Notes
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[1]
Complétées par celles de Pierre Mauroy, René Piquet, Jean-Louis Moynot et Louis Astre.
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[2]
Romain Ducoulombier, Camarades. La naissance du Parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010.
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[3]
Jean Charles, Jacques Girault, Jean-Louis Robert, Danielle Tartakowsky, Claude Willard, Le Congrès de Tours. Édition critique, Paris, Éditions sociales, 1980. Le texte de la motion d’adhésion, dont le titre et les signataires ont été remaniés (Loriot y est encore, mais pas en premier, mais Souvarine n’y est plus, sauf en annexe en fin de volume) a fait l’objet de polémiques parfois vaines qu’il est inutile de rappeler ici.
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[4]
Gérard Boulanger, L’Affaire Jean Zay : La République assassinée, Paris, Calman-Levy, 2012.
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[5]
Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête, Paris, Le Seuil, 2012.
-
[6]
Ils rappellent d’ailleurs l’existence du volume collectif : Pierre Bérégovoy : une volonté de réforme au service de l’économie, 1984-1993, Paris, CHEFF, 1998.
-
[7]
L’auteur cite une lettre de Bérégovoy à Mendès France du 1er juin 1981 : « Puis-je vous dire, cher président, que je mesure encore aujourd’hui tout ce que vous m’avez apporté. À vos côtés, dans les temps difficiles, j’ai appris qu’il ne fallait jamais désespérer pour peu que la clarté des opinions et la volonté dans l’action animent notre combat. Vous m’avez aussi donné la passion de l’économie et j’ai trouvé dans les entretiens que vous vouliez bien m’accorder le gout de l’analyse et d’un langage accessible à tous. » (p. 87).
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[8]
Ami proche de René Cassin qui lui rend hommage à plusieurs reprises, il est par exemple absent de la biographie récente consacrée à cette autre figure de la France libre : Antoine Prost, Jay Winter, René Cassin et les droits de l’homme : le projet d’une génération, Paris, Fayard, 2011.
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[9]
On sent à travers les citations qu’en fait Philippe Oulmont à la fois le caractère classique et en même temps fort intéressant de ces deux volumes méconnus : Souvenirs de la France libre, Paris, Berger-Levrault, 1946 et Les Métiers et les jours, Paris, René Juillard, 1951.
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[10]
Philippe Oulmont montre cependant que Pierre Denis reste à l’écart de tout réel engagement militant. Il note dans le même temps : « Jaurésien, Pierre Denis ? Oui, selon cette éthique qui le conduira sa vie durant, et nous essaierons de le montrer. » (p. 62). Le lecteur donne volontiers quitus pour sa démonstration à l’ancien secrétaire de la Société d’études jaurésiennes !
Conversations avec Jacques Julliard
1Dans ce très grand ouvrage, Jacques Julliard nous offre le livre de sa vie comme l’a bien noté Alain Duhamel dans Libération (n? du 12 septembre 2012). Toute l’érudition, tout l’appétit intellectuel de ce penseur important de la deuxième gauche s’y déploient. L’intelligence provocatrice du journaliste redécouvre les passions du jeune historien, et la fusion des qualités journalistiques et historiennes inspire un texte que l’on lira avec un sentiment délicieux de la rapidité, de la verve et d’un sens de l’humour souvent fort malicieux.
2L’auteur raconte non pas l’histoire de la gauche française, mais plutôt la façon dont on pourrait développer l’idée de la gauche dans ses formes les plus diverses. Pour cela, Julliard a donné libre cours à ses passions intellectuelles et surtout à son style particulier. Le livre devient une sorte de « conversation piece » qui est là précisément pour susciter des débats. La présentation des idées politiques, des conflits intellectuels est toujours rapide, parfois enjambant rapidement sur des comparaisons venues d’autres époques. Mais la présentation est toujours effervescente. Le lecteur reçoit l’impression qu’il participe à un grand salon politique, car souvent les affinités, les connexions suggérées par l’auteur fonctionnent mieux dans le domaine de la conversation que dans la recherche monographique. Ce n’est pas une monographie définitive sur la gauche française, ce que l’auteur ne voulait pas faire ; mais c’est l’œuvre définitive d’un des commentateurs les plus agréables à lire, les plus intelligents, de la gauche française.
3Le livre est divisé en trois parties inégales, et voici un autre indice de l’engagement individuel de l’auteur. La première partie donne un parcours chronologique qui commence avec les Lumières et poursuit le récit sur 500 pages jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’expérience de la gauche durant les deux grandes guerres est éludé – ce qui me semble dommage en particulier pour la Résistance et ce qu’elle a donné comme perspectives nouvelles à l’expérience historique de la gauche – mais ce choix permet de mieux se concentrer sur des « nœuds » historiques où la gauche était particulièrement forte, et où, donc, la richesse des grands débats intellectuels et parlementaires est plus en vue. Car, on le comprend bien, Julliard embrasse l’idée d’une ère révolutionnaire qui s’achève après la Deuxième Guerre mondiale. Mais ce n’est pas seulement en cela que l’on pourra lire ce texte avec en arrière-plan une conversation avec un autre grand amateur de l’histoire politique et des idées politiques : François Furet. Si, comme Julliard le dit avec insistance au tout début de son exposition, l’idée-mère de la pensée de gauche est que l’individu peut donner corps à sa volonté de changer la société en prenant part à la scène politique, le récit de ce volontarisme doit évidemment se pencher sur le débat politique à son niveau le plus élevé, en conférant une prime aux acteurs les plus importants de ce débat. Ce n’est pas un livre qui met en lumière les modestes compagnons de route de Jaurès, mais c’est un livre qui rappelle que l’histoire politique doit commencer par donner la place qui leur revient à d’importants ministres comme Aristide Briand ou Alexandre Millerand. Ce sont de tels acteurs – avec l’exception du mouvement syndical toujours cher à l’auteur – qui dominent le livre.
4Dans la dernière partie du livre, Julliard souligne l’incertitude de la gauche française de nos jours. Et ceci remonte non seulement au chaos des candidatures de gauche en 2002 et 2007, mais surtout aux années Mitterrand, quand une politique centriste était couronnée par une rhétorique gauchiste pour un électorat de gauche. C’est le paradoxe continu de la gauche sous la cinquième république, que Julliard a lui-même tant observé dans sa carrière journaliste, qui donne le ton à un récit plus pessimiste. Le long processus de sédimentation – l’histoire de l’ère révolutionnaire – cède la place ici à une réflexion plus critique, plus intime, peut-être hantée par ces simples questions : où va-t-on maintenant ? Quels sont les débats qui donneront corps à une nouvelle identité pour la gauche ? Les dirigeants de la gauche comprennent-ils les nouvelles données de la politique internationale, mondiale, écologique ?
5Au centre du livre, entre ces deux grands récits de la gauche historique et la gauche de nos jours, Julliard a placé la plus importante partie de son travail. Pour certains, la chasse aux typologies politiques pourrait paraître un peu désuète – sont-elles vraiment nécessaires ? Cependant, l’identification de « familles culturelles » de gauche présente pour l’auteur une opportunité excellente d’affiner toute son érudition dans une analyse vraiment frappante et qui devrait susciter beaucoup de débat. Avec les quatre familles qu’il identifie – libéralisme, jacobinisme, collectivisme, libertarisme – Julliard sort définitivement des définitions purement politiciennes de l’histoire politique. Cela permet de suivre de plus près l’influence de thèmes tels que la décentralisation, ou l’influence d’un penseur en particulier, notamment l’héritage proudhonien. Nous voici au cœur de l’analyse. C’est en sortant de l’analyse chronologique que Julliard nous livre ses préoccupations les plus personnelles dans ses relations avec la famille politique à laquelle il appartient :
« La croyance quasi mystique dans la toute-puissance de la politique est la religion cachée de la gauche. C’est elle qui lui a donné longtemps un supplément de légitimité venu s’ajouter à l’héritage des principales vertus révolutionnaires… La Révolution française n’a jamais aimé la démocratie… ».
7Avec la « famille libertaire » surtout, on sent que Julliard voudrait nous donner les références historiques pour une plus grande conversation autour de la relation distendue entre la gauche et la démocratie, le problème central dans tant de ses travaux. Il semble demander comment la lignée proudhonienne, libertaire, dans la pensée politique de la gauche, pourrait devenir un guide pour la réflexion politique non seulement dans le monde social et économique, mais aussi et surtout dans l’univers politique lui-même – l’univers qui fascine l’auteur jusqu’à lui faire écrire un récit classiquement « politique », après avoir travaillé si profondément sur un monde syndical qui se tenait à distance du parlement et des partis politiques pour si longtemps.
8Le goût de l’auteur pour les acteurs dominants du monde politique est démontré élégamment dans une série de portraits croisés. On pourrait simplement remarquer qu’il y a des problèmes de répétition ici et là, quand un détail essentiel d’un des portraits est nécessairement anticipé. Un autre problème se soulève dans la nature même de la conversation qu’on est invité à partager. Les étincellements de la présentation, les juxtapositions lumineuses, sont toujours là pour nous provoquer, nous entretenir, nous éblouir. Ce sont les éclairs d’une intelligence remarquable ; mais une importante partie de la recherche récente, sur plusieurs des thèmes esquissés, semble n’avoir pas vraiment été utilisé dans la préparation du récit. Il existe dans la bibliographie des ouvrages excellents que l’on aurait voulus plus présents dans le texte lui-même.
9Le mérite de ce livre merveilleux réside dans ce qu’il inspirera et provoquera d’autres discussions, et, on l’espère, de nouvelles pistes intellectuelles pour la recherche. On voudrait poursuivre les quatre familles pour amener les aperçus de l’auteur hors du domaine de la haute politique pour mieux comprendre le jacobinisme, le proudhonisme, l’étrange relation entre la gauche et la démocratie, avec plus de détails, avec une réflexion plus profonde et poursuivie. La volume de textes qui accompagne l’ouvrage donnera, pour plusieurs lecteurs, un excellent commencement : mais les recherches importantes de la génération d’historiens plus récente, que ce livre ne touche que de temps en temps, est là pour ceux qui voudrait, inspirés par la verve, l’intelligence de Julliard, poursuivre le projet.
10Jacques Julliard, Les Gauches françaises, 1762-2012. Histoire, politique et imaginaire, Paris, Flammarion, 2012, 940 p.
11Jacques Julliard, Grégoire Franconie, La gauche par les textes, Paris, Flammarion, 2012, 456 p.
12Julian Wright
Les gauches en Europe
13Enseignant à l’Université de Clermont-Ferrand, Fabien Conord situe son ouvrage dans la postérité de Jacques Droz, qui fut professeur à la même Université, qui écrivit dans la même collection en 1966 Le socialisme démocratique (1864-1960), et qui dirigea aux PUF la grande Histoire générale du socialisme parue de 1972 à 1978. Mais il a bien entendu complété ces ouvrages de base par l’utilisation d’une bibliographie abondante et récente dont il donne un utile aperçu à la fin de son livre. Celui-ci, conformément à l’esprit de la collection où il est paru, est destiné par priorité aux étudiants (ainsi qu’au « public cultivé ») : l’ampleur de la synthèse et la clarté du plan et du propos s’accordent parfaitement avec cet objectif. À juste titre, Fabien Conord a adopté un cadre chronologique plus large que le « court XXe siècle » (1914-1989) d’Eric Hobsbawm, en incluant la « Belle Epoque » et les années 1990 ; il a traité de toutes les parties du continent européen, et non pas seulement de quelques grandes puissances ; il a inclus dans son étude les gauches non socialistes, souvent négligées parce qu’à cette époque elles sont de plus en plus difficiles à appréhender ; il n’a pas hésité, lorsque c’était nécessaire, à traiter des syndicats et des ligues et non seulement des partis, ainsi qu’à aborder les bases sociologiques de ceux-ci.
