Couverture de CJ_175

Article de revue

Le Tarn et la loi de séparation

Pages 33 à 84

Notes

  • [1]
    Jean Faury, Cléricalisme et anticléricalisme dans le Tarn (1848-1900), Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1980.
  • [2]
    Le Cri des travailleurs, 25 juin 1905.
  • [3]
    L’Écho du Tarn, 25 mai 1905.
  • [4]
    Lettre de Rabaud à Pressensé le 15 juin 1903, citée par Maurice Larkin, L’Église et l’État en France. 1905 : la crise de la Séparation, Privat, 2004 (traduction), p. 123.
  • [5]
    La Croix du Tarn, 22 juillet 1906.
  • [6]
    L’Avenir du Tarn, 30 mars 1905, au lendemain de la mort de Barbey.
  • [7]
    Le Cri des travailleurs, 25 juin 1905.
  • [8]
    Cf. la thèse d’Henri Lerner, La Dépêche de Toulouse, publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1979.
  • [9]
    AD Tarn IV M2 93. Tableau des conseillers généraux en décembre 1904.
  • [10]
    L’Avenir du Tarn, 11 juin 1905.
  • [11]
    L’Émancipation du Tarn, 25 novembre 1906.
  • [12]
    AD Tarn, IV M2 89. Renseignements sur les groupes politiques du département.
  • [13]
    Ibid. IV M2 90 Accueillant Pelletan venu inaugurer la statue de l’amiral Benjamin Jaurès le 27 septembre 1903, Serres déclare : « Si je suis partisan des réformes qui peuvent améliorer le sort des travailleurs, je ne le suis pas moins de l’indépendance des chefs d’usines dans la gestion de leurs affaires, c’est à dire le respect de la liberté de direction et de l’autorité patronale, conditions indispensables au soutien de la lutte si âpre et si difficile des affaires industrielles. » La différence paraît millimétrique avec le discours des radicaux-socialistes…
  • [14]
    Rolande Trempé, Les Mineurs de Carmaux (1848-1914), Les Éditions ouvrières, 1971, t. 2, pp. 873-906.
  • [15]
    AD Tarn IVM2 88
  • [16]
    C’est ce qu’indique Jacques Castagné dans sa récente, et très fouillée, étude, La Franc-maçonnerie d’Albi (1743-2000), 2004, 600 p. Sur la loge de Castres, cf. Georges Alquier, La Franc-maçonnerie castraise de 1744 à 1914, Mazamet, 1938, 130 p.
  • [17]
    IV M2 95.
  • [18]
    AD IV M7 13.
  • [19]
    AD IV M2 88 rapport du 6 septembre.
  • [20]
    Un sous-officier retraité d’Arfons (village de la Montagne Noire) écrit le 10 juillet dans Le Cri que « le cléricalisme et la religion sont des choses distinctes ; le premier me paraît comme une lèpre […]. Quant aux religions, elles sont le réconfort des âmes en peine […]. Je leur dois le respect que méritent toutes les convictions sincères. »
  • [21]
    1er janvier 1905 (extrait de la brochure du sénateur de l’Ariège Delpech, Documents pour la propagande en faveur de la Séparation des Églises et de l’État).
  • [22]
    28 septembre 1903.
  • [23]
    Un effort, notamment par la presse, est nécessaire, écrit La Gazette (publication albigeoise, proche de L’Express) le 1er janvier 1905. Sinon ce serait « finis Galliae ».
  • [24]
    IV M2 88.
  • [25]
    Abbé J. Rivière, Gabriel Cazes (1847-1920), Albi, 1920.
  • [26]
    Lucien Coudert, sidéré de voir la Droite castraise créer une « Jeunesse Libérale », écrira dans L’Avenir du Tarn du 30 mars 1905 : « Vous nous avez ravi La Marseillaise […]. Vous avez la hardiesse, aujourd’hui, de vous réclamer des principes immortels de la Révolution. Jusques à quand votre cœur balancera-t-il entre le Syllabus et le libéralisme ? »
  • [27]
    Xavier et Amédée sont au comité directeur, Xavier est un des deux secrétaires : AD Tarn IV M2 88, rapport du commissaire spécial 8 mai 1903.
  • [28]
    Pour tout ceci cf. IV M2 88, 89 et 90.
  • [29]
    Selon L’Écho du Tarn, repris par La Semaine religieuse.
  • [30]
    Bruno Dumons, « Mobilisation politique et ligues féminines », xxe Siècle, n° 73, janvier-mars 2002 pp. 39-50. Plus que la « souffrance qui les atteignait dans leur foi », due à la politique anticongréganiste de Combes, la motivation des adhérentes de la ligue semble être ici tout simplement l’attachement au catholicisme, bien encadré par les Reille et le clergé. Il est évident en tout cas que ce fut là une grande première et une prouesse : structurer politiquement autant de femmes, non encore électrices, était à l’époque hors de portée de la gauche. Et il n’est pas sûr que le Sud du Tarn ait à l’heure actuelle autant d’adhérentes, dans l’ensemble des partis !
  • [31]
    L’Écho du Tarn, 9 février.
  • [32]
    Où elle est toujours, malgré les demandes faites par le sous-préfet de Castres, dès 1909, de l’enlever.
  • [33]
    10 mai 1903.
  • [34]
    Rolande Trempé, op. cit., pp. 763-770, et AD Tarn IV M2 88 : en mars 1903, « Le syndicat jaune n’est qu’une sorte de groupement politique au service du marquis de Solages. »
  • [35]
    Xavier Reille à Castres le 12 février 1905 : « Nous devons nous efforcer par les moyens légaux (d’établir) une véritable constitution, non seulement dispensatrice des pouvoirs, mais aussi gardienne des principes essentiels. »
  • [36]
    Rouvière, industriel, appartient à l’Église libre où il a des responsabilités nationales (il préside le « comité auxiliaire des Missions »). Son « comité conservateur » est décrit en 1903 comme « sous la dépendance des Reille ».
  • [37]
    AD II M7 95, rapport du 22 février 1904.
  • [38]
    Sur Mignot, voir notamment : Louis de Lacger, Mgr Mignot, Bloud et Gay, 1933 et Louis-Pierre Sardella, Mgr Mignot et la pacification des rapports État-Église, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., pp. 33/50. La magistrale étude que vient de publier L.P. Sardella, Mgr Eudoxe Irénée Mignot, un évêque français au temps du modernisme, Cerf, 2004, 743 p., porte surtout sur sa conception de l’Église, ses idées philosophiques et théologiques, son intérêt pour l’exégèse et ses rapports avec Loisy.
  • [39]
    Gustave Combès, L’abbé Louis Birot, Albi, 1947, 494 p.
  • [40]
    Jacques Gadille, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 79.
  • [41]
    AD IV M2 92.
  • [42]
    Elle existe toujours (ICSO) et imprime Le Tarn Libre, nouveau nom pris par Le Journal du Tarn en 1944. Sur l’aventure de la fondation de l’ICSO, cf. Philippe Bloqué, 1903, Une imprimerie coopérative albigeoise, Albi, ICSO, 2003.
  • [43]
    Ibid., 1 J 617/3 documents sur l’ACJF.
  • [44]
    Françoise Chabbert-Gounelle, L’Action catholique dans le département du Tarn (fin xixe-début xxe s.), maîtrise, Toulouse-Le Mirail, 1971.
  • [45]
    AD Tarn IV M2 88.
  • [46]
    AD Tarn IV M2 88.
  • [47]
    12 avril 1905 lors de la mort d’Alibert, un pharmacien radical d’Albi, maire en 1896-97, ancien Vénérable. Obsèques civiles. Mais « à l’encontre de beaucoup de ses coreligionnaires, il était serviable, ennemi de la violence. »
  • [48]
    AD Tarn 3V 19 rapport du 26 juillet.
  • [49]
    À Valence d’Albi, Journal du Tarn 21 avril 1904.
  • [50]
    Ibid IV M2 88.
  • [51]
    12 janvier 1902.
  • [52]
    AD IV M2 90, 16 mai 1903.
  • [53]
    Philippe Nélidoff, « Le Clergé et les fidèles du diocèse d’Albi au temps de la Séparation », in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 52.
  • [54]
    AD Tarn, IV M2 93 La Gazette du Tarn l’appuie et « le jeune Pigasse » sert de relais entre Albi et Toulouse.
  • [55]
    L’Avenir du Tarn, 23 mars.
  • [56]
    Journal du Tarn.
  • [57]
    Journal du Tarn, 3 juin.
  • [58]
    Cf. Lucien Coudert dans L’Avenir du 2 juillet : Vaissière, chef de la Jeunesse Libérale de Castres, ferraille avec Guy, resté « royaliste fervent ».
  • [59]
    JdT, 26 avril.
  • [60]
    Avenir, 18 mai.
  • [61]
    AD Tarn IV M2 93 ; Avenir, 4 juin ; Cri, 11 juin. L’Union laïque aura 608 membres en 1906 (Avenir, 15 avril).
  • [62]
    AD Tarn II M4 24, JdT, 14 juin. Dans Le Cri du 25 juin, Jaurès écrit que « la victoire de Vieu est un signe d’espoir pour la Séparation ».
  • [63]
    L’Écho du Tarn, 6 juillet.
  • [64]
    Ibid., 20 juillet.
  • [65]
    Cri, 3 septembre.
  • [66]
    Cri des 17 septembre, 24 septembre, et 1er octobre. Jaurès est à Valdériès le 11 septembre, à Valence d’Albigeois le 17 septembre, à Pampelonne le 22 septembre, à Monestiès le 27 septembre.
  • [67]
    C’est le point de vue du pasteur de Puylaurens, Louis Fosse, plus proche là de l’ALP que du Bloc. Émile Jolibois, le pasteur d’Albi, co-fondateur de la section albigeoise de la LDH est beaucoup plus confiant envers la loi.
  • [68]
    AD Tarn IV M2 93, rapport du commissaire de police d’Albi le 14 novembre.
  • [69]
    Cité par L’Écho du Tarn, 17 décembre 1905. Discours de Piou au congrès de l’ALP à Paris (14-17 décembre).
  • [70]
    Sur tout ceci, cf. Combès, op. cit., pp. 205-215.
  • [71]
    AD IV M2 89, coupure de La Croix du 12 janvier 1906.
  • [72]
    Jean Marie Mayeur, La Séparation des Églises et de l’État, Les Éditions ouvrières, 1991, p. 94. La presse tarnaise évoque ce rôle de la baronne, qui « a dirigé le concert d’indignation des preux de l’aristocratique faubourg St Germain », Avenir, 22 février.
  • [73]
    Sur tous les inventaires, abondante et riche documentation dans la série V des AD du Tarn : de 2 V6 à 2V26.
  • [74]
    Mayeur, op. cit., p. 112.
  • [75]
    IV M2 93 dans une lettre du 31 mai à son « cher ami » le commissaire spécial d’Albi, il écrit : « Que le diable les emporte tous ! Il me tarde de m’en aller d’ici. »
  • [76]
    La fréquence de l’insulte « fainéants » est classique dans le milieu ouvrier mazamétain : cf. les travaux de Rémy Cazals. Les montagnards habitant au-dessus de Mazamet sont très souvent ouvriers dans les ateliers de la vallée de l’Arnette, au pied de leurs villages. Un des rapports du sous-préfet signale qu’ils ont quitté leur travail le jour de l’inventaire.
  • [77]
    Le mépris pour les ruraux non francophones est caricatural. C’est presque le ton d’un gouverneur colonial. Le sous-préfet de Castres, en tout cas, a compris la détermination de certains manifestants. Il pense que cela pourrait être pire qu’« en Haute Loire ou en Ardèche ». Le préfet suivra son point de vue là-dessus dès le 1er mars.
  • [78]
    C’est le seul cas cité d’irruption de manifestants cachés et armés. Cas très répandu en Haute Loire et Ardèche.
  • [79]
    Curé de La Platé (Castres). Le percepteur est menacé d’excommunication à Montans (Gaillac). Le curé des Avalats reproche au receveur de ne pas avoir le courage de démissionner. Celui de St Jean d’Armissard (Lisle) déclare avoir déposé pendant la nuit les « vases sacrés près de son chevet » et qu’« avant de les avoir il faudrait lui prendre la vie ». Le curé de Lasgraïsses parle des « Judas qui vous envoient ».
  • [80]
    « Il est possible que vous souffriez comme nous », lui dit le desservant de St Pierre de Conils (Réalmont).
  • [81]
    À Virac (Monestiès). Et aux Cabannes, près de Cordes : « Vous avez la force, nous avons le droit. »
  • [82]
    Il s’agit des paroissiens de Caussanel (canton de Valdériès), qui ont pensé cela, selon leur curé, lorsqu’étant allés à Albi, ils ont vu vendre sur la place publique le mobilier des religieuses chassées de leur village.
  • [83]
    En ruinant les fournisseurs d’églises en statues, etc. Le thème est assez souvent évoqué dans la presse cléricale.
  • [84]
    Les journaux cléricaux les plus dénoncés sont L’Union Libérale de Mazamet, et L’Express du Midi (Toulouse). Dans plusieurs articles de la presse anticléricale, les mises en cause des Reille exploitent le passé de leur famille : le maréchal Soult, leur arrière-grand-père, avait spolié les églises en Espagne, et revendu ensuite en France des Murillo, Velazquez, Zurbaran, etc. La fortune des Reille vient en partie de là. Voilà donc des profiteurs de spoliations qui se permettent d’accuser les doux républicains de 1905 d’être des spoliateurs ! Cf. notamment Avenir, 22 février 1906.
  • [85]
    Dans deux cas (St Amancet et St Avit, dans le canton de Dourgne) le curé est seul devant l’église pour en bloquer l’accès.
  • [86]
    Ceci au delà des cas où le receveur estime que le curé masque ses sentiments en disant que ce sont les fidèles qui l’empêchent d’ouvrir la porte. Le curé accueille parfois les agents de l’administration avec une déférence que ceux-ci jugent « obséquieuse ».
  • [87]
    Le fils de l’amiral, Auguste Jaurès, est à cet instant aux côtés du curé. Bien entendu le curé est ici ravi de montrer que le fils d’un homme qui avait tant fait pour rallier la population des campagnes au vote républicain est adversaire de la politique du Bloc.
  • [88]
    C’est précisément en 1905-1906 que le « petit train » parti de Castres commence à pénétrer la montagne.
  • [89]
    L’Émancipation, 2 décembre 1906 (« vendu à Guillaume II »).
  • [90]
    La campagne a été très dure à Carmaux. Le matin du vote, les troupes du marquis de Solages ont envahi la mairie pour « surveiller » le scrutin (on prétendait que le scrutin de 1902 avait été truqué). Jaurès doit calmer les socialistes, prêts à la bagarre. Le maire fait appel au préfet, qui envoie une compagnie du 143e R.I. qui fait évacuer la mairie. Le scrutin est ouvert à 12 h 40.
  • [91]
    Saluant la victoire des Reille dans le Tarn, le P. Vincent de Paul Bailly, assomptionniste, écrit à son frère Emmanuel : « et cependant l’archevêque est Mgr Mignot. » On appréciera la charité du propos ! L’ancien directeur de La Croix note aussi que dans beaucoup d’autres régions « on a eu trop souvent des espérances établies sur des alliances avec le démon » : comme à Gaillac ? (cité par M. Larkin, op. cit., p. 173).
  • [92]
    Pour la réintégration de Dreyfus, il ne prend pas part au vote.
  • [93]
    Croix du Tarn, coupure in IV M2 93.
  • [94]
    Cité par J. Gadille, L’abbé Louis Birot, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 73 (lettre à l’abbé Frémont, 7 septembre 1906).
  • [95]
    Violette Méjan, La Séparation des Églises et de l’État, PUF, 1959, pp. 337-345.
  • [96]
    Le 2 septembre.
  • [97]
    Avenir, 20/9, Cri 23/9, L’Émancipation oppose « catholiques français » et « catholiques romains ».
  • [98]
    À Roquecourbe, il faut 1 h 1/2 pour enfoncer la porte de l’église, « en cœur de chêne ».
  • [99]
    Le plus émouvant est celui de Lamontélarié : « tout jeune, surexcité, il ne répond à aucune question. Quand je veux passer la grille du chœur, il me barre le chemin. Je le prends par le bras et l’oblige à laisser le chemin libre » (rapport du commissaire).
  • [100]
    À Lasfaillades le curé « semble avoir peur des troupes ».
  • [101]
    AD IV M2 94, 7 décembre.
  • [102]
    Avenir, 20 décembre 1906.
  • [103]
    Cité in Pierre Louis Sardella, loc. cit., p. 44. En 1909, il avait écrit à Mgr Lacroix : « La devise du pape Instaurare omnia in Christo se ramène à Instaurare omnia in praepotentia papali. »
  • [104]
    Dans une lettre à l’abbé Frémont du 12 décembre 1908, l’abbé Birot indique qu’en 15 ans, dans la paroisse de Ste Cécile à Albi, le « mouvement religieux » a diminué d’un tiers (Violette Méjan, op. cit., p. 310).
  • [105]
    2 décembre 1906.
  • [106]
    Les premières colonies de vacances qu’ait eues le Tarn apparaissent pendant l’été 1906 et elles sont créées par le clergé. Les patronages ont aussi un grand succès, accueillant même des enfants des écoles publiques. Il faudra que les « laïques » s’y mettent ! Cf. Chabbert-Gounelle, op. cit.
  • [107]
    Cité par Daniel Loddo, St Amans les deux villages, La Talvera/Édicopie, 1990, p. 262.
  • [108]
    Voix de la Montagne, 15 juin 1905, 15 juin et 1er décembre 1906.
  • [109]
    Dans son discours à la distribution des prix des écoles de Castres en 1904, Jaurès évoque les travaux de Loisy. On relira avec fascination le discours du 13 novembre 1906 à la Chambre, où Jaurès explique ce que l’Église aurait dû faire et dire… sur l’égalité entre les hommes, sur la mort…
  • [110]
    Il pense alors à l’attitude de la CGT envers le Parti socialiste (interdiction aux militants syndicalistes de briguer un mandat politique).
  • [111]
    L’Émancipation, 6 janvier 1907.
  • [112]
    Cri, 23 septembre, 7 octobre, 14/ octobre. M.L. Paturel est « ex-directrice » de l’école libre de St Priest-Taurion (Haute Vienne). La Voix de la Montagne du 15 octobre parle de « Mlle Paturel ». Marie-Louise Paturel veut que « le prêtre cesse d’être le maître mystérieux de nos familles, l’amant invisible et mystique de nos femmes ». « Il faut que la femme sache bien comprendre que tout le danger réside dans sa fréquentation avec le curé au confessionnal. » Lors de cette conférence, le fondateur de la section mazamétaine de la Ligue des Droits de l’Homme, Gaston Cormouls-Houlès, est assesseur du président de séance, Lefebvre, président du groupe Ernest Renan (Libre Pensée).
English version

1Comment les habitants du département de Jean Jaurès ont-ils débattu du projet de loi et comment ont-ils réagi en 1906 aux débuts de son application ?

