens avec Camille Flammarion ? Sur tous ces points, et d’autres, les silences de Jaurès sont certainement aussi instructifs que ses écrits. Les recenser permettrait de cerner davantage tout un aspect de la personnalité de Jaurès.

51Les chapitres huit et neuf répondent au second dessein des auteurs et font le lien entre les analyses précédentes et l’action de Jaurès en certaines circonstances : les grèves de Carmaux, l’Affaire, la séparation des Églises et de l’État. Le lien entre la métaphysique et la politique occupe une moindre place dans l’ouvrage que la métaphysique elle-même et on peut regretter que les circonstances où le politique Jaurès ne semble pas s’être embarrassé de considérations propres au Jaurès métaphysicien et religieux, assoiffé de justice et d’idéal n’aient pas fait l’objet d’une attention spéciale. Les tergiversations de Jaurès du début de l’année 1898, quant à l’innocence de Dreyfus, ne sont pas à son honneur. Sans obligatoirement faire preuve de la même sévérité que Vincent Duclert (« Jean Jaurès et la Turquie. La fêlure des massacres arméniens », Jaurès, du Tarn à l’Internationale, Fondation Jean Jaurès, 2011, p. 89-113) quant à l’attitude de Jaurès relative au traitement infligé aux Arméniens au temps des Jeunes Turcs, on peut néanmoins s’interroger sur son silence bienveillant envers les nouveaux maîtres de la Turquie lors du massacre d’Adana, en avril 1909. Jaurès n’a pas été étranger aux calculs politiques et il n’y a aucune raison de le cacher.

52Mais les auteurs poursuivaient encore un autre but : retrouver l’enthousiasme de Jaurès, suivre ses perspectives, saisir dans son œuvre « un fil conducteur », un idéal nécessaires « en nos sombres temps de scepticisme généralisé et de décomposition ». C’est pourquoi ils établissent assez régulièrement un pont entre le temps de Jaurès et le nôtre (ce qui peut, d’une certaine manière, évoquer la démarche de Jean-Pierre Fourré avec son Moi, Jaurès candidat en 2012). Apparaissent ainsi le forum de Davos (p. 132), « nos temps technocratiques » (p. 170), la loi Debré (p. 206). C’est ce lien établi entre notre temps et celui de Jaurès qui permet de faire de celui-ci un « prophète » (thème central de la conclusion), non pas le prophète imprécateur, dénonciateur, comme l’étaient Ézéchiel ou Amos, mais le prophète annonciateur de l’avenir (p. 280). Non seulement « une bonne part des combats et des espoirs jaurésiens se sont bel et bien concrétisés, mais à long terme », estiment-ils (p. 281), mais, plus fondamentalement, Jaurès « fut prophète de cet humanisme démocratique et de la spiritualité qui lui est inhérente », ce qui le rapproche d’autres grandes figures des xixe et xxe siècles, par exemple Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Aung San Suu Kyi…).

53On ne saurait véritablement reprocher aux auteurs d’avoir répété ce qui figure dans maints ouvrages quant à la condamnation aux dépens de Madame Jaurès en 1919 (p. 20), qu’aucun document ne prouve et qui est démentie par les comptes rendus du procès publiés dans divers journaux. Plusieurs passages relatifs au positivisme matérialiste ou au matérialisme positiviste sont plus regrettables ; excluant tout ce qui échappe à l’observation, la philosophie positive exclut le matérialisme, qui relève de la métaphysique.

54Le livre serait plus aisément consultable avec un index ; une bibliographie plus complète que les titres cités dans les notes (où tel ou tel ibid. est parfois employé à tort, par exemple note 16 du chapitre 3, p. 296) aurait été la bienvenue.

55Pour conclure, nous estimons que cet ouvrage, bien documenté, pose des problèmes fondamentaux, mais que les auteurs ont trop voulu tirer Jaurès dans la direction leur convenant.

56Éric Vinson, Sophie Viguier-Vinson, Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain, Paris, Albin Michel, 2014, 312 p.

57Jacqueline Lalouette

L’art dans les écrits de Jaurès et dans L’Humanité

58Avec Jaurès. Penser l’art, Aude Larmet a le mérite de présenter un aspect peu connu de Jean Jaurès, si l’on excepte le travail de Gaston-Louis Marchal (Jean Jaurès et les arts plastiques, Castres, 1984). Ce livre est issu, au moins partiellement – bien que cela ne soit pas mentionné – de deux mémoires soutenus par l’auteur à l’Université de Toulouse-Le Mirail et cités dans la bibliographie : un mémoire de M1 (Jean Jaurès et les beaux-arts au service de l’humain, 2006) et un mémoire de M2 (La critique d’art dans L’Humanité de 1904 à 1914, 2007). Dans sa construction, l’ouvrage dépend étroitement de ces deux travaux, apparentés, mais nettement différenciés ; en effet, ses six chapitres sont divisés en deux parties, qui ne sont pas présentées en tant que telles : les trois premiers se rapportent effectivement à Jaurès et les trois derniers à L’Humanité. Le titre Jaurès. Penser l’art ne correspond donc qu’à la première moitié du livre, car, bien que Jaurès soit le fondateur et le directeur de L’Humanité, on ne peut couvrir de son nom tout ce qui s’y trouve.

59Les trois chapitres consacrés à Jaurès reposent sur une lecture attentive du cours professé par Jean Jaurès à ses élèves du lycée d’Albi, de sa thèse et de divers articles. Ils se rapportent à la formation et à la culture esthétiques de Jaurès, à ses conceptions du dessin et de la couleur, aux rapports qu’il établit entre l’art et le socialisme, étudiés notamment sur la base de sa conférence « L’art et le socialisme », aux attentes qu’il nourrit relativement à un art capable d’allier l’harmonie sociale et l’harmonie artistique. Tout en analysant les fondements philosophiques, esthétiques et idéologiques des conceptions jaurésiennes, l’auteur s’interroge sur la nature des œuvres répondant le mieux aux attentes de Jaurès et souligne sa prédilection pour les œuvres classiques.