14La présentation initiale des gauches au début du XXe siècle met d’abord l’accent, à juste titre, sur l’importance des « gauches libérales », en Europe occidentale surtout : c’est la grande époque du radicalisme en France (où il fait prévaloir une conception très stricte de la laïcité) et en Grande-Bretagne (avec d’importantes réformes sociales et fiscales), tandis que l’Italie se modernise sous les auspices de Giolitti. Le socialisme, en pleine ascension, présente à la fois des facteurs d’unité (appartenance à la deuxième Internationale, mise en cause des structures économiques et sociales, orientation prioritaire vers la classe ouvrière) et une grande diversité, qu’il s’agisse des rapports entre l’organisation politique et les syndicats, de l’attitude à l’égard de la religion (très différente selon qu’on milite en pays catholique ou protestant), du rôle attribué aux réformes et à la révolution (on peut regretter l’absence d’analyse du « réformisme révolutionnaire » de Jaurès), des méthodes propres à empêcher une guerre européenne. Cette guerre qui, précisément, provoque parmi les socialistes une scission profonde et durable : si, au départ, à quelques exceptions près, ils se sont, au même titre que la gauche libérale, ralliés à l’union nationale, le pacifisme a fait parmi eux de rapides progrès à partir de 1915. La victoire en Russie des révolutionnaires les plus radicaux (alors qu’ils ont connu l’échec dans les Empires centraux, en France et en Italie) entraîne en mars 1919 la formation de la Troisième Internationale, à laquelle se rallient, en proportions très variables, une partie des socialistes du reste de l’Europe.
15Fabien Conord a délibérément laissé hors de son étude la Russie soviétique, puis l’URSS, dont les problèmes sont bien entendu tout à fait spécifiques, mais dont la ligne politique détermine celle des partis communistes dépendant du Komintern : c’est celui-ci qui leur impose successivement la « bolchevisation », la stratégie « classe contre classe » (suicidaire en Allemagne pour le KPD), celle des « fronts populaires » (appliquée surtout, dans des conditions et avec des résultats très différents, en France et en Espagne), enfin à partir du pacte germano-soviétique, la dénonciation de la guerre « impérialiste ». Dans cette même période de l’entre-deux-guerres, les gauches libérales connaissent bien des déboires : ainsi, en Grande Bretagne, le déclin prononcé du parti libéral, et en France les échecs gouvernementaux (1926, 1934), l’affaiblissement et finalement le reclassement au centre droit du radicalisme. Quant à l’évolution du socialisme démocratique, elle s’opère globalement dans le sens du réformisme, mais avec des résultats bien différents. Appuyés sur une solide base syndicale, les partis socialistes de l’Europe du Nord, n’hésitent pas à exercer le pouvoir, mais, tandis qu’ils échouent rapidement à plusieurs reprises en Allemagne et en Grande Bretagne, ils parviennent à gouverner durablement dans les pays scandinaves grâce à l’alliance des classes moyennes (préconisée aussi en Belgique par Henri de Man) et plus particulièrement de la paysannerie. En France, la SFIO, qui se veut toujours « révolutionnaire », refuse la « participation » jusqu’en 1936. Globalement enfin, les gauches profondément divisées ne sont pas parvenues à empêcher l’avènement, dans la majorité des pays européens, de régimes totalitaires ou autoritaires qui les réduisent à la clandestinité ou à l’exil.
16La Seconde Guerre mondiale, qui voit à partir de 1940 la domination de l’Allemagne nazie s’étendre à la majeure partie du continent, est pour la gauche une période de très dures épreuves. En dépit de quelques ralliements à « l’ordre nouveau », elle s’oriente très majoritairement vers la résistance, rejointe par les partis communistes qui, après la rupture du pacte germano-soviétique, jouent un rôle souvent décisif. En même temps qu’elles luttent pour l’indépendance nationale, les gauches préparent pour l’après-guerre de profondes réformes sociales (le plan Beveridge en Angleterre, le programme du CNR en France). La Libération sera-t-elle le prélude d’une révolution pacifique ? L’échec des formations politiques issues de la Résistance (notamment en France et en Italie) en a confié la responsabilité aux anciens partis ressuscités. D’importantes réformes ont effectivement vu le jour, par exemple en France et en Angleterre. Mais l’instauration des « démocraties populaires » dans les pays d’Europe orientale occupés par l’URSS a changé la donne : l’entrée en guerre froide s’est traduite par l’isolement des partis communistes en Europe occidentale, la division apparemment irrémédiable des forces de gauche, le ralliement de la plupart des libéraux et des socialistes à l’option « atlantiste » (malgré l’existence de minorités « neutralistes ») et une restauration partielle de l’ancien ordre établi.
17Le chapitre VI est consacré aux pays de « démocratie populaire » d’Europe orientale. Il s’agit d’une synthèse remarquable. Tout en mettant, à juste titre, l’accent sur les aspects totalitaires de ces régimes (la toute-puissance du parti et de l’État, les grands procès, la collectivisation forcée), Fabien Conord note aussi les aspects positifs que furent la mise en place d’une couverture sociale étendue et le développement de l’instruction. Il étudie à la fois le multipartisme de façade maintenu dans certains pays, et les grands épisodes de contestation (Hongrie en 1956, Tchécoslovaquie en 1968, Pologne avec l’action de Solidarnosc ; le soulèvement berlinois de 1953 n’est cependant que mentionné), ainsi que les principales dissidences intellectuelles. Le chapitre suivant brosse le tableau complexe des gauches en Europe occidentale dans les années 1950-1960 : crises et mutations des gauches libérales qui, dans l’ensemble, glissent vers le centre droit, non sans quelques sursauts dont le plus remarquable est sans doute l’expérience mendésiste en France ; évolution programmatique des socialismes dont l’épisode le plus significatif est en 1959 le congrès du SPD à Bad Godesberg, mais qui ne concerne pas tous les partis ; persistance, en France et en Italie, de puissants partis communistes s’appuyant sur de multiples organisations annexes, mais en partie ébranlés par la déstalinisation et les retombées des crises hongroise et tchécoslovaque et peinant à sortir de leur isolement (à cet égard, l’élection présidentielle de 1965 en France marque cependant une étape). Devant bien des problèmes importants, les gauches non communistes se montrent divisées, qu’il s’agisse de la construction européenne (la querelle de la CED en France) ou de la décolonisation, réussie en Inde par les travaillistes anglais, combattue en Algérie par la majorité des socialistes et des radicaux français (alors que nombre de chrétiens rejoignent les minorités anticolonialistes).
18Les événements de 1968, bien qu’ils ne concernent que quelques pays européens, marquent à bien des égards un tournant : renaissance d’une extrême gauche surtout trotskiste ou anarchisante, engendrant même une déviation terroriste en Italie et en Allemagne ; émergence de thématiques nouvelles ou renouvelées (l’écologie, le féminisme, le mouvement homosexuel) ; réorientation ou éclatement des gauches libérales avec le passage à droite du FDP allemand, le rapprochement, puis la fusion entre libéraux et dissidents travaillistes en Grande Bretagne, la scission en 1972 du radicalisme français ; glissement à gauche du socialisme en Angleterre et surtout en France où le nouveau PS rompt avec la tentation centriste, conclut un programme commun avec le PC, adopte comme le PSU le thème de l’autogestion. L’« eurocommunisme », vigoureux surtout en Italie, tend à un relâchement des liens avec l’URSS, mais son abandon en 1979 par le PCF va jouer un grand rôle dans le déclin de celui-ci. On assiste aussi dans cette période à un « rééquilibrage géographique des socialismes européens » : recul en Allemagne, en Autriche et dans les pays scandinaves, résurrection impressionnante en Espagne, au Portugal et en Grèce après la chute des dictatures. En France cependant, la victoire de 1981 et celle de 1988 seront suivies de multiples déconvenues. Et l’Europe, économiquement libérale, si elle attire les nouvelles démocraties méridionales, continue à entretenir méfiance et divisions à gauche.
19Consacré à l’étude des gauches à la fin du XXe siècle, le dernier chapitre s’ouvre naturellement sur l’effondrement des régimes de « démocratie populaire » en Europe orientale, où cependant d’anciens communistes ont réussi à se maintenir quelque temps au pouvoir. En Occident, le socialisme démocratique paraît avoir le vent en poupe avec les succès de la coalition de « l’Olivier » et du parti démocrate de gauche (la majorité de l’ancien PC) en Italie, du travaillisme en Angleterre et de la « gauche plurielle » en France en 1997, du SPD en Allemagne réunifiée en 1998. Toutefois, il s’agit, en Angleterre avec Tony Blair et en Allemagne avec Gerhard Schröder, d’un socialisme fortement mâtiné de libéralisme économique, dont la base ouvrière tend à se rétrécir au profit des classes moyennes, et dont s’écartent des dissidents de gauche. Le déclin du communisme (désormais privé de sa référence soviétique) est plus réel que ne le laisse apparaître le tableau de la page 220 : combiné avec l’évolution centriste de certains partis socialistes, il laisse un espace libre pour la survivance de l’extrême gauche, qui, rejointe sur bien des points par les écologistes, défend contre l’ultralibéralisme une « altermondialisation » impliquant la défense du modèle social issu de l’après-guerre. Si le libéralisme culturel constitue un trait d’union entre toutes les gauches, la construction européenne, marquée par le libéralisme économique, entretient bien des divergences. Dans sa conclusion, Fabien Conord met en relief quelques traits communs entre les socialistes des années 1990 et « les gauches libérales et républicaines du début du XXe siècle » : situation majoritaire, contestation par « une composante plus radicale, porteuse d’exigence sociale et moins sujette aux compromis », mais aussi persistance, pour l’ensemble des forces du « Mouvement », d’un clivage vis-à-vis de la droite reposant avant tout sur le libéralisme culturel et l’aspiration à l’égalité.
20Pourvu d’une chronologie, de notices biographiques sur les principaux leaders, d’une bibliographie importante, soucieux de faire une place à l’ensemble des États européens, l’ouvrage de Fabien Conord constitue une synthèse commode et suggestive, et un point de départ pour une étude des forces de gauche dans les différents pays qui ne se contenterait pas de faire ressortir leurs particularités nationales, mais veillerait à mettre en relief leurs rapports avec les évolutions affectant l’ensemble du continent
21Fabien Conord, Les gauches européennes au XXe siècle, Paris, Armand Colin, coll. U, 2012, 272 p.
22Pierre Lévêque
Mitterrand/Marchais : 1-0
23« L’union sans l’unité » : c’est le titre un peu austère d’un passionnant colloque qui vient renouveler l’histoire du « programme commun de gouvernement » du 27 juin 1972. Tenu en mai 2010 à Pantin avec la participation de la Fondation Jean Jaurès, de l’OURS, des Archives départementales de Seine-Saint-Denis et de la Fondation Gabriel-Péri – toutes institutions travaillant maintenant régulièrement ensemble, pour le plus grand bien des débats et des chercheurs –, publié aux PUR sous la direction de Danielle Tartakowsky et Alain Bergounioux, il a été l’occasion d’échanges entre historiens mais aussi entre témoins, dont les interventions occupent la 4e partie de l’ouvrage. Il analyse à la fois les grandes évolutions des forces de gauche en présence, pèse le rôle des personnalités et consacre en filigrane une grande attention au contexte international dans lequel le Programme commun est conclu puis rompu. L’ensemble de ces questions bénéficie d’un renouvellement historiographique et archivistique important et de la confrontation difficilement imaginable il n’y a pas si longtemps, entre des personnalités de premier plan, parmi lesquels se distinguent les interventions de Charles Fiterman et Lionel Jospin [1].