2Le Tarn comptait 332 093 habitants au recensement de 1901, soit 31 000 de moins qu’en 1851 : la présence de villes notables (Castres 19 483 habitants, Albi 14 951, Mazamet et Carmaux environ 11 000) ne suffit pas à drainer le flux de population quittant les campagnes, qui part aussi vers le Bas Languedoc ou Toulouse. La population reste à majorité rurale. Géographie et histoire font apparaître une juxtaposition de zones fort diverses : la moitié Est, montagneuse, pauvre, est attachée aux traditions religieuses, surtout au Sud Est, la partie où les protestants sont nombreux et où, par contrecoup, les catholiques s’étaient montrés rapidement hostiles à la Révolution et en avaient conservé au xixe siècle un comportement politique conservateur. À Mazamet, les ouvriers de la laine, en majorité catholiques, votent pour le baron Reille, et s’opposent à des patrons protestants votant républicain.

3À Carmaux, au Nord du département, les choses sont plus classiques : les mineurs, d’origine catholique mais en rupture très majoritaire avec l’Église, s’opposent au marquis de Solages, maître de la Société des Mines. Au Nord Ouest, l’arrondissement de Gaillac est marqué par la viticulture et l’esprit « petit propriétaire ». Le ralliement à la République y fut rapide et la pratique religieuse y est faible, sauf dans l’extrémité Ouest (Rabastens) où l’autorité des châtelains demeure, tout comme dans le Vaurais (région de Lavaur) au Sud Ouest. Dans ces zones de collines, proches de Toulouse, métayers et salariés agricoles gardent quelque révérence envers le noble et le curé, mais certains ont commencé à prendre leurs distances : depuis 1881, l’arrondissement de Lavaur, tout en conservant une pratique religieuse élevée, a le plus souvent un député républicain. En 1902, il s’agit du radical Émile Compayré, frère de Gabriel, son prédécesseur de 1881, auteur d’un manuel scolaire contre lequel le clergé s’était déchaîné en 1883 [1].

4Au début du xxe siècle, le Tarn est majoritairement républicain, mais de peu. À cause de la moitié Est et surtout du Sud Est (son pays natal), Jaurès sait que son département est « plus accessible que l’ensemble de la France aux influences cléricales [2] ». L’impact de l’affaire Dreyfus y a été relativement moins vif qu’ailleurs. Les ligues nationalistes y ont peu d’impact. Le clivage cléricalisme/anticléricalisme y reste essentiel.

5Le Tarn compte 6 circonscriptions électorales. En 1902, 4 vont aux partisans du Bloc : Jaurès (qui retrouve, avec seulement 390 voix d’avance, le siège de Carmaux perdu en 1898) ; trois radicaux : Compayré, élu à quelques voix près ; Andrieu, élu avec 55,4 % des suffrages dans la circonscription d’Albi, ville dont il est maire ; Gouzy dans l’arrondissement de Gaillac, réélu de justesse contre un républicain modéré appuyé par la Droite. Le Sud Est est le fief des frères Reille, « réactionnaires ».

6Quel est le contexte politique à la veille du débat sur la loi de Séparation ? De quelles forces dispose chacun des deux camps qui se disputent sur ce qu’est l’Église et ce que doit être sa place en France ?

Les anticléricaux

7Le préfet du Tarn, depuis le 23 février 1900, est Ferdinand Phélut, considéré par l’opposition comme le coordonnateur du « bloc maçonnique » dans le département. Nous ignorons s’il était maçon. En revanche, nous savons qu’il participa en 1904 au congrès international de la Libre Pensée à Rome. Phélut pratique rudement les pressions administratives. Lorsqu’il sera muté en Corse en mai 1905, la presse anti-Bloc se réjouira (« quiconque n’était pas combiste était par lui considéré et traité comme un ennemi »), et indiquera que, quoiqu’étant « au service des radicaux et des socialistes, il n’avait point leur sympathie. Il lui manquait la manière. Il lui manquait à peu près toutes les qualités nécessaires à un préfet [3] ».

8Au-delà du rôle du préfet, sur quel secteur de l’opinion publique peut s’appuyer le gouvernement du Bloc des gauches ?

9Et d’abord quelle est l’attitude des protestants tarnais, soutiens traditionnels de la République ? Constituant moins de 4 % de la population du département, mais 11 % de celle de l’arrondissement de Castres, ils sont nombreux à Mazamet (30 %, beaucoup plus qu’à Castres : 4 %), et sont même majoritaires dans cinq communes de la montagne, dont la bourgade de Vabre (67 %).

10Les exemples de protestants favorables au bloc sont légion. Il s’agit essentiellement de membres des églises « libérales » (majoritaires dans les villes de Castres et de Mazamet). Beaucoup (la plupart ?) des militants de la Libre Pensée ou du parti socialiste à Mazamet sont d’origine protestante mais en rupture avec la foi de leurs pères. Les protestants restés croyants, même s’ils votent radical, peuvent s’inquiéter d’une évolution trop « libre penseuse » du gouvernement. Le pasteur Camille Rabaud, de Castres, reproche au projet de Séparation de Francis de Pressensé, en 1903, d’être trop dur envers les Églises [4].

11Ces inquiétudes sont fortes surtout chez les membres des églises évangéliques (« orthodoxes »), majoritaires dans la montagne, ou dans les églises « libres ». On est là en général proche des républicains modérés.

12Il serait en tout cas inexact de considérer « les protestants » comme un point d’ancrage massif pour la politique du Bloc. Du reste la presse « cléricale » n’utilise pratiquement jamais la thématique anti-protestante pour s’opposer à la politique de Combes (sauf éventuellement pour accabler le “huguenot” Pressensé [5]), alors que l’anti-protestantisme avait été très présent dans le discours anti-laïque des années 1880.

13Parmi les forces politiques soutenant le Bloc, les « républicains de gauche » sont difficiles à cerner précisément, mais leur apport de voix, dû notamment à la notoriété de certains de leurs chefs, est un élément essentiel pour que les partisans du Bloc aient la majorité aux élections.

14Parmi ces républicains modérés pro-Bloc, on citera un cousin éloigné de Jean Jaurès, Auguste Jaurès, un médecin apprécié de longue date, adjoint au maire de Dourgne, berceau de la famille Jaurès.

15Le plus important des notables républicains modérés est le sénateur Édouard Barbey, longtemps maire de Mazamet, puis président du Conseil général du Tarn (1883-1904), ministre de la marine à trois reprises entre 1887 et 1892. Protestant de l’Église libre, il s’était inquiété de la montée du radicalisme dans les années 1890 et avait apaisé ses relations avec le baron René Reille, bonapartiste au départ, mais « rallié » après 1892. C’est lui qui dès la fin des années 1880 avait regretté que le jeune député républicain Jaurès, élu au scrutin de liste en 1885, « prenne une couleur bien vive ». Cependant, après la mort de René Reille en novembre 1898, Barbey était revenu à des positions plus à gauche : les fils Reille contrôlaient désormais deux circonscriptions (Mazamet et Castres) et l’affaire Dreyfus révélait à quel point le « ralliement » de certains était des plus douteux. Vice-président du Sénat en 1901, Barbey entre dans la logique de la « défense républicaine ». Aux législatives de 1899 (après le décès de Reille père) et de 1902, il soutient une opération qui faillit réussir : présenter à Mazamet un candidat qui était un riche industriel catholique et républicain modéré : Galibert-Ferret. Ces caractéristiques pouvaient attirer la partie la plus modérée de l’électorat d’Amédée Reille. Galibert-Ferret fit le meilleur score jamais obtenu par un républicain, mais échoua. Quant à Barbey, à cette date, il est perçu par le journal radical de Castres L’Avenir du Tarn comme s’étant « complètement rapproché du parti radical du Tarn [6] » : il a renoncé à la présidence du Conseil Général, laissant la place (août 1904) à un radical, Savary, sénateur depuis 1898. Jaurès déclarera en juin 1905, lors de l’élection sénatoriale partielle destinée à pourvoir le siège de Barbey, décédé en mars, que celui-ci « aurait vraisemblablement refusé son vote à la Séparation [7] ».

16Les radicaux (souvent des « radicaux-socialistes ») ont une position dominante dans l’arithmétique électorale du Bloc tarnais. 18 des 36 cantons du Tarn sont représentés au Conseil Général par des radicaux. La structure du parti est cependant modeste : des comités électoraux, mais peu de réunions régulières. La presse est un puissant moyen d’action : bi-hebdomadaires ou hebdomadaires au niveau des arrondissements, même lorsque leur titre évoque le Tarn : ainsi pour L’Union Républicaine du Tarn, titre apparu en 1848 à Albi, repris sous la IIIe République, gambettiste puis radicale à partir des années 1890. Ou pour L’Avenir du Tarn à Castres (devenu radical alors qu’il était « républicain conservateur » en 1896). Gaillac a deux publications radicales, Le Réveil gaillacois et Le Républicain de Gaillac. Lavaur a L’Avant-garde républicaine de Lavaur.

17Mais le principal appui des radicaux est plus que jamais le grand quotidien toulousain La Dépêche. Ses correspondants locaux jouent un grand rôle. Un candidat radical a peu de chances d’être élu sans l’appui du journal d’Arthur Huc [8]. Les ventes de La Dépêche (plus de 2 000 exemplaires sur la seule ville d’Albi) excèdent très largement celles des titres locaux (qui tirent le plus souvent à moins de mille exemplaires).

18Le principal dirigeant du parti est le sénateur Hippolyte Savary, de son vrai nom Gay de Savary (il masquait l’appartenance de sa famille à la noblesse). Avocat, homme d’allure sévère, voire hautaine, il a été à plusieurs reprises vénérable de la loge d’Albi.

19Les autres dirigeants importants sont les maires d’Albi et de Castres, tous deux avocats et francs-maçons, Édouard Andrieu et Louis Vieu. Et le député de l’arrondissement de Gaillac, Paul Gouzy, petit-fils d’un conventionnel régicide. Esprit brillant, polytechnicien, officier d’artillerie revenu au pays mais considéré presque comme un « homme du Nord », froid et distant. Il rejette toute démagogie, cherche à convaincre plus qu’à séduire. Dans chacune de ses campagnes électorales, il insiste sur la nécessité de la Séparation. À la Chambre, il est spécialiste des questions militaires. Dans l’arrondissement de Lavaur, si Guiraud se contente de la mairie du chef-lieu, le député Compayré manque de charisme et est contesté par un jeune et riche industriel de Graulhet, Morel, conseiller général [9].

20Le recrutement social du radicalisme tarnais n’a rien d’original par rapport au reste de la France. On notera la place de la jeunesse parmi les militants ou les journalistes et l’influence acquise dans les associations d’anciens élèves des écoles laïques, ou dans celle des anciens élèves du collège de Castres. Dans cette ville, le jeune Lucien Coudert, à 18 ans, entame une carrière politique qui s’achèvera, de 1953 à 1971, à la tête de la mairie. Apprenti franc-maçon et futur avocat, il polémique avec la droite dans L’Avenir du Tarn avec une verve inouïe, passant parfois à l’insulte, écrivant que son adversaire de la jeunesse reilliste est un « ouistiti libéral », une « créature bestiale, vivante preuve de la justesse des théories darwiniennes », « un génie de la laideur et de la bêtise descendu sur terre ». Coudert dirige activement la « Jeunesse républicaine » qu’il réussit à faire essaimer dans des villages comme Vielmur, Les Cammazes, Arfons [10]. Il fondera en septembre 1905 son propre hebdomadaire, L’Émancipation tarnaise, qui deviendra en 1906 L’Émancipation du Tarn.

21Les thèmes développés par les radicaux se confondent avec ceux du Bloc en général, qu’on évoquera plus loin. À noter que les thèmes anti-nobiliaires semblent plus fréquents que chez les socialistes. Coudert par exemple se déchaîne contre « Messire de Foucaud », conseiller général de Lautrec, demeurant au château des Ormes, descendant d’une famille italienne venu en France au service de la croisade contre les Albigeois, « fait seigneur par Simon de Montfort », « tyran dans son fief héréditaire [11] ».

22Les socialistes ont une implantation encore faible dans les campagnes, voire nulle. Mais ils sont globalement en progrès. Ils n’ont qu’un seul conseiller général, celui de Carmaux, Soulié.

23En 1903, le groupe de Castres a 70 membres, celui de Mazamet, le « Cercle de l’Union socialiste » en a 100 et se réunit deux fois par mois [12]. Le socialisme est implanté depuis longtemps dans le petit centre industriel (mégisserie) de Graulhet, où le maire, Serres, est un socialiste, fort modéré [13]. Les groupes socialistes existent à Gaillac, vers Cordes (Les Cabannes), à Albi et alentour (Arthès).

24Carmaux est le « cœur de la Fédération d’Unité socialiste du Tarn » (Rolande Trempé [14]), créée fin 1898, indépendante des divers partis socialistes. Le journal de la fédération, Le Cri des travailleurs, est imprimé à Carmaux. Le maire de Carmaux, depuis 1892, est le célèbre Jean-Baptiste Calvignac. La scission « socialiste révolutionnaire » de 1903 à Carmaux ne fut qu’un feu de paille [15]. Et l’anarchisme est inexistant dans le Tarn.

25Jaurès, député de Carmaux, domine complètement le socialisme tarnais. Son prestige sert à la diffusion de ses idées. Le leader du socialisme castrais, Bès, est devenu un ardent partisan de Jaurès. Le Cri des travailleurs reproduit quasiment chaque semaine des extraits de ses discours à la Chambre ou dans le Tarn, ou donne des articles signés Jaurès. En mai 1903, il publie un article de Francis de Pressensé présentant son projet de loi de Séparation. Le rédacteur du Cri, Roché, également correspondant de La Dépêche à Carmaux, acquis à Jaurès, publie en juin 1904 en première page un texte intitulé « Pour la Séparation ». Dans Le Cri du 4 septembre, Jaurès reproche à Guesde de ne voir dans la laïcité que « billevesée » et de considérer que « la séparation n’a aucun intérêt ». Dans Le Cri du 2 octobre, il définit l’esprit de la Séparation et insiste sur son urgence, pour pouvoir passer ensuite à « la partie économique et sociale de notre programme ».

26En dehors des partis, on peut évoquer dans le Tarn, comme ailleurs, d’autres organisations soutenant la politique du Bloc, tel ou tel militant se retrouvant dans plusieurs d’entre elles et/ou dans les partis.

27La franc-maçonnerie se limite à trois loges : Albi (La Parfaite Amitié), Gaillac (L’Orion) et Castres (où la vie maçonnique, interrompue en 1899, ne reprend qu’en septembre 1904 avec la loge L’Humanité). Il n’y eut jamais de loge ni à Lavaur, ni à Carmaux, ni à Mazamet. L’histoire des loges tarnaises au début du xxe siècle est difficile à faire faute d’archives [16]. Les dirigeants radicaux sont très souvent maçons (Savary, Andrieu, Vieu). « De 1880 à 1914 la loge d’Albi fut presque exclusivement radicale » (J. Castagné). Cependant le socialisme est en train de pénétrer dans les loges, avec notamment Imbert, ancien maire de Choisy-le-Roi, devenu le candidat des socialistes dans l’arrondissement de Gaillac. Le Cri donne à plusieurs reprises des articles évoquant la Parfaite Amitié. En décembre 1905, lorsque la loge fête son centenaire, le Grand Orient désignera le frère Imbert pour y prononcer une conférence, dans laquelle il assurera que la maçonnerie « avant tout dévouée à la République et à la pensée libre […] va de plus en plus au socialisme collectiviste ou communiste ». Le Cri du 30 septembre 1906 saluera les progrès de la « doctrine socialiste » au sein du dernier convent du Grand Orient. Les sympathies entre la maçonnerie albigeoise et le socialisme sont à mettre en parallèle avec les bonnes relations existant entre Jaurès (non maçon) et le maire d’Albi Andrieu, radical, membre de la Parfaite Amitié, et avocat de la Verrerie Ouvrière.

28La Ligue des Droits de l’Homme a connu un rapide essor. La première section dans le Tarn naît à Mazamet le 13 juin 1899 à l’initiative de Gaston Cormouls-Houlès, un protestant, membre de la plus célèbre famille d’industriels du lieu. En 1903, elle est « formée en majeure partie de jeunes gens » et compte 150 adhérents. Les protestants, des diverses églises, jouent un rôle éminent dans la mise en place de sections de la Ligue, que l’on retrouve jusque dans de modestes localités de la montagne : Brassac, Vabre, Viane. À Albi, elle réunit au moment de sa fondation une quarantaine de républicains « de toute nuance ».

29La politisation radicale de la Ligue est rapide. À Castres, la section, qui compte 70 membres en 1903, se réunit à la mairie et est présidée par Touren, conseiller municipal radical. Vieu est président d’honneur.

30Les sociétés de Libre Pensée sont signalées dans le Tarn à partir de 1883 (à Graulhet). D’un anticléricalisme virulent, elles cherchent à développer les usages civils (pour les enterrements surtout). L’influence socialiste est nette à partir des années 1890. L’athéisme s’impose. Les groupes de Libres Penseurs, dans la région de Carmaux ou de Cordes, sont animés par des socialistes. Dans le journal de la première Fédération ouvrière du Tarn (celle d’avant le triomphe du jaurèsisme) on écrit en 1892 que « la Libre Pensée n’a rien de commun avec cette religion politique qu’on appelle la Franc-Maçonnerie ». Il en alla autrement avec Le Cri des travailleurs au temps du Bloc qui, on l’a dit, se montre très aimable envers la Parfaite Amitié d’Albi, pénétrée d’esprit libre penseur. Le Cri évoque les sociétés de Libre Pensée à l’occasion de récits d’enterrements civils (parfois de mariages civils). Il évoque aussi les congrès nationaux ou internationaux de la Libre Pensée.

31La Libre Pensée d’Albi, créée en 1901, n’a que 20 membres [17]. Un groupe de libres penseurs est signalé à Gaillac. Le groupe de Carmaux, « fondé en 1902 » (ou refondé ?) est décrit par la préfecture comme ayant 35 membres en 1903. Ses statuts accordent une grande place aux obsèques civiles (les adhérents s’engagent par écrit afin qu’on en organise pour eux mêmes après leur mort) et prévoient l’exclusion de tout membre qui « participerait activement à une manifestation religieuse quelconque [18] ». Le groupe de Graulhet, le plus ancien, est renouvelé après 1900. En septembre 1904, il lance, conjointement avec le « syndicat des ouvriers moutonniers », une « pétition pour la Séparation des Églises et de l’État ». Les listes de pétition peuvent être signées dans le local du syndicat. Le groupe compte 20 membres et se réunit au café Carcenac, qui accueille aussi le groupe socialiste.

32L’existence d’un groupe de Libre Pensée à Castres est mal connue. Mazamet en crée un en 1904, le « groupe Ernest Renan ». Au congrès international de la Libre Pensée de Rome en 1904, sur 10 participants venus du Tarn, 6 sont de Mazamet. Parmi eux, Gaston Cormouls-Houlès et Joseph Bardel, professeur. Les statuts du groupe Ernest Renan, rédigés au lendemain du congrès de Rome, vont beaucoup plus loin que la simple organisation d’obsèques civiles. Il s’agit de « substituer à l’idéal religieux un idéal purement humain » par des conférences, des fêtes, la diffusion de livres. Les activités des socialistes mazamétains, telles que les évoque Le Cri, sont largement dominées par l’anticléricalisme et le discours est le même que celui de la Libre Pensée. Ville de cléricalisme virulent, Mazamet est aussi la ville où la Libre Pensée, a contrario, semble être au temps du Bloc la plus « idéologique ». Il est à peu près certain que les protestants en rupture avec leur église y dominent et que l’implantation en milieu ouvrier est faible.