60Dans la seconde partie, le chapitre 4 analyse les chroniques d’art publiées par L’Humanité et suit leur évolution durant trois périodes distinctes (1904-1905, 1906-1910, 1910-1914), illustrées respectivement par Gustave Geffroy, Victor Snell et Léon Rosenthal. Le chapitre suivant montre comment l’organe jaurésien rend compte de la vie artistique contemporaine, notamment à partir des principaux Salons (le Salon des Artistes français, la Société nationale des beaux-arts, le Salon des Indépendants, le Salon d’automne). Aude Larmet y analyse le rôle de l’État et l’orientation résolue de L’Humanité vers l’art social, partiellement confondu avec l’art décoratif. Dans le dernier chapitre est présentée la construction d’une iconographie socialiste. L’auteur relève tout d’abord dans L’Humanité la publication, entre 1904 et 1914, de quatre-vingt articles relatifs aux statues de « grands hommes » et en analyse quelques-uns (Jean-Jacques Rousseau, Robespierre, Louise Michel, Alexandre Dumas, Flaubert, Balzac…). Suivent quelques pages dédiées aux artistes reconnus comme tels par le journal, qui boude les représentants de l’art académique, à quelques exceptions près, au bénéfice des peintres impressionnistes et, encore plus, des artistes réalistes attachés à la représentation du peuple et des travailleurs, comme Gustave Courbet, Aimé Millet ou Constantin Meunier. Rodin, précise Aude Larmet, bénéficia aux yeux de ces critiques de son extraction populaire et de son lien, pourtant indirect, avec les dreyfusards (pp. 166-167).

61Ce chapitre 6 se clôt sur la place accordée par L’Humanité à la commémoration de la Commune et à la portée du Premier Mai, journée de revendications ouvrières illustrée par huit planches (de Grandjouan, d’Ostoya, Poulbot, Steinlen…), réparties dans l’ouvrage. Le commentaire qu’en fait l’auteur est parfois contestable. En quoi la planche de Steinlen du 1er mai 1909 rappelle-t-elle La liberté guidant le peuple de Delacroix ? N’eût-il pas mieux valu s’intéresser aux trois figures majeures du monde du travail (le forgeron, avec sa masse et son marteau ; le mineur, avec son pic, sa lampe et son chapeau de cuir bouilli ; le paysan, avec sa faux) encadrant la jeune et dynamique République sociale ? Aude Larmet commet un étonnant contre-sens dans son commentaire du dessin d’Oursou du 1er mai 1912 représentant un travailleur géant, probablement un terrassier, bras croisés, dont la pioche gît au sol. Le titre « Le maître », accompagné d’une citation de Mirabeau affirmant que le peuple « pour être formidable n’aurait qu’à être immobile » appelle à l’évidence des considérations sur la grève et non sur le caractère « idéalisé » et « bienfaisant » du travail.

62Le texte d’Aude Larmet est malheureusement émaillé de quelques regrettables bévues historiques. Ainsi, elle présente Hippolyte Taine comme « le père du positivisme » (p. 28) ; elle attribue la loi sur l’enseignement secondaire des jeunes filles non à Camille Sée, mais à Jules Ferry, qui n’a fait que la signer en tant que ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (p. 47). Le vocabulaire souffre parfois de quelques approximations (par exemple, mairies employé en lieu et place de municipalités, p. 65). Quant à Jaurès lui-même, on ne peut que regretter quelques jugements à l’emporte-pièce ou erreurs patentes. Ainsi, il est question de « la pensée quasi libertaire » du jeune Jaurès (p. 67) et de Jaurès qui « se positionne rapidement comme dreyfusard » (p. 69).

63Aude Larmet a construit un appareil critique satisfaisant. Sa bibliographie est assez abondante ; certains travaux manquent cependant, notamment sur la statuaire publique ou sur la personnalité et les écrits de Léon Rosenthal (les travaux de Bertrand Tillier ne sont pas mentionnés). L’importance des lectures de l’auteur se mesure d’ailleurs à celle des citations, qui sont nombreuses et longues, mais malheureusement mal différenciées du texte, car elles sont présentées avec la même police et la même justification ; seule la couleur, légèrement plus claire permet de (mal) les distinguer.

64Aude Larmet, Jaurès. Penser l’art, Toulouse, Éditions Privat, 2014, 191 p.

65Jacqueline Lalouette

Jaurès et la Loire

66La floraison de publications dédiées à Jaurès comporte essentiellement des ouvrages dont la perspective est nationale. Le volume collectif qui porte sur Jaurès et la Loire s’en démarque partiellement. Si la première partie, due à Gérard Lindeperg, se présente comme un essai biographique, les deux suivantes sont consacrées aux visites de Jaurès dans le département ainsi qu’à ses relations avec des personnalités implantées localement. Intitulé « La pensée et l’action » et augmenté de trois discours (sur la République sociale et laïque en 1893, le discours à la jeunesse de 1903 et celui de Lyon-Vaisse le 25 juillet 1914), le texte de Gérard Lindeperg propose en 50 pages un tableau nécessairement rapide de la vie de Jaurès. L’auteur s’efforce d’en embrasser toutes les dimensions, de l’attachement au Tarn à la légende Jaurès en passant par l’historien et journaliste, l’orateur, le militant dreyfusard ou le pacifiste et d’autres encore…

67La deuxième partie, « Vive la Sociale ! », réunit trois études sur Jaurès et des grèves ligériennes. Jean Jaurès se rend une dizaine de fois dans la Loire entre 1886 (pour participer au congrès des délégués mineurs en compagnie d’autres parlementaires de régions minières, pas forcément socialistes d’ailleurs) et 1909 (pour le congrès national de la SFIO qui se tient à Saint-Étienne). Trois communications analysent successivement la grève des verriers de Rive-de-Gier en 1893-1894, l’arbitrage réclamé par les tisserands roannais en 1895 et la grève des mineurs stéphanois de 1900. Deux de ces trois contributions sont suivies de reproductions d’articles de Jaurès.

68La troisième partie enfin, « Controverses et polémiques », propose de revenir sur les relations entre Jaurès et plusieurs socialistes ligériens puis restitue les débats engendrés par le souvenir de Jaurès au conseil municipal de Saint-Étienne. Gilles Candar interroge le rapport entre Jaurès et Benoît Malon. Il déconstruit, dans un exercice salutaire pour un historien, le récit par Jaurès de la visite manquée à Benoît Malon rue des Martyrs. Gilles Candar montre ensuite que Jaurès, s’il n’entretient pas de relations personnelles avec Malon, connaît son œuvre et lui rend explicitement hommage le 9 novembre 1913 au Père-Lachaise. Christophe Bellon étudie les relations entre Jean Jaurès et Aristide Briand. Outre les moments attendus (la célèbre apostrophe du 11 mai 1907 où Jaurès s’écrie à son ancien camarade - dont il dénonce la politique - à la Chambre des députés « Pas vous ! ou pas ça ! »), l’auteur montre le rôle clé de la séparation des Églises et de l’État dans leurs rapports. Le souvenir de Jean Jaurès au conseil municipal de Saint-Étienne est analysé au prisme des dénominations de places et de salles. La restitution de ces débats illustre l’importance de l’icône que se disputent socialistes et communistes mais également radicaux, la haine qu’il continue longtemps à susciter à l’extrême droite et même à droite (et pas seulement pendant l’État français…) mais aussi la relative indifférence qui entoure les derniers avatars de ces dénominations changeantes.