24Parlons d’abord des partenaires du Programme commun. Comme l’avait analysé Annie Kriegel dans ses articles du Figaro contemporains de l’événement, le Programme commun a été noué pour être rompu : chaque participant entend simplement en tirer le maximum d’avantages. Le nouveau Parti socialiste né à Épinay n’a plus les préventions et les craintes d’une génération de dirigeants marquée par la rupture inaugurale de Tours (Denis Lefebvre, Gilles Morin). C’est « l’union froide » mitterrandienne qui l’emporte : l’enjeu électoral est essentiel. C’est aussi un moment d’« extase étatique » (Marc Lazar), où l’on voit les deux composantes de la gauche communier dans un même culte de l’État. Celui-ci aurait dû épargner aux négociateurs de s’affronter sur le terrain économique, qui est après tout celui où, comme le montre Matthieu Fulla, communistes et socialistes se rejoignent le plus facilement. Mais Mitterrand en favorise la politisation en mettant dès 1972 l’accent sur l’économique, ce qui permet aux communistes d’y puiser les prétextes nécessaires à la rupture. Cependant, la conception « marxo-keynésienne » de l’économie (M. Fulla), pensée dans un cadre strictement national, survit à la rupture de 1977 et domine le moment 1981 ; elle doit beaucoup aux travaux du CERES et de la section économique du CC du PCF où se distingue la personnalité de Philippe Herzog. Malgré l’existence de courants de pensée alternatifs et critiques, en particulier autour de la « deuxième gauche » et de l’autogestion, Marc Lazar et d’autres montrent qu’ils pèsent peu face à la dynamique unioniste ; Gilles Morin éclaire, archives à l’appui, la déroute immédiate des groupuscules socialistes opposés au Programme : il décèle dans cet échec le rôle d’un renouvellement générationnel. Le PCF, quant à lui, est revenu au « maximalisme » économique dès le choix du « combat » en octobre 1974, qui porte un premier coup à l’entente socialo-communiste, comme disait la droite de l’époque étudiée par Bernard Lachaise : en résulte le « chiffrage » de mai 1977 qui contribue à mettre le feu aux poudres, tant il était clair que, sur décision de Marchais, il fallait « viser au plafond ». En fait, les divergences économiques n’étaient pas plus fortes en 1972 qu’en 1977, mais elles se sont politisées au point d’être instrumentalisées dans la rupture (M. Fulla).
25Hervé Chauvin et Jean Vigreux examinent en détail ce qui, à la lecture du volume, apparaît plutôt comme une période de désarroi pour le PCF, confronté à d’immenses défis nationaux et internationaux. Non pas de recul ou de déclin, vu le regain militant ou le maintien électoral (F. Gougou), mais dans la conduite incertaine d’un « bateau ivre » (M. Lazar) dont les premières voies d’eau s’ouvrent en 1981. Il est insupportable, pour Marchais, d’imaginer le parti de Thorez en position seconde ; et il ne lui est pas possible de pousser trop loin les feux de l’indépendance vis-à-vis de Moscou, dont la présence et l’image dans la vie politique et médiatique française dans les années 1970 est exceptionnelle, comme le montre parfaitement Hervé Chauvin. Paris capitale de la dissidence soviétique, un retournement engagé au milieu des années 1960 de l’image de l’URSS y ont contribué. Le rôle de Marchais dans la rupture de 1977 est discuté à nouveaux frais, sans qu’il puisse y avoir de conclusion ; Lionel Jospin rappelle clairement que le PS ne souhaite pas de son côté une actualisation du Programme et une « discussion notariale » sur son contenu. Fin juillet 1977, Marchais veut la rupture, et François Mitterrand, ne serait-ce que par sa déclaration intempestive sur la défense européenne et la force de frappe du 27 juillet, en prend le risque. Selon Charles Fiterman, la pression soviétique n’est « pas suffisante » pour expliquer l’attitude d’un Marchais amoindri physiquement, bon tacticien mais mauvais stratège pour qui « affaiblir le PCF était le pire des crimes » (pp. 277-278). Outre l’effet de seuil que provoque le retour au premier rang du PS en 1978, la dynamique unitaire a acquis son propre élan et son autonomie relative aux organisations ; les classes moyennes salariées, en particulier du secteur public, dont la conquête est un combat essentiel remporté par le PS, ont aussi utilisé les partis de gauche pour insuffler leur agenda social et catégoriel dans la « stratigraphie » de la société française (M. Lazar). Quant aux radicaux de gauche, la contribution de Frédéric Fogacci en décrit le long « chemin de croix » qui les mène à l’Union, prétexte essentiel de la création du MRG. Son absence initiale dans les débats pèse lourd et le condamne à la satellisation ; et le rôle de Robert Fabre dans la rupture de 1977 n’est que médiatique : après avoir été « l’homme du jour », il redevient « l’homme d’un jour » (p. 65).
26Le volume présente également d’intéressantes considérations inter- et transnationales qui remettent le choix du Programme commun dans un contexte plus large. La question de l’URSS est essentielle, on l’a compris, mais il nous manque bien entendu un regard soviétique documenté pour éclairer à la fois les luttes internes au Bureau politique – auxquelles la démission de Jeannette Vermeersch n’a pas mis fin – et la pression soviétique sur ses acteurs. La communication de Gilles Vergnon sur le PS et l’Internationale socialiste évoque avec justesse le problème des « modèles » auxquels les socialistes se confrontent. En 1972, le PS est à contre-courant de ses homologues européens et suscite une certaine surprise dans leurs rangs, en particulier outre-Rhin où Willy Brandt manifeste « préoccupation et inquiétude ». Du « modèle suédois », très discuté dans les années 1970, Mitterrand fait une référence sans manquer de lui reprocher qu’il ne s’attaque pas suffisamment, aux « monopoles privés ». Quand il rencontre Benito Craxi en octobre 1976, l’Italien conclut que la France a la chance d’avoir un PC sectaire, ce qui permet la polarisation sur le PS. Avec les sociaux-démocrates allemands, la relation reste selon Gilles Vergnon « sous le double régime du rapport de forces et de l’examen des dossiers techniques » (p. 156). L’Internationale socialiste n’est pas pour Mitterrand une instance de légitimation : c’est une scène secondaire pour les militants, dont les débats sont peu évoqués par la presse et qui reste la chasse gardée d’une poignée de dirigeants (en particulier Robert Pontillon). Mitterrand n’y cherche pas des soutiens mais y mène un travail d’explication qui n’est pas sans éclairer ses intentions en matière de stratégie électorale. Le PS par ailleurs regarde résolument vers le PSOE et le Portugal où la transition démocratique bat son plein.
27Le colloque réserve encore plusieurs contributions à la Fédération de l’Éducation Nationale (FEN) (Ismaël Ferhat) ou aux questions agricoles (F. Conord) pour lesquels nous manquons de place. Les « terrains » ne sont pas délaissés : en Bretagne, « la révolution des rapports de force à gauche positionne le PS en capacité de concurrencer les droites en Bretagne » (F. Prigent, p. 186) ; en Seine-Saint-Denis, le PCF « sort de ses bastions » sans y gagner un nouvel enracinement (E. Bellanger). Imposée « par en haut », l’union de la gauche s’est autonomisée au niveau local, enracinant et routinisant une « culture de l’union » (R. Lefebvre).
28Cet ensemble très riche est couronné d’un cahier couleurs de photographies, de fac-similés et de reproductions d’affiches de l’époque. Il constitue une référence désormais incontournable sur le dernier avatar d’un modèle de régulation né en 1945 et bouleversé par la seconde mondialisation.
29Alain Bergounioux, Danielle Tartakowsky (dir.), L’Union sans l’unité. Le Programme de commun de la gauche, 1963-1978, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 307 p.
30Romain Ducoulombier
Paul Painlevé, un parcours politique
31Anne-Laure Anizan publie aux Presses Universitaires de Rennes un livre issu d’une thèse préparée sous la direction du professeur Serge Berstein. Painlevé rejoint ainsi chez le même éditeur Pressensé, Longuet, Tanguy-Prigent, Jules-Louis Breton et quelques autres. Sa biographe indique avoir voulu élargir son enquête biographique à « l’ombre portée » du savant, mathématicien renommé et reconnu, sur le politique, trois fois président du conseil (1917 et 1925), président de la Chambre des députés (1924-1925), longtemps député (1910-1933) et souvent ministre (14 fois, entre 1915 et 1933) sous un régime taraudé par la promotion de la science et de l’éducation, la définition et la recherche des compétences. Ce statut particulier explique la volonté ultime de glorification du personnage après son décès : des funérailles nationales sont décidées sur proposition du président du Conseil Albert Sarraut suivies d’une panthéonisation immédiate. On comprend pourtant aussi bien les raisons qui ont figé en l’état l’apothéose officielle : le rôle politique le plus déterminant de Painlevé intervient lors des crises de 1917 et à la fin du Cartel des gauches, moments difficiles à célébrer dans la mémoire nationale. De surcroît, il est le leader d’un petit parti charnière à l’identité peu affirmée et à la postérité non revendiquée (le parti républicain socialiste), le soutien de Pétain (en 1917 et 1925), qui n’en fut certes pas reconnaissant à la République, et un partisan constant de l’ordre colonial (guerre du Rif)…
32Painlevé n’en méritait pas moins cette thèse et ce livre, après le colloque dirigé par Claude Fontanon et Robert Franck publié chez le même éditeur. Certes, l’auteure s’intéresse surtout dans les faits au parcours politique proprement dit de son personnage. La part de la science est un peu trop réservée soit aux années de formation, soit aux intéressantes pages finales (pp. 376-381 et 390-396 notamment) consacrées à son portrait intellectuel. Mais on apprend beaucoup sur ce parlementaire, son entrée en politique, ses réseaux, les moyens de son ambition, le contenu de son programme et ses réalisations. Normalien, universitaire dreyfusard (sans précocité excessive, au début de 1899), Painlevé est élu député du Quartier latin en 1910, s’affirmant à gauche du « parti républicain », mais tout de même intégré à la majorité de gouvernement. Il a pris la suite de Viviani, qui préfère se présenter en province, comme lui-même le fera en 1928, et il s’inscrit donc logiquement parmi les socialistes indépendants et les fondateurs du parti républicain socialiste. Homme de science et de réforme, nouveau venu, il bénéficie logiquement d’un bon report des voix socialistes au second tour. Il se constitue une réputation légitime d’homme de progrès en soutenant et participant aux débuts de l’aviation, qui restera sa grande affaire en politique.
33Son parcours aurait pu être celui d’un réformiste exemplaire, mais les circonstances l’amènent à déployer ses talents dans des circonstances dramatiques. Il accède au gouvernement avec la Grande Guerre qui favorise la promotion de gouvernants compétents et dynamiques. Il faut étudier son action en la confrontant à celle d’Albert Thomas, de Clémentel et de Loucheur, de son ami Breton… Son rôle en 1917 est indéniablement marquant, pour limiter la répression et la crise, choisir les orientations nécessaires dans le contexte. Mais Léon Daudet, qui le surnomme « Croute molle » n’est pas le seul à se moquer de celui qui porte comme second prénom « Prudent ». Painlevé représente un peu une voie intermédiaire entre ceux qui seraient prêts à une paix négociée (Caillaux, voire Briand ?) et ceux qui excluent toute solution autre que la victoire. Position inconfortable, et il est assez compréhensible qu’à la fin de 1917 Painlevé soit écarté et remplacé par l’énergique Clemenceau qui incarne le second terme.
34La paix permet un retour à une vie politique plus parlementaire. Painlevé joue habilement, sachant utiliser le mode de scrutin compliqué de 1919 pour faire gagner trois sièges à ses amis dans sa circonscription… Mérite et gloire des mathématiques… Surtout, il est un des promoteurs de la reconstitution d’une gauche de gouvernement, avec la Ligue de la République, naguère analysée par Gilles Le Béguec, puis la formation du Cartel des gauches… Painlevé le fait avec méthode et sérieux : réseaux de presse, éléments programmatiques, mobilisation culturelle et émotive (centenaire des quatre sergents de La Rochelle, hommages à Jaurès et préparation de sa panthéonisation…). Pourtant, Herriot prend l’ascendant car il peut s’appuyer sur le parti radical reconstitué dont l’existence est certes plus effective que celle un peu évanescente du parti républicain socialiste même renforcé par les « socialistes français » issus de l’aile la plus « Union sacrée » de la SFIO. Painlevé échoue de plus en 1924 dans l’élection à la présidence de la République, sans doute un peu trop à gauche et en tout cas non radical alors que se présente avec succès le président du Sénat Gaston Doumergue. Ce chapitre apparaît sans doute moins neuf que celui consacré aux années de guerre : il faut dire que l’histoire de l’échec du Cartel a été souvent scrutée et relatée. Painlevé navigue au mieux, avec Briand et Caillaux, puis sans ce dernier, hésitant sur la politique économique à tenir… comme bien d’autres dirigeants de la gauche modérée de l’époque. En revanche, il défend la présence française au Maroc, remplaçant Lyautey par Pétain, réprimant les campagnes communistes, et il se rallie sans barguigner à la solution Poincaré d’Union nationale. Il devient indispensable au gouvernement : ministre de la Guerre (1925-1929), puis de l’Air (1930-1933), même après le retrait (1928) des radicaux qui ne lui en tiennent pas rigueur.