33Le Bloc est dans le Tarn une réalité très vivante. L’accord est sincère entre radicaux et socialistes sur bien des points. Dans un banquet du « cercle républicain démocratique des travailleurs réunis, radicaux et socialistes », tenu à Cagnac les Mines en septembre 1903, Savary invite à « serrer les rangs pour livrer bataille au cléricalisme [19] ». Dans tel ou tel village ou bourg, la frontière est ténue entre « radicaux-socialistes » ou « républicains socialistes » et « socialistes ». En 1906 encore, face à X. Reille, le jeune radical Coudert fait la campagne du socialiste Bès plus que celle du radical Milhau.

34Certains tiennent à distinguer « cléricalisme » et « religion [20] », mais le Cri des travailleurs peut aussi se montrer antireligieux : « Les religions sont immorales […]. La science démontre chaque jour l’absurdité des religions et l’histoire les accuse d’avoir été l’instrument de torture de l’humanité [21]. »

35Les congrégations sont néfastes, et il n’y a pas à distinguer entre elles : lorsqu’un conseiller municipal de Castres demande en juin 1902 qu’on examine séparément les diverses congrégations qui demandent l’autorisation, la majorité « blocarde » le refuse : toutes les congrégations, aussi bien enseignantes que charitables, étouffent la liberté et sont « notoirement hostiles aux institutions républicaines ». La « raison démontrée par la science ne peut se concilier avec les statuts de toute congrégation et notamment les vœux contre nature ». « L’enseignement congréganiste nuit à l’essor de la société moderne. » Dans un discours de distribution des prix à Rabastens, le député Gouzy déclare : « Personne ne se plaint qu’on traduise en cours d’assises les parents qui séquestrent leurs enfants, les privent de vêtements, d’air et de lumière. C’est pourtant leur manière à eux (les pères mettant leurs enfants chez les congréganistes) de comprendre la liberté du père de famille ! De quel droit, donc, les parents, contre la barbarie ou l’ignorance desquels la société protège le corps de leurs enfants, pourraient-ils atrophier leur intelligence ? »

36La charité ne trouve pas grâce aux yeux des théoriciens du Bloc : dans un article de La Dépêche[22], Jaurès évoque le cas d’une religieuse à laquelle sa congrégation a refusé qu’elle apporte à ses parents âgés une aide spécifique, en sus de ce que la congrégation peut offrir à l’ensemble des personnes nécessiteuses : « Ce n’est point parce qu’il a sur ses enfants une créance naturelle et légale que le vieillard sera secouru. C’est parce qu’il plaît à la congrégation de le comprendre au nombre de ses pauvres et de le ranger dans sa clientèle […]. Elle agit ainsi à rebours du mouvement moderne qui tend à définir, à constituer et à sanctionner des droits. Ayant rompu tous les liens sociaux, légaux et naturels, la congrégation demeure le seul centre autour duquel peuvent s’organiser les rapports humains […]. Elle tend à remplacer tous les devoirs et tous les droits par le despotisme monstrueux d’une organisation irresponsable. Il y a incompatibilité absolue entre la démocratie moderne et la congrégation, et un malaise profond subsistera dans la société civile tant que la congrégation n’aura pas été complètement éliminée. »

37Le clergé séculier « a été jugé suffisant à la pratique du catholicisme », estime le conseil municipal de Castres. Mais, assurent les anticléricaux, il a hélas été souvent contaminé par les congrégations.

38Les processions publiques peuvent être l’occasion de désordres et se font dans un climat de contrainte pour certains. Des municipalités du bloc les interdisent donc : à Castres (13 août 1904), à Labastide-Rouairoux (mai 1904).

Les « cléricaux »

39Face aux partisans du Bloc, quel tableau faire, dans le Tarn, du camp « clérical » ?

40Le royalisme est en plein recul depuis le « ralliement » : un comité monarchique départemental existe, dirigé par le comte Gardès, avec quelques groupes à Albi (25 membres), Gaillac (20 membres), Lisle, Rabastens, Lavaur (où la « jeunesse royaliste échoue à se transformer en jeunesse catholique »). Le recrutement est notamment nobiliaire. On lit le quotidien régional L’Express du Midi (Toulouse). Le ton est alarmiste. On déplore le déclin de la France [23]. Un banquet à Albi réunit 72 personnes en janvier 1903. On y parle « en faveur du duc d’Orléans [24] ».

41Une partie considérable du clergé, notamment dans les campagnes, est dans la mouvance politique « réactionnaire ». On suit la ligne de La Croix du Tarn, supplément hebdomadaire à La Croix nationale, qui a 400 abonnés, essentiellement dans les presbytères. Dans les années 1890, son directeur, l’abbé Salabert, avait durement contesté l’archevêque de l’époque Mgr Fonteneau, considéré comme l’homme du gouvernement. Dès 1887, Fonteneau avait chassé deux vicaires généraux monarchistes, dont l’un, Georges Cazes [25], devenu curé de St Jacques à Castres, puis en 1906 archiprêtre de l’ex-cathédrale de cette ville, apparaît, avec Salabert, comme le leader du catholicisme intransigeant dans le Tarn. Salabert et Cazes aspirent à la constitution d’une sorte de « parti catholique ». La défense religieuse est l’alpha et l’oméga de leur action. La République (un mot qu’on ne prononce pas positivement) doit être catholicisée.

42L’influence de cette partie du clergé est considérable, par les prédications, les conversations, les relais que trouve son discours chez les enseignants congréganistes. Cazes est un des premiers curés du diocèse d’Albi à créer un bulletin paroissial largement diffusé. Cazes et Salabert dirigent la Ligue de défense religieuse et sacerdotale du diocèse d’Albi, créée en 1896.

43La force politique majeure qui s’oppose dans le Tarn au gouvernement, c’est celle qui est dirigée par la famille Reille.

44René Reille, élu député pour la première fois en 1869, fils d’un général de Napoléon fait maréchal par Louis-Philippe, était bonapartiste, puis « conservateur » dans les années 1880. Il avait épousé Geneviève Soult, petite-fille du maréchal Soult originaire de St Amans (à l’Est de Mazamet). Sa fille, Geneviève Reille, avait épousé en 1888 le marquis Ludovic de Solages, l’adversaire de Jaurès à Carmaux. En 1898/1902, ces deux familles unies tenaient donc la moitié de la représentation du Tarn à la Chambre : Solages à Carmaux ; Amédée Reille à Mazamet (après la mort de René, son père, fin 1898), Xavier son frère à Castres.

45Le baron René avait eu du mal à accepter le ralliement. Ses fils en revanche étaient nés à la politique avec lui.

46Les Reille dominent la Droite tarnaise, surtout dans le sud (de Solages ne joue de rôle qu’à Carmaux). Ils sont très présents à l’échelon national, politiquement et économiquement : ils siègent à de nombreux conseils d’administration. Ils n’ont pas d’entreprise dans le Tarn et ne sont donc pas affrontés sur place, contrairement à leur beau-frère de Carmaux, à la contestation ouvrière. C’est un facteur important d’explication de leur forte présence dans l’électorat ouvrier du Mazamétain.

47Ils savent se montrer au milieu du peuple. À chaque élection, ils accueillent leurs partisans au château de Soult-Berg, à St Amans, pour « manger la vache » (on fait rôtir un bœuf en public).

48Après les espérances avortées de l’époque de « l’esprit nouveau », après l’échec de l’agitation antidreyfusarde, les Reille en sont venus, au temps de Waldeck-Rousseau, à considérer qu’il fallait s’engager plus profondément dans le combat démocratique, enraciner dans la population un grand parti de défense religieuse acceptant la république, et ne plus avoir peur d’attaquer le gouvernement sur le terrain même du discours républicain : le mot liberté allait être « récupéré » encore plus que dans les années 1890 : on allait parvenir jusqu’au mot « libéral [26] » et, pour s’ouvrir aux préoccupations sociales, jusqu’au mot « populaire ». Les Reille sont donc parmi les fondateurs et dirigeants de l’Action Libérale Populaire au lendemain des élections de 1902 [27].

49Leur but dès 1902 est de contribuer à rassembler les voix allant des royalistes de cœur aux républicains modérés hostiles aux « excès » des radicaux et des socialistes, l’ALP étant le centre dominant de ce regroupement. Pour y parvenir, il faut de solides structures et « ratisser large ». Les frères Reille vont y réussir assez largement, ce que leurs adversaires de gauche n’analysèrent à l’époque qu’incomplètement, voyant mal l’habile infléchissement du discours et l’ampleur de l’enracinement militant.

50Les rapports préfectoraux indiquent en effet, pour les sections de l’ALP (du moins dans le Sud du département) des effectifs impressionnants, très largement supérieurs à ceux rassemblés par les comités radicaux ou les groupes socialistes. On peut évidemment dire que ces chiffres d’adhérents sont théoriques, que les réunions sont peu fréquentes, que l’on vient surtout pour écouter un leader. Mais était-ce si différent à gauche dans le Tarn ?

51Le comité ALP de Mazamet compte de 500 à 700 membres (une des plus fortes implantations de France) : il a été monté « à partir des débris de l’ancien comité conservateur et du cercle catholique ». 200 membres à Castres, 80 à Aiguefonde (village près de Mazamet), 60 à Anglès et 50 à Labessonnié (dans la montagne), 40 à Labastide-Rouairoux, 40 à Sorèze. Des groupes sont cités (sans précision d’effectifs) à Roquecourbe (le bourg natal d’Émile Combes), à Dourgne, Lautrec. Un réseau dense dans les deux circonscriptions des Reille. Ailleurs, c’est très modeste. Seulement 31 membres à Albi [28].

52Mais il y a aussi les organisations parallèles : à Castres, l’Action Libérale Ouvrière compte 300 membres, « en majorité des femmes », sous la présidence de Mme Bataillou. Un « cercle ouvrier » qui existait à Mazamet depuis 1889 est désormais lié à l’ALP. Castres a aussi un « groupe ouvrier libéral ». Burlats, village ouvrier près de Castres, a un « comité ouvrier » dont le président, le secrétaire et le trésorier sont des tisserands. À Sorèze, le groupe ALP est également appelé « cercle ouvrier ». Le rapport de la préfecture indique qu’il a été suscité par les « dominicains » (de l’École de Sorèze) et par les « conservateurs ». Il est bien distingué du « cercle sorézien », décrit comme « réactionnaire ».

53Les baronnes Reille (surtout la plus âgée, la veuve de René Reille) ont donné un essor remarquable à la Ligue patriotique des françaises (ou des dames françaises) (LPDF), structure créée en mai 1902 et liée à l’ALP. Le groupe de Mazamet est « un des mieux constitués de France », dirigé par « la colonelle Ferret ». Il compte alors 440 membres. Celui de Castres dépasse ce chiffre : 250 membres en 1902, mais 750 en 1903, sous la présidence de Mme Balayé, épouse d’un des leaders locaux du parti, qui deviendra maire en 1912. À Labessonnié, 48 membres. À Burlats, la Ligue est dirigée par une ourdisseuse, Mme Vaysse, épouse du président du comité ouvrier. Fin mai 1904, Xavier Reille et son épouse se rendent à Burlats. 60 femmes viennent à pied de Roquecourbe « malgré la chaleur » pour les écouter. La baronne « jeune et éminente conférencière […] prend la parole pour la première fois de sa vie, avec une grande délicatesse [29]. »

54Ouverte en général essentiellement à des bourgeoises et à des nobles [30], la LPDF a réussi dans le Tarn à élargir son recrutement social à de nombreuses catholiques convaincues (y compris ouvrières si elles ne sont pas assez nombreuses pour qu’existe une « Action libérale ouvrière »). La baronne René Reille le dira en février 1905 : il faut « que les grandes dames et les ouvrières marchent au combat comme des sœurs, les premières oubliant leur timidité et les secondes leur défiance [31]. »

55La place attribuée aux femmes par les stratèges reillistes est essentielle, pas seulement par le biais de la LPDF. La gauche répète à maintes reprises que la baronne Reille avait un jour incité les femmes à faire « la grève du ventre » pour obliger les maris à « bien » voter… Voici en tout cas ce qu’on peut lire dans le Manuel de l’Électeur du Tarn pour les élections législatives de 1902, imprimé par La Croix du Tarn et largement diffusé : « Comme les lois sont généralement le produit des mœurs, c’est en réalité des femmes que viennent les lois […]. Les femmes ont le droit et le devoir de faire bien voter ceux des électeurs, père, époux, fils, frère, dont elles partagent la vie et le foyer […]. Si les femmes prient, si elles communient, si elles font pénitence, leurs pères, leurs époux, leurs fils, leurs frères, déposeront dans l’urne un bulletin de victoire pour la Patrie, pour l’Église et pour la Liberté. »

56Deux journaux importants diffusent les thèses de l’ALP : L’Union Libérale à Mazamet, à très forte diffusion dans la circonscription d’Amédée Reille, qui dépend totalement des Reille (elle s’appelait précédemment Le Conservateur, jusqu’en 1902). Et à Albi, Le Journal du Tarn, dont les caractéristiques, on le verra, sont plus complexes.

57Parmi les thèmes développés par l’ALP, la défense religieuse arrive en tête, avant la défense de la Patrie. La devise est : « Dieu, Patrie, Liberté ». Elle sera inscrite en 1909 sur la façade de la mairie de St Amans Valtorêt [32]. L’ALP veut séduire le peuple. « Aujourd’hui le paysan en sait aussi long que n’importe qui », écrit l’Union libérale[33]. À Carmaux, le marquis de Solages encourage la création du syndicat jaune, fondé en mars 1903 (285 membres [34]). Il faut « rassembler les honnêtes gens » contre les « 25 000 maçons » qui gouvernent la France. Il faudra changer la constitution, car cette République bafoue ses principes, et d’abord la liberté religieuse [35].

58L’ALP voulait rallier les monarchistes. Elle y parvient en partie, sur la base de la défense religieuse : ainsi avec l’ancien maire de Castres Gabriel Guy. Mais elle voulait surtout rallier les « progressistes », les républicains modérés. La tentative avait commencé dès les premières années du Ralliement, notamment à Carmaux où le marquis de Solages avait fait voter pour le progressiste Héral contre Jaurès en janvier 1893, puis pour l’ex-maire Groc contre le même Jaurès au mois d’août suivant. En 1902-1905, l’ALP va poursuivre ces tentatives d’ouverture au centre.

59Les « progressistes », qui ont 4 conseillers généraux aux cantonales de 1904 (l’ALP en a 7), ont l’appui du journal Le Patriote albigeois, jadis fer de lance de la République dans les années 1870. Comme exemple de républicain modéré évoluant vers la Droite, on citera un petit-cousin de Jean Jaurès, le fils de l’amiral Benjamin Jaurès, Auguste Jaurès (à ne pas confondre avec son homonyme de Dourgne) : il a été candidat « républicain » aux législatives de 1902 à Lavaur, faisant 4 % des voix face au radical Compayré.

60Plusieurs petits notables républicains modérés sont gagnés par la Droite, parfois même absorbés par l’ALP. On essaie de plus en plus de rallier des protestants des églises orthodoxe et libre : l’opération s’était déjà engagée aux municipales de 1896 à Mazamet : un protestant très important, Rouvière, avait accédé à la mairie avec l’appui de Reille [36]. À Castres, aux municipales de 1904, la Droite constitue une liste « républicaine et libérale » dont elle confie la direction à un officier en retraite, Moziman, qui joue un rôle actif dans l’Église « orthodoxe » : « je me suis laissé dire, écrit le commissaire spécial, que c’est à l’initiative personnelle de Xavier Reille qu’a été mise en avant la personnalité de M. Moziman, dans le but d’amener à son parti les 3 à 400 voix de républicains modérés qui aux dernières élections se sont abstenues ou ont voté pour le candidat radical-socialiste [37]. » La liste néanmoins ne passe pas.

61Pour compléter le tableau des forces hostiles au Bloc, il faut enfin évoquer l’incidence qu’a pu avoir sur le clergé et les fidèles catholiques la présence à la tête du diocèse de deux personnalités d’envergure nationale qui devaient s’illustrer en prônant un essai loyal d’application de la loi de 1905 : l’archevêque Mignot et le vicaire général Birot. Ont-ils infléchi le caractère « réactionnaire » de nombreux responsables catholiques, clercs ou laïcs ? Ont-ils appuyé l’ALP ?

62Succédant en décembre 1899 à Mgr Fonteneau, Mgr Mignot [38] avait été bien accueilli dans le diocèse d’Albi, tant son prédécesseur, fort maladroit, y avait été impopulaire. Il sut conserver l’estime, voire l’affection de son clergé et des fidèles, par l’intensité de sa foi, son élévation d’esprit, son intelligence, sa souplesse envers ceux dont il ne partageait pourtant pas l’immobilisme. Il se veut pasteur d’une Église dont la dimension est mystique et dont il veut préserver l’unité. Il déplore ceux qui veulent en faire un instrument politique, tels les gens de La Croix. Mais il ne le dit pas publiquement. Mignot n’était qu’un « rallié du lendemain » et il restait attaché au Concordat. Cependant, il avait apprécié l’« esprit nouveau ». Alors évêque de Fréjus, il avait été appelé pour bénir le lancement du cuirassé Amiral Jauréguiberry et avait prononcé un discours devant le président Carnot, qu’il avait assuré de « la loyale fidélité » du clergé aux institutions régissant la France. Il apprécie que le Ralliement réintègre l’Église dans la vie de la Nation. Mignot est au fond assez gallican. Jeune prêtre en 1870, il avait été un « ardent adversaire » de l’infaillibilité pontificale. Il déplore la politique anti-congréganiste du Bloc mais pense qu’il faut sauver ce qui est possible plutôt que d’attiser les tensions. La « thèse » reste bien celle de l’État chrétien. Mais on est toujours plus dans « l’hypothèse » et la recherche du moindre mal, pour donner à l’Église la possibilité de vivre et de se développer à nouveau. Dans sa lettre pastorale du 20 janvier 1901, lors du débat concernant la loi sur les associations, il écrit que « la seule attitude qui convienne au législateur moderne, c’est l’attitude agnostique ». Mais il doit y avoir entre l’État et l’Église un « respect mutuel loyalement pratiqué ».

63Cet esprit très ouvert reste cependant hostile à la Séparation. Par attachement à la tradition gallicane. Mais surtout parce qu’il voit le danger : la Séparation mettrait l’Église de France sous la coupe de Rome.