69Cet ouvrage assez hétérogène dans sa composition présente donc un panel intéressant des études qu’il est possible de conduire à l’échelle locale pour appréhender l’action et la mémoire de Jean Jaurès.

70Gérard Lindeperg (dir.), Jaurès et la Loire, préface de Michel Winock, Sayat, de Borée, 2013, 279 p.

71Fabien Conord

Jaurès & Clemenceau

72Voici quelques années, Paul Marcus avait publié un excellent Jaurès humaniste à La Documentation française. Son dernier livre, un portrait parallèle de Jaurès et Clemenceau, « deux géants », emporte moins la conviction. Certes, le livre se lit agréablement, il est vivant et enrichi de savoureuses citations et évocations, il présente même une belle lettre inconnue de Jaurès à Anatole France, du 30 novembre 1903, conservée en fonds privé (p. 168). Mais il est fort probable que le livre a été rédigé rapidement à la demande pressante de l’éditeur, en vue de la commémoration du centenaire de Jaurès et de la publication par La Dépêche de l’intégrale des articles de l’élu du Var suivant le modèle de ce qui avait été réalisé en 2009 pour le député de Carmaux. Il faut bien reconnaître que malgré le métier assuré de son auteur, l’ouvrage a manqué d’une sérieuse relecture.

73Approximations, confusions et erreurs abondent. Certes, ce n’est pas toujours très grave. Peu importe les références… mais un étudiant risque d’utiliser le livre pour un devoir ou un exposé : s’il intègre Aragon ou Salacrou à la rédaction de L’Humanité en 1904 (p. 29), étiquette Blanqui comme « anarchisant » (p. 19), s’imagine qu’il existait un Parti Socialiste Indépendant dirigé par Benoît Malon ou que Briand était allemaniste (p. 79), ou, pour quitter ces parages socialistes sans doute trop particuliers, s’il se convainc par exemple que L’origine du monde de Courbet était visible au Salon des refusés (p. 17), etc., il risque en toute bonne foi d’indisposer son professeur ! Et plus fondamentalement, le refus de toute chronologie sur un tel sujet constitue tout de même un pari risqué. Allers et retours se succèdent sans cesse, on passe de l’unité socialiste au discours des deux méthodes qui oppose Jaurès et Guesde cinq années auparavant. Il est impossible sur de telles bases de construire une confrontation sérieuse et argumentée. L’auteur a bien raison de vouloir montrer la grandeur des deux protagonistes, il sait brosser un portrait, restituer une atmosphère, mais parcourant toutes ces décennies de la Troisième République, son propos se retrouve totalement décontextualisé, coupé de ses fondations historiques (une grève des mineurs en 1906 sans la catastrophe de Courrières, après que celle de la Verrerie de Carmaux (1895-1896) a semblé ne pas déboucher sur un lock-out aussi sauvage que massif et irrépressible…), incapable de déboucher sur un authentique dialogue entre les deux grands hommes politiques référentiels pour la gauche française. C’est dommage. Il reste, et ce n’est pas rien, un art du récit et de la citation qui fait revivre une époque. Le livre s’inscrit dans le sillage de ceux jadis proposés par Gilbert Guilleminault, Arthur Conte ou Gaston Bonheur, et c’est avec beaucoup de plaisir et d’entrain que le lecteur revisite à grands traits cette double geste des deux grands orateurs et journalistes de la gauche française.

74Paul Marcus, Jaurès & Clemenceau. Un duel de géants, Toulouse, Privat, 2014, 240 p.

75Gilles Candar

Jaurès dans les Ardennes

76Après Jaurès et la Loire dirigé par Gérard Lindeperg, une nouvelle monographie départementale assurée ici par un seul historien, Didier Bigorgne, qui avait déjà donné des articles au Bulletin et aux Cahiers Jaurès. Historien du mouvement ouvrier et spécialiste de l’allemanisme dont les Ardennes avec Jean-Baptiste Clément constituèrent un fief régional, Didier Bigorgne connaît parfaitement le sujet. Il retrace les voyages de Jaurès en 1898 et 1899, pour la Verrerie Ouvrière et pour Dreyfus, puis contre le nationalisme et le militarisme (1911 et 1913). Il ne s’enferme pas dans une histoire strictement locale : il permet à chaque fois de comprendre par l’intermédiaire de l’exemple ardennais des questions plus amples comme le difficile parcours de la VO après les réjouissances de l’inauguration en 1896, les modalités de la campagne dreyfusienne, les caractéristiques du patriotisme internationaliste des socialistes dans une région frontalière très méfiante envers l’Allemagne, les nuances des prises de position des socialistes ardennais dans les débats nationaux. Il fait un point très complet sur le souvenir de Jaurès : sculptures, voies publiques, manifestations jusqu’en 2012. Le programme est parfaitement rempli et les informations fournies seront des plus utiles pour de nombreuses études plus générales sur Jaurès. Nous n’osons rêver d’enquêtes aussi abouties pour l’ensemble des départements français.

77Didier Bigorgne, Jaurès dans les Ardennes, Toulouse, Privat, 2014, 112 p.

78Gilles Candar

Je suis… Jean Jaurès

79Je suis… Jean Jaurès est un livre d’éducation populaire, visant notamment le public adolescent. Il est vraiment ce qu’il prétend être. Ce n’est pas un livre qui souhaite simplement se parer des atours de la simplicité et de la juvénilité. Catherine Moulin, jeune professeure de longue date en lycée à Villeurbanne, connaît bien le public qu’elle cherche à intéresser. Elle est en outre et depuis au moins aussi longtemps une fine connaisseuse de Jaurès auquel elle a consacré un important travail de recherches (voir le n°111 du Bulletin de la SEJ, octobre-décembre 1988). Madeleine Rebérioux la tenait en grande estime intellectuelle et personnelle.

80Catherine Moulin présente donc avec une franche et heureuse efficacité ce court portrait de Jaurès qui sait aller à l’essentiel : les combats de Jaurès, ses grandes idées, les principaux tournants et quelques exemples pris notamment en région lyonnaise, avec des illustrations souvent personnelles et en tout cas rafraichies. Même les connaisseurs de Jaurès y découvrent de nouveaux aspects de leur héros. Pour ma part, j’ai relevé et apprécié, entre autres !, cette formule lancée aux guesdistes perturbateurs du congrès de Saint-Étienne du Parti Socialiste Français (février 1904) : « Je ne voudrais pas vous froisser, mais je sais que l’humanité discute, l’animalité crie. »

81À offrir à tous vos enfants, neveux et à la parentèle pour préparer les futures générations jaurésiennes qui sauront voir plus de choses et plus loin que leurs aînés !

82Catherine Moulin, Je suis… Jean Jaurès, Lyon, Jacques André, 2013, 82p.