35Painlevé est un républicain de gouvernement, de gauche puisque laïque, favorable aux œuvres d’enseignement et de recherche, à un service militaire réduit, mais fort peu socialiste car très prudent et assez libéral dans le domaine économique et social. Anne-Laure Anizan nous décrit bien ses prises de position, ses méthodes d’action, son armature culturelle et idéologique, elle le suit patiemment pendant sa vingtaine d’années de vie politique. Elle apporte nombre d’informations et d’éléments sur l’exercice du pouvoir, notamment pendant la Grande Guerre. Elle ne nous convainc pas vraiment de la consistance du parti républicain socialiste, longtemps présidé (de loin) par Painlevé, mais qui ne lui survit guère. Ce n’était sans doute pas son objectif ! On regrettera quelques lapsus – qui n’en commet pas ! – : page 50 : un malencontreux effet de coupe ou de copier-coller fait confondre grâce (1899) et réhabilitation (1906) pour l’affaire Dreyfus, page 346 : le député communiste paysan est Renaud (prénom) Jean (nom) et non l’inverse (car ce serait alors le nom d’un leader de l’extrême-droite), page 397 : l’auteur de L’Armée nouvelle est bien Jaurès et non Blum… Broutilles aisées à rectifier par le lecteur, mais qui nous rappelle (à tous) les mérites des relectures nombreuses et collectives. Pour conclure, une bonne, sérieuse et utile biographie politique.
36Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé. Science et politique de la Belle Époque aux années trente, préface de Serge Berstein, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 434 p.
37Gilles Candar
Le compère Loriot
38La courte biographie consacrée par Julien Chuzeville à Fernand Loriot complète l’ensemble des travaux venus remettre en débat l’historiographie figée de la naissance du Parti communiste en France. D’une facture classique, elle affine, plus qu’elle ne bouleverse l’image d’une figure majeure de l’histoire du pacifisme de guerre et de la scission de Tours en décembre 1920.
39Son biographe porte à l’évidence beaucoup d’estime au personnage doctrinaire et intraitable qu’il compose. Enseignant rigoureux, jamais pris en défaut par une hiérarchie très tôt décidée à le mettre à pied (il n’est ni révoqué ni en poste, et donc sans traitement, entre 1919 et 1926), Loriot est un syndicaliste fervent de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI) en pleine croissance – mais partie de très loin – à la veille de 1914. Il appartient à la SFIO depuis l’unité, après avoir milité au Parti Socialiste Français (PSF) à Noisy-le-Sec dès 1901 puis à Puteaux dans l’Union des Travailleurs socialistes en 1904. Loriot est donc un militant expérimenté, à la fois intégré à la SFIO et nourri de syndicalisme révolutionnaire. Après la guerre, dans les notes autobiographiques parcourues par l’auteur, il n’aura pas de mots assez durs contre ce « socialisme de clocher » qui porte Lucien Voilin à la députation en 1910 et à la mairie de Puteaux en 1912. Mais pour lui comme pour d’autres, la guerre a tracé un fossé infranchissable avec le souvenir de la SFIO unifiée de la Belle Époque.
40Loriot s’est bien rallié à la guerre contre le « militarisme prussien » en août 1914. Mais c’est au cours de l’hiver 1914, sans qu’il soit possible d’en dire plus, qu’il devient opposant à la guerre : un de ses articles de février 1915 est entièrement censuré. En août 1915, le premier congrès national de la FNSI depuis la guerre est une « révélation » : très vite, Loriot se rallie aux positions de Zimmerwald (5-8 sept. 1915) dont il s’avère l’un des plus ardents défenseurs. Mêlant les déclarations militantes aux jugements d’une historiographie vénérable (p. 13-14), l’auteur prolonge habilement le procès contre la SFIO dépourvue de « moyens concrets contre la guerre » et trahissant ses « résolutions » nationales et internationales du temps de paix : la dévaluation du passé socialiste, circulant du discours militant au travail historien, est ainsi présentée comme un acquis scientifique et non, ainsi qu’il l’est le plus souvent, comme un fait historique. C’est donc dans son juste combat contre la guerre que la biographie recompose l’itinéraire de Loriot.
41Deux traits dominants se dégagent de l’action du Loriot pacifiste et chef de file du Comité pour la Reprise des Relations Internationales (CRRI) : la divergence croissante avec les minoritaires regroupés autour de Longuet, et la volonté déterminée d’organiser, au sens le plus fort du terme, une fraction efficace au service d’une cessation immédiate de la guerre, sans annexions ni indemnités. Pour Loriot, en effet, Longuet est dans « l’erreur » alors qu’il est un « traître » pour Trotski (p. 38) : si Loriot ne cesse par conséquent de dénoncer l’« équivoque » de la minorité longuettiste, persiste avec les positions des révolutionnaires russes en exil un écart sans doute mince mais déterminant pour l’avenir. Cette position permet aussi bien les critiques que les alliances de circonstance, qui seront décisives à deux reprises : en octobre 1918, quand l’apport des voix zimmerwaldiennes permet de renverser la « majorité » au sein de la SFIO, et à la fin de l’été 1920, quand une partie des Reconstructeurs rallient le camp de l’adhésion à la IIIe Internationale. Quant à l’organisation de la tendance dite « zimmerwaldienne », Loriot y montre un talent incontestable, quitte à désespérer de manquer d’« un ou deux organisateurs intelligents et actifs disposant de toute la journée » (p. 46), c’est-à-dire de permanents… pour conquérir la base du parti. L’action pacifiste contre la guerre, c’est évident, produit une forme nouvelle de militantisme qui déborde progressivement l’emprise des élus sur l’appareil.
42La seconde partie de l’ouvrage concerne la marche à la scission menée par le duo implacable Loriot-Souvarine et ses conséquences sur la SFIC des premières années. L’interprétation que J. Chuzeville en propose se distingue par trois affirmations. La première concerne le congrès de Tours lui-même : la scission aurait pu être majoritaire par la vertu des seules forces du camp de l’adhésion. Les conséquences de « l’adhésion personnelle » donnée par Cachin et Frossard depuis la Russie à l’été 1920 sont donc minorées au profit de la dynamique propre du Comité d’adhésion à la IIIe Internationale. On peut en douter, d’autant que la question des conditions n’est quasiment pas évoquée par l’auteur, mais le débat est sans fin sur une issue qui n’est pas advenue.
43La deuxième affirmation oppose un parti révolutionnaire vertueux rêvé par Loriot – un « parti communiste de masse, dit-il en 1925, ne peut être qu’une vivante démocratie prolétarienne » –, au parti « stalinisé » (un peu tôt sans doute par l’auteur) et corrompu par l’argent destiné à entretenir des permanents. Certes, l’auteur n’a pas la naïveté, comme certains, d’opposer le bon Loriot au méchant Cachin. Loriot ne souhaitait pas donner naissance à ce que son action a produit, mais il est rapide, et à mon sens très discutable, de dissocier l’aspiration, même vague, à un « parti de type nouveau » sans chefs ni bureaucratie, caractéristique de la pensée syndicaliste révolutionnaire d’avant-guerre, et la mise sur pied d’une organisation réelle qui devait aussi nettoyer l’ancienne SFIO de ses mauvais bergers et de ses pratiques « bourgeoises ». Sa volonté de « régénérer », comme je l’ai montré [2], une SFIO en crise et désormais indigne, met cette relève sur le chemin de l’adhésion et de la création d’un parti nouveau, sans résoudre ses contradictions profondes qui en expliquent l’échec. Cela n’annule en aucune façon l’intérêt des textes produits par l’opposition communiste sur le fonctionnement de la bureaucratie de parti, cité abondamment en fin d’ouvrage. Si Loriot, passé à l’opposition communiste, a toujours dénié par ailleurs aux communistes leur prétention à représenter la classe ouvrière, il n’a jamais caché qu’il y prétendait lui-même. C’est pourquoi Loriot et d’autres incarnent un possible, inspiré par le socialisme et le syndicalisme anti-autoritaires des marges de la SFIO et de la CGT d’avant-guerre, qui s’est refermé devant la puissance des organisations et les efforts sans ménagement déployés par l’Internationale communiste pour les liquider politiquement. Mais Loriot comme Cachin et tous les staliniens appartiennent solidairement à une époque maintenant close et balisée où la fidélité à la classe ouvrière, sujet de l’histoire, était la source verbale de la légitimité militante.
44La dernière dimension de l’interprétation de J. Chuzeville concerne la mémoire de la scission et sa manipulation par le Parti communiste « stalinisé » : Loriot (et d’autres, comme Souvarine) ont subi un effacement concerté, que la réédition du sténogramme du congrès de Tours en 1980 prolongerait par l’éviction de son nom de la motion majoritaire dont il était le premier signataire, et Souvarine le second [3]. C’est en effet le sort que le PC a fait subir aux nombreux opposants, déçus et dissidents qui, comme l’écrivait le journaliste Gilles Martinet, ont longtemps constitué le premier parti de France. Reconnaissons cependant qu’au-delà de la rigueur d’incorruptible dont il témoigne – et pour laquelle il sera deux fois nommé trésorier, de la FNSI en 1912-1914 et de la SFIO en 1918-1920 –, Loriot fait aussi preuve d’une inconséquence étonnante devant les questions auxquelles il s’est confronté. Dressé contre une SFIO embourgeoisée et traître à ses idées, il fonde un parti dont il se retire de la direction dès 1922 pour fonder une librairie boulevard Saint-Germain. Défendant bec et ongles la Russie et sa révolution, signataire du « protocole » d’avril 1917 qui permet à Lénine de rentrer en Russie par l’Allemagne, il est tellement déçu par son premier (et dernier) voyage, en mai-août 1921, que Souvarine le croit même « perdu pour l’Internationale » (pp. 129-130). Démissionnaire du PC en 1926, il s’en retourne à la défense de l’autonomie syndicale à laquelle il a pourtant délivré un coup profond par la caution personnelle qu’il a apportée aux « 21 conditions » et à leur application particulière à la France. Loriot, il est vrai, revient au soir de sa vie, et avec une lucidité amère, sur son expérience et sur la « dégénérescence » (J. Chuzeville) du Parti communiste « stalinisé ». Mais alors qu’on glose sans fin sur la « faillite » du socialisme en 1914, l’impuissance de la génération de l’armistice devant l’attraction bolchevique est un problème qui ne s’explique pas seulement par la « dictature de la bureaucratie » (p. 165). Ériger cette relève en modèle n’est peut-être pas la meilleure façon de la comprendre, mais elle permet au moins de la rendre à la lumière.
45Julien Chuzeville, Fernand Loriot. Le fondateur oublié du Parti communiste, Paris, L’Harmattan, 2012, 237 p.
46Romain Ducoulombier
Jean Zay
47De manière assez étonnante, la mémoire de Jean Zay a été ravivée tout au long de cette année 2012 à la faveur de plusieurs événements marquants : l’hommage rendu par le candidat à l’élection présidentielle François Hollande à l’ancien ministre du Front populaire lors d’un déplacement à Orléans ; la parution de deux ouvrages, le premier de Gérard Boulanger sur le procès de Jean Zay [4], le second d’Olivier Loubes proposant un regard personnel sur le parcours de l’ancien député.