64Vicaire général de Mignot, l’abbé Birot, né à Albi en 1863, est lui aussi un prêtre de haute spiritualité et de grande culture [39]. Si le Concordat avait duré, il serait devenu évêque. Birot est un « rallié de la veille » et il va beaucoup plus loin que Mignot dans l’acceptation de la République. Il avait adhéré au comité Paul Viollet qui réunissait les catholiques partisans de la révision du procès Dreyfus [40]. De tempérament actif et pragmatique, il pousse son évêque (qui lui fait confiance) à faire preuve d’audace. Il avait fait sensation au congrès ecclésiastique de Bourges en septembre 1900, en affirmant que l’Église devait « se réconcilier avec le siècle ». Il est proche des abbés démocrates. L’abbé Lemire est son ami. Mais il refuse toute idée de « parti catholique ».

65Contrairement à Mignot, Birot n’aime pas le Concordat (« accouplement monstrueux entre un État athée et hostile et l’Église »). On comprend qu’avec de telles positions, Birot ait agacé les intransigeants. Une note préfectorale le concernant indique en septembre 1904 : « Il y a longtemps que l’abbé Birot a cessé de plaire aux catholiques intransigeants. » Il y aurait une dénonciation à Rome « il y a quelque temps déjà par un groupe de cléricaux militants de la région, dont auraient fait partie la baronne Reille, le comte Gardès, l’abbé Salabert, la comtesse de Toulouse-Lautrec, présidente de la ligue de l’enseignement libre d’Albi (etc.) [41]. »

66Comme le vieux Journal du Tarn (fondé en 1835) battait de l’aile, Birot, en rassemblant les bonnes volontés, fit transformer l’imprimerie de ce journal en « Imprimerie Coopérative du Sud Ouest [42] », propriétaire du journal et au capital réparti entre des notables catholiques, quelques membres du clergé (dont Mignot et Birot) et les salariés. Le rédacteur, très actif, était un ancien ouvrier imprimeur, Sablayrolles. Il ne serait pas dit que les socialistes étaient les seuls à faire des coopératives ouvrières. Un des disciples de Birot, le jeune abbé de Lacger, déclare admirer la Verrerie ouvrière, « œuvre héroïque », « où l’obéissance, au lieu d’être passive, est librement consentie ». Bref « elle vit sans le savoir des sentiments et des vertus qu’inspire l’Évangile [43]. » Rénové et bien présenté, Le Journal du Tarn accroît sa diffusion.

67Autre initiative importante : l’implantation dans le Tarn de l’ACJF en 1902-03, dont la publication, Le Semeur du Tarn, a 1 500 abonnés [44]. Le principal animateur est le jeune avocat Jules Pigasse, ancien élève de Birot à Ste Marie. Au congrès départemental tenu à Albi les 28-29 novembre 1903, avec 500 délégués venus de 69 communes, l’abbé Lemire est présent et son discours est très apprécié. Mignot conclut le congrès [45].

68Cependant, pour le moment, ces initiatives novatrices s’inscrivent dans la logique de l’ALP naissante. Birot déclare au congrès d’Albi que l’« avenir est aux jeunes qui savent s’unir sous le drapeau du christianisme sans arrière-pensée politique », mais le congrès n’en accueille pas moins des intervenants aux engagements « réactionnaires » très marqués, comme par exemple le correspondant albigeois de L’Express du Midi. Des toasts sont portés « à la baronne Reille, à A. et X. Reille [46] ». Quant au Journal du Tarn, il appuie le syndicat jaune à Carmaux et déclare en mai 1903 « défendre avec une entière indépendance et une sincérité absolue le programme de l’Action libérale populaire ». Un rapport de police d’octobre 1903, confirmé en 1907, cite Sablayrolles comme « président du comité de l’Action Libérale d’Albi », dont Pigasse est membre. Sablayrolles figure sur la liste du parti aux municipales d’Albi en 1904.

69L’indépendance du journal paraît donc douteuse. On peut tout au plus considérer qu’ACJF comme Journal du Tarn représentent l’aile novatrice, sociale, de l’ALP. Avec un ton moins simpliste que L’Union libérale de Mazamet. Le Journal du Tarn est par exemple capable de dire qu’on peut trouver parfois des francs-maçons « humains [47] ».

70L’unité d’action des adversaires du gouvernement Combes se manifeste prioritairement dans la « défense religieuse », dès l’été 1902.

71Protestation notamment contre la politique anti-congréganiste. Trois maires révoqués pour refus de la circulaire Combes sont traités en héros en juillet 1902. De multiples lettres d’indignation sont adressées au préfet après la suppression du traitement de 11 prêtres. Des manifestations ont lieu lors de l’expulsion de Sœurs, annonçant celles des inventaires en 1906 ; ainsi à Fonbelle (250 personnes) : « Vivent les Sœurs ! Nous voulons les Sœurs ! Liberté ! » À Albine, tout près de St Amans (où est le château des Reille), l’école reste ouverte malgré la mise en demeure par la gendarmerie : la directrice indique qu’elle suit les ordres de X. Reille, propriétaire du bâtiment [48].

72Il y a moins de manifestations à partir de l’automne 1902. Mais la protestation est profonde. Amédée Reille souligne les aspects financiers : « les écoles libres ne coûtaient rien aux contribuables. Celles qu’il faudra construire pour les remplacer coûteront de nombreux millions [49] ».

73L’ALP cherche à mobiliser les associations d’anciens élèves des Frères, qui regroupent 1 570 personnes (450 à Castres, 400 à Mazamet). Le colonel Ferret, de Mazamet, lance une pétition en faveur des Frères des Écoles chrétiennes du Tarn en mars 1904.

74Une grande réunion de protestation a lieu à Castres le 20 juillet 1904, au lendemain de la fameuse loi du 7 juillet interdisant l’enseignement à tout congréganiste : 2 500 personnes !

75L’anti-maçonnisme est un des aspects majeurs de la politique de défense religieuse. Un serment antimaçonnique est exigé des membres de l’ACJF (article 5 [50]). La Croix appelle à boycotter les commerçants maçons [51]. Un « comité antimaçonnique du Tarn » est créé en juillet 1904, affilié à l’Association antimaçonnique de France.

76La presse « cléricale » parle peu des risques de Séparation en 1902-1903. Citons néanmoins, le questionnaire sur la proposition de loi de Pressensé, proposé à ses lecteurs par La Gazette du Tarn[52] : « À cette heure, catholiques et anticatholiques considèrent comme imminente une rupture prochaine entre l’Église et l’État » : les 4 questions posées sont très générales et sont faites pour qu’on réponde non à toute loi de Séparation. Le journal « réactionnaire » veut par cette initiative mobiliser ses lecteurs et espère exercer une pression sur les parlementaires tarnais.

L’année 1905

77Au début de 1905, les frères Reille sont inquiets : la chute de Combes est un succès mais l’orientation plus modérée du cabinet Rouvier ne les rassure pas. Combes léguait à son successeur la nécessité d’un vote proche sur un projet de Séparation. Xavier Reille médite le 26 janvier dans L’Écho du Tarn sur « le bacille qui ronge la France aujourd’hui, impuissant à créer, puissant à détruire ». Or, « quand il n’y a plus de moines, plus de nonnes, un coup de sonde révèle que le Concordat a fait son temps. » Les Reille sentent que la Séparation approche. Amédée est membre de la commission de la Séparation élue en juin 1903. La « défense religieuse » est plus que jamais d’actualité face à la menace des impies : à Castres, attribution du nom de Zola à l’une des principales rues de la ville. À Albi, interdiction des processions prononcée par la municipalité, et mômeries anticléricales à la mi-Carême. Le prédicateur de Carême à la cathédrale Ste Cécile d’Albi prédit la « guerre religieuse » après la Séparation, « voulue par une secte diabolique [53] ». Une section albigeoise du « Comité de défense religieuse » (dont le siège est à Toulouse) a été créée en février [54].

78La Voix de la Montagne (protestants « évangéliques ») se fait à l’idée de Séparation (à condition que soit préservé le traditionnel système « presbytéro-synodal » d’organisation du culte réformé). On estime qu’avec la Séparation « le catholicisme perdant en France la force et le prestige qu’il tirait du lien officiel, l’évangélisation de notre patrie devient, pour les croyants, un devoir de plus en plus pressant ». Les protestants doivent faire rayonner leur foi car, sinon, « comment empêcher d’aller aux abîmes de droite ou de gauche, au fanatisme romain ou au fanatisme jacobin ? » La menace de la « Libre Pensée » ne doit pas pour autant conduire à un rapprochement avec l’Église romaine.

79Présent dans sa ville natale le 19 mars pour le congrès de la Fédération ouvrière du Tarn, Jaurès déclare espérer le vote de la loi avant Pâques. Il présente sa vision libérale de la loi : « Chacun a le droit d’être catholique ou huguenot, ou juif, ou musulman, ou philosophe. Chacun a le droit de se représenter l’univers de la manière qui convient le mieux aux tendances de son esprit, chacun a le droit de se représenter le monde comme le produit d’une volonté supérieure et divine. Il faut que chacun puisse pratiquer ses croyances, quelles qu’elles soient. Mais ce n’est pas respecter la liberté de conscience, c’est la violer, au contraire, que de faire appel à l’État pour subventionner une religion quelconque. C’est violer la liberté de conscience de demander des subsides aux non-croyants pour subventionner les pratiques religieuses des croyants. » Il y a « incompatibilité de la papauté et de la République » et c’est le pape « qui a déchiré le contrat qui liait l’Église à l’État. Ce contrat, nous le brisons sans violence et avec les ménagements qui conviennent ». Les « fanatiques du clergé », ceux « qui veulent la guerre civile » savent que si la loi est appliquée, « le régime nouveau s’installera sans qu’aucune plainte ne s’élève ». Mais ils ne veulent pas « que les laïques s’occupent de leurs affaires ». « Nous ne voudrons pas (disent-ils) des églises que vous nous laissez, nous irons dire la messe dans les granges [55]. »

80Le 12 avril, Mgr Mignot publie une longue « lettre pastorale sur le Concordat et la Séparation de l’Église et de l’État » : l’archevêque regrette qu’on veuille abandonner le concordat et que le gouvernement s’engage dans un « acte unilatéral » au lieu de régler la question par une « conciliation amiable ». Cependant il estime qu’« une loi vraiment libérale qui sauvegarderait la liberté essentielle du ministère apostolique […] pourrait, malgré son vice originel, établir un régime provisoire de tranquillité relative. »

81Le vote de l’article 4 quelques jours plus tard pouvait laisser espérer aux catholiques les plus réceptifs à la pensée du prélat que la loi pourrait être la moins mauvaise possible. Le Journal du Tarn publie le 3 mai un article du Journal des Débats qui considère que l’espoir exprimé par Mignot dans sa Lettre a été exaucé (les cultuelles laissent aux fidèles « l’usage des lieux de culte sans discussion possible ni délai restrictif ») et qui salue « la victoire remportée il y a 8 jours par M. Briand et M. Ribot ». Le même journal, le 3 juin, écrit que Ribot est « un grand honnête homme » et souhaite un rapprochement durable avec lui.

82Chez les protestants, La Voix de la Montagne, qui a désormais une « chronique de la Séparation » (tenue par Émile Jolibois), salue le discours de Briand sur l’article 4. Le 15 juin elle écrit : « Nos députés, à part quelques incorrigibles, semblent vouloir mettre dans la loi cet esprit de largeur et de respect des consciences qu’on craignait d’abord de ne pas y trouver. Plusieurs amendements revêtus de signatures de députés protestants et conçus dans un véritable esprit de libéralisme ont été adoptés par la Chambre. »

83Si les catholiques peuvent être relativement rassurés par la tournure prise par les débats à la Chambre, ils n’en restent pas moins hostiles au principe même de la loi. Ils se réjouissent que seuls 18 Conseils Généraux aient voté une motion en faveur de la Séparation [56]. Les banquets nationaux de l’ALP qui ont lieu à Albi et Castres, début mai, avec Piou et Lasies, maintiennent un haut niveau de mobilisation contre les « tenants de la maçonnerie, de la congrégation rouge ». Mignot accepte que soit lancée dans son diocèse la pétition contre la loi. Les signatures sont légalisées par les mairies (refus de certains maires de gauche). La presse anticléricale a beau dénoncer pressions et tricheries (signatures de femmes et de mineurs), il semble bien que la pétition ait été un vrai succès : 46 077 signatures ont été recueillies en mai-juin, alors qu’il y avait eu 95 608 votants dans le Tarn aux législatives de 1902. Amédée et Xavier Reille déposent la pétition sur le bureau de l’Assemblée.

84Du 25 au 28 mai, Albi accueille le 3e congrès national de l’ACJF. On n’y évoque guère la Séparation, sauf Pigasse, dans son intervention, et Mgr Mignot, venu clôturer : « Nous accepterons une Séparation basée, comme aux États-Unis, sur la tolérance et la justice, nous subirons une séparation semi-loyale si le Souverain Pontife nous y engage ; mais nous n’accepterons pas une séparation qui violerait les droits les plus sacrés de l’Église. Alors nous dirions : Non possumus [57]. »

85Il y a sans doute des tiraillements dans la droite catholique tarnaise. Xavier Reille doit répondre dans le Journal du Tarn du 27 mai à ceux pour lesquels « le libéralisme est un péché ». Des gens, explique-t-il, « de qui la place reste vide dans la phalange vaillante que les catholiques français ont serrée autour du drapeau de la liberté ». Ces anti-libéraux sont très attachés au Syllabus, et évidemment hostiles à l’ouverture en direction des républicains modérés. Les partisans du bloc n’ignoraient pas totalement ces tensions internes à la Droite [58].

86Chez les amis du Bloc, tout le monde n’est pas enchanté de l’article 4. L’Avenir du Tarn exprime des réserves. Le député de Gaillac, Gouzy, vote l’amendement Dumont et le député et maire d’Albi, Andrieu, s’abstient. Alors que Jaurès vote contre, comme Compayré et les frères Reille [59]. Co-auteur de l’article 4, Jaurès l’évoque dans Le Cri du 7 mai : « L’article 4 fut voté, malgré l’obstination de quelques républicains, et ainsi la loi a franchi l’écueil le plus dangereux. »

87Le Congrès régional de la Ligue des Droits de l’Homme se tient à Castres du 5 au 7 mai. La séance de clôture est ouverte au public : 1 500 à 2000 personnes acclament les noms de Combes et de Jaurès. Le président national de la Ligue, Francis de Pressensé, venu de Paris, regrette que Combes ait dû se retirer. Sur la Séparation, il rappelle avoir été « le premier qui a traduit en articles de loi le projet », et apprécie qu’« aux heures difficiles, un rapprochement se soit fait entre des citoyens qui jusqu’alors s’étaient ignorés ou même qui se considéraient parfois en ennemis ».

88Quelques jours après, dans une réunion de la « Jeunesse républicaine », dans le village de Vielmur, Lucien Coudert définit devant 200 citoyens, « avec une remarquable facilité d’élocution », ce qu’est la laïcité : « c’est refuser aux religions qui passent le droit de gouverner l’humanité qui dure. Anticléricalisme et laïcisme sont choses absolument semblables [60]. »

89Dans le combat pour la laïcité, la place des instituteurs est désormais centrale. La nouvelle génération formée dans les écoles normales laïcisées est désormais opérationnelle. Du préfet aux partis radical et socialiste, on cherche à les mobiliser, profitant du fait qu’ils commencent à s’organiser professionnellement. Les 3 et 4 juin, est créée l’Union laïque du Tarn, par fusion des deux « sociétés d’instituteurs » déjà existantes, l’Amicale du Tarn (Albi) et le Cercle Pédagogique (Castres), qui oublient « les dissentiments du passé [61] ». Le banquet qui célèbre l’événement a lieu à la toute nouvelle Bourse du travail de Castres, en présence de Bepmale, le député de Haute Garonne bien connu pour ses positions anticléricales ultras. Le maire de Castres, Vieu, remercie les instituteurs, ces « puissants ouvriers de la démocratie ». Les liens tissés entre leaders locaux du Bloc et instituteurs sont étroits. Quand Vieu sera élu sénateur, fin juin, le punch qui célébrera la victoire aura lieu au siège du Cercle pédagogique. Lorsque la mère de Vieu décédera en octobre, les enfants des écoles publiques seront conduits aux obsèques.

90L’élection sénatoriale de juin 1905, consécutive à la mort de Barbey, voit la droite tarnaise tenter une audacieuse manœuvre, qui porte à son comble la stratégie d’ouverture au centre. Pour faire barrage aux radicaux, l’ALP décide de soutenir en sous-main Galibert-Ferret, l’ex-candidat républicain anti-Reille de 1898 et 1902 qui, par ambition personnelle plus que par peur du Bloc, tentait maintenant de devenir parlementaire avec l’appui de ses ex-adversaires. Il s’était opportunément déclaré hostile à la Séparation. Au premier tour, le vieux royaliste castrais Gabriel Guy, plus ou moins lié à l’ALP, devance Galibert-Ferret. Il se désiste néanmoins au second tour en faveur d’un homme que la droite avait couvert d’opprobre quatre ans plus tôt… À gauche, deux radicaux sont en compétition : Gouzy (appuyé par La Dépêche) et Vieu. La victoire de Vieu est une bonne chose pour ceux qui, comme Jaurès, souhaitent une Séparation « raisonnable [62] ». Mais Jaurès s’interroge : l’exemple de la sénatoriale tarnaise sera-t-il suivi ? « La lutte contre la Séparation, note-t-il dans Le Cri des travailleurs du 25 juin, était devenue le mot d’ordre commun des modérés et des cléricaux. Que pense M. Ribot de ces combinaisons ? Et les progressistes vont-ils mériter partout que les cléricaux les plus fanatiques se désistent pour eux, même si les cléricaux ont la majorité ? »

91Lors du vote de la loi à la chambre, le 3 juillet, Andrieu, Gouzy et Jaurès votent pour, les frères Reille contre. La surprise vient du radical Compayré, qui vote contre. Se sentant lâché par le Bloc, et par La Dépêche, au profit d’un radical-socialiste, Morel, considérant qu’il pourrait aux législatives de 1906 tenter une opération style Galibert-Ferret, Compayré finalement échouera : la droite le considérait comme inconsistant et la gauche verra en lui un traître.

92Ainsi le Tarn, dans ce scrutin « historique », se partageait en deux parts égales, illustrant ainsi l’observation de Jaurès : « un département plus accessible que l’ensemble de la France aux influences cléricales ». Quelle différence avec les départements voisins ! Tous les députés de la Haute Garonne et de l’Hérault votent la loi. 5 sur 6 dans l’Aude. Seul l’Aveyron est en majorité contre (3 pour, 4 contre).

93La droite tarnaise constate le triomphe de Jaurès : « Tout le Bloc est en joie. Jaurès fait éclater son trombone [63]. » La loi, note le Journal du Tarn, est une « loi spoliatrice amendée dans un sens libéral ». Une loi dangereuse et qui risque d’avoir le même sort que celle de 1901 sur les associations : texte libéral, mais application calamiteuse. À Sorèze, un « étranger de passage » assure que, mécontente de la loi, la population a « peu fêté le 14 juillet » et qu’« on se détache de plus en plus de cette République de mouchards et de traîtres, d’anarchistes et de sans Dieu [64] ».