83Gilles Candar

Trois ouvrages pour les jeunes lecteurs

84Parmi les nombreux ouvrages consacrés à Jean Jaurès parus à l’occasion du centenaire de sa mort, certains sont plus spécifiquement destinés à la jeunesse. On ne peut que se réjouir de cette rencontre livresque entre de jeunes lecteurs et Jaurès, « l’éducateur du peuple » mais aussi « le Liseur » !

85Jaurès contre la barbarie est une petite biographie dont les différents thèmes (l’enfance et les études, la jeunesse et l’entrée en politique, l’engagement socialiste…) s’enchaînent selon une trame chronologique aisée à suivre. La lecture est facile, l’ouvrage est globalement bien informé mais on relève certaines maladresses et imprécisions dans l’expression : par exemple, le jeune Jaurès « entre en vainqueur » à l’École Normale Supérieure ; la grève des mineurs de Carmaux « se prolonge avec le soutien de tout le pays »… Par ailleurs, on ne peut que regretter une propension à conjuguer les verbes au futur dans un ouvrage d’Histoire (défaut si souvent présent dans les copies de nos élèves !), même si Clemenceau disait, il est vrai, qu’« on reconnaît une phrase de Jaurès à ce que tous les verbes y sont au futur » ! Il y a, d’autre part, certaines incohérences dans l’organisation des informations : l’implication de Jaurès dans les problèmes sociaux des années 1900 et la création de L’Humanité sont ainsi évoquées dans le chapitre intitulé « Le tribun au service de la laïcité ». De plus, il n’est question du combat de Jaurès pour l’unité socialiste que dans le dossier documentaire qui clôt l’ouvrage. Ce dossier est problématique à divers titres : en principe consacré à Jaurès, il présente en réalité les grandes étapes de l’histoire du mouvement socialiste et syndical entre 1871 et 1920. De plus, les documents proprement dits sont des reproductions de petites dimensions et de qualité médiocre, seulement accompagnées d’un titre succinct. Certaines sont même inappropriées, comme cette gravure illustrant un paragraphe consacré au travail des enfants en France à la fin du xixe siècle, mais qui date en réalité de 1853 et représente des enfants dans une mine anglaise…

86Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub est un roman historique qui plonge le lecteur dans cet « Été 14 » qui va de l’assassinat de François-Ferdinand à celui de Jaurès. La référence à l’ouvrage de Roger Martin du Gard n’est pas fortuite : il est cité dans la postface et le livre dépeint lui aussi l’atmosphère qui règne à Paris durant ces quelques semaines qui précèdent la guerre, mais du point de vue du petit peuple de la capitale, celui des cheminots, des couturières, des métallos. Cette évocation fait songer aux œuvres d’Auguste Renoir et de Maximilien Luce… Le récit mêle habilement les destins individuels des personnages de fiction, en premier lieu, Paul, un adolescent de quinze ans, et les faits historiques restitués avec beaucoup de rigueur et de pertinence. Par exemple, il est question des mariages conclus à la hâte en août 1914, notamment dans les quartiers populaires de Paris, étudiés récemment par Clémentine Vidal-Naquet [5]. Le récit est divisé en six actes, pourrait-on dire. Chacun d’eux comprend un prologue historique qui présente le contexte international. Jaurès n’est mis en scène qu’au tiers du roman. C’est un « homme humain » en lutte contre la guerre que nous dépeint Sonia Sollogoub, un homme qui oscille entre fatigue et énergie, mélancolie et espoir et qui se pose à lui-même la question « qu’ai-je fait de [mes] vingt ans ? » Enfin, l’ouvrage présente un bel éloge de la lecture au travers de Jaurès, initiateur et « passeur de livres ».

87L’ouvrage de Didier Daeninckx, Jean Jaurès : non à la guerre, a été publié en 2009 [6]. Plaidoyer pour la paix, ce roman, fort bien construit, comporte, comme souvent chez cet auteur, deux récits emboîtés : les combats et les idées de Jaurès sont présentés au travers d’un dialogue imaginaire entre un simple soldat, Gaston Lallemand, et Louis Jaurès, dont D. Daeninckx imagine les dernières heures sur le front de l’Aisne en juin 1918. L’ouvrage étant destiné prioritairement à des adolescents, il apparaît tout à fait opportun et efficace de présenter différents aspects de l’action de Jean Jaurès par l’intermédiaire de son fils alors âgé de moins de vingt ans. Le roman aborde certains faits rarement évoqués dans des ouvrages grand public consacrés à Jaurès, comme la dénonciation de la passivité du gouvernement français face aux massacres des Arméniens dans un discours particulièrement impressionnant prononcé à la Chambre le 3 novembre 1896 ou la catastrophe du Titanic, que Jaurès analyse dans un article paru le 21 avril 1912 dans L’Humanité, cité par D. Daeninckx, dans lequel il dénonce les « concurrences meurtrières » et prône un « code de l’Océan ». « Mais les nations peuvent-elles songer à ces choses quand partout la fièvre des rivalités et des armements dévorent la pensée ? », ajoute Jaurès. Signalons enfin que, par l’intermédiaire de Gaston Lallemand, acteur dans le civil, D. Daeninckx remet en lumière Firmin Gémier (1869-1933), ce metteur en scène et directeur de théâtre, qui créa un TNP ambulant en 1911. Après la Grande guerre, il fut aussi l’ordonnateur de la cérémonie organisée le 31 juillet 1924 à Paris pour le dixième anniversaire de la mort de Jaurès avant de donner l’ « orientation générale » de l’organisation artistique en vue de la translation de ses cendres au Panthéon quelques mois plus tard [7].

88Didier Daeninckx, Jean Jaurès : « non à la guerre », Arles, Actes Sud junior, 2009, 95 p.

89Tania Sollogoub, Le dernier ami de Jaurès, Paris, Médium, l’école des loisirs, 2013, 234 p.

90Nane et Jean-Luc Vézinet, Jean Jaurès contre la barbarie, Paris, Oscar éditeur, 2014,109 p.