48L’étude d’Olivier Loubes n’est pas, en soi, une biographie conventionnelle. Son texte est court, n’apporte aucune révélation majeure sur la vie et l’œuvre du député du Loiret et ne suit pas rigoureusement un canevas chronologique. L’intérêt de cette étude est à la fois plus original et ambitieux : son auteur a pour objectif principal de questionner l’actualité de ce parcours républicain. Pour cela, Olivier Loubes met en perspective l’œuvre de Jean Zay dans l’histoire contemporaine et compare, à de nombreuses reprises, la trajectoire du ministre avec celle de deux grandes figures de la troisième République, en l’occurrence le capitaine Dreyfus et Jules Ferry. Dans un second temps, l’auteur tente d’expliquer pourquoi ce destin républicain, à la fois éclatant et tragique, n’a pas paru marquer nos mémoires depuis sa disparition.
49Sur le premier point, la présentation du parcours personnel et politique de Jean Zay ne souffre d’aucun reproche. L’auteur y dépeint, avec rigueur, le milieu familial dans lequel le jeune Zay a évolué : des racines religieuses où se mêlent le judaïsme et le protestantisme, une tradition intellectuelle ancienne qui conduisit son père à s’engager dans le camp républicain. Ce terreau culturel permit au jeune orléanais de manifester très tôt un goût et un talent avérés pour l’écriture, de s’engager ensuite dans les cercles républicains d’Orléans puis d’intégrer la franc-maçonnerie. À la faveur de son entrée à la Chambre des députés en 1932, il s’affirme rapidement sur la scène politique nationale et anime le courant des « Jeunes turcs », ultime tentative de rénovation d’un parti radical à bout de souffle. Ce fervent radical doit aux socialistes sa nomination à la tête du ministère de l’Éducation nationale. L’auteur démontre, de manière convaincante, le bilan paradoxal de l’œuvre de ce ministre : une longévité exceptionnelle à ce poste – plus de 3 ans –, une seule loi votée, des textes majeurs plus ou moins enterrés par le Sénat, le lancement de grands projets de modernisation dont certains ont été préparés par ses prédécesseurs. Au-delà du bilan, Jean Zay se distingue par de réels talents de tacticien car il parvient à contourner les obstacles qui entravent son action : les blocages parlementaires en passant par la voie réglementaire ; les lenteurs de l’administration par l’expérimentation des réformes, une nouveauté à la fin des années 1930. Olivier Loubes retrace enfin la dernière période de la vie de Jean Zay marquée par la haine dont il a été la cible durant l’Occupation et qui aboutit d’abord à sa condamnation puis à son assassinat quelques semaines avant la Libération.
50Si cette présentation biographique demeure fidèle aux faits, on pourra néanmoins regretter que l’historien ne marque pas suffisamment de distance critique par rapport à l’objet de son étude. Il aurait été ainsi intéressant d’évoquer les erreurs politiques que le ministre a commises et qui peuvent expliquer l’échec de certaines lois. Par exemple son refus de composer avec les organisations syndicales sur le projet de création d’une école nationale d’administration, attitude qui contribua à faire douter son camp sur l’opportunité de la réforme et qui, au Sénat, précipita son échec. De même, il aurait été utile de mettre davantage en relief les difficultés et l’isolement politiques que connaît ce dirigeant du Front populaire sous le gouvernement Daladier et qui ont certainement affecté son action ministérielle en fin de période.
51Le second intérêt de cette étude est de sonder la mémoire de Jean Zay près de soixante dix ans après son assassinat : que reste t-il de son œuvre ? Pourquoi ce brillant espoir de la troisième République a t-il aussi peu marqué notre mémoire collective ? Pourquoi, à l’inverse, connaît-il un relatif regain d’intérêt depuis les années 1990 ?
52L’historien propose quelques éléments de réponse plutôt convaincants : un bilan législatif faible alors que notre mémoire républicaine tend à honorer, parfois sans discernement, ses serviteurs en fonction du nombre de lois adoptées ; le contexte politique de l’immédiat après guerre marqué par un net rejet par l’opinion des institutions de la troisième République qu’il pouvait incarner ; enfin la volonté de ne pas évoquer les méfaits et les crimes commis par le régime de Vichy dont il fut, avec d’autres, une des victimes emblématiques. D’autres hypothèses auraient mérité d’être posées. Parmi elles, le fait que Jean Zay ait été le leader du radicalisme, courant politique tombé aujourd’hui en désuétude ; le fait que Jean Zay n’ait pas été reconnu comme un acteur majeur au sein de la Résistance ; le fait surtout que ses qualités personnelles et sa carrière politique brutalement interrompue auraient pu le destiner à terme à la Présidence du Conseil, étape suprême des parcours talentueux, ou interprétés comme tels, sous la troisième et la quatrième République.
53À l’inverse, nous avouons n’avoir pas toujours saisi les explications de l’auteur sur le regain d’intérêt pour l’œuvre de Jean Zay ces dernières années. Pourtant, il paraît possible d’en identifier les raisons : la pleine reconnaissance des crimes commis par les autorités françaises sous l’Occupation, le nouveau regard porté sur les réformes lancées à la fin des années 1930 dont certaines ont été reprises par le régime de Vichy et les gouvernements de la Libération. Enfin, sur un plan politique, il est permis de se demander si les partis de gauche ne cherchent pas en Jean Zay, brillant intellectuel entré en politique, une nouvelle figure tutélaire susceptible de rassembler leurs différents courants internes marqués par de fortes dissensions. Une éventuelle panthéonisation de Jean Zay dont l’historien, devenu un temps militant, défend avec vigueur cette consécration ultime, pourrait corroborer cette dernière hypothèse.
54Olivier Loubes, Jean Zay. L’inconnu de la République, Paris, Armand Colin, 2012, 288 p.
55Philippe Labastie
Marius Moutet en ses terres
56L’itinéraire de Marius Moutet a croisé celui de Jean Jaurès en un moment rendu célèbre par sa chronologie, puisque c’est à l’occasion de sa campagne électorale de 1914 dans le Rhône que le grand orateur socialiste a prononcé son dernier discours public en France, le 25 juillet 1914.
57L’ouvrage de Freddy Martin-Rosset est dédié au seul itinéraire drômois de Marius Moutet, élu député du département en 1929 et qui en fut ensuite sénateur de 1948 à sa mort en 1968. L’auteur, ancien journaliste, a gardé de son métier la plume alerte mais aussi quelques facilités d’écriture qui dénotent un peu dans un travail d’historien. Élu local lui-même, son livre est précédé d’une préface et d’un avant-propos de deux sénateurs PS de la Drôme, Jean Besson et Didier Guillaume. La restitution du parcours de Marius Moutet confine souvent à l’hagiographie, même si l’auteur n’est pas toujours dupe. Il révèle ainsi l’instrumentalisation de la presse locale par le vieux sénateur SFIO photographié en train de nager dans les eaux de Rhodia Plage en 1962, afin de montrer sa vigueur et sa verdeur face à ses détracteurs qui usent contre lui de son âge déjà avancé pour lui contester l’investiture socialiste aux élections sénatoriales (quatre ans avant le célèbre cliché de Mao !). Le plus discutable demeure le traitement plus que bienveillant réservé aux conceptions coloniales de Marius Moutet, qui n’étaient pourtant pas théoriquement concernées par la problématique de l’ouvrage, consacré à l’homme politique en ses terres drômoises. Plutôt que d’essayer de réhabiliter son action et sa pensée par le rappel du contexte de l’époque, l’auteur aurait pu davantage mettre l’accent sur les pratiques politiques de Marius Moutet, dont le parcours électoral se déroule sous les yeux du lecteur avec une profusion de détails mais de manière trop exclusivement chronologique. Son parachutage initial, sa stratégie d’implantation méthodique, ses difficultés à être investi par la fédération socialiste lors des élections sénatoriales constituent autant de cas extrêmement intéressants, plutôt bien retracés par Freddy Martin-Rosset, mais qui aurait pu rompre le film de la vie électorale de son héros et en proposer une étude plus thématique. Tel quel, son ouvrage permet toutefois de plonger dans les délices et les servitudes de la vie politique drômoise au cours du XXe siècle, dans le sillage d’un personnage peu commun et au caractère bien trempé.
58Freddy Martin-Rosset, L’itinéraire politique drômois de Marius Moutet, Paris, L’Ours, 2012, 535 p.
59Fabien Conord
Krasucki : indéfectible communiste, de la résistance au syndicalisme
60On peut, à la lecture de cette biographie d’Henri Krasucki, rester perplexe. Entreprenant la biographie du dirigeant cégétiste et communiste pour lequel il ne cache pas son admiration, l’auteur qui a milité dans les mêmes organisations a veillé à ne pas tomber dans l’hagiographie. Grosso modo, il s’y tient, tout au moins jusqu’à l’abord des années 1980. Le projet n’en soulève pas moins des questions, liées notamment au réemploi de matériaux constitués pour d’autres biographies ou autobiographies du même personnage. L’une d’elles porte sur le projet de Krasucki lui-même de recourir en 1991 à une autobiographie écrite avec des journalistes pour présenter sa vision politique face à celle que prône Georges Marchais. Très avancé, le projet est abandonné pour des raisons politiques. En 1997, Jérôme Pelisse réalise sur et avec Henri Krasucki un mémoire de maîtrise intitulé « Légitimation et disqualification du personnel politique ouvrier. Une sociobiographie d’Henri Krasucki ». Enfin, on ne peut s’empêcher de mettre en miroir cet ouvrage et le livre écrit par Ivan Jablonka sur ses grands-parents [5]. Autant dire que l’écriture biographique trouvait ici des pistes de réflexion que l’on aurait aimé voir développer, ou nourrir par une présentation plus explicite des sources.
61Pourtant, le livre intéresse, et cela tient à la richesse des sources mobilisées pour traiter d’un parcours remarquable qui porte irrésistiblement à méditation. Il met notamment l’accent sur l’enfance et la jeunesse d’Henri Krasucki, vécue dans le milieu d’immigrés juifs communistes ayant fui la Pologne de Pilsudski, travaillant dans la confection et installés à Belleville. L’empreinte initiale de cette zone des extrêmes mérite d’être soulignée. La séquence présente une entrée franche dans la société française, notamment par son école républicaine et par sa sociabilité populaire de quartier. Il met en même temps l’accent sur la vitalité juive, voire yiddish, de cette jeunesse parisienne et des premiers engagements adolescents, qui épousent ceux des parents. Mais, est-ce dû aux sources et notamment au poids de la mémoire ou plutôt un effet de la perspective résolument compréhensive adoptée par l’auteur ?, ce parcours fait ressortir l’intégration active de cette petite collectivité dans la société française là où le récit d’Ivan Jablonka met l’accent sur l’isolement subi et finalement fatal. À quinze ans, en 1939, le jeune Henri entre presque naturellement dans la section juive de la MOI des Jeunesses communistes. La bivalence se poursuit dans les débuts de l’Occupation. Christian Langeois détaille une activité de Résistance, précoce, rigoureuse et entière en même temps que familiale (ses deux parents militent eux aussi) dans ce réseau restreint qui a tant marqué le cours de l’histoire communiste à cette époque. Il retrace ensuite avec précision le parcours impressionnant qui passe par l’arrestation, les tortures, la déportation dans un camp annexe d’Auschwitz, Jawischowitz, avant les derniers mois passés à Buchenwald. Dans chaque épreuve, le jeune homme résiste, trouve la manière organisée pour le faire et assure souvent des responsabilités significatives.