94Cela dit, l’été et l’automne 1905 sont relativement calmes. Chacun considère que le Sénat votera lui aussi la loi. Chaque camp fait le bilan de la situation et prépare la suite. Jaurès pense à l’urgence du vote d’une législation sociale hardie et il déclare que le parti socialiste unifié doit prendre l’initiative, comme il l’avait fait pour la Séparation, où le « projet précis de Francis de Pressensé a plus fait pour mûrir la question que dix années de controverses générales [65] ». Du 11 au 27 septembre, il visite les cantons ruraux de sa circonscription pour des réunions de compte rendu de mandat [66]. Il se montre profondément démocrate et pédagogue. Lorsqu’on lui fait observer que peut-être des auditeurs comprennent mal et qu’il devrait parler en « patois », il « redit ses explications en cette belle langue patoise qu’il parle si merveilleusement ». Il justifie la politique anticléricale menée : il fallait d’abord combattre les « moines », qui « se mêlaient de tous les complots des réacteurs ». Malgré l’« avertissement » ainsi lancé aux « cléricaux les plus fanatiques », les prêtres séculiers ont continué à abuser de leur situation privilégiée et du haut de leur chaire, combattu plus violemment encore la République et les institutions républicaines. La Séparation s’imposait donc. Ainsi, si « les prêtres restent nos plus irréductibles adversaires, du moins on ne les paiera plus. » Jaurès insiste sur le caractère libéral de la loi, que « Barthou, Carnot, Deschanel ont votée ». La majorité « a préféré aller trop loin dans la voie du libéralisme que d’être accusée de violence ». À un interrupteur qui dit que maintenant il faudra payer deux fois (l’impôt d’État et le futur « denier du culte »), il répond : « les fonds prélevés dans chaque commune pour le budget des cultes seront rendus aux conseils municipaux des communes paysannes pour être employés à des dégrèvements d’impôts. Non, le paysan ne paiera pas deux fois. »

95Jaurès secoue rudement les catholiques : « Si les croyants estiment que la religion sera perdue » le jour où le culte ne sera pas subventionné, « c’est qu’ils ne sont pas bien assurés de l’efficacité du remède dont ils préconisent l’emploi aux malheureux, aux déshérités de la vie. » Mais il n’insulte pas leur avenir : à Monestiès, il explique que désormais les curés dépendront des fidèles et « devront tenir compte des opinions de ces derniers. La sagesse leur viendra. À tel point que ce sera nous, les démocrates, qui les auront remis dans la voie de l’Évangile. Suprême ironie des choses, suprême logique du droit ! »

96Dans tous les comptes rendus de mandat, la Séparation est traitée en tête. La suite, plus longue, porte sur le combat pour le progrès social et sur celui en faveur de la paix.

97Réfléchissant sur les conséquences de la loi votée le 3 juillet, les protestants « orthodoxes » sont moroses : « Les incrédules triomphent, note la Voix de la Montagne ; la Séparation, disent-ils, sera la fin des religions. » Les conséquences seront mauvaises pour les missions (à Madagascar, à Tahiti…), et plus généralement pour les finances. Du coup, on rappelle que les Églises de la Réforme donnent à « l’État » (on dirait plutôt aujourd’hui à la Société) 3 478 100 F (hospices, orphelinats etc.) alors que l’État ne donnait aux pasteurs que 1 872 000 F. En fait, supprimer les « 45 millions du budget des Cultes », c’est permettre un « feu de joie parmi les économistes du socialisme [67] ».

98Les catholiques restent hostiles. Les ultimes effets des mesures anti-congréganistes (départ des religieuses de la Présentation et du « Couvent bleu » de Castres en juillet) entretiennent l’idée que le « libéralisme » de la loi n’est qu’un leurre, comme dans la loi de 1901. Il faut rester totalement vigilants. Dans une conférence prononcée à Albi début novembre, un publiciste venu de Toulouse invite les Dames de la Patrie française à poursuivre le combat contre les éventuelles « mauvaises lectures » de leurs maris. En même temps, il dit « ne pas douter que la loi de Séparation des Églises et de l’État ne soit un fait accompli. C’est regrettable même de dire que c’est chose faite [68] ».

99La période marque une relative baisse de l’anxiété, un certain attentisme. D’autant plus que le pape n’a toujours pas parlé.

100Le vote définitif de la loi (6 décembre) ne déclenche donc pas de forte réaction. Les sénateurs radicaux, Andrieu et Vieu, ont voté pour. Boularan (progressiste passé à la Droite cléricale) contre.

101Le Cri des travailleurs publie l’intégralité du texte de la loi. Il publie aussi un texte de Francis de Pressensé : « Socrate se disait l’accoucheur de la pensée d’autrui. Le Parti Socialiste a un peu contribué à accoucher le parti radical d’un enfant depuis longtemps arrivé à maturité. » La Séparation est une « réforme révolutionnaire » et Pressensé invite à en décider une autre en matière sociale. Il incite pour cela la « fraction du prolétariat qui s’est arrêtée à mi-chemin sous les drapeaux de partis politiques » (en clair : l’électorat populaire du parti radical) à rejoindre le parti socialiste. Sinon cette « partie du prolétariat » ferait comme « tant de sections de la bourgeoisie » qui vont « se ruer à la réaction » une fois le programme de séparation accompli.

102De son côté, le Journal du Tarn juge que « ceux qui les ont élus (Savary et Vieu) portent une grosse part de responsabilité dans l’œuvre criminelle. N’y a-t-il pas des délégués sénatoriaux, excellents catholiques, nettement antiséparatistes qui, tout récemment, ont contribué à l’élection de M. Vieu ? » Ce bi-hebdomadaire reste pro-ALP et très anti-loi, comme Jacques Piou, le leader de ce parti : « Je ne sais pas si nous reverrons un nouveau Bonaparte, mais ce dont je suis sûr c’est que nous reverrons un nouveau Concordat […]. La France sera chrétienne ou ne sera pas [69]. »

103Plus souple et moins hasardeux dans ses pronostics, l’archevêque d’Albi pense que la loi va durer, que les électeurs ne changeront pas d’avis et que l’Église doit défendre sa liberté et ses intérêts dans le nouveau contexte. Il envoie son vicaire général à Rome pour tenter d’éviter une condamnation absolue et prêcher le compromis : l’abbé Birot remet à Pie X le 9 janvier un Mémoire de Mignot qu’il a lui-même largement inspiré. Ce Mémoire présente les « inconvénients » et les « avantages » de la loi, titre par titre. La loi est mauvaise, mais acceptable comme pis-aller. Certes, il est « des concessions que l’Église ne peut pas faire ». Mais il est « des vexations qu’elle peut subir parce qu’elles font partie des vicissitudes qui lui ont été prédites par son divin Maître ». Le 11 janvier 1906, Merry del Val revoit Birot : « Mgr Mignot a bien fait d’écrire ; on a trouvé cependant qu’il voyait la loi avec trop d’indulgence : aller jusqu’à lui trouver des avantages ! » Birot cependant n’est pas découragé. Le St Siège dit attendre le règlement d’administration publique pour se prononcer [70].

1906 : les passions déchaînées

104En 1906, avant même l’inventaire de Ste. Clotilde à Paris (1er février), le désir d’en découdre existe sans doute dans toute une partie de la Droite catholique tarnaise, par exemple chez ceux qui, à l’ALP, sont les moins enclins à l’ouverture en direction des républicains modérés et les plus nostalgiques de la monarchie. La première indication que nous ayons trouvée dans les archives préfectorales sur la présence de la ligue d’Action Française date de janvier 1906, à propos de l’inauguration, à Castres, d’un « nouveau local » de cette ligue [71]. L’indication est donnée par une coupure de La Croix du Tarn. Depuis quand existait ce groupe ? Sa fondation n’est-elle pas à mettre en rapport avec les tensions à droite évoquées dans la presse du Bloc (cf. supra) ? Parmi les noms cités par La Croix figure l’ancien maire royaliste de Castres Gabriel Guy, qui avait sans doute mal digéré son désistement en faveur de Galibert-Ferret à la sénatoriale. Lors de l’inauguration du nouveau local, un toast est porté à Pie X. Les « durs » mettent visiblement leur espoir dans une condamnation romaine. L’exact contraire de Mgr Mignot.

105Le Tarn est concerné directement par les incidents de Ste Clotilde et de St Pierre du Gros Caillou. En tout cas une Tarnaise, et d’importance : la baronne René Reille. Elle est citée par les rapports de police comme étant une des « dames titrées » ayant « payé » les « camelots du roi » venus déclencher l’agitation [72]. La médiatisation des événements parisiens donne aux éléments réactionnaires tarnais un encouragement pour passer à l’action. Dès le 2, dans La Croix, l’abbé Salabert pousse à résister aux inventaires. Mgr Mignot en revanche demande à son clergé de lire une protestation lorsque l’agent des domaines viendra faire l’inventaire, mais d’accueillir celui-ci courtoisement. Les premiers inventaires, notamment à Gaillac le 12 février se passent sans incident majeur [73].

106Le premier inventaire qui pose problème est celui de la cathédrale Ste Cécile d’Albi, le 14 février. La veille, Mgr Mignot a assuré la préfecture de sa modération. Le 14, il lit une protestation devant l’inspecteur de l’enregistrement, le laisse entrer et se retire. Mais un millier de catholiques occupaient déjà l’intérieur de la cathédrale. « Tout l’état-major clérical d’Albi est là », note le commissaire de police, mais la manifestation est « dirigée exclusivement par les Dames de la Patrie française ». Le tocsin sonne. Plusieurs personnes, notamment Géry, rédacteur albigeois de L’Express du Midi, s’opposent à l’entrée de l’inspecteur dans la sacristie. Celui-ci quitte la cathédrale par la porte de derrière. Sur la place devant le portail principal, des verriers (de la Verrerie Ouvrière) se sont massés et il y a aussi de nombreux curieux. Il semble que quelques verriers soient rentrés dans la cathédrale. Quelques heurts ont lieu avec des catholiques. Le lendemain, à 6 h 30 du matin, le préfet envoie deux compagnies du 143e R.I., basé à Albi, occuper l’édifice, et l’inventaire a lieu. Le préfet reproche à l’archevêque de n’avoir pas pris la parole, le 14, pour que les fidèles évacuent la cathédrale. Celui-ci répond qu’il n’est pour rien dans ce rassemblement et dans la décision de faire sonner le tocsin. Dans la Semaine religieuse il regrettera que l’édifice ait été occupé par des « personnes sans mandat ». Autrement dit, d’entrée de jeu, l’archevêque est dépassé : ce sont les politiques adversaires de la loi qui ont décidé de mobiliser le peuple catholique pour s’opposer à son application et renverser la majorité en place pour un jour abroger la loi.

107Le 18 février, la publication de l’encyclique Vehementer, qui condamne la loi dans son principe, conforte considérablement la position des catholiques décidés à en découdre, même si Pie X demandait d’éviter toute violence. L’influence de l’archevêque est affaiblie, même si l’encyclique laissait en fait ouverte la question de l’application de la loi.

108Le deuxième inventaire à poser un sérieux problème dans la moitié Nord du département est alors celui de Rabastens, le 20 février. L’église N.D. du Bourg est occupée par les fidèles. Les gendarmes font évacuer l’église, mais le receveur, conspué (« Voleur ! »), n’ose pas opérer.

109Le 16 février, le préfet a demandé à l’archevêque de faire en sorte que dans le Sud du département (où il sent bien que la résistance peut être encore plus grande qu’au Nord) les portes des églises soient fermées afin que la tactique utilisée à Albi soit inopérante. Il n’imagine pas que fermer les portes va accroître au contraire les problèmes !

110Cela commence spectaculairement, à Mazamet, le 20 février. Il y a 3 000 personnes devant l’église Notre Dame et 2 500 à l’intérieur. Le curé et Amédée Reille sont sur l’escalier devant l’entrée de l’édifice. L’inventaire est impossible. Même chose le 22 pour l’église St Sauveur : 2 000 fidèles à l’intérieur. Après la lecture de sa protestation par le curé, c’est Reille qui prend la parole, pour déplorer que les « opérations actuelles » aient lieu alors que « l’on entend résonner le pas des bataillons ennemis à nos portes et que demain peut-être la France aura besoin de tous ses enfants pour sauver l’honneur du drapeau et défendre le sol de la patrie ». Le préfet ne peut supporter l’échec des inventaires dans le fief des Reille : il décide un envoi massif de troupes. Mais l’alerte est donnée. Les fidèles, avec leurs curés, occupent les deux églises dans la soirée du 25 février. Les troupes arrivent de Castres entre 3 h. et 4 h 1/2 : deux escadrons d’artillerie et 500 artilleurs à pied. Le tocsin sonne depuis 0 h 30. Le sous-préfet de Castres est là à 4 h 30.

111Les opérations commencent à partir de 7 h. du matin par l’église St Sauveur : la porte est enfoncée en 1/2 d’heure. Chaises et poutres ont été amoncelées derrière. Le curé et Reille sont à l’intérieur. Amédée Reille parle : « N’est-ce pas, mes amis, vous me promettez de rester calmes ? Oui, Oui, lui est-il répondu, puis sur un signe du député le credo est entonné. »

112L’autre église, Notre Dame, arbore en façade un drapeau tricolore crêpé de noir, avec en dessous l’inscription : « Vive l’armée ! À bas les francs-maçons ! » La foule est devant l’église et crie. À 7 h 15, les sommations sont faites, sans succès ; le colonel donne l’ordre d’enfoncer une porte latérale. Pendant que les sapeurs opèrent, des manifestants toujours plus nombreux, notamment des jeunes, garçons et filles, veulent parvenir à l’église et cherchent à rompre les barrages de troupes, avec des matraques et en jetant des pierres. Cauquil, de Labrespy, tient une hache à double tranchant et dit que si l’inventaire est effectué il « enfoncera le crâne du sous-préfet ». Il y a des blessés, dont le commissaire de police et le colonel. À 9 h 25, la brèche est faite et Reille entre dans l’église pour parler aux occupants : il en ressort en donnant sa parole au receveur qu’il pourra opérer sans risque. À Mazamet, Reille est roi et il est seul capable d’éviter le drame.

113À Castres, les choses sont moins spectaculaires, mais l’administration est également en grande difficulté. Le 23 février, 2 000 personnes se sont opposées à l’inventaire de la « cathédrale » St Benoît, dont l’archiprêtre est depuis peu l’influent abbé Gabriel Cazes. Des manifestants montés au clocher jettent des ardoises dans la rue sur des contre-manifestants « républicains ». Ceux-ci veulent rentrer dans l’église, fermée à clé et occupée par les fidèles. Bagarre. Bès, l’adjoint au maire socialiste, reçoit un coup de « canne ferrée » sur la tête. L’inventaire ne peut avoir lieu, pas plus qu’à l’église St Jacques. Le 24, à 4 h 30 du matin, la troupe (300 hommes) et deux brigades de gendarmerie interviennent. Cazes, à 6 h 55, déclare céder à la force et donne la marche à suivre pour obtenir les clés. L’inventaire a lieu ici sans effraction. Même chose à St Jacques, où la protestation du conseil de fabrique est lue par son président, Balayé, leader local de l’ALP, futur maire de Castres en 1912.

114Le même jour, l’inventaire se passe sans problème à l’église Notre Dame de Val d’Amour à Graulhet (ville de faible pratique religieuse) mais le 28, il faut à nouveau faire appel à la troupe pour inventorier l’église St Salvy à Albi. Pour agir avec effet de surprise, on a avancé l’heure convenue avec le curé : on est tombé « au moment le plus solennel de la messe, le jour des Cendres ».

115À la fin de février, malgré ces débuts préoccupants, le préfet Giraud croit encore possible de terminer tous les inventaires pour le 15 mars.

116La première quinzaine de mars va au contraire connaître une impressionnante mobilisation et les inventaires vont être impossibles dans une grande partie des paroisses.

117Même dans les villes, il y a des difficultés : pas à Carmaux certes (1er et 8 mars), ni dans le quartier ouvrier de la Madeleine à Albi (5 mars). Mais on échoue à Castres le 1er mars pour l’église de La Platé, et le 5 pour celle de St Jean St Louis, en présence de Xavier Reille. Échec aussi à Lavaur, le 5 mars, à l’église St François.

118En zone rurale, le blocage est général dans les « pays de chrétienté », mais les difficultés peuvent exister aussi en région de foi plus « tiède ». L’annonce de la mort de Ghysel le 6 mars à Boeschepe pousse les passions à leur paroxysme. Le 7 mars, à la Chambre, Amédée Reille a lancé à Briand : « les fanatiques, c’est vous ! » et « vous êtes responsable du sang versé [74] ! »

119La chute du cabinet Rouvier est perçue comme une victoire par les catholiques activistes et leur paraît annoncer un arrêt des inventaires. Il est donc moins question que jamais pour eux de les laisser effectuer. À Albi, des catholiques ont passé la nuit du 7 au 8 dans l’église St Joseph et l’inventaire est rendu impossible le 8. Échec aussi ce jour-là à la « cathédrale » St Alain de Lavaur. Le préfet ne peut pas envoyer l’armée partout en ville… et encore moins dans les campagnes.

120À la mi-mars, on peut constater que les opérations ne se sont déroulées correctement que dans l’arrondissement de Gaillac. Les inventaires y sont achevés partout, sauf dans une paroisse du canton de Cadalen, trois de celui de Gaillac (qui en compte vingt), et dans cinq des quinze paroisses de Rabastens.

121Dans la circonscription d’Albi 1 (celle qui donne de fortes majorités au député radical Andrieu), les inventaires sont faits sans difficultés dans les paroisses rurales du canton d’Albi, mais ils n’ont pas pu avoir lieu dans la majorité des paroisses de deux cantons (celui d’Alban surtout). À Albi 2 (Carmaux), les discours rassurants de Jaurès n’ont pas convaincu tous les catholiques, qui empêchent les inventaires dans 8 des 9 paroisses du canton de Valdériès, 11 des 18 de Valence d’Albigeois, 7 des 17 de Pampelonne, 4 des 15 de Monestiès. Il y a même trois paroisses (sur 7, Carmaux-ville inclus) du canton de Carmaux où il faut remettre l’inventaire à plus tard, notamment à Blaye les Mines, où une « population très nombreuse » a empêché l’inventaire le 12 mars.

122Dans les deux arrondissements du Sud du département, à la mi-mars, les inventaires ont majoritairement échoué dans tous les cantons (sauf celui de Graulhet, mais Graulhet est au centre-ouest du département plus qu’au Sud !). Même dans des zones rurales votant depuis longtemps républicain, l’inventaire est souvent empêché : c’est le cas dans presque toutes les paroisses des cantons de Dourgne et de Vielmur, et dans le village de Compayré, Teyssode. Dans la montagne et le Mazamétain, aucun inventaire n’a été possible (sauf à Mazamet dans les conditions qu’on vient de voir…), y compris dans les 5 communes à majorité protestante.