91Catherine Moulin

La victoire de Jaurès

92Parmi l’ample moisson des publications qui accompagnent cette année commémorative, le livre de Charles Silvestre (ancien rédacteur en chef de L’Humanité, secrétaire des Amis de L’Humanité et déjà auteur il y a 4 ans d’un essai intitulé, Jaurès, la passion du journalisme) se signale par son originalité. Celle-ci est perceptible sur le plan formel : l’ouvrage comporte ainsi, avec le texte principal, des interventions de nature différente (celle de Marc Ferro en préface, ou encore un entretien avec le philosophe André Tosel portant sur Jaurès et Gramsci), plusieurs autres documents, des illustrations d’Ernest Pignon-Ernest, des dessins de Jacques Tardi, des photographies, etc. Ces représentations en mosaïque ne doivent rien au hasard mais correspondent au contraire pleinement au projet que cherche à développer C. Silvestre, à savoir la présentation passionnée d’un Jaurès présent. Pour l’auteur en effet, les enthousiasmes et les combats jaurésiens ne sont pas morts le 31 juillet 1914 mais n’ont pas cessé par la suite d’être repris et actualisés et il s’agit pour lui de traquer ces correspondances : la reviviscence du militantisme éthique de l’Affaire Dreyfus dans l’engagement des intellectuels durant la guerre d’Algérie, la volonté de résoudre la question sociale dans les grandes réformes de la Libération, la quête de la bonté humaine dans les films de Robert Guédiguian… Loin de vouloir se donner les apparences de la scientificité et de la linéarité, C. Silvestre assume donc pleinement l’écriture d’un livre-hommage, fait d’aller-retour, d’associations d’idées, de parallélismes et d’interrogations, et qui s’efforce de traquer ce que Jaurès peut apporter à notre temps.

93L’ensemble se prête donc à des regards forcément subjectifs. Chaque lecteur pourra à son gré s’arrêter sur quelques images particulièrement frappantes, sur quelques lignes émouvantes (par exemple l’évocation des dégâts de la Première Guerre mondiale à travers la trajectoire et la mémoire familiale de l’auteur), tandis que d’autres susciteront des sentiments plus mêlés : l’opposition manichéenne entre Jaurès « le saint » et Clemenceau « le diable » (comme ailleurs entre Clemenceau « l’homme d’État » et Jaurès « l’irréaliste ») vaut-elle ainsi d’être encore une fois répétée ? Il reste que C. Silvestre parvient à nous donner un bel aperçu de ce qu’est « son Jaurès » et qu’il nous offre, se faisant un autoportrait qui n’a pas sans doute pas uniquement une valeur individuelle. Les émotions, les souvenirs, les questions que Jaurès éveille chez lui semblent bien en effet pouvoir trouver un écho chez toute une partie des militants communistes ou apparentés, ainsi pour les batailles désormais idéalisées de la Libération ou de la décolonisation. L’évocation que Charles Silvestre présente ici du tribun de Carmaux atteste simultanément le désarroi ou du moins l’incertitude que connaissent aujourd’hui bon nombre de ces militants, après l’effondrement des modèles (la révolution bolchevique de 1917, le communisme soviétique) qui avaient été les leurs jusqu’aux années 1980. La seule référence à la figure jaurésienne peut-elle remédier à cet effondrement et constituer à elle seule la base d’un autre projet ? Sans doute est-ce trop demander à un seul homme, fût-il Jaurès. Le livre de C. Silvestre n’en a pas moins le mérite de démontrer que, si les commémorations de 2014 intéressent l’histoire et les historiens, elles sont aussi – surtout ? – le révélateur ambigu des dynamiques, des doutes et des questionnements qui traversent notre début de xxie siècle.

94Charles Silvestre (Illustrations d’Ernest Pignon-Ernest), La victoire de Jaurès, Toulouse, Privat, 2013, 206p.

95Marion Fontaine

Le procès de l’assassin de Jaurès

96Sur un « petit » sujet où il n’est guère facile d’apporter du neuf, mais où – centenaire oblige – il est possible de répondre à une certaine demande, le journaliste Dominique Paganelli, spécialiste des questions de justice et de police, est l’auteur d’un livre modeste que l’on prend d’abord avec circonspection et que l’on juge finalement non dénué d’intérêt malgré quelques approximations.

97En effet, si ressasser un énième portrait de l’assassin nous paraît bien inutile, en revanche la description du procès lui-même, dans l’articulation de ses péripéties, aide à comprendre ce que les historiens même les plus récents traitent de manière toujours synthétique et rapide.

98La plume aisée du chroniqueur judiciaire brosse ici une démonstration claire en s’appuyant sur de très larges citations des pièces du procès et en particulier des dépositions des témoins, du réquisitoire et des plaidoiries. Ces extraits bien choisis permettent de véritablement mesurer l’habileté des avocats de Villain lorsqu’ils réussissent à emporter la conviction des jurés, dans un contexte de victoire militaire et de division des socialistes c’est-à-dire de la partie civile. Tandis que Paul-Boncour, Ducos de la Haille et Le Trocquer voulaient « liquider le procès au plus vite » en démontrant le patriotisme incontestable de Jaurès et sans même réclamer la tête du coupable, Zévaès et Géraud n’ont pas eu de peine à faire état de l’antagonisme irréductible des positions de ceux qui se réclament de ses idées, socialistes et futurs communistes. Dans ces conditions d’ambigüité théorique, le « pauvre Villain » est donc bien excusable d’avoir cédé à sa passion patriotique et à sa pulsion meurtrière d’un instant contre celui qu’il voyait comme le saboteur de la défense nationale.

99Au refus d’entrer dans les considérations politiques de la partie civile, car selon Zévaès condamner Villain signifierait approuver la politique de la SFIO, s’ajoute l’argumentation de Géraud qui plaide le crime passionnel d’un fou qui a succombé à une minute d’égarement avant la guerre et qui a fait déjà cinq années en prison. Les douze jurés se sont laissés convaincre de choisir « la réconciliation », « le pardon » et, comme le réclame Géraud, de faire « renaître la fleur de la douceur, de la pitié et de la bonté sur les cimetières attristés et sur les décombres. » Un choix politique contre la justice, écrit à juste titre Paganelli.

100Dominique Paganelli, Il a tué Jaurès, Paris, La Table ronde, 2014, 214p.

101Philippe Oulmont

Il était une fois Jaurès

102Un essai biographique à la fois populaire et savant, régional et national sur Jaurès. Max Assié est un historien local, enseignant et militant de gauche, ancien maire de Tanus, un village du nord du département appartenant à l’ancienne circonscription électorale de Jaurès. Il propose un récit chronologique, sérieux et informé, classique mais sachant aller à l’essentiel. En outre, il comporte de nombreuses notations intéressantes sur le Carmausin et l’implantation militante des socialistes au temps de Jaurès ou ensuite, dans son souvenir. Lucien Febvre insistait sur l’intérêt de toutes ces informations relevées par des historiens ou érudits locaux afin de nourrir des synthèses qui à leur tour suscitent de nouvelles enquêtes locales… Nous voyons ainsi ce qui n’est pas si fréquent vivre, au moins l’espace d’un instant, en campagne électorale ou en réunion, les compagnons de Jaurès qui contribuent à sa popularité et à son implantation : outre le célébrissime et emblématique Jean-Baptiste Calvignac, leader des mineurs, ou le verrier Marien Baudot, nous connaissons mieux ainsi Louis Fieu, secrétaire du comité électoral et de la section socialiste de Carmaux, futur député-maire SFIO (et grand rival de Calvignac !), Auguste Cannac, responsable du groupe de Pampelonne dont il devient maire et conseiller général, l’artisan des campagnes locales de Pierre Esquilat, Carcenac (déjà!) conseiller général de Sérénac, et plusieurs autres. Le fonds iconographique très riche du Centre national et musée Jean-Jaurès de Castres est largement sollicité, ce qui contribue à son intérêt.