62Pour évoquer la Libération, le livre est presque à son milieu. Âgé de vingt-et-un ans, Henri Krasucki est forgé. De ses deux parents, arrêtés et déportés eux aussi, seule sa mère reste en vie. De son identité juive, il n’est presque plus question pour plusieurs décennies. L’expérience le distingue des jeunes de sa génération et s’avère décisive chez cet homme qui n’aura somme toute été un ouvrier métallurgiste que deux fois deux ans, de 1939 à 1941 puis de 1945 à 1947, avant de devenir militant professionnel, dans la CGT. En fait, il cumule des activités syndicales et politiques, passe par l’école centrale du Parti communiste en 1949 et accède au milieu des années 1950 à des instances nationales de responsabilité dans les deux organisations. Au cours de ces années de lutte frontale, il semble faire partie des jeunes cadres activistes et radicaux du parti, à l’aise dans l’organisation des services d’ordre de manifestation comme dans l’écriture d’articles théoriques sur la paupérisation des salariés. Le primat communiste de son engagement lui vaut, en 1958, un conflit avec Benoît Frachon au Comité central du PCF lorsque la fédération des métaux CGT se rallie malgré le Parti à la politique contractuelle dans les grandes entreprises de l’automobile.
63La carrière se fixe durant la décennie suivante. En 1960, Krasucki remplace Gaston Monmousseau à la direction de la Vie ouvrière et devient le chef de file de la propagande syndicale. Il prend ce rôle à bras le corps, transforme le journal et prend une part directe à sa rédaction : on compte 579 articles de lui. Peu après, à l’occasion de l’arrivée de Waldeck Rochet à la direction du Parti, il se voit confier une responsabilité qui paraît singulière : celle de la politique culturelle et des relations avec les intellectuels. L’objectif est de tourner la page du divorce de 1956 entre le parti et ses compagnons de route et, au-delà, de solder l’époque stalinienne. De fait, Henri Krasucki prend part depuis plusieurs années au courant qui souligne la modernisation de la société française, lit beaucoup et ne cache pas son intérêt pour les questions théoriques. Sa loyauté sans faille rassure sans doute, pour ce chantier délicat. Il multiplie les initiatives et les rencontres et prend une part importante à la réorientation politique. Les arbitrages internes sont délicats, entre Aragon et Althusser, les compromis sont en réalité difficiles et Waldeck Rochet tient la bride serrée. Le résultat s’exprime au Comité central d’Argenteuil en 1966. Le livre ne dit pas ce qu’il en advient en 1968. Roland Leroy lui a alors succédé à cette responsabilité.
64Que pèse ce passage lors de la succession de Benoît Frachon à la tête de la CGT, en 1967 ? Krasucki devient l’équipier du nouveau n°1, Georges Séguy, et s’occupe de la politique revendicative au cours des années 68. La CGT semble alors devenir son ancrage principal. Il épouse néanmoins les orientations politiques du PCF du programme commun à la rupture de 1977, se montre réticent vis-à-vis de la CFDT. Il est l’homme du parti dans la direction, s’essayant même, un bref moment, à organiser des réunions des communistes du bureau confédéral. Lors du départ de Georges Séguy en 1982 et de son élection comme secrétaire général, il voit ressortir de façon peu amène l’image d’apparatchik dans les médias. Pourtant, il change. Lorsqu’en 1984, le Parti communiste entre en crise, que ses ministres quittent le gouvernement et que Georges Marchais engage une offensive contre celui-ci, Krasucki se démarque et prône une autonomie syndicale pour la CGT. Soumis à forte pression et à une tentative de déstabilisation par la direction du Parti, il fait front au Comité central, face à Marchais, à Viannet et à quelques autres. Menacé d’une éviction manœuvrière, il menace à son tour Marchais de tout « mettre sur la table » et sauve sa place. La CGT fait, cette fois, un pas vers l’autonomie, au prix de tensions personnelles jusqu’à son départ de la direction de la CGT, en 1992. Lorsque son détracteur Louis Viannet le remplace, le Parti communiste français a perdu quelques batailles de plus, celui de Russie a perdu le pouvoir. Henri Krasucki droit dans ses fidélités, reste communiste et ne quitte le Bureau politique qu’en même temps que Marchais, en 1994. Derrière certaines ressemblances entre ces deux parcours de dirigeants de même génération, le livre aura fait ressortir quelques irréductibles différences. Les modalités de leur voisinage dans le même parti peuvent encore gagner en lumière.
65Christian Langeois, Henri Krasucki, 1924-2003, Paris, Le Cherche-Midi, 2012, 364 p.
66Nicolas Hatzfeld
Mises au point sur François Mitterrand
67Guillaume Gros travaille sur les intellectuels et la politique au XXe siècle. Il a notamment déjà publié une biographie de Philippe Ariès aux Presses du Septentrion (2008), issue de sa thèse préparée à Sciences-Po sous la direction de Serge Berstein. Chez un petit éditeur du Centre-Ouest, Geste éditions, il publie après un François Mauriac cet essai biographique sur François Mitterrand, assez bref, mais très bien fait. Le principe de la collection est d’associer à de courts chapitres synthétisant le parcours du personnage étudié quelques « encadrés » faisant le point sur des questions particulières. C’est clair et net, et le lecteur curieux dispose d’indications bibliographiques suffisantes pour aller plus loin s’il le souhaite. L’auteur s’intéresse surtout au parcours intellectuel de son héros, au passage d’une culture fortement marquée à droite à une culture de gauche, et à ses principaux choix idéologiques et politiques. Sans doute l’histoire sociale est-elle du coup vite traitée, mais c’est aussi dans la logique des choix biographique et éditorial. Dans ce cadre, c’est précis et rigoureux, approprié à un public de jeunes étudiants ou de curieux souhaitant disposer rapidement de l’essentiel. Je ne discuterais guère que quelques formulations, telle celle de « revue interne du parti socialiste » (p. 19) pour L’Unité, hebdomadaire militant vendu en kiosque et sur les marchés. Pourquoi aussi ne pas dire que Marie-Louise Terrasse (pp. 19 et 28) est plus connue sous le nom de Catherine Langeais ?
68Guillaume Gros, François Mitterand, La Crèche (79260), Geste éditions, 2012, 184 p.
69Robert Lindet
Des regards d’historiens sur une figure de la gauche française
70L’ouvrage collectif que propose Noëlline Castagnez et Gilles Morin sur Pierre Bérogovoy est issu d’un colloque tenu en mai 2010 et se révèle très riche au-delà des apports sur la trajectoire politique d’un homme sur l’histoire de la vie politique et de la gauche française pendant près d’un demi-siècle. Les deux directeurs expliquent dans leur courte introduction que le projet est de s’intéresser à « Pierre Bérégovoy en politique et non au pouvoir » [6].
71La première partie analyse ses premiers engagements et sa culture politique. Antoine Rensonnet présente son apprentissage du métier politique comme militant de la fédération SFIO de Seine-Maritime. Michel Dreyfus présente son engagement comme syndicaliste Force Ouvrière en en soulignant l’importance et en signalant dans le même temps combien l’histoire de cette confédération syndicale reste encore connue trop partiellement. Noëlline Castagnez présente son rapport distant au communisme. Gilles Morin souligne son rôle au PSU tandis que Frédéric Fogacci analyse ses liens à Pierre Mendès France [7] et Laurent Jalabert le travail de Bérégovoy avec Savary puis Mitterand. Fabien Conord restitue sa difficulté à trouver un fief électoral avant le choix de Nevers et Matthieu Fulla restitue son intérêt pour les dossiers économiques à l’intérieur du parti socialiste et dans différents cénacles (comme pour son court passage au Conseil économique et social). Jean Vigreux suit Bérégovoy dans la campagne présidentielle de 1981 et Gilles Le Béguec décrit ses fonctions de secrétaire général de l’Élysée après la victoire de Mitterand. Les textes de la dernière partie sont un peu plus disparates même s’ils peuvent éclairer des aspects intéressants comme celui de Christine Manigand sur le rapport de Bérégovoy à la politique européenne.
72Pour finir, on relèvera l’étrange formulation du président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone qui signe l’avant-propos dans lequel il écrit :
« Pierre Bérégovoy ne siégea que peu de temps à l’Assemblée nationale : deux ans, de 1986 à 1988, puis de mars 1993 à sa mort. Pour autant, n’en doutons pas, Pierre Bérégovoy fut un grand socialiste. ».
74Noëlline Castagnez, Gilles Morin (dir.), Pierre Bérégovoy en politique, Paris, L’Harmattan, 2013, coll. « Cliopolis », avant-propos de Claude Bartolone, 237 p.
75Loïc Hanatrait
Un grand français libre
76Pierre Denis (1883-1951) est une figure bien oubliée [8] que nous propose de redécouvrir l’historien Philippe Oulmont, il le fait par un livre qui mêle avec bonheur travail d’érudition et maîtrise des enjeux historiographiques. Fils de l’historien ami des Tchèques Ernest Denis, Pierre Denis est lui aussi normalien et géographe avant de déserter l’Université pour travailler d’abord à la Société des nations puis dans le privé aux côtés de Jean Monnet. En 1940, il fait immédiatement le choix du général de Gaulle et il est alors chargé d’organiser les finances de la France libre.
77Personnage réservé, n’ayant pas laissé à proprement parler d’archives mais deux volumes de mémoires [9] et des publications, Pierre Denis semble d’abord une gageure pour son biographe. La ténacité de Philippe Oulmont démontre cependant tout l’intérêt historique à restituer la trajectoire tout à la fois classique et atypique de cet intellectuel que l’on retrouve souvent dans des engagements où on ne l’attendrait pas vraiment… Dès son introduction, Oulmont donne sans doute une assez juste clef de lecture de ce personnage qu’il va ensuite poursuivre :
« D’autres que lui, placés à peu près dans la même situation, ont eu une trajectoire plus brillante avec des responsabilités plus importantes ; aussi solide et sûr qu’eux, il n’avait pas le degré d’expertise d’un Alphand, le savoir-faire d’un Pleven, l’aplomb d’un Palewski, la technique d’un Diethelm, d’un Joxe ou d’un Massigli. Pas non plus l’ego d’un René Cassin qui fut un de ses amis les plus fidèles. Plus âgé que ceux-ci et peut-être d’une apparence plus intimidante, n’était-il pas aussi, d’une certaine façon, d’un naturel plus fantaisiste et non-conformiste ? »
79Pierre Denis naît dans un milieu bourgeois, protestant mais surtout intellectuel. Son biographe suit avec précisions son arbre généalogique et celui-ci croule sous les normaliens et les membres de l’Institut – élément renforcé par son mariage avec Jeanne Hatin apparenté aux Janet et aux Lacour-Gayet. Son père, Ernest Denis (1849-1921) est historien, patriote et défenseur des Slaves – sa correspondance avec des amis tchèques permet d’ailleurs de restituer la vie familiale et l’éducation de Pierre Denis. Le passage par l’école normale supérieure du fils réjouit le père, même si ce dernier s’inquiète parfois de son philo-socialisme [10]. Agrégé d’histoire en 1906, il est boursier de la Fondation Albert Kahn et fait durant les années 1907 et 1908 un formidable voyage autour du monde marqué en particulier par une découverte des Amériques. Il enseigne à son retour un an au lycée de Bar-le-Duc mais indéniablement avec sa formation et son voyage, il se passionne pour la géographie et soutient finalement sa thèse en 1920 sur la mise en valeur de l’Argentine. Entre temps, la guerre a constitué un choc dans son parcours. Mobilisé, il connaît le front d’Orient à Salonique. À la fin de la guerre, il ne peut retourner en Argentine pour achever sa thèse dans les conditions prévues et il part à Londres rejoindre la section politique du secrétariat général de la SDN, avant de devenir le collaborateur dans ce cadre de Jean Monnet. À partir des archives de la SDN et des papiers Mantoux, Philippe Oulmont donne un portrait vivant du travail de Pierre Denis dans cette nouvelle organisation internationale. La bonne entente entre Denis et Monnet semble forte puisque le premier décide de suivre le second dans le choix des affaires à la fin des années 1920. Le géographe se convertit alors à la banque et à la finance. Avec l’approche de la guerre, il continue de suivre Monnet cette fois au Comité de coordination franco-britannique. Le 20 juin 1940, il quitte la France sans sa famille pour Londres avec les Pleven et il est incorporé le 25 aux Forces françaises libres. Sur cette décision, le biographe s’interroge en montrant l’originalité de son profil parmi ses premiers Français libres. Il restitue ensuite avec précision son action d’« argentier des brigands », dimension souvent méconnue de la Résistance extérieure. Il en montre les différents voyages dans l’Empire, le travail à Alger et à Londres, les tensions et les difficultés. Proche à la fois de De Gaulle et de Monnet, Pierre Denis reste une figure étrange dans la vie politique de cette époque. Après la guerre, il reste actif pour les questions financières et s’attelle à des travaux d’écriture.