123Dans les arrondissements d’Albi, Gaillac et Lavaur, la quasi-totalité des inventaires restant à effectuer le seront dans la seconde quinzaine de mars ou au début d’avril, sans emploi de la force. Cet emploi de la force, le préfet et les militants républicains l’avaient réclamé. Mais la circulaire Clemenceau du 16 mars demandait de ne pas tenter l’inventaire s’il y avait risque de violences. On chercha donc à agir avec habileté, pour éviter toute confrontation dangereuse. On agit « à l’improviste » comme l’écrivent de nombreux rapports des percepteurs ou receveurs chargés des inventaires. Par exemple on intervient très tôt le matin, ou en profitant d’un moment où l’église est ouverte sans grande foule. Lors d’une messe d’anniversaire d’un défunt par exemple. Il peut arriver qu’on enfonce la porte, si cela peut être fait rapidement sans laisser le temps d’intervenir à la population (souvent disséminée ; il y a parfois des églises totalement isolées dans la campagne).

124Le 9 avril, le préfet Giraud indique au ministre que « les inventaires sont terminés dans les arrondissements d’Albi, Gaillac et Lavaur ». Mais 137 restent à faire dans l’arrondissement de Castres où « dans la région montagneuse les paysans continuent de fermer leurs églises et de les garder ». Il en restera encore 104 début novembre 1906.

125Le scénario de l’opposition aux inventaires s’est déroulé sur un schéma presque partout identique, avec seulement quelques variantes. La population est au courant de l’arrivée de l’agent de l’administration, parfois grâce à des guetteurs. Elle se masse devant l’église (les hommes surtout) et/ou dans celle-ci (les femmes notamment). Le chemin d’accès à l’église est parfois barré par un tronc d’arbre. Le tocsin sonne. Parfois la porte n’est fermée à clé qu’après la lecture de sa protestation par le curé. Dans les quelques communes où le maire est républicain, le percepteur lui demande de faire appel à un serrurier. Et on ne trouve pas de serrurier disponible. Du reste, la porte est souvent renforcée par des poutres. Devant la porte, les manifestants crient « Vive la liberté ! » ; mais aussi « À bas les francs-maçons ! » ou encore « Vive Dieu ! », « Vive le Christ ! », « Vive le pape ! », voire « Vive la France catholique ! ». Dans l’église, on chante des cantiques, surtout le « Parce domine ! »

126L’agent des domaines est accueilli froidement, en général sans trop d’agressivité (l’archevêque l’avait demandé). Il y a des exceptions, si l’agent est déjà peu aimé (c’est sans doute le cas à Alban) ou peu connu, tout nouveau dans le canton. Surtout l’agressivité est variable selon les régions : relativement modérée dans le Ségala (Est de Carmaux) ou dans l’arrondissement de Lavaur, où l’on a juste crevé les pneus du vélo du percepteur à Montgey, et où la foule a été jugée « menaçante » dans quelques paroisses. L’agressivité est forte dans la montagne castraise et le Mazamétain. Et c’est là aussi que les effectifs rassemblés sont les plus impressionnants : 200 à 300 personnes parfois pour des paroisses minuscules. La très grande majorité des habitants est là. C’est un rassemblement extraordinaire et grave. Dans le Mazamétain, certains manifestants ultras vont d’une paroisse à l’autre : le fait semble rare ailleurs. Les agents des domaines notent avec inquiétude la présence dans la foule d’instruments dissuasifs : fourches, faux, pioches, et très souvent bâtons. On a déjà cité les jets de pierre à Mazamet.

127Les insultes peuvent être violentes, dans le Mazamétain surtout : « Fainéants ! Salauds ! Crapules ! » Même des femmes nous crient ça, note tristement le commissaire de police de Mazamet (qui finira par demander sa mutation [75]). Selon lui, la présence de montagnards descendus en ville pour l’occasion a accru la violence fin février. Et les inventaires ont été évidemment impossibles les jours suivants dans les villages d’où ils venaient. 500 personnes devant l’église de St Pierre des Plos (dont dépend le village de Labrespy) : « À l’eau ! À la rivière ! Fainéants ! » Les gardes champêtres aussi sont menacés : « Vous nous le paierez plus tard, fainéants que vous êtes [76] ! » Le sous-préfet conclura : « Les montagnards du village de Labrespy et des villages voisins sont historiquement connus par leurs traditions de sauvagerie ; ils sont absolument réfractaires au mouvement moderne et ne parlent même pas le français. Ils sont décidés à une résistance désespérée où ils ne craindraient point de jouer leur vie. Ils ont déclaré qu’ils voulaient du sang [77]. »

128Labrespy, c’est un cas extrême. La violence existe néanmoins ailleurs. À St Jean del Frech, minuscule église perdue dans la montagne au-dessus de Vabre, en un lieu où jadis, en 1689, les troupes du roi avaient surpris une « assemblée du désert » et tué quelque 50 « religionnaires », le percepteur se sent pris dans « un véritable guet-apens » lorsque surgit des fourrés alentour « une foule énorme armée de bâtons terminés en pointe ou en forme de massues [78] ». À Lacrouzette, dans le plateau granitique du Sidobre au-dessus de Castres, 800 catholiques s’opposent à l’inventaire de l’église et même à celui du petit temple protestant. Un coup de feu est tiré : un gendarme reçoit un coup de bâton sur la tête. Et une « bande armée de 300 à 400 individus » poursuit le percepteur jusqu’à Roquecourbe, à 9 km, où il se réfugie à la gendarmerie.

129Les déclarations faites par les curés et desservants, incluses par le receveur dans les procès-verbaux, offrent une documentation remarquable sur l’attitude du clergé paroissial à l’égard de la loi de 1905 et permettent, plus largement, de saisir leurs idées, et même souvent d’avoir une idée de leur culture et de leur sensibilité. Ces textes sont rédigés le plus souvent avec soin, parfois très longs, quelquefois verbeux, assez souvent en partie stéréotypés, mais souvent très personnels. On imagine que, dans la solitude des presbytères ruraux, la rédaction de textes aussi graves a pu avoir une fonction de défoulement pour des rancœurs et des souffrances endurées depuis longtemps. L’émotion, perceptible dans le ton employé, est parfois explicite : « Je souffre comme je n’ai jamais souffert », écrit le curé de Ste Cécile à Carmaux. Presque tous les curés se réfèrent au pape pour justifier leur protestation contre un pouvoir qui « a juré la ruine de la religion ». « Le Bloc ne nous dit rien qui vaille », écrit sans détour le desservant de St Jérôme et « le châtiment s’abattra sur les auteurs et exécuteurs de cette loi », s’exclame, terrible, le curé de St Privat de Carmaux. Certains curés s’en prennent personnellement au percepteur qui accomplit une « sale besogne [79] ». La plupart sont plus modérés [80], se référant parfois aux conseils donnés par l’archevêque.

130Deux thèmes dominent :

131L’inventaire est une spoliation, un vol

132Ou, en tout cas, il y conduit. Telle est la conviction à peu près unanime. « Ce n’est pas à l’État sans Dieu qu’appartient cette cathédrale », déclare l’archiprêtre de St Alain de Lavaur. « Ces biens sont à nous et sacrés », dit le desservant de St Géry (canton de Rabastens). L’inventaire n’est donc qu’un acte de force, contraire au Droit : « Nous subissons cette force qu’on appelle la loi et qui dans l’espèce n’est pas la loi ni la justice [81]. »

133Dans ces conditions, il n’y a pas à discuter précisément tel ou tel article de la loi. On ne trouve guère de vrai débat sur les cultuelles dans les déclarations des curés.

134La confiance a déjà été trahie

135Les références à la Révolution sont très fréquentes, comme celles à l’application de la loi de 1901. « Nous ne sommes pas dupes du mirage hypocrite des mots » (curé de Lombers). Comment dès lors croire que cette loi de Séparation soit sincèrement libérale ? Comment croire que l’inventaire soit un simple « acte conservatoire » ? « Le passé me fait trembler pour l’avenir » écrit significativement l’archiprêtre de Lavaur.

136Bien d’autres thèmes sont présents dans les protestations du clergé paroissial :

137Le thème de la nécessité du sacrifice est fréquent : le desservant de St Jérôme, déjà cité, rappelle que le Christ en croix accepta qu’on fît l’inventaire de ses vêtements. Celui de Larroque, dans le même canton très peu dévot du Gaillacois, assure que « la souffrance est l’unique voie qui conduit au triomphe du Thabor ». D’ailleurs, « qui sait si une ère nouvelle de persécution violente n’est pas nécessaire pour régénérer cette foule de catholiques qu’on a tant de peine à reconquérir comme tels ? »

138Après la mort de Ghysel, un curé, exalté, voit s’approcher l’heure de la « fusillade des catholiques » ou de leur « mort sur l’échafaud ». D’autres pensent que la liberté du culte est menacée.

139Le catastrophisme touche aussi l’avenir de la France : « Si cette loi était appliquée, elle ferait du peuple français la risée ou l’effroi des autres peuples. » L’Église, elle, survivra toujours, car « elle a les promesses d’immortalité. » Mais « la France, elle, ne les a pas. » Le desservant de Vieux pense que la Séparation prélude à la révolution sociale (ainsi, ce qui est espoir et projet pour Jaurès est pour lui hantise…) : « Dieu veuille que les plus terribles commotions sociales n’apprennent pas bientôt à notre chère France que tous les droits sont solidaires, la rupture d’un anneau amenant infailliblement la destruction de la chaîne entière. » Avec des discours aussi alarmistes, on comprend que certains fidèles aient le sentiment d’un « recul momentané de la civilisation [82]. »

140Le curé des Avalats pense que la loi va créer du chômage [83].

141Plusieurs curés prennent la République au mot : celui de Tréban (Pampelonne) prend acte du fait que l’État refuse « l’action de la religion dans le domaine laïque ». Mais, alors, il faudrait que, symétriquement, il ne « commette pas d’intrusion sacrilège sur le domaine de l’Église. À chacun ses droits. » Le curé de St Sulpice la Pointe réclame une vraie application de la trilogie « liberté, égalité, fraternité », actuellement trahie, par la loi de Séparation notamment. Il y a même deux curés se réclamant de la « déclaration des droits de l’homme » qui légitime l’insurrection « quand le gouvernement viole les lois du peuple » : ils se gardent bien de dire qu’il s’agit de la déclaration de 1793 !

142Les protestations des conseils de fabrique, parfois distinctes de celles des curés, et également incluses dans les procès-verbaux, insistent plus sur les aspects juridiques (surtout s’il y a des juristes dans le conseil de fabrique). Le ton antigouvernemental est parfois véhément. À la campagne, on trouve des récriminations précises concernant le mobilier des églises, offert par des fidèles. Le thème selon lequel l’État et les communes n’ont rien donné ou presque depuis 1802 est omniprésent, comme dans les protestations des curés.

143Comment expliquer les troubles des inventaires ?

144La thèse des partisans du Bloc, surpris par l’ampleur de l’événement, est qu’il s’agit d’une manipulation organisée par les Reille et consorts. La presse cléricale, depuis février, a habilement suscité l’émotion du public catholique, non sans arrière-pensée électorale [84]. Dans les populations plus ou moins arriérées des campagnes les plus lointaines, cela a pu conduire jusqu’à la fanatisation des populations.

145Le rôle des curés eux-mêmes est aussi mis en cause, mais moins souvent (et celui de l’archevêque jamais).

146Que penser de ces explications ?

147Le rôle de la presse est évident : la diffusion de la condamnation pontificale a fait le jeu des extrêmistes des deux camps et affaibli l’impact des discours apaisants des Jaurès ou des Mignot. Les informations sur les incidents de Ste Clotilde puis sur la multiplication des troubles dans de nombreuses régions en exagèrent l’impact : de nombreux catholiques ont cru que toute la France s’insurgeait, alors que les inventaires ne sont empêchés que dans une église sur six. L’affaire de Boeschepe porte la dramatisation médiatique à son comble. Le percepteur de Lavaur note le 8 mars, dans la petite commune de Villeneuve-les-Lavaur : « J’allais procéder à l’inventaire quand M. le curé a communiqué un article d’un quotidien annonçant la chute du ministère et la suppression temporaire des inventaires. Dès lors, les membres de la fabrique m’ont obstinément interdit l’entrée dans l’église. »

148Le rôle des notables catholiques est non moins évident, en tout cas dans le déclenchement des troubles. On l’a vu à Albi. Le 16 février (avant la publication de l’encyclique donc), à Hauterive, petit village de la commune de Castres, M. de Villeneuve, le châtelain, présent dans l’église, refuse l’inventaire ; mais le curé ouvre la porte et se contente de lire sa protestation, devant un petit nombre de fidèles (femmes surtout). Mme de Villeneuve est à ses côtés et elle déclare : « On nous dépouille, vous vous rappellerez de cela lors des élections ! » Le sous-préfet de Gaillac note que les attroupements devant les églises « sont dus aux hobereaux plutôt qu’aux curés ». Outre la présence des frères Reille lors des inventaires de Mazamet et Castres, signalons aussi celle de M. de Lapanouse, leader albigeois de l’ALP, à Lacondomine (près d’Ambialet), celle de M. de Belcastel (leader de l’ALP dans l’arrondissement de Lavaur) à Cuq Toulza, ou encore celle du comte Gardès, leader royaliste, à Lisle-sur-Tarn. Cela dit, la montagne a peu de châteaux et peu de nobles. Or, c’est là que la mobilisation est la plus massive. L’influence des notables ne peut tout expliquer.

149Les percepteurs notent parfois que c’est le curé qui a « excité » les populations. Mais il n’a pas toujours d’écho [85] et il y a des exemples de curés jugés compréhensifs et relativement coopératifs [86] qui par exemple s’entendent avec l’agent des domaines pour trouver une date et une heure qui conviendraient. Ces curés-là ont compris la lettre pastorale de l’archevêque. Lequel, d’ailleurs, est si impressionné par l’ampleur de la mobilisation populaire qu’il sera un moment prêt à se rallier à la stratégie d’affrontement.

150Certains curés, en fait, comme lui, ont été surpris, et parfois débordés par les événements. C’est le cas à Roquerlan, un des villages « violents » au-dessus de Mazamet. À St Pierre de Combejac (canton de Vabre), le curé « aurait pu consentir mais il est trop âgé pour s’imposer ». À Labessière (canton de Murat), le curé était « neutre » mais les fabriciens ont empêché l’inventaire.

151Les incitations de la presse de droite et des notables traditionnels, quelquefois celles des curés, sont réelles, mais il reste à expliquer pourquoi le peuple catholique les a très souvent suivies, et même à se demander s’il n’a pas en partie agi de lui-même. La protestation ne prend d’ampleur que dans les régions de pratique (et sans doute de foi) fervente. Là, un sourd mécontentement grondait depuis les années 1880, un instant atténué dans les années 1890, de plus en plus grand face à la politique « radicale » menée depuis le début du xxe siècle. Le départ des congrégations enseignantes, présentes parfois dans de minuscules localités, et très appréciées, a été très mal vécu. En semblant constituer une spoliation et un sacrilège, l’opération d’inventaire est, dans un tel contexte, perçue comme le passage à un degré de plus dans l’abus, intolérable.

152Les habitants de la paroisse voient dans l’arrivée de l’agent de l’État celle d’un intrus dont la mission n’est pas claire et a priori menaçante pour le maintien de la vie traditionnelle. Des éléments essentiels sont en cause, quelque chose qu’on peut désigner comme étant du domaine du sacré, chrétien bien sûr, mais en même temps relevant de l’attachement à la terre et aux morts. Les curés, en phase là avec les paroissiens, évoquent souvent les morts dont les dépouilles ont été inhumées dans les cimetières entourant, souvent encore, les églises : laisser profaner l’église serait leur être infidèle. À Villeneuve sur Vère, le desservant déclare : « Ces biens gardent en quelque sorte l’empreinte des sentiments, des impressions ressenties par nos devanciers, ils nous racontent leur histoire, ils nous parlent de nos chers disparus, voilà pourquoi nous les aimons, voilà pourquoi nous les garderons à n’importe quel prix. » Près de Graulhet, à Notre Dame des Vignes, le curé invoque l’amiral Benjamin Jaurès, enterré là : « Amiral, nous écrierions-nous, levez-vous pour défendre votre église et votre clocher [87] ! »

153On voit ressurgir aussi de séculaires méfiances contre le pouvoir lointain qui menace, comme pendant la Révolution, notamment, la vie traditionnelle des ruraux. Les inventaires sont l’occasion d’un face à face à la base entre la République radicale et les ruraux catholiques. Un affrontement qui a parfois l’air d’une ultime jacquerie, à la violence mimée plus qu’exercée, dans des campagnes encore « pleines », mais qu’allaient bientôt vider chemins de fer [88], routes et guerre de 14.

154Les partisans de la loi de Séparation ont peu réagi à ces événements. Des contre-manifestants « républicains » ne sont signalés qu’en ville, à Gaillac, Albi, Rabastens, Castres. Il n’y en a pas à Mazamet, où ils auraient été trop peu nombreux… et auraient pris de sérieux risques !

155La presse pro-loi déplore l’hypocrisie de la « réaction » qui déclenche les troubles des inventaires alors que ce sont des députés de droite qui avaient demandé que des inventaires soient faits. Elle s’étonne de la faiblesse des sanctions prises contre les auteurs de violences (on est bien plus indulgent pour eux que pour des grévistes, note Le Cri). Elle ne parle pas en général des manifestants avec des termes aussi dédaigneux que ceux du sous-préfet de Castres (« sauvages », « fanatisme »), mais assurément ces paysans la déçoivent ! Les militants radicaux ou socialistes ne mesurent pas l’importance des symboles et du sacré. Les curés aussi déçoivent. Certains ont fait preuve de duplicité, prétendant indiquer le bon moment pour l’inventaire, alors qu’en fait une foule se trouvera assemblée devant l’église le moment venu. On les trouve peu reconnaissants, alors que 92 % d’entre eux avaient déjà fait, avant les inventaires, la demande nécessaire pour bénéficier des pensions prévues par l’article 11.

156L’hostilité au « pape Sarto » (Pie X), « vendut a Guillaoumès dous [89] » atteint des sommets.

Les législatives de mai 1906 : la loi demeurera

157L’objectif de Pie X et de l’ALP, c’était de gagner les élections législatives afin qu’une nouvelle majorité politique défasse ce que le Bloc avait fait.

158Les Reille, comme La Croix, avaient créé les conditions favorables pour que des incidents aient lieu pendant les inventaires. Peut-être furent-ils surpris par l’ampleur du mouvement. Si les curés les plus illuminés se préparaient aux sacrifices les plus sublimes, l’ALP en revanche n’envisageait nullement la guerre civile et elle a cherché à éviter les débordements. L’attitude d’Amédée Reille à Mazamet l’a bien montré : comment ceux qui exaltaient tant l’armée auraient-ils pu dresser la population contre celle-ci ? L’affaire des inventaires était pour les Reille question de tactique plus que de stratégie. Les manifestations étaient un symbole remarquable de l’opposition des catholiques au Bloc et l’on comptait bien en recevoir la traduction dans les urnes.