103Max Assié, Il était une fois Jaurès, Albi, Grand Sud, 2014, 262 p.

104Gilles Candar

Jaurès : expos et dessins dans le Tarn

105L’année Jaurès a été particulièrement riche dans le Tarn, avec des initiatives des plus diverses et de tous genres, de Castres à Albi et Carmaux, de Pampelonne à Cordes ou Cagnac. En dehors de l’importante exposition d’Albi organisée par les archives départementales, Du Tarn à l’Assemblée nationale, Jaurès, un homme engagé, le musée-mine départemental de Cagnac-les-Mines propose jusqu’à la fin décembre une exposition sur Jaurès et les mineurs tandis que le château-musée du Cayla s’attache à Jean Jaurès entre l’art et la littérature. Ces deux dernières institutions se sont associées pour présenter ensemble leurs activités en préface informelle à la publication d’un beau travail du plasticien Jean-François Desserre, autour et avec Jaurès, associant le dessin à des citations de Jaurès. Un ensemble sobre, poignant et convaincant.

106Jean-François Desserre, Jean Jaurès dess(e)ins, Graulhet, imprimerie Escourbiac, 2014, 64 p.

107Gilles Candar

Sur les traces de Jaurès

108L’ancienne revue Commune, qui parut entre 1996 et 2010, ressuscite sous une nouvelle forme. Elle publie en effet un recueil d’études et articles autour de Jaurès qui forme le premier volume d’une collection abritée par l’éditeur proche Le Temps des cerises. Les textes de la première partie conservent souvent la tonalité « vieux bolchevique » qui est un peu la marque de fabrique de l’éditeur comme de la revue. Ils suscitent des sentiments divers : sympathie pour l’inspiration généreuse, mais réserve devant une certaine légèreté dans les références, l’annotation et même parfois le vieillissement de l’information. Certains auteurs, plutôt écrivains ou militants, toujours en verve polémique en tout cas, paraissent ignorer les recherches sur Jaurès ou le socialisme de ces dernières années, y compris de la part d’historien(ne)s qui se situent dans une mouvance culturelle ou politique proche de la leur. Ce n’est pas gravissime, mais c’est un peu gênant. Une demi-excuse est que certains papiers semblent avoir été rédigés depuis un temps certain (mais ils auraient pu être révisés ?).

109Bien entendu, d’autres articles sont en revanche davantage installés dans l’actualité des débats jaurésiens. On prend ainsi plaisir à retrouver la conférence prononcée par Charles Silvestre à Huy en octobre 2012. La lecture de L’Armée nouvelle par Marcel Parent est très roborative. L’article d’Alain Ruscio sur la question coloniale est pertinent, mais trop bref. Ce qu’écrit Samir Amin incite à la réflexion même s’il serait peut-être bon de ne plus voir le blanquisme seulement sous les qualificatifs réducteurs et pas forcément exacts de Marx ou d’Engels. Et malgré le flou trop fréquent des références, les citations et publications reprises sont souvent heureuses, de Jaurès à Brel. Et j’avais oublié, si tant est que je l’ai connu un jour, le poème Jaurès de Maïakovski, jamais évoqué semble-t-il dans notre Bulletin ou nos Cahiers : il suffit à donner tout son prix à cette publication.

110Sur les traces de Jaurès, Pantin, Le temps des cerises, collection « Commune », 2014, 224 p.

111Gilles Candar

Trotski et Jaurès

112Trotski a écrit sur Jaurès avec une intelligence rare et une sympathie lucide, bienveillante certes, mais sans complaisance. Il le fait notamment dans deux articles parus dans une revue libérale ukrainienne (Kievskaya Mysl : La pensée de Kiev) en 1909 et 1917. Précisons que selon Pierre Broué, biographe et éditeur de Trotski (Le mouvement communiste en France, Paris, Les éditions de Minuit, « Arguments », 1967, p. 25), le premier article est rédigé en 1907, publié dans Kievskaya Mysl n°9, 9 janvier 1909 et dans Sochinenija : Œuvres, série II, vol. 8, pp. 49-55, et le second, rédigé en 1915 et publié dans Kievskaya Mysl du 17 juillet 1915 avant d’être réédité en brochure (Pétrograd, 1917 ; Moscou, 1918), Sochinenija : Œuvres, série II, vol. 8, pp. 20-22. Le second, traduit en français, paraît comme l’indique Jean-Pierre Fourré, dans le Bulletin communiste n°47, 22 novembre 1923, puis en brochure à la Librairie de L’Humanité en 1924. Ces textes sont souvent évoqués, parfois cités, mais ils restaient d’un accès peu commode. Félicitations donc sincères et sans ambages à Jean-Pierre Fourré pour les avoir republiés dans une plaquette au coût modique (5 €). Lisez-les !

113Par ailleurs, le même éditeur annonce d’autres brochures de Jaurès pour l’année 2014.

114Léon Trotsky, Jean Jaurès, Rochefort-en-Terre, Éditions de Matignon, « Hier et aujourd’hui », 2014, 28 p.

115Robert Lindet

La rencontre entre Jaurès et Alain

116L’association des amis d’Alain dirigée par Thierry Leterre renouvelle son Bulletin et dans sa dernière livraison, marquée par une conférence de Vincent Citot sur « Grandeur et décadence de la philosophie européenne : la situation d’Alain dans l’histoire de la philosophie », publie un dossier sur les échanges entre Jaurès et Alain : les articles du premier parus dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, les Propos du second concernant la personne et les activités de son aîné.

117Bulletin de l’Association des Amis d’Alain, 114, juin 2014, Maison Alain, 75 avenue Émile Thiebaut, 78 110 Le Vésinet, 120 p.

118Robert Lindet

L’âme de Jaurès

119Denis Guiraud, prêtre-ouvrier tarnais, militant syndicaliste, pacifiste et communiste, cherche à établir le fondement métaphysique de Jaurès, en utilisant son cours de philosophie, la thèse sur la réalité du monde sensible et la thèse secondaire sur les linéaments du socialisme allemand chez Luther, Kant, Fichte et Hegel. Il en dégage un idéalisme mystique qui accepte le principe de Dieu et une certaine immortalité de l’âme, mais sans dogme ni adhésion à la divinité du Christ. Il retrace ensuite dans l’histoire du siècle suivant les manifestations de la présence de cette âme jaurésienne qui le fait évoquer de nombreuses luttes et conclure à une rencontre avec le message actuel du pape François. Plusieurs extraits de la thèse, du manuscrit de 1891 sur la question religieuse et le socialisme et du discours à la jeunesse sont publiés à la suite.