80On comprendra qu’au-delà de la rigueur et de la précision du travail du biographe, Philippe Oulmont s’est attaché à cette figure et sa conclusion lui restitue cette admiration :
« Entre de Gaulle et Monnet, toutes proportions gardées, Pierre Denis, patriote et citoyen du monde, fait un peu la jonction : il incarne à la fois l’ouverture cosmopolite et la culture française classique, la modération et l’intransigeance, les conceptions libérales et l’acceptation du dirigisme qu’ils partagent en des proportions variables. Peut-être a-t-il davantage que l’un et l’autre le sentiment de l’unité du monde, non seulement des structures et des mécaniques économiques, mais aussi des interdépendances humaines et écologiques. ».
82Philippe Oulmont, Pierre Denis, Français libre et citoyen du monde, Paris, Nouveau Monde éditions, 2012, 470 p.
83Alain Chatriot
Georges Pompidou : homme public, homme privé
84Des sept présidents de la Ve République, Georges Pompidou demeure le moins connu, pris entre son prédécesseur, Charles de Gaulle, dont le mythe sature la mémoire collective, et son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, toujours vivant et actif dans la construction de l’image qu’il laissera aux générations futures. Il n’en joua pas moins un rôle essentiel dans les débuts du nouveau régime et la lecture des Lettres, notes et portraits offre une excellente occasion de mieux appréhender la personnalité de ce chef d’État.
85L’ouvrage comporte près de 190 lettres et 35 notes pour la plupart inédites, 5 entretiens ou discours, de longs extraits des carnets personnels de G. Pompidou (d’avril 1950 à juillet 1953), 9 portraits rédigés en 1973 dans la perspective de la rédaction de ses Mémoires, 5 préfaces dont l’esquisse de celle à son Anthologie de la poésie française, les 2 comptes rendus des entretiens secrets avec les représentants du FLN en février-mars 1961, une cinquantaine de photos et de fac-similés de lettres (les légendes sont souvent trop succinctes) et le compte rendu rédigé par Édouard Balladur, secrétaire général de l’Élysée, du dernier conseil des ministres présidé par G. Pompidou, le 27 mars 1974. C’est Éric Roussel, le biographe de G. Pompidou, qui a sélectionné les documents en étroite collaboration avec Alain Pompidou qui livre là, en guise d’introduction (pp. 29-74), son premier témoignage sur son père, particulièrement éclairant sur la vie familiale et sur la maladie qui emporta le président le 2 avril 1974. Une longue préface d’Éric Roussel, des introductions à chacune des 11 séquences chronologiques choisies, de nombreuses notes de bas de page (parfois trop superficielles pour que le lecteur saisisse bien les enjeux) donnant des informations sur les personnes évoquées et un index des noms complètent l’ouvrage et en font un bon outil de travail, même si quelques fautes sont à signaler sur les noms, les dates – trois lettres au moins sont probablement mal datées – ou les fonctions des uns et des autres.
86Le but d’É. Roussel et d’A. Pompidou était de donner à voir « les fondements intellectuels » de l’action de G. Pompidou et « ses réactions affectives [… face aux] événements qui ont jalonné sa carrière ». Il est en bonne partie atteint et en fait une source exceptionnelle pour l’histoire politique bien que les critères de sélection des documents restent non expliqués et que le lecteur ne puisse s’empêcher de regretter que certains moments de la vie de l’ancien président aient été oubliés ou soient à peine traités.
87Les lettres adressées de 1928 à 1974 par G. Pompidou à son meilleur et plus vieil ami, Robert Pujol, sont une source particulièrement précieuse pour comprendre comment se bâtit la personnalité du futur président et comment elle évolua au fil des années. Récupérées par A. Pompidou auprès de Françoise Pujol, la fille de Robert, elles fournissent l’essentiel des documents pour la période allant jusqu’en 1944. On y voit un G. Pompidou brillant élève quoique assez dilettante (plusieurs lettres furent écrites pendant les cours de philosophie ou d’histoire qu’il goûtait peu) ; passionné de littérature, de théâtre, de cinéma (ce fut dans une salle du Quartier latin qu’en 1933 il croisa pour la première fois Claude Cahour, devenue son épouse en 1935) et de peinture ; très fier d’avoir quitté Albi pour Paris et assez condescendant sur « la vie de province » ; attiré par la politique : engagé un temps dans la mouvance de la SFIO, il fit le coup de poing contre les militants de l’Action française à l’occasion d’élections universitaires contestées en 1930 mais ne devint jamais un militant socialiste convaincu. Partisan de la République en ce qu’elle garantissait les libertés individuelles, viscéralement hostile à Charles Maurras et à Maurice Barrès (« Ça [Les Déracinés] ne m’a pas emballé. […] Il a raison au fond de montrer que la culture déracine mais précisément c’est son avantage, à mon humble avis, et rien n’est plus odieux que le particularisme. Le nationalisme me déplaît mais que dire quand il s’agit d’une province, d’un patelin ! ! ! », décembre 1930), il admirait Joseph Paul-Boncour plutôt que Léon Blum et plus encore Aristide Briand (« Je me demande comment on peut être nationaliste : je sais qu’on est poussé naturellement à cela (égoïsme), qu’il y a d’excellents arguments dans la doctrine d’AF mais tout cela n’était valable qu’avant 1914. L’exemple de la dernière guerre devrait faire comprendre qu’il ne faut à aucun prix d’une nouvelle guerre et, j’ose le dire, que j’aimerais mieux tout céder à l’Allemagne par exemple que d’engager la guerre », 21 mars 1931). Profondément individualiste, il n’avait pas la fibre militante et collective. Dès la seconde moitié des années 1930, il n’était à l’évidence plus socialiste sans que le livre nous permette hélas de comprendre comment se fit l’évolution, faute de lettres de 1935 à 1939 sauf deux en février 1936 et septembre 1938, centrées sur des questions privées.
88Quant aux rares lettres publiées pour la période 1940-1944, elles nous montrent un homme qui fit tout son devoir en 1939-1940 mais était devenu hostile au régime déchu (« la politicaillerie »), volontairement replié dans sa « tour d’ivoire », sans la moindre complaisance pour les nazis mais souhaitant qu’avant leur défaite, ils « auront assez esquinté les Russes pour que ceux-ci, même vainqueurs, nous fichent la paix », contre toute future « tutelle anglo-saxonne » mais pensant qu’« il faudra sans doute fusiller chez nous quelques communistes et on pourra reprendre une vie normale » (8 mars 1943).
89Dans ses lettres des années 1930 à Robert Pujol, une inquiétude perce constamment : ne pas « finir prof de 4e à Morlaix ou à Châteauroux, peut-être à Condom » (20 décembre 1930). Mais aussi la passion pour les arts : vivre dans « le beau », seul moyen d’échapper à la médiocrité de la vie quotidienne, à « l’encroûtement », à l’ennui. Si cette passion, partagée avec Claude Cahour, ne se démentit jamais jusqu’en 1974, la rencontre avec Charles de Gaulle en 1944 grâce à l’appui de René Brouillet, un ancien camarade de khâgne, ouvrit toutefois de nouveaux horizons dans la vie de G. Pompidou, sans que rien ne fût écrit à l’avance. « Il m’a donné ce que je n’avais pas, le goût de l’action, il m’a révélé à moi-même mes propres possibilités » (1973).
90L’ouvrage donne à comprendre l’ascension de G. Pompidou, ni militant ni élu mais « conseiller du prince ». Un conseiller tout sauf ambitieux et manœuvrier mais dévoué, modeste, travailleur, tout en ayant un fort caractère et capable de parler à l’Homme du 18-Juin avec une impressionnante franchise. D’où l’appel aux fonctions de directeur de cabinet en 1958 et de Premier ministre en 1962. Les lettres et les notes rédigées par G. Pompidou montrent sa fidélité absolue au gaullisme mais aussi son style propre, plus « modéré » (démission d’Antoine Pinay en 1960) et plus humain (refus de l’exécution d’Edmond Jouhaud en 1962 – mais pas de Claude Buffet ni de Roger Bontemps en 1971) que celui de Ch. de Gaulle, et son souci prioritaire de l’essor industriel dans un cadre néolibéral, plus préoccupé de réduire les « tensions du marché du travail » (le manque de main-d’œuvre impliquait selon lui des salaires trop hauts et un autofinancement des entreprises trop faible) que de mettre en œuvre la « participation » chère au chef de l’État mais laissant son Premier ministre « sceptique » (15 novembre 1964).
91Au fil des pages, on apprend beaucoup sur les goûts littéraires et artistiques de G. Pompidou, très éclectiques et sans cesse élargis. S’il plaçait La princesse de Clèves parmi les plus grandes œuvres littéraires – autres temps, autres mœurs –, il lisait aussi Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet. Il appréciait peu André Gide ou Jean-Paul Sartre mais avait lu avec intérêt tous les livres de Simone de Beauvoir. Un trait essentiel de sa personnalité transparaît tout au long des lettres : son élitisme. « Je suis un aristocrate, je me sens supérieur » (9 avril 1930). « On est normalien comme on est prince de sang » (1963). « Tout le monde me parle de la France et je ne pense qu’à elle. Mais croyez-vous que ce soit la préoccupation des Français ? […] Le rêve est l’apanage des dirigeants, et d’abord le mien, […] les Français attendent, eux, de l’action, mais de l’action qui leur facilite la vie plus qu’elle ne leur demande des efforts » (9 mars 1973).
92On apprend ou se voient confirmées plusieurs choses utiles sur la vie politique en 1952-1953 ; sur la guerre d’Algérie : pas d’idée d’indépendance chez Ch. de Gaulle avant 1959, même à terme et sans le Sahara, mais dès 1957, un rejet total de l’idée d’intégration si chère à Jacques Soustelle ; sur 1958 : jusqu’à début octobre, Ch. de Gaulle n’envisageait pas de se présenter à l’élection présidentielle ; sur l’affirmation de G. Pompidou comme chef du gouvernement ; sur ce qu’il est convenu d’appeler le tournant conservateur de sa présidence (par exemple, sa longue note sur les lycées en 1971).
93En revanche, l’ouvrage ne nous apprend rien ou presque sur plusieurs points importants. Curieusement, A. Pompidou commence son témoignage – intéressant et émouvant – sur le fait que ses parents allaient à la messe chaque dimanche. Or, aucun des documents sélectionnés ne témoigne d’une pratique religieuse intense ni d’une foi profonde, seulement d’une conscience que le monde sans Dieu qui émergea au XIXe siècle laissait les êtres humains dans un grand désarroi (long développement sur Baudelaire dans l’allocution du 27 mai 1967, lettre à François Mauriac du 21 mars 1969). Rien non plus sur ses rapports avec l’UNR. Rien sur les campagnes électorales qu’il dirigea personnellement à partir de 1967. Rien sur Jacques Chirac. Rien sur la banque enfin. Quelle fut la vie de G. Pompidou pendant les sept années où il dirigea la banque Rothschild ? Hostile à la corruption et à toute forme de pression, d’une honnêteté scrupuleuse, on sait que, comme Ch. de Gaulle, il ne fit pas fortune grâce à la politique. S’il voulut à partir de 1952-1953 « gagner de l’argent » selon sa formule, ce ne fut jamais pour l’amasser ni exercer son pouvoir sur les autres, mais pour le dépenser dans l’achat de livres, de disques et de tableaux, pour son plaisir et celui de ses proches. Il acquit cependant une grande compétence technique auprès de Guy de Rothschild, devenu un ami intime, et plus largement, une vaste culture économique ainsi que des réseaux de relations dans le monde des affaires. Mais de tout cela, on ne perçoit rien, sinon incidemment comme dans la lettre à Jacques Rueff (octobre 1973) où le président fait à celui qui lui a envoyé son dernier livre et qu’il appelle, non sans une discrète ironie, « Mon cher Maître », une petite leçon de finances internationales remettant le conseiller à sa place.