159Dans le Tarn, cet espoir est exaucé puisque la Droite gagne un siège, celui de Lavaur. De plus, si Jaurès est réélu, c’est de justesse, avec 50,8 % des voix, en léger recul (51,5 % en 1902 [90]). Andrieu triomphe certes toujours à Albi 1 (55,2) mais le triomphe d’A. Reille est encore plus net à Castres 2 (61,6 %, au lieu de 51,9 % en 1902 face à Galibert-Ferret). À Castres 1, Xavier Reille améliore lui aussi son score, passant de 52,4 à 54,4 % des suffrages. La dramatisation des inventaires a contribué à un progrès de l’opposition. Son brillant succès à Lavaur est certes dû en grande partie à l’attitude de Compayré, théoriquement toujours radical, mais qui a voté contre la loi de Séparation et qui cherche des voix au centre-droit. Il s’est donc vu opposer un candidat radical-socialiste, Morel, appuyé par La Dépêche, qui reste en lice au 2e tour face au baron de Belcastel (ALP). Élément significatif, environ 1 000 voix qui s’étaient portées sur Compayré au 1er tour ne se reportent pas sur Morel au 2e, mais sur de Belcastel ! On peut penser qu’il s’agit de catholiques peut-être tièdes, votant jusqu’ici « républicain » (depuis le temps de Compayré aîné), mais qui trouvent que les radicaux sont allés trop loin dans l’anticléricalisme. Peut-être que certains avaient participé aux protestations anti-inventaires, fréquentes dans cette circonscription… Belcastel, très présent sur l’arrondissement dès 1898, tire parti de cet électorat, alors que Compayré, qui en connaissait l’existence et l’a conservé au 1er tour, n’a pas réussi à l’élargir vers la droite, et ce malgré son vote anti-Séparation.

160À l’inverse en Gaillacois, où les inventaires avaient eu lieu aisément presque partout, le très anticlérical Gouzy est réélu sans problème. Son adversaire progressiste, soutenu par la droite classique dès le 1er tour, s’est retiré au 2e[91] ! Mais les progrès de la Droite catholique dans le Tarn n’ont pas été suivis dans la plupart des départements français. Les adversaires de la loi de 1905 sont battus. L’ALP, La Croix et Pie X ont perdu.

161Il faut bien que l’Église s’adapte à la situation. La première assemblée générale de l’épiscopat (31 mai-1er juin), dont Mgr Mignot est secrétaire général, approuve le projet d’associations canoniques légales proposé par Mgr Fulbert Petit. En juin, l’archevêque d’Albi met sur pied une « caisse diocésaine des traitements du clergé ». Depuis février, il a réuni des professeurs de l’école Ste Marie pour mettre en place une « ligue de l’enseignement libre du Tarn » qui tiendra son premier congrès fin septembre sous la houlette de la baronne Reille. Celle-ci, par ailleurs, « cherche à transformer la ligue patriotique des Françaises en ligue de défense religieuse » dont les militants « sont décidés à obéir aveuglément à la volonté du pape ». Xavier Reille est sur une ligne peut-être moins rigide que celle de sa mère : Le Cri note qu’à la Chambre il vote en faveur de la réintégration de Picquart avec le grade de général de brigade [92]. Lors du deuxième congrès départemental de l’ACJF à Castres, les 7-8 juillet, il invite la jeunesse à l’action (« ne faisons pas comme St Pierre, le calotin peureux ») mais aussi à l’étude de l’Évangile (« le lisons-nous comme les protestants [93] ? »).

162Lesquels protestants, eux, de février à juin, ont mis en place leurs cultuelles. Ceux qui avaient été les plus réticents envers la loi se rassurent.

Le blocage

163L’interdiction des cultuelles par Pie X (encyclique Gravissimo, connue à la mi-août) brise les derniers espoirs d’une application de la loi à l’Église catholique. Le pape donnait clairement raison aux intransigeants en écrivant que la loi « était une loi non de séparation mais d’oppression ». Birot est accablé : « C’est le coup de grâce qui achève l’Église politique telle qu’elle était sortie du Moyen Âge. D’un coup le pape nous ramène au règne de Claude ou de Trajan [94]. » Mignot croit encore possible de lire des possibilités d’ouverture dans la lettre du pape, si l’État voulait bien donner des garanties quant à la possibilité pour l’Église de conserver son organisation hiérarchique dans le cadre des cultuelles. À la veille de la deuxième assemblée des évêques, il contacte Louis Méjan par l’intermédiaire de Mme Waldeck-Rousseau. Méjan appréciait Mignot « l’évêque le plus pieux et le plus savant de France, […] à tendances gallicanes [95]. » Mais Méjan refusa d’engager la discussion en l’absence de Briand (alors en villégiature). La deuxième assemblée des évêques (4-7 septembre), impressionnée par la condamnation des positions de Mgr Le Camus par Rome, se résigne à accepter l’encyclique.

164L’intransigeance de Pie X accentue celle des anticléricaux. Le Cri des travailleurs est indigné de voir Pie X rejeter en fait les suggestions de la 1re assemblée des évêques tout en prétendant s’en inspirer [96]. S’adressant aux évêques, l’adjoint au maire socialiste de Castres, Bès, déclare : « Nous ne ferons pas de vous des martyrs mais nous serons vainqueurs, soyez en assurés. »

165La presse radicale et socialiste donne une certaine place à l’éphémère tentative de mise en place de cultuelles catholiques par la « Ligue des catholiques de France » d’Henri des Houx, un temps encouragée par Briand [97].

166Malgré les divisions désormais fortes entre radicaux et socialistes, la politique gouvernementale reste dans la lignée de celle fixée en 1905 en ce qui concerne la Séparation (qui n’est plus la préoccupation n° 1, ni des Français, ni du pouvoir). On ne modifiera pas la loi. On ne négociera rien avec Rome. On « n’ira pas à Canossa ». Fermeté sur le fond, souplesse dans la pratique : on ne persécutera pas l’Église catholique, on lui laissera une entière liberté de culte.

167La fermeté conduit Clemenceau, président du conseil depuis le 23 octobre, à décider d’en finir avec les inventaires :

168La 2e phase des inventaires ne dure qu’une semaine (20-26 novembre)

169Elle ne concerne que l’arrondissement de Castres où 104 paroisses, on l’a dit, restaient à inventorier. Depuis mars, elles étaient restées fermées, barricadées souvent, surveillées par des fidèles vigilants.

170Depuis le printemps, certains milieux continuaient à connaître une grande excitation. La procession du 15 août à Aussillon (à côté de Mazamet) se clôture aux cris de « À bas les francs-maçons ! », à l’instigation du curé.

171En novembre, des troupes considérables sont concentrées dans le Sud du Tarn : 6 compagnies du 143e R.I. d’Albi, 4 escadrons de cavalerie (2 venus d’Auch, 1 de Montauban et 1 de Carcassonne), auxquels s’ajoutent 100 canonniers à pied et 100 artilleurs à cheval de Castres, plus toute la gendarmerie du Tarn, « renforcée de brigades des départements voisins ». Soit sans doute quelque 1 500 hommes. La résistance de la « forteresse conservatrice » qu’est le Sud Est du Tarn doit être brisée. Les cantons où des églises restent à inventorier sont très exactement ceux qui donnent constamment leurs voix à la famille Reille.

172Un véritable plan de campagne est établi. Il faut jouer sur la vitesse et l’effet de surprise pour limiter au maximum le contact avec les manifestants. Le 20 novembre certaines unités font 40 km dans la journée. Cette première journée est consacrée aux points qui avaient été les plus « chauds » en février-mars : la périphérie de Mazamet. La fameuse église de St Pierre des Plos est prise à l’improviste à une heure du matin, grâce à une savante manœuvre de contournement du village de Labrespy. Seul un escadron, étourdi, traverse le village, donnant l’alarme : la foule accourt : trop tard. Les autres unités ont déjà pris position.

173Les troubles sont moins fréquents et moins graves qu’en février/mars. Ils ne sont vraiment importants qu’en 5 ou 6 lieux. À Aussillon, le 20 novembre, une « foule en furie », d’une « sauvagerie que rien n’approche » s’installe devant l’église et surtout dans une cour qui la précède. Cette cour est fermée par une grille et une porte cadenassée. Il faut 1/2 heure à la troupe pour entrer dans la cour. Ce fut une « mêlée affreuse ». Des coups sont échangés. Le sang coule. Il y a des blessés des deux côtés, notamment le commissaire et un gendarme. On procède à 5 arrestations, dont une femme qui a jeté une pierre. 3 arrestations aussi au Bez, près de Brassac. À la petite gare de Brassac, toute nouvelle, une manifestation a lieu lors du départ des prévenus vers Castres.

174Au total cependant, les divers rapports soulignent que les opérations ont été plus faciles que prévu. La plupart des portes des églises étaient ouvertes ou l’ont été sans effraction. Les sapeurs ont en tout forcé les portes de 40 lieux de culte. En beaucoup d’endroits, les populations sont décrites comme « indifférentes ». Il y a beaucoup moins d’hommes dans les rassemblements qu’en mars. Les femmes restent plus mobilisées. Cette fois, pas d’« équipement » type faux, fourches ou gourdins. À part les jets de pierre et bagarres à Aussillon et à St Amans Valtorêt, et quelques bâtons ici ou là, il n’y a pas vraiment de violence, même pas symbolique. Le tocsin ne sonne qu’en quelques lieux. Les cris sont plus rares. Toujours les mêmes : Vive la liberté ! À bas les francs-maçons ! Avec en plus, à Roquecourbe, pays natal d’Émile Combes : « À bas Combes [98] ! »

175Même dans le secteur de Mazamet, malgré l’affaire d’Aussillon, le commissaire constate « une grande détente dans les esprits ».

176Le contraste avec février-mars vient sans doute d’une certaine lassitude de l’opinion, de la soudaineté de l’arrivée des troupes, et surtout de l’intimidation exercée par celles-ci. À St Baudille, à l’arrivée des soldats, la population se réfugie dans le cimetière.

177Une autre explication est avancée par l’administration : l’absence, cette fois, des notables : pas de Reille, pas de nobles, pas d’élus importants. Selon les commissaires et le sous-préfet, cette absence des « cadres » aurait surpris la population. Un conseiller municipal de Mazamet, « relais local de Reille », déclare au commissaire spécial : « Je suis on ne peut plus satisfait que vous ayez réussi à tromper la vigilance de la population. L’affaire est terminée. N’y pensons plus ! » L’échec national aux législatives oblige l’ALP à redéfinir sa stratégie et elle ne veut pas accompagner quelques sursauts populaires sans débouché politique. Voir leur électorat s’opposer à l’armée aurait été politiquement désastreux pour les Reille.

178Quant aux curés, leur attitude est jugée « diverse » par le sous-préfet. Quelques-uns s’opposent [99] mais ont peur des troupes [100]. D’autres, prudemment, sont absents dans les secteurs les plus risqués : Aussillon, St Amans Valtorêt. D’autres, plus souvent qu’en mars, coopèrent, ouvrant eux-mêmes la porte. Celui de Jaladieu a même une « attitude excellente ». Parfois enfin, si le curé refuse la clé, c’est le président de la fabrique qui la donne.

179La mobilisation populaire lors des inventaires de novembre a donc été partielle (par rapport à mars) et sans chefs.

180Malgré le vide juridique dans lequel on allait se trouver quant à la situation du culte catholique, de nombreux militants de gauche considèrent, après la fin des inventaires, que « l’œuvre anticléricale est terminée » et que « la voie des transformations sociales s’ouvre largement » : c’est le jeune radical-socialiste Coudert qui le dit.

181Côté catholique, le désarroi est grand. Les intransigeants de toujours sont confortés dans leur propension à la dramatisation. Selon un « factum » distribué dans l’arrondissement de Lavaur, « la loi renverse l’ordre établi par le Christ » et « elle est arrangée pour faire déserter les églises [101] ».

182Mgr Mignot aurait pu rester dans la Berbie, le vénérable palais-forteresse des archevêques d’Albi, dominant le Tarn. Le Conseil Général était prêt à le lui louer. Il refuse, considérant qu’il serait accusé de pactiser avec le pouvoir s’il acceptait. Aucune manifestation ne marque son départ, contrairement à ce qui eut lieu dans de nombreux diocèses.

183Notons cependant encore un épisode tendu à Lavaur : il faut forcer les portes du Petit Séminaire [102].

184À partir du 11 décembre, date fixée pour le début d’application de la loi, les prêtres catholiques qui célèbrent la messe dans des églises qu’ils occupent sans titre (en l’absence de cultuelles catholiques), doivent faire une déclaration. Sans quoi, il y a « délit de messe ». L’archiprêtre de Castres, Cazes, refuse la formalité et est donc verbalisé dès le 11. Délit de messe aussi pour Calvayrac à Albi (St Joseph).

Quel bilan faire, à la fin de 1906 ?

185Le Tarn a réagi lors des débats menant à la loi et au lendemain de son vote à l’instar du reste de la France. En partie seulement comme dans l’Est aquitain influencé par La Dépêche. En partie aussi, et plus spectaculairement, comme les « pays de chrétienté », de la Flandre à la Bretagne et à la Lozère, dressés contre les inventaires.

186Les efforts de Jaurès pour rendre la loi acceptable n’ont pas réussi à rassurer les catholiques qui continuent à voir en lui un homme qui a soutenu Combes jusqu’au bout, et dont les propos reprennent souvent les thèmes classiques de l’anticléricalisme, non sans virulence parfois. La pédagogie jaurésienne a en revanche sans doute freiné les ardeurs des anticléricaux les plus ultras.

187Pour l’Église d’Albi, le bilan est lourd. L’archevêque avait échoué dans sa recherche du « moindre mal », à cause de l’intransigeance de Pie X, dont il dira, dans son journal, lorsqu’il mourra en 1914 : « Pie X s’est trompé d’époque [103] ». Si les cultuelles avaient été tentées, l’Église aurait conservé légalement l’usage de tous ses bâtiments. Sans doute le denier du culte aurait été tout autant nécessaire et, le sort matériel des curés perdant son attrait, le nombre des vocations aurait diminué. Mais le conflit avec l’État s’apaisant, le climat de suspicion (qui devait désormais être si préjudiciable à l’Église) n’aurait peut-être pas été aussi grand. Alors qu’il allait maintenant inverser la tendance du conformisme : aller à la messe serait pour longtemps mal vu pour les fonctionnaires, les instituteurs, ou pour le tout-venant attendant quelque faveur des puissants. La pratique religieuse allait baisser, surtout dans les zones où elle était déjà modeste [104].

188Chez les fidèles engagés dans la défense de leurs églises en mars ou en novembre, il y avait une certaine fierté à avoir agi avec courage. « Ces purs, note sarcastiquement L’Émancipation, le journal de Lucien Coudert, se glorifient des mutilations des portes de leurs églises. Le critérium de leur foi se mesure à l’épaisseur du bois, au temps mis à les ouvrir, aux hurlements plus ou moins prolongés, à la violence des coups donnés. » Et le village d’Aussillon, couvert de « gloire », « fait la nique à Caucalières dont l’église est vierge [105] ».

189Il faudrait que les curés, désormais, comptent avec ces fidèles qui avaient agi souvent d’eux-mêmes et dont on allait solliciter l’aide financière.

190La politique du type de celle menée par les Reille dans le Tarn, soucieuse de mobiliser l’opinion catholique contre la loi, n’avait pas favorisé le succès des tentatives de Mgr Mignot et avait contribué, dans une certaine mesure, au choix d’une politique intransigeante par le pape. Il n’y a pourtant pas d’antagonisme perceptible entre Mignot et les leaders locaux de l’ALP. Les notables catholiques restent indispensables par exemple pour la défense de l’école catholique. Et ils ne gênent pas les efforts de Birot et de toute une cohorte de jeunes prêtres pour relancer l’apostolat et la pastorale sur des bases nouvelles [106]. La loi de Séparation entraîne un remarquable effort de renouvellement, une foule d’initiatives, qui feront qu’un jour cette loi initialement haïe finira par être acceptée, voire revendiquée comme salutaire.

191Sur le moyen, voire le long terme, la mémoire qui sera conservée par les manifestants et léguée à leurs descendants sera douloureuse, et durablement hostile envers une certaine politique laïque, arrogante, « jacobine » (le mot est employé), qui a même envoyé l’armée contre de paisibles paroissiens. « Plusieurs générations passeront et ce souvenir restera » avait prédit le curé de Saussenac lors de l’inventaire. Et un habitant de St Amans Soult avait noté dans son journal : « L’inventaire a été clos à 7 h., laissant dans le cœur d’une assez grande foule qui était là présente et émue jusqu’aux larmes, et dans St Amans tout entier, un poignard qui sera le souvenir des générations futures [107]. »

192Les débats et affrontements autour de la loi de Séparation, en 1905-1906, ont été un moment fort, bousculant les consciences, propice aux interrogations sur l’avenir. Un avenir plein d’incertitudes pour tous. Ceux des catholiques sensibles aux analyses d’un Birot ou d’un Mignot, peu nombreux encore, se battent pour sauver l’essentiel et parler à un monde nouveau un langage qu’il puisse comprendre. Au congrès départemental de l’ACJF, Birot dira en 1909 : « On vous dit de travailler au triomphe de l’Église ; moi je vous dis, au nom de l’Église, de travailler simplement au bien de l’humanité. »

193Les catholiques les plus acharnés à combattre la République laïque s’estimaient confortés dans leurs analyses par les événements et par l’attitude du pape. Peu d’entre eux cependant, dans le Tarn, seront tentés par l’Action Française (semble-t-il, car nous manquons d’études là-dessus). Dans l’entre-deux guerres, les partisans tarnais de Charles Maurras s’opposeront avec virulence au représentant de la famille Reille, François Reille-Soult, passé à la démocratie chrétienne (PDP) ! Les fissures déjà apparues en 1905 entre Xavier Reille et les intransigeants s’étaient agrandies !

194Chez les protestants, que d’incertitudes aussi ! Certains imaginent que des catholiques, privés de l’appui de l’État et déçus par la papauté, se rapprocheront des Églises de la Réforme. D’autres voient plutôt possibles, face à la montée de la libre-pensée, un rapprochement avec les catholiques, et aussi une réconciliation entre protestants « orthodoxes » et « libéraux ». Beaucoup sont inquiets devant la montée de l’indifférence religieuse et de l’athéisme [108].

195À gauche, peu de militants ou d’électeurs ont la sensibilité et l’aptitude aux larges visions d’un Jaurès pour imaginer ce que pourrait être l’avenir d’un catholicisme démocratisé et modernisé [109]. Mais Henri Bès découvre en octobre 1906 qu’« on ne trouve pas le sectarisme que dans l’Église de Rome [110] ». Et des débats contradictoires sont possibles sur le « fait religieux [111] » (comme on ne disait pas encore). Le libertaire Sébastien Faure vient ainsi à Castres parler du « sentiment religieux » Un pasteur lui répond pendant près d’une heure, écouté dans un silence « religieux » [sic], « coupé d’applaudissements ». Il expose sa conception d’un « christianisme moderne ». L’auteur du compte rendu de cette réunion pour le journal de Lucien Coudert avoue juger cette conception de la religion « presque éthérée », mais il considère que ce pasteur est « singulièrement attaché à la libre-pensée » et il apprécie qu’il veuille que les chrétiens soient des « artisans du progrès social » [112].