120Denis Guiraud, Approcher l’âme de Jaurès, Albi, Un autre Reg’Art, 2014, 100 p.

121Robert Lindet

Jaurès, un impossible héros pour bande dessinée…

122En cette année du centenaire, Jaurès redevient un personnage de bande dessinée [8] mais cette fois pour un album qui lui est entièrement consacré et pour lequel Vincent Duclert a veillé à l’exactitude du récit historique. Le résultat laisse cependant perplexe mais sans doute car il vise un large – et jeune ? – public et pas forcément le lectorat de la bande dessinée contemporaine.

123Reconnaissons que l’on ne sait s’il faut se féliciter que cet album sur Jaurès s’inscrive dans une collection intitulée « Ils ont fait l’Histoire » inauguré par un Philippe le Bel, suivi par un Vercingétorix et un Charlemagne et alors que sont annoncés « à suivre » un Saint-Louis, un Soliman le Magnifique, un Napoléon et un Gengis Khan. Il pouvait sembler que cette vision « très académique » de l’histoire des grands hommes avait régressé et que notre intérêt pour la pensée et l’action de Jaurès ne passe pas forcément par le fait de le voir siéger dans un pareil Panthéon !

124Si l’on peut se féliciter de la qualité de l’information historique de cette bande dessinée, grâce sans doute au travail fourni par notre collègue et ami Vincent Duclert – qui signe un texte richement illustré à la fin de l’album -, il faut bien commenter quelque peu les choix scénaristiques et graphiques.

125La construction du récit s’ouvre sur l’assassinat de Sarejevo pour presque s’achever sur l’assassinat de Jaurès et alterne des flashbacks sur des moments importants de l’action de Jaurès, souvent liés à des prises de paroles publiques (Carmaux, Castres, Le Pré-Saint-Gervais) et parlementaires. Du classique et plutôt du solide et des éléments bien diversifiés sur la vie de Jaurès, même si le récit manque terriblement de fluidité et le choix de l’alternance entre engagement politique et moments familiaux peut paraître parfois un rien maladroit. On ne sait non plus exactement quoi penser de la tentative de comique visuel d’un Jaurès courant après son train le 26 juillet 1914.

126Le point sans doute le plus délicat ressort malgré tout au dessin. Le dessinateur choisi a certes un trait assez réaliste et efficace mais entre la volonté de reprendre des images célèbres issues de photographies et un dessin un peu caricatural, le lecteur amateur de romans graphiques et de bandes dessinées réalisées par des artistes reste perplexe, voire franchement déçu [9].

127On peut d’ailleurs rappeler qu’à l’époque d’une série dont l’historiographie était elle aussi très discutable, L’histoire de France en bandes dessinées de Larousse [10], certains des « épisodes » avaient été confiés à de très grands dessinateurs (entre autres Raymond Poïvet, Julio Ribera, Manara, Toppi, Battaglia, Crepax !). Le choix fait ici est bien différent et on peut craindre que cet hommage à Jaurès rejoigne la « surproduction » actuelle de bandes dessinées consacrées à la Première Guerre mondiale et où la qualité n’est que trop rarement au rendez-vous. Sur ces thèmes et en cette année fort commémorative, on peut conseiller deux œuvres publiées en français récemment et qui chacune à sa manière montre le potentiel de la bande dessinée comme mode de récit spécifique : celle sur Gavrilo Princip d’Henrik Rehr [11] et la très originale représentation de la bataille de la Somme par Joe Sacco [12].

128Jean-David Morvan, Frédérique Voulyzé (scénario), Vincent Duclert (historien), Rey Macutay (dessin), Walter (couleurs), Jaurès, Grenoble, Paris, Glénat, Fayard, 2014, col. « Ils ont fait l’Histoire », 56 p.

129Alain Chatriot

Jaurès manager

130« Laissez-vous captiver par la voix claire de Jean Jaurès ». Je n’invente rien, la phrase figure en quatrième de couverture d’un livre improbable, Convaincre comme Jean Jaurès, publié chez Eyrolles dans une collection comportant trois autres titres [13] : Piloter un projet comme Gustave Eiffel, Entreprendre comme les Frères Lumière ou Motiver comme Nicolas Fouquet – que je vais sans tarder commander, afin notamment de connaître la meilleure manière de mourir en prison !

131La collection s’intitule « Histoire & Management », se définit comme « La grande et la petite Histoire au service de l’entreprise », et se donne comme objectif, en « apport[ant à ses lecteurs] des expériences tirées du vécu des hommes confrontés à diverses problématiques managériales […], de donner ou redonner du sens à ce qu[‘ils] viv[ent] en entreprise en sachant que d’autres personnes, dans d’autres contextes, ont vécu cette situation et ont su trouver les solutions adaptées ».

132Le maître d’œuvre de ladite collection, la société Traits d’Unions (www.traitsdunions.fr), fonctionne selon un concept unique : « utilise[r] l’analogie comme support d’apprentissage et d’expérience », qui appelle une méthode (« travailler les liens possibles entre la problématique, la question de l’entreprise et une histoire appartenant au passé (sic) pour permettre un ancrage pédagogique ») et un slogan : « Si eux – ces hommes et femmes du passé – l’ont fait, pourquoi pas NOUS ? »

133Pourquoi pas, en effet ? Que chacun d’entre nous donc devienne un Jaurès au petit pied – étant entendu que lui était une « personnalité hors norme ». Sachons comme lui « construire un argumentaire au moyen d’exemples, de données et de métaphores, plus même éveiller les consciences pour mieux galvaniser les foules », tâchons comme lui de proposer « un leadership fondé sur la cohérence entre paroles et actes », en un mot efforçons-nous d’être comme lui « charismatique, logique et lyrique ». Jean Jaurès a bien mérité de reposer au Panthéon, tant « il reste un modèle pour ceux qui sont amenés à parler en public ».