94Pour conclure ce compte rendu sur un livre toujours passionnant, parfois frustrant, quelques mots à propos du portrait de Jacques Chaban-Delmas que G. Pompidou dressa au printemps 1973 en vue de la rédaction de ses Mémoires.
« Il travaille peu, ne lit pas de papiers, en écrit moins encore, préférant discuter avec ses collaborateurs et s’en remet essentiellement à eux qu’il choisit bien. […] Ce qui m’inquiète […], c’est l’impression que je ressens d’un homme tout entier centré sur sa carrière et qui n’attache finalement que peu d’importance aux problèmes eux-mêmes. […] Il est malheureusement de ces hommes politiques (j’en connais peu d’autres) qui à longueur de semaines ne se préoccupent que des éditoriaux d’une douzaine de journalistes trop heureux d’être pris au sérieux ».
96L’exact contraire de G. Pompidou qui mit toujours un soin jaloux à séparer vie publique et vie privée. Si Ch. de Gaulle lui donna la passion du gouvernement des hommes, il demeura jusqu’au bout convaincu que le bonheur n’était pas une affaire publique. Seuls l’amour (beau texte de l’automne 1968 sur son épouse), la famille, les amis et les arts pouvaient faire oublier le caractère tragique de la vie.
97Georges Pompidou, Lettres, notes et portraits / 1928-1974, témoignage d’Alain Pompidou, préface d’Éric Roussel, Paris, Robert Laffont, 2012, 548 p.
98Gilles Richard
L’inconnu de Commercy
99Deux hommes politiques – et deux seulement, sauf erreur de ma part – présentent la particularité d’avoir réussi à être ministre sous tous les régimes qui se sont succédé en France au cours du XXe siècle : IIIe République, organes gouvernementaux de la France libre, GPRF, IVe République, Ve République. L’un d’entre eux est connu et célébré – monuments, voies publiques par milliers, établissements d’enseignement par dizaines, par centaines peut-être, et jusqu’à un aéroport international portant son nom et saluant sa mémoire : il s’agit, on l’aura deviné, de Charles de Gaulle (1890-1970).
100C’est exactement l’inverse pour l’autre, auquel la mémoire oublieuse et l’ingratitude de ses administrés n’ont pas réservé la même survie posthume. Ni collège ni salle communale au chef-lieu du département dont il présida pendant 28 ans le conseil général, la trace résiduelle que la toponymie locale lui ayant consenti se situant, c’est bien le moins, dans son bourg de naissance : le promeneur arpentant Gondrecourt-le-Château (Meuse) pourra effectivement y trouver une rue Louis Jacquinot (1898-1993).
101Julie Bour, qui achève une thèse sur ce méconnu, a tenté de comprendre les causes de cette dissymétrie. Elle fut – avec les universitaires Olivier Dard et Gilles Richard et la responsable des archives départementales de la Meuse Lydiane Gueit-Montchal – la maîtresse d’œuvre du colloque qui, en octobre 2011, réunit à Bar-le-Duc acteurs politiques meusiens, passés et présents, et historiens autour de la figure de Jacquinot. Ce sont les actes de ce colloque qu’ont publiés, dans le délai raisonnable de dix-huit mois, les Presses de l’université Paris-Sorbonne.
102Tout est sérieux, intéressant même dans ce recueil, rien n’y est révolutionnaire – qui s’attendrait au demeurant à une approche révolutionnaire de Jacquinot, à plusieurs reprises défini dans l’ouvrage comme « notable modéré » ? Sont soigneusement passés en revue les modes d’entrée, de stabilisation et d’ancrage de l’intéressé dans la carrière politique (il fut à onze reprises élu député de la Meuse), ses engagements partisans dans les microcosmes de la droite parlementaire, ses portefeuilles ministériels enfin qui, au sein de dix-neuf équipes gouvernementales, oscillèrent entre trois pôles : la Marine, les Anciens combattants, la France d’outre-mer (devenu sous le gaullisme DOM-TOM). Trois domaines d’action que les auteurs s’accordent à considérer comme secondaires – ce qui n’est évidemment pas faux, à ceci près que, nouvelle dissymétrie, les deux derniers de ces maroquins servirent de tremplin à un autre des serviteurs-clés du « Système » : un certain François Mitterrand.
103Ni homme d’État, ni grand amateur du jeu partisan, que faisait donc Louis Jacquinot dans le monde politique ? La réponse étonne, tant elle semble démodée : il faisait de la politique. Il lui fallait pour cela d’abord être élu : comptant successivement ou simultanément sur ses mentors, au premier rang desquels André Maginot, sur son influence comme président du Conseil général, sur ses relais, notamment dans la presse locale, sur ses hommes de confiance enfin, capables de toucher un électorat largement agricole et marqué par les deux guerres mondiales, il construisit une machine à gagner des élections qui fonctionna régulièrement, y compris dans les secousses de la IVe République, jusqu’à ce que, cinq ans après mai 1968, les réalités sociologiques et économiques eurent raison de la « politique de papa ». En 1973, la Meuse ne voulut plus de Louis Jacquinot ; Louis Jacquinot ne remit plus les pieds dans la Meuse.
104À dire vrai, le devenir du territoire qui l’envoyait siéger au Palais-Bourbon semble n’avoir jamais constitué une priorité de son action, ni même de l’image qu’il entendait donner de lui – ce qui affaiblit l’idée que Jacquinot puisse constituer l’archétype du « notable ». Représentant de la Nation, il s’intéressa au devenir de la Nation – non sans courage : il fut anti-munichois, de ce fait aussi minoritaire dans sa famille politique (qui fit une ovation à Pierre-Étienne Flandin après le télégramme de félicitations que ce dernier envoya à Hitler à cette occasion) que lorsque, quelques mois plus tôt, il avait suivi Paul Reynaud dans son approbation de la tentative Blum d’un gouvernement d’Union nationale destiné à symboliser la résolution de la France face aux agressions nazies.
105Absent de Vichy le 10 juillet 1940 – il se remettait d’une grave blessure – il n’eut, par définition, pas à se prononcer sur l’attribution des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Mais son pedigree résistant devint tel que de Gaulle put l’accueillir à Londres sans dommages au printemps 1943, puis lui confier en novembre de la même année le poste de commissaire à la Marine. Sous la houlette du général de Gaulle, Jacquinot occupa jusqu’à novembre 1945 ces fonctions, à laquelle ni son passé de vice-président de la commission parlementaire de l’armée (c’est-à-dire de l’armée de terre) ni son expérience d’officier d’artillerie ne l’avaient préparé.
106Il y mena sans timidité l’épuration d’un milieu largement associé à Vichy, y gagna sans doute aussi l’estime du chef du gouvernement. Grâce à elle, treize ans plus tard, il entama un parcours de serviteur du pouvoir gaulliste, d’abord comme ministre d’État sans portefeuille dans le gouvernement de l’après-13 mai 1958 – y jouant le rôle de caution républicaine aux côtés de Mollet, Pflimlin et Houphouet-Boigny – puis sans interruption durant le premier septennat de la Ve République, situation paradoxale s’agissant d’un homme guère plus favorable à l’indépendance algérienne que Michel Debré.
107Tout cela, le livre nous l’apprend, plutôt bien, de même qu’il nous le montre à voir grâce à des cahiers photo variés et stimulants, bien que truffés d’agaçantes erreurs de date. Ce qu’il ne nous dit pas, et qu’il faut lire entre les lignes des interventions des hommes politiques, du coup plus précieuses que celles des historiens, est que Louis Jacquinot était aussi, de notoriété publique, homosexuel. Sans doute se maria-t-il en août 1953 (dans la perspective de l’élection présidentielle de la fin de l’année, selon certains) avec la richissime Simone Lazard, veuve de Maurice Petsche et grand-mère d’Inès de la Fressange, pour le carnet rose. Ce n’est évidemment pas de ce dernier qu’il s’agit ici, mais d’une vraie question de sociologie politique : comment à la fois vivre la vie d’un homosexuel mondain et parisien, cultivé et ironique à en croire ceux qui parlent ici de lui en l’ayant connu, représenter à la Chambre puis à l’Assemblée la France rurale des années 1930 à 1970 (le député Mirguet qui fit voter en 1960 l’amendement classant l’homosexualité parmi les fléaux sociaux était comme Jacquinot élu de Lorraine), rester huit ans, sans zèle excessif semble-t-il, ministre d’un régime dont la bigote tante Yvonne était first lady ? Attendons de la thèse à venir de Julie Bour qu’elle nous en dise un peu plus sur le paradoxe d’une posture que semble résumer la carrière, longtemps confortable, de Louis Jacquinot : celle d’un professionnalisme politique distancié.
108Julie Bour, Olivier Dard, Lydiane Gueit-Montchal, Gilles Richard (dir.), Louis Jacquinot, un indépendant en politique, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2013, 300 p.
109Marc Olivier Baruch
Notes
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[1]
Complétées par celles de Pierre Mauroy, René Piquet, Jean-Louis Moynot et Louis Astre.
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[2]
Romain Ducoulombier, Camarades. La naissance du Parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010.
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[3]
Jean Charles, Jacques Girault, Jean-Louis Robert, Danielle Tartakowsky, Claude Willard, Le Congrès de Tours. Édition critique, Paris, Éditions sociales, 1980. Le texte de la motion d’adhésion, dont le titre et les signataires ont été remaniés (Loriot y est encore, mais pas en premier, mais Souvarine n’y est plus, sauf en annexe en fin de volume) a fait l’objet de polémiques parfois vaines qu’il est inutile de rappeler ici.
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[4]
Gérard Boulanger, L’Affaire Jean Zay : La République assassinée, Paris, Calman-Levy, 2012.
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[5]
Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête, Paris, Le Seuil, 2012.
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[6]
Ils rappellent d’ailleurs l’existence du volume collectif : Pierre Bérégovoy : une volonté de réforme au service de l’économie, 1984-1993, Paris, CHEFF, 1998.
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[7]
L’auteur cite une lettre de Bérégovoy à Mendès France du 1er juin 1981 : « Puis-je vous dire, cher président, que je mesure encore aujourd’hui tout ce que vous m’avez apporté. À vos côtés, dans les temps difficiles, j’ai appris qu’il ne fallait jamais désespérer pour peu que la clarté des opinions et la volonté dans l’action animent notre combat. Vous m’avez aussi donné la passion de l’économie et j’ai trouvé dans les entretiens que vous vouliez bien m’accorder le gout de l’analyse et d’un langage accessible à tous. » (p. 87).
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[8]
Ami proche de René Cassin qui lui rend hommage à plusieurs reprises, il est par exemple absent de la biographie récente consacrée à cette autre figure de la France libre : Antoine Prost, Jay Winter, René Cassin et les droits de l’homme : le projet d’une génération, Paris, Fayard, 2011.
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[9]
On sent à travers les citations qu’en fait Philippe Oulmont à la fois le caractère classique et en même temps fort intéressant de ces deux volumes méconnus : Souvenirs de la France libre, Paris, Berger-Levrault, 1946 et Les Métiers et les jours, Paris, René Juillard, 1951.
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[10]
Philippe Oulmont montre cependant que Pierre Denis reste à l’écart de tout réel engagement militant. Il note dans le même temps : « Jaurésien, Pierre Denis ? Oui, selon cette éthique qui le conduira sa vie durant, et nous essaierons de le montrer. » (p. 62). Le lecteur donne volontiers quitus pour sa démonstration à l’ancien secrétaire de la Société d’études jaurésiennes !