196On invite même une femme, Marie-Louise Paturel, sans doute une ex-religieuse venue à la Libre Pensée. Là aussi, à Mazamet, un pasteur (de l’Église libre) vient dialoguer avec elle. Mais il ne réduit pas son intransigeance : elle estime tout à fait insuffisante la loi votée en décembre 1905. Il faut « faire la Séparation des familles et de l’Église, sans laquelle l’autre n’est rien ».

figure im1

Notes

  • [1]
    Jean Faury, Cléricalisme et anticléricalisme dans le Tarn (1848-1900), Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1980.
  • [2]
    Le Cri des travailleurs, 25 juin 1905.
  • [3]
    L’Écho du Tarn, 25 mai 1905.
  • [4]
    Lettre de Rabaud à Pressensé le 15 juin 1903, citée par Maurice Larkin, L’Église et l’État en France. 1905 : la crise de la Séparation, Privat, 2004 (traduction), p. 123.
  • [5]
    La Croix du Tarn, 22 juillet 1906.
  • [6]
    L’Avenir du Tarn, 30 mars 1905, au lendemain de la mort de Barbey.
  • [7]
    Le Cri des travailleurs, 25 juin 1905.
  • [8]
    Cf. la thèse d’Henri Lerner, La Dépêche de Toulouse, publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1979.
  • [9]
    AD Tarn IV M2 93. Tableau des conseillers généraux en décembre 1904.
  • [10]
    L’Avenir du Tarn, 11 juin 1905.
  • [11]
    L’Émancipation du Tarn, 25 novembre 1906.
  • [12]
    AD Tarn, IV M2 89. Renseignements sur les groupes politiques du département.
  • [13]
    Ibid. IV M2 90 Accueillant Pelletan venu inaugurer la statue de l’amiral Benjamin Jaurès le 27 septembre 1903, Serres déclare : « Si je suis partisan des réformes qui peuvent améliorer le sort des travailleurs, je ne le suis pas moins de l’indépendance des chefs d’usines dans la gestion de leurs affaires, c’est à dire le respect de la liberté de direction et de l’autorité patronale, conditions indispensables au soutien de la lutte si âpre et si difficile des affaires industrielles. » La différence paraît millimétrique avec le discours des radicaux-socialistes…
  • [14]
    Rolande Trempé, Les Mineurs de Carmaux (1848-1914), Les Éditions ouvrières, 1971, t. 2, pp. 873-906.
  • [15]
    AD Tarn IVM2 88
  • [16]
    C’est ce qu’indique Jacques Castagné dans sa récente, et très fouillée, étude, La Franc-maçonnerie d’Albi (1743-2000), 2004, 600 p. Sur la loge de Castres, cf. Georges Alquier, La Franc-maçonnerie castraise de 1744 à 1914, Mazamet, 1938, 130 p.
  • [17]
    IV M2 95.
  • [18]
    AD IV M7 13.
  • [19]
    AD IV M2 88 rapport du 6 septembre.
  • [20]
    Un sous-officier retraité d’Arfons (village de la Montagne Noire) écrit le 10 juillet dans Le Cri que « le cléricalisme et la religion sont des choses distinctes ; le premier me paraît comme une lèpre […]. Quant aux religions, elles sont le réconfort des âmes en peine […]. Je leur dois le respect que méritent toutes les convictions sincères. »
  • [21]
    1er janvier 1905 (extrait de la brochure du sénateur de l’Ariège Delpech, Documents pour la propagande en faveur de la Séparation des Églises et de l’État).
  • [22]
    28 septembre 1903.
  • [23]
    Un effort, notamment par la presse, est nécessaire, écrit La Gazette (publication albigeoise, proche de L’Express) le 1er janvier 1905. Sinon ce serait « finis Galliae ».
  • [24]
    IV M2 88.
  • [25]
    Abbé J. Rivière, Gabriel Cazes (1847-1920), Albi, 1920.
  • [26]
    Lucien Coudert, sidéré de voir la Droite castraise créer une « Jeunesse Libérale », écrira dans L’Avenir du Tarn du 30 mars 1905 : « Vous nous avez ravi La Marseillaise […]. Vous avez la hardiesse, aujourd’hui, de vous réclamer des principes immortels de la Révolution. Jusques à quand votre cœur balancera-t-il entre le Syllabus et le libéralisme ? »
  • [27]
    Xavier et Amédée sont au comité directeur, Xavier est un des deux secrétaires : AD Tarn IV M2 88, rapport du commissaire spécial 8 mai 1903.
  • [28]
    Pour tout ceci cf. IV M2 88, 89 et 90.
  • [29]
    Selon L’Écho du Tarn, repris par La Semaine religieuse.
  • [30]
    Bruno Dumons, « Mobilisation politique et ligues féminines », xxe Siècle, n° 73, janvier-mars 2002 pp. 39-50. Plus que la « souffrance qui les atteignait dans leur foi », due à la politique anticongréganiste de Combes, la motivation des adhérentes de la ligue semble être ici tout simplement l’attachement au catholicisme, bien encadré par les Reille et le clergé. Il est évident en tout cas que ce fut là une grande première et une prouesse : structurer politiquement autant de femmes, non encore électrices, était à l’époque hors de portée de la gauche. Et il n’est pas sûr que le Sud du Tarn ait à l’heure actuelle autant d’adhérentes, dans l’ensemble des partis !
  • [31]
    L’Écho du Tarn, 9 février.
  • [32]
    Où elle est toujours, malgré les demandes faites par le sous-préfet de Castres, dès 1909, de l’enlever.
  • [33]
    10 mai 1903.
  • [34]
    Rolande Trempé, op. cit., pp. 763-770, et AD Tarn IV M2 88 : en mars 1903, « Le syndicat jaune n’est qu’une sorte de groupement politique au service du marquis de Solages. »
  • [35]
    Xavier Reille à Castres le 12 février 1905 : « Nous devons nous efforcer par les moyens légaux (d’établir) une véritable constitution, non seulement dispensatrice des pouvoirs, mais aussi gardienne des principes essentiels. »
  • [36]
    Rouvière, industriel, appartient à l’Église libre où il a des responsabilités nationales (il préside le « comité auxiliaire des Missions »). Son « comité conservateur » est décrit en 1903 comme « sous la dépendance des Reille ».
  • [37]
    AD II M7 95, rapport du 22 février 1904.
  • [38]
    Sur Mignot, voir notamment : Louis de Lacger, Mgr Mignot, Bloud et Gay, 1933 et Louis-Pierre Sardella, Mgr Mignot et la pacification des rapports État-Église, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., pp. 33/50. La magistrale étude que vient de publier L.P. Sardella, Mgr Eudoxe Irénée Mignot, un évêque français au temps du modernisme, Cerf, 2004, 743 p., porte surtout sur sa conception de l’Église, ses idées philosophiques et théologiques, son intérêt pour l’exégèse et ses rapports avec Loisy.
  • [39]
    Gustave Combès, L’abbé Louis Birot, Albi, 1947, 494 p.
  • [40]
    Jacques Gadille, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 79.
  • [41]
    AD IV M2 92.
  • [42]
    Elle existe toujours (ICSO) et imprime Le Tarn Libre, nouveau nom pris par Le Journal du Tarn en 1944. Sur l’aventure de la fondation de l’ICSO, cf. Philippe Bloqué, 1903, Une imprimerie coopérative albigeoise, Albi, ICSO, 2003.
  • [43]
    Ibid., 1 J 617/3 documents sur l’ACJF.
  • [44]
    Françoise Chabbert-Gounelle, L’Action catholique dans le département du Tarn (fin xixe-début xxe s.), maîtrise, Toulouse-Le Mirail, 1971.
  • [45]
    AD Tarn IV M2 88.
  • [46]
    AD Tarn IV M2 88.
  • [47]
    12 avril 1905 lors de la mort d’Alibert, un pharmacien radical d’Albi, maire en 1896-97, ancien Vénérable. Obsèques civiles. Mais « à l’encontre de beaucoup de ses coreligionnaires, il était serviable, ennemi de la violence. »
  • [48]
    AD Tarn 3V 19 rapport du 26 juillet.
  • [49]
    À Valence d’Albi, Journal du Tarn 21 avril 1904.
  • [50]
    Ibid IV M2 88.
  • [51]
    12 janvier 1902.
  • [52]
    AD IV M2 90, 16 mai 1903.
  • [53]
    Philippe Nélidoff, « Le Clergé et les fidèles du diocèse d’Albi au temps de la Séparation », in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 52.
  • [54]
    AD Tarn, IV M2 93 La Gazette du Tarn l’appuie et « le jeune Pigasse » sert de relais entre Albi et Toulouse.
  • [55]
    L’Avenir du Tarn, 23 mars.
  • [56]
    Journal du Tarn.
  • [57]
    Journal du Tarn, 3 juin.
  • [58]
    Cf. Lucien Coudert dans L’Avenir du 2 juillet : Vaissière, chef de la Jeunesse Libérale de Castres, ferraille avec Guy, resté « royaliste fervent ».
  • [59]
    JdT, 26 avril.
  • [60]
    Avenir, 18 mai.
  • [61]
    AD Tarn IV M2 93 ; Avenir, 4 juin ; Cri, 11 juin. L’Union laïque aura 608 membres en 1906 (Avenir, 15 avril).
  • [62]
    AD Tarn II M4 24, JdT, 14 juin. Dans Le Cri du 25 juin, Jaurès écrit que « la victoire de Vieu est un signe d’espoir pour la Séparation ».
  • [63]
    L’Écho du Tarn, 6 juillet.
  • [64]
    Ibid., 20 juillet.
  • [65]
    Cri, 3 septembre.
  • [66]
    Cri des 17 septembre, 24 septembre, et 1er octobre. Jaurès est à Valdériès le 11 septembre, à Valence d’Albigeois le 17 septembre, à Pampelonne le 22 septembre, à Monestiès le 27 septembre.
  • [67]
    C’est le point de vue du pasteur de Puylaurens, Louis Fosse, plus proche là de l’ALP que du Bloc. Émile Jolibois, le pasteur d’Albi, co-fondateur de la section albigeoise de la LDH est beaucoup plus confiant envers la loi.
  • [68]
    AD Tarn IV M2 93, rapport du commissaire de police d’Albi le 14 novembre.
  • [69]
    Cité par L’Écho du Tarn, 17 décembre 1905. Discours de Piou au congrès de l’ALP à Paris (14-17 décembre).
  • [70]
    Sur tout ceci, cf. Combès, op. cit., pp. 205-215.
  • [71]
    AD IV M2 89, coupure de La Croix du 12 janvier 1906.
  • [72]
    Jean Marie Mayeur, La Séparation des Églises et de l’État, Les Éditions ouvrières, 1991, p. 94. La presse tarnaise évoque ce rôle de la baronne, qui « a dirigé le concert d’indignation des preux de l’aristocratique faubourg St Germain », Avenir, 22 février.
  • [73]
    Sur tous les inventaires, abondante et riche documentation dans la série V des AD du Tarn : de 2 V6 à 2V26.
  • [74]
    Mayeur, op. cit., p. 112.
  • [75]
    IV M2 93 dans une lettre du 31 mai à son « cher ami » le commissaire spécial d’Albi, il écrit : « Que le diable les emporte tous ! Il me tarde de m’en aller d’ici. »
  • [76]
    La fréquence de l’insulte « fainéants » est classique dans le milieu ouvrier mazamétain : cf. les travaux de Rémy Cazals. Les montagnards habitant au-dessus de Mazamet sont très souvent ouvriers dans les ateliers de la vallée de l’Arnette, au pied de leurs villages. Un des rapports du sous-préfet signale qu’ils ont quitté leur travail le jour de l’inventaire.
  • [77]
    Le mépris pour les ruraux non francophones est caricatural. C’est presque le ton d’un gouverneur colonial. Le sous-préfet de Castres, en tout cas, a compris la détermination de certains manifestants. Il pense que cela pourrait être pire qu’« en Haute Loire ou en Ardèche ». Le préfet suivra son point de vue là-dessus dès le 1er mars.
  • [78]
    C’est le seul cas cité d’irruption de manifestants cachés et armés. Cas très répandu en Haute Loire et Ardèche.
  • [79]
    Curé de La Platé (Castres). Le percepteur est menacé d’excommunication à Montans (Gaillac). Le curé des Avalats reproche au receveur de ne pas avoir le courage de démissionner. Celui de St Jean d’Armissard (Lisle) déclare avoir déposé pendant la nuit les « vases sacrés près de son chevet » et qu’« avant de les avoir il faudrait lui prendre la vie ». Le curé de Lasgraïsses parle des « Judas qui vous envoient ».
  • [80]
    « Il est possible que vous souffriez comme nous », lui dit le desservant de St Pierre de Conils (Réalmont).
  • [81]
    À Virac (Monestiès). Et aux Cabannes, près de Cordes : « Vous avez la force, nous avons le droit. »
  • [82]
    Il s’agit des paroissiens de Caussanel (canton de Valdériès), qui ont pensé cela, selon leur curé, lorsqu’étant allés à Albi, ils ont vu vendre sur la place publique le mobilier des religieuses chassées de leur village.
  • [83]
    En ruinant les fournisseurs d’églises en statues, etc. Le thème est assez souvent évoqué dans la presse cléricale.
  • [84]
    Les journaux cléricaux les plus dénoncés sont L’Union Libérale de Mazamet, et L’Express du Midi (Toulouse). Dans plusieurs articles de la presse anticléricale, les mises en cause des Reille exploitent le passé de leur famille : le maréchal Soult, leur arrière-grand-père, avait spolié les églises en Espagne, et revendu ensuite en France des Murillo, Velazquez, Zurbaran, etc. La fortune des Reille vient en partie de là. Voilà donc des profiteurs de spoliations qui se permettent d’accuser les doux républicains de 1905 d’être des spoliateurs ! Cf. notamment Avenir, 22 février 1906.
  • [85]
    Dans deux cas (St Amancet et St Avit, dans le canton de Dourgne) le curé est seul devant l’église pour en bloquer l’accès.
  • [86]
    Ceci au delà des cas où le receveur estime que le curé masque ses sentiments en disant que ce sont les fidèles qui l’empêchent d’ouvrir la porte. Le curé accueille parfois les agents de l’administration avec une déférence que ceux-ci jugent « obséquieuse ».
  • [87]
    Le fils de l’amiral, Auguste Jaurès, est à cet instant aux côtés du curé. Bien entendu le curé est ici ravi de montrer que le fils d’un homme qui avait tant fait pour rallier la population des campagnes au vote républicain est adversaire de la politique du Bloc.
  • [88]
    C’est précisément en 1905-1906 que le « petit train » parti de Castres commence à pénétrer la montagne.
  • [89]
    L’Émancipation, 2 décembre 1906 (« vendu à Guillaume II »).
  • [90]
    La campagne a été très dure à Carmaux. Le matin du vote, les troupes du marquis de Solages ont envahi la mairie pour « surveiller » le scrutin (on prétendait que le scrutin de 1902 avait été truqué). Jaurès doit calmer les socialistes, prêts à la bagarre. Le maire fait appel au préfet, qui envoie une compagnie du 143e R.I. qui fait évacuer la mairie. Le scrutin est ouvert à 12 h 40.
  • [91]
    Saluant la victoire des Reille dans le Tarn, le P. Vincent de Paul Bailly, assomptionniste, écrit à son frère Emmanuel : « et cependant l’archevêque est Mgr Mignot. » On appréciera la charité du propos ! L’ancien directeur de La Croix note aussi que dans beaucoup d’autres régions « on a eu trop souvent des espérances établies sur des alliances avec le démon » : comme à Gaillac ? (cité par M. Larkin, op. cit., p. 173).
  • [92]
    Pour la réintégration de Dreyfus, il ne prend pas part au vote.
  • [93]
    Croix du Tarn, coupure in IV M2 93.
  • [94]
    Cité par J. Gadille, L’abbé Louis Birot, in Christianisme et politique dans le Tarn, op. cit., p. 73 (lettre à l’abbé Frémont, 7 septembre 1906).
  • [95]
    Violette Méjan, La Séparation des Églises et de l’État, PUF, 1959, pp. 337-345.
  • [96]
    Le 2 septembre.
  • [97]
    Avenir, 20/9, Cri 23/9, L’Émancipation oppose « catholiques français » et « catholiques romains ».
  • [98]
    À Roquecourbe, il faut 1 h 1/2 pour enfoncer la porte de l’église, « en cœur de chêne ».
  • [99]
    Le plus émouvant est celui de Lamontélarié : « tout jeune, surexcité, il ne répond à aucune question. Quand je veux passer la grille du chœur, il me barre le chemin. Je le prends par le bras et l’oblige à laisser le chemin libre » (rapport du commissaire).
  • [100]
    À Lasfaillades le curé « semble avoir peur des troupes ».
  • [101]
    AD IV M2 94, 7 décembre.
  • [102]
    Avenir, 20 décembre 1906.
  • [103]
    Cité in Pierre Louis Sardella, loc. cit., p. 44. En 1909, il avait écrit à Mgr Lacroix : « La devise du pape Instaurare omnia in Christo se ramène à Instaurare omnia in praepotentia papali. »
  • [104]
    Dans une lettre à l’abbé Frémont du 12 décembre 1908, l’abbé Birot indique qu’en 15 ans, dans la paroisse de Ste Cécile à Albi, le « mouvement religieux » a diminué d’un tiers (Violette Méjan, op. cit., p. 310).
  • [105]
    2 décembre 1906.
  • [106]
    Les premières colonies de vacances qu’ait eues le Tarn apparaissent pendant l’été 1906 et elles sont créées par le clergé. Les patronages ont aussi un grand succès, accueillant même des enfants des écoles publiques. Il faudra que les « laïques » s’y mettent ! Cf. Chabbert-Gounelle, op. cit.
  • [107]
    Cité par Daniel Loddo, St Amans les deux villages, La Talvera/Édicopie, 1990, p. 262.
  • [108]
    Voix de la Montagne, 15 juin 1905, 15 juin et 1er décembre 1906.
  • [109]
    Dans son discours à la distribution des prix des écoles de Castres en 1904, Jaurès évoque les travaux de Loisy. On relira avec fascination le discours du 13 novembre 1906 à la Chambre, où Jaurès explique ce que l’Église aurait dû faire et dire… sur l’égalité entre les hommes, sur la mort…
  • [110]
    Il pense alors à l’attitude de la CGT envers le Parti socialiste (interdiction aux militants syndicalistes de briguer un mandat politique).
  • [111]
    L’Émancipation, 6 janvier 1907.
  • [112]
    Cri, 23 septembre, 7 octobre, 14/ octobre. M.L. Paturel est « ex-directrice » de l’école libre de St Priest-Taurion (Haute Vienne). La Voix de la Montagne du 15 octobre parle de « Mlle Paturel ». Marie-Louise Paturel veut que « le prêtre cesse d’être le maître mystérieux de nos familles, l’amant invisible et mystique de nos femmes ». « Il faut que la femme sache bien comprendre que tout le danger réside dans sa fréquentation avec le curé au confessionnal. » Lors de cette conférence, le fondateur de la section mazamétaine de la Ligue des Droits de l’Homme, Gaston Cormouls-Houlès, est assesseur du président de séance, Lefebvre, président du groupe Ernest Renan (Libre Pensée).
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