134Pour en convaincre le lecteur, des chapitres aux titres adaptés (Les pieds au sol et la tête dans les étoiles, Construire sa cohérence, L’ADN de l’orateur ou l’art de mettre ses pensées à l’écoute des situations humaines, etc.) recouvrent un ensemble qui n’est pas sans rappeler les bonnes vieilles recettes de MM. Lagarde et Michard : longues citations et non moins longues paraphrases, recours aux citations des contemporains (Blum, Mauriac, Martin du Gard, Jules Romains – qui en perd son « s » final au passage, ce qui différencie tout de même l’ouvrage d’un Lagarde et Michard – Anatole France enfin, auquel un indexage automatique non relu accorde vingt-cinq occurrences, l’auteur étant confondu avec le pays homonyme). S’y ajoute, après chacun de ces chapitres, quelques « bons conseils de Jean Jaurès » pour managers pressés et stressés. Ainisi par exemple, page 35 : « Le moyen de ressourcement [de Jaurès] est la marche méditative ; et vous, où et quand apaisez-vous votre esprit ? »

135Je ne sais ce qu’aurait pensé Jaurès de se trouver mobilisé pour promouvoir la méthode AORIS (Avancer, Ouvrir, Regarder, Inspirer, Sourire), pas plus que je ne sais comment les Jaurésiens apprécieront le cas qui termine l’ouvrage et que je livre en guise de conclusion à leur perplexité :

136

Un manager opérationnel doit intervenir régulièrement lors des codirs (sic) pour présenter l’état d’avancement d’un processus de réorganisation sur trois ans. Sa prise de parole est souvent très succincte, orientée chiffres et état d’avancement de la réorganisation. Les retours que la DRH lui a faits sont les suivants : discours monocorde, ressenti comme peu impliquant et motivant ; posture non verbale en contradiction avec le contenu du discours (bras croisés, posture figée, ne regarde pas son auditoire, même sonorité de voix…).
Suite à une journée de formation autour du thème « Faire gagner en impact vos prises de parole avec l’aide de Jaurès », le manager découvre la parole cohérente de Jaurès autour de trois dimensions : la connaissance de son sujet, la résonance émotionnelle de son sujet (en quoi me sens-je concerné, impliqué ?), le pragmatisme dans l’action. Avec l’aide de la consultante, il commence par analyser ses moteurs de motivation (ce qui le motive profondément dans cette restructuration). À partir de ces ressorts, il élabore son futur discours faisant appel à la fois au factuel et à l’émotionnel. Le discours se passe bien et se révèle être un formidable déclic qui va lui permettre de modifier sa posture et déployer son esprit d’ouverture.

137La messe est dite.

138Yann Harlaut, Yohann Chanoir, Convaincre comme Jean Jaurès ; comment devenir un orateur d’exception, Eyrolles, coll. « Histoire et management; la grande et la petite histoire au service de l’entreprise » dirigée par Anne Vermès, 2014, 144 p.

139Marc Olivier Baruch

Jaurès kidnappé

140Avocat, maire de Lavaur et ancien député UMP, de sa tendance la plus droitière, Bernard Carayon s’est joint au concert d’auteurs qui publient actuellement sur Jaurès. Une vision nouvelle, au moins sur certains points, de Jaurès et de son action, est donc attendue. Malheureusement le livre hésite sur son projet. Reproche-t-il vraiment à la gauche d’avoir kidnappé Jaurès ? Dont la droite serait alors meilleure héritière ? Ou veut-il répéter les récriminations conservatrices contre la gauche, d’hier et d’aujourd’hui, y compris Jaurès, qui serait coupable de bien des fautes et des errements ?

141Pourtant, Bernard Carayon a lu, ou parcouru, pas mal de choses. Il aime à citer les anecdotes et les passages savoureux tout en allant vite à la polémique. C’est parfois habile, mais pas toujours, et les bévues ou confusions ne sont pas rares. La 4e de couverture nous indique que l’auteur est maître de conférences à Sciences Po Paris, il faut espérer que cela ne soit pas en histoire ! Parmi les curiosités qu’apporte cependant son livre, il faut signaler, quarante ans après Jean Rabaut, une nouvelle analyse graphologique de Jaurès, qui n’est pas au demeurant plus convaincante que la précédente. Sinon, Jaurès serait donc un socialiste truculent mais complexé, pas si pacifiste que cela, plutôt colonialiste, peu laïque, un tantinet antisémite malheureusement (?), mais surtout un dilettante humaniste et sympathique… au contraire de la gauche actuelle coupable de tant de vilenies et au rebours de ce que voudrait faire croire la SEJ gardienne de l’orthodoxie… Dans le genre, il nous semble que Bernard Antony faisait preuve de plus de sincérité et de cohérence [14]. Ici, nous pensons à ce que disait Jaurès au nationaliste Pugliesi-Conti et à sa « fureur impuissante » : « N’outrage pas, ne méprise pas qui veut, Monsieur ».

142Bernard Carayon, Comment la gauche a kidnappé Jaurès, Toulouse, Privat, 2014, 184 p.

143Gilles Candar

Notes

  • [1]
    Sudhir Hazareesingh, Le Mythe gaullien, Paris, Gallimard, 2010.
  • [2]
    Cf. le compte rendu rédigé par Sudhir Hazareesingh dans ce même numéro.
  • [3]
    « Jaurès contemporain 1914-2014 », 26 mai – 11 novembre 2014.
  • [4]
    Benoît Bréville, Jérôme Pélissier, « L’art de tuer Jaurès », Le Monde Diplomatique, juillet 2014, p. 28.
  • [5]
    Clémentine Vidal-Naquet, « Août 1914 : se marier …vite », L’Histoire, 400, juin 2014.
  • [6]
    Jusqu’alors, cet ouvrage n’avait pas fait l’objet d’un compte rendu dans les Cahiers Jaurès.
  • [7]
    Jacqueline Lalouette, Jean Jaurès, l’assassinat, la gloire, le souvenir, Paris, Perrin, 2014.
  • [8]
    Il était présent dans la série récente de Didier Convard et Jean-Yves Delitte Tânatos chez Glénat, 4 vols., 2007-2011. L’annonce de son assassinat ouvrait par ailleurs le premier volume de la série Mattéo par Jean-Pierre Gibrat, Futuropolis, 2008.
  • [9]
    Outre les innombrables bandes dessinées qui « surfent » sur la vague commémorative 14-18 et qui font souvent honte par leur médiocrité à l’amateur de ce genre artistique, il existe une autre série sur l’histoire, tout aussi discutable pour ne pas dire plus : « L’homme de l’année » chez Delcourt – on ne conseille pas la lecture du volume 7 sur 1894 et Esterhazy !
  • [10]
    24 tomes, repris en 8 volumes, 1976-1978.
  • [11]
    Henrik Rehr, Gavrilo Princip. L’homme qui changea le siècle, Paris, Futuropolis, 2014, traduction par Sidonie Van den Dries.
  • [12]
    Joe Sacco, La grande guerre. 1er juillet 1916, le premier jour de la bataille de la Somme, Paris, Futuropolis, Arte éditions, 2014, traduction par Stéphane Dacheville.
  • [13]
    Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons la parution toute récente d’un cinquième titre : Négocier comme Churchill ; comment garder le cap en situations difficiles, tout aussi prometteur.
  • [14]
    Cf. notre recension de l’ouvrage écrit par cette figure de l’extrême-droite : Cahiers Jaurès, 210, octobre-décembre 2013, pp. 18-19.
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